Place du Kinésithérapeute en santé au travail dans la prévention des troubles musculosquelettiques et des risques psychosociaux
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IFPEK, Institut de Formation en Pédicure-podologie, Ergothérapie et Masso-kinésithérapie 12 rue Jean-Louis Bertrand, 35 000 RENNES Place du Kinésithérapeute en santé au travail dans la prévention des troubles musculosquelettiques et des risques psychosociaux Mathilde AUREAL Méthode d’Initiation à la Recherche en Masso-kinésithérapie Formation en Masso-kinésithérapie Sous la direction de : Matthieu SAINT-CAST Promotion 2017-2021 Session juin 2021
PRÉFET DE LA RÉGION BRETAGNE DIRECTION REGIONALE DE LA JEUNESSE, DES SPORTS ET DE LA COHÉSION SOCIALE Pôle formation-certification-métier ATTESTATION SUR L’HONNEUR, FRAUDES ET PLAGIAT, CODE DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE Diplôme d’Etat de Masseur-kinésithérapeute Travaux de fin d’études : Place du kinésithérapeute en santé au travail dans la prévention des troubles musculosquelettiques et des risques psychosociaux Page à insérer par l’étudiant après la 1 ère page de couverture de son travail de fin d’études Conformément à l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle du 3 juillet 1992 : « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». J’atteste sur l’honneur que la rédaction des travaux de fin d’études, réalisée en vue de l’obtention du diplôme d’Etat de Masseur-kinésithérapeute est uniquement la transcription de mes réflexions et de mon travail personnel. Et, si pour mon argumentation, je copie, j’emprunte un extrait, une partie ou la totalité de pages d’un texte, je certifie avoir précisé les sources bibliographiques. Le 28/02/2020 Signature de l’étudiant : Fraudes aux examens : CODE PENAL, TITRE IV DES ATTEINTES A LA CONFIANCE PUBLIQUE CHAPITRE PREMIER : DES FAUX Art. 441-1 : Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques. Le faux et l’usage de faux sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Loi du 23 décembre 1901, réprimant les fraudes dans les examens et concours publics. Art. 1er : Toute fraude commise dans les examens et les concours publics qui ont pour objet l’entrée dans une administration publique ou l’acquisition d’un diplôme délivré par l’Etat constitue un délit.
NOM : AUREAL Prénom : Mathilde Titre : Place du kinésithérapeute en santé au travail ABSTRACT Background: Musculoskeletal disorders (MsDs) are the major cause of occupational illnesses in France. We will see that psychosocial risks (PSR) influence their occurrence and persistence. To avoid this, preventive actions are carried out in the workplace by healthcare professional such as physiotherapist (PT). The purpose of this study is to know what the place of PT is in occupational health, and to identify how he implements preventive actions in the workplace. Methods: This research is a qualitative study with semi-structured interviews of six PTs working in Metropolitan France. A total of 232 minutes of interview were collected. Results: The PT has the necessary skills to carry out prevention in workplace such as skills in health education, in training, in entertainment. Also, he has competences on the body and on the movement, which will have a both action: on the physical risk and on the psychosocial risk. Conclusion: The physiotherapist must work with other professionals and he must show his expertise to others in the final aim to include the team of intern healthcare professionals at work. RESUME Introduction : Les troubles musculosquelettiques (TMS) représentent la première maladie à caractère professionnel en France. Nous verrons dans ce dossier de recherche que les risques psychosociaux (RPS) influencent leur survenue et leur persistance. Pour éviter ces risques, des actions de prévention sont effectuées sur le lieu de travail par différents acteurs de santé dont le kinésithérapeute. L’objectif de cette étude est de connaitre la place du kinésithérapeute en santé au travail et d’identifier par quels moyens met-il en place des actions de prévention en entreprise. Méthode : La méthode d’analyse qualitative par entretien semi-directif a été choisie. Six kinésithérapeutes préventeurs exerçant en France métropolitaine ont été interrogés. Un total de 232 minutes d’entretien a été récolté. Résultats : Le MK préventeur a besoin de nombreuses compétences pour exercer en entreprise telles que des compétences de formateur, d’animateur, et des connaissances sur le corps et sur le mouvement. Son action permet d’avoir un impact biopsychosocial, tout en travaillant en pluriprofessionnalité avec les autres acteurs de santé en entreprise. Conclusion : De nombreux acteurs interviennent en santé au travail et connaissent peu le kinésithérapeute préventeur. Celui-ci doit alors mieux communiquer sur ses actions et travailler davantage en pluriprofessionnalité pour pouvoir être intégrer au monde de l’entreprise. KEYWORDS: primary care; musculoskeletal disorders (MsDs); psychosocial risks (PSR); health at work. MOTS CLES : prévention ; troubles musculosquelettiques (TMS) ; risques psychosociaux (RPS) ; santé au travail. INSTITUT DE FORMATION EN MASSO-KINESITHERAPIE 12 rue Jean Louis Bertrand, 35000 Rennes MEMOIRE D’INITIATION A LA RECHERCHE EN MASSO-KINESITHERAPIE Promotion 2017-2021
Remerciements Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont soutenue et aidée de près ou de loin dans ce projet. Tout d’abord, je tiens à remercier mon directeur de mémoire, Matthieu Saint-Cast. Merci de m’avoir guidée tout au long de la construction de ce dossier de recherche. Aussi, je tiens particulièrement à remercier Céline Sanchez, sans qui ce projet n’aurait pas eu lieu. Merci de m’avoir ouvert les portes de l’association « Kiné Ouest Prévention ». Merci également aux six kinésithérapeutes préventeurs interrogés. Merci à eux de m’avoir fait partager leurs expériences enrichissantes et de m’avoir montrée une nouvelle facette de notre métier de kinésithérapeute. Plus personnellement, merci à ma famille et à mon amour Guillaume, de m’avoir soutenue depuis le début de ces années d’étude. Merci d’avoir cru en moi lors de l’année du concours d'entrée à l’IFMK. Un grand merci particulièrement à ma maman, pour son soutien sans faille et pour ses nombreuses relectures et corrections effectuées durant ces deux années de réalisation du mémoire. Enfin, merci à mes amis pour ces quatre belles années d’étude passées à leurs côtés. La situation sanitaire de 2021 n’est pas celle que nous avions tant espérée, mais pas de nostalgie car de nouvelles aventures nous attendent très prochainement ensemble.
Table des matières Introduction .................................................................................................................................1 1. Cadre théorique : Exploration dans la littérature .................................................................2 La place de la santé dans le monde de l’entreprise ......................................................2 1.1.1. Bref historique ......................................................................................................2 1.1.2. Et le rôle de l’employeur dans tout ça ? ...............................................................3 Troubles musculosquelettiques et risques psychosociaux quelle relation ? ................4 1.2.1. Les troubles musculosquelettiques liés au travail ................................................4 1.2.2. L’influence du psychosocial sur les troubles musculosquelettiques .....................7 1.2.3. Lien entre RPS et TMS ..........................................................................................9 1.2.4. Exemple de la lombalgie commune ....................................................................11 La prévention : « mieux vaut prévenir que guérir » ...................................................13 1.3.1. Définitions et concepts .......................................................................................13 1.3.2. Un enjeu à différentes échelles ..........................................................................14 1.3.3. Mise en place d’une action de prévention .........................................................17 2. Problématisation ................................................................................................................24 3. Cadre méthodologique.......................................................................................................26 Choix de l’approche et de l'outil d’investigation ........................................................26 Les étapes de la méthodologie de l’entretien ............................................................27 3.2.1. Etape 1 : Partie préalable au terrain ...................................................................27 3.2.2. Etape 2 : Entretien pré-test et validation du guide d’entretien ..........................30 3.2.3. Etape 3 : Réalisation des entretiens ...................................................................31 3.2.4. Etape 4 : Traitement et analyse des données .....................................................31 4. Résultats.............................................................................................................................33 Sujets de l’étude .........................................................................................................33 4.1.1. Présentation de l’échantillon ..............................................................................33 4.1.2. Présentation générale des sujets ........................................................................34 Résultats bruts............................................................................................................34 4.2.1. Retranscription des données ..............................................................................34 4.2.2. Création de la grille d’analyse.............................................................................35 4.2.3. Catégorisation des données ...............................................................................36 4.2.4. Mise en lien des différents entretiens ................................................................36 5. Analyse thématique ...........................................................................................................37 Les différents acteurs de prévention et leurs objectifs ..............................................37
5.1.1. Les dirigeants de l’entreprise..............................................................................37 5.1.2. Le préventeur .....................................................................................................38 5.1.3. Les salariés..........................................................................................................39 La mise en place d’une action de prévention .............................................................39 5.2.1. Population rencontrée et type de pathologie ....................................................39 5.2.2. Les différents types d’action ...............................................................................40 5.2.3. Les différentes étapes d’une formation .............................................................41 Place du kiné en santé au travail ................................................................................45 5.3.1. Rôle du kinésithérapeute préventeur en formation ...........................................45 5.3.2. Place du kinésithérapeute préventeur lors d’une problématique de risque psychosocial .......................................................................................................................45 5.3.3. Prérequis du kinésithérapeute ...........................................................................46 La pluriprofessionnalité ..............................................................................................48 Apports personnels de la prévention .........................................................................49 Points d’améliorations dans la prévention .................................................................50 5.6.1. Amélioration d’un point de vue de la kinésithérapie ..........................................51 5.6.2. Amélioration d’un point de vue de la santé au travail ........................................51 6. Discussion...........................................................................................................................53 Interprétation des résultats et réponse à la problématique ......................................53 Limites de l’étude et points d’amélioration ................................................................57 6.2.1. Première expérience dans le monde de la recherche.........................................57 6.2.2. Les biais ..............................................................................................................58 6.2.3. Points d’amélioration .........................................................................................60 Ouverture ...................................................................................................................61 Conclusion..................................................................................................................................62 Bibliographie ..............................................................................................................................63 Annexes......................................................................................................................................70
Table des abréviations ANACT : Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail DARES : Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques DUERP : Document unique d’évaluation des risques professionnels HAS : Haute autorité de santé INRS : Institut national de recherche et de sécurité INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques IPRP : Intervenant en prévention des risques professionnels MK : Masseur-kinésithérapeute TMS : Troubles musculosquelettiques RPS : Risques psychosociaux RPSO : Risques psychosociaux organisationnels
Table des tableaux Tableau 1 : Présentation de l'échantillon ...................................................................................33 Tableau 2 : Présentation générale des sujets .............................................................................34 Tableau 3 : Grille d'analyse ........................................................................................................35 Tableau 4 : Extrait du tableau de la classification des éléments récoltés lors des entretiens (Cf Annexe V) ...................................................................................................................................36 Table des figures Figure 1 : Evolution des symptômes d’un TMS (ASSURANCE MALADIE, 2020a) ..........................5 Figure 2 : Modèle de la dynamique d’apparition d’un TMS (INRS, 2019) .....................................5 Figure 3 : Modèle organisationnel des situations génératrices de TMS selon l’ANACT (ROQUELAURE, 2018).................................................................................................................10 Figure 4 : Mode d'accès à l'échantillon (schéma personnel) ......................................................28
Introduction « Un français sur deux souffre actuellement d’une douleur » et parmi ces douleurs, le mal de dos est « la douleur la plus ressentie », soit 67% des Français (CSA POUR SANOFI, 2014). Le mal de dos fait partie du groupe des troubles musculosquelettiques. Nous verrons dans ce dossier de recherche la prévalence de ces troubles dans le monde du travail. Depuis quelques années, les recherches médicales ont vu naitre la place du psychosocial. Le modèle purement biomédical auparavant utilisé, n’est plus d’actualité. A présent nous parlons de modèle biopsychosocial pour aborder la douleur. Nous retrouvons cette influence du psychosocial dans notre vie quotidienne. Qui n’a jamais pensé que notre posture pouvait influencer notre mal de dos ? Qui n’a pas plié les genoux pour ramasser un objet au sol de « peur » de se faire mal ? Qui encore, n’a jamais entendu l’expression « j’en ai plein le dos » ? Ces croyances font parties de notre vie quotidienne et influence la survenue de douleurs. Pour les éviter et pour diminuer l’incidence des troubles musculosquelettiques et des troubles psychosociaux, des mesures de prévention ont vu le jour, et cela tant à l’échelle nationale que locale. Ces mesures sont présentes dans le monde de l’entreprise et impliquent de nombreux acteurs de santé dont le masseur- kinésithérapeute. Les actions de prévention, sont en constante augmentation dans les démarches de soins et se définissent comme étant l’avenir du système de santé en donnant « aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci » (OMS, 1986). Ce travail de recherche vise à répondre à la question suivante : Quelles sont les compétences du masseur-kinésithérapeute pour mettre en place une action de prévention dans le milieu professionnel ? Pour tenter d’y répondre, la première partie de ce document est composé d’une revue de la littérature à ce sujet, ainsi que la présentation des principaux termes abordés. Ensuite, les résultats d’une enquête exploratoire par entretiens semi-directifs auprès de kinésithérapeutes préventeurs ont été exposés. Ceux-ci tendraient à dire que les compétences du kinésithérapeute préventeurs auraient une double action, tant sur le plan physique que sur le plan psychosocial. 1
1. Cadre théorique : Exploration dans la littérature La place de la santé dans le monde de l’entreprise 1.1.1. Bref historique Aujourd’hui, la santé fait partie des principales préoccupations du monde de l’entreprise et de nombreuses lois existent à ce sujet. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas. Voici les différents éléments, marquants de l’histoire de la santé au travail, qui ont permis de faire naitre notre système de santé actuel en entreprise (JORF, 2001). Au XIXème siècle, la santé ne faisait pas partie intégrante du travail : - Loi du 09 avril 1898 : loi établissant le principe de la responsabilité de l’employeur en cas d’accident du travail. - 1906 : Création du Ministère du travail. - Loi du 28 décembre 1910 : Création du livre I du Code du travail. - 27 octobre 1919 : Création du tableau n°1 de maladie professionnelle : affections dues au plomb et à ses composés. En 2020, il existe à présent 100 tableaux pour le régime générale et 60 pour le régime agricole (INRS, 2020a). Au XXème siècle, les préoccupations en santé au travail se firent de plus en plus et de nouvelles structures et organismes ont été créés : - 7 et 8 juin 1936 : Accords de Matignon : Naissance d’organisations syndicales ; protection des salariés ; corrélation entre le travail et la santé. - 4 octobre 1945 : Création de la sécurité sociale. - Loi du 11 octobre 1946 : Création obligatoire des services médicaux du travail. - 1er août 1947 : Décret instituant les comités d’hygiène et de sécurité. - 27 décembre 1973 : Loi relative à l’amélioration des conditions de travail et création de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT). De 2000 à aujourd’hui, les différentes lois en santé au travail ont continué et continuent encore d’évoluer : - 2001 : L’évaluation des risques devient obligatoire avec la création d’un document unique d’évaluation des risques professionnels. - Loi 17 janvier 2002 : Loi de modernisation sociale : Obligation de pluridisciplinarité, approche globale de la prévention des risques professionnels. - Décret du 24 juin 2003 : Création du statut d’Intervenants en Prévention des Risques Professionnels (IPRP). - Juillet 2011 : Réforme des services de santé au travail. 2
- 2016-2020 : Troisième plan de santé au travail. - A venir en 2021 : Quatrième plan de santé au travail. 1.1.2. Et le rôle de l’employeur dans tout ça ? Les réformes et lois sur la santé au travail ne cessent d’évoluer dans le but de garantir aux salariés une sécurité et une meilleure maitrise de leur santé. L’employeur doit respecter certaines conditions pour le bien-être de ses salariés. Ses obligations ont été renforcées depuis un décret du 05 novembre 2001, à présent l’employeur a pour obligation d’évaluer les risques professionnels. Ce décret a fait l’objet d’un article, l’art. R. 230-1 énonçant que « l’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la sécurité et la santé des travailleurs (…). Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement » (JORF, 2001). Ce Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP) doit comporter tous les risques dont les employés peuvent être confrontés. Cela va des risques physiques, aux risques mentaux, environnementaux, biologiques, chimiques etc. L’employeur a également obligation d’inscrire dans ce DUERP les moyens et mesures mis en œuvre pour faire face à ces risques. Ce document doit être mis à jour chaque année (INRS, 2020b). Cependant, les obligations patronales dépassent le simple fait d’informer le salarié sur les risques auxquels il peut être confronté. L’employeur doit garantir au salarié le « pouvoir d’agir » sur sa santé. Cette notion est abordée par Yves Clot, psychologue du travail. Il note l’importance pour le salarié d’avoir une identité de travail et de s’accomplir dans son travail. Selon lui, pour avoir des salariés en bonne santé il faut « soigner le travail plutôt que de soigner les gens » (CLOT, 2016). L’entreprise a donc un rôle de communication et d’implication des salariés au sein de l’entreprise. En effet, plus l’information circule entre les différents acteurs de l’entreprise, plus les personnes sont productives, motivées, satisfaites de leur travail et plus le travail est efficace. Le critère de santé des salariés est donc une source de performance de l’entreprise. Nous retrouvons ces idées dans le livre « l’Etablis » de Robert Linhart qui raconte la vie et les difficultés d’un jeune salarié de l’entreprise Citroën. Dans ce livre, on remarque dès les premières lignes, la forte appartenance du salarié à son entreprise, son acharnement et sa motivation à effectuer les tâches qui lui ont été demandées. Pourtant, on remarque également dans ce livre la dévalorisation des salariés par rapport aux supérieurs. Crainte, peur, sentiment d’infériorité, menace de perte d’emploi, sont le quotidien des travailleurs à la chaine des années soixante-dix : « Les milles façons de vous répéter à chaque instant de la journée que vous n’êtes rien. Moins qu’un accessoire de voiture, moins qu’un crochet de chaine. Rien. » (LINHART, 1978). Nous découvrons dans cet 3
ouvrage la ténacité et la rébellion des travailleurs à la chaine de cette époque. Ce livre nous révèle donc toute la complexité du monde du travail et ses difficultés relationnelles et hiérarchiques. Depuis des décennies, les lois en matière de santé au travail évoluent. Cette évolution s’est effectuée dans un environnement bien spécifique : le monde de l’entreprise. Ce monde où une hiérarchie est présente, où les salariés tentent de trouver leur place, leur identité de travail. Progressivement, la santé y prend place laissant de plus en plus aux salariés du pouvoir d’agir et de la maitrise sur leur propre santé. Nous verrons dans le chapitre suivant, l’exemple de maladies professionnelles bien identifiées : les troubles musculosquelettiques et les troubles psychosociaux. Nous verrons également le lien étroit existant entre ses deux troubles et leur prédominance dans le monde du travail. Troubles musculosquelettiques et risques psychosociaux quelle relation ? 1.2.1. Les troubles musculosquelettiques liés au travail En abordant le thème de la santé au travail, il est incontournable d’introduire les troubles musculosquelettiques (TMS). En effet, les TMS sont présents dans le monde du travail et constituent la première maladie à caractère professionnel en France avec plus de 42000 cas, soit 87% des maladies professionnelles en 2017 (SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, 2020a). Les TMS englobent les pathologies de l’appareil locomoteur et touchent principalement les structures autour des articulations telles que les muscles, les tendons, les ligaments, les nerfs, etc. Les zones anatomiques les plus touchées sont les mains, les poignets et les doigts (37%) avec une prédominance pour la pathologie du canal carpien. Les autres parties du corps touchées sont les épaules (31%), les coudes (22%), et le rachis (7%) (SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, 2020b). La douleur est la manifestation clinique la plus ressentie. Son intensité et sa durée dépendent du stade d’évolution de la pathologie. L’Assurance Maladie décrit trois stades d’évolution des TMS (ASSURANCE MALADIE, 2020a) : - Le stade initial : lorsque les douleurs se manifestent et sont accompagnées d’une perte de mobilité et de force uniquement durant l’activité. - Le stade intermédiaire : lorsque les douleurs et la gêne fonctionnelle apparaissent de plus en plus tôt lors de l’activité et persistent au repos. - Le stade dit « pathologique » : lorsque les signes cliniques engendrent une incapacité à réaliser son travail 4
Figure 1 : Evolution des symptômes d’un TMS (ASSURANCE MALADIE, 2020a)1 Ce schéma nous indique qu’un TMS évolue de façon progressive dans le temps en fonction des contraintes exercées sur l’individu qu’elles soient physiques, psychosociales ou organisationnelles (Cf origine des TMS). Ses contraintes vont avoir un impact sur l’individu et également sur l’entreprise. Cela va engendrer des arrêts de travail et à terme des problèmes de reclassement et un handicap fonctionnel et social pour l’individu. Figure 2 : Modèle de la dynamique d’apparition d’un TMS (INRS, 2019)2 1 https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/tms/symptomes-diagnostic [Consulté le 26/10/2020] 2 https://www.inrs.fr/risques/tms-troubles-musculosquelettiques/ce-qu-il-faut-retenir.html [Consulté le 18/03/2020] 5
Les origines de la survenue des TMS sont multifactorielles. L’INRS souligne quatre catégories de facteurs de risque (INRS, 2019) : - Les facteurs biomécaniques tels que la répétition de gestes, les efforts excessifs, les postures inconfortables maintenues durant de longues périodes, l’exposition aux vibrations ou au froid, etc. - Les facteurs psychosociaux tels que la charge de travail excessive, la forte pression temporelle, le manque d’autocontrôle sur le travail ou encore de mauvaises relations au travail (Cf 1.2.2). - Les facteurs organisationnels tels que le manque de pauses ou d’alternance entre des tâches demandant plus ou moins de sollicitations. - Les facteurs individuels liés aux caractéristiques intrinsèques des individus tels que l’âge, le genre, ou encore l’état de santé. Un point important à noter est que selon certaines études, notamment celle de MESSING en 2011, la relation entre la survenue de TMS et les facteurs individuels est confuse. Par exemple, la prévalence de TMS plus élevée chez les femmes que chez les hommes, serait due à la différence d’exposition aux contraintes selon le genre. Les femmes effectueraient un travail plus sédentaire, avec moins d’autonomie et moins de prise de décision ce qui augmente le risque de survenue d’un TMS (MESSING, 2011). De même pour l’âge des individus, nous pouvons penser au premier abord que les personnes plus âgées sont plus à risques de présenter un TMS. Des études montrent le contraire, en évoquant que les personnes plus jeunes effectuent dans leur travail des tâches plus pénibles et donc plus à risque (PAILHÉ, 2004). De ce fait, la corrélation entre le genre ou l’âge avec la survenue d’un TMS est discutable. Nous devons évaluer ces risques en terme de contrainte de l’activité de travail plutôt qu’en terme de facteurs personnels (ROQUELAURE, 2018). Aussi, l’estimation du nombre de personnes ayant des troubles musculosquelettiques en France peut remonter à la hausse. Selon santé publique France, il existe 53 à 73 % de sous-déclaration des TMS en matière de maladie professionnelle (SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, 2020a). De plus, ces risques pris isolément, sont peu significatifs. C’est la combinaison de plusieurs facteurs qui augmente le risque de déclencher un TMS. Nous allons à présent nous intéresser à l’un de ces facteurs : les facteurs psychosociaux. Nous verrons en quoi et comment les facteurs psychosociaux sont liés à la survenue d’un trouble musculosquelettique. 6
1.2.2. L’influence du psychosocial sur les troubles musculosquelettiques 1.2.2.1. Principal facteur de risque de récidive et de chronicisation Les risques psychosociaux (RPS), ont une définition complexe et comprennent de nombreux indicateurs. Il est donc indispensable de bien les définir et de prendre en compte tous ses aspects pour pouvoir y faire face. Ils se définissent comme étant l’ensemble des souffrances psychiques d’un individu. Ils peuvent être présents dans toutes les activités sociales d’un individu mais sont plus proéminents au travail. Le travail peut procurer du plaisir, de la satisfaction et de la reconnaissance. Il peut être bénéfique et permet de maintenir un équilibre social et économique. Cependant, il peut également être une source de stress, de conflit et avoir des effets néfastes sur la santé. Les RPS se situent à la jonction entre l’individu et sa situation de travail. (MINISTÈRE DU TRAVAIL, 2018). La France n’en est pas épargnée, bien au contraire. Elle représente le pays Européen qui reconnait le plus de syndrome d’épuisement professionnel, et cela ne cesse d’augmenter. Selon une enquête de l’Assurance Maladie en 2016, la demande de reconnaissance des troubles psychosociaux était trois fois plus élevée qu’en 2011 (ASSURANCE MALADIE, 2016). Aussi, dans la définition du terme « risque psychosocial », la notion de risque n’est pas synonyme de menace ou de danger. L’Occupational Health and Safety Assessment Serie (OHSAS) définit le risque comme étant « la combinaison de la probabilité et de la (des) conséquence(s) de la survenue d’un évènement dangereux spécifié ». Autrement dit, c’est la possibilité qu’un évènement ou une situation entraine des conséquences néfastes sur la santé (MACHADO, 2015). Un seul facteur de risque ne permet donc pas d’émettre cette hypothèse, mais bien l’association de plusieurs facteurs. Ensuite, les compétences psychosociales désignent selon l’OMS « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne (…) et à maintenir un état de bien-être subjectif qui lui permet d’adopter un comportement approprié et positif à l’occasion d’interactions avec les autres, sa culture et son environnement » (SANTÉ PUBLIQUE FRANCE, 2018). De plus, nous avons vu précédemment que les RPS ne sont pas causés uniquement pas des facteurs individuels. C’est pourquoi, certains auteurs tel que Tony MACHADO, évoque le terme de risque psycho-socio- organisationnel (RPSO) au lieu de RPS. Il définit les RPSO comme étant « la combinaison, d’une part de la probabilité qu’un déséquilibre du système psycho-socio-organisationnel ait lieu, d’autre part de la gravité des conséquences associées, mettant en jeu l’intégrité physique, la santé mentale des salariés ainsi que le bon fonctionnement de l’entreprise » (MACHADO, 2015). Le fait 7
d’ajouter la cause organisationnelle aux RPS signale d’autant plus la responsabilité de l’entreprise. Pour permettre de mieux identifier ces risques, une simple définition est insuffisante. C’est pourquoi de nombreux organismes ont élaborés des classifications, dans le but de définir si oui ou non une personne est à risque de déclencher un TMS. 1.2.2.2. Classification des risques psychosociaux L’HAS décrit dans son rapport de 2019 sur les recommandations de la lombalgie, trois classifications de risques psychosociaux : les drapeaux jaunes, bleus et noirs (Cf Annexe I). Les drapeaux jaunes sont des « indicateurs psychosociaux d’un risque accru de passage à la chronicité » (HAS, 2019a). Ensuite, certains facteurs de risque ont été spécifiquement définis pour le monde du travail. Les drapeaux bleus représentent les facteurs de pronostic liés aux représentations perçues du travail et de l’environnement par le travailleur, et les drapeaux noirs sont des facteurs pronostics liés à la politique de l’entreprise, au système de soins et d’assurance. Selon l’HAS, ces drapeaux « doivent être recherchés en cas d’arrêts de travail répétés ou prolongés au-delà de quatre semaines » (HAS, 2019a). L’Institut Nationale de Recherche et de Sécurité (INRS), quant à elle, définit les RPS au travail selon trois catégories : des situations de stress, des violences internes commises par des salariés (conflits, harcèlement moral ou sexuel…) et des violences externes commises par des personnes externes à l’entreprise (insultes, menaces agressions…) (INRS, 2020c). Enfin, le collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail définit les RPS comme « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». Ils décidèrent de repartir les risques psychosociaux en six catégories : 1. L’intensité et le temps de travail : Cette catégorie regroupe l’intensité, la complexité au travail et l’organisation du temps de travail telles que des contraintes de rythmes, des horaires atypiques, l’imprévisibilité des horaires de travail et la conciliation travail-hors travail. 2. Les exigences émotionnelles : Cette catégorie concerne en particulier les métiers de services ayant des relations avec un public. Elle présente la capacité de l’individu de « maitriser » ses propres émotions en affichant seulement les émotions positives. 8
3. Le manque d’autonomie : Cette catégorie renvoie directement à la possibilité du salarié d’être acteur de son travail et sa possibilité à pouvoir anticiper ses actions. Elle concerne particulièrement les personnes devant effectuer des tâches répétitives et monotones. 4. Des rapports sociaux dégradés : Cette catégorie intègre les relations entre collègues ou entre la hiérarchie, les perspectives de carrière et les violences internes. 5. Des conflits de valeurs : Cette catégorie désigne la différence entre les valeurs de l’individu et les valeurs de l’entreprise. Par exemple effectuer un travail que l’on considère comme inutile. 6. Insécurité de la situation de travail : Cette catégorie fait référence à la sécurité de l’emploi ou du salaire et également le risque de changement non maitrisé de la tâche et des conditions de travail (GOLLAC et al., 2011). 1.2.3. Lien entre RPS et TMS Des données dans la littérature actuelle montrent une étroite relation entre les risques psychosociaux et les troubles musculosquelettiques. Ce lien est justifié par la présence du modèle biopsychosociale. C’est en 1987 que Waddell exposa pour la première fois, le modèle biopsychosocial de la douleur. Il s’opposa à la théorie du modèle biomédical et insista sur la prise en charge du patient dans sa globalité en prenant en compte les aspects physiques, psychologiques et sociaux. Ainsi, selon WADDELL, les comportements douloureux dérivent de facteurs internes (physiologiques et cognitifs) et sont influencés par les facteurs externes (environnementaux) (WADDELL, 1987). Par la suite, de nombreux auteurs étudièrent le modèle biopsychosocial (BPS) et prouvèrent ses bienfaits en comparaison avec le modèle biomédical. C’est le cas de O’SULLIVAN Peter, qui dans un article de 2012, démontra que seulement 8 à 15% des patients ayant une lombalgie commune présentent un diagnostic de dysfonctionnement anatomique et structurel. (O’SULLIVAN, 2012). La douleur est alors influencée par les émotions, les croyances, les expériences personnelles du patient. Ses croyances peuvent également être influencées par les croyances des personnes de son entourage (famille, amis, professionnels de santé). Les TMS confrontent les salariés à l’expérience de la douleur au travail. Si nous reprenons la définition officielle de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP), « la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans ces termes » (INSERM, 2016). L’approche d’un TMS et plus précisément de la douleur engendrée par un TMS se fait dans une approche globale impliquant le biomédical, le psychosocial et l’individu. Une enquête Québécoise auprès de 2 244 000 travailleurs, estima que près de 63% des travailleurs québécois ressentent des douleurs musculosquelettiques au cours des douze mois précédents l’enquête en 2008 avec 38,4% au 9
niveau de la région du dos. Cette enquête identifia différents facteurs de risques et notamment de contrainte physiques associées à des tensions au travail et un faible soutien au travail. Dans cette enquête, un tiers des hommes déclarent être exposés à la fois à au moins quatre contraintes physiques et à de la tension au travail ou à un faible soutien au travail ou à des situations de tension avec le public contre 25% des hommes déclarant être exposés à « seulement des contraintes physiques au travail » (VÉZINA et ARCAND, 2011). Figure 3 : Modèle organisationnel des situations génératrices de TMS selon l’ANACT (ROQUELAURE, 2018)3 Dans ce modèle organisationnel des situations génératrices de TMS, BOURGEOIS et ses collaborateurs exposent le fait que « les contraintes biomécaniques auxquelles le travailleur est confronté pour réaliser sa tâche sont déterminées par les conditions matérielles et organisationnelles de la tâche qui dépendent d’un faisceau de contraintes organisationnelles de l’entreprise, lesquelles s’inscrivent à leur tour dans la réalité socio-économique de l’entreprise et du territoire » (ROQUELAURE, 2018). L’approche biopsychosociale demande donc de la part de l’individu une modification de ses idées reçues et de ses représentations. Le masseur- kinésithérapeute doit s’appuyer sur ce modèle en abordant une partie biomédicale s’intéressant à la fonction, et une autre partie psychosociale permettant de repérer et identifier les facteurs de RPS de la personne, ses croyances et ses craintes envers le mal de dos (ROUSSEAU et BACELON, 2017). Aussi, une revue systématique de 2012, identifia dix-sept articles affirmant le fait que les croyances des professionnels de santé influencent considérablement celles du patient. De ce fait, si le soignant a des croyances négatives, le patient a un fort risque de percevoir 3 https://www.etui.org/sites/default/files/FR-Rapport-142-roquelaure-WEB.pdf [Consulté le 22/10/2020] 10
ces mêmes croyances (DARLOW et al., 2012). Autrement dit, un discours inapproprié du kinésithérapeute peut renforcer ou induire des croyances délétères chez son patient et augmenter le risque de passage à la chronicité de la lombalgie par exemple. A l’inverse, si celui-ci a un discours rassurant et basé sur le modèle biopsychosocial, avec du vocabulaire simple et compréhensif pour le patient, le thérapeute met toutes ses chances de son côté pour inverser la tendance et modifier les croyances délétères du patient (DEMOULIN et al., 2016). Notre rôle en tant que professionnel de santé est alors déterminant, car nos pensées et nos discours peuvent impacter le patient et sa guérison. Pour mieux comprendre le lien entre les RPS et les TMS, nous allons prendre un exemple. L’exemple de la lombalgie commune. Nous allons voir, que la survenue de cette pathologie faisant partie des troubles musculosquelettiques a une très forte relation avec des facteurs psychosociaux, notamment les représentations et les croyances de l’individu. 1.2.4. Exemple de la lombalgie commune Parmi l’ensemble des TMS, la lombalgie représente un véritable problème de santé publique en France et en particulier dans le monde du travail. Elle constitue la première cause d’inaptitude au travail avant 45 ans (ASSURANCE MALADIE, 2020b). Les lombalgies en lien avec le travail, représentent plus d’un milliard d’euros par an pour la branche des risques professionnels en France (ASSURANCE MALADIE, 2017a). Selon l’Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), « plus de 2 salariés sur 3 ont eu, ont ou auront une lombalgie. (…) [Cela] représente 20% des accidents du travail et 7% des maladies professionnelles ». Ces chiffres alarmants se retrouvent à l’échelle Européenne avec 47% des travailleurs européens se disant avoir souffert du dos au cours des douze derniers mois (INRS, 2020d). Plus communément appelée « mal de dos », elle est décrite selon la Haute Autorité de Santé (HAS) comme étant « une douleur située entre la charnière thoraco-lombaire et le pli fessier inférieur. Elle peut être associée à une radiculalgie correspondant à une douleur d’un ou des deux membres inférieurs au niveau d’un ou plusieurs dermatomes » (HAS, 2019a). Les lombalgies sont dites communes si aucune pathologie associée n’est identifiée. Nous excluons alors toutes les causes neurologiques, traumatiques ou cancéreuses de la lombalgie. La lombalgie commune représente la grande majorité des lombalgies et touche particulièrement les personnes entre 40 et 60 ans (INRS, 2020d). L’HAS décrit trois catégories de lombalgies communes. Premièrement, la lombalgie dite de poussée aiguë. C’est une lombalgie de courte durée qui reflète une diminution temporaire des capacités fonctionnelles. C’est la plus courante des lombalgies, et 90% de ces patients guérissent en moins de quatre à six semaines. Ensuite, la lombalgie dite à risque de chronicité se divise en deux sous-catégories. Soit elle 11
présente une durée d’évolution de moins de trois mois et présente un risque important d’absence de résolution, sa prévalence est alors de 2 à 3% des lombalgies communes. Soit il y a présence de récidive dans les douze mois précédents le premier épisode, on parle dans ce cas de lombalgie récidivante. Ces deux situations se caractérisent par la présence de facteurs de risques psychosociaux (ou drapeaux jaunes). Enfin, la lombalgie est dite chronique si sa durée est supérieure à trois mois (HAS, 2019a). Un réel objectif de santé publique est présent et a pour but de diminuer l’incidence et la prévalence de la lombalgie. Pour cela, il est intéressant de s’appuyer sur le pourquoi du comment une lombalgie devient chronique ou récidive. Les croyances et les représentations sociales entrent alors en jeu (Cf drapeaux jaunes, Annexe I : Drapeaux HAS (HAS, 2019a)Annexe I). En effet, les représentations inappropriées du mal de dos, jouent un rôle déterminant dans le processus de chronicisation de la lombalgie Ces croyances ont une incidence sur la compréhension du symptôme douloureux, et sur la capacité à y faire face. Elles peuvent avoir un impact négatif sur l’évolution de la lombalgie et conduire à des comportements disproportionnés (NORBERG, 2017). Celles-ci sont accentuées par les représentations sociales. En effet, les représentations sociales sont omniprésentes dans la société et cela depuis de nombreuses années. C’est en 1898, que le sociologue Émile Durkheim évoqua pour la première fois la notion de représentation collective. Par la suite, Serge Moscovici, psychologue social et historien des sciences, donna naissance en 1961, au concept de représentation sociale. Selon Moscovici, les représentations sociales sont indispensables dans les relations humaines et permettent à l’individu de communiquer et de comprendre l’autre (MOSCOVICI, 2003). Elles sont orientées par notre culture, notre environnement social. Autrement dit, nos représentations sont influencées en permanence par notre entourage et l’environnement qui nous entoure (télévision, internet, etc). A l’échelle individuelle, notre expérience face à la douleur peut également influencer notre attitude à faire face au mal de dos. Dans un article récent de 2019, Peter O’SULLIVAN et d’autres chercheurs établirent une liste de dix « faits » dont tout le monde devrait connaitre à propos de la lombalgie. Ils revendiquèrent plusieurs idées reçues sur la lombalgie, notamment celle qui laisse penser qu’un lien existe entre posture assise et mal de dos (O’SULLIVAN et al., 2019). Des études ont démontré ce constat, notamment celle de ROFFEY (ROFFEY et al., 2010) et celle de TINITALI (TINITALI et al., 2019). Dans l’article de O’SULLIVAN, les auteurs notèrent également l’importance de dédramatiser le mal de dos et insistèrent sur le fait que dans la majorité des cas, cette douleur est passagère. Ils soulevèrent également une croyance perçue par un grand nombre de personnes, le mal de dos est rarement associé à une origine biomédicale c’est-à-dire à une lésion tissulaire, mais plutôt à des facteurs psychosociaux. (O’SULLIVAN et al., 2019). De plus, ces croyances touchent toute la population, autant des personnes ayant mal aux dos que celles n’ayant pas de douleur. Par exemple, en 2013, Kieran O’SULLIVAN et ses 12
collaborateurs réalisèrent une étude dans le but d’identifier chez 355 personnes présentant ou non une lombalgie, leur interprétation d’une bonne et d’une mauvaise posture assise. Il démontra que ces croyances étaient identiques entre des personnes ayant mal au dos ou non. En effet, 78% des personnes de son étude, identifia la photographie avec la personne ayant le dos courbé comme étant la « pire » posture (O’SULLIVAN et al., 2013). L’idée, que les croyances du mal de dos soient identiques entre personnes ayant ou non des douleurs, se retrouve dans plusieurs études, notamment dans celle de CANEIRO en 2018. Il démontra que les personnes, n’ayant pas de douleur de dos, soutiennent l’idée qu’être en position dos rond soit dangereuse (CANEIRO et al., 2018). Les RPS sont d’une grande diversité et peuvent être définis de plusieurs façons. Nous voyons ici, qu’ils font partie du quotidien d’un grand nombre de Français et en particulier dans le milieu du travail. Ils peuvent également être renforcés par les croyances et les représentations de l’individu. Les TMS et les RPS représentent un enjeu majeur de santé au travail. Selon les enquêtes européennes sur les conditions de travail, ce sont les premiers problèmes de santé au travail chez les travailleurs européens (EUROGIP, 2016). Concernant le mal de dos, 43% des travailleurs européens se sont plaints de douleurs lombaires en 2017 (PARENT-THIRION et al., 2017). Etant donné le fort taux d’incidence de TMS et de RPS dans le monde de l’entreprise, nous devons mettre en place des mesures permettant d’y faire face. La prévention : « mieux vaut prévenir que guérir » 1.3.1. Définitions et concepts La prévention représente un des enjeux majeurs de la santé dans le monde. Elle fait partie d’un dispositif permettant de promouvoir la santé. En France, un plan « priorité prévention » a été mis en place en 2018 sous la présidence du Premier ministre Edouard Philippe. Ces nouvelles mesures ont notamment pour but de « faire de chaque Français un acteur de sa santé et garantir une égalité réelle entre les patients. » (PHILIPPE et BUZYN, 2019a). Rappelons que la promotion de la santé est définie par l’OMS, dans la charte d’Ottawa de 1986, comme étant « le processus qui confère aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci » (OMS, 1986). Pour cela, des méthodes de prévention doivent être mises en place pour donner à la population tous les outils dont ils ont besoin pour maitriser leur santé. Selon l’OMS, la prévention désigne « les mesures qui visent non seulement à empêcher l’apparition de la maladie (…) mais aussi à en arrêter les progrès et à en réduire les conséquences » (OMS, 1984, p.198). Il existe trois types de prévention : primaire, secondaire et tertiaire. Nous abordons ici plus précisément, la prévention primaire et la prévention secondaire. La prévention 13
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