Qu'est-ce que l'écriture du cinéma d'animation?

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Qu'est-ce que l'écriture du cinéma d'animation?

On peut commencer par le constat : Le cinéma d’animation utilise une
quantité de formes très importante : Du dessin animé à la pixillation, des
marionnettes aux images de synthèse, du minimalisme d’Emil Cohl au
naturalisme des films de science fiction, en passant par l’abstraction musicale,
les catégories dont il faut en tenir compte sont nombreuses.
Mettons donc tout de suite au pluriel le mot écriture :
Qu’est-ce que sont les écritures du cinéma d’animation ?
Bien entendu on parle d’écritures au sens métaphorique car il s’agit d’écritures
littéraires, aussi bien que plastiques, musicales, chorégraphiques,
dramaturgiques, cinématographiques et d’autres, le tout s’intégrant dans un
ensemble que constitue le cinéma d’animation.
Il faut noter également que ces écritures évoluent et se transforment à travers le
temps.

Par quel point commencerions-nous ?
Le propos d’un cinéaste d’animation, (mais ceci est valable généralement), est
conditionné par au moins deux facteurs :
        1) par le contexte dans lequel il se trouve. (On ne fait pas le même film
dans une favela de Rio et dans la Filmakademie du Baden-Wuerttemberg).
        2) par le médium qu’il va utiliser. (On ne fait pas le même film avec un
crayon et en images de synthèse…)
        Ce n’est qu’après, que peuvent se poser les questions du propos et de
l'écriture elle-même.

1) Commençons par le contexte :

La question peut se formuler plus précisément :
Quand j’ouvre la bouche pour parler, qui est-ce qui parle par ma bouche ?
Le contexte culturel, social, géographique, historique, est le premier à prendre la
parole, souvent même à notre insu.
Je ne vais pas m’y attarder beaucoup, mais rappelons certains traits importants
du contexte du 21ème siècle:
Informatisation, développement technologique, Internet, accessibilité aux outils
numériques, découvertes scientifiques fascinantes, banalisation des images en
mouvement, communication généralisée, village planétaire, Mondialisation, et
aussi: crise économique, crise énergétique, crise écologique, crise de
surpopulation, menaces nucléaires, réchauffement climatique, biotechnologies
menaçantes, nanotechnologies menaçantes…
Si on fait un petit pas en arrière depuis la chute du mur de Berlin :
Fin de la bipolarisation du monde (Communisme – Capitalisme) « Fin des grands
récits » selon le philosophe Jean-François Lyotard, apparition aux années 80-90
du Postmodernisme, avec une prédilection pour le nomadisme, l’hybridation,
l’éclectisme, et la proclamation de la « fin de l’histoire »…

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Ensuite, retour des idéologies, résurgence des pensées religieuses, libéralisme,
domination de la spéculation financière, interdépendance des économies, (USA,
Chine, Europe…) surendettement, émergence de nouvelles puissances, (Inde,
Amérique latine, Chine…), crise du monde occidental, crispations nationalistes,
néonazisme, fanatismes militants, terrorisme...
Mais, bien entendu, le contexte n'est pas seulement sociopolitique.
Le fait que quelqu'un a eu l'idée d'organiser ce colloque et a payé même mon
billet pour venir à Fontevraud (Merci au passage !) fait aussi partie du contexte.
Pourquoi j’évoque tout cela ?
Parce que je ne peux m’en extraire, même si j’écris des histoires d’amour.
Auteurs et spectateurs nous n’existons qu’au sein d’un contexte que nous
influençons, mais qui nous conditionne. Le plus visible dans notre domaine du
cinéma d’animation, est l’impact de la production des séries télévisées ou de
l’industrie du jeu vidéo et l’extraordinaire pression culturelle que ces « maîtres ou
modèles de pensée » exercent dans les écritures d’animation.

Avant d’ouvrir la bouche, mon propos est ainsi largement entamé par ce
contexte. Ne pas ignorer cette réalité constitue déjà un premier pas dans la
compréhension de ce que sont les écritures dans l’art et dans le cinéma
d’animation.

2)   Le médium

Le matériau avec lequel on écrit, conditionne à son tour ce que l'on écrit.
La sculpture en bronze crée d'autres formes que la sculpture en marbre, aussi
bien que la peinture à l'huile comparée à l’aquarelle.
La langue française oblige à faire un choix entre vouvoyer et tutoyer ce qui
n’est pas une obligation pour la langue anglaise.
Le passage de la pointe au pinceau a transformé radicalement l’écriture
pictographique chinoise. Et les exemples ne manquent pas.
" Le message c’est le médium " déclarait jadis Marshall McLuchan.
Sans lui donner une telle exclusivité, nous constatons que le médium participe
largement au message.

Quel est donc le matériau de base du cinéma d'animation avec lequel on
est sensé écrire?
L’animation elle même, dirait-on. Mais toutes les images cinématographiques
sont des « images animées ».
Où est donc la différence entre cinéma et cinéma d’animation?

Soit par l'image, soit par le mouvement le cinéma d'animation se déclare toujours
ouvrage subjectif et non copie objective de la nature.

Le cinéma au contraire, dans sa matière première d’images en défilement rapide
et régulier, cherche à passer pour copie objective de la réalité.

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Le cinéma d'animation intègre dans sa matière première et de façon
inséparable, l'indice de sa nature d’artéfact.
Un dessin qui bouge n’est pas un fait de la nature. Un homme photographié qui
vole dans les Voisins de McLaren, ne manifeste pas non plus un état naturel.

C’est un malentendu largement repris, qui veut que le cinéma en prises de
vues réelles copie la réalité à la manière d’un « moulage temporel », d’une
« emprunte », ou d’une « momie du changement ». Le cinéma, contrairement à
ce que défendent Bazin, Deleuze ou Tarkovski, ne sait pas copier le temps...
Alexeïeff donnait déjà à son époque une explication assez claire de ce sujet en
expliquant le rôle de l’obturateur d’une caméra.
(On peut développer ces explications si besoin)
Il y a confusion, entre ce qui est identique et ce qui est analogue...

La différence entre les deux options cinématographiques, cinéma et cinéma
d'animation, est une différence idéologique:
L’une dissimule, l’autre dévoile la convention qui lui permet d’exister.
On peut distinguer le cinéma, à partir de ce point. On peut parler de :

Cinéma à convention dissimulée pour le cinéma de prise de vues réelles, et de
cinéma à convention dévoilée pour le cinéma d’animation.

Là où le cinéma instrumentalise la qualité à la fois séduisante et fallacieuse du
trompe-l'oeil, le cinéma d'animation propose directement la métaphore.

Le matériau du cinéma d'animation est directement métaphorique, le matériau
de l'autre cinéma, devient métaphorique en passant par le filtre du trompe-
l'œil...

Se positionner par rapport à cette différence quand on s’interroge sur les
écritures cinématographiques, a une importance capitale.

   3) Enfin, après le contexte et le médium on arrive au propos :

Nous voilà ainsi directement dans le terrain des métaphores.
Fabriquer des métaphores, développer un monde parallèle de références, telle
est la tâche de l'art, et du cinéma d'animation en ce qui nous concerne.
Mais alors, quelle est l'importance des métaphores? Pourquoi devrait-on en
fabriquer ?
L’apprentissage utilise largement la comparaison. Pour apprendre on imite.
Pour connaître on projette des hypothèses dans notre environnement, pour
vérifier ensuite leur exactitude ou leur erreur. C'est notre physiologie qui nous
pousse à cela. La perception fonctionne ainsi. La découverte des neurones
miroirs a confirmé dès les années 90, que notre cerveau emploie les mêmes
neurones pour une action que nous voyons ou que nous faisons nous mêmes.

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L'imitation, le rêve, la métaphore, représentent des processus du même ordre.
Fabriquer des métaphores revient ainsi à fabriquer des matrices d'accueil sur
lesquelles nous vérifierons nos hypothèses. Ce processus - il est important de le
souligner - est largement préconceptuel et prélinguistique.1
L'association des idées, l'association des actions ou l'association des formes
sont des processus par contagion émotionnelle, ils opèrent par empathie,
avant que l’intellect ne s’en empare.
Or ce processus est très fragile, à cause justement de l’intellect qui cherche à
tout rationaliser. Une association spontanée de deux éléments, rendue
intelligible, a tendance à se fixer sur une explication, détruisant en
conséquence la nature ouverte des métaphores.
Les métaphores vieillissent ! Saturées de nos interprétations, elles changent
de nature et deviennent des symboles. Non plus des matrices ouvertes et
accueillantes des multiples interprétations, mais du propos condensé,
immédiatement identifiable. D'où le besoin vital du renouvellement permanent
des métaphores, la création des nouvelles œuvres, le renouvellement des
écritures.
La culture est comme un organisme vivant qu'il faut alimenter en
permanence. Comme dans un corps biologique où les cellules se renouvellent et
se remplacent tout en cumulant le savoir qui reste derrière elles.
Renouveler les formes est synonyme de la vie car il n'y a pas de vie statique,
figée. La vie n’existe qu’à travers le changement.

Or, si la recherche et le changement sont des facteurs de vitalité pour les
écritures en art, il existe d’autres facteurs qui conduisent les métaphores à la
dégradation par la sclérose. Pour le cinéma d’animation plus concrètement, il
existe des facteurs qui contrarient son épanouissement en tant que forme d’Art.

Nous allons examiner certains de ces facteurs. La condensation symbolique
que nous venons de voir en est un. L’affirmation exacerbée d’un style au
détriment de la pluralité, notamment ceux développés par des traditions
industrielles, est un équivalent plastique de la fixation des symboles.

L’industrialisation des métaphores pour des raisons commerciales, est un
facteur qui s’oppose à leur renouvellement. Malgré la concurrence
interindustrielle, les objectifs commerciaux sont de créer des typologies
pérennes, de forger des habitudes, de fabriquer des « fans » en série.

En tant que forme aboutie, tout style exerce une fascination, mais se
transforme avec le temps en académisme. Exploitant cette fascination vendeuse,
les écritures industrielles du cinéma d'animation, privilégient la stylisation, la
fixation sur leur marque. De l'industrie nord-américaine à l'industrie nippone, les
standardisations sont nombreuses.

1   G. Rizzolatti, C.Sinigaglia, Les neurones miroirs, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 10.

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Bien entendu, il peut y avoir création à l'échelle industrielle. La question est plutôt
l'orientation et les conséquences que la méthode. Encore que l'un n'est pas
indépendant de l'autre.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le cinéma d’animation me semble
plus proche de la littérature que du cinéma, dans le sens où le cinéma
d’animation exprime comme la littérature, des subjectivités immédiatement,
tandis que le propos obsessionnel du matériau cinématographique comme on a
dit, est la ressemblance à la réalité avant qu’une quelconque subjectivité puisse
s’exprimer. A la place des mots, le cinéma d’animation utilise tout matériau
auquel il attribue de la mobilité. Ainsi toute forme, y compris les mots dans leur
aspect graphique2, se met à « danser » ou à « marcher » créant
d’innombrables expressions originales.

Ainsi, une des grandes difficultés pour les écritures du cinéma d'animation,
réside justement sur cette richesse : Difficile d'embrasser la totalité de ses
variations. Ainsi on constate que l’on s’arrête souvent sur une trouvaille
technique sans la développer, sans aller plus loin. Cette superficialité marque
fréquemment les écritures en animation, mais témoigne également de la
jeunesse de ce cinéma : toute proportion gardée, l'émerveillement devant les
effets techniques, rappelle la fascination qu'exerçaient les "effets de fumée" et
les feuilles virevoltantes sous le vent, des films des frères Lumière.

Cette focalisation sur la curiosité technique, qui devient le propos même du
film, constitue l'une des "maladies enfantines" du cinéma d'animation qui
méritent d'être dépassés.

Se contenter de parler le "dialecte" plastique proposée par une technique ou de
certains logiciels, est une variation de cette maladie enfantine.
Les lignes lissées automatiquement par des logiciels vectoriels, l'empreinte
spécifique des films en 3D, l’hypermobilité de la caméra, l’automatisation des
intervalles, les divers effets et transitions, la constitution de bases de données de
formes et de mouvements, mais aussi faire un film avec des pliages, ou des
brindilles et de la terre, sans autre raison que la curiosité primaire du résultat,
sont des manifestations qui flirtent dangereusement avec cette maladie.

Il faut préciser que les innovations technologiques particulièrement, (images de
synthèse, numérisation des images, logiciels de traitement des images en
série…) proposent des solutions qui deviennent très vite des outils
incontournables. Sauf qu’en même temps il ne faut pas perdre de vue qu’ils
amènent un propos spécifique ou « des lunettes » pour voir le monde. Pour
clarifier cette idée, on peut remarquer que toutes les langues font la même
chose. C’est pour cette raison que Roland Barthes qualifiait les langues de
« fascistes ». Sauf que l’esthétique imposée par une langue ou par un matériau

2   (Voir génériques – arts graphiques…)

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comme le bois et le marbre est une chose, l’esthétique imposée par Microsoft ou
Adobe par exemple, en est une autre.

Bien entendu je ne parle pas d’un refus de ces outils, ce serait naïf.

Je parle de l’usurpation du propos, que ces outils ont tendance à vouloir faire.
Comme on résiste au matériau que l’on sculpte, il faut résister aux facilités et à
l’idéologie latente des technologies.
Je crois que si on devait désigner un objectif pour l’évolution des écritures du
cinéma d’animation, il serait d’essayer de se placer au dessus de ses fixations,
maniérismes, superficialités, ou « néo –académismes » et resaisir le propos
qui ne devrait pas être celui du médium ou des intérêts économiques, mais celui
du vécu et du ressenti humain. Retrouver le propos de fond, remettre les outils à
leur place d’auxiliaire, voilà la tache qui nous revient, et dans notre domaine du
cinéma d’animation, cette tache est assez vaste.

Quelles sont donc les écritures du cinéma d'animation?

On peut inventer des écritures singulières, des tours de force émouvants, on
peut aussi fabriquer industriellement des métaphores, pour la consommation des
« fans » en manque de repères.
On peut aimer les métaphores, ou on peut aimer l’argent qu’elles rapportent... !

Parler d’écritures revient à parler de toute chose qui puisse être écrite, (la note
banale de mes courses comprise). Par défaut, le mot « écritures » dans le
contexte spécifique d’un colloque, évoque plutôt littérature, qualité… C’est le
contexte, comme on disait, qui ajoute cette précision sous-entendue, latente.

Quand on parle d’écritures du cinéma d’animation, on y amalgame des œuvres
d’art et des produits de consommation, même les plus vulgaires. Bien entendu
les frontières de séparation ne sont pas claires et c’est là que réside la difficulté.
Comment dévoiler les vilaines marchandises qui se dissimulent sciemment parmi
les œuvres d’art pour bénéficier de leur aura ? La question n’est pas répondue
ici, et nécessite certainement beaucoup de débats pour espérer délimiter
certaines frontières. Nous l'avons dit dès le début, les écritures du cinéma
d'animation sont plurielles. Il est difficile de développer dans si peu de temps les
particularités de chaque variation formelle.
Nous avons ainsi préféré, d'essayer de circonscrire leur territoire.
Mais il est certain que dans le contexte de Fontevraud, celui d’une école d’Art, au
Mip TV et au Cartoon Forum, on n’entend pas la même chose quand on parle
d’écritures du cinéma d’animation.

Vu la quantité de matériaux que le cinéma d'animation peut mobiliser, et malgré
l’obsession centenaire de l’industrie de cantonner le cinéma d’animation au
public enfantin, ces écritures ne peuvent qu'être infiniment nombreuses.

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Dans ce sens, nous sommes en droit d'affirmer que les écritures du cinéma
d'animation sont en grande partie, celles qui restent à inventer !

Mais alors, seront-elles des stéréotypes reproduits massivement, ou des
propositions vivantes, nouvelles, intrigantes ?
Nous sommes en mesure me semble-il d’influencer la réponse.
Et devant l’envahissement de notre domaine par des écritures instrumentalisées,
je ne peux résister à la tentation de clamer, avec vous je l’espère,
Vive les métaphores libres !

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