REVUE LITTÉRAIRE COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS - Collège Mont-Saint-Louis

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REVUE
 LITTÉRAIRE

20 18
 COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS

 5e secondaire
REVUE LITTÉRAIRE COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS - Collège Mont-Saint-Louis
REVUE LITTÉRAIRE 2018

     Chères lectrices, chers lecteurs,

     Vous croyez tenir entre vos mains une revue littéraire, c’est-à-dire une compilation de textes choisis,
     écrits par les élèves de 5e secondaire dans le cadre du cours de littérature. Ce n’est pas faux.

     Par contre, vos attentes, elles devraient être plus grandes. Vaut mieux être avertis; elles et ils sont
     très doués. Et je suis extrêmement fière d’eux.

     Écrire vous semble peut-être facile ou, au contraire, extrêmement difficile. Cela dépend si vous vous
     y êtes déjà risqué. Risqué. Le mot est juste. Voilà pourquoi je suis fière d’eux. Tous les élèves du
     groupe ont pris le risque cette année de donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils ne seront peut-être
     pas tous d’accord avec ce que je viens d’avancer; mais ils ont tous accepté de se commettre, d’y
     mettre une part d’eux.

     Alors ils ont écrit des nouvelles, des poèmes, qu’ils ont même acceptés de réciter devant une cen-
     taine de personnes lors de La Nuit de la poésie en février dernier; ils ont écrit un premier chapitre de
     roman, puis imaginer une suite, que vous lirez peut-être un jour; au moment où j’écris ces mots, ils
     se lancent dans l’écriture dramatique et nous feront voir ce que peut représenter « la fin du secon-
     daire ». Bref, ils ont touché à tout cette année.

     À vous, lectrices et lecteurs, je vous souhaite de découvrir avec bonheur et curiosité les différentes
     voix qui peuplent ce recueil; celle de votre ami(e), de votre sœur, de votre fils, de cette élève. Des
     voix porteuses de mille thèmes, de mille préoccupations, de mille possibilités.

     À vous, mes beaux élèves, je souhaite que vous n’oubliiez pas ce cours, ce que vous êtes allés y
     chercher, comment vous y avez contribué, à votre manière. Les livres. Continuez de les chérir. Je
     vous souhaite de toujours être en quête du prochain roman à découvrir, à connaître, à dévorer, à
     partager. Ce sera toujours une façon de communier avec le monde, de ne pas être seul. Écrire. Avez-
     vous conservé le beau calepin du Dollarama que je vous ai donné? Et votre journal de création?
     Vivez comme un écrivain si vous n’en devenez pas un. Ouvrez l’œil et écrivez ce que vous voyez. Ça
     prendra forme.

     Surtout, merci pour la belle année. Vous allez me manquer.

     Parlant de remerciements, je veux absolument remercier Jean-Louis Desrosiers pour la mise en page
     de cette magnifique revue. Merci pour ta précieuse collaboration, pour ton souci du détail et ta
     créativité. Merci aussi à Jeanne Lamontagne qui a participé à illustrer ce recueil!

     Bonne lecture!

     Marie-Eve Leblanc

La Revue littéraire est une production du cours de littérature
de la 5e secondaire du Collège Mont-Saint-Louis
Conception et mise en page : Jean-Louis Desrosiers (2018)
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     TABLE DES MATIÈRES

     La prouesse d’un nain, c’est de cracher loin............... 5
     par Arielle Hachey-Brunet
     Histoire de famille.................................................................... 7
     par Léa Delambre
     Beauté de l’aurore ................................................................ 11
     par Jasmine Blais-Hosain
     Survivante.................................................................................. 13
     par Élodie Morin
     Une quête moderne attribuée ........................................ 15
     à un chevalier médiéval
     par Maxime St-Denis

1
     Nouvelle littéraire.................................................................. 17
     par Victor Gagné
     La victime inconnue mais semblable............................ 19
     par Teddy Charlot
     Prisonnier .................................................................................. 20
     par Léa Ruel
     Automne .................................................................................... 21
     par Violette Cantin

                                                           ............................................. 23

8
     par Maude Hébert-Adam
     Messe des méandres ...........................................................                   27
     du déblatère terrestre
     par Jeanne Bouchard
     Le ski acrobatique .................................................................             28
     par Émile Joyal
     Nissinakuan : ...........................................................................        30
     Les choses disparaissent au loin,
     à l’horizon
     par Emmanuelle Rompré
     L’antre du présent ................................................................              33
     par Laurence Michalski
     Questionner la question ....................................................                     36
     par Aloïce Bellefeuille-Carrier
     J’ai le mal de vous ................................................................             39
     par Nesrine Brahimi
     Lettre à un déphasé .............................................................                40
     par Loïc Nadeau
     La forêt des mal-aimés .......................................................                   41
     par Juliette Charbonneau-Lacroix
     IN LUDO MANERII ................................................................                 43
     par Merry Chea
     Sans titre ...................................................................................   47
     par Maria-Luz Faddoul
     L’écriture c’est le cœur qui éclate en silence............                                       50
     par Nesrine Brahimi

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La prouesse d’un nain, c’est de cracher loin
par Arielle Hachey-Brunet
Premier chapitre de roman

Chapitre 1 - Les pigeons

Prague, 8 mars 2017

Ce matin, un oiseau a délivré sa cargaison fécale sur l’épaule de Malik. Certains pourraient consi-
dérer cet acte irrespectueux comme une marque de chance, mais pas Malik. Pour Malik, un maudit
pigeon qui fait caca sur son épaule, c’est un signe annonçant le commencement d’une mauvaise
journée. Le petit homme n’a jamais compris l’utilité des pigeons. La beauté ou la grandeur n’est
pas leur première qualité (s’ils ont des qualités), leurs petits corps remplis de microbes donnent
des maladies et déversent des petits cadeaux désagréables sur l’épaule de pauvres passants in-
nocents. Malgré son pouvoir magique acquis à la naissance lui donnant les capacités d’un aimant
à malchance, Malik a toujours su grandir, telle une mauvaise herbe, dans l’adversité. Le pissen-
lit de Št’astné malé slunce était son surnom (Št’astné malé slunce ou Petit soleil heureux est le
nom un peu ironique de l’orphelinat où Malik Masaryk a été élevé). Abandonné à un an par des
parents dénués de tout sens de responsabilité, le poupon fut découvert sur un banc de parc par
Edík Novak, directeur de l’orphelinat et homme détraqué d’après Malik. Enfant calme et plutôt
apathique, il fut rapidement la proie des autres garçons habitant avec lui grâce à sa petite taille
facile à rabaisser et à sa personnalité désintéressée. Malgré tout, sa nature pissenlit le protégeait
et la présence habituellement apaisante de M. Novak permit au jeune garçon de ne pas devenir
comme un certain Jean-Baptiste Grenouille. Il se découvrit une passion brûlante pour la couleur
rouge (la raison pour cette obsession est, à ce jour, toujours inconnue) et laissa ses désirs de
meurtre et de vengeance pour se lancer dans l’écriture. En effet, Malik Masaryk était peut-être
aussi expressif qu’un poisson mort, mais s’il y avait une chose qu’il aimait par-dessous tout, c’était
bien les mots. Ayant fait ses premiers pas aux côtés de la solitude, l’art de manier les mots avait
comblé un certain vide dans son petit cœur que lui-même ignorait.

Par contre, à maintenant 29 ans, ses idées changeaient. Un oiseau lui avait gâché sa journée, il tra-
vaillait comme traducteur dans une petite boite indépendante (qu’il soupçonnait être en lien avec
la mafia) et une vieille dame venait de cracher sur ses magnifiques chaussures rouges, réveillant
en lui ses tendances meurtrières d’antan. Ayant été dans l’obligation de retourner à sa résidence
pour se laver des idioties de ce monde, Malik partit finalement d’un pas lent vers son bureau où
il était déjà amplement en retard. Une fine pluie commença à tomber et pour un court instant
l’homme regarda le ciel… avant de lui envoyer son majeur.

                                                 ***

Ce matin, un oiseau a délivré sa cargaison fécale sur l’épaule d’Adélie. Certains pourraient consi-
dérer cet acte irrespectueux comme une marque de malchance, mais pas Adélie. Pour Adélie, un

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animal des cieux qui entre en contact avec elle, c’est un signe annonçant l’une des meilleures jour-
nées de sa vie. Amoureuse du monde et optimiste à rendre le plus heureux des hommes malade,
Adélie Novak, fille de M. Novak, se rendait à l’école d’un pas sautillant tout en écoutant sa chan-
son culte Don’t Stop Believing lorsqu’elle rencontra l’animal mystique… le pigeon. Fiers, beaux et
possédant une couverture de plumes lustrées, les pigeons étaient une source de vénération pour
la jeune fille de 12 ans. Avoir la capacité de voler était son rêve le plus cher et elle ne voulait pas
voler n’importe comment. Adélie voulait voler dans le ciel plus haut que chaque oiseau, plus loin
que n’importe qui, elle voulait, avec ses ailes de pétales de fleurs, découvrir des mondes nouveaux
et faire le tour de la terre… mais papa disait qu’elle était trop jeune. Ayant perdu sa femme un an
après la naissance de leur fille dans un accident d’avion, M. Novak tentait désespérément de gar-
der sa petite délinquante hors de danger. Possédant un sens de l’aventure plus qu’élevé, l’enfant
se passionnait par les récits de voyages de grands aventuriers et aimait s’imaginer les accompa-
gnant dans leur quête d’action. Ayant hérité un vieil appareil photo de sa défunte mère, Adélie
aimait aussi prendre les splendeurs de la terre en photo et partager ses trouvailles avec son père.
Les souvenirs sont importants, et comme les humains ont tendance à oublier les mauvais comme
les bons, Adélie s’était donnée comme but de garder dans son cher appareil les souvenirs de cha-
cun. Maintenant fascinée par le pigeon devant elle, celle-ci ne pouvait quitter de son objectif la
créature qui avait daigné l’approcher. Elle ne remarqua point la fine pluie qui commença à tomber
ni l’homme qui donnait son majeur au ciel.

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Histoire de famille
par Léa Delambre
Premier chapitre de roman

Je suis Marwa Khoury, une jeune adolescente de dix-sept ans. À la rentrée scolaire, je rentrerai au
cégep en sciences de la nature. Pour être honnête, j’aurais probablement préféré me diriger vers
les arts et la culture, par contre mes parents m’ont toujours avertie qu’il fallait que j’entreprenne
un métier dans le domaine des sciences ou des finances pour mener une vie de qualité. Parfois,
je ne suis pas tout à fait en accord avec leurs valeurs. Selon moi, nous devons tous travailler dans
un domaine qui nous passionne pour être heureux. J’adore faire de la peinture contemporaine. Ça
me permet d’imaginer les magnifiques paysages du Liban.

Léa, mon amie d’enfance, me rappelle souvent à quel point j’ai une voix unique. Elle m’a toujours
encouragée à continuer dans ce domaine. Malheureusement, je crois être trop timide pour chan-
ter devant un public. Pourtant, lorsque je n’arrive pas à dormir, j’écris des chansons. Ça libère
toutes mes pensées. Ça fait du bien.

Pour être honnête, je ne sais pas pourquoi j’ai décidé d’écrire mon histoire dans le journal intime
que je viens fraîchement d’acheter. C’est peut-être parce que j’apprécie parler de moi. Mon père
m’a souvent dit que j’aimais attirer l’attention. Je crois qu’il a raison sur ce point. Par contre, je
souhaite utiliser ce journal pour raconter l’histoire de ma famille, qui est loin d’être ordinaire.

En effet, je suis différente des autres filles de mon école secondaire, notamment je suis d’origine
libanaise. Parfois, les gens m’appellent la Libano-Québécoise et, étonnamment, j’aime ça. Ça me
fait sentir unique.

J’ai souvent l’impression que les Québécois ont peur de moi lorsque je leur avoue mon origine. Je
ne comprends pas pourquoi. Peut-être parce qu’ils sont ignorants.

Dans ma tête, ma famille est comme les autres, mais dans leur tête, ma famille est différente. Ils
pensent qu’au Liban, les hommes ne respectent pas les femmes, que nous vivons seulement pour
prier Dieu et que nous avons des pensées terroristes. Durant ces moments, j’aimerais crier à la
Terre entière que ce sont des préjugés, que c’est complètement faux et qu’ils ont tort de penser
comme ça. Dans mon pays d’origine, les femmes sont respectées. Elles ont des droits et ne sont
pas forcées d’être sous la tutelle de leur mari. Nous allons seulement à la messe quelques fois par
année, lors de grandes occasions. Contrairement à ce que plusieurs pensent, je ne connais aucun
Libanais ayant des pensées terroristes.

Pour déconstruire ces préjugés, il faut connaître l’histoire qui se cache derrière ma famille immi-
grante.

Premièrement, il y a ma mère, Hoda. Elle est née dans la région du Tyre, située au Sud du Liban. Sa
famille possédait une immense terre, qui appartient aujourd’hui à l’un de ses frères. Dans son petit

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     « Ma mère était l’aînée d’une famille de dix enfants. Elle avait quatre frères et
     cinq soeurs. Les plus vieux de la famille se levaient chaque jour vers quatre
     heures du matin pour s’occuper des chèvres qui nourrissaient, avec leur lait,
     tout le village. »
                                                                       Léa Delambre

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village, tous les habitants se connaissaient et tous contribuaient aux besoins des autres familles.
Là-bas, il n’y avait pas de commerces. Ma mère était l’aînée d’une famille de dix enfants. Elle avait
quatre frères et cinq soeurs. Les plus vieux de la famille se levaient chaque jour vers quatre heures
du matin pour s’occuper des chèvres qui nourrissaient, avec leur lait, tout le village. Ma grand-
mère, Rita, s’occupait des plantations et du champ.

Ma mère a rencontré mon père lors d’un souper de famille, en 1993. Au Liban, les mariages sont
un peu arrangés. Les parents de ma mère lui ont présenté des garçons et elle a choisi mon père
très rapidement. Mes parents se sont mariés en août 1996, dans l’église catholique du village de
la famille de ma mère.

Ma mère a perdu la reconnaissance de son diplôme d’enseignante en arrivant au Québec, même
si elle était déjà enseignante au primaire dans une petite école du Liban. Évidemment, elle n’avait
pas le temps de retourner aux études puisqu’elle devait s’occuper de ma soeur, Mariam, qui avait
seulement huit mois à ce moment-là.

Aujourd’hui, ma mère travaille très fort pour subvenir à nos besoins. Elle a un emploi dans une
banque à Montréal. Pour elle, l’éducation a toujours été très importante. Elle m’a toujours aidée
dans mes devoirs lorsque j’avais de la difficulté en mathématiques ou en français. Je crois qu’elle
aurait été une excellente professeure, ici, au Québec.

Lorsque mon père a rencontré ma mère, il étudiait en comptabilité aux Hautes Études Commer-
ciales. Il vient d’une famille d’entrepreneurs et il avait toujours rêvé de devenir comptable agréé.
Contrairement à ma mère, mon père a toujours vécu à Montréal. Aujourd’hui encore, il vit avec
nous dans sa maison de jeunesse. Mes grands-parents ont acheté un très bel immeuble sur la
rue Lanaudière, tout près de notre école primaire, nommée Saint-Ambroise. Mes grands-parents
habitent au rez-de-chaussée, tandis que nous habitons au deuxième étage et nous avons une vue
magnifique sur la grande ville de Montréal.

Ma mère, Hoda, a accouché seule dans son pays natal, tandis que mon père se trouvait à Montréal.
Ma soeur Mariam est née au Liban en 1997, dans le même village natal que ma mère. Aujourd’hui,
elle a vingt-et-un an et étudie en médecine à l’Université de Montréal. Je suis extrêmement fière
d’elle et de tout ce qu’elle a réalisé. C’est une personne très intelligente et curieuse, mais qui a
toujours été très studieuse. Mes parents nous rappellent souvent que Mariam a appris à parler le
français à l’âge de huit mois seulement, en jouant avec ses amies dans notre ruelle.

Sans oublier mon petit frère, Joseph, le chéri de ma mère. C’est le benjamin de la famille puisqu’il
a seulement dix ans. Honnêtement, il n’y a personne qui peut croire que Joseph a des origines
libanaises. Mon frère passe tout son temps libre à jouer au hockey dans notre ruelle avec ses amis.
Presque tous les soirs, avant de se coucher, il écoute une émission de La Petite Vie ou de Passe-
Partout. C’est un vrai Québécois!

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Beauté de l’aurore
par Jasmine Blais-Hosain
Pastiche de La Métamorphose de Kafka

Les rayons pâles de fin d’après-midi traversaient les rideaux de la chambre d’Aurore. Baignée
dans cette lumière de début printemps, la petite salle laissait place à une atmosphère triste. Une
chambre sobre pour une fille modeste, lui disait sa souvent sa tante. Malgré l’allure morne de sa
chambre, c’était son cocon. Aurore s’était entourée d’un cocon pour éviter la dure réalité de la
vie quotidienne. Après la mort de ses parents, elle avait été prise en charge par sa tante. Jalouse
de l’innocence de sa nièce, elle lui disait régulièrement qu’elle n’était pas particulièrement belle,
que c’était pourquoi les garçons ne lui adressaient même pas un regard, qu’elle fondait dans
le décor, qu’elle était ordinaire. Aurore entrouvrit ses paupières délicates. Elle avait encore trop
dormi. Ces temps-ci, le sommeil la suivait comme une ombre au coucher du soleil. Partout où elle
allait, il la suivait. Rien ne pouvait l’aider à y échapper. Il faisait maintenant partie de son cocon.
Ses iris pigmentés d’un océan s’ajustèrent tranquillement à la lumière de la pièce. Elle aperçut
le plafond en premier. Gris, incrusté de craques produites par un dégât d’eau fait dans l’apparte-
ment au-dessus de celui de sa tante. Puis, ce fut la fenêtre entrouverte qu’elle aperçut en second.
Il pleuvait. Aurore ne fut aucunement surprise, c’était le canevas dans lequel elle se réveillait tous
les jours. Elle se leva sur un coude pour apprécier le calme que produisait la pluie en elle. Ces
gouttes d’eau tombant par milliers étaient la représentation d’une beauté pure, selon elle. Elle se
leva. Ses pieds ne touchaient pas le plancher. Avait-elle rapetissé? Peut-être. Elle ne s’en soucia
pas. Les pensées d’Aurore étaient envahies d’inquiétude. Comment réagira sa tante sur l’heure de
son réveil? Elle repoussa son inquiétude et divagua dans un autre univers. La tête dans les nuages,
elle traversa la petite pièce, qu’elle appelait sa chambre, pour aller rejoindre sa vieille commode.
Elle ne remarqua même pas son reflet. Elle alla pour enlever sa jaquette mais réalisa avec surprise
qu’elle était nue. Elle se tourna et vit les morceaux du restant de sa robe de nuit éparpillés sur son
lit. Dommage, c’était sa jaquette préférée. Elle se dirigea pour examiner la scène mais quelque
chose lui sauta aux yeux. Son reflet. Le petit miroir accroché à son mur reflétait une telle couleur
qu’Aurore ne put l’ignorer. Elle examina le reflet de loin. De grandes ailes colorées d’un coucher
de soleil s’érigeaient dans son dos. Elles inspiraient l’élégance, la beauté, la délicatesse. Tout ce
qu’elle n’était pas. Émerveillée, elle frôla du dessus de sa main une de ces œuvres d’art. Soyeuse,
elle était soyeuse. Une larme émue dansait le long de sa petite joue. Qu’elle était belle. Elle ferma
délicatement ses paupières. Le soleil sortit des nuages afin de frôler de ses rayons les ailes de la
jeune fille. Elle ouvrit ses grands yeux noirs et virevolta autour de la petite pièce puis se retrouva
dehors, flottant sur une brise fraiche. Elle était enfin éveillée, libre. Aurore n’était plus ordinaire.
Elle était belle.

                                                                                                    - 11
COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS

       « Soudainement, je ressentis une étrange sen-
       sation de vertige, comme si je tombais dans
       un trou sans fin. »
                                        Élodie Morin

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Survivante
par Élodie Morin
Nouvelle littéraire

Aujourd’hui, la salle était tellement remplie que certains devaient rester debout dû au manque de
chaises. Comme à chaque jour de la semaine, postée à mon bureau ouvert dans cette salle exi-
guë, je balayais par habitude mon regard sur ces inconnus qui avaient tous au moins une chose
en commun: ils attendaient leurs papiers d’identité. Certains étaient des vieillards affaiblis par la
vie, d’autres étaient des jeunes adultes en l’attente de ces fameux documents qui leur permet-
traient de commencer une nouvelle vie. Habituée d’être entourée à chaque jour de ce genre de
personnes, j’accordais peu d’importance à ces individus. Et pourtant, aujourd’hui il y avait cette
femme, qui n’arrêtait pas de me fixer. Instinctivement, je me retournai brièvement vers ce regard
qui me rendait quelque peu inconfortable. Elle portait des vêtements amples qui semblaient avoir
fait beaucoup de voyage et un voile brun qui recouvrait une bonne partie de ses cheveux noir
de jais. D’après son visage, elle semblait n’avoir pas plus d’une vingtaine d’années. Ce qui retint
mon attention par contre, c’était ses yeux. Elle avait des yeux bleu océan qui faisaient un profond
contraste entre sa peau foncée et la pâleur de ceux-ci. Par politesse, je détournai le regard après
les avoir brièvement observés, mais la femme continuait de me fixer. Comme une piqûre qu’on
ne pouvait s’empêcher de gratter, je me risquai une nouvelle fois à croiser son regard fascinant.

Soudainement, je ressentis une étrange sensation de vertige, comme si je tombais dans un trou
sans fin. Je fermai instinctivement les yeux et la sensation disparut aussi vite qu’elle était apparue.
J’ouvris lentement les yeux pour constater avec étonnement que je me retrouvais dans une pièce
complètement différente. L’air ambiant était plus lourd que dans la salle d’attente, et je me tenais
dans ce qui semblait être une chambre de bébé, d’après les décorations dans la pièce. Il y avait
ce jeune couple, penché sur le lit de bébé au milieu de la chambre. Ils ne semblaient pas avoir
remarqué ma présence. Je fis quelques signes de main devant leurs yeux, toujours pas de réaction,
j’étais invisible pour eux. Ils étaient plutôt occupés à regarder avec tendresse le bébé, qui tendait
vers eux ses petites mains potelées. D’ailleurs, ce bébé avait des yeux bleu profond qui me rappe-
laient quelque chose… Au même moment, je ressentis à nouveau cette sensation de vertige, et je
fus transportée dans un nouveau décor. L’enfant avait l’air d’avoir gagné quelques années de plus
et elle était en train de souffler des bougies d’un gâteau d’anniversaire, entourée d’une famille qui
chantait une chanson d’anniversaire dans une autre langue. Je me retrouvai ainsi à voyager à tra-
vers plusieurs scènes comme celles-là, observant la fille grandir au fil des souvenirs. Dans un, elle
jouait au soccer avec ses amis dans la rue, dans un autre, elle aidait sa mère à essuyer la vaisselle.
Une fois, tapie dans une pièce noire, elle écoutait ses parents se disputer dans la pièce d’à côté,
et ensuite elle embrassait un garçon en dessous d’un arbre en fleurs. Et puis le décor changea
drastiquement. La ville qui était la même dans presque tous les souvenirs était maintenant en
ruines et le ciel était teinté d’une couleur inhabituelle et menaçante. La fille, devenue maintenant
une femme, cherchait avec désespoir à travers les décombres d’une maison en ruine. Les derniers
souvenirs semblaient plus récents d’après l’apparence de la femme, que je reconnaissais mieux.

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COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS

La femme se trouvait sur un bateau, seule et recroquevillée dans un coin pour prendre le moins
d’espace possible. Ensuite, elle était dans un véhicule et mouvement, rempli de gens aux visages
angoissés. Finalement, le dernier souvenir que je parcourus était la femme qui entrait dans un
établissement, qui s’avérait être celui où nous étions toutes les deux au début. Cette fois-ci, la
sensation de vertige me ramena dans la salle d’attente.

Déboussolée, je regardai l’horloge au mur. Seulement cinq minutes s’étaient écoulées, et pourtant
j’avais l’impression d’avoir vécu toute une vie. Je ne sais pas comment elle avait fait, mais cette
femme m’avait raconté son histoire à travers ses yeux. D’une main tremblante, je parcourus les
dossiers d’identification que j’avais remplis aujourd’hui. Elle s’appelait Lima.

                    « Tu prendras conscience de l’étendue
                    des dégâts que son monstre a eus sur
                    elle quand, étendue dans son lit, sa res-
                    piration s’accélèrera. »
                                            Maxime St-Denis

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REVUE LITTÉRAIRE 2018

Une quête moderne attribuée
à un chevalier médiéval
par Maxime St-Denis
Atelier d’écriture

« Vous, chère inconnue, pourriez-vous m’aider? Je suis à la recherche d’une mission à remplir.
Votre monde me semble paisible, rien ni personne ne combat dans les rues. Malgré cette appa-
rente tranquillité, je ne peux me résoudre à croire que votre société fait partie d’un monde sans
défaut. Il doit bien avoir quelque part une âme innocente que je pourrais bien protéger? »

« Mon cher homme, tu as bien raison. Notre monde semble calme et serein, pourtant il est loin
d’être gentil. Rien ne se bat dans les rues, mais cela ne signifie pas pour autant que nous ne me-
nons pas de combats quotidiens. Nos monstres ne sont plus ceux que tu as connus, ils sont cent
fois plus discrets mais mille fois plus dangereux. Contrairement aux démons auxquels tu penseras,
ceux contre lesquels nous menons nos combats perpétuels naissent, grandissent et s’épanouis-
sent en nous, dans nos esprits. Certains sont si puissants qu’ils arrivent, après un long moment, à
clouer au lit la personne chez qui ils se sont installés. Ils peuvent manipuler leurs pensées, leurs
perceptions de la vie. Parfois, le monstre n’aime pas les gens que sa victime côtoie, alors il la force
à couper les ponts avec ses proches afin de l’avoir pour lui seul.
Voici alors la quête que je t’accorderai.

J’aimerais que tu veilles sur ma meilleure amie, Krystelle, qui est aux prises avec un de ces monstres.
Je ne l’ai pas vue depuis un long moment, et j’ai bien peur que sa créature ait réussi à avoir une
énorme emprise sur elle. Je crois qu’elle dort souvent, toujours seule, et qu’elle ne s’aime plus
beaucoup. Elle ne va plus à l’école, ne visite plus ses amies et je m’inquiète beaucoup.

Elle ne te laissera pas entrer facilement dans sa vie, son monstre l’en empêchera, mais tu devras
trouver un moyen de réussir. Intercepte son livreur de pizza et apporte-lui son repas à sa place, je
suis persuadée qu’elle ne sort plus de chez elle pour se nourrir. Souris-lui, souhaite-lui de passer
une bonne journée, complimente-la. Elle n’en croira pas un mot, mais elle sera distraite pour un
moment de la colère et de la tristesse que son monstre lui fait subir constamment. Recommence
le lendemain puis la semaine d’après, jusqu’à temps qu’elle te demande ton nom. À ce moment,
si elle te sourit volontairement, tu pourras l’inviter à passer un après-midi avec toi, rien de trop
gros surtout, limite tes idées de grandeur intimidante pour son être empoisonné par une créature
hideuse. Le jour venu, vous irez dans un café, elle commandera un smoothie aux bleuets, et vous
parlerez de tout et de rien pendant quelques heures. S’il te plaît, ne dis rien au sujet des cernes
qui ornent le dessous de ses yeux, elle n’aura pas dormi beaucoup la nuit d’avant. Ne lui parle
pas non plus de son teint pâle ou de ses mains qui tremblent. Parlez de musique, de livres, peu
importe. À la fin de la journée, reconduis-la chez elle, souhaite-lui bonne nuit avec ton sourire
habituel, peut-être pourras-tu lui donner un câlin. Vous vous reverrez, tu remarqueras un jour

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COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS

qu’elle semble de moins en moins angoissée par vos rendez-vous. Le jour où, soudainement, elle
ne répondra plus à tes appels, va cogner chez elle. Si elle t’ouvre, tu sauras que tu as réussi à te
trouver ne serait-ce qu’une toute petite place dans sa vie. Tu trouveras son appartement dans
un désordre indescriptible, et elle, dans un état lamentable. Les poches sous ses yeux se seront
encore alourdies, elle aura maigri, ses paupières seront boursoufflées à force de trop pleurer. Ne
la juge pas. Serre-la dans tes bras aussi longtemps qu’elle en aura besoin, jusqu’à temps qu’elle
relâche son étreinte sur ton corps mieux bâti que le sien. Laisse-la prendre une douche, enfiler
son pyjama, faire réchauffer son chocolat chaud. Pendant ce temps, tu songeras sans doute à
partir, mais, s’il te plaît, reste là pour elle. Tu prendras conscience de l’étendue des dégâts que
son monstre a eus sur elle quand, étendue dans son lit, sa respiration s’accélèrera. Tout son corps
recroquevillé tremblera, ses larmes prendront la liberté de couler le long de ses joues jusque dans
son oreiller. Elle ne sera pas belle à ce moment-là, mais allonge-toi à ses côtés. Allonge-toi à côté
d’elle, ne la force pas à te regarder ou à changer de position, mais il se peut que tu doives retenir
fermement ses mains pour l’empêcher de marquer sa peau de petits croissants de lune sanglants.
Quand elle se sera calmée, ne parle pas, laisse-la dormir. Je peux t’assurer qu’elle aura honte. Une
honte insoutenable, assez forte pour la faire s’isoler de n’importe qui. Mais tu seras toujours là.
Probablement pas comme un partenaire amoureux, tu le sentiras, elle serait incapable de laisser
quelqu’un occuper cette place dans sa vie, mais tu seras là.

Au fil du temps passé ensemble, elle sera de plus en plus à l’aise avec toi, et tu seras un jour sur-
pris de voir que, peu à peu, son démon semblera l’avoir quittée. Tu la verras recommencer à se
maquiller, à sortir. Jamais trop, juste assez. Elle commencera à te parler de ses journées où elle
aura accompli plus que simplement s’être levée pour regarder des séries télévisées. Tu la trouve-
ras magnifiquement attirante, séduisante. Un jour, par un moment de joie et de folie, elle sautera
dans tes bras et t’embrassera. Tout vous semblera naturel. Bien entendu, ses moments de détresse
s’empareront encore parfois de son corps, les tremblements, les pleurs, les cris, son corps qui s’en-
dort, épuisé, alors que son esprit tourne encore à toute vitesse. Mais tu seras là.

Le jour où tu verras des étoiles dans ses yeux, tu auras la confirmation que tu auras su te tailler
une immense place dans sa vie, et qu’elle est enfin délivrée.

Je t’en prie, sauve ma meilleure amie. »

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REVUE LITTÉRAIRE 2018

Nouvelle littéraire
par Victor Gagné

Une brume blanchâtre flottait au-dessus de l’asphalte. Le doux nuage enveloppait tout ce qui se
trouvait sur la rue. L’automobile de Stéphane semblait dorloter dans cette couverture naturelle.
Armé de son café brulant, Stéphane s’installa dans sa voiture. La mixture avait un gout amer.
Le siège et le volant étaient gelés. Il était terriblement tôt au moment où Stéphane démarra le
moteur pour se rendre à son rendez-vous. Les routes étaient vides, ce qui ne déplaisait pas à Sté-
phane. Ce dernier aimait bien être seul. Il préférait passer du temps isolé que d’aller voir d’autres
personnes. De toute façon, c’était très rare qu’il se fasse aborder. Le jeune homme vivait dans
un petit appartement, gris. Sa voisine était retraitée depuis longtemps et avait deux chiens qui
jappaient fort la nuit. Stéphane détestait les chiens. Ce dernier traversait à présent la ville, seul,
comme une étoile filante. Il avait froid aux mains. Soudain, le soleil pointa le bout de ses doigts et
Stéphane se sentit mieux. Le ciel était mauve saupoudré de bleu. La couleur azur s’éparpillait peu
à peu sur le paysage lilas. Malgré la désertion des routes, Stéphane ne roulait pas vite. Il détestait
la vitesse. Stéphane était patient. Il sortit son paquet de cigarettes de sa poche et en alluma une.
Fumer en voiture lui donnait un côté rebelle. C’est après avoir lancé son mégot par la fenêtre qu’il
arriva enfin à destination. Le stationnement était vide mais Stéphane alla tout de même au fond,
au cas où. Il claqua la porte de sa voiture et le bruit de ses pas contre le béton rebondissait contre
le silence. L’homme poussa la porte et entra dans le bâtiment où il ne faisait ni chaud ni froid. Il
savait où était la salle d’attente. Le couloir menant à cette fameuse salle faisait bien rire Stéphane.
Les multiples carreaux ornant le plancher étaient de trois couleurs différentes : rouge, orange et
vert. Stéphane n’avait pas l’habitude de voir autant de couleurs. Il marcha un bon moment jusqu’à
la pièce désirée. Au grand bonheur de Stéphane la salle était vide. Les innombrables chaises re-
gardaient toutes le même homme. Un homme pas nécessairement grand mais pas petit non plus.
Une coiffure propre, un teint pâle, une mâchoire sèche et une chemise dans le pantalon. Stéphane
se sentait terriblement observé, pire, comme si les chaises pouvaient l’avaler à tout moment. Il
se dirigea rapidement, mais sans courir, vers la dernière rangée de chaises. Les sièges mauves et
bleus n’inspiraient pas confiance à Stéphane. Il décida tout de même de s’assoir, sinon il allait at-
tirer le regard d’autrui. Une horloge accrochée au mur qui lui faisait face attira son attention. Elle
était à la fois très simple et rassurante. Stéphane agrippa une revue qui trainait sur un siège voisin.
Son pied tapait le sol sur un tempo régulier à la manière d’un métronome. Le rythme régulier eut
comme effet de fatiguer Stéphane. Ses paupières devenaient de plus en plus lourdes. Si bien que
ce dernier s’assoupit, adossé contre le moelleux coussin.

Stéphane resta ainsi endormi pendant une bonne période de temps. Une grande surprise l’atten-
dait à son réveil. Il ouvrit les yeux calmement, sans battement de cils trop brusque. Le paysage qui
lui faisait face était loin d’être enchanteur. La salle d’attente était remplie. Bon nombre de sièges
étaient occupés. Stéphane entra dans un état de panique extrême. Comment était-ce possible ? À
quel moment tous ces individus étaient-ils entrés dans la pièce ? Stéphane n’avait pas la concen-
tration nécessaire pour trouver des réponses. Il sentait une boule dans son ventre. Une tempête
d’inquiétude et de peur s’était attaquée au corps de Stéphane. Sa tête tournait, son cœur bondis-

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COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS

sait dans sa poitrine et ses mains tremblaient à présent comme un marteau piqueur. Il bondit de
sa chaise qui arborait maintenant une teinte de vert et de rouge. Stéphane jeta un coup d’oeil vers
l’horloge. Ses aiguilles tournaient à une vitesse folle. Comme si l’appareil, jadis réconfortant, le
trahissait en tentant de l’hypnotiser. Stéphane n’était pas dupe, il savait qu’il fallait quitter l’endroit
au plus vite. Sans perdre de temps, il s’enfonça dans le dédale coloré. Son pas rapide résonnait
contre les murs et frappait de plein fouet ses oreilles. Stéphane avait l’impression d’être suivi mais
il n’osait pas regarder derrière lui. Il fonça vers une porte qui se tenait fièrement au bout du cou-
loir. Elle était mauve et bleu. La respiration haletante, Stéphane tourna la poignée et juste avant de
traverser le cadre de porte, une voix familière surgit : Ah, M. Digonnet, calmez-vous et suivez-moi,
c’est l’heure de vos comprimés.

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REVUE LITTÉRAIRE 2018

                 La victime inconnue mais semblable
                 par Teddy Charlot
                 Poème engagé

                 Une fleur grandit tandis qu’une autre se pétrit
                 Un livre est emprunté alors qu’une école ferme ses portes
                 Des pleurs de joie descendent alors que celles de tristesse
                 coulent sans répit
                 Un diplôme est donné alors qu’une lueur d’espoir est morte
                 Le privilégié fait le difficile tandis que son alter-ego rêve
                 d’un choix
                 La vie paraît si facile, pour d’autres elle est un luxe
                 La justice triomphe mais seulement pour les hors-la-loi
                 L’âge est peut-être un numéro mais on est tous pareils
                 Une vie de misère tout ça à cause de notre patrie à la nais-
                 sance
                 Une jeunesse manipulée par des adultes sans bon sens
                 Avocats, médecins qui ne verront jamais le jour
                 Parce que leur labeur prend leur vie de court
Photo You Tube   Leurs mains sont contrôlées par les contremaîtres
                 Leurs jambes sont contrôlées par leur peur de fuir
                 Leur corps n’est là que pour paraître
                 Leur coeur n’est plus qu’un immense trou à remplir
                 Les usines qui ne sont que synonymes pour enfer
                 Usent de ces petits êtres comme s’ils étaient des vers
                 Pour satisfaire un jeunot à qui on a tout donné
                 Et qui s’énerve seulement quand elle est déchirée
                 Les médias qui entendent de ces victimes
                 Mais cette information sort par une autre oreille
                 Pour nous parler du nouveau menu chez Tim
                 Au lieu d’enfants martyrisés la veille
                 Je vois du noir et du blanc
                 Je vois un drapeau rouge et un drapeau vert
                 Je vois un carré et un rond
                 Je vois un crâne et un autre semblable à terre
                 Les deux sont pareils malgré leurs vies différentes
                 Un enfant de Montréal vaut autant qu’un enfant de Bagdad
                 Pourquoi laisser nos semblables être traités comme des articles de vente
                 C’est cette paresse qui rend notre vie fade

                                                                                                             - 19
COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS

Prisonnier
par Léa Ruel
Poème intimiste

Prisonnier des mots
Dans une cage, un gouffre
Dans cette cavité géante
Perdu au plus profond de ton être

D’où il est impossible de s’échapper
De trouver la bonne clé
La clé manquante à cette serrure
Qui te garde captif

Et le temps s’arrête
Les aiguilles de l’horloge se suspendent
Tes pensées s’immortalisent
Comme dans un film au ralenti

Tu ressens la colère
La haine
L’incompréhension
La douleur

Tu goûtes toutes les émotions
Qui te broient l’estomac à coup de fourchette
Tu peux sentir la présence des autres
Qui te donne la nausée

Tu voudrais être comme eux
Eux qui se fondent dans la masse
Eux qui savourent leur liberté

Tu n’en peux plus c’en est trop
Dans une tentative d’évasion
Tu cries à fendre l’âme

Mais aucun son ne sort de ta bouche

Alors tu prends ta tête entre tes mains
Tu contemples le noir de tes paupières
Et tu continues de crier en silence
Puisque tes mots ne traversent pas les barreaux
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REVUE LITTÉRAIRE 2018

Automne
par Violette Cantin

Nouvelle littéraire

C’était l’automne. La saison se montrait ostensiblement à tous les habitants de la petite ville por-
tuaire. On la voyait à travers les couleurs chaudes qu’arboraient avec fierté les feuilles des arbres
presque centenaires bordant les docks, on la sentait quand le vent entraînait avec lui une odeur
douçâtre de bitume mouillé, on la touchait, même, quand l’air de plus en plus frisquet venait ca-
resser les mains marquées de cicatrices des marins vidant leurs prises de la journée sur les quais.

Mais lui n’avait jamais aimé l’automne. Il le trouvait morne, fade, et se rembrunissait au fur et à
mesure que les journées raccourcissaient et que le soleil se faisait voler la vedette par les nuages,
là-haut dans le ciel. L’automne lui évoquait une nuit qui tomberait sans arrêt sur un village déjà
endormi, un crépuscule laid et sombre qui ne serait éclairé que par une lune taciturne. Cette an-
née, toutefois, tout cela lui semblait encore bien pire. Autrefois, elle aurait été là pour le vivre à ses
côtés : elle aurait réussi à voir du beau dans ce qui n’en contenait pas, à égayer la plus éteinte des
matinées et à le rendre heureux, lui, alors que personne d’autre ne serait parvenu à le faire… Mais
elle n’était plus là. À quoi bon y penser?

C’était ce à quoi il songeait, silencieux, regardant à travers les carreaux vitrés de sa fenêtre, quand
un cri de joie le fit sursauter. Scott dévalait les escaliers à toute allure, brandissant ce qui semblait
être un toutou dans sa main droite, et appelant bruyamment son père dans son caractéristique
babillement énervé. Il s’écriait qu’il voulait sortir, il voulait montrer la mer à son nouvel ami. Son
père soupira, las de l’insouciance de son fils : combien de fois faudrait-il lui répéter que la mer
était dangereuse, et qu’en pleine saison des ouragans, il serait dangereusement stupide de quitter
le large, à moins bien sûr d’être un navigateur professionnel et expérimenté. Scott croisa les bras,
dépité, et posa pour la énième fois son inlassable question : « Où est maman? »

Il y a trois jours, si Scott lui avait posé la même question, il aurait répondu qu’elle était sans doute
dans sa chambre en train de lire un quelconque livre, ou alors se baladant sur le chemin de gra-
vier adjacent aux eaux troubles, le vent balayant ses beaux cheveux fins. Mais aujourd’hui, il ne
savait plus quoi répondre. Alors il ignorait la question et, méprisé par le regard vexé de l’enfant, se
replongeait dans un mutisme claustrophobe en espérant que, bientôt, il perdrait patience et irait
jouer ailleurs. Mais toujours il le surprenait. Sans se départir de sa bonne humeur, Scott reposait sa
question avec ce grand sourire édenté propre aux enfants de quatre ans. Puis, après plusieurs mi-
nutes d’attente et d’insistance, il se rendait bien compte qu’il ne tirerait rien de son père et retour-
nait jouer dans sa chambre, seul dans son monde d’animaux de peluche et d’amis imaginaires.

Ce soir, pourtant, Scott refusait de lâcher prise. Encore, il répéta sa question : « Où est maman? »
L’homme continuait à l’ignorer. Mais cette question, si souvent entendue dans les trois derniers

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COLLÈGE MONT-SAINT-LOUIS

jours, suscita cette fois en lui un tourbillon d’émotions refoulées. Parce qu’il savait très bien où
elle était, et que de l’admettre à l’enfant serait une manière de reconnaître qu’elle n’était plus là,
qu’elle ne reviendrait jamais et qu’ils auraient beau l’appeler, pleurer, hurler, elle les avait aban-
donnés sur une Terre qui ne signifiait plus rien sans ses pas pour la fouler. Il la revoyait dans sa
robe rouge, le soir où il l’avait rencontrée pour la première fois; il revoyait son sourire lumineux
quand il l’avait emmenée à la plage dans un candide espoir pour la séduire; il revoyait son ventre
rond et son regard terrifié à l’idée de devenir mère; il la revoyait dans sa chambre d’hôpital, exté-
nuée mais heureuse, tenant dans ses bras Scott qui n’avait alors que quelques minutes de vie. Il la
revoyait telle qu’elle était et qu’il l’avait toujours vue. Il la revoyait comme la femme dont l’amour
l’avait maintenu en vie.

Malgré toute la douceur de ces instants volés, la réalité finit par reprendre le dessus et lui glissa
son caractéristique goût amer dans la bouche. Bientôt, la plage laissa place au néant d’une exis-
tence qui vole en éclats, et la robe rouge laissa place au linceul. Il se remémora la douleur res-
sentie lors de l’annonce, comme si on lui avait enfoncé une hache dans le cœur qui, à chaque
seconde, s’y renfonçait avec une hargne comme décuplée par le désespoir lui montant dans la
gorge. Depuis trois jours, la simple vue de son fils obstruait sa respiration. Bien sûr, il la revoyait
à travers Scott : son sourire en coin, ses longs doigts effilés. Mais plus encore, il ne se sentait pas
capable d’accepter le fait qu’il manquerait à jamais une présence significative dans la vie de son
fils, que celui-ci devrait apprendre à grandir sans mère.

À la naissance de Scott, les deux parents s’étaient promis de tout faire ce qui était en leur pouvoir
pour que leur enfant n’ait jamais à souffrir des horreurs de la vie. L’homme s’en souvenait comme
si c’était hier. Elle avait plongé ses yeux pénétrants dans les siens, et ils avaient juré de le protéger,
toujours, quoi qu’il arrive, quel que soit le sacrifice nécessaire. Il le lui avait promis.

En ouvrant la porte de la maison, un vent glacial souffla effrontément dans la cuisine. Il prit la
main de Scott et l’entraîna dehors, vers les quais. Il ne faisait pas encore noir, mais déjà les rues se
vidaient et on distinguait la lumière du phare sur le littoral. L’homme et son fils, arrivés devant un
petit bateau blanc, soulevèrent la bâche qui le recouvrait et embarquèrent sur le pont. Impossible
d’échapper à la vie maritime quand on vit dans une ville portuaire. Il démarra le moteur tandis que
Scott bondissait devant la cabine et tentait d’agripper le gouvernail de ses petites mains frêles. Ils
partaient ainsi vers le large, surplombant les vagues, et Scott souriait, heureux.

Au loin, on distinguait les nuages sombres surplombant la mer, on entendait l’orage qui tonnait
bruyamment. Parfois, même, des éclairs d’un mauve inquiétant apparaissaient un court instant
dans les cieux agités.
- Elle est où maman? demanda Scott. Où on va, papa?
L’homme prit une profonde respiration. C’était l’automne. Derrière eux, les arbres colorés s’éloi-
gnaient. Les lucarnes des maisons scintillaient au loin.
- Ne t’en fais pas, Scott…
La nuit commençait à tomber.
- On va rejoindre maman.

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REVUE LITTÉRAIRE 2018

10 heures dans la vraie vie
par Maude Hébert-                       dam
Nouvelle littéraire

11 h 50. Attablé aux côtés de mes camarades autour de l’une des nombreuses tables de la café-
téria, j’hésite à ouvrir mon plat. Je le fixe avec la crainte que cela soit différent des journées pré-
cédentes, que le goût ne soit pas le même. Maladivement, je me remémore mon expérience de
la veille en me disant qu’aucun retour en arrière ne sera possible. Mes amis, qui ne se doutent de
rien, blaguent sur mon hésitation exagérée, je feins un rire qui se voulait honnête et retire préci-
pitamment le couvercle de plastique bleu. Il y a du poulet. Beaucoup de poulet. Trop de poulet.

Malgré tout l’amour que ma mère a probablement mis dans la cuisson de cette viande, c’est en
la maudissant que je pique avec ma fourchette les premiers morceaux déjà découpés. Les doigts
crispés et les mains tremblantes, je sens mon coeur bondir de plus en plus fort dans ma poitrine
si bien que cela me fait mal. Un peu trop lentement, j’ouvre la bouche, mastique quelques ins-
tants, puis me fait force de tout avaler devant les visages enjoués des autres même si un dégout
malsain s’empare de moi. Ma nourriture ne goûte presque rien sur ma langue. Sa saveur autrefois
satisfaisante me coupe désormais l’appétit et je sais lamentablement pourquoi; ce que j’ai dévoré
hier possédait une saveur mille fois plus alléchante.

16 h 05. Le bus s’arrête brusquement. De toutes mes forces je m’accroche au barreau et espère
n’accrocher personne dans la secousse. Tu tombes soudainement contre moi. Je te rattrape et tu
t’excuses rapidement, les joues rougies. Ton regard croise le mien. Je t’observe longuement, peut-
être de manière trop persistante. Je n’y peux rien. Tu es si jolie; ton regard, si innocent. Une pureté
étrange émane de ta chair et ton doux parfum chatouille incessamment mes narines.

Lorsque tu t’éloignes de moi, je me retiens de te rattraper. Du coin de l’oeil, je te surveille tandis
que tu t’assoies un peu plus loin. Le véhicule reprend sa route. Je ne cesse de penser à ta beauté.
Ça m’obsède. Je sais que j’exagère, mais il ne faut absolument pas que je te perde de vue.

Un arrêt passe, puis deux, trois, quatre et finalement, cinq. Tu ne débarques toujours pas. Moi non
plus. Je me mordille nerveusement les lèvres. Que suis-je en train de faire? Je ne pense plus me
comprendre, sauf qu’intérieurement je sais. Tout a changé depuis hier et je ne peux rien n’y faire.

18 h 45. Habituellement, à cette heure-là, je soupe chez moi, sauf que ce n’est pas le cas au-
jourd’hui. Le trottoir inconnu sous mes pieds ne guide pas mes pas. La seule chose qui me sert
actuellement de repère est le bruit de tes chaussures à talon haut qui claquent à un rythme régu-
lier sur le sol. Je marche plus lentement que d’habitude. Je prends la peine de laisser une certaine
distance entre nous pour ne pas me faire remarquer. Mon nez renifle fortement. Même plusieurs
mètres derrière toi, je te sens toujours aussi bien. Mon ventre gargouille. J’ai faim, mais cela peut
attendre. Je tiens trop à te suivre. Une voix dans ma tête me répète depuis plusieurs minutes que

                                                                                                   - 23
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