Rapport Sauvé, secret de la confession de quoi ont parlé Jean Castex et le pape François ?
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Publié le 19 octobre 2021(Mise à jour le 19/10) Par Rédaction Réforme avec AFP Rapport Sauvé, secret de la confession… de quoi ont parlé Jean Castex et le pape François ? Reçu par le pape François à l’occasion du centenaire de la reprise des relations diplomatiques, Jean Castex a également évoqué avec son hôte les conclusions de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). Le Premier ministre Jean Castex a été reçu lundi 18 octobre au Vatican par le pape François, avec qui il a évoqué l’épineuse “conciliation” entre la dénonciation de faits criminels et le “secret de la confession” après les révélations retentissantes sur les abus sexuels dans l’Église catholique en France. Jean Castex, accompagné de son épouse, est arrivé peu avant 10 heures au Vatican, où il a été reçu en audience privée par le souverain pontife. “On a évoqué évidemment la situation de l’Église en France, le rapport Sauvé. Son discours consiste à dire que c’est courageux de la part de l’Église de France d’avoir fait son travail. Il fait confiance à l’Église de France pour tirer les conclusions. Il se réjouit qu’il n’y ait pas de déni”, a déclaré Jean Castex à la presse, à l’issue de l’audience au cours de laquelle les deux hommes ont échangé
en espagnol. “Un travail au long cours” “Ce n’est pas un scoop : l’Église ne reviendra pas sur le dogme du secret de la confession. Mais il faut à tout prix trouver les voies et moyens pour concilier cela avec le droit pénal, le droit des victimes. C’est un travail au long cours”, a-t-il ajouté. “Et, je crois qu’il y a possibilité de trouver conciliation, l’essentiel est que justice soit rendue”, a insisté Jean Castex. La visite du Premier ministre français, prévue de longue date, afin de célébrer le centenaire du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège, a été bousculée par l’actualité après la publication le 5 octobre des conclusions de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase). “Notre-Dame de Paris” Le rapport Sauvé dresse un état des lieux “accablant” en estimant à quelque 216 000 le nombre de mineurs victimes de prêtres, diacres et religieux depuis 1950 en France. Le pape François a exprimé sa “honte” et sa “douleur” après la publication de ce rapport. En France, le débat s’est aussi noué autour du secret de la confession, que le président de la Conférence des évêques de France (CEF) Éric de Moulins-Beaufort avait jugé “supérieur aux lois de la République”, avant de rétropédaler en évoquant une “formulation maladroite”. Le Vatican lui-même marche sur des œufs : d’un côté, un formulaire de signalement de délit a été mis à disposition de tout ecclésiastique en juillet 2020 ; de l’autre, le Saint-Siège a confirmé la primauté du secret de la confession, le confesseur étant simplement encouragé à “tenter de convaincre le pénitent” d’alerter des personnes en mesure, elles, de saisir la justice. Lionel Messi Jean Castex, qui a indiqué avoir invité François en France, lui a offert un maillot signé de Lionel Messi, le compatriote du pape argentin qui évolue désormais au PSG, ainsi qu’une première édition illustrée par Tony Johannot de Notre-Dame de
Paris, le roman de Victor Hugo, datant de 1836. Avant de recevoir, des mains du pape, une mosaïque représentant des vignerons avec l’inscription “Que le fruit des vignes et du travail de l’homme devienne pour nous le breuvage du salut”. Castex a ensuite visité la chapelle Sixtine et la basilique Saint-Pierre en compagnie du ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin et du chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian. Dans l’après-midi, Jean Castex a été reçu une heure durant par le chef du gouvernement et ancien patron de la Banque centrale européenne Mario Draghi. L’occasion d’incarner davantage le réchauffement des relations entre France et Italie, marquées par des épisodes de tension, notamment sur la question migratoire quand le leader d’extrême droite Matteo Salvini était ministre de l’Intérieur. Gérald Darmanin reviendra parler immigration Le sujet s’est évidemment invité lundi à la table des discussions, alors que la France exercera à partir du 1er janvier la présidence tournante de l’Union européenne. Gérald Darmanin doit d’ailleurs revenir “d’ici 15 jours” à la rencontre de son homologue italienne Luciana Lamorgese pour avancer sur de nouvelles pistes communes. D’ores et déjà, “nous avons envisagé que les coopérations bilatérales en matière de contrôle des flux migratoires se renforcent”, a résumé Jean Castex, en pointant la “pérennisation” voire le “développement” des brigades mixtes franco-italiennes qui patrouillent à la frontière pour lutter contre l’immigration clandestine et les réseaux de passeurs. Jean Castex a également évoqué la mise en place de camps d’enregistrements sécurisés aux principales portes d’entrée sur le continent, dont l’Italie, en contrepartie de l’attribution de fonds – objet de négociations serrées à Bruxelles -. Traité du Quirinal Enfin, Jean Castex et Mario Draghi ont affirmé leur volonté de voir aboutir avant la fin de l’année le projet de traité du Quirinal, initié en 2017 pour donner “un
cadre plus stable et ambitieux” à la coopération franco-italienne, sur le modèle du traité de l’Elysée entre France et Allemagne. Publié le 6 octobre 2021(Mise à jour le 6/10) Par Rédaction Réforme Pédocriminalité : l’ “immense chagrin” du pape après le rapport Sauvé La présentation des conclusions du rapport Sauvé a placé le pape François face à une “effroyable réalité”, mardi 5 octobre. Il a salué le “courage de dénoncer” des victimes. Le pape François a exprimé mardi 5 octobre son “immense chagrin” face à l’“effroyable réalité” dévoilée par la commission indépendante sur les violences sexuelles au sein de l’Église catholique de France depuis 1950. Les pensées du
souverain pontife “se tournent en premier lieu vers les victimes, avec un immense chagrin pour leurs blessures et gratitude pour leur courage de dénoncer”, a déclaré le porte-parole du Vatican, Matteo Bruni. “Elles se tournent aussi vers l’Église de France afin que, ayant pris conscience de cette effroyable réalité (…), elle puisse entreprendre la voie de la rédemption”. L’état des lieux dressé par le rapport est d’abord “accablant”: il estime à quelque 216.000 le nombre de mineurs victimes de prêtres, diacres et religieux depuis 1950. “Il y a eu surtout un ensemble de négligences, de défaillances, le silence, une couverture institutionnelle qui ont présenté un caractère systémique”, a indiqué le président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) Jean-Marc Sauvé. “Vous demander pardon” Le nombre de mineurs victimes grimpe même à 330.000 si l’on ajoute les personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l’Église (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse…), a-t-il précisé. “L’Église n’a pas su voir, n’a pas su entendre, n’a pas su capter les signaux faibles, n’a pas su prendre les mesures rigoureuses qui s’imposaient”, a poursuivi Jean-Marc Sauvé, l’appelant à reconnaître sans détour sa “responsabilité”. Après avoir reçu en main propre le rapport, fruit de deux ans et demi de travaux, le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins- Beaufort, a exprimé “sa honte”, “son effroi”. “Mon désir en ce jour est de vous demander pardon, pardon à chacune et chacun”, la voix des victimes “nous bouleverse, leur nombre nous accable”, a-t-il ajouté. Véronique Margron, la présidente de la Corref (instituts et ordres religieux) a évoqué de son côté “un désastre”: “que dire, sinon éprouver (…) une honte charnelle, une honte absolue”. “Indifférence profonde, cruelle” Face à eux, Jean-Marc Sauvé a asséné que l’Église catholique avait manifesté “jusqu’au début des années 2000 une indifférence profonde, et même cruelle, à l’égard des victimes” de pédocriminalité. De 1950 aux années 2000, “les victimes ne sont pas crues, entendues, on considère qu’elles ont peu ou prou contribué à ce qui leur est arrivé”, a-t-il insisté. “C’est historique car on ne pourra plus nous
dire qu’on salit l’Église, qu’il faut tourner la page”, a ensuite confié à l’AFP une victime, Véronique Garnier. En préambule à la publication du rapport, François Devaux, figure de la libération de la parole de ces victimes, avait appelé les évêques de France à “payer pour tous ces crimes”, en ne mâchant pas ses mots face aux membres du clergé réunis. “Je sais que c’est de l’enfer que vous revenez”, a lancé à la commission François Devaux, cofondateur d’une association créée en 2015 à Lyon par des victimes d’un aumônier scout, Bernard Preynat, et dissoute en mars. Leur combat avait été raconté en 2019 par le film Grâce à Dieu de François Ozon. “Un jour de deuil, de tristesse” À Lyon, le recteur de Fourvière Yves Guerpillon, sollicité par des journalistes à la sortie de la messe, a évoqué la “résonance particulière” de ce phénomène dans cette ville, “parce qu’on y est sensibilisé depuis longtemps” avec l’affaire Preynat. Il assimile ce mardi à “un jour de deuil, de tristesse, de souffrance en pensant à ces victimes, à tous ces enfants dont la vie a été brisée”. Les garçons “représentent près de 80% des victimes, avec une très forte concentration entre 10 et 13 ans”, a relevé Jean-Marc Sauvé. Il avait auparavant révélé une “estimation minimale” du nombre de prédateurs: “2.900 à 3.200” hommes – prêtres ou religieux – entre 1950 et 2020. Selon le rapport, 1,16% des personnes en lien avec l’Église catholique ont subi des agressions sexuelles de diverses natures. Un taux de prévalence bien supérieur à celui de 0,34% concernant l’école publique (hors internats). L’indemnisation est “un dû” Pour mener à bien son enquête sur la pédocriminalité au sein de Église catholique, la Ciase avait fait de la parole des victimes “la matrice de son travail”, a rappelé Jean-Marc Sauvé, avec un appel à témoignages pendant dix-sept mois et quelque 250 entretiens. Elle a aussi effectué une plongée dans de nombreuses archives, de l’Église, des ministères de la Justice et de l’Intérieur, et de la presse… La Commission a énuméré 45 propositions dans plusieurs domaines: écoute des victimes, prévention, formation des prêtres et des religieux, transformation de la gouvernance de l’Église…
Surtout, Jean-Marc Sauvé a appelé l’institution à apporter une “réparation” financière à toutes les victimes de violences sexuelles en son sein, “en fonction des préjudices subis”. Il a souhaité que cette indemnisation ne soit pas considérée comme “un don” mais comme “un dû”. À cette fin, la Ciase recommande que les indemnités versées aux victimes soient financées “à partir du patrimoine des agresseurs et de l’Église de France”. Les premières mesures de la Conférence des évêques de France et de la Corref seront annoncées en novembre, quand elles se réuniront en assemblées plénières. Retrouvez tous les articles de Réforme sur cette thématique Rédaction Réforme avec AFP Publié le 26 avril 2021(Mise à jour le 26/04) Par Rédaction Réforme Naufrage de 130 migrants en Méditerranée : une “honte”, pour
le pape François Au moins 453 personnes sont morts noyés en Méditerranée depuis le début de l’année, selon l’Organisation internationale pour les migrations. Le pape François a qualifié dimanche de “honte” le sort de 130 migrants portés disparus depuis jeudi à la suite d’un naufrage en Méditerranée, se disant “très attristé par cette tragédie”. “Je vous confesse que je suis très attristé par la tragédie qui encore une fois s’est produite ces derniers jours en Méditerranée. Frères et soeurs, interrogeons-nous tous sur cette énième tragédie. C’est un moment de honte”, a-t-il dit aux fidèles à l’issue de la prière Regina Coeli, place Saint-Pierre au Vatican. Un bateau pneumatique retourné L’ONG SOS Méditerranée avait indiqué jeudi avoir repéré au large de la Libye une dizaine de corps près d’un bateau pneumatique retourné qui avait été signalé en détresse avec environ 130 personnes à bord. “Cent trente migrants sont morts en mer, ce sont des personnes, ce sont des vies humaines qui ont pendant deux journées entières vainement imploré de l’aide. Une aide qui n’est pas arrivée”, a poursuivi le pape François. “Prions pour ces frères et soeurs et pour tant d’autres qui continuent de mourir lors de ces voyages dramatiques. Prions aussi pour ceux qui peuvent aider mais préfèrent regarder d’un autre côté. Prions en silence pour eux”, a conclu le pape, grand défenseur des droits des migrants, réfugiés et déplacés. 453 morts depuis le 1er janvier 2021 Les ONG humanitaires accusent les pays de l’Union européenne non seulement de ne pas vouloir secourir les migrants en danger dans la Méditerranée, mais également d’entraver leurs propres activités de sauvetage. Selon des chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) arrêtés au 21 avril, au moins 453 migrants ont péri depuis le 1er janvier 2021 en Méditerranée, essentiellement sur cette route centrale au départ de la Tunisie et
de la Libye. Via AFP Publié le 10 mars 2021(Mise à jour le 16/03) Par Philippe Clanché Retour sur la visite du pape François en Irak En maintenant son voyage et en posant des gestes de concorde forts, François a fait preuve d’un courage à la hauteur de l’événement. Viendra-t-il ou renoncera-t-il ? La question a hanté les chrétiens irakiens jusqu’au dernier moment. Et François, 84 ans, a tenu bon. Il a réalisé le pèlerinage que ses deux prédécesseurs, Jean-Paul II puis Benoît XVI, avaient rêvé en vain : venir en Irak, sur les pas d’Abraham. Une terre chrétienne bien sûr, mais aussi une terre d’islam depuis le prestigieux califat de Bagdad (du VIIIe au XIIIe siècle). Le territoire, ensanglanté par les crimes de l’État islamique il y a quelques années, est toujours aux prises avec une violence qui paraît ne pas connaître de fin. Si l’on ajoute au tableau la Covid, qui a redoublé d’intensité et a contaminé l’ambassadeur du Saint-Siège en Irak il y a peu, le voyage pontifical aurait pu
être, en bonne logique, condamné. Il a eu lieu par la volonté opiniâtre d’un homme. Un geste fort Au-delà d’un retentissement immense sur place, l’évènement a fait la une des médias du monde entier, trop longtemps sevrés de signes positifs. « Le message que le pape a envoyé est important pour les chrétiens restés sur place, dont la vie est particulièrement difficile », estime Munwr Hadad. Réfugié en France depuis six ans avec sa famille, il est protestant et a quitté Mossoul à l’arrivée de Daesh. Il évalue à 300 le nombre de chrétiens demeurés dans l’ancienne capitale de l’État islamique. Aussi est-il naturel, à ses yeux, que la visite du pape ait réjoui et encouragé les catholiques tout comme les autres minorités, dont les protestants. Et ce, même si les habitants ont été sommés de rester chez eux, « excepté pour descendre dans la rue le saluer », parce que « le gouvernement n’est pas en mesure d’assurer la sécurité du pape ». Celui qui fut, à 36 ans, à la tête des jésuites d’Argentine pendant la dictature militaire n’est pas du genre à se défiler devant l’épreuve. 48 ans plus tard, et en dépit de petites alertes de santé récurrentes, il a relevé le défi en répondant à l’appel des dignitaires chrétiens irakiens. François aurait pu se contenter de faire la tournée de ses ouailles, tellement éprouvées. De prononcer son appel à la réconciliation nationale, tant attendu. Et de laisser le bien fragile gouvernement, guère ménagé par les mots du pontife – « Il est nécessaire de lutter contre la plaie de la corruption, les abus de pouvoir et l’illégalité, mais ce n’est pas suffisant. Il faut en même temps édifier la justice, faire grandir l’honnêteté, la transparence et renforcer les institutions à cet effet » –, profiter d’un coup d’éclairage positif rare. Le contrat aurait déjà été rempli. Mais ce pape-là aime les aventures risquées. Et quel terrain plus périlleux aujourd’hui que la quête de la concorde avec l’islam dans sa complexité ? Dans la lignée du texte (1) signé à Abou Dhabi en 2019 avec une sommité sunnite, le grand imam de la mosquée Al-Azhar du Caire, François a jeté une passerelle vers une des personnalités chiites les plus respectées, Ali al-Sistani. Le tête-à-tête a duré 45 minutes. Certes, sur la photo, le dignitaire nonagénaire n’arborait pas le même sourire que son hôte romain. Mais l’image est prometteuse, autant pour les relations islamo-chrétiennes que pour la concorde nationale, les deux domaines
étant étroitement liés. On pourra dire que les sunnites boudent d’avoir été oubliés et que le chemin reste long avant la pleine harmonie. Toutefois le geste du pape, faisant fi de tous les procès en naïveté et en récupération, a ouvert un avenir possible. François appelle les chrétiens à reconstruire En réunissant samedi à Ur, la patrie d’Abraham, les enfants du Livre de diverses obédiences, le pape est allé plus loin que Jean-Paul II qui avait établi la capitale du dialogue interreligieux à Assise, en terre chrétienne. « Nous nous sommes retrouvés ici, à la maison, a-t-il affirmé. Et d’ici, ensemble, nous voulons nous engager afin que se réalise le rêve de Dieu : que la famille humaine devienne hospitalière et accueillante envers tous ses fils. » Enfin, dimanche à Karakosh, qui fut jadis la plus importante ville chrétienne du pays, François a encouragé les fidèles qui ont dû fuir devant Daesh et une mort certaine en 2014, puis sont revenus trois ans plus tard pour vivre sur les ruines de leurs maisons, de leurs églises. « Vous n’êtes pas seuls, ont-ils entendu de la part du pape. Le moment est venu de reconstruire et de recommencer. » Ces mots seraient-ils de nature à inciter la famille Hadad à retourner en Irak ? « J’ai vu trop de messages sur les réseaux sociaux irakiens opposés à la visite du pape. Si certains musulmans ne veulent pas de lui quelques jours, comment puis-je envisager de retourner là-bas ? appréhende Munwr. Et puis, notre vie est en France, désormais. » Si le séjour de François a permis de redonner de la visibilité aux minorités chrétiennes irakiennes, le chemin demandera encore beaucoup de temps, de travail et de ténacité pour que leur situation s’améliore. (1) Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune. Lire également : En Irak, Noël devient un jour férié
Documentaire : chrétiens d’Irak, là-bas et ici Être pasteur à Bagdad : entre dangers et espérances Pierre-Jean Luizard : “En Irak, le meilleur allié de l’État islamique, c’est le système politique” Irak : quelle est la situation humanitaire et politique ? Irak, Syrie… “Les chrétiens ne doivent pas choisir un camp” Publié le 6 mars 2021(Mise à jour le 5/03) Par Philippe Clanché
Ali al-Sistani, un ayatollah pacificateur Le pape François, en voyage en Irak, rencontrera le 6 mars l’ayatollah Ali al- Sistani. Un leader chiite respecté par les musulmans comme par les chrétiens. Dans l’imaginaire collectif, on ne classe pas spontanément un dirigeant chiite parmi les hommes de dialogue et d’ouverture. C’est oublier que l’école des mollahs au pouvoir en Iran depuis la Révolution de 1979 n’est pas la seule branche de ce courant de l’islam. Avec le grand ayatollah Ali al-Sistani, vedette du programme de la visite du pape François, le monde va découvrir un homme capital dans la vie politique et spirituelle irakienne depuis des décennies. Né Iran, dont il conserve la nationalité, il est installé depuis très longtemps à Nadjaf, grande ville au sud de Bagdad, siège d’une grande école de formation chiite dont il est le leader respecté. Ali al-Sistani mobilise les hommes contre Daesh Depuis 2003 et la chute de Saddam Hussein, al-Sistani a adoubé tous les dirigeants du pays. À chaque regain de tension, notamment les attentats contre les chrétiens, il a appelé au calme. En 2014, l’ayatollah a mobilisé les combattants face à Daesh, puis, ce combat remporté, a demandé aux milices formées de se mettre au service de l’État, sans jouer leur propre carte. Ali al-Sistani ne veut pas d’un gouvernement théocratique à l’iranienne, ce qui lui vaut de nombreuses sympathies dans le pays… comme dans les chancelleries occidentales. La visite papale à ce leader chiite était indispensable pour les responsables chrétiens locaux. Il n’est pas étonnant que ce rendez-vous ait été annoncé non par le Saint-Siège, comme c’est l’usage, mais par le patriarche des Chaldéens Louis Sako, lors d’une conférence de presse devant les journalistes français, fin janvier.
Publié le 18 février 2021(Mise à jour le 25/02) Par Yves Gautier Décryptage des rumeurs autour de la démission du pape François La démission du pape François a été évoquée à plusieurs reprises dans les médias. Si le souverain pontife ne semble pas prendre le chemin de la sortie, qu’est-ce qui explique de telles rumeurs ? Il y a huit ans, le 11 février 2013, Benoît XVI démissionnait. Il n’en fallait pas moins pour relancer la rumeur autour du départ de François, qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’Église catholique. À la fin de l’année 2020, le bruit courait déjà. Ce sont des journalistes d’un média anglais, le Daily Express, qui ont semé l’idée d’une possible démission du pape actuel reprenant des propos extraits de leur contexte. L’information, qui était fausse, a fait scandale. Il faut pourtant admettre que la nouvelle ferait plaisir à certains catholiques, ce qui explique sûrement la facilité avec laquelle la fake news (fausse information) s’est répandue. Plusieurs raisons éclairent la fronde à laquelle François fait face. Les prises de position du pape François
divisent les catholiques Les prises de position du pape concernant certains sujets de société sont clivantes. En France, c’est le cas par exemple sur les questions de bioéthiques (l’Église catholique s’est notamment mobilisée contre la PMA pour toutes). Le pape a par ailleurs participé à la première journée internationale de la fraternité humaine, le 4 février, lors de laquelle il a récompensé Latifa Ibn Ziaten (la mère de Imad Ibn Ziaten, première victime de Mohamed Merah) qui s’est engagée auprès des jeunes livrés à eux-mêmes pour prévenir la radicalisation. L’Église se prononce également sur l’actuelle loi pour conforter les principes républicains (ancienne loi sur les séparatismes) en pointant du doigt les contraintes injustifiées qu’elle imposera à beaucoup de familles catholiques pratiquant l’école à la maison. « Écouter le pape mais pas forcément lui obéir » Depuis le début de son pontificat, en mars 2013, les prises de position de François ne cessent de secouer l’Église catholique. Le pape s’est ainsi fait quelques adversaires au nombre desquels plusieurs cardinaux attachés à la tradition. Parmi eux, on compte le cardinal Brandmüller qui dénonçait la dictature sanitaire mondiale. Le cardinal Burke n’a pas non plus mâché ses mots à ce sujet. Leurs discours sont en totale opposition avec celui du pape. En effet, ce dernier a annoncé qu’il allait se faire vacciner prochainement et que ceux qui rejetaient la vaccination étaient dans un état d’esprit de « négationnisme suicidaire ». Ces divergences provoquent le doute, voire la division, parmi les fidèles. À la sortie de la messe, un jeune catholique déclarait à Réforme avec prudence : « En tant que chrétien on doit écouter le pape, pas forcément lui obéir ». Et d’ajouter : « Cela nous amène à réfléchir […] le pape nous invite à prendre conscience de nos interactions avec les autres personnes et notamment les plus vulnérables […] mais il ne parle pas en tant qu’expert médecin ». Ce n’est pas la première fois que le pape François fait face à des frondeurs, et ce ne sera vraisemblablement pas la dernière. Yves Gautier
Publié le 5 janvier 2021(Mise à jour le 5/01) Par Réforme Le mouvement Promesses d’Église sonne-t-il le glas du cléricalisme ? Depuis deux ans, des mouvements et associations catholiques se rassemblent pour questionner l’Église en réponse à l’appel du pape François dans sa lettre au peuple de Dieu publiée fin août 2018. Début décembre, le mouvement Promesses d’Église a tenu sa sixième assemblée plénière. Les 28 associations et collectifs du mouvement ont inauguré, lors de cette assemblée, leur site internet : https://www.promessesdeglise.fr/ Un mouvement pour répondre à une Église catholique en crise Ce mouvement inédit est une réponse à l’appel au peuple de Dieu, une lettre du pape François publiée le 20 août 2018 afin de rassembler à nouveau les fidèles. Pour le pape, en finir avec les abus dans l’Église c’est lutter contre le cléricalisme. Ainsi écrit-il : « Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme ». Avec cet objectif comme figure de
proue, le mouvement s’engage à publier des textes, initier des moments de réflexions et dessiner le visage de l’Église de demain pour une Église plurielle et synodale. Le mouvement Promesses d’Église sera-t- il une révolution dans le milieu catholique ? Impossible de savoir aujourd’hui ce que donnera ce mouvement laïc créé pour encourager l’institution au changement. Cependant, cette initiative est inédite car elle rassemble un grand collectif de mouvements et d’associations catholiques. Un mot d’ordre: réformer l’Église en abordant des sujets cruciaux, comme la morale sexuelle et la place des femmes. ©capture d’écran du site internet Promesses d’Eglise Un enjeu : en finir avec le cléricalisme Évoqué dans les assemblées et désigné comme la cause principale de la crise de l’Église aujourd’hui, le cléricalisme reste difficile à caractériser. Sa définition est pourtant essentielle pour mener à bien la mission de Promesses d’Église. Dans sa lettre, le pape l’évoque ainsi : « Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux- mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui
encourage et contribue à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd’hui. Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme. » S’il est difficile de bien analyser les causes de la crise que traverse actuellement l’Église, il est certain que le mouvement Promesses d’Église est résolu à construire l’Église catholique de demain. Publié le 11 novembre 2020(Mise à jour le 11/11) Par Antoine Nouis L’encyclique papale « Fratelli tutti » analysée par le théologien protestant Antoine Nouis L’encyclique papale Fratelli tutti (Tous frères, 2020), véritable manifeste de la « doctrine sociale » de l’Église catholique, suscite déjà un large débat dans plusieurs pays aux racines chrétiennes. Depuis un siècle et demi, le concile, les différents papes et les conférences épiscopales se sont exprimés sur les questions sociales, économiques et politiques
pour forger un corpus de pensée qui a pris le nom de doctrine sociale de l’Église. La dernière encyclique du pape François se présente comme une synthèse de cet enseignement remixé à la sauce bergoglienne. Dans l’introduction, le pape inscrit sa réflexion dans la filiation de François d’Assise et notamment du jour où, dans une démarche pacifique et fraternelle, ce dernier a franchi les lignes militaires pour aller à la rencontre du sultan Malik al-Kamil qui était assiégé par les croisés. Ce jour-là, il a transgressé les codes pour amorcer une tentative de paix. Dans cette même veine, le pape évoque à plusieurs reprises sa rencontre avec Ahmed el-Tayeb, le grand imam de la mosquée Al-Azhar, au Caire, parfois considéré comme la plus haute autorité de l’islam sunnite, avec qui il a signé en 2019 le document intitulé « La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune ». L’encyclique s’inscrit dans sa politique de la main tendue vers les autres courants spirituels, dans la lignée du slogan qui nous invite à faire ensemble tout ce que nous ne sommes pas obligés de faire séparément. Un protestant peut facilement se saisir de ce texte, car il n’y a rien dans cette encyclique qu’il ne pourrait signer pour des raisons théologiques. Éclairage sur cinq des principaux points de cette encyclique. 1. Référence à la parabole du bon Samaritain Un texte biblique est commenté sur plusieurs pages pour fonder le discours de l’Église dans le monde : la parabole du bon Samaritain. Nous reconnaissons la patte d’un pape qui a toujours privilégié le geste fraternel par rapport au raisonnement théologique. Il place au centre de sa lecture la victime et relève que ce ne sont pas les bons religieux qui l’ont secourue, mais un étranger, ce qui nous rappelle que la charité est universelle. La parabole nous invite à ne pas faire comme le prêtre et le lévite qui ont détourné les yeux pour ne pas voir le blessé qui était sur leur route. C’est pourtant lui qui est pour les chrétiens une image du Christ, selon le verset qui dit : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais étranger, j’étais nu, j’étais malade et j’étais en prison… et vous m’avez secouru » (Mt 25,35-36). 2. Les insuffisances du système capitaliste Le pape note que l’économie libérale a été très efficace pour la croissance
économique, mais qu’elle ne favorise pas automatiquement le développement humain intégral. Elle n’aide pas à faire société puisqu’elle isole les individus et augmente les inégalités. L’économie doit donc être régulée par le politique et l’éthique afin de remettre l’humain au centre de sa logique. Le principe de solidarité peut ne pas être « rentable » au plan économique, mais il est la condition d’une société harmonieuse. Le pape prend l’exemple de la propriété privée qui est un droit, mais qui doit être articulée avec la « destination universelle des biens » rappelant que la propriété ne doit jamais être séparée de la justice, selon ce que disait le Père de l’Église Grégoire le Grand : « Quand nous donnons aux pauvres les choses qui leur sont nécessaires, nous ne leur donnons pas tant ce qui est à nous que nous leur rendons ce qui est à eux. » 3. L’attention aux plus fragiles, aux migrants Une attention particulière doit être apportée aux plus fragiles : les pauvres, les malades, les handicapés, les migrants. Au sujet de ces derniers, le pape prend en considération les réticences chez des personnes craignant d’être dépossédées de leur identité. Il invite à faire le pari de l’accueil et à surmonter les peurs qui nous empêchent de prendre le risque de la rencontre : « Les histoires des migrants sont aussi des histoires de rencontre entre personnes et cultures : pour les communautés et les sociétés d’accueil, ils représentent une opportunité d’enrichissement et de développement humain. » 4. Une éthique du dialogue Si la politique induit une attention au petit, elle doit être accompagnée d’une éthique du dialogue pour ne pas devenir condescendante. Le mot dialogue (dia- logos) signifie étymologiquement être traversé par la parole de l’autre. Le prochain devient un frère qui me permet d’accéder à ma propre vérité. Cette éthique est une urgence à l’heure des réseaux sociaux qui tendent à enfermer chacun dans son silo.
5. La paix comme conflit surmonté Le pape fait la comparaison entre le monde et une famille. Les parents, les enfants et les grands-parents peuvent se quereller et avoir des intérêts divergents, mais ils savent qu’ils appartiennent à la même famille, c’est pourquoi ils sont à la recherche de compromis. Le conflit appartient à notre humanité, les artisans de paix ne sont pas ceux qui ne connaissent pas de conflits, mais ceux qui ont su les surmonter. L’encyclique Fratelli tutti est un vrai texte politique au sens le plus noble du terme, comme on en trouve peu dans les Églises protestantes ; c’est pourquoi les différents groupes de réflexion des Églises peuvent l’étudier avec profit. À lire L’encyclique Fratelli tutti. Publié le 11 novembre 2020(Mise à jour le 11/11) Par Philippe Clanché
« Le pape veut passer du clérical au synodal » Religieuse xavière, Nathalie Becquart a longtemps été responsable de la jeunesse pour l’Église de France. Le 24 mai 2019, elle a été nommée, en même temps que cinq autres personnes – dont pour la première fois quatre femmes – consulteur au secrétariat général du synode des évêques. Elle décrypte le style et les ambitions du pape. Faut-il distinguer la forme et le fond dans les initiatives et les prises de position du pape ? Formé en Amérique latine, il est façonné par une approche de théologie pastorale qui mêle les deux. Il met en cohérence parole et actes, comme lorsqu’il consacre son premier voyage aux migrants à Lampedusa, en juillet 2013. Il faut parler d’un style François. Dans sa manière de communiquer, la relation et la rencontre sont centrales. Lui-même est en permanence dans une dynamique de conversion, expérience vécue dans son parcours personnel. Son premier grand texte, Evangelii gaudium (La joie de l’Évangile, 2013), appelle une conversion missionnaire de l’Église. Pour François, l’Église n’est pas autocentrée, mais en dialogue. Ce pape propose un processus et une méthode. Il part toujours des réalités du monde, pas d’un idéal. Dans Fratelli tutti (Tous frères, 2020), il pose un regard sur nos sociétés, lit les signes des temps, essaie de comprendre, établit un diagnostic, puis avance des réponses. Il ouvre et conduit des processus. Sa pensée reste ouverte, en continuel discernement. Il plaide pour une théologie en dialogue, pas en chambre, connectée avec les réalités du monde actuel : les migrations, le système économique et politique, l’écologie… Pour un raisonnement humain, court-termiste, dans une culture du résultat, c’est complexe à entendre. Quels sont les objectifs « stratégiques » qu’il s’est fixés pour son pontificat ? Il souhaite que l’Église catholique passe d’un fonctionnement clérical, en place depuis des siècles, à un fonctionnement synodal, dans un discernement collectif.
Après le Synode des évêques sur l’Amazonie de 2019, il a créé la Conférence ecclésiale amazonienne (et non, comme souvent, épiscopale), pour mettre en œuvre les fruits du Synode, avec un accent fondamental mis sur le « peuple de Dieu », les laïcs. Tant dans les questions sociales qu’ecclésiales, les sujets peuvent être acteurs. François a l’intuition que la réforme qu’il porte, très urgente au regard des abus, ne pourra se faire qu’avec les laïcs. Il ne peut l’imposer du haut vers le bas. Il écoute d’abord et ne prend ses décisions qu’ensuite, veillant à ce que le cap indiqué soit intégré par le consensus ecclésial. Car son rôle premier est d’être garant de la communion. Pourquoi son pontificat est-il tant marqué par les débats ? Et pourquoi ces débats sont beaucoup plus étalés sur la place publique qu’auparavant? Parce qu’il n’a pas peur des conflits, le pape encourage une parole libre, critique. Il ne voit pas l’Église comme un corps homogène, préférant l’image de l’unité dans la diversité. Les manières de faire changent et il se heurte à des résistances, c’est normal. Comment expliquer sa popularité croissante en dehors de l’Église ? Peu de leaders mondiaux sont autant sollicités que lui. Le pape François propose un cap à tous, la fraternité. Sa vision du bien commun dépasse l’intérêt des catholiques. Dans Fratelli tutti, il articule un regard global sur le monde et la conviction qu’on ne peut se sauver tout seul. Il pense l’interdépendance, dans une vision qui n’écrase pas les cultures locales. Aujourd’hui, cette voie n’est pas simple. Il s’avère plus facile d’être populiste et identitaire, ou bien de porter une approche globalisante qui écrase les identités. Propos recueillis par Philippe Clanché À lire L’esprit renouvelle tout ! Nathalie Becquart, Salvator, 2020, 17 €.
Publié le 11 novembre 2020(Mise à jour le 11/11) Par Philippe Clanché Temps orageux au Vatican Avec sa vision nouvelle et son autorité de manageur, le pape détonne dans une institution très sclérosée. Les oppositions sont nombreuses, rendant ce pontificat hors norme. Il paraît que l’Esprit saint aide les cardinaux à faire le bon choix à l’heure d’élire en leur sein le futur pape. En mars 2013, il a inspiré aux hommes en rouge l’idée de confier la barre de leur navire en pleine tempête à un jésuite argentin, inconnu de beaucoup. Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires depuis 1998, avait impressionné ses collègues lors des réunions organisées avant le vote, durant lesquelles les électeurs expriment leurs priorités pour le futur pontificat. Il avait affirmé, selon l’historien Yves Chiron (1), que « l’Église est appelée à sortir d’elle-même et à aller dans les périphéries, les périphéries géographiques mais également existentielles ». Il aurait aussi pointé le danger « d’une Église autoréférentielle, mondaine, qui vit repliée sur elle-même et pour elle-même ».
Stratégie de rupture Un vrai programme politique et social, et une stratégie de rupture après un pontificat d’affirmation identitaire et de restauration de la gloire perdue. Quatre jours plus tard, le cardinal Bergoglio est devenu pape, se plaçant sous le patronage de François d’Assise. Un saint très populaire, chantre du respect de la Création, mais aussi d’un caractère très affirmé, que l’on va vite voir à l’œuvre chez le nouveau pontife. Habitué aux propos soupesés et aseptisés par moult relectures officielles, le monde romain découvre un pape qui aime débattre, comme avec Eugenio Scalfari, athée, fondateur du grand quotidien de gauche La Repubblica, et « parle cash ». « Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’usage des contraceptifs. La pensée de l’Église nous la connaissons et je suis fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence », affirme-t-il, afin de bien laisser entendre sa différence. Tous les sujets qui fâchent et que ses prédécesseurs ont mis sous le tapis, Bergoglio les met sur la table : possibilité d’ordination à la prêtrise d’hommes mariés, ministère féminin, reconnaissance civile des couples homosexuels. Même s’il ne tranche pas, il déchaîne les foudres des tenants de l’immobilisme. Et il pourfend les prêtres carriéristes, qui obtiennent un poste à Rome, y intriguent pour gravir les échelons, et ne retournent jamais se mettre au service de leur église d’origine. Une lutte acharnée Pour mener à bien son programme, le pontife veut remplacer les cadres qui ne seraient pas alignés sur ses positions. Avant l’arrivée de François, le spoils system (renouvellement de toute l’administration en cas d’alternance politique) n’existait pas au Vatican. On lui reproche d’avoir « remercié » le cardinal allemand Gerhard Müller en ne renouvelant pas son mandat au bout de cinq années à la tête de la puissante Congrégation pour la doctrine de la foi. À Rome, ce genre de décision est perçu comme une disgrâce. On peut citer le cas du cardinal Raymond Burke ou de Mgr Vigano, ancien nonce apostolique (ambassadeur) aux États-Unis, qui, depuis lors, multiplient les brûlots contre le patron du Vatican, jusqu’à le juger
hérétique. Certains ont même tenté, sans succès, de rallier à la contestation le pape émérite Benoît XVI (93 ans), qui finit ses jours au Vatican. Les victimes des opérations « mains propres », jugés mauvais gestionnaires des finances du Saint-Siège ou suspects de protection de prêtres pédophiles, viennent encore grossir le concert des critiques à l’encontre du souverain pontife. Dans ces délicates décisions, la méthode du pape François – consulter, puis décider seul, irrévocablement – fait des étincelles. Fin septembre, l’éviction subite – le livrant de facto à la justice – du cardinal italien Giovanni Becciu, pourtant très proche du pape, a surpris. Une affaire immobilière douteuse et la gestion très familiale des cagnottes de l’Église d’un des rares prélats italiens haut placés ont causé sa perte, en une époque de tolérance zéro. La liste des « ennemis » du pape Bergoglio compte également les réseaux conservateurs états-uniens, qui abhorrent son discours pro-migrants, son engagement pour la planète et son refus de la peine de mort. D’autant que le Vatican refuse désormais que les millions des donateurs américains soient uniquement dévolus aux combats éthiques de la droite catholique, comme le combat « pro-vie ». Des années d’impéritie Au-delà de son désir de changement et de son comportement de manageur un peu rude, le pape François paie le prix d’années d’impéritie dans l’institution qu’il dirige. Jean-Paul II se désintéressait de la boutique et Benoît XVI, très conscient du travail à faire, n’avait ni les capacités, ni les forces (et peut-être pas l’entière volonté) d’y mettre bon ordre. C’est même pour cette raison qu’il a rendu son tablier. Cerise sur le gâteau, François appelle, encore une nouveauté, à la liberté de parole et au débat. Aussi, les perdants du pontificat s’en donnent à cœur joie et se répandent dans les médias. Malgré ces péripéties, le pape argentin tient bon la barre. Mais à 83 ans, il sait qu’il ne pourra aller au bout de ses envies. Afin d’éviter que son successeur ne revienne en arrière, il vient de nommer une poignée de nouveaux cardinaux. Et quand viendra l’heure de lui choisir un successeur, les électeurs choisis par le pape François seront majoritaires. (1) Françoisphobie, Yves Chiron, éd. du Cerf, 2020, 20 €.
François et la France Bergoglio n’a pas une grande connaissance de la France. Élu au moment des débats autour de l’ouverture du mariage dans notre pays, le pontife a vite fait comprendre, au grand dam des figures de proue d’un épiscopat français ne jurant que par les sujets de morale sexuelle et d’éthique, qu’il goûtait assez peu ces combats. « Le pape sait que La France est un pays déchristianisé aux neuf dixièmes, qui nécessite une véritable évangélisation. D’où son irritation devant l’attitude de la fraction ultraconservatrice des catholiques français, très relayée par les médias, qui donne une impression d’irréalisme et d’agressivité très éloignée du témoignage évangélique », explique le journaliste Patrice de Plunkett. Mais il est aussi des catholiques à l’aise avec le pontife actuel. « Une dizaine d’évêques, plutôt âgés, les défenseurs du concile Vatican II », observe René Poujol, ancien directeur de la rédaction du Pèlerin et blogueur. Du côté des laïcs, on les trouve parmi les fidèles qui rêvent de changement en matière de morale personnelle et de ministères. « Ce pape apporte à la fois une espérance et une crainte. Il a donné la pêche aux cathos d’ouverture. Si cela s’arrête, parce qu’il meurt ou qu’il ne peut agir, les déçus partiront. »
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