Orphans (Orphelins) - de Dennis Kelly Création théâtrale automne 2021 Dossier préliminaire
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Orphans (Orphelins) — de Dennis Kelly Création théâtrale automne 2021 Dossier préliminaire Coproduction — Arsenic - Lausanne & Comédie de Genève Danny C’est quelqu’un quand même. Là-bas dehors, c’est une personne. Helen C’est pas une personne que je connais. Danny Tu veux dire quoi, que je fasse rien? T’attends que je fasse quoi? Pause Helen Si ce gamin est innocent alors je suis vraiment désolée pour lui. Si ce n’est pas le cas, eh bien je ne le suis pas. Mais ne le connais pas. Danny Alors c’est à ça que ça se résume aujourd’hui le monde? Qui on connait et qui on ne connait pas? Helen Oui. Oui, c’est ça Danny. Aujourd’hui. Maintenant. Aujourd’hui c’est exactement à ça que se résume le monde. Qui on connaît et qui on ne connaît pas. Désolée. 1
Mot d’introduction de Philippe Saire Angels in America était pour moi une première étape de ma pratique théâtrale et les très bons échos rencontrés m’encouragent dans ce désir puissant de poursuivre, en parallèle de ma pratique de chorégraphe, cette exploration d’une mise en scène abordée par le corps. Pour rappel, cette approche physique des textes n’est pas une nouveauté pour moi : c’est un système de travail que j’ai mis au point depuis plus de dix ans lors d’ateliers à La Manufacture — Haute École des Arts de la Scène de Lausanne et aux Teintureries. Partant de l’objectif pédagogique de relier davantage le corps au texte et à l’interprétation, une forme assez personnelle de mise en scène a émergé et m’a donné envie de la mettre en œuvre sur le plateau. La rencontre avec le magnifique texte de Angels in America a donné le déclic nécessaire. J’ai la sensation que ces projets de spectacles liant le corps et le texte entrent dans une logique de parcours. J’ai hésité il y a longtemps entre théâtre et danse, puis monté des chorégraphies nourries de références littéraires ou théâtrales, enseigné le mouvement à des comédiens… et là tout se rejoint et fait sens. Continuer ce travail de mise en scène particulière tient aujourd’hui pour moi de l’évidence. J’ai, pour ce deuxième projet, cherché à nouveau une pièce qui à la fois faisait la part belle aux acteurs, et dans laquelle je voyais la possibilité d’engager les corps. Je souhaitais me concentrer sur une pièce plus courte et avec une distribution plus réduite. La volonté étant aussi ici d’approfondir le procédé avec moins de paramètres qu’un spectacle long (dont le rythme général dicte énormément de contraintes). Il importait, pour le système que je décris de manière plus détaillée dans le dossier, que cette pièce contienne des enjeux très clairs entre les protagonistes. L’aspect mouvement va donner en tous les cas une forme de décalage et il est essentiel, en contrepoint, que le texte reste d’une relative limpidité d’écriture. J’avais travaillé lors d’un atelier sur des extraits d’Orphelins, de Denis Kelly, et la pièce m’avait enthousiasmé. J’ai décidé de monter ce texte très impressionnant, tant sur la forme — une écriture ciselée alliée à la dramaturgie d’un thriller — que sur le fonds. La pièce parle du racisme ordinaire, au travers d’un fait divers vécu de l’intérieur par certains de ses protagonistes, et rejoint ma conviction profonde qu’au théâtre, c’est par l’intime qu’on peut toucher le politique. Le texte de Denis Kelly en est la brillante démonstration. 2
La pièce Dennis Kelly est un acteur, scénariste jeune étranger blessé sur le trottoir. Petit et dramaturge britannique. Il est un des à petit, les faits apparaissent dans leur auteurs en vogue du théâtre anglais, et a monstruosité raciste. écrit plusieurs pièces de théâtre, dont After the End, Love and Money, ADN, Girls & Boys. Ses pièces ont remporté plusieurs prix, et il est également co- auteur de la série Utopia. Montée pour la première fois en 2009, Orphelins entre en résonance avec le paysage socio-politique en de nombreux points qui restent toujours d’actualité : D’emblée Helen réagit avec ses tripes. montée du communautarisme, ressentiment Au nom des liens qui l’unissent à ce frère, de classe, assignation identitaire, déni, elle veut le protéger et ne pas ébruiter dépossession des classes moyennes… Le l’affaire. Ce sont eux les orphelins du titre, résultat n’a rien d’un essai pointu et tout d’un ils ont perdu leurs parents et restent soudés scénario de polar impeccablement ficelé. malgré des vies qui n’ont pas emprunté La pièce, un huis clos, est un thriller les mêmes chemins. Elle est installée, avec psychologique sur fond de racisme ordinaire. travail, mari, enfant. Il est instable, a un Dennis Kelly sans cesse tourne et retourne casier judiciaire. Danny incarne d’abord le jugement porté sur la situation et les l’homme raisonnable, il veut secourir le personnages, tantôt victimes ou bourreaux, blessé, prévenir la police. compréhensifs ou complices. Dennis Kelly pose avec acuité la question Orphelins flirte avec le fait divers, démarre de la force des liens familiaux : peuvent- comme une comédie féroce dont les Anglais ils primer sur la responsabilité civique ? ont le secret, pour nous jeter peu à peu dans Helen doit-elle protéger son frère sans la tragédie. discernement ? Les valeurs qui structurent Helen, qui attend son second enfant, la conscience peuvent-elle résister à cette passe une soirée en tête-à-tête avec confrontation au réel ? Comment le sens Danny, son mari. Liam, le frère d’Helen, fait moral se débrouille-t-il entre la logique irruption couvert de sang et d’emblée ses filiale, les affects et les règles de la société ? explications sont confuses. Il aurait aidé un Loin d’assener une leçon, l’auteur anglais 3
glisse ces questionnements fondamentaux Orphelins ne propose pas de réponse toute dans le crépitement des répliques, chauffé faite, mais offre une conclusion terrifiante à blanc par la tension de plus en plus forte. de solitude ; les choix idéologiques ont Ces interrogations intimes sont imbriquées creusé un précipice entre les êtres là où ils dans des préoccupations sociales. Les étaient censés les souder. personnages habitent une ville anglaise La question que pose Denis Kelly n’est où la classe moyenne a le sentiment pas « Notre peur des étrangers est-elle d’être déclassée, se sent menacée et où la fondée? », mais plutôt « Qu’est-ce que méfiance gangrène les relations. Danny notre crainte des étrangers dit de notre a été agressé récemment, il minimise ce identité ? ». C’est ce qui est mis en jeu ici, ce fait avant d’être emporté lui aussi dans la que la situation et son évolution révèlent spirale de la vengeance. d’une société. La question est de savoir jusqu’où Danny Il y a, fondamentalement, la différence de et Helen iront pour défendre Liam alors que castes entre Liam et Danny, avec Helen qui les actions de ce dernier semblent de moins a réussi à s’extirper de l’une pour entrer dans en moins accidentelles. l’autre. Cette tension traverse toute la pièce. 4
Peter Sloterdijk écrit : Car la structure de pièce puise « Les vainqueurs du capitalisme ne respirent brillamment dans les principes du scénario, pas l’air frais au sommet d’une colline qu’ils autre activité de Kelly. La construction ont consciencieusement escaladée, mais maintient la tension d’un bout à l’autre, existent plutôt à l’intérieur d’une maison les révélations tombent à point nommé, chaude exclusive qui puise en elle-même ce les informations distillées au fil du temps dont elle a besoin de l’extérieur. Cet espace trouvent leurs résolutions. Le terme de intérieur détermine tout. » thriller employé fréquemment au sujet de Ce sont des gens comme Liam et Helen, qui cette pièce n’est pas usurpé, le suspense est comprennent cette victoire des puissants, maintenu jusqu’à lachute finale. eux qui ont été victimes d’abandon familial et social et qui se sont miraculeusement retrouvés entre les murs et qui vont se battre pour leur droit à y rester. Ce sont les gens qui y sont nés comme Danny, qui ne comprennent pas la méchanceté de ces murs de verre, qui aiment à prétendre qu’ils peuvent les laisser s’effriter. L’écriture, haletante et réaliste de Kelly, est partie prenante de tout le dispositif, elle participe à rendre le récit captivant et oppressant. Balbutiements, bouillonnements de mots, d’idées, de sentiments, langue viscérale, échanges violents et secs comme des couteaux, phrases tronquées, syncopées, refoulées, jamais finies, par bugs permanents et mots contournés. Car, pour Dany, pour Helen et pour Liam, comment nommer les problèmes sans crainte d’amalgamer, de stigmatiser, d’être pris au mot ? L’intrigue semble tâtonner comme les personnages, alors que le spectateur est bel et bien entrainé dans un enchaînement précis de situations et de révélations. 5
Note d’intention & distribution Ce qui me touche toujours au théâtre, et qui est essentielle, et c’est pour moi la clé dans est particulièrement réussi dans Orphelins, la mise en scène telle que je veux l’aborder. c’est que le politique passe par l’intime. Il est essentiel pour moi que la pièce SOIT Il n’y a rien d’explicatif dans le texte, pas de l’ordre d’une expérience, d’une immersion de vérité assénée, pas de message moral, dont on ne sort pas indemne. Et on ne va on s’attache à chaque personnage, on pas en sortir indemne en étant révulsé par comprend le parcours de chacun… Rien n’est les personnages, mais bien en s’y étant donné, et la place est laissée au spectateur attaché, en ayant adhéré à leurs failles et de savoir en quoi la pièce résonne en lui. Et leurs dilemmes. c’est à lui de faire la part des choses entre ce qu’il comprend et ce qu’il tolère, finalement à l’instar de ce qui se passe dans la pièce, et particulièrement chez le personnage de Danny. Bien sûr, Liam se révèle peu à peu horrible, mais on a eu le temps d’avoir été touchés par sa fragilité (et c’est important qu’il soit attachant). Bien sûr, Helen semble forte et déterminée dans son acharnement à épargner son frère, mais sa logique devient peu à peu absurde et terrifiante (et c’est important que sa logique tienne la route). Et bien sûr, Danny, c’est un peu notre regard à nous, et notre perplexité -poussée à l’extrême- à devenir parfois complices de certaines situations. Quoi qu’il en soit, on En décrivant la pièce, j’ai pensé à Hannah s’est attaché à chacun, et le racisme dont Arendt, et à sa « banalité du mal », qui a traite la pièce passe par une progression parfois été mal comprise comme étant de sensations, par des choix qui n’en sont une excuse. Les mots qu’elle emploie pas vraiment. Le piège se referme sur eux. pour décrire l’interrogatoire de Eichmann C’est cette tension qui doit être vécue par résonnent étrangement avec les propos de le spectateur : entre la compréhension des Liam : « Plus on l’écoutait, plus on se rendait enjeux de chacun et notre positionnement à l’évidence que son incapacité à parler vis-à-vis de leurs actes. Sa mise en évidence était étroitement liée à son incapacité à 6
penser — à penser notamment du point de dans une discussion, comme j’essayais de vue de quelqu’un d’autre. Il était impossible modérer les propos d’une vieille cousine sur de communiquer avec lui, non parce qu’il les « Arabes » qui habitaient dans la région, mentait, mais parce qu’il s’entourait du elle s’est interrompue et m’a dit : « Ah, parce plus efficace des mécanismes de défense que toi tu n’es pas raciste? Ici, on l’est tous ». contre les mots et la présence des autres et, Le fait de mettre ainsi à plat une notion partant, contre la réalité en tant que telle. » aussi révulsante, et finalement l’extrême Orphelins est une pièce essentielle sur sincérité du propos, m’a poussé à répondre la question du racisme. Et je veux que la le plus honnêtement possible : « Non, je ne mise en scène renvoie chacun à soi-même, le suis pas, ou du moins j’essaie de ne pas encore une fois passer par l’intime pour se l’être ». relier au politique. Nous avons tous à voir Et c’est bien à cela que nous renvoie la avec la notion de racisme ordinaire, et le pièce, au travail que chacun a à faire face déni ne fait rien avancer. Intellectuellement, à ce qui représente pour lui l’Autre, l’altérité. bien sûr, l’idée du racisme est inacceptable. Mais concrètement est-ce si simple ? Mise en scène et chorégraphie Le racisme renvoie plus généralement au Philippe Saire rapport à la différence. L’autre, dans toute Interprétation sa diversité, nous place face à nos préjugés Valéria Bertolotto, Adrien Barazzone, qui, même s’ils ne s’avouent pas, façonnent Yann Philipona, un enfant notre perception du monde social à partir Dramaturgie du lieu et du contexte où l’on se trouve. La Carine Corajoud pièce renvoie plus généralement à ce qui pousse à un moment donné à commettre Lumière un acte de haine face à ce que représente Eric Soyer un individu qui nous apparaît comme une Scénographie menace et remet en cause notre monde ou Philippe Saire notre situation. Création sonore C’est une approche personnelle du racisme Jérémy Conne que je cherche, une perception sensible du spectateur qui doit lui faire se dire : « Et moi, Costumes qu’est-ce que j’aurais fait ? » Isa Boucharlat Ce qui me reste de famille est en Franche- Direction technique Comté, je les vois très rarement. Une fois, Vincent Scalbert 7
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Eléments dramaturgiques Huis clos perforé eux, il vient d’entrer. Il est couvert de sang sur L’expression de « huis clos » (« porte tout le devant. » Dès la première didascalie close ») est certainement une des meilleures se joue la mise en tension entre l’univers de que l’on puisse utiliser pour évoquer la la sœur et celui du frère qui porte sur lui la configuration d’Orphelins. La porte de folie du monde extérieur. Il y a eu agression la maison du couple formé par Helen et dans la rue d’un quartier perçu comme un Danny s’ouvre, en effet, en de très rares ghetto, Liam en porte les traces. Il aurait moments pendant la soirée que dure la aidé la victime, mais la vérité tranchante se révèle progressivement et Liam passe, au gré de confidences péniblement arrachées, de témoin altruiste à coupable acharné empli de soif de vengeance. Surgissement du refoulé Les faits divers, si couramment relatés dans nos journaux, répulsent et fascinent. Ils répulsent, car ils portent en eux une réalité dont on voudrait s’aveugler, ils fascinent car ils surgissent comme une rupture brutale dans l’écoulement ordinaire du quotidien. Ils sont un moment d’anormalité et agissent en cela comme des révélateurs sociologiques : pièce comme pour contenir reclus un non- ils questionnent, en effet, la norme et sa dit qui ne doit pas s’ébruiter. Pourtant, le transgression, permettant de prendre la monde extérieur existe bel et bien, il frappe mesure du licite et de l’illicite, et de l’ampleur même trop violemment à la porte et c’est de des déséquilibres d’une société. Ils font ainsi façon fracassante qu’il s’invite chez eux dès surgir le « monstre » menaçant l’ordre social l’ouverture de la pièce : le frère de Helen, et la peur ancestrale de l’inexpliqué, de la Liam, entre inopinément chez sa sœur avec folie, du non maîtrisable. un t-shirt maculé de sang et interrompt ce Dans Orphelins, le monstre c’est le racisme qui ressemblait à une soirée en amoureux : ordinaire, ou plutôt la vengeance d’un « L’appartement d’Helen et Danny. Un dîner jeune gars désaffilié qui s’en prend à ce qu’il aux chandelles, interrompu. Helen s’est perçoit comme une victime potentiellement habillée, Danny aussi. Liam se tient devant plus fragile que lui : l’étranger. S’en prendre 9
à son voisin plutôt qu’à ses bourreaux est soit il s’agit de le protéger et la famille certes plus commode et surtout la proie plus seconde de Helen est mise en danger. Helen palpable. Et quand le monstre se défoule, passera d’une position à l’autre ; si, durant il le fait avec toute la sauvagerie refoulée la quasi-entièreté de la pièce, elle continue d’une réalité qui masque ses démons. Helen de protéger son frère au détriment de son le dit à la fin de la pièce lorsqu’elle a compris mari, qui incarne le sens civique suggérant que son frère a commis l’impardonnable : d’aller à la police, lorsqu’elle comprend « Sors d’ici. Le monstre ? c’est toi le monstre. » l’ignominie commise (le crime raciste), elle Elle rejette le « monstre » dans la rue, hors prend parti pour son propre chemin et de chez elle et cherche à maintenir intact le rejette ce qui apparaît alors comme son bout de famille qu’elle tente de créer. démon personnel – son passé, son héritage, L’acte violent du jeune, sa violence incarné par son frère. Entre-temps, le gratuite, est donc le noyau de la construction mal est fait : elle a rendu complice son dramaturgique de la pièce : c’est le non-dit, mari. Comme dans une tragédie grecque, ou ce qui n’arrive pas à se dire, et qui diffuse le aucune échappatoire ne semble possible, reste des dialogues pour avancer de manière et notamment pour Liam, rejeté désormais cyclique vers l’aveu. C’est en fait un noyau de sa seule famille (il rend symboliquement incandescent irradiant son entourage de sa les clefs de la maison). Helen est en quelque violence avec des incidences sur la relation sorte la protagoniste de cette pièce qui nous entre Helen et Danny, de même que dans met face à notre propre perception, entre l’individualité de ces deux personnages. individualité ou collectivité, révolte morale Liam en a conscience, disant à sa sœur : ou compréhension d’un individu portant les « Je suis du poison ; je suis en train de vous stigmates d’une existence dont personne détruire toi et Danny ? » n’a réellement pris soin. Et comme dans toute bonne pièce tragique, Dilemme tragique aucune réponse définitive n’est donnée, Pourquoi ? Parce que Helen est tiraillée nous laissant face à nos interrogations et entre son frère et son mari ; entre son à la nécessité de nous positionner – face enfance et sa vie d’adulte, son drame à notre incompréhension aussi : Comment familial (leur vie d’orphelins) et son désir de est-ce possible ? Quelle déflagration de construction de son propre monde. La pièce, haine explique l’intensité de cette violence ? profondément tragique, fonctionne sur ce Comment concevoir l’inconcevable ? double bind : soit il s’agit de dénoncer Liam et la famille première de Helen est explosée ; Carine Corajoud, dramaturge 10
Traitement Denis Kelly fait partie de ces auteurs de importance à la partition rythmique, théâtre qui flirtent avec le cinéma. L’écriture la musicalité de la pièce : rythmes des est très concrète, il y a une affirmation et dialogues, des actions, des scènes, et une volonté de la narration et du drame. La grande vigilance au rythme global. Cette construction ciselée capte l’attention d’un attention sera ici au service d’une pièce bout à l’autre, tel un thriller. Cette écriture et dont la tension narrative est irréprochable. la grande clarté de la structure d’Orphelins Je ressens aussi le besoin de sortir par me permet ce traitement particulier que moment la pièce, de son réalisme cru et j’apporte aux mises en scène : une implication de sa noirceur ; qu’il y ait des contrepoints, physique importante des comédiens. aussi pour en renforcer le drame. Le système Quand on lit pour la première fois de mise en scène, que je développe plus Orphelins, on est surtout frappé par les loin, introduit déjà un décalage grâce au parcours intérieurs des personnages, par les mouvement, qui permet de glisser parfois paysages tourmentés qu’ils traversent, les dans l’absurde. Il m’importe de même de bourrasques, les abysses qu’ils découvrent, saisir toute occasion de légèreté et d’humour les tempêtes qu’ils affrontent. Je veux dans l’interprétation du texte — et c’est faire émerger cela dans les personnages induit dans la forme de l’écriture, dans ces — donner à voir, donner à vivre. Je veux mots qui s’avortent et s’entrechoquent. que les acteurs, et le public par effet De même, une attention particulière miroir, investissent la pièce physiquement. sera portée aux environnements visuels et Derrière tous les discours et les sonore. Un traitement particulier du son va circonstances, dévoiler les enjeux vitaux, être envisagé. Sonorisation des comédiens, intimes, des corps mis en mouvement mais également ambiances sonores et et parfois emportés par lui. Des corps musiques vont venir ponctuer le spectacle ; bousculés, fragilisés, qui s’étreignent, lui donner aussi des respirations. s’empoignent, aussi avec le texte. Puis que Je pourrais dire que la trame d’Orphelins le silence des corps laisse place aux mots. est d’une « complexité limpide ». La mise Cela passe par la construction d’une en scène doit rendre compte de toutes les partition physique qui se tisse avec celle ambiguïtés existantes et de la porosité de leurs du texte, pour en révéler les enjeux ou pour frontières : entre le vrai et le faux, la mesure les décaler, mais toujours pour servir les et la démesure, la violence et l’attachement. parcours des personnages. Donner à voir et ressentir toutes ces strates et Certainement parce que je suis jongler entre la variété des styles : fait divers, chorégraphe, j’accorde une grande polar, absurde, tragédie. 11
Processus de création & méthode de travail Dans ce système de travail que j’ai mis du temps. C’est pourquoi la durée des au point à La Manufacture — Haute École répétitions s’apparente davantage à celle des Arts de la Scène de Lausanne (Bachelor des créations de danse qu’aux durées Théâtre), le texte est préalablement abordé usuelles du théâtre. Ici, presque trois physiquement. Il s’agit de travailler tout ce mois, qui vont s’échelonner entre avril et qui, dans ce qu’exprime le texte tout autant septembre 2021. que dans ce qu’il omet, est susceptible de générer du mouvement. Il y a ensuite une phase où, hors texte, nous élaborons des partitions physiques avec les comédiens, qu’ils vont s’approprier. La gestuelle est à la fois très concrète (forte d’intentions et de sensations) et non naturaliste, non quotidienne. Dans l’étape suivante, cette partition chorégraphique est étroitement tissée étroitement avec l’autre partition que constitue le texte. Il importe alors de garder et de doser les incongruités et les décalages, qui font la force du procédé et lui donnent une forme spécifique. Ce procédé génère des situations étonnantes : elles ont à voir avec ce qui est dit, mais ne sont pas littérales et ouvrent un champ immense d’imaginaire, pour les comédiens et le public. Au final, c’est un terrain de jeu magnifique pour les comédiens pris dans l’action et dans le tissage des deux partitions. Les qualités d’interprétation et de jeu atteintes sont étonnantes, comme libérées du souci d’une approche trop psychologique des rôles. Ce processus, et spécialement la phase d’écriture du mouvement, nécessite 12
Visuel Orphelins se passe dans un lieu unique, l’appartement de Helen et Danny. Une réflexion et des tests techniques vont être effectués sur la saison 20-21 pour cerner quelle doit être la scénographie. Je sais pour le moment que je veux éviter un décor d’intérieur réaliste, et garder seulement quelques éléments qui peuvent aussi être déplacés et reconfigurer de nouveaux espaces au fil de la pièce. Le choix n’est clairement pas de mettre l’accent sur une scénographie lourde, mais la priorité est de garder des moyens pour du temps de travail avec les comédiens. Les recherches qui vont être faites vont aussi puiser dans le champ des arts visuels, recherches qui vont de pair avec la série Dispositifs, que je continue à développer, à la frontière de la chorégraphie et des arts plastiques. A ce stade, ce sont les nombreuses allusions à l’enfance qui me parlent le plus, mais il y a là aussi des écueils à éviter. Je vais me charger de la conception de la scénographie, et travailler étroitement pour les lumières avec Eric Soyer, avec qui j’ai déjà collaboré à trois reprises. 13
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Biographies Il a notamment collaboré Jacob Berger, puis dans Le diverses compagnies avec Christian Geffroy Journal d’Anne Frank sous romandes, notamment Philippe Saire Schlittler, Natacha la direction de Geneviève Cie Nuna, Cie Bocca Della Chorégraphe & metteur en Koutchoumov, Mathieu Pasquier et Nicolas Rossier Luna, Cie Distillerie, Cie scène Bertholet, Katya et John au Théâtre des Osses et au L’Homme de Dos, Julie Figure majeure de la Berger, Denis Maillefer, Théâtre de Vidy-Lausanne. Annen, François Marin, scène suisse de danse Oscar Goméz Mata, le En 2019, il collabore Compagnie du Lion, contemporaine, il a créé Collectif Comédie Drôle, La avec Mohammad Al Attar Jonathan Capedevielle, une trentaine de spectacles Distillerie, Barbara Schlittler, et Omar Abusaada au Laeticia Dosh et Cie à ce jour, sans compter Anne Bisang, Zoé Reverdin, Festival Belluard Bollwerk Philippe Saire. les performances in situ, Stéphanie Blanchoud, et le International, puis avec Après une douzaine court-métrages et ateliers. collectif du Loup. Yves Senn au Théâtre du d’années à la RTS-Radio Ses intérêts, divers, portent Il a récemment mis en Jorat à Mézières. en tant que technicien vers les arts visuels, le scène Les Luttes intestines, réalisateur, il y fait encore théâtre, le cinéma. Ces présenté en Suisse romande Carine Corajoud des mandats externes en disciplines imprègnent ses et au Schauspielhaus de Dramaturge tant que preneur de son/ pièces chorégraphiques, Zürich, grâce à sa sélection Née en 1975, Carine technicien. des travaux souvent aux Rencontre du Théâtre Corajoud est diplômée de Il est également intenses, et à la réalisation Suisse 2018. l’école de théâtre Serge sonorisateur depuis plus ciselée. Ses diverses activité Au cinéma, il a joué pour Martin à Genève (1996) et de 15ans en tournée avec pédagogiques l’ont amené Valérie Donzelli, Lionel joue dans une quinzaine de diverses formations dont à développer un mode de Baier ou Claude Goretta. pièces. Elle obtient ensuite Chewy, Velma, Honey traitement qui tisse texte et une licence universitaire en For Petzi ou Larytta, ainsi mouvement dans des mises Valeria Bertolotto lettres, en 2004. Depuis, qu’en studio avec Bombers, en scènes qui s’éloignent Comédienne elle sera dramaturge de Larytta, Honey for Petzi, du strict cadre de la danse Comédienne formée au la Cie STT durant plus The Company of Men, pour s’appliquer au théâtre. Conservatoire de Lausanne de 10 ans. Elle met en Scarlett’s Fall, Velma, Vacarme, Étude sur la d’où elle est sortie diplômée scène, en mars 2010, Ma Bellwald, Chœur Auguste, Légèreté, Vie et Mœurs en 1998, Valeria mère Médée de Holger Rosqo. Il a également fait du Caméléon Nocturne, Bertolotto a joué Schober. Parallèlement à la régie son de spectacles La Haine de la Musique, notamment sous la ses activités théâtrales, elle de danse et de théâtre, Les Affluents, [ob]seen, les direction de Claude est titulaire d’une thèse notamment avec Velma, Cartographies, Black Out, Stratz, Andrea Novicov, en Histoire Culturelle à Cie Philippe Saire, Fabienne NEONS, ou Hocus Pocus Denis Maillefer, Marielle l’Université de Lausanne et Berger, Christian Garcia, comptent parmi les travaux Pinsard, Alexandre Doublet, enseigne le français. Snaut (Joël Maillard), Cie qui ont permis à la Cie Natacha Koutchoumov, Bocca Della Luna, Cie Philippe Saire d’acquérir Emilie Charriot et Oscar Eric Soyer Nuna. Jérémy Conne fait une notoriété bien au-delà Gomez Mata. Créateur lumière également du sound design des frontières helvétiques. En 2014, elle crée la Cie Scénographe et (Hors Cadre pour 3 vidéos Depuis sa fondation J14 avec la comédienne éclairagiste, Éric Soyer VR 360, 5 ans en studio en 1986, la compagnie Aline Papin, avec laquelle participe aux processus RTS pour les éléments a donné plus de 1400 elle co-crée, en 2016, au d’écriture scénique lors promotionnels des divers représentations dans plus terme d’une saison de de ses collaborations chaînes et manifestations de 200 villes à travers le recherche, la performance avec de multiples romandes, vidéos de 120’ monde. Autofèdre. créateurs, metteurs en et diverses commandes En 1995, Philippe Saire Depuis 2013, elle scène, chorégraphes d’habillages sonores inaugure son lieu de intervient régulièrement et compositeurs, parmi pour des sites internet et travail et de création, le comme pédagogue à la lesquels Théo Mercier, émissions radios). Théâtre Sévelin 36. Situé Manufacture (Haute Ecole Nacéra Belaza, Thierry à Lausanne, ce lieu est des Arts de la Scène) à Thieu Niang, Ondrej Isa Boucharlat entièrement consacré à la Lausanne. Adameck, Sulayman Al Costumière danse contemporaine. Il Bassam, Angelin Preljocaj, Après une formation contribue à la circulation Yann Philipona Maud Le Pladec, Philippe de costumière à Paris d’œuvres de dimension Comédien Saire, Sylvain Maurice, dans le cadre de diverses internationale, tout Après la classe Jeanne Added, Jean Paul productions, Isa Boucharlat en programmant des préprofessionnelle Gaultier, Zhao Miao, Phia s’installe à Genève en 1991 compagnies locales dont d’art dramatique du Ménard, Joss De Paw, où elle commence une il favorise l’émergence. Le Conservatoire de Fribourg Abderrahmane Sissako. collaboration avec Bernard Théâtre Sévelin 36 est le il intègre Les Teintureries En 1997, il entame une Meister au Théâtre du lauréat du « Prix spécial de - Ecole Supérieure de collaboration avec l’écrivain Grütli qui durera jusqu’en danse 2013 » de l’Office Théâtre de Lausanne. Il y et metteur en scène Joël 1998. Elle collabore fédéral de la culture. travaille notamment sous la Pommerat qui lui vaudra le régulièrement avec Denis direction de Philippe Sireuil, Prix Molière de la création Maillefer, Oskar Gomez Adrien Barazzone Gian Manuel Rau, Lukas visuelle en 2018 et pas Mata, Antoine Jaccoud, Comédien Hemleb, Gabriel Dufay ou moins de sept nominations. Muriel Imbach et Philippe Après des études de lettres Philippe Saire. Il joue en Saire. à l’Université de Genève, 2017 dans la mise en scène Jérémy Conne Adrien Barazzone se forme à de Cyrano de Bergerac de Créateur sonore La Manufacture, Lausanne. Jean Liermier au Théâtre Batteur dans diverses Il est comédien, metteur en de Carouge, spectacle formations rock scène et travaille au sein ensuite tourné en Suisse et lausannoises (Rosqo, Meril du collectif de direction du en France. Il joue en 2018 Wubslin,Sinaï Divers), il Théâtre du Loup. dans le film Dévoilées de crée les bandes sons pour 15
Liam (…) Et je te regarde, Danny, et je te regarde et j’aimerais, pas être comme toi, pas être toi, mais si, d’une certaine façon j’aimerais vraiment être toi, vraiment quelque part faire partie de toi, (…) Et je suis debout là, avec ton t-shirt ton putain de t-shirt sale que tu as ressorti du panier à linge pour me le passer et je me dis que c’est un honneur de le porter. C’est un honneur pour moi d’être là debout dans ta sueur séchée. Et je regarde quelqu’un comme toi et je ne peux pas m’empêcher de me dire que tu n’aurais jamais dû connaître ça, que ta belle ignorance devrait être préservée avant tout, que je devrais risquer ma vie pour te maintenir dans cet état, mais une partie de moi, Danny, et c’est le côté que je déteste, c’est le côté mauvais, le côté sale, cette part de moi que je voudrais m’enlever d’un coup de couteau, cette part de moi, et je ne dis pas que je l’aime, je la déteste, mais c’est celle qui pense qu’on devrait te faire tomber de ton putain de piédestal pour t’enfoncer le visage dans la boue pour que tu bouffes la même merde et la même pourriture que j’ai bouffée, que ça te rentre par la bouche et que ça te remonte par le nez et que tu t’étouffes dedans. Et je t’ai vu ce soir, Danny. Je t’ai vu… Direction administrative Christophe Drag christophe.drag@philippesaire.ch +41 79 511 82 17 Diffusion Olivier Talpaert & Romain Le Goff En Votre Compagnie +33 6 77 32 50 50 oliviertalpaert@envotrecompagnie.fr 16
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