Orphans (Orphelins) - de Dennis Kelly Création théâtrale automne 2021 Dossier préliminaire

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Orphans (Orphelins) - de Dennis Kelly Création théâtrale automne 2021 Dossier préliminaire
Orphans (Orphelins) — de Dennis Kelly
Création théâtrale automne 2021
Dossier préliminaire
                                  Coproduction — Arsenic - Lausanne & Comédie de Genève

   Danny C’est quelqu’un quand même. Là-bas dehors, c’est une personne.
    Helen C’est pas une personne que je connais.
   Danny Tu veux dire quoi, que je fasse rien? T’attends que je fasse quoi?
            Pause
    Helen Si ce gamin est innocent alors je suis vraiment désolée pour lui. Si ce
          n’est pas le cas, eh bien je ne le suis pas. Mais ne le connais pas.
   Danny Alors c’est à ça que ça se résume aujourd’hui le monde? Qui on
          connait et qui on ne connait pas?
    Helen Oui. Oui, c’est ça Danny. Aujourd’hui. Maintenant. Aujourd’hui c’est
          exactement à ça que se résume le monde. Qui on connaît et qui on
          ne connaît pas. Désolée.

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Orphans (Orphelins) - de Dennis Kelly Création théâtrale automne 2021 Dossier préliminaire
Mot d’introduction de Philippe Saire

        Angels in America était pour moi une première étape de ma pratique théâtrale et
les très bons échos rencontrés m’encouragent dans ce désir puissant de poursuivre, en
parallèle de ma pratique de chorégraphe, cette exploration d’une mise en scène abordée
par le corps.
        Pour rappel, cette approche physique des textes n’est pas une nouveauté
pour moi : c’est un système de travail que j’ai mis au point depuis plus de dix ans lors
d’ateliers à La Manufacture — Haute École des Arts de la Scène de Lausanne et aux
Teintureries. Partant de l’objectif pédagogique de relier davantage le corps au texte et
à l’interprétation, une forme assez personnelle de mise en scène a émergé et m’a donné
envie de la mettre en œuvre sur le plateau. La rencontre avec le magnifique texte de
Angels in America a donné le déclic nécessaire.
        J’ai la sensation que ces projets de spectacles liant le corps et le texte entrent dans
une logique de parcours. J’ai hésité il y a longtemps entre théâtre et danse, puis monté
des chorégraphies nourries de références littéraires ou théâtrales, enseigné le mouvement
à des comédiens… et là tout se rejoint et fait sens. Continuer ce travail de mise en scène
particulière tient aujourd’hui pour moi de l’évidence.
        J’ai, pour ce deuxième projet, cherché à nouveau une pièce qui à la fois faisait la
part belle aux acteurs, et dans laquelle je voyais la possibilité d’engager les corps.
        Je souhaitais me concentrer sur une pièce plus courte et avec une distribution plus
réduite. La volonté étant aussi ici d’approfondir le procédé avec moins de paramètres
qu’un spectacle long (dont le rythme général dicte énormément de contraintes). Il
importait, pour le système que je décris de manière plus détaillée dans le dossier, que
cette pièce contienne des enjeux très clairs entre les protagonistes. L’aspect mouvement
va donner en tous les cas une forme de décalage et il est essentiel, en contrepoint, que le
texte reste d’une relative limpidité d’écriture.
        J’avais travaillé lors d’un atelier sur des extraits d’Orphelins, de Denis Kelly, et la
pièce m’avait enthousiasmé. J’ai décidé de monter ce texte très impressionnant, tant sur
la forme — une écriture ciselée alliée à la dramaturgie d’un thriller — que sur le fonds. La
pièce parle du racisme ordinaire, au travers d’un fait divers vécu de l’intérieur par certains
de ses protagonistes, et rejoint ma conviction profonde qu’au théâtre, c’est par l’intime
qu’on peut toucher le politique. Le texte de Denis Kelly en est la brillante démonstration.

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La pièce

  Dennis Kelly est un acteur, scénariste               jeune étranger blessé sur le trottoir. Petit
et dramaturge britannique. Il est un des               à petit, les faits apparaissent dans leur
auteurs en vogue du théâtre anglais, et a              monstruosité raciste.
écrit plusieurs pièces de théâtre,
dont After the End, Love and
Money, ADN, Girls & Boys. Ses
pièces ont remporté plusieurs
prix, et il est également co-
auteur de la série Utopia.
  Montée pour la première fois
en 2009, Orphelins entre en
résonance avec le paysage
socio-politique en de nombreux
points qui restent toujours d’actualité :                 D’emblée Helen réagit avec ses tripes.
montée du communautarisme, ressentiment                Au nom des liens qui l’unissent à ce frère,
de classe, assignation identitaire, déni,              elle veut le protéger et ne pas ébruiter
dépossession des classes moyennes… Le                  l’affaire. Ce sont eux les orphelins du titre,
résultat n’a rien d’un essai pointu et tout d’un       ils ont perdu leurs parents et restent soudés
scénario de polar impeccablement ficelé.               malgré des vies qui n’ont pas emprunté
  La pièce, un huis clos, est un thriller              les mêmes chemins. Elle est installée, avec
psychologique sur fond de racisme ordinaire.           travail, mari, enfant. Il est instable, a un
Dennis Kelly sans cesse tourne et retourne             casier judiciaire. Danny incarne d’abord
le jugement porté sur la situation et les              l’homme raisonnable, il veut secourir le
personnages, tantôt victimes ou bourreaux,             blessé, prévenir la police.
compréhensifs ou complices.                               Dennis Kelly pose avec acuité la question
  Orphelins flirte avec le fait divers, démarre        de la force des liens familiaux : peuvent-
comme une comédie féroce dont les Anglais              ils primer sur la responsabilité civique ?
ont le secret, pour nous jeter peu à peu dans          Helen doit-elle protéger son frère sans
la tragédie.                                           discernement ? Les valeurs qui structurent
  Helen, qui attend son second enfant,                 la conscience peuvent-elle résister à cette
passe une soirée en tête-à-tête avec                   confrontation au réel ? Comment le sens
Danny, son mari. Liam, le frère d’Helen, fait          moral se débrouille-t-il entre la logique
irruption couvert de sang et d’emblée ses              filiale, les affects et les règles de la société ?
explications sont confuses. Il aurait aidé un          Loin d’assener une leçon, l’auteur anglais

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glisse ces questionnements fondamentaux               Orphelins ne propose pas de réponse toute
dans le crépitement des répliques, chauffé          faite, mais offre une conclusion terrifiante
à blanc par la tension de plus en plus forte.       de solitude ; les choix idéologiques ont
  Ces interrogations intimes sont imbriquées        creusé un précipice entre les êtres là où ils
dans des préoccupations sociales. Les               étaient censés les souder.
personnages habitent une ville anglaise               La question que pose Denis Kelly n’est
où la classe moyenne a le sentiment                 pas « Notre peur des étrangers est-elle
d’être déclassée, se sent menacée et où la          fondée? », mais plutôt « Qu’est-ce que
méfiance gangrène les relations. Danny              notre crainte des étrangers dit de notre
a été agressé récemment, il minimise ce             identité ? ». C’est ce qui est mis en jeu ici, ce
fait avant d’être emporté lui aussi dans la         que la situation et son évolution révèlent
spirale de la vengeance.                            d’une société.
  La question est de savoir jusqu’où Danny            Il y a, fondamentalement, la différence de
et Helen iront pour défendre Liam alors que         castes entre Liam et Danny, avec Helen qui
les actions de ce dernier semblent de moins         a réussi à s’extirper de l’une pour entrer dans
en moins accidentelles.                             l’autre. Cette tension traverse toute la pièce.

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Peter Sloterdijk écrit :                               Car la structure de pièce puise
  « Les vainqueurs du capitalisme ne respirent       brillamment dans les principes du scénario,
pas l’air frais au sommet d’une colline qu’ils       autre activité de Kelly. La construction
ont consciencieusement escaladée, mais               maintient la tension d’un bout à l’autre,
existent plutôt à l’intérieur d’une maison           les révélations tombent à point nommé,
chaude exclusive qui puise en elle-même ce           les informations distillées au fil du temps
dont elle a besoin de l’extérieur. Cet espace        trouvent leurs résolutions. Le terme de
intérieur détermine tout. »                          thriller employé fréquemment au sujet de
  Ce sont des gens comme Liam et Helen, qui          cette pièce n’est pas usurpé, le suspense est
comprennent cette victoire des puissants,            maintenu jusqu’à lachute finale.
eux qui ont été victimes d’abandon familial
et social et qui se sont miraculeusement
retrouvés entre les murs et qui vont se
battre pour leur droit à y rester. Ce sont les
gens qui y sont nés comme Danny, qui ne
comprennent pas la méchanceté de ces
murs de verre, qui aiment à prétendre qu’ils
peuvent les laisser s’effriter.
  L’écriture, haletante et réaliste de Kelly,
est partie prenante de tout le dispositif,
elle participe à rendre le récit captivant et
oppressant. Balbutiements, bouillonnements
de mots, d’idées, de sentiments, langue
viscérale, échanges violents et secs comme
des couteaux, phrases tronquées, syncopées,
refoulées, jamais finies, par bugs permanents
et mots contournés. Car, pour Dany, pour
Helen et pour Liam, comment nommer les
problèmes sans crainte d’amalgamer, de
stigmatiser, d’être pris au mot ?
  L’intrigue semble tâtonner comme les
personnages, alors que le spectateur est
bel et bien entrainé dans un enchaînement
précis de situations et de révélations.

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Note d’intention & distribution

   Ce qui me touche toujours au théâtre, et qui        est essentielle, et c’est pour moi la clé dans
est particulièrement réussi dans Orphelins,            la mise en scène telle que je veux l’aborder.
c’est que le politique passe par l’intime.               Il est essentiel pour moi que la pièce SOIT
Il n’y a rien d’explicatif dans le texte, pas          de l’ordre d’une expérience, d’une immersion
de vérité assénée, pas de message moral,               dont on ne sort pas indemne. Et on ne va
on s’attache à chaque personnage, on                   pas en sortir indemne en étant révulsé par
comprend le parcours de chacun… Rien n’est             les personnages, mais bien en s’y étant
donné, et la place est laissée au spectateur           attaché, en ayant adhéré à leurs failles et
de savoir en quoi la pièce résonne en lui. Et          leurs dilemmes.
c’est à lui de faire la part des choses entre ce
qu’il comprend et ce qu’il tolère, finalement
à l’instar de ce qui se passe dans la pièce,
et particulièrement chez le personnage de
Danny.
   Bien sûr, Liam se révèle peu à peu horrible,
mais on a eu le temps d’avoir été touchés
par sa fragilité (et c’est important qu’il soit
attachant). Bien sûr, Helen semble forte
et déterminée dans son acharnement à
épargner son frère, mais sa logique devient
peu à peu absurde et terrifiante (et c’est
important que sa logique tienne la route).
Et bien sûr, Danny, c’est un peu notre regard
à nous, et notre perplexité -poussée à
l’extrême- à devenir parfois complices de
certaines situations. Quoi qu’il en soit, on             En décrivant la pièce, j’ai pensé à Hannah
s’est attaché à chacun, et le racisme dont             Arendt, et à sa « banalité du mal », qui a
traite la pièce passe par une progression              parfois été mal comprise comme étant
de sensations, par des choix qui n’en sont             une excuse. Les mots qu’elle emploie
pas vraiment. Le piège se referme sur eux.             pour décrire l’interrogatoire de Eichmann
C’est cette tension qui doit être vécue par            résonnent étrangement avec les propos de
le spectateur : entre la compréhension des             Liam : « Plus on l’écoutait, plus on se rendait
enjeux de chacun et notre positionnement               à l’évidence que son incapacité à parler
vis-à-vis de leurs actes. Sa mise en évidence          était étroitement liée à son incapacité à

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penser — à penser notamment du point de                 dans une discussion, comme j’essayais de
vue de quelqu’un d’autre. Il était impossible           modérer les propos d’une vieille cousine sur
de communiquer avec lui, non parce qu’il                les « Arabes » qui habitaient dans la région,
mentait, mais parce qu’il s’entourait du                elle s’est interrompue et m’a dit : « Ah, parce
plus efficace des mécanismes de défense                 que toi tu n’es pas raciste? Ici, on l’est tous ».
contre les mots et la présence des autres et,           Le fait de mettre ainsi à plat une notion
partant, contre la réalité en tant que telle. »         aussi révulsante, et finalement l’extrême
  Orphelins est une pièce essentielle sur               sincérité du propos, m’a poussé à répondre
la question du racisme. Et je veux que la               le plus honnêtement possible : « Non, je ne
mise en scène renvoie chacun à soi-même,                le suis pas, ou du moins j’essaie de ne pas
encore une fois passer par l’intime pour se             l’être ».
relier au politique. Nous avons tous à voir                Et c’est bien à cela que nous renvoie la
avec la notion de racisme ordinaire, et le              pièce, au travail que chacun a à faire face
déni ne fait rien avancer. Intellectuellement,          à ce qui représente pour lui l’Autre, l’altérité.
bien sûr, l’idée du racisme est inacceptable.
Mais concrètement est-ce si simple ?                                  Mise en scène et chorégraphie
  Le racisme renvoie plus généralement au                                              Philippe Saire
rapport à la différence. L’autre, dans toute                                          Interprétation
sa diversité, nous place face à nos préjugés                   Valéria Bertolotto, Adrien Barazzone,
qui, même s’ils ne s’avouent pas, façonnent                               Yann Philipona, un enfant
notre perception du monde social à partir
                                                                                        Dramaturgie
du lieu et du contexte où l’on se trouve. La
                                                                                      Carine Corajoud
pièce renvoie plus généralement à ce qui
pousse à un moment donné à commettre                                                           Lumière
un acte de haine face à ce que représente                                                     Eric Soyer
un individu qui nous apparaît comme une                                                  Scénographie
menace et remet en cause notre monde ou                                                  Philippe Saire
notre situation.
                                                                                       Création sonore
  C’est une approche personnelle du racisme
                                                                                         Jérémy Conne
que je cherche, une perception sensible du
spectateur qui doit lui faire se dire : « Et moi,                                             Costumes
qu’est-ce que j’aurais fait ? »                                                          Isa Boucharlat
  Ce qui me reste de famille est en Franche-                                      Direction technique
Comté, je les vois très rarement. Une fois,                                           Vincent Scalbert

                                                    7
Banque d’images (1)

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Eléments dramaturgiques

Huis clos perforé                                   eux, il vient d’entrer. Il est couvert de sang sur
  L’expression de « huis clos » (« porte            tout le devant. » Dès la première didascalie
close ») est certainement une des meilleures        se joue la mise en tension entre l’univers de
que l’on puisse utiliser pour évoquer la            la sœur et celui du frère qui porte sur lui la
configuration d’Orphelins. La porte de              folie du monde extérieur. Il y a eu agression
la maison du couple formé par Helen et              dans la rue d’un quartier perçu comme un
Danny s’ouvre, en effet, en de très rares           ghetto, Liam en porte les traces. Il aurait
moments pendant la soirée que dure la               aidé la victime, mais la vérité tranchante se
                                                    révèle progressivement et Liam passe, au
                                                    gré de confidences péniblement arrachées,
                                                    de témoin altruiste à coupable acharné
                                                    empli de soif de vengeance.

                                                    Surgissement du refoulé
                                                       Les faits divers, si couramment relatés
                                                    dans nos journaux, répulsent et fascinent. Ils
                                                    répulsent, car ils portent en eux une réalité
                                                    dont on voudrait s’aveugler, ils fascinent car
                                                    ils surgissent comme une rupture brutale
                                                    dans l’écoulement ordinaire du quotidien. Ils
                                                    sont un moment d’anormalité et agissent en
                                                    cela comme des révélateurs sociologiques :
pièce comme pour contenir reclus un non-            ils questionnent, en effet, la norme et sa
dit qui ne doit pas s’ébruiter. Pourtant, le        transgression, permettant de prendre la
monde extérieur existe bel et bien, il frappe       mesure du licite et de l’illicite, et de l’ampleur
même trop violemment à la porte et c’est de         des déséquilibres d’une société. Ils font ainsi
façon fracassante qu’il s’invite chez eux dès       surgir le « monstre » menaçant l’ordre social
l’ouverture de la pièce : le frère de Helen,        et la peur ancestrale de l’inexpliqué, de la
Liam, entre inopinément chez sa sœur avec           folie, du non maîtrisable.
un t-shirt maculé de sang et interrompt ce             Dans Orphelins, le monstre c’est le racisme
qui ressemblait à une soirée en amoureux :          ordinaire, ou plutôt la vengeance d’un
« L’appartement d’Helen et Danny. Un dîner          jeune gars désaffilié qui s’en prend à ce qu’il
aux chandelles, interrompu. Helen s’est             perçoit comme une victime potentiellement
habillée, Danny aussi. Liam se tient devant         plus fragile que lui : l’étranger. S’en prendre

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à son voisin plutôt qu’à ses bourreaux est      soit il s’agit de le protéger et la famille
certes plus commode et surtout la proie plus    seconde de Helen est mise en danger. Helen
palpable. Et quand le monstre se défoule,       passera d’une position à l’autre ; si, durant
il le fait avec toute la sauvagerie refoulée    la quasi-entièreté de la pièce, elle continue
d’une réalité qui masque ses démons. Helen      de protéger son frère au détriment de son
le dit à la fin de la pièce lorsqu’elle a compris
                                                mari, qui incarne le sens civique suggérant
que son frère a commis l’impardonnable :        d’aller à la police, lorsqu’elle comprend
« Sors d’ici. Le monstre ? c’est toi le monstre. »
                                                l’ignominie commise (le crime raciste), elle
Elle rejette le « monstre » dans la rue, hors   prend parti pour son propre chemin et
de chez elle et cherche à maintenir intact le   rejette ce qui apparaît alors comme son
bout de famille qu’elle tente de créer.         démon personnel – son passé, son héritage,
   L’acte violent du jeune, sa violence         incarné par son frère. Entre-temps, le
gratuite, est donc le noyau de la construction  mal est fait : elle a rendu complice son
dramaturgique de la pièce : c’est le non-dit,   mari. Comme dans une tragédie grecque,
ou ce qui n’arrive pas à se dire, et qui diffuse le
                                                aucune échappatoire ne semble possible,
reste des dialogues pour avancer de manière     et notamment pour Liam, rejeté désormais
cyclique vers l’aveu. C’est en fait un noyau    de sa seule famille (il rend symboliquement
incandescent irradiant son entourage de sa      les clefs de la maison). Helen est en quelque
violence avec des incidences sur la relation    sorte la protagoniste de cette pièce qui nous
entre Helen et Danny, de même que dans          met face à notre propre perception, entre
l’individualité de ces deux personnages.        individualité ou collectivité, révolte morale
Liam en a conscience, disant à sa sœur :        ou compréhension d’un individu portant les
« Je suis du poison ; je suis en train de vous  stigmates d’une existence dont personne
détruire toi et Danny ? »                       n’a réellement pris soin.
                                                   Et comme dans toute bonne pièce tragique,
Dilemme tragique                                aucune réponse définitive n’est donnée,
  Pourquoi ? Parce que Helen est tiraillée nous laissant face à nos interrogations et
entre son frère et son mari ; entre son à la nécessité de nous positionner – face
enfance et sa vie d’adulte, son drame à notre incompréhension aussi : Comment
familial (leur vie d’orphelins) et son désir de est-ce possible ? Quelle déflagration de
construction de son propre monde. La pièce, haine explique l’intensité de cette violence ?
profondément tragique, fonctionne sur ce Comment concevoir l’inconcevable ?
double bind : soit il s’agit de dénoncer Liam
et la famille première de Helen est explosée ;                  Carine Corajoud, dramaturge

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Traitement

  Denis Kelly fait partie de ces auteurs de          importance à la partition rythmique,
théâtre qui flirtent avec le cinéma. L’écriture      la musicalité de la pièce : rythmes des
est très concrète, il y a une affirmation et         dialogues, des actions, des scènes, et
une volonté de la narration et du drame. La          grande vigilance au rythme global. Cette
construction ciselée capte l’attention d’un          attention sera ici au service d’une pièce
bout à l’autre, tel un thriller. Cette écriture et   dont la tension narrative est irréprochable.
la grande clarté de la structure d’Orphelins           Je ressens aussi le besoin de sortir par
me permet ce traitement particulier que              moment la pièce, de son réalisme cru et
j’apporte aux mises en scène : une implication       de sa noirceur ; qu’il y ait des contrepoints,
physique importante des comédiens.                   aussi pour en renforcer le drame. Le système
  Quand on lit pour la première fois                 de mise en scène, que je développe plus
Orphelins, on est surtout frappé par les             loin, introduit déjà un décalage grâce au
parcours intérieurs des personnages, par les         mouvement, qui permet de glisser parfois
paysages tourmentés qu’ils traversent, les           dans l’absurde. Il m’importe de même de
bourrasques, les abysses qu’ils découvrent,          saisir toute occasion de légèreté et d’humour
les tempêtes qu’ils affrontent. Je veux              dans l’interprétation du texte — et c’est
faire émerger cela dans les personnages              induit dans la forme de l’écriture, dans ces
— donner à voir, donner à vivre. Je veux             mots qui s’avortent et s’entrechoquent.
que les acteurs, et le public par effet                De même, une attention particulière
miroir, investissent la pièce physiquement.          sera portée aux environnements visuels et
Derrière tous les discours et les                    sonore. Un traitement particulier du son va
circonstances, dévoiler les enjeux vitaux,           être envisagé. Sonorisation des comédiens,
intimes, des corps mis en mouvement                  mais également ambiances sonores et
et parfois emportés par lui. Des corps               musiques vont venir ponctuer le spectacle ;
bousculés, fragilisés, qui s’étreignent,             lui donner aussi des respirations.
s’empoignent, aussi avec le texte. Puis que            Je pourrais dire que la trame d’Orphelins
le silence des corps laisse place aux mots.          est d’une « complexité limpide ». La mise
  Cela passe par la construction d’une               en scène doit rendre compte de toutes les
partition physique qui se tisse avec celle           ambiguïtés existantes et de la porosité de leurs
du texte, pour en révéler les enjeux ou pour         frontières : entre le vrai et le faux, la mesure
les décaler, mais toujours pour servir les           et la démesure, la violence et l’attachement.
parcours des personnages.                            Donner à voir et ressentir toutes ces strates et
  Certainement parce que je suis                     jongler entre la variété des styles : fait divers,
chorégraphe, j’accorde une grande                    polar, absurde, tragédie.

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Processus de création & méthode de travail

  Dans ce système de travail que j’ai mis        du temps. C’est pourquoi la durée des
au point à La Manufacture — Haute École          répétitions s’apparente davantage à celle
des Arts de la Scène de Lausanne (Bachelor       des créations de danse qu’aux durées
Théâtre), le texte est préalablement abordé      usuelles du théâtre. Ici, presque trois
physiquement. Il s’agit de travailler tout ce    mois, qui vont s’échelonner entre avril et
qui, dans ce qu’exprime le texte tout autant     septembre 2021.
que dans ce qu’il omet, est susceptible de
générer du mouvement.
  Il y a ensuite une phase où, hors texte,
nous élaborons des partitions physiques
avec les comédiens, qu’ils vont s’approprier.
La gestuelle est à la fois très concrète
(forte d’intentions et de sensations) et non
naturaliste, non quotidienne.
  Dans l’étape suivante, cette partition
chorégraphique est étroitement tissée
étroitement avec l’autre partition que
constitue le texte. Il importe alors de garder
et de doser les incongruités et les décalages,
qui font la force du procédé et lui donnent
une forme spécifique.
  Ce procédé génère des situations
étonnantes : elles ont à voir avec ce qui est
dit, mais ne sont pas littérales et ouvrent
un champ immense d’imaginaire, pour les
comédiens et le public.
  Au final, c’est un terrain de jeu magnifique
pour les comédiens pris dans l’action et dans
le tissage des deux partitions. Les qualités
d’interprétation et de jeu atteintes sont
étonnantes, comme libérées du souci d’une
approche trop psychologique des rôles.
  Ce processus, et spécialement la phase
d’écriture du mouvement, nécessite

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Visuel

  Orphelins se passe dans un lieu unique,
l’appartement de Helen et Danny. Une
réflexion et des tests techniques vont être
effectués sur la saison 20-21 pour cerner
quelle doit être la scénographie.
  Je sais pour le moment que je veux éviter
un décor d’intérieur réaliste, et garder
seulement quelques éléments qui peuvent
aussi être déplacés et reconfigurer de
nouveaux espaces au fil de la pièce.
  Le choix n’est clairement pas de mettre
l’accent sur une scénographie lourde, mais
la priorité est de garder des moyens pour du
temps de travail avec les comédiens.
  Les recherches qui vont être faites vont
aussi puiser dans le champ des arts visuels,
recherches qui vont de pair avec la série
Dispositifs, que je continue à développer, à
la frontière de la chorégraphie et des arts
plastiques.
  A ce stade, ce sont les nombreuses allusions
à l’enfance qui me parlent le plus, mais il y a
là aussi des écueils à éviter.
  Je vais me charger de la conception de la
scénographie, et travailler étroitement pour
les lumières avec Eric Soyer, avec qui j’ai
déjà collaboré à trois reprises.

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Banque d’images (2)

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Biographies                        Il a notamment collaboré              Jacob Berger, puis dans Le       diverses compagnies
                                 avec Christian Geffroy                  Journal d’Anne Frank sous        romandes, notamment
Philippe Saire                   Schlittler, Natacha                     la direction de Geneviève        Cie Nuna, Cie Bocca Della
Chorégraphe & metteur en         Koutchoumov, Mathieu                    Pasquier et Nicolas Rossier      Luna, Cie Distillerie, Cie
scène                            Bertholet, Katya et John                au Théâtre des Osses et au       L’Homme de Dos, Julie
   Figure majeure de la          Berger, Denis Maillefer,                Théâtre de Vidy-Lausanne.        Annen, François Marin,
scène suisse de danse            Oscar Goméz Mata, le                      En 2019, il collabore          Compagnie du Lion,
contemporaine, il a créé         Collectif Comédie Drôle, La             avec Mohammad Al Attar           Jonathan Capedevielle,
une trentaine de spectacles      Distillerie, Barbara Schlittler,        et Omar Abusaada au              Laeticia Dosh et Cie
à ce jour, sans compter          Anne Bisang, Zoé Reverdin,              Festival Belluard Bollwerk       Philippe Saire.
les performances in situ,        Stéphanie Blanchoud, et le              International, puis avec           Après une douzaine
court-métrages et ateliers.      collectif du Loup.                      Yves Senn au Théâtre du          d’années à la RTS-Radio
Ses intérêts, divers, portent      Il a récemment mis en                 Jorat à Mézières.                en tant que technicien
vers les arts visuels, le        scène Les Luttes intestines,                                             réalisateur, il y fait encore
théâtre, le cinéma. Ces          présenté en Suisse romande              Carine Corajoud                  des mandats externes en
disciplines imprègnent ses       et au Schauspielhaus de                 Dramaturge                       tant que preneur de son/
pièces chorégraphiques,          Zürich, grâce à sa sélection              Née en 1975, Carine            technicien.
des travaux souvent              aux Rencontre du Théâtre                Corajoud est diplômée de           Il est également
intenses, et à la réalisation    Suisse 2018.                            l’école de théâtre Serge         sonorisateur depuis plus
ciselée. Ses diverses activité     Au cinéma, il a joué pour             Martin à Genève (1996) et        de 15ans en tournée avec
pédagogiques l’ont amené         Valérie Donzelli, Lionel                joue dans une quinzaine de       diverses formations dont
à développer un mode de          Baier ou Claude Goretta.                pièces. Elle obtient ensuite     Chewy, Velma, Honey
traitement qui tisse texte et                                            une licence universitaire en     For Petzi ou Larytta, ainsi
mouvement dans des mises         Valeria Bertolotto                      lettres, en 2004. Depuis,        qu’en studio avec Bombers,
en scènes qui s’éloignent        Comédienne                              elle sera dramaturge de          Larytta, Honey for Petzi,
du strict cadre de la danse        Comédienne formée au                  la Cie STT durant plus           The Company of Men,
pour s’appliquer au théâtre.     Conservatoire de Lausanne               de 10 ans. Elle met en           Scarlett’s Fall, Velma,
   Vacarme, Étude sur la         d’où elle est sortie diplômée           scène, en mars 2010, Ma          Bellwald, Chœur Auguste,
Légèreté, Vie et Mœurs           en 1998, Valeria                        mère Médée de Holger             Rosqo. Il a également fait
du Caméléon Nocturne,              Bertolotto a joué                     Schober. Parallèlement à         la régie son de spectacles
La Haine de la Musique,          notamment sous la                       ses activités théâtrales, elle   de danse et de théâtre,
Les Affluents, [ob]seen, les     direction de Claude                     est titulaire d’une thèse        notamment avec Velma,
Cartographies, Black Out,        Stratz, Andrea Novicov,                 en Histoire Culturelle à         Cie Philippe Saire, Fabienne
NEONS, ou Hocus Pocus            Denis Maillefer, Marielle               l’Université de Lausanne et      Berger, Christian Garcia,
comptent parmi les travaux       Pinsard, Alexandre Doublet,             enseigne le français.            Snaut (Joël Maillard), Cie
qui ont permis à la Cie          Natacha Koutchoumov,                                                     Bocca Della Luna, Cie
Philippe Saire d’acquérir        Emilie Charriot et Oscar                Eric Soyer                       Nuna. Jérémy Conne fait
une notoriété bien au-delà       Gomez Mata.                             Créateur lumière                 également du sound design
des frontières helvétiques.        En 2014, elle crée la Cie               Scénographe et                 (Hors Cadre pour 3 vidéos
Depuis sa fondation              J14 avec la comédienne                  éclairagiste, Éric Soyer         VR 360, 5 ans en studio
en 1986, la compagnie            Aline Papin, avec laquelle              participe aux processus          RTS pour les éléments
a donné plus de 1400             elle co-crée, en 2016, au               d’écriture scénique lors         promotionnels des divers
représentations dans plus        terme d’une saison de                   de ses collaborations            chaînes et manifestations
de 200 villes à travers le       recherche, la performance               avec de multiples                romandes, vidéos de 120’
monde.                           Autofèdre.                              créateurs, metteurs en           et diverses commandes
   En 1995, Philippe Saire         Depuis 2013, elle                     scène, chorégraphes              d’habillages sonores
inaugure son lieu de             intervient régulièrement                et compositeurs, parmi           pour des sites internet et
travail et de création, le       comme pédagogue à la                    lesquels Théo Mercier,           émissions radios).
Théâtre Sévelin 36. Situé        Manufacture (Haute Ecole                Nacéra Belaza, Thierry
à Lausanne, ce lieu est          des Arts de la Scène) à                 Thieu Niang, Ondrej              Isa Boucharlat
entièrement consacré à la        Lausanne.                               Adameck, Sulayman Al             Costumière
danse contemporaine. Il                                                  Bassam, Angelin Preljocaj,         Après une formation
contribue à la circulation       Yann Philipona                          Maud Le Pladec, Philippe         de costumière à Paris
d’œuvres de dimension            Comédien                                Saire, Sylvain Maurice,          dans le cadre de diverses
internationale, tout                Après la classe                      Jeanne Added, Jean Paul          productions, Isa Boucharlat
en programmant des               préprofessionnelle                      Gaultier, Zhao Miao, Phia        s’installe à Genève en 1991
compagnies locales dont          d’art dramatique du                     Ménard, Joss De Paw,             où elle commence une
il favorise l’émergence. Le      Conservatoire de Fribourg               Abderrahmane Sissako.            collaboration avec Bernard
Théâtre Sévelin 36 est le        il intègre Les Teintureries               En 1997, il entame une         Meister au Théâtre du
lauréat du « Prix spécial de     - Ecole Supérieure de                   collaboration avec l’écrivain    Grütli qui durera jusqu’en
danse 2013 » de l’Office         Théâtre de Lausanne. Il y               et metteur en scène Joël         1998. Elle collabore
fédéral de la culture.           travaille notamment sous la             Pommerat qui lui vaudra le       régulièrement avec Denis
                                 direction de Philippe Sireuil,          Prix Molière de la création      Maillefer, Oskar Gomez
Adrien Barazzone                 Gian Manuel Rau, Lukas                  visuelle en 2018 et pas          Mata, Antoine Jaccoud,
Comédien                         Hemleb, Gabriel Dufay ou                moins de sept nominations.       Muriel Imbach et Philippe
   Après des études de lettres   Philippe Saire. Il joue en                                               Saire.
à l’Université de Genève,        2017 dans la mise en scène              Jérémy Conne
Adrien Barazzone se forme à      de Cyrano de Bergerac de                Créateur sonore
La Manufacture, Lausanne.        Jean Liermier au Théâtre                  Batteur dans diverses
Il est comédien, metteur en      de Carouge, spectacle                   formations rock
scène et travaille au sein       ensuite tourné en Suisse et             lausannoises (Rosqo, Meril
du collectif de direction du     en France. Il joue en 2018              Wubslin,Sinaï Divers), il
Théâtre du Loup.                 dans le film Dévoilées de               crée les bandes sons pour

                                                                    15
Liam   (…) Et je te regarde, Danny, et je te regarde et j’aimerais, pas être comme
       toi, pas être toi, mais si, d’une certaine façon j’aimerais vraiment être toi,
       vraiment quelque part faire partie de toi, (…)
       Et je suis debout là, avec ton t-shirt ton putain de t-shirt sale que tu as
       ressorti du panier à linge pour me le passer et je me dis que c’est un
       honneur de le porter. C’est un honneur pour moi d’être là debout dans
       ta sueur séchée. Et je regarde quelqu’un comme toi et je ne peux pas
       m’empêcher de me dire que tu n’aurais jamais dû connaître ça, que ta
       belle ignorance devrait être préservée avant tout, que je devrais risquer
       ma vie pour te maintenir dans cet état, mais une partie de moi, Danny, et
       c’est le côté que je déteste, c’est le côté mauvais, le côté sale, cette part de
       moi que je voudrais m’enlever d’un coup de couteau, cette part de moi,
       et je ne dis pas que je l’aime, je la déteste, mais c’est celle qui pense qu’on
       devrait te faire tomber de ton putain de piédestal pour t’enfoncer le visage
       dans la boue pour que tu bouffes la même merde et la même pourriture
       que j’ai bouffée, que ça te rentre par la bouche et que ça te remonte par
       le nez et que tu t’étouffes dedans. Et je t’ai vu ce soir, Danny. Je t’ai vu…

                                                           Direction administrative
                                                                   Christophe Drag
                                                  christophe.drag@philippesaire.ch
                                                                   +41 79 511 82 17

                                                                           Diffusion
                                                  Olivier Talpaert & Romain Le Goff
                                                               En Votre Compagnie
                                                                   +33 6 77 32 50 50
                                              oliviertalpaert@envotrecompagnie.fr
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