Regard sur la santé psychologique et les comportements de parents ayant vécu une perte périnatale avant la naissance de leur enfant
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Regard sur la santé psychologique et les comportements de parents ayant vécu une perte périnatale avant la naissance de leur enfant Mémoire doctoral Laurence Champeau Doctorat en psychologie Docteure en psychologie (D. Psy.) Québec, Canada © Laurence Champeau, 2021
Regard sur la santé psychologique et les comportements de parents ayant vécu une perte périnatale avant la naissance de leur enfant Mémoire doctoral Laurence Champeau Sous la direction de : Célia Matte-Gagné, directrice de recherche
Résumé La perte d’un enfant pendant la grossesse, l’accouchement ou peu après la naissance (c.-à-d., la perte périnatale) toucherait environ 25 % des parents. Bien que cette perte puisse être difficile sur le plan psychologique, la majorité des parents qui en ont vécu une vont concevoir un autre enfant peu de temps après celle-ci. Le bien-être psychologique de ces parents, surtout celui des pères, demeure toutefois méconnu après la naissance d’un enfant subséquent de même que les comportements qu’ils adoptent en présence de cet enfant. Cette étude examine les symptômes psychologiques et les comportements de soutien à l’autonomie, de contrôle et de laissez-faire de 89 pères et 97 mères (32 % ayant vécu une perte périnatale) dans l’année suivant la naissance d’un enfant en santé. Sur le plan psychologique, les résultats révèlent que les pères ayant vécu une perte (n = 29) ont tendance à rapporter plus de symptômes anxieux que les pères qui n’en ont pas vécu. Chez les mères (30 ayant vécu une perte), la perte est associée à des symptômes psychologiques globalement plus intenses et incluant de l’obsession-compulsion, de la sensibilité interpersonnelle, de l’anxiété phobique, de l’idéation paranoïde et du psychotisme. Sur le plan comportemental, les résultats démontrent que les pères qui ont vécu plusieurs pertes font preuve de plus de laissez-faire en interaction avec leur enfant que les pères qui n’en ont pas vécu ou qui en ont vécu juste une tandis que les mères qui ont vécu plus d’une perte font preuve de moins de laissez-faire. Ainsi, ce mémoire souligne l’importance d’offrir du soutien psychologique aux hommes tout autant qu’aux femmes qui ont vécu une ou plusieurs perte(s) périnatale(s) puisque ce vécu est associé à des symptômes psychologiques chez les pères et les mères et à des interactions père-enfant moins optimales. ii
Table des matières Résumé................................................................................................................................... ii Table des matières ............................................................................................................... iii Liste des tableaux ................................................................................................................. ii Remerciements ..................................................................................................................... iii Introduction .......................................................................................................................... 1 Portrait de la perte périnatale .............................................................................................. 2 Répercussions psychologiques de la perte périnatale ......................................................... 4 Conséquences psychologiques immédiates..................................................................... 4 Santé psychologique et grossesse subséquente ............................................................... 5 Santé psychologique et parentalité subséquente ............................................................. 6 Période postnatale : la parentalité subséquente ................................................................. 12 Période postnatale : contrôle/surprotection parental(e) et perte périnatale ....................... 15 Le soutien parental à l’autonomie de l’enfant................................................................... 17 Objectifs et hypothèses ..................................................................................................... 19 Chapitre 1 : Méthode ......................................................................................................... 21 Participants et procédure ................................................................................................... 21 Mesures ............................................................................................................................. 23 La perte périnatale ......................................................................................................... 23 Les symptômes psychologiques des parents ................................................................. 23 Les comportements parentaux....................................................................................... 24 Chapitre 2 : Résultats ......................................................................................................... 27 Analyses préliminaires ...................................................................................................... 27 Analyses principales ......................................................................................................... 28 Symptômes psychologiques (objectif 1) ....................................................................... 28 Comportements parentaux (objectif 2).......................................................................... 30 Chapitre 3 : Discussion ...................................................................................................... 30 Symptômes psychologiques et perte périnatale ................................................................ 31 Comportements parentaux et perte périnatale................................................................... 34 Forces et limites de l’étude ............................................................................................... 39 Implications des résultats .................................................................................................. 41 Conclusion ........................................................................................................................... 43 Bibliographie ....................................................................................................................... 44 Annexe A : Description des tâches interactives parent-enfant filmées et codifiées pour mesurer les comportements parentaux............................................................................. 61 Annexe B : Question permettant de documenter la perte périnatale ............................ 62 Annexe C : Section du questionnaire en ligne sur La liste de symptômes révisée (Derogatis, 1994) ................................................................................................................. 63 Annexe D : Système de codification des comportements parentaux de soutien à l’autonomie, de contrôle et de laissez-faire de Whipple et ses collègues (2011) ............ 69 Annexe E : Corrélations entre les comportements paternels et maternels mesurés .... 77 iii
Liste des tableaux Tableau 1 Portrait de la perte périnatale des pères et des mères ....................................... 58 Tableau 2 Statistiques descriptives et résultats des ANOVAs avec contrastes planifiés pour les pères ................................................................................................................................ 59 Tableau 3 Statistiques descriptives et résultats des ANOVAs avec contrastes planifiés pour les mères ............................................................................................................................... 60 ii
Remerciements Ce mémoire constitue l’aboutissement de mes études en psychologie qui auront été parsemées de défis, de fiertés et d’un enrichissement personnel et professionnel incroyable. Je tiens à remercier chaleureusement Célia Matte-Gagné, une directrice de recherche hors du commun, sans qui la réalisation de ce mémoire n’aurait pas été envisageable. J’aimerais exprimer ma reconnaissance pour ta grande disponibilité, ton soutien constant, ton écoute, tes encouragements, ton humour, ta prévisibilité, ta patience et ta bienveillance, cela au travers mes moments d’incertitude. Ton soutien et tes rétroactions m’ont poussée à croire en mes capacités et ultimement, à me dépasser de sorte qu’au final, je suis d’autant plus fière de ce qui a pu être accompli. Merci également de ton souci d’offrir des opportunités d’emploi et des expériences de recherche stimulantes qui cadrent avec nos besoins et nos intérêts. C’est un privilège d’avoir pu réaliser mon doctorat sous ta direction. Sache que je suivrai avec intérêt les projets de recherche que tu chapeauteras, car je suis convaincue qu’ils auront des retombées majeures. Je tiens aussi à remercier Tamarha Pierce, membre de mon comité d’encadrement, pour ses judicieux conseils, ses critiques constructives, son enthousiasme contagieux pour la recherche et son apport à ma réflexion. D’autre part, je tiens à remercier les familles qui ont participé au Projet Parenfant de même que les étudiants impliqués au laboratoire Parenfant. Je tiens à souligner particulièrement l’apport de Zoé Leclerc et Jessica Horth qui ont réalisé la codification des comportements parentaux à mes côtés. Je remercie également les Fonds de Recherche du Québec – Société et Culture (FRQSC) et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) qui m’ont offert des bourses d’études. Merci à mes précieuses amies Catherine et Elsa, à mes collègues Frédérique et Andréanne et à mes colocataires d’avoir agrémenté les pauses bien méritées après les grosses journées au bureau. Je ne peux non plus passer sous silence le soutien inconditionnel de ma famille et de mes amies de longue date (qui se reconnaitront) qui à distance m’ont souvent motivée à me mettre au travail afin de les retrouver au plus vite. Enfin, merci à mes parents qui m’ont transmis leur curiosité intellectuelle, qui ont cru en moi, qui m’ont inculqué l’importance de faire ce que l’on aime dans la vie et qui m’ont soutenue tout au long de mes études afin que je parvienne à exercer un métier qui me passionne. iii
Introduction Les progrès réalisés en médecine de la reproduction au cours des dernières années ont contribué à métamorphoser l’expérience de la grossesse à plusieurs niveaux (Moutquin, 2004). Cette expérience est notamment de plus en plus caractérisée par un sentiment de contrôle. En effet, en repoussant sans cesse les limites de la survie, la médecine moderne peut donner aux couples qui attendent un enfant l’impression de contrôler l’issue de la grossesse (Covington, 2006). Malheureusement, la médecine moderne n’est pas infaillible. Bien que la majorité des grossesses se déroulent sans complications majeures et aboutissent à la naissance d’un enfant en santé, il arrive qu’il en soit autrement, au plus grand désarroi des parents (Institut national de santé publique du Québec [INSPQ], 2019). Selon le centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM, 2020), chaque année, près de 46 000 Québécois sont touchés par une perte périnatale (c.-à-d. la perte d’un bébé pendant la grossesse, l’accouchement ou peu après la naissance). En plus de survenir fréquemment, la perte périnatale est reconnue comme un évènement difficile sur le plan psychologique (Badenhorst & Hughes, 2007). Malgré cela, dans l’année qui suit la perte, la majorité des femmes redeviennent enceintes (Love et al., 2010). Pour les personnes qui ont vécu une perte périnatale, l’expérience de la grossesse est caractérisée par une conscience accrue des issues négatives possibles (Moore & Côté-Arsenault, 2018). Plusieurs études suggèrent d’ailleurs que les hommes et les femmes qui ont vécu une perte périnatale sont plus vulnérables psychologiquement lors de grossesses subséquentes (Fernández Ordóñez et al., 2018; Shapiro et al., 2017). Les difficultés psychologiques des parents, surtout celles des pères, qui ont vécu une perte périnatale avant la naissance d’un enfant bien portant sont toutefois peu documentées de même que les comportements qu’ils adoptent en présence de leur enfant. L’étude qui compose ce mémoire doctoral a pour but de contribuer à la littérature dans ce domaine en comparant les symptômes psychologiques et les comportements de soutien à l’autonomie, de contrôle et de laissez-faire de pères et de mères qui ont vécu au moins une perte périnatale avant la naissance d’un enfant en santé à ceux de parents qui n’ont pas vécu de perte. Cette étude explore également l’effet potentiellement cumulatif de la perte périnatale en comparant les symptômes psychologiques et les comportements de pères et de mères qui ont vécu une seule perte périnatale à ceux de parents qui ont vécu plusieurs pertes. 1
Portrait de la perte périnatale La conceptualisation et la définition de la perte périnatale ne font pas consensus dans les écrits scientifiques. Le terme « perte périnatale » est utilisé pour référer à différents types de perte dont les définitions varient en fonction des périodes gestationnelles couvertes (de Montigny et al., 2015; Wright, 2011). Dans le cadre de ce mémoire doctoral, la conceptualisation de l’INSPQ (2019) et du CHUM (2020) a été retenue. Celle-ci englobe l’ensemble des pertes vécues pendant la grossesse, aussi précoces soient-elles, de même que les pertes survenues dans les 28 premiers jours de vie. La perte périnatale comprend donc la fausse-couche ou l’avortement spontané (c.-à-d., le décès d’un embryon ou d’un fœtus au cours des 20 premières semaines de gestation), la mort fœtale ou la mortinaissance (c.-à-d., le décès d’un fœtus après les 20 premières semaines de gestation ou pendant l’accouchement), l’interruption médicale ou thérapeutique de grossesse (c.-à-d., tout acte médical pratiqué afin de mettre un terme à une grossesse, en raison d’un problème médical chez le bébé ou chez la mère) et la mort néonatale (c.-à-d., le décès d’un bébé dans les 28 premiers jours suivant sa naissance). Parmi les pertes périnatales, la fausse-couche constitue la plus fréquente. Elle toucherait environ 15 à 20 % des grossesses (Société des obstétriciens et des gynécologues du Canada, 2017). Après les 20 premières semaines de grossesse, la survenue d’une perte périnatale est beaucoup plus rare. En 2017, parmi les 83 855 naissances qui ont eu lieu au Québec, 352 morts fœtales et 285 décès néonataux ont été enregistrés (Institut de la statistique du Québec, 2020a, 2020b). Les pertes précoces de grossesse n’étant pas systématiquement documentées à moins d’une hospitalisation, la prévalence de la perte périnatale dans son ensemble est difficilement chiffrable. Néanmoins, on estime qu’environ 30 % des conceptions se termineraient par une perte périnatale précoce ou tardive (Fernández Ordóñez et al., 2018). De plus, une étude de grande envergure réalisée aux États-Unis estime que 25 % des mères auraient vécu au moins une perte périnatale (Price, 2006). Parmi celles- ci, 30 % auraient vécu plus d’une perte. Puisque la perte survient avant ou peu de temps après la naissance de l’enfant, aucun ou peu de souvenirs tangibles sont généralement associés à l’enfant. Malgré cela, la perte peut plonger le couple dans un deuil profond. L’objet du deuil correspond alors à la privation 2
d’un avenir ou d’un rôle dans lequel le futur parent s’était projeté et qu’il avait parfois fortement désiré (Bennett et al., 2005) ainsi qu’à la rupture du lien affectif avec l’enfant à naître (de Montigny & Beaudet, 1995). Pour certains, l’établissement de ce lien affectif s’amorce de façon précoce et peut être déjà très fort même in utero (de Montigny & Beaudet, 1995). Ainsi, en dépit des caractéristiques particulières qui font de cette perte imprévisible une expérience unique, le deuil vécu à la suite d’une perte périnatale peut être comparable en intensité à la perte de n’importe quel être cher (Brier, 2008; de Montigny & Beaudet, 1995). Étant donné sa nature, la perte périnatale et le deuil qui s’ensuit sont susceptibles d’ébranler plusieurs sphères de la vie des parents telles que la relation conjugale, le fonctionnement familial et la santé physique et mentale (de Montigny & Beaudet, 1997; de Montigny et al., 2017; Fernández-Sola et al., 2020; Gold et al., 2010). Ainsi, les hommes et les femmes endeuillés devraient pouvoir bénéficier de services appropriés (Bellhouse et al., 2019; de Montigny et al., 2010; de Montigny et al., 2018) et du soutien de leur entourage (Hutti, 2005; Lang et al., 2004). Malheureusement, le deuil périnatal s’accompagne bien souvent d’un manque de reconnaissance sociale (Bennett et al., 2005; Zeghiche, 2020; Zeghiche et al., 2020) et d’un silence ou d’une maladresse de l’entourage des personnes endeuillées lorsque celles-ci abordent l’évènement (Bennett et al., 2005; de Montigny et al., 1999; Kavanaugh et al., 2004). Le manque de soutien social fait d’ailleurs partie des facteurs associés à la complexification du deuil (c.-à-d., à sa persistance et à son intensité; Kersting & Wagner, 2012). Certains auteurs soulignent également le manque de soutien offert aux femmes qui se rendent à l’urgence en raison d’un risque de fausse-couche (Emond, 2021; Emond et al., 2019). À la suite de la fausse-couche, l’absence de danger imminent pour la vie d’un individu place bien souvent les hommes et les femmes qui viennent de vivre une perte en bas de la liste des priorités des services d’urgence (CHUM, 2020). Ceux-ci sont donc souvent laissés à eux-mêmes. Par ailleurs, les résultats d’une étude québécoise révèlent que l’efficacité des services offerts suite à une perte périnatale n’est pas démontrée empiriquement et que ceux-ci ne sont pas adaptés aux besoins spécifiques des hommes qui sont d’ailleurs souvent exclus des interventions offertes (de Montigny et al., 2010). Pourtant, les écrits scientifiques qui portent sur le vécu des hommes suite à une perte périnatale suggèrent que le deuil périnatal ne se 3
manifeste pas de la même façon chez ceux-ci. Les hommes se consacreraient notamment davantage au soutien de leur conjointe et se sentiraient moins reconnus dans leur expérience du deuil (Campbell-Jackson et al., 2014; McCreight, 2004; Nguyen et al., 2019; Obst et al., 2020; O’Leary & Thorwick, 2006). Ceci souligne l’importance d’adapter les services offerts aux besoins des hommes puisqu’ils sont susceptibles de diverger de ceux des femmes. De plus en plus d’efforts sont d’ailleurs faits à l’échelle nationale et internationale pour mettre en place des services appropriés et développer des interventions psychothérapeutiques pour les hommes et les femmes qui ont vécu une perte périnatale (p.ex., Charrois et al., 2020; de Montigny et al., 2018; Diamond & Diamond, 2016, 2017; Hendson & Davies, 2018; Jaffe & Diamond, 2011; Koopmans et al., 2013; Markin, 2016, 2017; Verdon et al., 2009). L’élaboration d’interventions efficaces passe toutefois d’abord par une meilleure compréhension des difficultés rencontrées par ces personnes. Répercussions psychologiques de la perte périnatale Conséquences psychologiques immédiates Les lacunes identifiées dans les services offerts aux personnes qui ont vécu une perte périnatale sont préoccupantes, et ce, surtout à la lumière des symptômes psychologiques répertoriés dans cette population. Un large pan de la littérature portant sur la perte périnatale documente les répercussions psychologiques immédiates de celle-ci (Badenhorst & Hughes, 2007; Burden et al., 2016; Campbell-Jackson & Horsch, 2014). Selon cette littérature, les personnes qui ont vécu une perte périnatale sont à risque de vivre plusieurs émotions négatives (p.ex., confusion, tristesse, colère, envie et culpabilité; Brier, 2008; de Montigny et al., 2017; Kersting & Wagner, 2012). Elles sont aussi plus susceptibles de présenter des symptômes somatiques (Janssen et al., 1996; Murphy et al., 2014; Thapar & Thapar, 1992), dépressifs (Boyle et al., 1996; Janssen et al., 1996; Gold et al., 2016; Lok et al., 2010; Murphy et al., 2014; Vance, Boyle, et al., 1995; Vance, Najman et al., 1995), anxieux (Boyle et al., 1996; Geller et al., 2004; Murphy et al., 2014; Vance, Najman, et al., 1995) et de stress post- traumatique (pour une recension des écrits, voir Christiansen, 2017). Quelques études suggèrent par ailleurs que l’effet de la perte périnatale sur le bien-être psychologique serait cumulatif : les symptômes dépressifs et le risque de dépression augmentant à mesure que le nombre de fausses-couches augmente (p.ex., Mutiso et al., 2019; Neugebauer, 2003; Toffol 4
et al., 2013). L’effet cumulatif de la perte périnatale n’a toutefois pas été examiné en ce qui concerne les autres symptômes psychologiques. En somme, plusieurs symptômes psychologiques sont répertoriés chez les hommes et les femmes endeuillés à la suite d’une perte périnatale. Selon certains auteurs, ceux-ci pourraient faire partie de la réaction normale de deuil qui découle de cette épreuve (Badenhorst & Hughes, 2007). Certaines études rapportent d’ailleurs une diminution de la sévérité des symptômes avec le temps (Janssen et al., 1996; Swanson, 1999; Vance, Najman, et al., 1995). D’autre part, les résultats des études réalisées dans le domaine suggèrent que les symptômes psychologiques rapportés par les hommes et les femmes qui ont vécu une perte périnatale sont sensiblement les mêmes, mais qu’ils se manifesteraient d’une façon plus intense et persistante chez les femmes (p.ex., Beutel et al., 1996; Cumming et al., 2007; Huffman et al., 2015; Murphy et al., 2014; Vance, Boyle et al., 1995; Vance, Najman et al., 1995). Toutefois, plusieurs auteurs soulignent le peu d’études qui rendent compte de la réalité des hommes endeuillés (p.ex., Badenhorst et al., 2006; Christiansen, 2017; Geller et al., 2004) en comparaison avec l’attention accordée aux femmes endeuillées. Ainsi, il est nécessaire de poursuivre les études dans le domaine pour notamment mieux comprendre les effets de la perte périnatale chez les hommes. Santé psychologique et grossesse subséquente Les effets de la perte sur le bien-être psychologique des hommes et des femmes qui attendent un nouvel enfant ont également fait l’objet de plusieurs études empiriques. La plupart des femmes qui ont fait l’expérience d’une perte périnatale deviennent enceintes dans l’année suivant la perte (Love et al., 2010). Cette nouvelle grossesse est susceptible de raviver des souvenirs associés à la perte et bien souvent, induit des sentiments conflictuels chez les futurs parents qui espèrent une issue favorable, mais qui appréhendent la survenue d’une nouvelle perte (DeBackere et al., 2008; Garrod & Pascal, 2019; Mills et al., 2014). Ainsi, cette période a fait l’objet d’un intérêt marqué (pour une recension des écrits, voir Fernández Ordóñez et al., 2018). Dans une méta-analyse récente, Hunter et ses collaborateurs (2017) se sont intéressés au stress, à l’anxiété et à la dépression des hommes et des femmes qui attendent un enfant et qui ont vécu une perte périnatale. Les auteurs ont recensé 19 études pertinentes dans le domaine. Les résultats de cette méta-analyse démontrent que le fait 5
d’avoir vécu une perte périnatale est associé à des niveaux plus élevés d’anxiété chez les femmes enceintes (d = 0.69, IC à 95 % [0.41, 0.97]) et leur partenaire (d = 0.80, IC à 95 % [0.51, 1.10]). L’antécédent de perte périnatale est également associé à des niveaux plus élevés de dépression chez les femmes enceintes (d = 0.22, IC à 95 % [0.15, 0.30]) et leur partenaire (d = 0.30, IC à 95 % [0.01, 0.59]). Les résultats de cette méta-analyse suggèrent aussi que l’effet de la perte périnatale sur les symptômes anxieux et dépressifs serait plus grand chez les hommes que chez les femmes durant une grossesse subséquente. Toutefois, les auteurs invitent à la prudence concernant ce résultat en soulignant la sous-représentation des hommes dans les études recensées alors que seulement trois d’entre elles comprenaient des hommes. L’échantillon de la méta-analyse comptait ainsi la participation de 35 386 femmes enceintes et de seulement 197 hommes. La méta-analyse de Hunter et ses collègues (2017) met en lumière la vulnérabilité psychologique des hommes et des femmes qui attendent un enfant et qui ont vécu une perte périnatale par le passé. Elle illustre également de façon éloquente la non-inclusion des hommes dans les études portant sur le sujet. La méta-analyse s’est toutefois limitée aux symptômes anxieux et dépressifs tandis que d’autres symptômes sont répertoriés chez les personnes ayant vécu une perte. Ainsi, beaucoup de travail reste à faire pour comprendre les répercussions d’une perte périnatale sur le bien-être psychologique des parents en devenir. Par ailleurs, alors que la période de la grossesse a fait l’objet d’un intérêt marqué dans le domaine, la période suivant la naissance d’un enfant subséquent a suscité beaucoup moins d’intérêt de la part des chercheurs. Sachant le risque que représente le fait d’avoir des parents souffrant de problèmes de santé mentale pour l’enfant (pour une recension des écrits, voir Stein et al., 2014), il est d’autant plus pertinent de documenter les symptômes psychologiques des parents qui ont vécu une perte périnatale alors qu’ils sont amenés à prendre soin d’un nouveau-né. Santé psychologique et parentalité subséquente Plusieurs couples désirant toujours avoir un enfant feront l’expérience de la parentalité après avoir vécu une perte périnatale. L’état de santé mentale de ces parents à l’arrivée de l’enfant subséquent est toutefois méconnu. Bien que la période postnatale ait fait l’objet de très peu d’études, quelques auteurs se sont tout de même intéressés aux symptômes 6
psychologiques des parents qui ont vécu une perte périnatale avant la naissance de leur enfant. C’est notamment le cas d’Armstrong et ses collaborateurs (2009) qui ont mesuré à trois reprises (durant la grossesse subséquente, trois mois après la naissance de l’enfant et entre six et huit mois post-partum), les symptômes dépressifs, anxieux et de stress post- traumatique de 36 couples de parents ayant fait l’expérience d’une perte périnatale. Les résultats de cette étude suggèrent une diminution significative des symptômes dépressifs, anxieux et de stress post-traumatique à travers le temps au sein de cette population. Malgré cette diminution, les symptômes de stress post-traumatique demeurent modérément élevés, et ce, même six à huit mois après la naissance d’un enfant subséquent. Les auteurs n’ont toutefois pas comparé les symptômes de ces parents à ceux de parents n’ayant pas vécu de perte. Ainsi, il est impossible de savoir si les symptômes documentés sont associés au fait d’avoir vécu une perte ou s’ils se retrouvent dans une même proportion chez tous les parents. Les auteurs de l’étude ont toutefois comparé les pères et les mères de leur échantillon et ils rapportent que les mères présenteraient plus de préoccupations que les pères concernant la santé de l’enfant six à huit mois après la naissance. Une autre étude suggère d’ailleurs que les préoccupations pour la santé des enfants seraient plus importantes chez les mères qui ont vécu une perte périnatale comparativement aux mères qui n’en ont pas vécu (Theut et al., 1992). Ces résultats suggèrent que les mères qui ont vécu une perte périnatale demeurent potentiellement vulnérables sur le plan psychologique à un moment où elles sont amenées à prendre soin de leur nouveau-né. Dans leur étude qui comprend un groupe de comparaison, Chojenta et ses collaborateurs (2014) concluent que les femmes qui ont vécu une perte périnatale (n = 178) sont plus à risque que les femmes sans historique de perte (n = 406) de ressentir de la tristesse (RC = 1.75, IC à 95 % [1.11, 2.76]) et de rapporter des préoccupations excessives (RC = 2.01, IC à 95 % [1.24, 3.24]) pendant la grossesse subséquente, mais pas après la naissance de l’enfant (soit de zéro à trois mois et/ou de quatre à douze mois après la naissance). Les résultats de cette étude pointent donc vers une rémission (diminution marquée des symptômes) suite à la naissance d’un enfant vivant. Cette étude porte toutefois uniquement sur des femmes. L’effet de la perte sur le bien-être psychologique des hommes suite à la naissance d’un enfant en santé n’a donc pas été examiné. 7
Pour leur part, Abajobir et ses collaborateurs (2017) arrivent à une conclusion différente. Ces auteurs ont mesuré les symptômes anxieux et dépressifs de 4403 femmes enceintes au moment de leur première visite à la clinique prénatale et 14 ans plus tard (après avoir mis au monde un enfant vivant). Parmi leur échantillon, 739 femmes avaient un historique de fausse-couche ou de mort fœtale et 84 femmes avaient un historique de décès néonatal ou de décès infantile. Les femmes du groupe contrôle qui étaient enceintes pour la première fois (n = 1644) et les femmes qui avaient un historique de perte périnatale présentaient des niveaux de symptômes anxieux et dépressifs comparables pendant la grossesse. Toutefois, 14 ans plus tard, les mères qui avaient un historique de perte périnatale par fausse-couche ou mort foetale présentaient des niveaux de symptômes anxieux (RC = 1.40, IC à 95 % [1.10, 1.60]) et dépressifs (RC = 1.53, IC à 95 % [1.10, 2.10]) statistiquement plus élevés que les mères du groupe contrôle. De même, les mères qui avaient un historique de perte plus tardive présentaient, 14 ans plus tard, des niveaux plus élevés de symptômes dépressifs (RC = 2.16, IC à 95 % [1.10, 4.10]) comparativement au groupe contrôle. Ces résultats suggèrent donc une élévation des symptômes psychologiques associés à la perte périnatale 14 ans après la naissance d’un enfant subséquent. Cette étude ne rend toutefois pas compte de l’expérience des pères et couvre deux moments très éloignés dans le temps. Davantage d’études sont donc nécessaires pour mieux comprendre l’effet d’une perte périnatale après la naissance d’un enfant subséquent, surtout, peu de temps après la naissance. Pour leur part, Hunfeld et ses collègues (1997) ont examiné la dépression et l’anxiété de mères, un et quatre mois après la naissance d’un enfant vivant. Leur étude suggère qu’à un mois post-partum, les mères qui ont un historique de perte périnatale tardive causée par des anomalies congénitales (n = 27) sont significativement plus anxieuses (t = -2.10, p = .040, gHedges = -0,56) et déprimées (t = -3.00, p = .004, gHedges = -0,72) que les mères sans historique de perte (n = 29). Toutefois, cette étude ne porte que sur un petit échantillon de mères ayant vécu un type de perte en particulier. Ainsi, il est difficile de généraliser les résultats à d’autres types de pertes ainsi qu’aux pères. De son côté, Armstrong (2007) s’est intéressé aux symptômes dépressifs de parents lorsque leur nouveau-né était âgé entre 8 et 12 mois. L’échantillon de cette étude était composé d’un groupe (n = 38) de 19 pères et de 19 mères qui avaient vécu une perte périnatale 8
avant la naissance de leur enfant et d’un groupe de parents sans historique de perte (n = 36). Les résultats de cette étude suggèrent que dans la période postnatale, le niveau moyen de symptômes dépressifs des parents des deux groupes est comparable. La petite taille échantillonnale constitue toutefois une limite importante de cette étude. Dans le cadre de l’étude de Bicking Kinsey et ses collaborateurs (2014), les symptômes dépressifs de mères ayant vécu ou non une fausse-couche avant la naissance de leur enfant ont été évalués durant la grossesse de même que 1, 6 et 12 mois après la naissance de l’enfant. Les résultats suggèrent que les femmes qui ont vécu une fausse-couche (n = 448) rapportent plus de symptômes dépressifs un mois après la naissance d’un enfant subséquent que les femmes qui n’en ont pas vécu (n = 2343). Par contre, ces femmes ne seraient pas plus à risque de souffrir d’une dépression une fois leurs historiques psychosocial et obstétrique considérés. De façon semblable, Hughes et ses collègues (1999) ont examiné les symptômes dépressifs et anxieux de 120 femmes au troisième trimestre de grossesse et six semaines, six mois et un an après la naissance d’un enfant vivant. Leur échantillon était composé de 60 femmes dont la grossesse précédente s’était soldée en une perte après les 18 premières semaines de gestation et de 60 femmes primigestes appariées démographiquement. Les résultats de cette étude suggèrent que les femmes avec un historique de perte périnatale présentent plus de symptômes dépressifs (10.8 vs 8.2; Wilcoxon p = 0.004, IC à 95 % [0.7, 4.5]) et anxieux (39.8 vs 32.8, Wilcoxon p = 0.003, IC à 95 % [2.6, 11.2]) au troisième trimestre de la grossesse que les femmes du groupe contrôle, mais pas durant la période postnatale. Afin de mieux comprendre les effets psychologiques de la mort fœtale sur les pères, le même groupe de recherche a examiné les symptômes dépressifs de 76 couples au troisième trimestre de grossesse et six semaines, six mois et un an après la naissance de l’enfant (Turton et al., 2006). Ils ont aussi examiné les symptômes anxieux au troisième trimestre de grossesse et un an après la naissance de l’enfant. Parmi les couples, 38 avaient vécu une mort fœtale (à noter que dans chaque groupe, 13 mères avaient également déjà vécu une fausse-couche). Les résultats démontrent que les hommes ayant un historique de mort fœtale présentaient des niveaux plus élevés d’anxiété au troisième trimestre de grossesse comparativement aux 9
hommes n’ayant pas d’historique, mais ce n’était plus le cas un an après la naissance de l’enfant. Les symptômes dépressifs étaient toutefois comparables entre les deux groupes de pères à tous les temps de mesure. Ainsi, l’étude de Turton et ses collaborateurs (2006) de même que celles de Hughes et ses collaborateurs (1999), Bicking Kinsey et ses collaborateurs (2015) et Armstrong (2007) suggèrent que les effets d’une perte périnatale antérieure sur le bien-être psychologique des parents sont minimes voir nuls après la naissance d’un enfant vivant. Ces études n’ont toutefois pas examiné d’autres symptômes que les symptômes dépressifs et anxieux et elles ont majoritairement été réalisées sur de petits échantillons. Par ailleurs, certaines études ont examiné la prévalence du trouble de stress post- traumatique (TSPT) chez les pères (n = 38) et les mères (n = 66) ayant un historique de perte périnatale par mort fœtale au moment de la grossesse subséquente et durant la période postnatale (Turton et al., 2001, 2006). Les résultats de ces études suggèrent une diminution des symptômes dans le temps et une rémission du TSPT pour les pères et les mères dans la période postnatale. Ces études n’ont toutefois pas comparé la prévalence du TSPT au sein de leur groupe à celle d’un groupe contrôle de parents n’ayant pas vécu de perte périnatale. De leur côté, Blackmore et ses collaborateurs (2011) se sont intéressés aux associations entre le nombre de pertes périnatales (fausse-couche ou mort fœtale) vécues antérieurement (variant de zéro à plus de quatre pertes) et les symptômes anxieux et dépressifs durant la grossesse subséquente (à 18 et 32 semaines de gestation) et après la naissance de l’enfant (à 2, 8, 21 et 33 mois) au sein d’un vaste échantillon de femmes (N = 13 133). Leurs résultats démontrent que le nombre de pertes prédit des niveaux significativement plus élevés de symptômes dépressifs (β= .18, p < .01) et anxieux (β= .14, p < .01) pendant la grossesse subséquente et durant la période postnatale. Les chercheurs ont effectué des analyses d’équations généralisées qui permettent de modéliser et analyser des données longitudinales. Ces analyses statistiques leur ont permis de tester la persistance dans le temps de la relation entre le nombre de pertes périnatales et les symptômes d’anxiété et de dépression. Les résultats indiquent que cette relation est similaire durant la grossesse et la période postnatale. Ainsi, le nombre de pertes périnatales est associé à plus de symptômes, et ce, même après la naissance d’un enfant en santé. La grande taille échantillonnale de cette étude constitue une force indéniable. Toutefois, les pères n’ont pas été inclus. 10
Dans le cadre de son étude, Price (2008) s’est intéressée à la dépression dans un échantillon de 10 688 mères ayant un enfant âgé d’environ neuf mois. Dans cet échantillon, une femme sur quatre avait vécu une perte périnatale par fausse-couche ou mort fœtale. De façon cohérente avec l’étude susmentionnée, les résultats démontrent que le niveau de symptômes dépressifs des mères était significativement plus élevé si elles avaient un historique de pertes multiples par rapport à un historique de perte unique (t = 2.19, p = .031). De même, l’historique de pertes multiples expliquait 4 % de la variance dans les symptômes dépressifs des mères. Toutefois, le niveau de symptômes dépressifs des mères du groupe de perte unique et celui des mères sans historique de perte étaient semblables. Côté-Arsenault et ses collègues (2019) ont également examiné les symptômes dépressifs de femmes (N = 204) pendant la grossesse de même que six mois et un an après la naissance d’un premier enfant vivant. Dans leur échantillon, 58 mères avaient un historique de perte périnatale (42 mères avaient un historique de perte unique et 16 mères avaient vécu deux pertes ou plus). Les mères qui avaient un historique de perte périnatale (unique ou multiple) ne différaient pas de celles qui n’avaient pas vécu de perte sur le plan de la symptomatologie dépressive. Toutefois, parmi les mères qui avaient un historique de perte périnatale, un plus grand nombre de pertes était associé à des symptômes dépressifs plus élevés un an après la naissance de l’enfant (r = .24, p < .01). Ces résultats soulignent l’importance de s’intéresser à l’effet cumulatif possible de pertes dans les études portant sur les parents qui ont un historique de perte périnatale. En somme, plusieurs écrits scientifiques démontrent que les personnes qui ont un historique de perte périnatale sont plus vulnérables psychologiquement, avant et pendant la grossesse subséquente. Toutefois, des incohérences demeurent en ce qui concerne la période suivant la naissance d’un enfant. Seulement 10 études ont comparé la santé mentale de parents qui ont vécu une perte à celle de parents qui n’en ont pas vécu lors de la période suivant la naissance d’un enfant survivant. Par ailleurs, uniquement trois de ces études ont examiné l’effet du nombre de pertes vécues sur la présence de symptômes psychologiques (de mères uniquement) lors de cette même période. Parmi les études réalisées, certaines suggèrent que le vécu de perte périnatale de même que le nombre de pertes vécues sont associés à plus de symptômes anxieux et dépressifs. Peu d’études portent toutefois sur la 11
santé mentale des pères suite à une perte périnatale, plus particulièrement lors de la période suivant la naissance d’un enfant, et sur l’effet de la perte sur d’autres symptômes que les symptômes anxieux et dépressifs. Il serait notamment pertinent d’examiner l’intensité des symptômes somatiques et de stress post-traumatiques puisque certaines études documentent que peu de temps après avoir vécu une perte périnatale, ces symptômes sont plus élevés chez les hommes et les femmes (Christiansen, 2017; Janssen et al., 1996; Murphy et al., 2014; Thapar & Thapar, 1992). Ainsi, davantage d’études sont nécessaires afin de : (1) mieux comprendre les vulnérabilités psychologiques respectives des hommes et des femmes ayant vécu une perte, surtout lors de la période suivant la naissance d’un enfant subséquent; (2) déterminer si leurs symptômes se distinguent de ceux des hommes et des femmes qui n’ont pas vécu de perte périnatale; (3) déterminer l’effet du cumul de pertes vécues sur les symptômes psychologiques des hommes et des femmes. Par ailleurs, le bien-être psychologique des parents étant un prédicteur largement reconnu des comportements parentaux (Belsky & Jaffee, 2006; Stein et al., 2014), il est aussi pertinent d’étudier les comportements que les parents adopteront en présence de leurs enfants nés subséquemment à la perte périnatale. Période postnatale : la parentalité subséquente Un bassin très restreint, mais croissant d’études examine les conséquences de la perte périnatale sur les comportements parentaux. Des études qualitatives appuient notamment l’existence d’une tendance à la surprotection et à l’intrusion chez les parents qui ont vécu une perte périnatale. Un premier groupe de recherche s’est intéressé à l’expérience de 13 parents (3 pères) ayant vécu une perte avant la naissance de leur enfant (Warland et al., 2011). Lors d’une entrevue qualitative portant sur leur expérience de parents, les participants de cette étude ont rapporté avoir tendance à garder leur enfant (né subséquemment à la perte) à proximité, chercher à prendre le contrôle des situations et se sentir apeurés devant certaines situations reliées à la santé de leur enfant. Ils se sont aussi décrits comme étant préoccupés par la surveillance et la protection de leur enfant ce qui pouvait les amener à faire preuve de vigilance. Les parents interviewés considéraient avoir été changés par l’expérience de la perte, celle-ci les ayant amenés à adopter un style parental plus « intentionnel ». Tel que 12
décrit par les auteurs de l’étude, ce style est caractérisé par le fait de ne plus rien laisser au hasard dans les décisions impliquant l’enfant. De manière similaire, les 21 mères interrogées dans l’étude de Côté-Arsenault et Morrison-Beedy (2001) ont rapporté qu’avoir vécu une perte périnatale a eu une influence sur leurs pratiques parentales. Ces mères disaient notamment rechercher davantage à avoir le contrôle sur les situations ce qui pouvait les amener à être plus surprotectrices. Des résultats semblables sont rapportés dans plusieurs études qualitatives alors que des thèmes récurrents d’anxiété, d’intrusion et de surprotection sont relevés dans le discours de mères ayant un historique de perte périnatale (Davis et al., 1989; Köksal, 2018), mais aussi celui d’enfants nés subséquemment à une perte décrivant rétrospectivement le style parental de leur mère (Daino, 2014; Köksal, 2018; O'Leary & Gaziano, 2011). Les mères ayant vécu une perte périnatale ont été décrites comme étant anxieuses, surprotectrices et intrusives par leurs enfants (Daino, 2014; Köksal, 2018). Toutefois, les échantillons de ces études qualitatives sont de petites tailles et n’incluent pas les pères, limitant ainsi la généralisation possible des résultats. Bien que des études qualitatives appuient l’existence d’une tendance à la surprotection et à l’intrusion chez les parents qui ont vécu une perte périnatale, très peu d’études quantitatives et observationnelles portent sur les comportements des parents ayant vécu une perte périnatale. Tout d’abord, Pantke et Slade (2006) ont examiné les effets de la perte d’un enfant (par fausse-couche, mort fœtale, mort néonatale, mort subite du nourrisson, accident ou maladie) sur la qualité des comportements parentaux de soins et de protection des pères et des mères telle que rapportée rétrospectivement par leurs enfants rendus à l’âge adulte. Pour ce faire, plus de 300 adultes ont rempli un questionnaire mesurant les pratiques parentales. Parmi eux, 77 ont rapporté que leur mère avait vécu une perte périnatale avant leur naissance et 73 ont rapporté un historique de perte chez leur père. Les résultats de cette étude indiquent que les pères ayant vécu une perte étaient comparables à ceux n’ayant pas vécu de perte sur le plan comportemental. Les mères ayant vécu une perte étaient toutefois perçues rétrospectivement par leurs enfants comme étant plus protectrices/contrôlantes (protective/controlling) comparativement aux mères n’ayant pas vécu de perte (F(1, 300) = 4.16; p = .042, gHedges = -0,27). Cette étude est pionnière dans le domaine puisqu’elle est la 13
première étude quantitative à s’intéresser à l’effet de la perte sur l’adoption de comportements parentaux surprotecteurs/contrôlants. Toutefois, ces résultats doivent être interprétés avec prudence puisqu’ils peuvent être teintés de biais de rappel et de biais subjectifs liés à l’utilisation d’un devis de recherche rétrospectif et d’une mesure subjective des comportements parentaux. Les résultats de l’étude de Turton et ses collègues (2009) abondent toutefois dans le même sens tout en utilisant un devis de recherche prospectif et une mesure observationnelle des comportements maternels. Dans cette étude, les auteurs ont codifié plusieurs dimensions de la qualité des interactions mère-enfant et des comportements maternels durant une tâche coopérative où la mère et l’enfant (âgé entre 6 et 8 ans) devaient reproduire ensemble l’image d’une maison à l’aide d’un tableau Etch-a-Sketch. Les résultats de cette étude démontrent que les mères qui ont vécu une mort fœtale avant la naissance de l’enfant participant à l’étude (n = 48) critiquaient significativement plus (p = .04, IC à 95 % [0.02, 0.99], gHedges = 0,41) les actions de leur enfant que les mères (n = 50) dont l’enfant participant à l’étude était issu d’une première grossesse. De plus, les mères ayant vécu une mort fœtale prenaient significativement plus le contrôle de la tâche censée être coopérative (p < .001, IC à 95 % [- 0.94, -0.28], gHedges = 0,44) que les mères du groupe contrôle. Les pères ne faisaient toutefois pas partie de cette étude. En plus, seule l’expérience de la mort fœtale a été considérée dans les types de perte périnatale ce qui ne permet pas de généraliser ces résultats aux autres types de perte. Dans le cadre d’une autre étude, Price (2008) s’est penchée sur les interactions mère- enfant au sein d’un large échantillon de mères (N = 10 688). À l’intérieur de l’échantillon, 25 % des mères avaient un historique de perte périnatale. Dans cette étude, la mutualité des interactions mère-enfant a été mesurée de façon observationnelle alors que la mère devait choisir et enseigner une tâche à son enfant âgé de 9 mois (Andreassen & Fletcher, 2005). La mutualité des interactions mère-enfant réfère à la qualité des comportements des deux membres de la dyade soit ceux de l’enfant (c.-à-d., l’habileté de l’enfant à envoyer des signaux clairs à sa mère et à répondre aux initiatives de cette dernière) et ceux de la mère (c.- à-d., l’habileté de la mère à reconnaitre et répondre aux signaux de l’enfant et à favoriser la croissance sociale, émotionnelle et cognitive de l’enfant en interagissant de façon positive 14
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