Clara Hughes : ouvrir les coeurs, ouvrir les esprits

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HOUSE OF COMMONS / CHAMBRE DES COMMUNES

        Clara Hughes : ouvrir les cœurs,
               ouvrir les esprits
   Exposé sur la façon dont une femme a influencé l’attitude des
            Canadiens à l’égard des troubles mentaux

                         Sara Carleton
                          10 juillet 2014

Rapport final présenté dans le cadre d’une bourse de recherches de la
                        flamme du centenaire
Table des matières

Introduction ................................................................................................................................... 2
La santé mentale ........................................................................................................................... 3
   Qu’est-ce qu’un problème de santé mentale? ............................................................................. 3
   Faits au sujet de la santé mentale au Canada .............................................................................. 5
   Stigmatisation et santé mentale ................................................................................................... 6
L’histoire de Clara ...................................................................................................................... 10
   Des premières années aux « années terribles » de l’adolescence ............................................. 10
   Le moment où tout a changé ..................................................................................................... 11
   Clara et le sport ......................................................................................................................... 12
   Heurter le mur de la dépression ................................................................................................ 15
   Obtenir de l’aide ....................................................................................................................... 17
Donner en retour ......................................................................................................................... 21
   Un modèle de comportement pour les Canadiens..................................................................... 21
   Porte-parole pour la santé mentale ............................................................................................ 22
   Le Grand Tour de Clara ........................................................................................................... 24
   Rôles généraux de porte-parole ................................................................................................ 27
Distinctions .................................................................................................................................. 30
L’effet de Clara sur le Parlement .............................................................................................. 32
Conclusion ................................................................................................................................... 34
Annexe           Prix et réalisations .................................................................................................... 35
Bibliographie ............................................................................................................................... 38

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Introduction
        Clara Hughes a une crinière de cheveux roux, un sourire aussi grand que le Canada et un
cœur à l’avenant. Elle est une vedette sportive internationale qui a remporté six médailles
olympiques dans deux disciplines lors de six Jeux olympiques, sans parler des dizaines d’autres
places sur des podiums nationaux et internationaux qu’elle a remportées au cours de ses 25 ans
de carrière.

         Mais on ne peut pas parler de Clara et du sport sans parler de Clara et de la santé mentale,
car derrière ce sourire contagieux et cette liste impressionnante de prix, qui fait l’envie du monde
sportif, se cache une lutte âpre et sombre contre des problèmes de santé mentale. Ces réalisations
sportives spectaculaires se sont produites en dépit d’un trouble dépressif qui a presque
complètement plongé sa carrière – et le reste de sa vie – dans l’immobilisme pendant deux ans.

       La vie de Clara est peuplée de contraires : une enfant difficile et une adulte couronnée de
succès; les sports d’été et les sports d’hiver; une féroce compétitrice et une aidante animée
d’empathie. Et, à travers tout cela, sa détermination et sa compassion sont des fils conducteurs
constants.

       Le présent rapport est une chronique de la passion de Clara, de sa lutte et de son
triomphe.

Note de l’auteure : Autant que possible, j’ai laissé Clara raconter sa propre histoire. Le présent
rapport est parsemé d’informations tirées d’interviews que Clara a données au cours des cinq
dernières années à de nombreux intervieweurs, dont moi-même. Il ne s’agit donc pas simplement
d’une chronique sur Clara, ses luttes et ses triomphes; il s’agit aussi, dans la mesure du possible,
d’une chronique par Clara – dans ses propres termes, racontant sa propre histoire et vous faisant
part de son point de vue. Sauf indication contraire, toutes les citations reproduisent les propres
termes de Clara.

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La santé mentale

Qu’est-ce qu’un problème de santé mentale?

        Avant de parler de Clara Hughes et de sa contribution à la sensibilisation collective des
Canadiens aux problèmes de santé mentale dans l’ensemble du pays, nous devons prendre un
moment pour caractériser la santé mentale – décrire ce qui est considéré comme un trouble
mental et les raisons pour lesquelles il est si important que les Canadiens soient renseignés sur ce
sujet et en discutent.

        Le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) définit ainsi la santé mentale : des
changements dans la façon de penser d’une personne, dans son humeur et dans ses
comportements qui causent beaucoup de détresse et qui rendent difficile l’accomplissement des
tâches quotidiennes. (CAMH, Introduction)

        Jusqu’à présent, personne ne sait avec certitude ce qui cause les maladies mentales, mais
la plupart des études laissent penser qu’une combinaison de facteurs tels que la génétique, les
facteurs environnementaux, les expériences personnelles et des maladies physiques déterminent
le déclenchement de la majorité des troubles mentaux, leur gravité et le rétablissement des
personnes atteintes. Toutefois, peu importe la cause ou le type de maladie, les troubles mentaux
d’une personne ne sont pas de sa faute. (CAMH, Introduction)

        Il n’y a pas de caractéristiques physiques qui distinguent les personnes souffrant de
troubles mentaux. Les maladies mentales sont invisibles. C’est pourquoi bon nombre des
problèmes de santé mentale sont plus difficiles à reconnaître, car ils n’offrent rien à voir, à tester
ou à mesurer. La douleur, les frustrations, la confusion et la peur se cachent au fond de l’être et il
est difficile de quantifier de façon externe l’expérience ou la souffrance qui sont vécues.

        Dans la cinquième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders
(Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) ou DSM5, publié par l’American
Psychiatric Association (APA), il y a plus de 20 catégories différentes de troubles mentaux, dont
les suivantes :

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   troubles du spectre schizophrénique;
      troubles bipolaires;
      troubles dépressifs et anxieux;
      troubles obsessionnels compulsifs;
      troubles liés à un traumatisme psychologique (y compris l’état de stress post-
       traumatique);
    troubles dissociatifs et de la personnalité;
    troubles de symptômes somatiques;
    troubles de l’alimentation et de l’élimination;
    troubles du sommeil et de l’éveil;
    dysfonctions sexuelles, dysphorie sexuelle et paraphilies;
    troubles perturbateurs, de contrôle des impulsions et des conduites;
    troubles liés à l’abus de substances et troubles de toxicomanie;
    troubles neurocognitifs.
   (p. 1-8)

          Chaque type de trouble peut se manifester par des symptômes allant de légers à graves,
selon la personne. Bon nombre de ces troubles sont des maladies qui durent toute la vie et qui
nécessitent un traitement continu. Bien qu’elles varient sur le plan des symptômes et de la
gravité, les maladies mentales ont toutes une chose en commun : elles peuvent être traitées.
Malheureusement, ce ne sont pas tous les gens atteints de troubles mentaux qui demandent de
l’aide. Et même ceux qui en demandent n’obtiennent pas nécessairement l’aide dont ils ont
besoin.

          Une étude menée en 2012 sur le besoin perçu de soins de santé mentale au Canada a
permis de constater que plus de 17 % des citoyens disaient avoir besoin de tels soins, mais que
dans le cas de 33 % de ces personnes, le besoin n’était pas satisfait ou il ne l’était que
partiellement. (Sunderland, p. 3) Si l’on traduit ces pourcentages en nombre de personnes, cela
signifie qu’au cours d’une année, près de 6 millions de Canadiens ont eu besoin d’aide et que
2 millions d’entre eux n’ont pas obtenu l’aide dont ils avaient besoin.

          Bien que Clara raconte sa propre histoire, centrée sur la dépression, elle a clairement le
désir d’élargir le débat et de réduire la stigmatisation en ce qui concerne tous les types de
troubles mentaux.

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Faits au sujet de la santé mentale au Canada

      Selon l’Organisation mondiale de la santé, les troubles mentaux :
          o constituent 4 des 10 principales causes d’invalidité à l’échelle mondiale;
          o représentent environ 12 % des maladies dans le monde entier, alors que le budget
               consacré à la santé mentale dans la plupart des pays s’élève à moins de 1 % des
               dépenses de santé totales. (CAMH, Introduction)

      Un Canadien sur cinq souffrira de troubles mentaux à un moment quelconque de sa vie.
       (Let’s Talk) Il est assuré que vous connaissez quelqu’un qui est atteint de troubles
       mentaux.

      Les problèmes de santé mentale affectent les gens, peu importent l’âge, le niveau de
       scolarité et de revenu, le type d’emploi, la religion ou la culture. (CAMH, Stigma
       Tutorial)

      Les problèmes de santé mentale et les maladies mentales coûtent plus de 50 milliards de
       dollars en productivité perdue par suite de l’absentéisme et du présentéisme. (« Facts »)

      Quatre enfants canadiens sur cinq qui ont besoin de services de santé mentale n’en
       reçoivent pas. (Let’s Talk)

      Chaque année, 3,2 millions de jeunes Canadiens âgés de 12 à 19 ans risquent de souffrir
       de dépression. (Let’s Talk)

      Les troubles mentaux chez les jeunes représentent la deuxième dépense en importance en
       soins hospitaliers au Canada (surpassés uniquement par les blessures). (Let’s Talk)

      Une fois que la dépression est reconnue, une aide peut être efficace pour 80 % des gens
       touchés et elle peut leur permettre de reprendre leurs activités habituelles. (« Depression
       in »)

      Un accès accru à un soutien par les pairs, à des logements et à des services
       communautaires peut améliorer la qualité de vie des gens qui vivent avec des problèmes
       de santé mentale ou des maladies mentales et faire en sorte qu’ils ne soient pas
       hospitalisés ou incarcérés. (« Facts »)

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Stigmatisation et santé mentale

       Au moins un Canadien sur cinq souffrira de troubles mentaux. Et, parmi ces gens, près de
70 % souffriront en silence, craignant d’être jugés et rejetés. (« Let’s End ») L’introduction
publiée sur le site Web du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) indique :

       La peur et l’incompréhension ont engendré une forte stigmatisation des maladies
       mentales. La stigmatisation peut amener les autres à faire honte aux personnes atteintes, à
       les éviter, à les blâmer et même à leur causer des dommages physiques uniquement parce
       qu’elles souffrent de troubles mentaux.

       La stigmatisation exacerbe les souffrances causées par les problèmes de santé mentale.
       En outre, elle empêche bien des gens qui éprouvent de tels problèmes de chercher de
       l’aide. (CAMH, Introduction)

       La stigmatisation trouve souvent son origine dans l’ignorance, les préjugés ou la peur.
(Purse) Par exemple, lorsque quelqu’un confie à un ami ou à un collègue qu’il tente de surmonter
une dépression, la réaction peut être la suivante :

      « Oh, tout le monde est un peu déprimé par moments, pourquoi serais-tu quelqu’un de
       spécial? Endurcis-toi! » (Ignorance)
      « Ah bon, tu es un de ceux-là? Préviens-moi quand tu seras guéri. Bien, il faut que je me
       sauve. » (Préjugés)
      « Veux-tu dire que tu pourrais piquer une crise et te mettre à pleurer sous ton bureau, ou
       quelque chose du genre? » (Peur et ignorance)

       La stigmatisation qui existe dans notre société et qui empêche des gens d’obtenir un
traitement est un obstacle majeur à la guérison, mais elle peut changer. L’un des moyens les plus
importants et les plus fondamentaux de réduire la stigmatisation est de prendre la défense des
gens qui souffrent et de manifester son désaccord par rapport à tout commentaire défavorable ou
toute représentation négative de la maladie mentale. En parlant ouvertement et honnêtement de la
santé mentale, nous pouvons faire sortir les troubles mentaux de l’ombre que leur font
l’ignorance, la peur, la honte et le silence et les faire accepter comme étant de vraies maladies
qui nécessitent – et méritent – un traitement.

       La stigmatisation est très réelle et elle est vécue par tant de gens qui souffrent. Et c’est
       peut-être pourquoi, je crois, nous ne disposons pas des programmes que nous devrions
       avoir pour aider les gens, car nous passons tout cela sous silence. Les troubles mentaux
       sont très difficiles à diagnostiquer; ce n’est pas simplement le fait de dire : « Voici, vous

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avez cette maladie, prenez ce médicament et vous irez mieux. » Chaque personne est
       différente et il y a souvent beaucoup de bagage émotionnel qui entre en jeu dans une
       maladie mentale. […] Je crois que les gens ne veulent tout simplement pas en entendre
       parler. Je n’en parlais jamais, car qui aurait voulu m’entendre dire que j’étais déprimée?
       Il y a déjà assez de choses déprimantes comme cela dans le monde. (Hughes, « Clara
       Hughes on »)

       Nous pourrions simplement, je l’espère, commencer à envisager les maladies mentales de
       la même façon que les maladies physiques. Il devrait y avoir de la compassion, de la
       compréhension et des traitements. (Hughes, « Clara Hughes at »)

       La stigmatisation qui entoure les troubles mentaux est une question très personnelle pour
Clara; depuis 2010, elle consacre son temps à faire campagne pour éliminer cette stigmatisation.

       J’ai une histoire à raconter, une histoire à partager. J’espère du fond du cœur qu’en
       racontant ma très petite histoire dans tout l’ensemble des choses, je pourrai contribuer à
       réduire la stigmatisation qui est associée aux maladies mentales. Car c’est la
       stigmatisation qui est le plus gros problème. (Hughes, « Clara Hughes on »)

       Je veux uniquement donner aux jeunes Canadiens le pouvoir d’agir… Les aider à
       comprendre ce qu’est la maladie mentale. À comprendre la stigmatisation qui y est
       associée et jusqu’à quel point cette stigmatisation est ridicule et inutile, à comprendre et à
       croire fermement qu’ils peuvent l’éliminer. Leur dire qu’ils peuvent constituer la
       génération dont les enfants, plus tard, n’auront jamais connu l’époque où des gens avaient
       honte d’être déprimés, ressentaient de l’anxiété ou estimaient qu’ils ne pouvaient pas
       demander de l’aide parce qu’ils seraient jugés. (Kennedy, « Clara’s »)

       Clara lutte pour changer l’image des troubles mentaux, afin que ce que l’on considère
comme une « faiblesse » soit considéré comme une maladie.

       À mon avis, c’est une perception. C’est une perception qui est basée sur l’ignorance. Et je
       m’inclus là-dedans, car pendant ma dépression, je ne savais pas ce qui m’arrivait : je
       n’étais pas informée sur la question. J’avais connu des gens, dans ma vie, qui avait été
       aux prises avec différentes formes de maladies mentales, mais je pensais que cela ne
       pouvait pas m’arriver. Je n’étais pas au courant des statistiques au sujet d’un Canadien
       sur cinq – je ne savais rien là-dessus. Et plus j’en apprenais à ce sujet… et je crois que
       plus les Canadiens en apprendront sur la réalité de la situation… on finit par se dire :
       « Peut-être que cela ne m’arrive pas à moi, mais maintenant je commence à voir que cela
       arrive à quelqu’un dans mon entourage – un membre de ma famille, un ami, un
       collègue. » Ou encore, on peut en venir à saisir : « Cela pourrait m’arriver… et que se
       passera-t-il alors? Que vais-je faire si l’aide dont j’ai besoin n’est pas là? » (Hughes,
       « Clara Hughes on »)

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Parce qu’elle parle ouvertement de son combat contre la maladie mentale, Clara donne à
d’autres Canadiens le pouvoir d’en faire autant.

       Je crois que mon histoire a une résonance, car j’ai une voix à cause de ce que j’ai fait. Et
       je peux utiliser cette voix pour parler de ce que j’ai vécu. Si quelqu’un pense que je suis
       faible, pitoyable, ou que je devrais avoir honte… peu m’importe. C’est comme aller
       participer à une course : si je ne gagne pas une médaille olympique, mais que j’ai donné
       tout ce que je pouvais à donner, alors cela n’a pas d’importance pour moi. C’est le mieux
       que j’ai pu faire – c’est toujours l’unique chose que je peux essayer de faire. C’est
       exactement la même situation dans le cas de la maladie mentale. (Kennedy, « Clara’s »)

       Même si la stigmatisation associée aux problèmes de santé mentale est profondément
ancrée au Canada, Clara a remarqué que les perceptions commencent à changer.

       Avant, les gens n’avaient personne à qui se confier. Ils avaient peur. J’ai rencontré tant de
       gens qui m’ont dit qu’ils avaient peur de perdre leur emploi s’ils en parlaient! Mais à
       présent, je commence à rencontrer des gens qui en ont parlé ouvertement ou qui sont allés
       chercher de l’aide, ou qui ont aidé quelqu’un de leur entourage. Et, 99 % du temps, ils
       disent : « Je n’avais aucune idée qu’il y aurait quelqu’un pour m’aider », ou « Je n’avais
       aucune idée que je pourrais aller mieux », ou « J’ignorais complètement que ces
       programmes existaient ».

       À mesure que nous ouvrirons ce dialogue et que nous commencerons à donner un
       caractère de normalité à la maladie mentale au Canada, à la représenter comme étant une
       maladie traitable, je crois que les gens seront étonnés de voir à quelle vitesse les
       perceptions changent. (Hughes, « Clara Hughes at »)

       Et les professionnels des soins de santé mentale remarquent l’influence qu’a Clara sur la
façon dont les gens perçoivent les troubles mentaux.

       Dr Raj Baklav : La stigmatisation a pour effet d’empêcher les gens de saisir que les
       maladies mentales sont très courantes et que ceux qui souffrent de leurs symptômes ne
       sont pas seuls. Ainsi, plus on amènera les gens à parler davantage des troubles mentaux, à
       comprendre qu’ils sont courants, à comprendre qu’il existe des traitements… plus les
       personnes atteintes seront portées à agir pour demander de l’aide. Donc, il est
       extrêmement important que quelqu’un comme Clara Hughes parle ouvertement de la
       dépression dont elle a souffert et du fait que la dépression est un mal très courant. (Let’s
       Talk)

       Bien des gens veulent contribuer à atténuer la stigmatisation associée aux problèmes de
santé mentale, mais ne savent pas exactement comment s’y prendre. Voici quelques suggestions :

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   Parler ouvertement et honnêtement de la santé mentale.
   Apprendre les faits sur la santé mentale et les troubles mentaux et en informer son
    entourage.
   Envisager la personne comme un tout, ne se limitant pas à son problème de santé
    mentale, et agir avec compassion.
   Contester la stigmatisation quand elle se manifeste, que ce soit au travail, dans les médias
    ou chez des amis et des pairs.

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L’histoire de Clara

Des premières années aux « années terribles » de l’adolescence

       Clara est née à Winnipeg (Manitoba) le 27 septembre 1972. Sa mère était originaire de
Montréal et son père était un citoyen britannique. La famille – Clara, ses parents et sa sœur
Dodie – vivait dans le quartier d’Elmwood de Winnipeg et ressemblait à toutes les autres
familles de voisinage. Toutefois, le père de Clara était aux prises avec des problèmes de
toxicomanie et des troubles mentaux, ce qui a eu des répercussions néfastes sur le reste de la
famille.

       Clara avait neuf ans quand ses parents ont divorcé. Perturbée par cet événement crucial
dans sa jeune vie, Clara a commencé à passer à l’acte.

       J’ai grandi dans une famille dysfonctionnelle; c’est le moins qu’on puisse dire. J’ai grandi
       avec un père alcoolique qui était un bipolaire non diagnostiqué. C’est un artiste, c’est un
       écrivain, c’est un esprit brillant. Un homme extraordinaire, mais cela a été dur de grandir
       dans une famille pareille. (Kennedy)

       Enfant, j’éprouvais beaucoup de culpabilité. Je me souviens d’avoir entendu certaines de
       leurs disputes quand j’étais petite et je me rappelle très bien que je croyais que ces
       disputes étaient de ma faute. Et je sentais que j’étais incapable de régler la situation.
       (Darkness)

       Mais parents se sont séparés quand j’avais neuf ans et ma mère nous a élevées seule, ma
       sœur et moi. Nous étions des animaux sauvages, indomptés. (Munday, « Q & A »)

       Ma mère a fait de son mieux pour ma sœur et moi, mais pour tout dire, nous nous
       sommes mises à faire les 400 coups, elle et moi, après la séparation de mes parents.
       (Starkman)

       À son entrée à l’école secondaire, Clara était déjà engagée dans une spirale descendante
de fêtes effrénées, d’alcool et de drogues.

       J’étais une enfant du quartier d’Elmwood-East Kildonan, à Winnipeg, et je faisais comme
       beaucoup de mes amis : je consommais beaucoup de drogues, beaucoup d’alcool. J’ai
       commencé à fumer en troisième année, mais je me suis mise à fumer à temps plein à
       partir de la sixième année; je fumais un paquet par jour dès la septième année. (Kennedy,
       « Clara’s »)

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Je n’ai pas vraiment consommé de drogues dures, mais je prenais beaucoup de drogues
       douces et je faisais beaucoup la fête. Je m’enfuyais de la maison pour le week-end. Je ne
       rentrais tout simplement pas chez moi. Cela inquiétait énormément ma mère. […]
       Aujourd’hui, quand je vois des jeunes qui agissent comme cela, je me dis : « Vous ne
       savez pas où cela peut vous mener. Vous êtes en train de gaspiller votre vie. » Je gâchais
       ma vie. Je ne suis pas fière de ce que j’étais. Mais à l’époque, tout me laissait
       indifférente. Je crois que je n’avais pas de système de valeurs parce que je provenais
       d’une famille dysfonctionnelle. (Starkman)

       À l’âge de 16 ans, je n’allais même plus à l’école. Vous savez, j’ai toujours eu les
       qualités dont nous parlons et qui font de quelqu’un un champion – la ténacité, de
       l’énergie à profusion, la concentration et la détermination. J’ai toujours eu cela, mais je
       ne le savais pas. Et, à la grande horreur de ma mère, je canalisais ces qualités dans la
       délinquance. Il y a toujours eu des professeurs qui me disaient : « Si seulement tu
       trouvais quelque chose sur quoi te concentrer et dans quoi canaliser ton énergie, tu
       pourrais tout faire! » Mais je faisais constamment les mauvais choix. On parle de
       leadership dans le monde des affaires. J’avais toutes les qualités de leadership, que j’ai pu
       canaliser dans le sport après avoir découvert ma passion. Mais, à l’adolescence, je
       consacrais toutes ces qualités de leadership à organiser des fêtes dans des cages d’escalier
       au centre-ville de Winnipeg, des fêtes dans les ruelles, et ainsi de suite. Toutes sortes de
       mauvais coups. (Hughes, Speakers’)

       À l’âge de 16 ans, Clara a vécu un moment charnière qui l’a transformée et qui a
transformé sa vie. Elle a trouvé un sens et un but dans le sport. Elle qui échouait à l’école, elle
est devenue première de classe. Elle a obtenu son diplôme de l’école secondaire d’Elmwood
en 1990.

Le moment où tout a changé

       Ce n’est pas la norme et ce n’est pas fréquent qu’une personne puisse mettre le doigt sur
le moment exact où sa vie a changé pour toujours. Cependant, Clara Hughes a précisément vécu
un tel moment. Au milieu de toutes ces fêtes, de sa consommation de tabac, d’alcool et de
drogues, Clara a eu une révélation.

       J’avais 16 ans et je m’attirais tous les ennuis dont je viens de parler. J’étais assise dans le
       salon de ma mère, à Winnipeg, zappant d’une chaîne à l’autre et planifiant la fête à
       laquelle je me rendrais ce soir-là avec mes amis et le genre de mauvais coup que nous
       ferions. Puis… à l’écran sont apparus ce mouvement du corps, ce coup de patin, ces
       athlètes qui planaient presque au-dessus de la glace. J’avais joué au hockey, mais je
       n’avais jamais vu de patinage de vitesse sur longue piste. Quand j’ai vu cela, j’ai cessé de
       zapper, j’ai regardé et j’ai appris; je n’ai pas seulement écouté les histoires des athlètes et

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admiré ce superbe mouvement qui me captivait, mais j’ai découvert un grand homme, un
       homme qui était un champion olympique en titre : un homme du Québec, qui patinait
       pour le Canada. Il s’appelait Gaétan Boucher. J’ai découvert le mouvement olympique,
       qui existait depuis près d’un siècle […] Les pays avaient eu l’idée de tenir des
       Olympiques modernes – des pays qui déposeraient leurs armes et qui se livreraient un
       combat à armes égales sur les champs de bataille du sport et du jeu. Et je me suis dit :
       « Cette idée de Jeux olympiques est géniale! » J’avais grandi en faisant des sports
       communautaires et, comme j’habitais dans un quartier défavorisé de Winnipeg, les
       Olympiques n’avaient jamais été sur mon écran radar. Mais plus j’en apprenais et plus je
       regardais – quand Gaétan s’est enfin présenté sur la ligne de départ, j’ai appris qu’il
       n’était pas vraiment au mieux de sa forme et qu’il n’avait aucune chance de gagner. Mais
       ce que Gaétan a fait ce jour-là, lorsqu’il s’est présenté sur la ligne de départ, portant la
       feuille d’érable dans son dos, c’est qu’il est devenu plus grand que nature. J’ai vu dans
       ses yeux cette flamme et cette détermination que je n’avais jamais vues chez personne
       auparavant. J’étais assise sur le rebord de mon fauteuil et je l’ai observé lorsqu’il a
       entrepris la course et qu’il s’est mis à patiner à une vitesse de record mondial, puis
       lorsqu’il s’est spectaculairement effondré, parvenant avec peine à se hisser parmi les
       10 premiers. J’ai vu Gaétan « échouer lamentablement », comme le disaient les
       annonceurs et les commentateurs, mais j’ai vu un homme qui se donnait tout entier à
       quelque chose, j’ai vu son désir et son engagement, et ce que j’ai vu en lui a changé ma
       vie. J’ai vu Gaétan faire cela et j’ai su que je voulais faire la même chose. J’ai su que je
       voulais patiner un jour pour le Canada. J’ai su non seulement que j’allais le faire, mais
       aussi que je devais le faire. Ce jour-là, ma vie a changé. (Hughes, Speakers’)

       Clara a dit à sa mère qu’elle voulait devenir patineuse et sa mère l’a immédiatement
inscrite à des cours.

       J’avais 16 ans. Cela me paraissait tout à fait génial de glisser sur la glace en allant
       vraiment très vite. Je ne sais trop comment, mais j’ai tout de suite su que c’était ce que je
       voulais faire. Ma mère a donné un coup de fil au club local, à Winnipeg, et quelques jours
       plus tard, je commençais à transformer ma vie. (« Healthy Choices: Gold »)

       À 18 ans, Clara était devenue une athlète professionnelle et elle croyait que le cours de sa
vie était fixé. Elle ne se doutait guère du point jusqu’auquel ce moment où elle avait regardé les
Jeux olympiques aurait un profond effet sur elle et sur tout le Canada.

Clara et le sport

       La plupart des gens qui me connaissent à l’extérieur du monde du sport et, plus
       particulièrement, les gens avec lesquels je m’entraîne et je fais du sport – la plupart de
       ces gens pensent : « Clara est si gentille. Elle est toujours souriante et si aimable. » Il y a
       même des gens qui demandent à mon mari : « Clara n’est pas très compétitive. Comment
       peut-elle être une athlète? » Et il répond toujours en riant : « Allons donc, tu ne connais
       pas ma femme! » Je suis une compétitrice acharnée et quand vient le temps de se battre,

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je me bats! J’adore être mise au défi. J’adore essayer de gagner. J’adore me rendre au
       maximum de mes capacités. Si je ne remporte pas la victoire, j’aurai du moins donné
       mon maximum. Et je ne suis pas du genre à reculer quand on me lance un défi. (Hughes,
       « Interview with Clara Hughes », Walter)

       Clara a commencé à s’entraîner sérieusement sur glace immédiatement après avoir vu
Gaétan Boucher patiner aux Jeux olympiques de 1988. Et elle n’a pas tardé à participer à des
compétitions. En 1989, elle a remporté la médaille d’argent aux Championnats nationaux de
patinage de vitesse. Pendant la saison morte du patinage, Clara a décidé que le cyclisme pourrait
l’aider à rester en meilleure forme et elle s’est mise également à ce sport. Son talent en cyclisme
a vite été reconnu et cette discipline a supplanté le patinage chez elle comme discipline
principale. (« Clara Hughes Biography ») En 1990, elle a remporté huit médailles en cyclisme
aux Jeux Western Canada et aux Championnats nationaux – sept médailles d’or et une médaille
d’argent. Au cours des cinq années qui ont suivi, son ascension fulgurante dans le monde du
cyclisme de compétition s’est poursuivie et elle est montée sur le podium aux Jeux
panaméricains, aux Championnats du monde, aux Jeux du Commonwealth et au Tour de France.

       Mes sens sont toujours à l’affût de ce qui se passe autour de moi. Quand je faisais du
       patinage de vitesse, j’avais conscience du fait que ce superbe mouvement se produisait
       par mon intermédiaire; c’était presque un sentiment d’émerveillement. À vélo, ce que je
       ressens, c’est certainement un attachement pour la nature […] Il y a tant d’endroits où je
       fais un contre-la-montre préliminaire avant une course et où j’aperçois par exemple des
       lilas en fleurs sur une colline; puis, pendant la course, je me dis : « Voilà les lilas! » Cela
       traverse ma conscience; c’est un lien avec la nature qui m’entoure. (Gordon)

       À ses premières olympiades, en 1996, on ne s’attendait pas à ce que Clara remporte une
médaille, mais sa ténacité acharnée lui a valu deux médailles de bronze en cyclisme. Après les
Jeux, toutefois, Clara a été aux prises avec la dépression pendant quelques années et elle a dû
renoncer à la plupart de ses possibilités de compétition. En dépit de son combat, néanmoins, elle
est parvenue à remporter la victoire au Tour of Texas (1997) et au Sea Otter Classic (1998).

       Clara a eu de la difficulté à se relever des cendres de sa dépression, et d’autres épreuves
l’attendaient. Elle a été affligée de maladies et de blessures pendant les quelques années
suivantes, ce qui a limité ses possibilités de compétition en cyclisme. Mais son entraînement lui
tenait à cœur et elle était convaincue qu’elle pouvait en faire encore plus.

                                                                                                    13
Après s’être consacrée presque exclusivement au cyclisme pendant une décennie, Clara
est retournée sur glace en 2002, remportant une médaille de bronze aux Jeux olympiques d’hiver
de 2002. Pendant les deux années suivantes, elle a participé à des compétitions tant en cyclisme
qu’en patinage, pour retourner à son premier amour, le patinage, en 2004. C’est dans ce sport
qu’elle a remporté ses quatrième et cinquième médailles olympiques, une médaille d’argent et
une autre d’or, aux Jeux de Turin.

       Ma vie n’a pas vraiment changé beaucoup depuis que j’ai remporté la victoire aux Jeux
       olympiques de 2006. Je me sens comme une personne qui vit le moment présent, qui vit
       la journée d’aujourd’hui. J’envisage chaque jour comme étant nouveau et je ne m’attarde
       pas au passé; je ne pense pas à ce que j’ai réalisé comme athlète ou à ce que j’ai fait dans
       la vie. J’essaie tout simplement de devenir une meilleure personne, de vivre dans la joie
       et de goûter mon bonheur chaque jour de ma vie. (Hughes, « Clara Hughes – Summer »)

       Après ses résultats spectaculaires aux Jeux olympiques de 2006, Clara a continué à
accorder la priorité au patinage, remportant la médaille d’argent aux Championnats du monde
de 2008 et 2009 avant son dernier retour aux Olympiques d’hiver en 2010, où elle a tenu bon et
terminé au troisième rang. Clara appelle souvent sa médaille de bronze aux Jeux de Vancouver
sa « médaille préférée entre toutes ». (« Clara Hughes Olympic »)

       Cette dernière médaille remportée en 2010 et son rôle de porte-parole pour plusieurs
groupes de soutien nationaux et internationaux comme Right To Play et la campagne Cause pour
la cause de Bell ont fait de Clara une personne très connue au Canada. Après les Olympiques,
elle a passé beaucoup de temps à voyager pour prononcer des conférences publiques dans le
monde entier. La fin des Jeux olympiques d’hiver de Vancouver a également marqué la fin de la
carrière de Clara en patinage de vitesse de compétition. Après 2010, elle a accroché ses patins et
elle est retournée au cyclisme. En 2011, elle a remporté des médailles dans sept compétitions
internationales différentes, dont quatre médailles d’or.

       J’ai longtemps réfléchi au sujet de mon retour au cyclisme, car il y a beaucoup de choses
       à prendre en considération. Cela ne signifie rien de moins que de consacrer sa vie au
       sport. Je ne peux pas me comparer à ce que j’étais il y a 10 ans; j’ai tellement mûri
       entretemps. Mais je savais qu’il faudrait que j’apporte des changements majeurs à ma vie.

       Après Vancouver, ma vie a été très chaotique; pendant trois mois, je n’ai pas vu mon
       mari! J’étais tiraillée dans tant de directions, avec les médias et mon travail pour les

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œuvres de bienfaisance. J’ai donc mis tout cela en veilleuse, car je dois adopter un certain
       style de vie [pour être une athlète]; c’est surtout un engagement émotionnel et il faut que
       je cible mon énergie. Il faut beaucoup de discipline pour dire non.

       […] Mais voici ce que je me dis : « C’est extraordinaire! J’ai la chance de pouvoir me
       consacrer à cela. Quel cadeau! » (Hughes, « Interview : Clara »)

       Ses dernières olympiades ont été celles de l’été 2012, où elle espérait remporter sa
septième médaille. Bien des gens doutaient qu’elle puisse même se qualifier pour les Jeux, car
elle avait été victime d’un grave accident à peine deux mois auparavant et elle s’était fracturé une
vertèbre. Néanmoins, avec son attitude de refus d’abandonner, Clara s’est entraînée en dépit de
cette fracture et elle a pu aller à Londres pour représenter le Canada une dernière fois. (Sager)
Même si elle s’est maintenue à l’intérieur ou près du peloton de tête pendant la majeure partie de
la course sur route dans Londres, elle n’a pas pu se classer dans les premières places et elle a
terminé au 32e rang. Cependant, sa vision positive de la vie maintenant bien ancrée, elle a décrit
ainsi sa dernière épreuve olympique : « C’était épique. C’était génial! » (Davidson)

       Même si Clara ne fait plus de compétition, l’athlétisme demeure un élément très
important de sa vie et elle ne se la coule pas douce. Du 14 mars au 1er juillet derniers, elle a
enfourché son vélo pour accomplir le Grand Tour de Clara, un voyage héroïque de 12 000 km,
sur 110 jours, partout au Canada pour promouvoir le dialogue et lutter contre les préjugés au
sujet de la santé mentale.

       Maintenant que le Grand Tour de Clara est terminé, Clara prévoit faire une pause.
Toutefois, on ne doit pas s’attendre à ce qu’elle se retire discrètement du monde de l’athlétisme.
Avec Clara, il y a toujours quelque chose de plus à faire.

Heurter le mur de la dépression

       L’un des premiers faits marquants de la carrière athlétique de Clara a été le succès qu’elle
a remporté aux Jeux olympiques de 1996, à Atlanta, où elle a décroché deux médailles de
bronze. Après un entraînement obsessionnel pendant tant d’années, l’exaltation de gagner et
d’occuper une place sur la scène mondiale a été une expérience grisante pour la Clara de 24 ans.

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J’ai vraiment vécu un moment magique à Atlanta. J’allais aux Jeux olympiques pour la
       première fois et j’ai remporté deux médailles de bronze. J’avais l’impression d’avoir une
       nation entière en moi; cela m’a donné de la force, une motivation et une inspiration que je
       n’avais jamais ressenties. Tout le monde me disait : « Je vous ai vue sur le podium! Cela
       a été un moment merveilleux. Merci d’avoir partagé cela avec moi, avec nous. »
       (Darkness)

       Cette euphorie allait toutefois être passagère.

       Ensuite, cela a été ma période hors saison. Je restais assise à la maison et je me
       demandais : « Eh bien, je suis toujours la même personne, mais je suis incapable de me
       lever de mon fauteuil. Qu’est-ce qui ne va pas? » J’avais l’impression que quelque chose
       clochait en moi; j’avais l’impression de… n’être rien du tout. Tout ce que j’avais fait,
       tout ce que j’avais ressenti l’année précédente, aux Olympiques – j’avais l’impression de
       ne pas être la personne qui avait vécu cela. (Darkness)

       Je n’oublierai jamais cette époque où je me réveillais en pleurant, sachant que quelque
       chose clochait, où je m’endormais dans le même état d’esprit et où je redoutais de me
       lever le lendemain. (Let’s Talk)

       En dépit de tous ses efforts pour reprendre le rythme de l’entraînement, Clara était
plongée dans un lieu obscur et solitaire.

       La dépression dans laquelle j’ai sombré n’est pas survenue du jour au lendemain. Je me
       suis isolée. J’avais honte de mon apparence, de ce que j’étais. Et il était plus facile de se
       tenir loin des gens. J’avais très peur et j’étais très seule. (Darkness)

       J’étais habitée par un désespoir dont je ne pouvais pas m’échapper. Je ne pouvais pas
       m’évader de moi-même. J’étais ce que j’étais, aux prises avec ces émotions
       d’impuissance, ayant l’impression que je ne pouvais rien faire de bon et que tout ce que
       je faisais était mal, que je ne me sentirais jamais mieux, que la situation s’aggraverait
       encore et encore, ne sachant pas ce qui m’arriverait. C’était terrifiant. (Hughes, « Full »)

       Cela a été une période de grande confusion et de désespoir; cette obscurité dans laquelle
       j’ai sombré s’est développée sur plusieurs mois. J’ignorais ce qui n’allait pas, j’ignorais
       comment je pourrais me sentir mieux, j’avais l’impression que je ne pouvais en parler à
       personne et j’ai passé beaucoup de temps seule à me dire qu’il fallait que je me
       ressaisisse. Tout ce à quoi je pensais, c’est que j’étais faible et qu’il y avait quelque chose
       qui clochait en moi parce que je n’arrivais pas à me sentir mieux. Et je croyais que j’avais
       la responsabilité d’agir pour aller mieux. En tant qu’athlète, j’étais habituée à être maître
       de tout, à être capable de réaliser tout ce que je devais réaliser selon mon programme
       d’entraînement, à « suivre le programme, suivre le plan » et à ne jamais m’en écarter. Et
       voilà que j’étais incapable de me ressaisir… je dormais tout le temps, je prenais du poids.
       Les gens disent aux athlètes : « Allons donc! Vous êtes une machine. » Mais j’ai pris 15 à

                                                                                                   16
18 livres, j’avais honte de mon apparence et honte de ce que je ressentais, je ne savais pas
       ce qui clochait. (Hughes, « Clara Hughes on »)

       La dépression est un état où l’on ressent de la détresse et de la solitude, de l’impuissance,
       du désespoir et de la honte. C’est ce que j’ai vécu. (Let’s Talk)

       Pendant plus d’un an, Clara a lutté seule pour retourner à son entraînement et à ses
responsabilités, sans comprendre ce qui lui arrivait.

       J’étais incapable de faire mon boulot d’athlète. J’ai fait de la course sept semaines une
       année et huit semaines l’année suivante, en passant le reste du temps plongée dans les
       ténèbres. J’ai pris du poids, je dormais toute la journée, je me sentais nulle, comme une
       ratée. (Hughes, « Full »)

       Et, honnêtement, j’étais persuadée qu’il fallait que je me répare, qu’il y avait quelque
       chose qui clochait en moi et qu’il fallait que je me sente mieux avant de pouvoir refaire
       surface. C’était mon attitude et cela ressemblait un peu à mon attitude face à
       l’entraînement sportif : je voulais simplement aller mieux et ne laisser paraître aucune
       faiblesse. J’étais convaincue d’être responsable de la situation et d’en être la seule
       responsable. (Hughes, « Bell »)

       Se remémorant ce qu’elle a vécu, Clara réfléchit aux causes de son effondrement.

       Avant l’apparition de la dépression, j’ai passé six ans à m’entraîner au plus haut niveau, à
       me dépasser et à être incitée à repousser mes limites – probablement trop pour une jeune
       athlète – et tout cela a concouru à la maladie. Il y a aussi la façon dont j’ai été élevée : je
       proviens d’une famille très dysfonctionnelle. Mes parents ont fait de leur mieux, mais il y
       a beaucoup de séquelles quand on grandit dans un tel environnement. Il y a des choses
       avec lesquelles je me débats encore, avec lesquelles je dois composer, et c’est quelque
       chose que je vis concrètement. (Hughes, « Clara Hughes on »)

       Il a fallu deux ans de solitude, d’obscurité et de désespoir avant que Clara ne découvre
qu’elle souffrait d’une maladie mentale et qu’elle n’obtienne de l’aide pour surmonter sa
dépression.

Obtenir de l’aide

       J’ignore s’il y a des gens qui savent pourquoi ils en viennent à faire une dépression. Dans
       mon cas, cela a été en partie causé par mon surentraînement excessif en tant qu’athlète.
       J’ai été poussée au bout de mes ressources et ensuite je me suis enfoncée encore et
       encore. Je suis revenue de mes premières olympiades avec deux médailles de bronze, en
       pensant que tout se passerait bien et que ce serait emballant, étant donné que j’avais
       gagné quelque chose. Mais plus les semaines et les mois passaient, moins je voulais voir

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ces médailles : elles me rendaient profondément malheureuse, parce que tout ce que
        j’avais fait pour les remporter semblait avoir bien peu de sens. (Kennedy, « Clara’s »)

        Clara a continué à tenter de respecter les exigences de son entraînement, mais elle perdait
du terrain.

        J’étais dans un camp d’entraînement et je pleurais constamment. J’avais aussi pris
        beaucoup de poids et j’étais démoralisée. Mes amis avaient essayé d’être présents pour
        moi, mais eux aussi ignoraient ce qui se passait. Je n’en parlais à personne. Je pensais que
        c’était à moi qu’il appartenait d’agir pour me sentir mieux. En tant qu’athlète, on est
        formé à serrer les dents et à se taire. Il m’est arrivé de faire une chute, de tomber tête
        première et de me fendre le visage, puis d’être toujours capable de remonter sur mon vélo
        pour terminer la course. Face à la dépression, je me disais : « C’est simple, j’ai
        uniquement à me prendre en main et à aller de l’avant. » Mais cela n’avait aucun rapport
        avec quoi que ce soit que j’avais vécu auparavant sur le plan physique. Je continuais à me
        pousser pour améliorer mon état, mais la dépression jetait un tel poids sur mes épaules
        qu’il m’était impossible d’avancer. Mon attitude a simplement aggravé les choses.
        (Hughes, « Clara Hughes at »)

        Toutefois, même si elle faisait tout pour cacher ses difficultés, une personne a remarqué
que quelque chose n’allait pas.

        C’est alors qu’une femme médecin m’a décrit ce qu’elle voyait en moi, dans cette jeune
        athlète qui se trouvait devant elle. Elle m’a carrément confrontée et elle m’a dit : « Ce
        sont toutes les indications d’une dépression. » Et elle en a parlé d’une façon très clinique
        et terre à terre. (Hughes, « Clara Hughes on »)

        Elle m’a dit : « Vous n’avez pas à vous sentir seule; il y a des moyens d’aller mieux. »
        (Hughes, « Full »)

        J’étais stupéfaite! Je lui ai dit : « De quoi parlez-vous? Non, ce n’est pas moi. » Je
        pensais, dans mon for intérieur : « Je ne suis pas déprimée! » Puis, elle s’est mise à me
        parler des interventions : « Il y a des médicaments, il y a des services de counseling, il y a
        toutes ces diverses choses que nous pouvons envisager. » Je dirais que j’étais presque
        insultée. (Hughes, « Clara Hughes on »)

        Mais on nous forme aussi à parler de la façon dont nous nous sentons à tout moment, tous
        les jours – « Comment vas-tu? Comment te sens-tu? Es-tu rétablie? Es-tu fatiguée? Es-tu
        ceci, es-tu cela? » Donc, comme j’étais plongée dans cet environnement, le médecin se
        sentait à l’aise de prendre l’initiative de me parler franchement. (Hughes, « Full »)

        Je suis sortie de cette rencontre en réfléchissant et il m’a fallu plusieurs mois avant de
        faire ce qu’il fallait pour obtenir de l’aide. (Hughes, « Clara Hughes on »)

                                                                                                     18
Cela a été le premier pas : prendre conscience du fait que quelque chose de sérieux se
       passait. Mais surtout, la chose la plus importante dont j’ai pris conscience, c’est que je
       n’avais pas à faire face à cela toute seule. (Hughes, « Full »)

       Avec le soutien de ses médecins, de ses thérapeutes et des membres de son équipe, Clara
a entrepris de suivre un traitement pour sa dépression.

       En tant qu’athlète, j’avais accès à des soins, à un soutien, à un traitement, à une volonté
       collective de me tirer de cette situation. Quand j’ai entrepris d’obtenir de l’aide, on ne
       m’a pas traitée comme une marchandise abîmée; on me disait plutôt : « Très bien, nous
       allons te soutenir pour que tu t’en sortes. » Je n’ai pas perdu mon financement. L’équipe
       nationale de cyclisme a adopté comme attitude : « Prends tout le temps qu’il faut; nous
       allons te donner un brevet pour blessure. » Ce n’est pas la réalité pour la plupart des gens.
       Aussi, autant je veux raconter mon histoire, autant je reste très prudente en le faisant,
       parce que je ne veux pas transmettre comme message : « Allez simplement chercher une
       aide, elle est là pour vous! » Car pour bien des gens, tout ce qui se produit, c’est qu’on les
       inscrit sur une liste d’attente. (Kennedy, « Clara’s »)

       Grâce au soutien de ses entraîneurs et de ses médecins, Clara a pu prendre en charge sa
dépression et retourner à la pratique du sport munie d’un nouvel ensemble d’outils pour faire
face à la maladie. L’un des principaux facteurs qui ont contribué à sa guérison est ce qu’elle
appelle son « cercle de force » – un réseau de soutien composé de membres de sa famille,
d’amis, de médecins, de thérapeutes, de psychologues, et de la collectivité plus générale de ses
partisans et admirateurs.

       Toutefois, même avec tout le soutien dont elle a bénéficié, Clara comprend clairement
que dans son cas, comme dans celui de la plupart des gens qui souffrent de troubles mentaux, il
n’y a pas de « solution miracle » et sa dépression n’est pas simplement disparue.

       Après les Jeux olympiques de Londres, en 2012, je pensais que ce ne serait pas aussi
       difficile. Quelques mois ont passé, nous avions décidé que je ferais mon Grand Tour,
       j’étais occupée – et dès que je me suis arrêtée, quand j’ai eu quelques semaines pendant
       lesquelles je n’avais pas à voyager ou à faire quelque chose de précis, j’ai recommencé à
       sentir ce poids. Me sentir lourde. Je marchais sur la route là où nous habitons, dans
       l’arrière-pays en Utah, et je me sentais coupée de moi-même… j’étais en train de
       retourner dans les ténèbres. C’est alors que j’ai su que ma dépression n’était pas causée
       par les pressions associées au sport – elle fait partie de moi. Je pensais auparavant que je
       pourrais m’en sortir seule. Absolument pas. Alors, j’ai commencé à travailler avec un
       psychologue au début de 2013. Cela a été très utile. Je suis passée par toutes sortes
       d’émotions et je pleurais, pleurais dans son bureau en exprimant beaucoup de choses que

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