Petites et grandes résistances dans les domesticités - Calenda

 
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Appel à contribution pour un dossier de la revue L’Homme et la Société

                  Petites et grandes résistances dans les domesticités
                                     (English version below)

La littérature sur les domesticités insiste souvent sur les mécanismes de subordination et de
domination structurelle qui traversent les relations de service entre les travailleuses et
travailleurs domestiques et leurs employeuses et employeurs (Destremau & Lautier, 2002,
Borgeaud & Lautier 2011 ; Glenn, 1992). En effet, l’exercice de ce travail dans la sphère privée
(Dussuet, 2004), ainsi que les rapports hiérarchiques de race, de classe et de sexe qui
s’établissent entre celles et ceux qui servent et celles et ceux qui sont servi·e·s (Glenn, 2010),
impliquent des rapports de force asymétriques et peuvent entraîner une intériorisation de la
position de dominé·e, aboutissant à un quasi-ajustement des attentes subjectives aux positions
objectives (Bourdieu, 1980). Ces rapports de force sont d’autant plus exacerbés que la distance
sociale et économique est grande entre les employés·e·s et les employeuses et employeurs, dans
un contexte global de multiplication de nouvelles élites très fortunées (Cousin, Khan & Mears,
2018) qui ont recours à la domesticité (Delpierre, 2019 ; Le Renard, 2019). Dans les
domesticités, la relation de service repose sur des pratiques d’une « économie morale »
(Thompson, 1971) qui nourrissent différentes conceptions de la justice ou du juste travail,
contribuant ainsi à la subordination de l’employé·e à l’employeuse et l’employeur. Ce sont
surtout ces mécanismes d’oppression et de subordination qui ont été mis en évidence par la
littérature produite sur les domesticités, qui s’est particulièrement concentrée sur l’étude des «
global servants » (Parrenas, 2001 ; Hochschild, 2003) migrant du « Sud » vers le « Nord ».
Sans nier l’importance de ces travaux et des approches qu’ils développent, il faut reconnaître
qu’ils ont pour inconvénient de dresser un portrait homogène et souvent misérabiliste des
travailleuses et travailleurs domestiques.
Or, insister sur l’oppression et le statut subalterne de ces employé·e·s n’empêche pas de
regarder les actes de résistance dans les domesticités. L’économie morale de la relation de
service domestique invite elle-même à « envisager la domination sans supposer l’intériorisation
inconditionnelle du consentement » (Siméant, 2010). Plusieurs travaux ont d’ailleurs montré
différentes formes de contestations et de « dissentiment » (Siméant, 2013) au travail domestique
dans des contextes variés (Avril, 2009 ; Boris & Klein, 2012 ; Le petitcorps, 2013 ; Nadasen,
2015). Ce dossier a pour ambition, tout en complétant ces travaux, d’interroger les normes qui
régissent ce travail en marges du salariat classique, en insistant sur la diversité de ces formes
de résistances : formes individuelles et micro-résistances quotidiennes au travail, actions
collectives et mobilisations politiques, ou encore publicisations des conditions de vie et de
travail des employé·e·s domestiques. En regroupant une diversité de cas empiriques, et en
portant attention aux contextes dans lesquels ils se situent (Avril & Cartier, 2019), ce dossier
permettra, par leur comparaison systématique, de mettre en exergue l’hétérogénéité et les
modalités communes aux processus et aux « arts » de la résistance (Scott, 1990). Ces recherches
permettront d’apprécier dans quelle mesure les résistances observées permettent – non pas
seulement une émancipation donnée par telle puissance politique ou syndicale – mais une
autoémancipation des travailleurs et travailleuses.
Les soumissions d’articles s’inscriront dans trois axes d’étude principaux, qui invitent à faire
varier les échelles de contestations :
Axe 1 : Le premier axe propose de saisir les formes individuelles et quotidiennes, non
institutionnelles, de résistances au travail, qui s’établissent dans les interactions entre
employeuses, employeurs et employé·e·s, autrement dit : de faire une anthropologie des
résistances et des discours cachés menaçant l’économie morale du rapport classique de
domesticité. Ces formes individuelles sont par exemple des tentatives de négociations des
conditions de travail, des stratégies cachées en-dehors de l’ordre officiel (Hobsbawm, 1969),
comme le non-respect des horaires de travail, l’appropriation d’espaces interdits de la maison
(Pande, 2012), ou encore le recours au droit et à la justice (Laforge, 2005). Les auteur·e·s sont
invité·e·s à mettre en évidence les différentes formes et modalités de (micro) résistances qui
traversent la relation de service.
Axe 2 : Le second axe interroge les contestations ouvertes et collectives et les façons dont elles
sont historiquement construites. Il s’agit autant d’étudier les façons dont émergent les
mouvements collectifs des travailleuses et travailleurs domestiques, en-dehors ou au sein de
différents types d’institutions et d’organisations locales (Alsheltawy, 2018), que les
mécanismes qui ont permis leur mise à l’agenda des instances gouvernementales nationales et
internationales (Schwenken, 2011 ; Vasselin, 2002 ; Vidal, 2007). On pourra notamment
s’interroger sur les conditions de possibilité de ces mobilisations dites improbables menées par
ceux qui occupent des emplois et un statut du bas de l’échelle sociale et économique, et qui
disposent de peu de ressources pour contester (Avril, 2009 ; Le Petitcorps, 2018).
Axe 3 : Enfin, le troisième axe invite à penser la mise en récit de ces résistances dans la
production littéraire traitant des relations de domesticité. Du fantasme de la « bonne » vicieuse
voire criminelle qui parcourt certaines fictions littéraires anciennes ou contemporaines (Genêt,
1947 ; Slimani, 2016), ou encore cinématographiques, aux témoignages d’employeuses et
d’employeurs, et d’employé·e·s sur leurs vécus de ces relations, il s’agit de penser les façons
dont sont imaginées, construites et publicisées ces relations : chez les employeuses et les
employeurs, la peur du bouleversement de l’ordre établi et de la vengeance, chez les
employé·e·s, la mise à l’écriture comme acte de dénonciation (Lecher, 2016).
Les auteur·e·s des textes sont invité·e·s, de façon transversale à ces axes, à réfléchir aux effets
socio-biographiques (Filleule, 2001) de ces diverses mobilisations et résistances sur les
trajectoires et les différentes sphères (familiales, conjugales) de vie des employé·e·s
(Alsheltway, 2019). Le dossier fera varier les terrains, les contextes géographiques et les formes
de domesticités, dans la perspective de saisir leurs traits communs tout en insistant sur la
pluralité des résistances, inscrites dans différentes histoires nationales.
Calendrier :
Les propositions (1 page) sont à envoyer aux coordinatrices du dossier au plus tard le 30 août
2019 aux deux adresses suivantes : ranime.alsheltawy@dauphine.psl.eu et
alizee.delpierre@sciencespo.fr.
Les auteur.e.s des propositions retenues enverront leur article complet au plus tard le 1er avril
2020, pour une publication au printemps 2021.
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                         Small and big resistances in domesticities
The literature on domesticities often emphasizes the mechanisms of subordination and
structural domination that characterize service relationships between domestic workers and
their employers (Destremau & Lautier, 2002, Borgeaud & Lautier 2011; Glenn, 1992). Indeed,
the private sphere into which this work occurs (Dussuet, 2004), as well as the hierarchical
relationships of race, class and sex that are established between those who serve and those who
are served (Glenn, 2010), imply asymmetrical power relations and can lead to an internalization
of the position of dominance, leading to a quasi-adjustment of subjective expectations to
objective positions (Bourdieu, 1980). They are exacerbated by the huge social and economic
distance between employees and employers, in a global context of multiplication of new and
very wealthy elites (Cousin, Khan & Mears, 2018) who hire domestic workers (Delpierre, 2019;
Le Renard, 2019). In domesticities, the service relationship is based on a « moral economy »
(Thompson, 1971) that normalizes the subordination of the employee to the employer. The
mechanisms of oppression and subordination have been highlighted by the literature on
domesticities, which has particularly focused on the study of "global servants" (Parrenas, 2001;
Hochschild, 2003) migrating from the "South" to the "North". Without denying the importance
of this work and the approaches they develop; we regret they portray a homogeneous and often
miserable picture of domestic workers.
However, insisting on the oppression and subordinate status of these employees does not
prevent us from looking at acts of resistance in domesticities. The « moral economy » of the
domestic service relationship itself invites us to "consider domination without assuming the
unconditional internalization of consent" (Siméant, 2010). Several studies have shown different
forms of contestation and "dissent" (Siméant, 2013) at work in various contexts (Avril, 2009;
Boris & Klein, 2012; Le petitcorps, 2013; Nadasen, 2015). The aim of this call for papers is to
complete this work, and to question the norms that govern domesticity, on the margins of
traditional wage labor, by insisting on the diversity of these forms of resistance: individual
forms and daily micro-resistance to work, collective actions and political mobilizations, or even
publicizations of the living and working conditions of domestic employees. By bringing
together a diversity of empirical cases, by paying attention to the contexts in which they are
situated (Avril & Cartier, 2019), and through their systematic comparison, we aim to highlight
both the heterogeneity and the common modalities to the "arts of resistance" (Scott, 1990) and
the process of empowerment.
Paper submissions will focus on the three following main areas of study, which invite to vary
the scales of analysis:
Axis 1: The first axis proposes to grasp the individual and daily, non-institutional forms of
resistance to work, which are established in the interactions between employers and employees,
in other words: to make an anthropology of resistance and hidden discourses challenging the
« moral economy » of the classic relationship of domesticity. These individual forms include
attempts to negotiate working conditions, hidden strategies outside the official order
(Hobsbawm, 1969), such as non-compliance with working hours, appropriation of prohibited
home spaces (Pande, 2012), or recourse to law and justice (Laforge, 2005). The proposals that
fall within this axis are invited to highlight the different forms and modalities of (micro)
resistance that cross the service relationship.
Axis 2: The second axis questions open and collective conflicts and the ways they are
historically constructed. The aim is to study how the collective movements of domestic workers
emerge, outside or within different types of local institutions and organizations (Alsheltawy,
2018) as well as the mechanisms that have enabled them to be put on the agenda in national and
international governmental bodies (Schwenken, 2011; Vasselin, 2002; Vidal, 2007). In
particular, we may wonder about the conditions of possibility of these so-called improbable
mobilizations led by those who hold jobs and status at the bottom of the social and economic
ladder, having few resources to contest (Avril, 2009; Le Petitcorps, 2018).
Axis 3: Finally, the third axis invites us to think about the narrative of these resistances in literary
production dealing with domestic relationships. From the fantasy of the "good" vicious or even
criminal "good" that runs through certain old or contemporary literary fictions (Genêt, 1947;
Slimani, 2016), or cinematographic fictions, to the testimonies of employers and employees on
their experiences of these relationships, it is a invitation to think about the ways in which these
relationships are imagined, constructed and publicized: among employers, the fear of the
disruption of the established order and of vengeance ; among employees, writing as an act of
denunciation (Lecher, 2016).
The authors of the texts are invited, in a transversal way, to insist on the socio-biographical
effects (Filleule, 2001) of these various mobilizations and resistances on the trajectories and the
different spheres (family, conjugal) of life of the employees (Alsheltway, 2019). The corpus
selected will vary the fields, geographical contexts, and forms of domesticities, so as to catch
their common features while insisting on the plurality of resistances, occurring in different
national histories.
Calendar:
Proposals (1 page) should be sent to the two coordinators of the corpus by the 30th of August
2019 to the following two addresses:
ranime.alsheltawy@dauphine.psl.eu
alizee.delpierre@sciencespo.fr.

The authors of the selected proposals will send their full papers by the 1st of April 2020, for a
publication in spring 2021.
Though the abstract may be written in English, as well as the paper submitted for peer review,
the final article will be published in French. The translation from English to French falls to each
author.
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Références bibliographiques :

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