Rapport Sauvé, secret de la confession de quoi ont parlé Jean Castex et le pape François ?

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Publié le 19 octobre 2021(Mise à jour le 19/10)
Par Rédaction Réforme avec AFP

Rapport Sauvé, secret de la
confession… de quoi ont parlé Jean
Castex et le pape François ?
Reçu par le pape François à l’occasion du centenaire de la reprise des relations
diplomatiques, Jean Castex a également évoqué avec son hôte les conclusions de
la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase).

Le Premier ministre Jean Castex a été reçu lundi 18 octobre au Vatican par le
pape François, avec qui il a évoqué l’épineuse “conciliation” entre la dénonciation
de faits criminels et le “secret de la confession” après les révélations
retentissantes sur les abus sexuels dans l’Église catholique en France. Jean
Castex, accompagné de son épouse, est arrivé peu avant 10 heures au Vatican, où
il a été reçu en audience privée par le souverain pontife.

“On a évoqué évidemment la situation de l’Église en France, le rapport Sauvé.
Son discours consiste à dire que c’est courageux de la part de l’Église de France
d’avoir fait son travail. Il fait confiance à l’Église de France pour tirer les
conclusions. Il se réjouit qu’il n’y ait pas de déni”, a déclaré Jean Castex à la
presse, à l’issue de l’audience au cours de laquelle les deux hommes ont échangé
en espagnol.

“Un travail au long cours”
“Ce n’est pas un scoop : l’Église ne reviendra pas sur le dogme du secret de la
confession. Mais il faut à tout prix trouver les voies et moyens pour concilier cela
avec le droit pénal, le droit des victimes. C’est un travail au long cours”, a-t-il
ajouté. “Et, je crois qu’il y a possibilité de trouver conciliation, l’essentiel est que
justice soit rendue”, a insisté Jean Castex.

La visite du Premier ministre français, prévue de longue date, afin de célébrer le
centenaire du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le
Saint-Siège, a été bousculée par l’actualité après la publication le 5 octobre des
conclusions de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église
(Ciase).

“Notre-Dame de Paris”
Le rapport Sauvé dresse un état des lieux “accablant” en estimant à quelque 216
000 le nombre de mineurs victimes de prêtres, diacres et religieux depuis 1950 en
France. Le pape François a exprimé sa “honte” et sa “douleur” après la
publication de ce rapport. En France, le débat s’est aussi noué autour du secret
de la confession, que le président de la Conférence des évêques de France (CEF)
Éric de Moulins-Beaufort avait jugé “supérieur aux lois de la République”, avant
de rétropédaler en évoquant une “formulation maladroite”.

Le Vatican lui-même marche sur des œufs : d’un côté, un formulaire de
signalement de délit a été mis à disposition de tout ecclésiastique en juillet 2020 ;
de l’autre, le Saint-Siège a confirmé la primauté du secret de la confession, le
confesseur étant simplement encouragé à “tenter de convaincre le pénitent”
d’alerter des personnes en mesure, elles, de saisir la justice.

Lionel Messi
Jean Castex, qui a indiqué avoir invité François en France, lui a offert un maillot
signé de Lionel Messi, le compatriote du pape argentin qui évolue désormais au
PSG, ainsi qu’une première édition illustrée par Tony Johannot de Notre-Dame de
Paris, le roman de Victor Hugo, datant de 1836. Avant de recevoir, des mains du
pape, une mosaïque représentant des vignerons avec l’inscription “Que le fruit
des vignes et du travail de l’homme devienne pour nous le breuvage du salut”.
Castex a ensuite visité la chapelle Sixtine et la basilique Saint-Pierre en
compagnie du ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin et du chef de la
diplomatie Jean-Yves Le Drian.

Dans l’après-midi, Jean Castex a été reçu une heure durant par le chef du
gouvernement et ancien patron de la Banque centrale européenne Mario Draghi.
L’occasion d’incarner davantage le réchauffement des relations entre France et
Italie, marquées par des épisodes de tension, notamment sur la question
migratoire quand le leader d’extrême droite Matteo Salvini était ministre de
l’Intérieur.

Gérald Darmanin                              reviendra                 parler
immigration
Le sujet s’est évidemment invité lundi à la table des discussions, alors que la
France exercera à partir du 1er janvier la présidence tournante de l’Union
européenne. Gérald Darmanin doit d’ailleurs revenir “d’ici 15 jours” à la
rencontre de son homologue italienne Luciana Lamorgese pour avancer sur de
nouvelles pistes communes.

D’ores et déjà, “nous avons envisagé que les coopérations bilatérales en matière
de contrôle des flux migratoires se renforcent”, a résumé Jean Castex, en pointant
la “pérennisation” voire le “développement” des brigades mixtes franco-italiennes
qui patrouillent à la frontière pour lutter contre l’immigration clandestine et les
réseaux de passeurs. Jean Castex a également évoqué la mise en place de camps
d’enregistrements sécurisés aux principales portes d’entrée sur le continent, dont
l’Italie, en contrepartie de l’attribution de fonds – objet de négociations serrées à
Bruxelles -.

Traité du Quirinal
Enfin, Jean Castex et Mario Draghi ont affirmé leur volonté de voir aboutir avant
la fin de l’année le projet de traité du Quirinal, initié en 2017 pour donner “un
cadre plus stable et ambitieux” à la coopération franco-italienne, sur le modèle du
traité de l’Elysée entre France et Allemagne.

Publié le 6 octobre 2021(Mise à jour le 6/10)
Par Rédaction Réforme

Pédocriminalité : l’ “immense
chagrin” du pape après le rapport
Sauvé
La présentation des conclusions du rapport Sauvé a placé le pape François face à
une “effroyable réalité”, mardi 5 octobre. Il a salué le “courage de dénoncer” des
victimes.

Le pape François a exprimé mardi 5 octobre son “immense chagrin” face à
l’“effroyable réalité” dévoilée par la commission indépendante sur les violences
sexuelles au sein de l’Église catholique de France depuis 1950. Les pensées du
souverain pontife “se tournent en premier lieu vers les victimes, avec un immense
chagrin pour leurs blessures et gratitude pour leur courage de dénoncer”, a
déclaré le porte-parole du Vatican, Matteo Bruni. “Elles se tournent aussi vers
l’Église de France afin que, ayant pris conscience de cette effroyable réalité (…),
elle puisse entreprendre la voie de la rédemption”.

L’état des lieux dressé par le rapport est d’abord “accablant”: il estime à quelque
216.000 le nombre de mineurs victimes de prêtres, diacres et religieux depuis
1950. “Il y a eu surtout un ensemble de négligences, de défaillances, le silence,
une couverture institutionnelle qui ont présenté un caractère systémique”, a
indiqué le président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans
l’Église (Ciase) Jean-Marc Sauvé.

“Vous demander pardon”
Le nombre de mineurs victimes grimpe même à 330.000 si l’on ajoute les
personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l’Église
(enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse…), a-t-il précisé.
“L’Église n’a pas su voir, n’a pas su entendre, n’a pas su capter les signaux
faibles, n’a pas su prendre les mesures rigoureuses qui s’imposaient”, a poursuivi
Jean-Marc Sauvé, l’appelant à reconnaître sans détour sa “responsabilité”.

Après avoir reçu en main propre le rapport, fruit de deux ans et demi de travaux,
le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-
Beaufort, a exprimé “sa honte”, “son effroi”. “Mon désir en ce jour est de vous
demander pardon, pardon à chacune et chacun”, la voix des victimes “nous
bouleverse, leur nombre nous accable”, a-t-il ajouté. Véronique Margron, la
présidente de la Corref (instituts et ordres religieux) a évoqué de son côté “un
désastre”: “que dire, sinon éprouver (…) une honte charnelle, une honte absolue”.

“Indifférence profonde, cruelle”
Face à eux, Jean-Marc Sauvé a asséné que l’Église catholique avait manifesté
“jusqu’au début des années 2000 une indifférence profonde, et même cruelle, à
l’égard des victimes” de pédocriminalité. De 1950 aux années 2000, “les victimes
ne sont pas crues, entendues, on considère qu’elles ont peu ou prou contribué à
ce qui leur est arrivé”, a-t-il insisté. “C’est historique car on ne pourra plus nous
dire qu’on salit l’Église, qu’il faut tourner la page”, a ensuite confié à l’AFP une
victime, Véronique Garnier.

En préambule à la publication du rapport, François Devaux, figure de la libération
de la parole de ces victimes, avait appelé les évêques de France à “payer pour
tous ces crimes”, en ne mâchant pas ses mots face aux membres du clergé réunis.
“Je sais que c’est de l’enfer que vous revenez”, a lancé à la commission François
Devaux, cofondateur d’une association créée en 2015 à Lyon par des victimes
d’un aumônier scout, Bernard Preynat, et dissoute en mars. Leur combat avait été
raconté en 2019 par le film Grâce à Dieu de François Ozon.

“Un jour de deuil, de tristesse”
À Lyon, le recteur de Fourvière Yves Guerpillon, sollicité par des journalistes à la
sortie de la messe, a évoqué la “résonance particulière” de ce phénomène dans
cette ville, “parce qu’on y est sensibilisé depuis longtemps” avec l’affaire Preynat.
Il assimile ce mardi à “un jour de deuil, de tristesse, de souffrance en pensant à
ces victimes, à tous ces enfants dont la vie a été brisée”.

Les garçons “représentent près de 80% des victimes, avec une très forte
concentration entre 10 et 13 ans”, a relevé Jean-Marc Sauvé. Il avait auparavant
révélé une “estimation minimale” du nombre de prédateurs: “2.900 à 3.200”
hommes – prêtres ou religieux – entre 1950 et 2020. Selon le rapport, 1,16% des
personnes en lien avec l’Église catholique ont subi des agressions sexuelles de
diverses natures. Un taux de prévalence bien supérieur à celui de 0,34%
concernant l’école publique (hors internats).

L’indemnisation est “un dû”
Pour mener à bien son enquête sur la pédocriminalité au sein de Église
catholique, la Ciase avait fait de la parole des victimes “la matrice de son travail”,
a rappelé Jean-Marc Sauvé, avec un appel à témoignages pendant dix-sept mois et
quelque 250 entretiens. Elle a aussi effectué une plongée dans de nombreuses
archives, de l’Église, des ministères de la Justice et de l’Intérieur, et de la
presse… La Commission a énuméré 45 propositions dans plusieurs domaines:
écoute des victimes, prévention, formation des prêtres et des religieux,
transformation de la gouvernance de l’Église…
Surtout, Jean-Marc Sauvé a appelé l’institution à apporter une “réparation”
financière à toutes les victimes de violences sexuelles en son sein, “en fonction
des préjudices subis”. Il a souhaité que cette indemnisation ne soit pas considérée
comme “un don” mais comme “un dû”. À cette fin, la Ciase recommande que les
indemnités versées aux victimes soient financées “à partir du patrimoine des
agresseurs et de l’Église de France”. Les premières mesures de la Conférence des
évêques de France et de la Corref seront annoncées en novembre, quand elles se
réuniront en assemblées plénières.

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Rédaction Réforme avec AFP

Publié le 26 avril 2021(Mise à jour le 26/04)
Par Rédaction Réforme

Naufrage de 130 migrants en
Méditerranée : une “honte”, pour
le pape François
Au moins 453 personnes sont morts noyés en Méditerranée depuis le début de
l’année, selon l’Organisation internationale pour les migrations.

Le pape François a qualifié dimanche de “honte” le sort de 130 migrants portés
disparus depuis jeudi à la suite d’un naufrage en Méditerranée, se disant “très
attristé par cette tragédie”.

“Je vous confesse que je suis très attristé par la tragédie qui encore une fois s’est
produite ces derniers jours en Méditerranée. Frères et soeurs, interrogeons-nous
tous sur cette énième tragédie. C’est un moment de honte”, a-t-il dit aux fidèles à
l’issue de la prière Regina Coeli, place Saint-Pierre au Vatican.

Un bateau pneumatique retourné
L’ONG SOS Méditerranée avait indiqué jeudi avoir repéré au large de la Libye
une dizaine de corps près d’un bateau pneumatique retourné qui avait été signalé
en détresse avec environ 130 personnes à bord.

“Cent trente migrants sont morts en mer, ce sont des personnes, ce sont des vies
humaines qui ont pendant deux journées entières vainement imploré de l’aide.
Une aide qui n’est pas arrivée”, a poursuivi le pape François. “Prions pour ces
frères et soeurs et pour tant d’autres qui continuent de mourir lors de ces
voyages dramatiques. Prions aussi pour ceux qui peuvent aider mais préfèrent
regarder d’un autre côté. Prions en silence pour eux”, a conclu le pape, grand
défenseur des droits des migrants, réfugiés et déplacés.

453 morts depuis le 1er janvier 2021
Les ONG humanitaires accusent les pays de l’Union européenne non seulement
de ne pas vouloir secourir les migrants en danger dans la Méditerranée, mais
également d’entraver leurs propres activités de sauvetage.

Selon des chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)
arrêtés au 21 avril, au moins 453 migrants ont péri depuis le 1er janvier 2021 en
Méditerranée, essentiellement sur cette route centrale au départ de la Tunisie et
de la Libye.

Via AFP

Publié le 10 mars 2021(Mise à jour le 16/03)
Par Philippe Clanché

Retour sur la visite du pape
François en Irak
En maintenant son voyage et en posant des gestes de concorde forts, François a
fait preuve d’un courage à la hauteur de l’événement.

Viendra-t-il ou renoncera-t-il ? La question a hanté les chrétiens irakiens jusqu’au
dernier moment. Et François, 84 ans, a tenu bon. Il a réalisé le pèlerinage que ses
deux prédécesseurs, Jean-Paul II puis Benoît XVI, avaient rêvé en vain : venir en
Irak, sur les pas d’Abraham. Une terre chrétienne bien sûr, mais aussi une terre
d’islam depuis le prestigieux califat de Bagdad (du VIIIe au XIIIe siècle). Le
territoire, ensanglanté par les crimes de l’État islamique il y a quelques années,
est toujours aux prises avec une violence qui paraît ne pas connaître de fin. Si l’on
ajoute au tableau la Covid, qui a redoublé d’intensité et a contaminé
l’ambassadeur du Saint-Siège en Irak il y a peu, le voyage pontifical aurait pu
être, en bonne logique, condamné. Il a eu lieu par la volonté opiniâtre d’un
homme.

Un geste fort
Au-delà d’un retentissement immense sur place, l’évènement a fait la une des
médias du monde entier, trop longtemps sevrés de signes positifs. « Le message
que le pape a envoyé est important pour les chrétiens restés sur place, dont la vie
est particulièrement difficile », estime Munwr Hadad. Réfugié en France depuis
six ans avec sa famille, il est protestant et a quitté Mossoul à l’arrivée de Daesh. Il
évalue à 300 le nombre de chrétiens demeurés dans l’ancienne capitale de l’État
islamique. Aussi est-il naturel, à ses yeux, que la visite du pape ait réjoui et
encouragé les catholiques tout comme les autres minorités, dont les protestants.
Et ce, même si les habitants ont été sommés de rester chez eux, « excepté pour
descendre dans la rue le saluer », parce que « le gouvernement n’est pas en
mesure d’assurer la sécurité du pape ».

Celui qui fut, à 36 ans, à la tête des jésuites d’Argentine pendant la dictature
militaire n’est pas du genre à se défiler devant l’épreuve. 48 ans plus tard, et en
dépit de petites alertes de santé récurrentes, il a relevé le défi en répondant à
l’appel des dignitaires chrétiens irakiens. François aurait pu se contenter de faire
la tournée de ses ouailles, tellement éprouvées. De prononcer son appel à la
réconciliation nationale, tant attendu. Et de laisser le bien fragile gouvernement,
guère ménagé par les mots du pontife – « Il est nécessaire de lutter contre la plaie
de la corruption, les abus de pouvoir et l’illégalité, mais ce n’est pas suffisant. Il
faut en même temps édifier la justice, faire grandir l’honnêteté, la transparence et
renforcer les institutions à cet effet » –, profiter d’un coup d’éclairage positif rare.
Le contrat aurait déjà été rempli.

Mais ce pape-là aime les aventures risquées. Et quel terrain plus périlleux
aujourd’hui que la quête de la concorde avec l’islam dans sa complexité ? Dans la
lignée du texte (1) signé à Abou Dhabi en 2019 avec une sommité sunnite, le
grand imam de la mosquée Al-Azhar du Caire, François a jeté une passerelle vers
une des personnalités chiites les plus respectées, Ali al-Sistani. Le tête-à-tête a
duré 45 minutes. Certes, sur la photo, le dignitaire nonagénaire n’arborait pas le
même sourire que son hôte romain. Mais l’image est prometteuse, autant pour les
relations islamo-chrétiennes que pour la concorde nationale, les deux domaines
étant étroitement liés. On pourra dire que les sunnites boudent d’avoir été oubliés
et que le chemin reste long avant la pleine harmonie. Toutefois le geste du pape,
faisant fi de tous les procès en naïveté et en récupération, a ouvert un avenir
possible.

François appelle                              les        chrétiens                 à
reconstruire
En réunissant samedi à Ur, la patrie d’Abraham, les enfants du Livre de diverses
obédiences, le pape est allé plus loin que Jean-Paul II qui avait établi la capitale
du dialogue interreligieux à Assise, en terre chrétienne. « Nous nous sommes
retrouvés ici, à la maison, a-t-il affirmé. Et d’ici, ensemble, nous voulons nous
engager afin que se réalise le rêve de Dieu : que la famille humaine devienne
hospitalière et accueillante envers tous ses fils. »

Enfin, dimanche à Karakosh, qui fut jadis la plus importante ville chrétienne du
pays, François a encouragé les fidèles qui ont dû fuir devant Daesh et une mort
certaine en 2014, puis sont revenus trois ans plus tard pour vivre sur les ruines
de leurs maisons, de leurs églises. « Vous n’êtes pas seuls, ont-ils entendu de la
part du pape. Le moment est venu de reconstruire et de recommencer. » Ces mots
seraient-ils de nature à inciter la famille Hadad à retourner en Irak ? « J’ai vu trop
de messages sur les réseaux sociaux irakiens opposés à la visite du pape. Si
certains musulmans ne veulent pas de lui quelques jours, comment puis-je
envisager de retourner là-bas ? appréhende Munwr. Et puis, notre vie est en
France, désormais. » Si le séjour de François a permis de redonner de la visibilité
aux minorités chrétiennes irakiennes, le chemin demandera encore beaucoup de
temps, de travail et de ténacité pour que leur
situation s’améliore.

(1) Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence
commune.

Lire également :

  En Irak, Noël devient un jour férié
Documentaire : chrétiens d’Irak, là-bas et ici

  Être pasteur à Bagdad : entre dangers et espérances

  Pierre-Jean Luizard : “En Irak, le meilleur allié de l’État islamique, c’est le
  système politique”

  Irak : quelle est la situation humanitaire et politique ?

  Irak, Syrie… “Les chrétiens ne doivent pas choisir un camp”

Publié le 6 mars 2021(Mise à jour le 5/03)
Par Philippe Clanché
Ali al-Sistani,                                un           ayatollah
pacificateur
Le pape François, en voyage en Irak, rencontrera le 6 mars l’ayatollah Ali al-
Sistani. Un leader chiite respecté par les musulmans comme par les chrétiens.

Dans l’imaginaire collectif, on ne classe pas spontanément un dirigeant chiite
parmi les hommes de dialogue et d’ouverture. C’est oublier que l’école des
mollahs au pouvoir en Iran depuis la Révolution de 1979 n’est pas la seule
branche de ce courant de l’islam. Avec le grand ayatollah Ali al-Sistani, vedette du
programme de la visite du pape François, le monde va découvrir un homme
capital dans la vie politique et spirituelle irakienne depuis des décennies. Né Iran,
dont il conserve la nationalité, il est installé depuis très longtemps à Nadjaf,
grande ville au sud de Bagdad, siège d’une grande école de formation chiite dont
il est le leader respecté.

Ali al-Sistani mobilise les hommes contre
Daesh
Depuis 2003 et la chute de Saddam Hussein, al-Sistani a adoubé tous les
dirigeants du pays. À chaque regain de tension, notamment les attentats contre
les chrétiens, il a appelé au calme. En 2014, l’ayatollah a mobilisé les combattants
face à Daesh, puis, ce combat remporté, a demandé aux milices formées de se
mettre au service de l’État, sans jouer leur propre carte. Ali al-Sistani ne veut pas
d’un gouvernement théocratique à l’iranienne, ce qui lui vaut de nombreuses
sympathies dans le pays… comme dans les chancelleries occidentales.

La visite papale à ce leader chiite était indispensable pour les responsables
chrétiens locaux. Il n’est pas étonnant que ce rendez-vous ait été annoncé non par
le Saint-Siège, comme c’est l’usage, mais par le patriarche des Chaldéens Louis
Sako, lors d’une conférence de presse devant les journalistes français, fin janvier.
Publié le 18 février 2021(Mise à jour le 25/02)
Par Yves Gautier

Décryptage des rumeurs autour de
la démission du pape François
La démission du pape François a été évoquée à plusieurs reprises dans les
médias. Si le souverain pontife ne semble pas prendre le chemin de la sortie,
qu’est-ce qui explique de telles rumeurs ?

Il y a huit ans, le 11 février 2013, Benoît XVI démissionnait. Il n’en fallait pas
moins pour relancer la rumeur autour du départ de François, qui ne fait pas
l’unanimité au sein de l’Église catholique. À la fin de l’année 2020, le bruit courait
déjà. Ce sont des journalistes d’un média anglais, le Daily Express, qui ont semé
l’idée d’une possible démission du pape actuel reprenant des propos extraits de
leur contexte. L’information, qui était fausse, a fait scandale. Il faut pourtant
admettre que la nouvelle ferait plaisir à certains catholiques, ce qui explique
sûrement la facilité avec laquelle la fake news (fausse information) s’est
répandue. Plusieurs raisons éclairent la fronde à laquelle François fait face.

Les prises de position du pape François
divisent les catholiques
Les prises de position du pape concernant certains sujets de société sont
clivantes. En France, c’est le cas par exemple sur les questions de bioéthiques
(l’Église catholique s’est notamment mobilisée contre la PMA pour toutes). Le
pape a par ailleurs participé à la première journée internationale de la fraternité
humaine, le 4 février, lors de laquelle il a récompensé Latifa Ibn Ziaten (la mère
de Imad Ibn Ziaten, première victime de Mohamed Merah) qui s’est engagée
auprès des jeunes livrés à eux-mêmes pour prévenir la radicalisation. L’Église se
prononce également sur l’actuelle loi pour conforter les principes républicains
(ancienne loi sur les séparatismes) en pointant du doigt les contraintes injustifiées
qu’elle imposera à beaucoup de familles catholiques pratiquant l’école à la
maison.

« Écouter le pape mais pas forcément lui
obéir »
Depuis le début de son pontificat, en mars 2013, les prises de position de François
ne cessent de secouer l’Église catholique. Le pape s’est ainsi fait quelques
adversaires au nombre desquels plusieurs cardinaux attachés à la tradition. Parmi
eux, on compte le cardinal Brandmüller qui dénonçait la dictature sanitaire
mondiale. Le cardinal Burke n’a pas non plus mâché ses mots à ce sujet. Leurs
discours sont en totale opposition avec celui du pape. En effet, ce dernier a
annoncé qu’il allait se faire vacciner prochainement et que ceux qui rejetaient la
vaccination étaient dans un état d’esprit de « négationnisme suicidaire ». Ces
divergences provoquent le doute, voire la division, parmi les fidèles. À la sortie de
la messe, un jeune catholique déclarait à Réforme avec prudence : « En tant que
chrétien on doit écouter le pape, pas forcément lui obéir ». Et d’ajouter : « Cela
nous amène à réfléchir […] le pape nous invite à prendre conscience de nos
interactions avec les autres personnes et notamment les plus vulnérables […]
mais il ne parle pas en tant qu’expert médecin ».

Ce n’est pas la première fois que le pape François fait face à des frondeurs, et ce
ne sera vraisemblablement pas la dernière.

Yves Gautier
Publié le 5 janvier 2021(Mise à jour le 5/01)
Par Réforme

Le mouvement Promesses d’Église
sonne-t-il le glas du cléricalisme ?
Depuis deux ans, des mouvements et associations catholiques se rassemblent
pour questionner l’Église en réponse à l’appel du pape François dans sa lettre au
peuple de Dieu publiée fin août 2018.

Début décembre, le mouvement Promesses d’Église a tenu sa sixième assemblée
plénière. Les 28 associations et collectifs du mouvement ont inauguré, lors de
cette assemblée, leur site internet : https://www.promessesdeglise.fr/

Un mouvement pour répondre à une
Église catholique en crise
Ce mouvement inédit est une réponse à l’appel au peuple de Dieu, une lettre du
pape François publiée le 20 août 2018 afin de rassembler à nouveau les fidèles.
Pour le pape, en finir avec les abus dans l’Église c’est lutter contre le
cléricalisme. Ainsi écrit-il : « Dire non aux abus, c’est dire non, de façon
catégorique, à toute forme de cléricalisme ». Avec cet objectif comme figure de
proue, le mouvement s’engage à publier des textes, initier des moments de
réflexions et dessiner le visage de l’Église de demain pour une Église plurielle et
synodale.

Le mouvement Promesses d’Église sera-t-
il une révolution dans le milieu catholique
?
Impossible de savoir aujourd’hui ce que donnera ce mouvement laïc créé pour
encourager l’institution au changement. Cependant, cette initiative est inédite car
elle rassemble un grand collectif de mouvements et d’associations catholiques.

Un mot d’ordre: réformer l’Église en abordant des sujets cruciaux, comme la
morale sexuelle et la place des femmes.

 ©capture d’écran du site internet Promesses d’Eglise

Un enjeu : en finir avec le cléricalisme
Évoqué dans les assemblées et désigné comme la cause principale de la crise de
l’Église aujourd’hui, le cléricalisme reste difficile à caractériser. Sa définition est
pourtant essentielle pour mener à bien la mission de Promesses d’Église. Dans sa
lettre, le pape l’évoque ainsi : « Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-
mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui
encourage et contribue à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons
aujourd’hui. Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute
forme de cléricalisme. »

S’il est difficile de bien analyser les causes de la crise que traverse actuellement
l’Église, il est certain que le mouvement Promesses d’Église est résolu à
construire l’Église catholique de demain.

Publié le 11 novembre 2020(Mise à jour le 11/11)
Par Antoine Nouis

L’encyclique papale « Fratelli
tutti » analysée par le théologien
protestant Antoine Nouis
L’encyclique papale Fratelli tutti (Tous frères, 2020), véritable manifeste de la
« doctrine sociale » de l’Église catholique, suscite déjà un large débat dans
plusieurs pays aux racines chrétiennes.

Depuis un siècle et demi, le concile, les différents papes et les conférences
épiscopales se sont exprimés sur les questions sociales, économiques et politiques
pour forger un corpus de pensée qui a pris le nom de doctrine sociale de l’Église.
La dernière encyclique du pape François se présente comme une synthèse de cet
enseignement remixé à la sauce bergoglienne. Dans l’introduction, le pape inscrit
sa réflexion dans la filiation de François d’Assise et notamment du jour où, dans
une démarche pacifique et fraternelle, ce dernier a franchi les lignes militaires
pour aller à la rencontre du sultan Malik al-Kamil qui était assiégé par les croisés.
Ce jour-là, il a transgressé les codes pour amorcer une tentative de paix.

Dans cette même veine, le pape évoque à plusieurs reprises sa rencontre avec
Ahmed el-Tayeb, le grand imam de la mosquée Al-Azhar, au Caire, parfois
considéré comme la plus haute autorité de l’islam sunnite, avec qui il a signé en
2019 le document intitulé « La fraternité humaine pour la paix mondiale et la
coexistence commune ». L’encyclique s’inscrit dans sa politique de la main tendue
vers les autres courants spirituels, dans la lignée du slogan qui nous invite à faire
ensemble tout ce que nous ne sommes pas obligés de faire séparément. Un
protestant peut facilement se saisir de ce texte, car il n’y a rien dans cette
encyclique qu’il ne pourrait signer pour des raisons théologiques. Éclairage sur
cinq des principaux points de cette encyclique.

1. Référence à la parabole du bon
Samaritain
Un texte biblique est commenté sur plusieurs pages pour fonder le discours de
l’Église dans le monde : la parabole du bon Samaritain. Nous reconnaissons la
patte d’un pape qui a toujours privilégié le geste fraternel par rapport au
raisonnement théologique. Il place au centre de sa lecture la victime et relève que
ce ne sont pas les bons religieux qui l’ont secourue, mais un étranger, ce qui nous
rappelle que la charité est universelle. La parabole nous invite à ne pas faire
comme le prêtre et le lévite qui ont détourné les yeux pour ne pas voir le blessé
qui était sur leur route. C’est pourtant lui qui est pour les chrétiens une image du
Christ, selon le verset qui dit : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais étranger, j’étais
nu, j’étais malade et j’étais en prison… et vous m’avez secouru » (Mt 25,35-36).

2. Les insuffisances du système capitaliste
Le pape note que l’économie libérale a été très efficace pour la croissance
économique, mais qu’elle ne favorise pas automatiquement le développement
humain intégral. Elle n’aide pas à faire société puisqu’elle isole les individus et
augmente les inégalités. L’économie doit donc être régulée par le politique et
l’éthique afin de remettre l’humain au centre de sa logique. Le principe de
solidarité peut ne pas être « rentable » au plan économique, mais il est la
condition d’une société harmonieuse. Le pape prend l’exemple de la propriété
privée qui est un droit, mais qui doit être articulée avec la « destination
universelle des biens » rappelant que la propriété ne doit jamais être séparée de
la justice, selon ce que disait le Père de l’Église Grégoire le Grand : « Quand nous
donnons aux pauvres les choses qui leur sont nécessaires, nous ne leur donnons
pas tant ce qui est à nous que nous leur rendons ce qui est à eux. »

3. L’attention aux plus fragiles, aux
migrants
Une attention particulière doit être apportée aux plus fragiles : les pauvres, les
malades, les handicapés, les migrants. Au sujet de ces derniers, le pape prend en
considération les réticences chez des personnes craignant d’être dépossédées de
leur identité. Il invite à faire le pari de l’accueil et à surmonter les peurs qui nous
empêchent de prendre le risque de la rencontre : « Les histoires des migrants sont
aussi des histoires de rencontre entre personnes et cultures : pour les
communautés et les sociétés d’accueil, ils représentent une opportunité
d’enrichissement et de développement humain. »

4. Une éthique du dialogue
Si la politique induit une attention au petit, elle doit être accompagnée d’une
éthique du dialogue pour ne pas devenir condescendante. Le mot dialogue (dia-
logos) signifie étymologiquement être traversé par la parole de l’autre. Le
prochain devient un frère qui me permet d’accéder à ma propre vérité. Cette
éthique est une urgence à l’heure des réseaux sociaux qui tendent à enfermer
chacun dans son silo.
5. La paix comme conflit surmonté
Le pape fait la comparaison entre le monde et une famille. Les parents, les
enfants et les grands-parents peuvent se quereller et avoir des intérêts
divergents, mais ils savent qu’ils appartiennent à la même famille, c’est pourquoi
ils sont à la recherche de compromis. Le conflit appartient à notre humanité, les
artisans de paix ne sont pas ceux qui ne connaissent pas de conflits, mais ceux qui
ont su les surmonter. L’encyclique Fratelli tutti est un vrai texte politique au sens
le plus noble du terme, comme on en trouve peu dans les Églises protestantes ;
c’est pourquoi les différents groupes de réflexion des Églises peuvent l’étudier
avec profit.

À lire
L’encyclique Fratelli tutti.

Publié le 11 novembre 2020(Mise à jour le 11/11)
Par Philippe Clanché
« Le pape veut passer du clérical
au synodal »
Religieuse xavière, Nathalie Becquart a longtemps été responsable de la jeunesse
pour l’Église de France. Le 24 mai 2019, elle a été nommée, en même temps que
cinq autres personnes – dont pour la première fois quatre femmes – consulteur au
secrétariat général du synode des évêques. Elle décrypte le style et les ambitions
du pape.

Faut-il distinguer la forme et le fond dans les initiatives et les prises de
position du pape ?

Formé en Amérique latine, il est façonné par une approche de théologie pastorale
qui mêle les deux. Il met en cohérence parole et actes, comme lorsqu’il consacre
son premier voyage aux migrants à Lampedusa, en juillet 2013. Il faut parler d’un
style François. Dans sa manière de communiquer, la relation et la rencontre sont
centrales. Lui-même est en permanence dans une dynamique de conversion,
expérience vécue dans son parcours personnel. Son premier grand texte,
Evangelii gaudium (La joie de l’Évangile, 2013), appelle une conversion
missionnaire de l’Église. Pour François, l’Église n’est pas autocentrée, mais en
dialogue.

Ce pape propose un processus et une méthode. Il part toujours des réalités du
monde, pas d’un idéal. Dans Fratelli tutti (Tous frères, 2020), il pose un regard
sur nos sociétés, lit les signes des temps, essaie de comprendre, établit un
diagnostic, puis avance des réponses. Il ouvre et conduit des processus. Sa
pensée reste ouverte, en continuel discernement. Il plaide pour une théologie en
dialogue, pas en chambre, connectée avec les réalités du monde actuel : les
migrations, le système économique et politique, l’écologie… Pour un
raisonnement humain, court-termiste, dans une culture du résultat, c’est
complexe à entendre.

Quels sont les objectifs « stratégiques » qu’il s’est fixés pour son
pontificat ?

Il souhaite que l’Église catholique passe d’un fonctionnement clérical, en place
depuis des siècles, à un fonctionnement synodal, dans un discernement collectif.
Après le Synode des évêques sur l’Amazonie de 2019, il a créé la Conférence
ecclésiale amazonienne (et non, comme souvent, épiscopale), pour mettre en
œuvre les fruits du Synode, avec un accent fondamental mis sur le « peuple de
Dieu », les laïcs.

Tant dans les questions sociales qu’ecclésiales, les sujets peuvent être acteurs.
François a l’intuition que la réforme qu’il porte, très urgente au regard des abus,
ne pourra se faire qu’avec les laïcs. Il ne peut l’imposer du haut vers le bas. Il
écoute d’abord et ne prend ses décisions qu’ensuite, veillant à ce que le cap
indiqué soit intégré par le consensus ecclésial. Car son rôle premier est d’être
garant de la communion.

Pourquoi son pontificat est-il tant marqué par les débats ? Et pourquoi ces
débats sont beaucoup plus étalés sur la place publique qu’auparavant?

Parce qu’il n’a pas peur des conflits, le pape encourage une parole libre, critique.
Il ne voit pas l’Église comme un corps homogène, préférant l’image de l’unité
dans la diversité. Les manières de faire changent et il se heurte à des résistances,
c’est normal.

Comment expliquer sa popularité croissante en dehors de l’Église ?

Peu de leaders mondiaux sont autant sollicités que lui. Le pape François propose
un cap à tous, la fraternité. Sa vision du bien commun dépasse l’intérêt des
catholiques. Dans Fratelli tutti, il articule un regard global sur le monde et la
conviction qu’on ne peut se sauver tout seul. Il pense l’interdépendance, dans une
vision qui n’écrase pas les cultures locales. Aujourd’hui, cette voie n’est pas
simple. Il s’avère plus facile d’être populiste et identitaire, ou bien de porter une
approche globalisante qui écrase les identités.

Propos recueillis par Philippe Clanché

À lire
L’esprit renouvelle tout ! Nathalie Becquart, Salvator, 2020, 17 €.
Publié le 11 novembre 2020(Mise à jour le 11/11)
Par Philippe Clanché

Temps orageux au Vatican
Avec sa vision nouvelle et son autorité de manageur, le pape détonne dans une
institution très sclérosée. Les oppositions sont nombreuses, rendant ce pontificat
hors norme.

Il paraît que l’Esprit saint aide les cardinaux à faire le bon choix à l’heure d’élire
en leur sein le futur pape. En mars 2013, il a inspiré aux hommes en rouge l’idée
de confier la barre de leur navire en pleine tempête à un jésuite argentin, inconnu
de beaucoup. Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires depuis 1998,
avait impressionné ses collègues lors des réunions organisées avant le vote,
durant lesquelles les électeurs expriment leurs priorités pour le futur pontificat. Il
avait affirmé, selon l’historien Yves Chiron (1), que « l’Église est appelée à sortir
d’elle-même et à aller dans les périphéries, les périphéries géographiques mais
également existentielles ». Il aurait aussi pointé le danger « d’une Église
autoréférentielle, mondaine, qui vit repliée sur elle-même et pour elle-même ».
Stratégie de rupture
Un vrai programme politique et social, et une stratégie de rupture après un
pontificat d’affirmation identitaire et de restauration de la gloire perdue. Quatre
jours plus tard, le cardinal Bergoglio est devenu pape, se plaçant sous le
patronage de François d’Assise. Un saint très populaire, chantre du respect de la
Création, mais aussi d’un caractère très affirmé, que l’on va vite voir à l’œuvre
chez le nouveau pontife.

Habitué aux propos soupesés et aseptisés par moult relectures officielles, le
monde romain découvre un pape qui aime débattre, comme avec Eugenio
Scalfari, athée, fondateur du grand quotidien de gauche La Repubblica, et « parle
cash ». « Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à
l’avortement, au mariage homosexuel et à l’usage des contraceptifs. La pensée de
l’Église nous la connaissons et je suis fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire
d’en parler en permanence », affirme-t-il, afin de bien laisser entendre sa
différence.

Tous les sujets qui fâchent et que ses prédécesseurs ont mis sous le tapis,
Bergoglio les met sur la table : possibilité d’ordination à la prêtrise d’hommes
mariés, ministère féminin, reconnaissance civile des couples homosexuels. Même
s’il ne tranche pas, il déchaîne les foudres des tenants de l’immobilisme. Et il
pourfend les prêtres carriéristes, qui obtiennent un poste à Rome, y intriguent
pour gravir les échelons, et ne retournent jamais se mettre au service de leur
église d’origine.

Une lutte acharnée
Pour mener à bien son programme, le pontife veut remplacer les cadres qui ne
seraient pas alignés sur ses positions. Avant l’arrivée de François, le spoils system
(renouvellement de toute l’administration en cas d’alternance politique) n’existait
pas au Vatican. On lui reproche d’avoir « remercié » le cardinal allemand Gerhard
Müller en ne renouvelant pas son mandat au bout de cinq années à la tête de la
puissante Congrégation pour la doctrine de la foi. À Rome, ce genre de décision
est perçu comme une disgrâce. On peut citer le cas du cardinal Raymond Burke
ou de Mgr Vigano, ancien nonce apostolique (ambassadeur) aux États-Unis, qui,
depuis lors, multiplient les brûlots contre le patron du Vatican, jusqu’à le juger
hérétique. Certains ont même tenté, sans succès, de rallier à la contestation le
pape émérite Benoît XVI (93 ans), qui finit ses jours au Vatican.

Les victimes des opérations « mains propres », jugés mauvais gestionnaires des
finances du Saint-Siège ou suspects de protection de prêtres pédophiles, viennent
encore grossir le concert des critiques à l’encontre du souverain pontife. Dans ces
délicates décisions, la méthode du pape François – consulter, puis décider seul,
irrévocablement – fait des étincelles. Fin septembre, l’éviction subite – le livrant
de facto à la justice – du cardinal italien Giovanni Becciu, pourtant très proche du
pape, a surpris. Une affaire immobilière douteuse et la gestion très familiale des
cagnottes de l’Église d’un des rares prélats italiens haut placés ont causé sa
perte, en une époque de tolérance zéro. La liste des « ennemis » du pape
Bergoglio compte également les réseaux conservateurs états-uniens, qui
abhorrent son discours pro-migrants, son engagement pour la planète et son refus
de la peine de mort. D’autant que le Vatican refuse désormais que les millions des
donateurs américains soient uniquement dévolus aux combats éthiques de la
droite catholique, comme le combat « pro-vie ».

Des années d’impéritie
Au-delà de son désir de changement et de son comportement de manageur un peu
rude, le pape François paie le prix d’années d’impéritie dans l’institution qu’il
dirige. Jean-Paul II se désintéressait de la boutique et Benoît XVI, très conscient
du travail à faire, n’avait ni les capacités, ni les forces (et peut-être pas l’entière
volonté) d’y mettre bon ordre. C’est même pour cette raison qu’il a rendu son
tablier.

Cerise sur le gâteau, François appelle, encore une nouveauté, à la liberté de
parole et au débat. Aussi, les perdants du pontificat s’en donnent à cœur joie et se
répandent dans les médias. Malgré ces péripéties, le pape argentin tient bon la
barre. Mais à 83 ans, il sait qu’il ne pourra aller au bout de ses envies. Afin
d’éviter que son successeur ne revienne en arrière, il vient de nommer une
poignée de nouveaux cardinaux. Et quand viendra l’heure de lui choisir un
successeur, les électeurs choisis par le pape François seront majoritaires.

(1) Françoisphobie, Yves Chiron, éd. du Cerf, 2020, 20 €.
François et la France
Bergoglio n’a pas une grande connaissance de la France. Élu au moment des
débats autour de l’ouverture du mariage dans notre pays, le pontife a vite fait
comprendre, au grand dam des figures de proue d’un épiscopat français ne jurant
que par les sujets de morale sexuelle et d’éthique, qu’il goûtait assez peu ces
combats. « Le pape sait que La France est un pays déchristianisé aux neuf
dixièmes, qui nécessite une véritable évangélisation. D’où son irritation devant
l’attitude de la fraction ultraconservatrice des catholiques français, très relayée
par les médias, qui donne une impression d’irréalisme et d’agressivité très
éloignée du témoignage évangélique », explique le journaliste Patrice de Plunkett.

Mais il est aussi des catholiques à l’aise avec le pontife actuel. « Une dizaine
d’évêques, plutôt âgés, les défenseurs du concile Vatican II », observe René
Poujol, ancien directeur de la rédaction du Pèlerin et blogueur. Du côté des laïcs,
on les trouve parmi les fidèles qui rêvent de changement en matière de morale
personnelle et de ministères. « Ce pape apporte à la fois une espérance et une
crainte. Il a donné la pêche aux cathos d’ouverture. Si cela s’arrête, parce qu’il
meurt ou qu’il ne peut agir, les déçus partiront. »
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