QUAND LE PARTI PRIME SUR LE BOUDDHISME - LA SURVEILLANCE ET LE CONTRÔLE EXERCÉS PAR LA CHINE SUR LES MONASTÈRES ET LES COUVENTS TIBÉTAINS
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QUAND LE PARTI PRIME SUR LE BOUDDHISME LA SURVEILLANCE ET LE CONTRÔLE EXERCÉS PAR LA CHINE SUR LES MONASTÈRES ET LES COUVENTS TIBÉTAINS Un rapport d’International Campaign for Tibet Washington, DC | Amsterdam | Berlin | Bruxelles www.savetibet.org
QUAND LE PARTI PRIME SUR LE BOUDDHISME: LA SURVEILLANCE ET LE CONTRÔLE EXERCÉS PAR LA CHINE SUR LES MONASTÈRES ET LES COUVENTS TIBÉTAINS Mars 2021 Légende de la photo de couverture : Des nonnes et des moines « mis à l’honneur » par des représentants du Parti et du Département de Travail du Front uni en janvier 2021 dans le comté de Chonggye (Qiongjie) de la ville de Lhokha (Shannan) pour avoir « respecté les quatre normes et aspiré à devenir des nonnes et des moines supérieurs ». (Source : Département de Travail du Front uni et Comité du Parti du comté de Chonggye) Note sur la géographie politique du Tibet : Le Tibet était historiquement composé de trois zones principales : l’Amdo (nord-est du Tibet), le Kham (Tibet oriental) et l’U-Tsang (Tibet central et occidental). La Région autonome du Tibet (RAT) a été créée par le gouvernement chinois en 1965 et couvre la région du Tibet à l’ouest du Drichu (fleuve Yangtsé), y compris une partie du Kham. Les autres parties d’Amdo et du Kham ont été incorporées dans les provinces chinoises, où elles ont été désignées préfectures et comtés autonomes tibétains. En conséquence, la plupart des provinces du Qinghai et de certaines parties des provinces du Gansu, du Sichuan et du Yunnan sont reconnues par le gouvernement chinois comme « tibétaines ». ICT utilise le terme « Tibet » pour désigner toutes les zones tibétaines actuellement sous la juridiction de la République populaire de Chine. En ce qui concerne l’accès, les différentes divisions politiques du Tibet ont des niveaux de restrictions très différents. La Région autonome du Tibet est généralement plus restreinte que les zones administrées par les provinces du Qinghai, du Gansu, du Yunnan et du Sichuan, tandis que la préfecture de Dechen au Yunnan subit généralement moins de restrictions que la plupart du reste du Tibet. Le système qui oblige tout étranger qui entre dans la Région autonome du Tibet à acquérir un permis d’entrée spécial est unique en République populaire de Chine ; aucune autre zone de niveau provincial en Chine ne l’exige. Lorsqu’il convient de le noter, ce rapport mentionnera les différences pertinentes dans les politiques d’accès des différentes juridictions.
RÉSUMÉ Dans le Tibet contemporain sécurisé à outrance, les nonnes et les moines bouddhistes constituent le plus grand groupe persécuté par le gouvernement chinois, et ce en raison de leur résistance acharnée contre la destruction de la culture et de l’identité tibétaines par l’État. Depuis le soulèvement populaire tibétain de 2008, les autorités chinoises ont renforcé leur surveillance et leur contrôle, ainsi que leurs politiques d’assimilation. En contradiction avec l’autonomie dont jouissent théoriquement les monastères et couvents tibétains, les autorités chinoises ont publiquement annoncé en 2012 qu’elles comptaient intensifier la surveillance et le contrôle des communautés monastiques [1]. Depuis des dizaines d’années, les nonnes et les moines tibétains subissent les politiques sécuritaires et religieuses du Parti communiste chinois (PCC). La mise en œuvre généralisée de ces politiques a poussé les communautés monastiques à constamment s’opposer aux autorités, lesquelles, en retour, ont encore renforcé leur répression au nom du maintien de la « stabilité » et de « l’ordre public ». Aujourd’hui, les nonnes et les moines tibétains vivent dans un environnement étouffant, sous une surveillance et un contrôle permanents, dont l’objectif est d’entraver leurs activités. Ils subissent sans cesse des pressions visant à faire changer leur idéologie, qui repose sur la philosophie bouddhiste. Les autorités exigent des nonnes et des moines qu’ils « corrigent » leurs pensées en s’auto-évaluant et en se critiquant les uns les autres. Bien que les dernières données officielles ne soient pas publiques, le média d’État China Daily a indiqué à l’automne 2015 que pas moins de 6 575 cadres issus de différents échelons de la hiérarchie du Parti et du gouvernement travaillaient dans 1 787 monastères de la « Région autonome du Tibet (RAT) »[2]. D’après les chiffres officiels, chaque monastère de la RAT se serait vu assigné en moyenne entre trois et quatre cadres. Il n’existe pas de véritables données démographiques sur les nonnes et les moines au Tibet. Le gouvernement chinois affirme que la RAT compte 1 787 monastères pour 46 000 nonnes et moines. Toutefois, ces chiffres n’ont pas évolué depuis au moins 23 ans et ils ne tiennent pas compte des nonnes et des moines vivant dans des zones tibétaines situées en dehors de la RAT [3]. Sous le président chinois actuel, Xi Jinping, la répression de la communauté monastique s’est encore intensifiée. Depuis la mise en place d’une politique de sécurité draconienne au Tibet sous le mandat de Chen Quanguo, secrétaire du Parti pour la RAT entre 2011 et 2016, l’accent est mis sur le contrôle et la transformation idéologiques pour soutenir l’État chinois. La volonté de Xi Jinping de « siniser » (autrement dit, de placer sous le contrôle de l’État) toutes les religions pratiquées en Chine « afin de contribuer à la réalisation du rêve chinois de renaissance nationale » n’est pas une menace vaine [4]. Il a par la suite réitéré ses propos et joint le geste à la parole en prenant méthodiquement toute une série de mesures dans le cadre du système de l’État- parti. La sinisation des religions a été présentée comme une politique officielle pour la première fois mi-2015 lors d’une conférence du Front uni central sur le travail, avant d’être réaffirmée lors de la Conférence nationale sur le travail religieux en avril 2016 et finalement proclamée publiquement au 19ème Congrès du Parti en 2017. Pour atteindre son objectif, Xi Jinping a modifié la structure du système d’État-parti en chargeant le Département de Travail du Front uni (DTFU) de superviser 1
la mise en œuvre de la politique religieuse. Il arrive régulièrement depuis quelque temps qu’une organisation de masse du PCC soit placée au-dessus de l’administration dans plusieurs domaines d’action, en particulier le contrôle de la discipline. Bien que le DTFU ait par le passé toujours joué un rôle important dans la politique à l’égard du Tibet, en particulier depuis la création en 2005 de son septième bureau, celui chargé des affaires tibétaines, ce changement structurel a conféré à un organe du PCC un plus grand rôle et encore plus de pouvoir pour superviser la mise en œuvre des politiques au Tibet et en particulier le contrôle de la communauté monastique. Le triplement du budget du DTFU dans la RAT ces cinq dernières années vient également confirmer cet état de fait. Des moines lisent des dépliants préparés par des responsables chinois lors d’un symposium sur les « quatre normes ». (Source: Tibet Daily) Au travers de la mise en œuvre des politiques du gouvernement central, le DTFU veille à ce que la sinisation de la communauté monastique soit menée à bien dans le respect de la politique obligatoire des « quatre normes » pour le clergé [ 5]. Les activités du DTFU au sein des monastères visent à assurer que la communauté monastique reconnaît la primauté du Parti et de ses dirigeants sur les préceptes du bouddhisme et ses figures religieuses. En contradiction totale avec les convictions religieuses des nonnes et des moines, le PCC a adopté il y a 26 ans une politique anti-Dalaï-lama lors du troisième Forum sur le travail au Tibet de 1994, une politique toujours d’application. Les campagnes d’endoctrinement politique dans les monastères nécessitent également l’application de la loi sur la réincarnation, entrée en vigueur en septembre 2007, qui confère au PCC l’autorité absolue pour approuver la réincarnation des dirigeants religieux en vue de supplanter et d’affaiblir l’autorité des dirigeants religieux tibétains légitimes [6]. La tradition veut que la communauté monastique tibétaine soit liée par son code de conduite, lequel trouve son origine dans les canons bouddhiques. Toutes les affaires monastiques sont conduites dans le respect de ces canons. Toutefois, la mise en œuvre des politiques du Parti au sein des monastères 2
nécessite que la communauté monastique considère la doctrine et les dirigeants communistes comme une source d’autorité supérieure aux canons bouddhiques, et ce même pour les questions spirituelles. En façonnant une communauté monastique respectueuse des dirigeants et de la doctrine communistes, le gouvernement chinois viole et étiole considérablement l’authenticité du bouddhisme tibétain. Le présent rapport retrace l’évolution récente des politiques et les changements institutionnels au cœur de la stratégie adoptée par le Parti communiste chinois à l’égard de la communauté monastique bouddhiste tibétaine. Il explique en outre comment cette stratégie a conduit à de nouvelles mesures de contrôle et de surveillance de cette communauté monastique, qui est au cœur du bouddhisme tibétain, et, en fin de compte, de la culture tibétaine. Il montre que ces évolutions représentent une menace supplémentaire, encore plus imminente, pour la survie du bouddhisme tibétain authentique et autonome ainsi que de la culture tibétaine. L’identité culturelle et nationale du Tibet est inextricablement liée au bouddhisme tibétain. Depuis des siècles, la communauté monastique est la gardienne du bouddhisme tibétain. Les membres de cette communauté ont perpétué leur système religieux traditionnel et leur riche culture tout au long de l’histoire mouvementée du Tibet. Leurs paroles et leurs enseignements ont valeurs de préceptes moraux et éthiques pour la société. Cette réussite s’explique par la transmission ininterrompue des enseignements tirés des textes canoniques, et ce malgré les redoutables obstacles rencontrés depuis des décennies. Les moines et les nonnes sont en première ligne du mouvement de résistance qui cherche à protéger la liberté religieuse et l’identité tibétaine. À la fin des années 1980, un grand nombre de nonnes et de moines tibétains se sont opposés ouvertement et publiquement, aux côtés de laïcs, aux politiques menées par le gouvernement chinois au Tibet, ce qui a finalement conduit à l’adoption de la loi martiale dans la capitale du Tibet, Lhassa, en 1989.[ 7] En 2008, les nonnes et les moines tibétains ont joué un rôle important dans le mouvement de résistance actif partout sur le plateau tibétain, un mouvement réprimé par les autorités chinoises [8]. La communauté monastique est depuis lors la principale cible du gouvernement chinois au Tibet. Les autorités chinoises considèrent de fait qu’elle est hostile à son pouvoir. En vertu des normes internationales relatives aux droits de l’homme, le gouvernement chinois a l’obligation de veiller au respect des droits de la communauté monastique tibétaine et des pratiquants du bouddhisme tibétain, ainsi qu’à la non-ingérence de l’État dans l’expression de la pratique religieuse. La Chine martèle que la liberté et les droits des nonnes et des moines sont protégés par ses politiques et ses lois. La réalité est pourtant bien différente des déclarations officielles. Le présent rapport examine les mécanismes de surveillance et de contrôle imposés à la communauté monastique tibétaine, à la lumière des politiques du gouvernement central chinois relatives à la « sinisation » et au « respect des quatre normes et aspirations à devenir des nonnes et des moines supérieurs ». 3
POLITIQUES Malgré plus de 60 années d’administration directe, le Parti communiste chinois (PCC) n’est toujours pas parvenu à obtenir le soutien du peuple tibétain. Ces décennies d’oppression n’ont pas permis au PCC d’asseoir la légitimité de son pouvoir au Tibet et les Tibétains continuent de mener une résistance acharnée. Le Parti, craignant apparemment de ne pas parvenir à ses fins, s’est retranché derrière un discours encore plus radical et a adopté des lois et des réglementations draconiennes au Tibet, une approche qui dénote l’instabilité du pouvoir chinois dans la région. La politique sécuritaire s’est invitée dans presque tous les aspects de la vie. Salle de contrôle vidéo au monastère de Kirti à Ngaba (Aba), Sichuan. (Base de données photo : ICT) Le Parti œuvre à la réalisation de son objectif ultime de « stabilité sur le long terme » au Tibet, un objectif qui, une fois atteint, permettra d’intégrer le peuple tibétain à la « grande renaissance de la nation chinoise ». Cela fait des décennies qu’il multiplie les politiques pour asseoir son pouvoir au Tibet, une démarche caractérisée par des tactiques résolument violentes et d’innombrables campagnes politiques idéologiques. Les politiques principales visant à atteindre la « stabilité sur le long terme » au Tibet revêtent de nombreux aspects, dont des mesures libellées en des termes faussement neutres, tels que le « maintien de la stabilité » et la « gestion sociale ». L’approche rigide du maintien de la stabilité (en chinois : Weiwen) a pris la forme d’un rouleau compresseur faisant intervenir de multiples organes du système de l’État-parti, avec pour objectif de sécuriser le Tibet par la surveillance policière, 4
la censure sur internet, le placement d’individus sur des listes noires, l’infiltration d’informateurs et la surveillance active à l’aide des mégadonnées, en vue d’« éliminer préventivement les menaces non détectées ». Les autorités collectent des échantillons de sang, imposent des cartes d’identité avec photos, installent des caméras partout et recourent à des logiciels d’intelligence artificielle (IA) pour la reconnaissance faciale. La gestion sociale, une politique du bâton et de la carotte, vise plutôt à éviter les troubles sociaux. Elle consiste à offrir des services tout en permettant au gouvernement d’éliminer la dissidence [9]. La politique de sinisation prescrite par Pékin exige que les institutions, la doctrine et les dirigeants bouddhistes tibétains respectent les préceptes de la société chinoise et qu’ils soient inféodés à la direction du Parti et à ses valeurs fondamentales. Cette ligne politique s’inscrit dans le sillage des mesures prises par le Parti pour asseoir son hégémonie et renforcer le pouvoir de la Chine à l’étranger, en tirant avantage de conditions extérieures et intérieurs propices. À la suite des modifications apportées en septembre 2017 aux réglementations des affaires religieuses de 2005, les autorités chinoises ont adopté, début 2018, la politique des « quatre normes » dans la communauté monastique. Ces quatre normes obligatoires – « fiabilité politique », « connaissances approfondies de la religion », « intégrité morale susceptible de susciter l’admiration de la population » et « capacité d’intervenir à des moments décisifs » – exigent intrinsèquement des nonnes et des moines qu’ils participent à la propagande du Parti et du gouvernement en faisant leur le socialisme à caractéristiques chinoises [10]. Ils ont également l’obligation, en tant que figures exemplaires en qui la population a confiance, de diffuser les messages officiels aux masses tibétaines. Ces politiques et réglementations relatives à la religion et à la communauté monastique visent à adapter le bouddhisme tibétain aux préceptes de la société socialiste dirigée par le Parti. La surveillance et le contrôle de la communauté monastique visent à ce que cette dernière respecte le Parti et le gouvernement, et à ce que le « patriotisme » l’emporte sur la religion. En Chine, le terme « patriotisme » a un sens particulier. Il se définit en effet comme « l’amour de la mère patrie, du socialisme et du Parti communiste ». MÉTHODES DE SURVEILLANCE ET DE CONTRÔLE DE LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE La surveillance et le contrôle de la communauté monastique s’opèrent au travers d’un réseau sophistiqué composé de moyens humains et électroniques. Les méthodes utilisées pour contrôler la communauté monastique s’apparentent à une dystopie et visent à en neutraliser la dimension politique. En plus de surveiller et de contrôler concrètement les activités de la communauté monastique, l’État a recours à des moyens institutionnels pour l’étouffer de l’intérieur au travers d’un contrôle idéologique. Dans un milieu où la confiance et l’intimité prévalent, où enseignants et étudiants sont liés par un lien fort scellé par les vœux prononcés, le climat de suspicion qui découle de l’intrusion d’agents à la recherche de renseignements compromet la progression dans le cheminement de la méditation. 5
Divers bureaux du Parti et organismes du gouvernement participent au contrôle des moines et des nonnes dans le cadre de la « gestion sociale » des monastères. Tandis que le Département de Travail du Front uni (DTFU) supervise tous les aspects des politiques religieuses et ethniques pour la neutralisation des nonnes et des moines, les bureaux du Parti et des organismes du gouvernement de différents niveaux exercent un contrôle sur la communauté monastique. Par exemple, vingt-quatre entités du Parti et du gouvernement assurent le contrôle des monastères dans la préfecture de Ngaba (en chinois : Aba) en vertu de l’article 4 de l’« ordonnance du gouvernement populaire de la préfecture de Ngaba sur l’adoption de mesures temporaires relatives à l’administration des questions liées au bouddhisme tibétain dans la préfecture autonome tibétaine et Qiang de Ngaba », adoptée en 2009 [11]. Le quotidien de la communauté monastique est surveillé et contrôlé par les « comités de gestion », des cadres et des policiers stationnés à l’intérieur des monastères, et il est soumis aux systèmes de surveillance générale mis en place dans tout le Tibet. Ces « comités de gestion » ont vu le jour en 2011, après que le gouvernement s’est affranchi de l’autonomie théorique des monastères et des couvents – d’abord introduite en 1962, puis réinstaurée en 1980 après la révolution culturelle – en les plaçant directement sous son contrôle [12]. Selon Human Rights Watch, cette décision a été prise dans la foulée d’un projet de recherche lancé par le Département de Travail du Front uni à la suite des manifestations populaires tibétaines de 2008. Ce projet visait à identifier les responsables des mouvements de protestation au Tibet. Contrairement aux « comités de gestion démocratique » des monastères, qui sont composés de nonnes et de moines élus et adoubés par les membres de leur monastère ou couvent, au travers desquels le gouvernement exerce un pouvoir indirect, les comités de gestion sont directement composés par le gouvernement pour veiller à la « stabilité politique » et « établir des monastères harmonieux ». Un cadre en train d’expliquer à des moines du monastère de Yizhang comment respecter la loi relative à la réincarnation. (Source : Département de Travail du Front uni de la ville de Chamdo) 6
Les comités de gestion officiellement en place sont composés de cadres et de moines. Selon Human Rights Watch, ce nouveau dispositif est décrit comme une « combinaison de gestion par l’administration et d’autogestion » des monastères [13]. Les cadres installés dans les monastères peuvent venir de différents échelons du Parti et du gouvernement. En septembre 2015, le média d’État China Daily a révélé que 6 575 cadres travaillaient au sein de 1 787 monastères dans la RAT [14]. D’après les chiffres officiels, chaque monastère de la RAT se serait vu assigné en moyenne entre trois et quatre cadres. Leur rôle est de s’introduire dans la vie des monastères et d’assurer la microgestion des pensées, des activités et des comportements de la communauté monastique dans le respect des politiques du Parti et des lois et réglementations de l’État. Il est monnaie courante que, dans le cadre de missions de surveillance et de contrôle, les cadres établissent des « rapports amicaux » avec les nonnes et les moines pour se renseigner sur eux et leur famille, afin d’adapter les campagnes d’endoctrinement. En 2012, le tibétologue Robert Barnett a expliqué à Radio Free Asia que les cadres installés dans les monastères avaient reçu pour directive « de “sympathiser” avec un moine et de consigner dans un dossier les réflexions de ce moine » [15]. Il s’agit d’une méthode de travail habituelle pour le Front uni, qui, comme son nom l’indique, vise à créer un front uni. En avril 2020, Phurbu Sichoe, membre du Comité permanent du Comité du Parti dans le district de Toelung Dechen et chef du Département de Travail du Front uni du district, a donné ordre à ses cadres de tenir un registre des problèmes ayant fait l’objet d’une enquête sur chaque moine dans chacun des monastères et de les régler un par un [16]. Ce dossier complet est l’équivalent du dossier « dang’an » que les membres du Parti de chaque unité de travail tiennent sur les travailleurs, souvent pour y inscrire des détails futiles, jusqu’à ce qu’un schéma de comportements puisse en être déduit. Le Bureau de sécurité publique (BSP), qui dispose d’agents de police stationnés à l’intérieur des monastères, est l’autre organisme chargé de surveiller et de contrôler le quotidien des nonnes et des moines. L’installation de commissariats de police permanents à l’intérieur des monastères a débuté après le soulèvement du peuple tibétain en 2008. Depuis lors, le BSP surveille activement les monastères pour réprimer tout acte jugé contraire aux lois relatives à la stabilité. La police chinoise surveille tous les citoyens au moyen de la carte d’identification nationale (en chinois : shenfen zheng) [17]. Elle tient à jour une base de données reprenant les données personnelles de tous les citoyens – numéro de carte d’identité, nom, date de naissance, ethnie, sexe et adresse – et ces données sont liées à leur permis de résidence (hukou) et à leur dossier dang’an contenant des informations sur leur travail. C’est ainsi que la police peut surveiller « les moindres détails du quotidien de citoyens […] pour y détecter tout fait inattendu et décider de mener une enquête », expliquent Peter Mattis et Mathew Brazil dans leur ouvrage intitulé « Chinese Communist Espionage: An Intelligence Primer ». Tout signe de « séparatisme », le terme hyperbolique utilisé par la Chine pour qualifier le militantisme en faveur des droits des Tibétains, peut conduire à l’inscription sur une liste noire en plus d’une peine d’emprisonnement. Par exemple, Gendun Sherab, un moine tibétain de 50 ans, qui avait été placé sur liste noire après avoir été renvoyé du monastère de Rabten dans le comté de Sog (en chinois : Suo) en raison de ses opinions politiques, a été arrêté il y a trois ans pour avoir partagé sur WeChat une lettre du Dalaï-lama, dans laquelle ce dernier reconnaît la réincarnation d’un enseignant du monastère de Sera Je vivant au sein de la diaspora tibétaine. Faute d’avoir pu recevoir des soins médicaux en raison de son placement sur liste noire, il est décédé le 18 avril 2020 [18]. La présence active des forces de police dans les monastères oblige les nonnes et les moines à constamment se demander si leurs actes pourraient être jugés illégaux. En raison du flou habituel des lois chinoises, il est difficile de déterminer si l’on a franchi une ligne rouge, jusqu’au jour où il est trop tard. De nombreux individus sont accusés de « causer des altercations et de semer le trouble » et beaucoup de Tibétains ont été reconnus coupables d’avoir exprimé leur opposition à la ligne officielle. 7
Présentation de la caméra de reconnaissance faciale Hikvision, capable d’identifier les membres de minorités ethniques. Des caméras de surveillance ont été installées en masse à l’intérieur et à l’extérieur des monastères. Il s’agit de l’outil le plus efficace utilisé par les services répressifs pour surveiller la communauté monastique, conserver des dossiers retraçant l’historique d’un individu, et étouffer dans l’œuf toute tentative de dissidence. Contrairement à d’autres équipements technologiques sophistiqués, les caméras de surveillance sont visibles et font partie de la vie quotidienne des nonnes et des moines. La présence de caméras allumées en permanence dans les monastères crée un environnement étouffant au sein de la communauté monastique. Hikvision, une entreprise contrôlée par le gouvernement chinois qui dispose de bureaux à Lhassa, est le plus grand fournisseur de caméras de surveillance et d’autres dispositifs technologiques utilisés pour pénétrer non seulement dans les monastères, mais aussi dans la vie de l’ensemble des Tibétains . Le New York Times a relayé les propos d’un employé anonyme de Hikvision, selon lequel cette entreprise spécialisée dans les caméras et les logiciels de traitement d’image avait commencé à supprimer la « fonctionnalité de reconnaissance des minorités » en 2018 [20]. Cette information n’a pas pu être vérifiée de manière indépendante. Il est de notoriété publique que les autorités chinoises recourent à des technologies avancées de reconnaissance faciale et d’intelligence artificielle pour leurs opérations de surveillance au Tibet et que les Tibétains sont qualifiés de groupe problématique. Les nonnes et les moines sont soumis à la même surveillance que tous les autres Tibétains. La Chine cherche résolument à renforcer ses capacités de surveillance au Tibet grâce aux technologies de pointe. La demande en analyses de grands volumes de données (« mégadonnées ») et en surveillance de « l’ordre public » à l’aide de technologies de pointe au Tibet pousse les entreprises technologiques chinoises à y commercialiser leurs solutions d’IA et de mégadonnées. Selon un rapport de Nikkei Asia, cinq géants technologiques chinois – Alibaba, Baidu, Tencent Holdings, iFlytek et SenseTime – ont des projets dans la RAT. SenseTime, une jeune start-up active 8
dans le secteur de l’IA, dispose d’une unité de capital risque à Lhassa, qu’elle qualifie « d’activité d’investissement » [21]. Tencent a une unité d’investissement à Nyingchi (en chinois : Linzhi). Alibaba a également établi une unité d’investissement à Lhassa, tandis qu’iFlytek dispose d’un projet de recherche commun avec l’Université du Tibet. En septembre 2018, Wiseweb Technology Company, une entreprise établie à Pékin, et l’Université du Tibet ont créé un centre de mégadonnées compilant des « informations touristiques » [22]. Ce centre poursuit un double objectif : stimuler le tourisme, mais aussi veiller à la « stabilité » régionale et à l’unité politique avec le reste de la Chine. Wang Sheng, le directeur adjoint de Wiseweb, a déclaré que « la surveillance en temps réel pourrait permettre de prévenir le gouvernement en cas d’événements sociaux négatifs ». Autrement dit, le gouvernement utilisera ce système pour réprimer le militantisme tibétain ou toute activité considérée de près ou de loin comme une atteinte à la sécurité publique ou à l’ordre public. L’écran de suivi en temps réel des activités touristiques installé à l’Université du Tibet peut aussi servir à assurer la stabilité politique. (Source : Global Times) En mars 2020, le média d’État Xinhua a indiqué qu’un centre de stockage de type cloud serait construit à Lhassa. Ce centre de données, qui sera opérationnel en 2021, devrait, aux dires des autorités, permettre de soutenir l’investissement et le commerce entre les entreprises chinoises et d’autres entreprises d’Asie du Sud [23]. Il stockera également des données pour des « entreprises tibétaines locales des secteurs de l’électricité, de la finance et d’internet ». En 2021, le quatorzième plan quinquennal devrait inclure des projets de mégadonnées conformément à l’« opinion directrice » du PCC et dans la perspective du déploiement imminent du système de crédit social, qui attribue automatiquement aux individus des récompenses et des sanctions en fonction de leur score de fiabilité. L’objectif du Parti communiste chinois est de mobiliser des capacités d’analyse des mégadonnées pour surveiller et contrôler rigoureusement l’ensemble de la population chinoise. Ce sont peut-être les forces de sécurité chinoises qui se sont montrées les plus enthousiastes à l’idée de recourir à l’analyse de ces données [24]. En l’absence de lois limitant les données pouvant être collectées pour assurer la sécurité publique, des instruments aussi puissants améliorent significativement la capacité du ministère de la Sécurité publique de recouper rapidement les casiers judiciaires avec presque n’importe quelle autre donnée qui pourrait se révéler utile pour appréhender des suspects. Qui plus est, les avancées réalisées 9
dans le domaine de l’analyse des mégadonnées favorisent directement la surveillance et le contrôle stricts des individus, en vue de détecter le moindre signe de déloyauté ou toute autre transgression. La discrimination et le ciblage de la communauté monastique ne sont pas à exclure. Les activités des moines sur internet et les réseaux sociaux sont passées au crible, étant donné que la communauté monastique est en première ligne de la résistance contre les atrocités commises par le Parti communiste chinois au Tibet. La communauté monastique utilise principalement WeChat, l’application de messagerie la plus populaire au Tibet, qui est soumise aux lois de l’État sur le contrôle du contenu. Des moines ont été arrêtés pour avoir envoyé des messages jugés « illégaux », partagé des images du Dalaï-lama ou parlé de l’état de la langue tibétaine. Un rapport de recherche récemment publié par The Citizen Lab de l’Université de Toronto montre que WeChat surveille ses utilisateurs non seulement au Tibet et en Chine, mais aussi dans le reste du monde. Les résultats de cette étude se confirment pour les utilisateurs tibétains de WeChat, dont des nonnes et des moines. Par exemple, deux moines du monastère de Tsang de Ba Dzong, dans la préfecture autonome tibétaine de Tsolho (Hainan), Qinghai, ont été arrêtés le 16 avril 2018 pour avoir partagé des photographies et des articles « illégaux » sur WeChat [25]. De même, Sonam Palden, un moine de 22 ans du monastère de Kirti, dans le comté de Ngaba, a été arrêté en septembre 2019 pour avoir publié un message dans lequel il dénonçait l’état déplorable de la langue tibétaine en raison des politiques chinoises [26]. En août 2019, Rinchen Tsultrim, un moine de 29 ans du monastère de Nangshik, dans le comté de Ngaba, a été arrêté après avoir fait part de son avis sur les problèmes du Tibet sur WeChat. Il a été détenu au secret pendant plus d’un an, sans possibilité de communiquer avec le monde extérieur [27]. LE DÉPARTEMENT DE TRAVAIL DU FRONT UNI, « L’ARME MAGIQUE » POUR NEUTRALISER LES NONNES ET LES MOINES TIBÉTAINS 10
Le Parti et le Département de Travail du Front uni ont organisé une cérémonie de présentation de leur travail et de « récompense » le 19 janvier 2021, pour la mise en œuvre du « respect des quatre normes pour les nonnes et les moines » dans le district de Nedong (Naidong) à Lhoka (Shannan). (Source : Département de Travail du Front uni et Comité du Parti de Nedong) Le Département de Travail du Front uni (DTFU) joue un rôle central dans le contrôle de la communauté monastique tibétaine. Ce département, jusqu’alors relativement peu influent au sein du système de l’État-parti, est devenu l’organisme chargé concrètement d’élaborer les politiques et d’assurer la coordination d’actions menées par l’ensemble des entités de l’État-parti. Il est donc nécessaire de présenter brièvement le DTFU et son rôle au Tibet. En septembre 2014, Xi Jinping a révélé ses ambitions pour le DTFU dans un discours prononcé à l’occasion du 65ème anniversaire de la création de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Il avait alors déclaré : « Le Front uni est la victoire du Parti communiste chinois pour la cause de la révolution, de la construction et de la réforme. Il s’agit d’une importante arme magique pour concrétiser la grande renaissance de la nation chinoise » [28]. Une série de réorganisations administratives a été opérée pour renforcer le pouvoir du Parti sur les organes de l’État chargés des affaires religieuses ; l’objectif était alors de confier les affaires religieuses à l’organisation de masse constituant « l’arme magique » du PCC – le Département de Travail du Front uni [29]. Le DTFU rend des comptes directement au Comité central du Parti communiste chinois. En modifiant la structure du système pour charger le DTFU de toutes les questions liées aux affaires religieuses et ethniques, le Parti a arrêté de prétendre que ce sont des organes étatiques, et non le Parti, qui contrôlent directement les affaires de l’État, en particulier celles liées aux questions ethniques et religieuses. Le DTFU travaille en étroite collaboration avec la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC). Le président de la CCPPC dirige le Petit Groupe de premier plan du Front uni central et le Petit Groupe de coordination du Comité central pour le travail au Tibet. La CCPPC définit la stratégie du Front uni, et le septième bureau du DTFU, le bureau pour le Tibet, est responsable du travail au Tibet depuis sa création en 2006. 11
Constitué de douze bureaux et de quatre sous-comités au niveau central, le DTFU joue un rôle de premier plan dans les affaires ethniques et religieuses, comme l’explique Alex Joske de l’Australian Strategic Policy Institute [30]. Un autre observateur fait remarquer que « ces bureaux montrent le rôle démesuré que jouent les minorités ethniques et les représentants n’appartenant pas au parti (无党派 代表人士) dans les efforts déployés par le PCC pour s’assurer le soutien de ces groupes » [31]. Le remaniement, en 2018, de trois bureaux, traitant respectivement des affaires religieuses, des affaires ethniques et de la diaspora chinoise, a révélé quels étaient les domaines prioritaires du parti pour l’exercice de son pouvoir [32]. Cette refonte des services chargés des affaires religieuses intervient dans le sillage de la publication d’un rapport d’évaluation rédigé par la Commission centrale de contrôle de la discipline (CCCD) sur l’Administration d’État des affaires religieuses (AEAR). Ce rapport de 2016 reproche à l’AEAR « d’affaiblir le leadership du parti et de provoquer des défaillances dans l’édification du parti » [33]. L’AEAR a par la suite été déchargée de ses attributions et les affaires religieuses ont été confiées aux Bureaux 11 et 12 du DTFU, selon M. Joske [34]. Au travers de cette réorganisation, le pouvoir central a investi le DTFU de l’autorité de surveiller au jour le jour et de contrôler directement toutes les religions en Chine, dont le bouddhisme tibétain. Cette manœuvre visait à atteindre l’objectif du PCC de siniser toutes les religions et de les placer sous sa coupe. Avant cette réorganisation, le DTFU jouait déjà un rôle central dans les politiques du gouvernement à l’égard du Tibet. En effet, le DTFU a toujours représenté le gouvernement chinois lors des pourparlers entre les émissaires du Dalaï-lama et le gouvernement chinois, notamment lors du dernier cycle en date (2002-2010). LE DÉPARTEMENT DE TRAVAIL DU FRONT UNI DANS LA RAT La réorganisation du DTFU et son rôle vital en tant « qu’arme magique » du Parti sont également perceptibles au Tibet. Le budget du DTFU dans la RAT témoigne clairement de son importance. Bien qu’International Campaign for Tibet soit d’avis que le budget officiel du DTFU pour la RAT ne représente qu’une partie de son budget réel, son analyse apporte néanmoins de précieux renseignements. En cinq ans, le budget du DTFU pour la RAT a presque triplé, passant de 23,9 millions de yuans en 2016 à 62 millions en 2020 [35]. Les augmentations les plus spectaculaires sont intervenues en 2017 et en 2019. En 2017, Xi Jinping a entamé son deuxième mandat de président de la République populaire de Chine, après avoir préparé le terrain pour la concrétisation des ambitions qu’il nourrissait pour le DTFU lors de son premier mandat. Lors de ce deuxième mandat, il avait prévu que le DTFU mette en œuvre sa vision pour la « renaissance de la Chine ». Le Tibet n’a pas été épargné. Le Parti communiste chinois a révélé son grand projet pour toutes les religions, dont le bouddhisme tibétain, lors du 19ème Congrès du Parti en octobre 2017. La sinisation de la religion est le mantra officiel et une priorité pour Xi Jinping ; il s’est exprimé plusieurs fois à ce sujet et a pris des mesures en ce sens [36]. Il a indiqué pour la première fois vouloir évaluer la politique religieuse et réorganiser le système en 2014. 12
Augmentation du budget du DTFU en pourcentage. En 2016, Xi Jinping a spécifiquement appelé à la sinisation de la religion. Au travers de la sinisation, Xi Jinping entend faire de sa personne l’incarnation de la culture chinoise. Selon lui, les institutions et le clergé devraient servir les « intérêts supérieurs » de l’État en faisant primer la direction et les valeurs centrales du PCC ainsi que le socialisme national sur les canons religieux [37]. La sinisation menée actuellement par l’État passe par la domestication complète des religions pour éliminer tout engagement transcendant ou toute vision morale déviant de l’idéologie de l’État », explique le professeur Xi Lian de la Duke Divinity School [38]. DÉCONSTRUIRE LA PROPAGANDE DES MÉDIAS D’ÉTAT SUR LES ACTIVITÉS « ÉDUCATIVES » DESTINÉES À LA COMMUNAUTÉ MONASTIQUE Une analyse du contenu publié par les médias d’État au sujet des activités dans les monastères et les couvents de la RAT permet de se rendre compte des contrôles idéologiques tous azimuts et des actions d’endoctrinement qui y sont menés, avec une brève interruption en mars 2020 en raison de l’épidémie de coronavirus qui a frappé Wuhan. Le DTFU veille à ce que les pensées et les activités de la communauté monastique soient non seulement contrôlées pour atteindre l’objectif de « stabilité sur le long terme », mais aussi canalisées pour concrétiser la « grande renaissance de la nation chinoise ». Pour y parvenir, une myriade de mécanismes sont mis en place pour surveiller et contrôler les pensées et les activités des nonnes et des moines, et pour détourner la communauté monastique de son système religieux traditionnel et lui faire adopter celui prévu par le Parti. L’analyse d’une sélection d’articles publiés par des médias d’État sur les activités « éducatives » menées dans les monastères révèle ce qui suit. Le DTFU veille à ce que la communauté monastique tibétaine ait une « conscience nationale chinoise » et se plie aux politiques du Parti ainsi qu’aux lois et aux réglementations de l’État régissant les affaires religieuses. Par exemple, lors d’une réunion du Département de travail du Front uni organisée dans la préfecture autonome tibétaine de Ngari (en chinois : Ali) le 10 mai 2020, il a été souligné qu’il faudrait davantage veiller à ce que les membres de la communauté monastique se considèrent comme des ressortissants chinois et qu’ils ne prennent en considération que le pays et ses lois. L’accent a également été mis sur la nécessité de s’assurer que les nonnes et les moines respectent la version chinoise des droits et des devoirs. La mise en œuvre de la politique du Parti en matière de religion 13
ainsi que l’application des lois et réglementations de l’État régissant les affaires religieuses ont été rendues obligatoires dans les monastères [39]. Pour que les membres de la communauté monastique se considèrent comme des ressortissants chinois, il faut qu’ils changent d’identité culturelle et assimilent complètement la notion de loyauté à la race chinoise unique (Zhonghua minzu). Le contrôle de la loyauté de la communauté monastique au Parti et la dénonciation du Dalaï-lama – une politique adoptée lors du troisième Forum sur le travail au Tibet en 1994 – étaient toujours de rigueur en 2020, l’objectif demeurant la « stabilité sur le long terme ». Lors d’une vidéoconférence sur la mise en place « d’activités éducatives » sur le « respect des quatre normes pour devenir des nonnes et des moines supérieurs », organisée en avril 2020, Liu Zhiqiang, le vice-secrétaire du Comité du Parti de la ville de Lhoka (en chinois : Shannan), a ordonné « de se concentrer sur la recherche d’une solution aux problèmes politiques majeurs que présenteront la mort du 14ème Dalaï- lama et sa réincarnation » pour le maintien de la stabilité. Des nonnes et des moines « mis à l’honneur » par des représentants du Parti et du Département de Travail du Front uni en janvier 2021 dans le comté de Chonggye (Qiongjie) de la ville de Lhokha (Shannan) pour avoir « respecté les quatre normes et aspiré à devenir des nonnes et des moines supérieurs ». (Source : Département de Travail du Front uni et Comité du Parti du comté de Chonggye) En énonçant une instruction aussi claire que celle-ci lors d’une conférence à laquelle participaient onze organismes du Parti et du gouvernement œuvrant au contrôle de la communauté monastique, le Parti s’assure que la dénonciation du Dalaï-lama et la reconnaissance de la réincarnation du Dalaï- lama approuvée par l’État soient inscrites dans le programme des « activités éducatives » destinées aux monastères. Liu Zhiqiang a ordonné un contrôle strict des monastères bouddhistes tibétains pour maintenir la « stabilité sociale », en les comparant à des « naseaux de bœuf » [40]. En effet, si l’on perce d’un anneau les naseaux d’un bœuf, on peut le guider où l’on veut. De même, Wangchuk (en chinois : Wang Jiu), le vice-directeur du DTFU et le secrétaire du groupe du Parti du Bureau des affaires ethniques et religieuses de la préfecture de Ngari, a plaidé en faveur de la résistance à l’arrivée de fidèles du Dalaï-lama dans les monastères et de la redevabilité politique des nonnes et des moines envers la Chine, ceux-ci étant censés devenir un exemple à suivre pour la population [41]. Le DTFU coopte des membres de la communauté monastique et veille à l’application du cadre 14
réglementaire de l’État relatif à la religion – et tout particulièrement des lois portant spécifiquement sur le bouddhisme tibétain – comme le démontrent ses activités, qui témoignent également de la volonté du Parti d’exercer son pouvoir sur les réincarnations. Le discours de la Chine au sujet de la tradition bouddhiste tibétaine de la réincarnation a été présenté dans la ville de Lhoka (en chinois: Shannan) en mai 2020 dans le cadre d’une exposition, afin de rendre publique et de mettre en œuvre les « mesures de gestion de la réincarnation des Bouddhas vivants dans le bouddhisme tibétain ». La communauté monastique ne peut plus appliquer sa méthode traditionnelle pour reconnaître les enseignants réincarnés et elle est obligée de suivre les procédures que le Parti a établies en matière de réincarnation pour mettre en place un candidat approuvé par le gouvernement. Selon ces dernières, la procédure de recherche de la réincarnation des enseignants bouddhistes nécessite de suivre la méthode controversée du tirage au sort dans un vase doré. Pour être sûr de pouvoir contrôler les lamas réincarnés – et surtout la réincarnation de l’actuel Dalaï-lama, le 14ème –, le PCC a adopté plusieurs textes qui prescrivent que la recherche des lamas réincarnés ne peut avoir lieu que sur le territoire chinois et qu’elle doit être approuvée par Pékin. L’exposition, qui a été visitée par des dirigeants de l’État-parti et des représentants d’associations religieuses approuvées par l’État, a par la suite été rendue accessible aux villageois et à toute la société, dont notamment des élèves de l’école élémentaire et intermédiaire [42]. D’après un autre rapport du Département de Travail du Front uni de la ville de Chamdo, le Comité de gestion du monastère de Yizhang de la ville de Chamdo (en chinois : Changdu) dans le comté de Lhorong (en chinois : Luolong) a organisé des cours en mai 2020 pour que tous les moines du monastère puissent étudier les « Mesures de gestion de la réincarnation des Bouddhas vivants dans le bouddhisme tibétain ». Ces cours visaient à apprendre aux moines qu’ils devaient respecter les politiques et les lois du Parti et de l’État en ce qui concerne la réincarnation des enseignants bouddhistes tibétains, conformément à la version de l’Histoire, aux rituels religieux et aux procédures définis par l’État-parti pour le bouddhisme tibétain [43]. LES « QUATRE NORMES » INFÉODENT LA PRATIQUE RELIGIEUSE À LA LOYAUTÉ AU PARTI 15
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