Origine et renouveau du concept de démence dans la schizophrénie Origin and renewal of the dementia concept in schizophrenia
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Modele+ ARTICLE IN PRESS Annales Médico-Psychologiques ■■ (2005) ■■■–■■■ http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Mémoire Origine et renouveau du concept de démence dans la schizophrénie Origin and renewal of the dementia concept in schizophrenia J.-M. Azorin *, A. Kaladjian, E. Fakra SHU Psychiatrie Adultes, CHU Sainte-Marguerite, 13274 Marseille Cedex 09, France Reçu le 6 avril 2005 ; accepté le 16 mai 2005 Résumé Une littérature de plus en plus importante est consacrée au rôle que pourrait jouer un processus démentiel dans l’évolution du trouble schizo- phrénique. L’histoire même du concept de démence semble avoir tracé la voie qui mène à ce regain d’intérêt. Si la définition de la démence comme affection de la cognition remonte, en psychiatrie, à Pinel, au XIXe siècle le trouble est conçu à la fois comme une maladie du cerveau mais qui peut avoir une étiologie psychique. La notion de « démence précoce » résume, dans le cadre de la schizophrénie, ces conceptions. L’identification d’une atteinte cognitive extensive paraissant indépendante des symptômes psychiatriques a constitué une étape importante dans la réflexion sur les relations entre démence et schizophrénie. Les études de suivi d’ordre neuropsychologique ou en neuro-imagerie ont montré que cette atteinte pouvait dans certains cas progresser, plaidant pour une étiologie dégénérative. Des descriptions cliniques ont confirmé ces observa- tions. Des modèles neuropathologiques et neurobiologiques de ce déficit cognitif sont aujourd’hui proposés, qui sont à même de déboucher sur des stratégies préventives dans le traitement de la schizophrénie. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract An increasing amount of current literature on schizophrenia is devoted to the role dementia may play in its course. This renewed interest had the way paved by the very history of the dementia concept. Before Kraepelin coined the term of "dementia praecox" as the hallmark of a common terminal state for hebephrenia, catatonia and paranoid psychosis, dementia acquired, as soon as the end of the 18th-century its cognitive meaning. In France, Pinel yet spoke of an "abolition of thinking", but in the same time considered dementia as one of the four forms of mental alienation, alongside with mania, melancolia and idiotism. During the 19-th century dementia was defined as an acquired deficit of intelligence supported by a brain disease, but which could be due to a mental illness. Owing to progress in neuropathology, several diseases such as Alzhei- mer or Pick illnesses were identified as causes of dementia, so that the concept was annexed by neurologists and received less interest from psychiatrists, during the last century. That seemed to change, twenty years ago, when clinical discussions emerged around the issues raised by depressive (pseudo) dementia. In psychiatry, the broader conceptualization of schizophrenia introduced by Bleuler in 1911 has not been widely adopted, many authors having been continuing sharing the Kraepelinian view that, at least one form of the disease, was a chronic progressive illness leading to severe impairments in cognitive and social functioning. Historical variations in diagnostic criteria used for schizophrenia had an impact on the way psychiatrists assessed outcome of the disease, leading some of them to consider schizophrenia as a nosological category without natural boundaries and propose to abandon the concept. However the use of narrow criteria is currently prevailing. Advances in neuro- cognitive testing and changes in theoretical models allowed, at the end of the last century, to document that schizophrenia was characterized by a broadly based cognitive impairment. Deficits were found in various domains: global and selective verbal memory, non-verbal memory, bilateral and unilateral motor performance, visual and auditory attention, general intelligence, spatial ability, executive function, language and interhemi- spheric tactile-transfer test performance. The hypothesis according to which the vast majority of these cognitive deficits had a neurodevelop- mental origin was recently challenged by findings from longitudinal neurocognitive and neuroimaging studies. Some studies, for example, show that if first episode patients have smaller left hippocampal volumes as compared with controls, there is also an association of smaller right hippocampal volumes with increased illness duration in chronic schizophrenia. Others have shown that neuropsychological evaluations before * Auteur correspondant. Adresse e-mail : jazorin@ap-hm.fr (J.-M. Azorin). 0003-4487/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2005.05.008 AMEPSY-498
ARTICLE IN PRESS 2 J.-M. Azorin et al. / Annales Médico-Psychologiques ■■ (2005) ■■■–■■■ treatment permitted differentiation of primary deficits from changes secondary to medication or chronicity. Clinicians reported that in some cases of chronic schizophrenic patients, dementia could be a complication of the disease, sharing common neuropsychological features with fronto- temporal dementia. The effect of age was discussed too, as seeming to play sometimes a part. Even if the cause of the degenerative process that appears to occur in the brains of some schizophrenic patients remains largely unknown, advances in neuropathological models of degeneration in the brain as well as in mechanisms and factors underlying its process, gave rise to hypotheses liable to explain how degenerative dementia could occur in schizophrenia. Excess products of membrane degeneration which was evidenced by magnetic resonance spectroscopy suggests increased apoptosis in some schizophrenic patients. Deficits in neurotrophic factors, free radical oxidation, excess glutamate activity have been implicated as well as abnormalities in dopamine and cortisol metabolism. Growing evidence that some newer antipsychotics seem capable to interfere with these processes, slowing down their progression and even stopping it, has contributed to the renewal of the concept, opening new avenues to preventive strategies in the treatment of schizophrenia. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Antipsychotiques ; Déficit cognitif ; Démence ; Histoire ; Neurodégénératif ; Schizophrénie Keywords: Antipsychotics; Cognitive deficit; Dementia; History; Neurodegenerative; Schizophrenia Certaines entités psychiatriques connaissent, au cours de le caractère acquis, par opposition à l’idiotisme. Georget y ap- leur histoire, des périodes d’éclipse et de résurgence, à interval- portera, peu après, la notion d’irréversibilité, en faisant un « af- les de temps plus ou moins longs. Cela a, par exemple, été le faiblissement général des facultés intellectuelles, résultant de cas de l’hystérie et, à une époque plus récente, des troubles l’usure de l’organe qui les produit, par suite de l’âge ou de maniacodépressifs, en particulier dans leurs formes atténuées. maladies mentales ou autres ». Dans la seconde moitié du Les raisons qui régissent ces mouvements de balancier sont XIXe siècle, le terme revêt ainsi le sens d’un syndrome d’étio- probablement multiples. La pertinence d’une intuition clinique logies variées parmi lesquelles figurent les affections mentales, peut s’avérer en désaccord avec les conceptions dominantes que l’expression classique de « démence vésanique » consacre- d’une époque ; les modèles théoriques permettent de rassem- ra. Certains verront là une preuve de la nature « organique » bler sous forme de concepts nosographiques des aspects seule- des maladies mentales. Ce fut notamment le cas de Kraepelin ment partiels des tableaux cliniques ; enfin certaines entités qui réunit sous le terme de « démence précoce », dans les édi- doivent attendre d’être validées par des méthodes dont le déve- tions successives de son traité, la catatonie de Kahlbaum, l’hé- loppement technique est encore insuffisant ou imparfait à une béphrénie d’Hecker et les psychoses paranoïdes, caractérisées époque donnée. L’intelligence du concept d’hystérie est proba- par leur évolution terminale commune vers un état d’affaiblis- blement indissociable du plein essor des modèles analytiques sement intellectuel associé à une déchéance somatique. La pre- alors que celui des formes atténuées de la bipolarité est à la fois mière moitié du XXe siècle, marquée par les progrès de l’ana- lié aux progrès de la neurobiologie et de la psychopharmaco- tomopathologie, consacrera le mouvement amorcé par Bayle logie. Le concept de démence tel qu’il a pu apparaître au sein au siècle précédent, à savoir la mise en évidence de lésions des troubles schizophréniques, en précurseur même de leur dé- cérébrales spécifiques aboutissant à l’individualisation d’affec- finition actuelle, est exemplaire de tels mouvements. Nous pro- tions démentielles bien définies : maladie d’Alzheimer, maladie posons dans les lignes qui suivent d’en présenter une généalo- de Pick, maladie de Binswanger… [5,13,26]. gie rapide jusqu’à sa réapparition récente, à travers les L’annexion des démences par la neurologie associée à l’é- principales étapes qui ont pu marquer cette évolution, avant chec de l’anatomopathologie dans les grandes affections men- d’en discuter la validité et de dessiner les pistes de recherche tales aura pour résultat, à la faveur d’un intérêt croissant des susceptibles d’en élucider les principaux facteurs et mécanis- psychiatres pour les modèles psychodymaniques, de conduire à mes. une situation bien résumée par Lantéri-Laura [26], à savoir que tout autre usage du terme de démence « devient obsolète, de 1. Aperçu historique sorte que les locutions de démence vésanique et de démence précoce […] ne peuvent plus relever que d’un passé révolu, Depuis la fin du XVIIIe siècle, époque qui a vu naître la mais dont il faut connaître l’histoire ». Dans les années 1980 psychiatrie comme discipline autonome, le vocable de dé- néanmoins, un regain d’intérêt pour ces notions verra progres- mence a toujours figuré parmi les grandes catégories diagnos- sivement le jour autour du concept clinique de « pseudo- tiques de celle-ci. Dès Pinel, le terme désigne ainsi l’une des démence dépressive » dont certains auteurs réfuteront le pré- quatre formes de l’aliénation mentale aux côtés de la manie, de fixe de « pseudo », voyant dans cette entité une authentique la mélancolie et de l’idiotisme. La démence est une « abolition « démence » [4]. Le développement de la neuropsychologie de la pensée » dans laquelle le jugement n’est pas seulement et de la neuro-imagerie en psychiatrie, largement favorisé par erroné, comme dans la manie, mais n’existe plus. Il est intéres- le mouvement néokraepelinien, alimentera par la suite le sant de souligner, avec d’autres [13], l’acception « cognitive » renouveau d’une telle problématique. du concept. Celle-ci sera reprise par Esquirol qui en fait « une On assistera parallèlement, dans les systèmes de classifica- affection cérébrale […] caractérisée par l’affaiblissement de la tion nosographique, au retour d’une définition syndromique de sensibilité, de l’intelligence et de la volonté » dont il souligne la démence dont l’incurabilité n’est plus, depuis longtemps, un
ARTICLE IN PRESS J.-M. Azorin et al. / Annales Médico-Psychologiques ■■ (2005) ■■■–■■■ 3 critère. Ainsi dans le DSM-IV [3], la notion de démence ren- leur évolution [2] vont dans le sens d’une progression des dé- voie à « l’apparition de déficits cognitifs multiples qui compor- ficits, du moins pour certains d’entre eux. Une étude longitu- tent une altération de la mémoire et au moins l’une des pertur- dinale ayant porté sur 142 patients et 206 sujets témoins [20] bations cognitives suivantes : aphasie, apraxie, agnosie ou n’a pu mettre en évidence, sur une période de cinq ans, une perturbation des fonctions exécutives » ; déficits qui doivent progression des déficits, mais l’observation de certains cas in- s’accompagner d’une altération du fonctionnement sociopro- dividuels montre au contraire l’existence d’une aggravation fessionnel et représenter un déclin par rapport au fonctionne- neurocognitive sur des durées de suivi analogues [11]. Les ment antérieur. données de l’imagerie cérébrale semblent plus probantes. Un En psychiatrie, l’abandon du concept de « démence pré- certain nombre d’études transversales montrent notamment l’e- coce » au profit de la schizophrénie n’a pas manqué de susci- xistence d’une diminution de volume de l’hippocampe gauche ter, très tôt, de nombreuses critiques. Dide et Guiraud par lors d’un premier épisode, alors que la diminution de volume exemple, ont toujours défendu l’idée d’une forme indépendante semble être bilatérale chez les patients chroniques [37]. Il en va déficitaire [12], préfigurant ainsi les conceptions actuelles d’au- de même pour les études longitudinales dont certaines indi- teurs tels que Carpenter et al. [7]. L’accent mis sur les aspects quent une progression lente de l’élargissement ventriculaire déficitaires dans la définition même de la maladie a pu, en par- [25] ou une diminution de volume de la matière grise fronto- ticulier, expliquer l’apparent épuisement de l’effet des neuro- temporale associée à une augmentation de la taille des sulcus leptiques classiques sur la maladie qui est contemporain du cérébraux sur une période de quatre ans en liaison avec la sé- mouvement néokraepelinien [21]. vérité des symptômes [29]. Une étude originale qui a porté sur des sujets à haut risque a pu montrer qu’après une année de 2. Déficits cognitifs dans la schizophrénie suivi, les sujets qui devenaient psychotiques présentaient, par rapport à ceux qui ne le devenaient pas, une diminution de La recherche de déficits cognitifs dans la schizophrénie a volume dans les régions frontale inférieure et médiotemporale fait, depuis plus de 20 ans, l’objet d’un nombre croissant de gauches incluant l’hippocampe [37]. travaux [17,36]. En 1965, Perse [31] écrivait déjà : « La dété- rioration mentale des schizophrènes est un fait reconnu et cons- 3. Données cliniques taté de façon unanime. » Une méta-analyse, datant de 1998 [22], a recensé 204 études portant sur les performances com- Peu d’auteurs ont abordé le problème dans une perspective paratives de patients schizophrènes et de sujets contrôles à dif- purement clinique, en se posant la question de savoir si le diag- férents tests cognitifs, retenant 22 variables de comparaison. nostic de démence pouvait être justifié chez certains patients Les fonctions testées étaient la mémoire verbale (globale et sé- schizophrènes. lective), la mémoire non verbale, les performances motrices Bien que portant sur un nombre limité de patients, le travail uni- et bilatérales, l’attention visuelle et auditive, l’intelligence le plus original de ce point de vue est probablement celui de générale, les habiletés spatiales, les fonctions exécutives, le de Vries et al. [11]. Les auteurs ont pu identifier un sous- langage et le transfert interhémisphérique. Les auteurs mettent groupe de patients schizophrènes satisfaisant aux critères en évidence, dans ce travail, l’existence de nombreux déficits DSM-IV de démence, ayant des scores au MMSE inférieurs à cognitifs d’intensité variable chez les patients schizophrènes. 24 et qui présentaient un déclin cognitif évalué par l’existence Ces déficits paraissent relativement indépendants d’un certain d’une différence de plus de 15 points entre le QI actuel et le QI nombre de paramètres cliniques ou sociodémographiques tels prémorbide (le premier étant apprécié par l’échelle de que la dose de neuroleptiques, l’âge de début de la maladie, la Wechsler, le second à l’aide de la NART). Tous les patients durée des troubles ou la fréquence des hospitalisations, mais étaient âgés de moins de 65 ans afin d’éviter les problèmes liés l’étude semble manquer de puissance à ce niveau, de tels para- à la prévalence des démences de cause organique au-delà de mètres n’étant pas toujours rapportés avec précision dans les cet âge. L’existence d’une affection de cet ordre était d’ailleurs différentes études citées. exclue par un examen clinique approfondi et une batterie de Une autre méta-analyse, publiée l’année suivante [1], mais tests et d’investigations appropriés. portant uniquement sur les fonctions mnésiques, rapporte des Cliniquement, ces patients présentent des troubles de la mé- résultats comparables sur la base de 70 études relatives aux moire, des troubles de l’orientation dans le temps et dans l’es- performances sur la mémoire de rappel et de reconnaissance. pace, des perturbations du jugement et du raisonnement avec Dans cette analyse, seuls les symptômes négatifs semblent des difficultés d’évaluation de leur âge, de leur durée de séjour avoir une relation, mais qui reste peu importante, avec le déficit dans le service, une incapacité à donner le nom du Premier mnésique. ministre ou celui de la capitale d’un pays. Leur entourage rap- La stabilité des déficits cognitifs avec le temps est généra- porte, en outre, des épisodes pendant lesquels ils se sont perdus lement interprétée comme un argument en faveur de l’hypo- dans la rue, des difficultés d’habillage ou d’alimentation avec thèse neurodéveloppementale de la schizophrénie [2,8]. Néan- incapacité de gérer un budget ou de subvenir aux tâches ména- moins, un certain nombre d’études transversales ayant comparé gères. Dans le service, ils témoignent d’une inaptitude à s’a- des patients en premier épisode à des patients ayant présenté de dapter aux activités routinières et certains d’entre eux souffrent multiples épisodes [35] ou des patients à différents niveaux de d’incontinence.
ARTICLE IN PRESS 4 J.-M. Azorin et al. / Annales Médico-Psychologiques ■■ (2005) ■■■–■■■ La plupart de ces patients avaient un bon niveau d’adapta- frontotemporale les symptômes psychotiques sont rares et, tion prémorbide, certains ayant même occupé plusieurs em- quand ils existent, ils précèdent de peu l’apparition du syn- plois. drome démentiel. Les études qui ont pu être réalisées en post Ils se caractérisent également par une longue histoire de mortem chez les patients schizophrènes ne montrent d’ailleurs symptômes psychotiques, avec une durée de la maladie schizo- pas de comorbidités fréquentes avec les affections qui viennent phrénique allant de 9 à 30 ans et une évolution lente de leur d’être mentionnées [18]. syndrome démentiel. Sur le plan cognitif, il existe une atteinte Les effets de l’âge sur le déclin cognitif des patients schizo- des fonctions visuospatiales prédominant sur la Figure de Rey phrènes ont fait l’objet de plusieurs études et de nombreuses et l’identification de silhouettes et des troubles du langage por- discussions [19]. Davidson et al. [9], par exemple, ont pu met- tant plus particulièrement sur la sémantique. En revanche, la tre en évidence, au cours d’une étude rétrospective, des diffé- plupart des tests de mémoire et des tâches exécutives étaient rences de performance cognitive de trois points au score perturbés. L’échelle PANSS ne montre pas de différence entre MMSE par décennie chez des schizophrènes sévères dont l’âge ces patients et un groupe de schizophrènes ne présentant pas de était compris entre 25 et 95 ans. Le déclin cognitif peut, dans syndrome démentiel, au niveau des scores positif, négatif et de certains cas, être inapparent jusqu’à un certain âge, pour se psychopathologie générale, alors qu’une différence significa- manifester ensuite de façon nettement marquée par rapport tive existe au niveau de l’item désorientation, confirmant le fait aux sujets sains [19]. Une étude ayant porté sur 300 patients que le syndrome démentiel ne peut être la conséquence ou le schizophrènes de plus de 65 ans montre, sur un suivi de trois reflet directs de la symptomatologie psychiatrique. ans, un risque de déclin cognitif de 12,6 % pendant la première Le scanner cérébral ne met pas en évidence d’altération ca- étape du suivi (15 à 18 mois), 15 % en plus remplissant les ractéristique, les schizophrènes déments et non déments ne critères de déclin pendant la seconde étape (30 à 36 mois) avec montrant pas de différence au niveau de l’élargissement ventri- un taux global de déclin de 27,6 %. Les facteurs de risque culaire, de la taille des sillons corticaux ou de l’existence d’une associés étaient le vieillissement, de faibles niveaux de scola- atrophie médiotemporale. Le SPECT réalisé chez les seuls pa- rité et des symptômes positifs sévères [18]. Au cours d’une tients déments mettait en évidence des zones d’hypoperfusion, autre étude, Friedman et al. [16] ont suivi pendant six ans en particulier au niveau des régions frontales et temporales. 108 patients schizophrènes âgés de 20 à 80 ans, les patients L’évolution de l’un des patients déments déjà évaluée sur le de plus de 50 ans étant comparés à un groupe de 126 sujets plan cognitif six ans auparavant permettait de confirmer l’exis- sains et à un groupe de 118 patients souffrant de maladie tence d’un syndrome démentiel en montrant l’existence d’un d’Alzheimer. Dans ce dernier groupe, plus de 90 % présentent déclin cognitif au niveau de l’intelligence générale, de la mé- une aggravation de leurs troubles cognitifs indépendamment de moire et des fonctions exécutives. l’âge ; les sujets sains, sans tenir compte de l’âge, ne présentent aucun risque d’aggravation ; les patients schizophrènes, quant à 4. Aspects critiques eux, ne présentent aucun déclin avant l’âge de 65 ans, alors qu’il existe une aggravation après 65 ans. Affirmer l’existence clinique d’une authentique démence Ces données sont à rapprocher d’une étude histopatholo- schizophrénique suppose que soient exclues les autres causes gique menée en post mortem chez des patients psychiatriques possibles de démence. Dans l’étude qui vient d’être citée, un institutionnalisés âgés [14]. certain nombre d’arguments plaident en faveur de l’autonomie Si seulement 8 % des patients schizophrènes montrent des d’une telle entité. La durée relativement importante des symp- critères neuropathologiques de maladie d’Alzheimer associés à tômes psychotiques avant l’apparition du syndrome démentiel une atteinte cognitive sévère, en revanche 68 % montrent un exclut l’existence d’une affection neurologique dont les pre- déficit cognitif comparable associé à un taux de plaques séniles miers symptômes seraient de nature psychiatrique. La comor- et de dégénérescence neurofibrillaire moins important que dans bidité avec une démence de type Alzheimer, une démence vas- le groupe souffrant de maladie d’Alzheimer mais significative- culaire ou une maladie à corps de Lewy semble également peu ment plus élevé que chez les patients sans déficit cognitif. Les probable. L’atrophie médiotemporale caractéristique de la ma- auteurs interprètent ces résultats en suggérant l’effet conjoint ladie d’Alzheimer n’est pas retrouvée, les schizophrènes dé- d’une dégénérescence sénile et de la schizophrénie dans l’ap- ments ne se différenciant pas des non-déments sur cet indice. parition d’un déclin cognitif sévère. L’atteinte des fonctions La démence vasculaire est exclue par l’absence d’éléments en cognitives sous l’effet de l’âge serait un processus continu dont faveur d’une affection cardiovasculaire. Enfin, le déclin cogni- témoignerait notamment l’apparition de plaques séniles. Le tif semble beaucoup moins rapide que dans le cas des trois seuil à partir duquel ce processus donnerait lieu à l’apparition affections qui viennent d’être mentionnées. d’un déclin cognitif serait plus bas chez certains sujets schizo- La démence frontotemporale est en revanche plus difficile à phrènes, du fait d’une vulnérabilité liée à une moindre réserve exclure, du fait de sa fréquence dans le présenium, de sa pro- cognitive. Mais cette vulnérabilité, si elle est peut-être d’ori- gression parfois lente et d’anomalies neuropsychologiques et gine neurodéveloppementale, pourrait aussi être associée à un neuroradiologiques voisines, posant parfois d’importants pro- processus progressif, susceptible de conduire lui-même, lors- blèmes de diagnostic différentiel, en particulier dans le cas qu’il est suffisamment avancé, à une détérioration cognitive des schizophrènes tardives [33]. Néanmoins, dans la démence cliniquement parlante.
ARTICLE IN PRESS J.-M. Azorin et al. / Annales Médico-Psychologiques ■■ (2005) ■■■–■■■ 5 5. Mécanismes et facteurs pathogéniques paminergie induit fréquemment une hypercortisolémie qui elle- même accentue l’hyperdopaminergie dans un phénomène en La possibilité d’une origine neurodégénérative aux troubles boucle, l’hypercortisolémie étant susceptible d’induire une cognitifs de la schizophrénie a longtemps été réfutée en raison atrophie hippocampique et une détérioration cognitive [39]. de l’absence de gliose retrouvée dans la plupart des études ana- D’autres auteurs ont évoqué le rôle de l’hypodopaminergie pré- tomopathologiques [18], phénomène qui a largement alimenté frontale qui a pu être associée à l’existence d’une démence l’hypothèse neurodéveloppementale. La découverte que la dé- dans un certain nombre d’états pathologiques [14]. Une telle générescence des tissus cérébraux pouvait relever non seule- hypodopaminergie serait potentialisée par le déficit dopaminer- ment de processus nécrotiques mais également de l’apoptose gique lié à la sénescence [7]. a contribué au regain d’intérêt pour l’hypothèse neurodégéné- L’hyperdopaminergie mésolimbique étant liée à l’hypodopa- rative. Contrairement aux phénomènes de nécrose qui s’accom- minergie préfrontale [10], une telle hypothèse pourrait à la fois pagnent d’une réaction inflammatoire et d’une prolifération rendre compte de la relation qui a pu être faite entre répétition gliale, la mort neuronale par apoptose survient en l’absence des épisodes et démence [32], de l’augmentation du risque de telles manifestations. Le processus semble continu au cours avec l’âge et de la localisation des lésions. de la vie d’un organisme et entretient un équilibre avec les Certains auteurs évoquent cependant la possibilité de pro- phénomènes de régénération tissulaire [25]. Une technique telle cessus en partie indépendants pour rendre compte au sein du que la spectroscopie par résonance magnétique en a permis la « groupe des schizophrénies » des pathologies neurodévelop- quantification, en mettant notamment en évidence une anoma- pementale, épisodique et neurodégénérative. De tels processus lie du métabolisme des phospholipides membranaires dans la pourraient alors être sous le contrôle de sites génétiques diffé- schizophrénie, avec à la fois une augmentation de leurs catabo- rents [25]. lites et une diminution de leurs précurseurs au niveau du cortex Leur existence, liée à celle de vulnérabilités multiples, a pu, préfrontal. Très marquées au début de la maladie, ces anoma- au-delà même des conceptions bleulériennes, alimenter l’idée lies paraissent néanmoins se poursuivre tout au long de l’évo- que la schizophrénie n’était plus qu’un « artefact conceptuel lution [25]. qui ne correspond à aucun regroupement naturel de patients » Elles sont compatibles avec l’augmentation des taux de [6]. phospholipase A2 qui a pu être mise en évidence chez certains Un certain nombre d’études récentes, qu’elles soient d’ordre patients schizophrènes, la phospholipase A2 catalysant l’hydro- clinique, neuropsychologique, épidémiologique ou de neuro- lyse des phospholipides membranaires qui elle-même donne imagerie, accréditent la notion d’un risque d’évolution démen- lieu à la production de molécules neurotoxiques [25]. Des dé- tielle dans la schizophrénie. Si quelques-unes d’entre elles, tel- ficits en enzymes chargées de l’élimination de substances toxi- les que celles réalisées en spectroscopie par résonance magné- ques telles que les radicaux libres, susceptibles de déclencher tique, laissent à penser que les premières années suivant des phénomènes d’apoptose, ont été également rapportés dans l’épisode initial sont essentielles pour l’installation de ce risque la schizophrénie, qu’il s’agisse des superoxydes dismutases ou [25], réhabilitant en cela le concept d’une démence précoce, des glutathions peroxydases [25]. d’autres, comme les études cliniques et de suivi, font jouer un La prévention de l’apoptose joue un rôle important dans le rôle aggravant et parfois décisif aux effets de l’âge. Les méca- métabolisme cérébral. Elle est en grande partie liée à l’existen- nismes sous-tendant ce type de trouble restent hypothétiques ce de facteurs neurotrophiques qui sont produits par les cellules mais leur connaissance et leur compréhension pourraient avoir cérébrales et inhibent l’initiation des programmes de mort neu- des applications thérapeutiques importantes. En effet, plusieurs ronale. Plusieurs études ont ainsi mis en évidence une diminu- études récentes réalisées tant chez l’animal que chez l’homme tion des taux de NGF (Nerve growth factor) dans le liquide suggèrent qu’à la différence des neuroleptiques classiques, les céphalorachidien ou le plasma de schizophrènes non traités antipsychotiques de seconde génération, non seulement ne [25]. semblent pas avoir d’effets neurotoxiques [15] mais pourraient L’hyperglutamatergie qui elle-même pourrait être secondaire avoir des propriétés neurotrophiques [24,30] ainsi que des ef- à des phénomènes d’hypoglutamatergie a été également évo- fets sur la neurogenèse [38]. Les premiers résultats d’une étude quée, le glutamate étant neurotoxique à fortes concentrations clinique comparative de l’olanzapine et de l’halopéridol sur un [34]. suivi de deux ans chez des patients en premier épisode mon- À l’inverse de ce que l’on observe dans la maladie d’Alz- trent, à l’aide de l’imagerie cérébrale, un effet neuroprotecteur heimer, le déficit cholinergique ne paraît pas impliqué dans les nettement plus marqué avec l’olanzapine qu’avec l’halopéridol phénomènes de neurodégénérescence évoqués dans la schizo- dans plusieurs régions du cerveau et notamment au niveau des phrénie [14]. Ainsi une étude récente [28] ne retrouve pas d’as- régions frontales et temporales, assorti d’un effet procognitif sociation entre les scores de démence et l’expression de la plus prononcé [23,27]. Ces travaux ouvrent la voie, dans la sous-unité alpha 7 du récepteur nicotinique dans le cortex pré- mesure où ils s’avéreraient confirmés, à la possibilité d’un effet frontal des patients schizophrènes. préventif de l’évolution démentielle par un traitement antipsy- L’hypothèse probablement la plus séduisante, mais qui n’est chotique précoce et approprié. Ils n’excluent pas que d’autres pas incompatible avec plusieurs de celles qui viennent d’être mesures thérapeutiques, telles que la réhabilitation cognitive évoquées, fait jouer un rôle central à la dopamine. L’hyperdo- par exemple, puissent avoir le même type d’effet [19].
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