Roman : "Enfant de salaud", la légende d'un père - Reforme.net

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Roman : "Enfant de salaud", la légende d'un père - Reforme.net
Publié le 10 septembre 2021(Mise à jour le 10/09)
Par Isabelle Wagner

Roman : “Enfant de salaud”, la
légende d’un père
Sorj Chalandon, Prix Goncourt des lycéens en 2013 avec le Quatrième mur, croise
dans ce roman puissant l’histoire de son père avec celle de Klaus Barbie.

Journaliste à Libération, Sorj Chalandon a suivi le procès de Klaus Barbie en
1987. Dans ce roman, il entremêle les terribles audiences du « bourreau de
Lyon » et le parcours tumultueux de son père, un être fantasque et manipulateur
qui n’a cessé de s’inventer des vies pour illuminer la sienne. Avec une écriture
précise et sensible, il relate les différentes étapes du procès : la rafle des enfants
d’Izieu, les témoignages des résistants torturés, le cynisme de l’avocat Jacques
Vergès, la plaidoirie finale de Serge Klarsfeld. À partir du dossier judiciaire de
son père retrouvé dans les archives familiales, il tente surtout d’élucider
l’énigmatique phrase de son grand-père : « Tu es un enfant de salaud. » Milicien
français, déserteur, soldat dans la Waffen SS, patriote de la dernière heure ? Il
imagine les errements de ce jeune homme déboussolé, changeant d’uniforme et
de camp tel un acteur de théâtre, et cherche à comprendre cet imposteur qui a
toujours menti à son fils, mais lui a transmis le sens du romanesque.
Une épopée pudique et émouvant
Cette épopée pudique et émouvante se lit d’une traite. Suivant les conseils d’un
ami, le romancier a transformé avec brio « ses larmes en encre ». En confrontant
les faits historiques des heures sombres de la Seconde Guerre mondiale avec son
drame intime aux résonances profondes, il livre un des romans les plus puissants
de la rentrée.

Isabelle Wagner

Sorj Chalandon, Enfant de salaud, Grasset, 2021, 336 p., 20,90 €.

Publié le 3 juin 2021(Mise à jour le 3/06)
Par Nathanaël Travier

“Garçon !” ou le livre de Job selon
Ivan Chmeliov
Garçon !, roman majeur de la littérature russe du début du XXe siècle, vient d’être
réédité. Comme un écho au livre de Job, dans la Bible, il aborde ce qui fait la
précarité de l’existence humaine en même temps qu’il montre l’espérance à
l’œuvre dans le cœur de Iakov, le personnage principal.
Publié en 1911, Garçon ! d’Ivan Chmeliov est, au premier abord, un roman
politique. Ce monologue où Iakov Sofronytch raconte son existence, dans laquelle
l’indécence du luxe des nantis côtoie les souffrances du peuple pauvre, se donne à
lire comme un plaidoyer social en faveur des humbles de ce monde. À cette
lecture, pourtant, il ne faut pas s’arrêter et les censeurs soviétiques, qui
interdirent le livre en 1929, ne s’y sont pas trompés : outre le discours ambigu sur
une révolution qui ne semble apporter que douleur et souffrance, outre les
regrets d’un monde emporté par la modernité, Garçon ! est surtout une parabole,
une réécriture du livre de Job.

Une actualisation du livre de Job
La correspondance narrative est transparente. Si Iakov Sofronytch est pauvre, il
n’en reste pas moins un homme comblé, entouré par sa famille et jouissant d’une
situation matérielle modeste mais suffisante. Tout le récit n’est ensuite qu’une
dégradation de cette situation initiale, et les biens de Iakov Sofronytch lui sont
peu à peu retirés : perte de son appartement puis de son emploi dans un
restaurant huppé de la ville, emprisonnement et fuite de son fils, décès de sa
femme, abandon de sa fille, évaporation de ses maigres économies qui douche son
unique rêve d’acheter une « bicoque en banlieue »…

Comme Job, malgré cette dégradation, Iakov Sofronytch ne désespère pas et, s’il
s’afflige de ses malheurs et de leur injustice, il ne renie jamais sa confiance dans
l’existence. Plus encore, quand tout est perdu, quand son fils frôle la
condamnation à mort, il voit dans son sauvetage inespéré par un vieux marchand
– dont la boutique parée d’une Madone annonce la dimension religieuse – un
miracle, et y réaffirme sa foi. Dans les dernières pages du roman, l’épreuve de
l’humble serveur prend fin et il recouvre son emploi, se réconcilie avec son fils,
retrouve sa fille qui apporte avec elle – comme dans les derniers versets du livre
de Job – la grâce d’un nouveau-né. Il n’y a pas jusqu’aux amis de Job qui ne soient
actualisés dans Garçon !, en la figure de Kirill Savérianytch dont les insensibles
palabres rhétoriques accablent l’ami de la responsabilité de ce destin. Comme
Élifaz de Témane, Bildad de Shouah et Sofar de Naama.
L’absence de Dieu
La réécriture est flagrante. Dès lors, ce qui importe, ce sont bien les écarts et ils
sont de taille, car, chez Chmeliov, Dieu est absent. La fatalité qui s’abat sur
l’existence de Iakov Sofronytch est une providence moderne, un destin athée,
celui de la police politique qui poursuit son fils, des spéculateurs qui le privent de
ses économies, des élites bourgeoises qui le méprisent et l’humilient. Si Iakov lui-
même est croyant, il n’est pas le serviteur exemplaire du livre de Job, mais un
croyant ordinaire, qui honore le service de Dieu bien plus par habitude que porté
par une ferveur particulière. Il ne saurait ainsi se tourner vers le Ciel pour le
prendre à partie, car son Ciel est celui, silencieux, de la modernité.

    « Je gravis alors un vrai calvaire, mais qui s’en souciait ? Personne, car seuls
       peuvent compatir ceux que leurs propres souffrances ont mis en état de
                                    comprendre »

Cette condamnation de tout recours, première entorse signifiante au modèle
biblique, est soulignée explicitement par Chmeliov dans l’arbitraire qui entourent
les démêlés entre la police et son fils, où nul recours n’est possible. Dans ce
destin moderne, individualiste et désincarné, l’homme est définitivement seul :
« Je gravis alors un vrai calvaire, mais qui s’en souciait ? Personne, car seuls
peuvent compatir ceux que leurs propres souffrances ont mis en état de
comprendre. Or des gens pareils, je n’en ai presque pas rencontré. »

Confiant en dépit de tout
Pourtant la foi de Iakov Sofronytch est comparable à celle de Job : malgré les
épreuves, malgré les fumées qui obscurcissent l’horizon, il demeure confiant. En
cela, Garçon ! est une véritable parabole qui ne se borne pas à la transposition de
l’Évangile dans un contexte rénové, mais élève son interprétation aux conditions
du temps présent. La foi de Iakov Sofronytch est l’exemple d’une foi moderne,
précaire, loin de toute certitude, presque irréligieuse tant est lourd le silence de
Dieu, mais restituant l’essence de la foi biblique de Job, celle, pour reprendre le
vocabulaire du théologien Paul Tillich, d’une confiance « en dépit de » : en dépit
des épreuves, en dépit de l’absence de signe, par-delà les maux qui se
présentent.
Dans la période que nous traversons, où les incertitudes sont toujours plus
épaisses, où les maux semblent toujours plus nous accabler, la récente réédition
chez Sillage de ce roman majeur de la littérature russe offre un message d’une
profonde actualité, l’expression d’une Parole vivante et pleine d’espérance qu’il
nous faut méditer.

                            © Sillage

Ivan Chmeliov, Garçon !, Sillage, 2021, 218 p., 13,50 €.

Lire également :

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Publié le 27 mai 2021(Mise à jour le 1/06)
Par Isabelle Wagner

Roman : “Le Passeur”, récit
d’humanité d’un passeur de
migrants
Avec ce premier roman, Stéphanie Coste plonge dans les tréfonds de l’âme d’un
trafiquant d’êtres humains.

Comment une victime peut-elle devenir un bourreau ? Peut-on trouver une once
d’humanité dans la noirceur d’un être ? Ces questions s’inscrivent en filigrane
dans le roman Le Passeur, premier roman d’une force inouïe. Seyoum, à l’esprit
ravagé par l’alcool et la drogue, est un passeur de migrants sur la côte libyenne.
Un monstre sans scrupule, qui traite les candidats à l’exil comme une
marchandise, dans sa petite entreprise qui ne connaît pas la crise.

En octobre 2015, il organise la traversée d’un nouveau convoi d’êtres exténués
vers Lampedusa, le dernier de la saison car la tempête menace. Dans ce groupe,
un homme se rebelle et conteste le prix exorbitant demandé pour son bébé né
pendant leur long périple. À ses côtés, Seyoum retrouve soudain un visage qui va
le bouleverser, le renvoyer à son passé en Érythrée, dans son milieu qui s’est
battu pour l’indépendance. Jeune, lui aussi a connu l’éclatement de sa famille
avec la montée d’un dictateur, l’embrigadement dans les camps et la torture.

L’auteure Stéphanie Coste, qui a vécu en Afrique et s’est fortement documentée,
mêle habilement réalisme et romanesque. Ce récit court sur la folie des hommes,
plein de rage et de cruauté, est traversé par une lueur d’espoir. Avec son écriture
dynamique, il se lit d’une traite et laisse une impression durable.

Stéphanie Coste, Le Passeur, Gallimard, 2021, 136 p., 12,50 €.

Publié le 21 mai 2021(Mise à jour le 21/05)
Par Laure Salamon
Roman : “Les Toits du paradis”,
une lecture joviale sur l’amitié et
la tolérance
Dans ce premier roman, Mathangi Subramanian donne à voir la vie des habitants
d’un quartier pauvre de Bangalore, en Inde.

Tout commence par la tentative de destruction de ce Paradis qui n’en est pas un.
Ce bidonville de Bangalore est menacé par des travaux d’infrastructures.
Comment les habitants, et surtout les habitantes, vont-ils faire face ? Notamment
les cinq amies Banu, Deepa, Joy, Rukshana et Padma. Chacune a une famille et
une histoire singulière. Banu est un peu timide et sa grand mère est une des
doyennes du quartier, Rukshana, musulmane et garçon manqué est une élève
brillante comme Padma, et Joy. Deepa, elle, a dû arrêter l’école à cause de sa
cécité, mais reste une formidable danseuse. Ce joyeux petit monde vit au gré des
difficultés et des victoires des unes et des autres. Par exemple, la mère de Joy
veut convertir toute sa famille au christianisme pour leur offrir une meilleure
éducation.

Le lecteur découvre la vie quotidienne à travers les plats, les traditions, les fêtes
religieuses traditionnelles hindoues. Place des femmes dénigrée dans certaines
castes de la société indienne, corruption, pauvreté, ce roman porte des
thématiques douloureuses. Pourtant, Mathangi Subramanian en fait un roman
plaisant à lire, communiquant de l’enthousiasme, de la joie de vivre et une grande
tolérance sur les questions de genre et de sexualité. Bien loin des clichés
habituels sur l’Inde. Le lecteur voyage là-bas sans avoir besoin de prendre l’avion
et suit ses aventurières de la vie, avec bonheur.

Mathangi Subramanian, Les Toits du paradis, Éditions de l’Aube (poche), 2021,
388 p., 13 €.
Publié le 14 mai 2021(Mise à jour le 14/05)
Par Isabelle Wagner

Roman : “Pachinko”, le “coup de
cœur” d’Obama
Pachinko (éd. Charleston) de Min Jin Lee retrace l’histoire d’une famille qui, de la
Coréee au Japon, est secouée par les grands événements du XXe siècle.

Cette saga se déroule au XXe siècle, sur fond d’histoire nippo-coréenne. Sunga
travaille dans la modeste pension de sa mère en Corée. Séduite par un riche
marchand déjà marié, elle se retrouve enceinte. Pour sauver l’honneur, elle
épouse un pasteur bienveillant et le suit au Japon où il doit intégrer une paroisse.
Ils auront là-bas un fils. Dans le Japon shintoïste, les chrétiens sont considérés
comme des rebelles, souvent persécutés ; le pasteur sera torturé et emprisonné.

Nous suivons le destin de quatre générations, dans un exil perpétuel où elles
affrontent rejet et racisme. Enfants et petits-enfants, comme tous les Coréens, ne
sont jamais acceptés ; l’unique moyen de travailler étant d’intégrer les salles de
jeu, les « pachinko » où règne souvent la pègre. Seul havre sécurisant, la famille
qui traverse tant de tribulations.

Écrit dans un style fluide, ce roman explore des pans peu connus d’histoire –
l’invasion de la Corée en 1910, l’exil au Japon et l’impossible retour en Corée, la
défaite du Japon lors de la Seconde Guerre mondiale. L’auteure dresse de
magnifiques portraits de femmes et nous éclaire sur la complexité de deux
cultures apparemment si proches. Saluée par Barack Obama, comme « une
histoire puissante sur la résilience et la compassion », cette fresque magistrale
révèle la Pearl Buck (femme de lettres américaine, ndlr) du XXIe siècle.

Min Jin Lee, Pachinko, Charleston, 2021, 624 p., 23,90 €.

Publié le 6 mai 2021(Mise à jour le 6/05)
Par Laure Salamon

Roman : pour avoir la chair de
« poulet »
Le Chant du poulet sous vide de Lucie Rico a reçu le 17 avril le Prix du roman
d’écologie, qui récompense un ouvrage francophone accordant à l’écologie une
place centrale.

Ce livre raconte l’histoire de Paule, qui reprend le flambeau de l’élevage familial
de poulets après le décès de sa mère. La jeune femme végétarienne nourrit les
poulets, les tue et les vend sur le marché. Paule se met à écrire une biographie
pour accompagner chaque poulet mort. Une approche commerciale inédite qui
séduit Fernand… Ce dernier lui propose un marché. À l’image de cette héroïne,
fascinante et effrayante, parfois à la limite de la folie, ce roman est assez
déstabilisant et en même temps très séduisant. Une belle réussite.

Lucie Rico, Le Chant du poulet sous vide, P.O.L, 2020, 272 p., 18,90 €.

Publié le 15 avril 2021(Mise à jour le 15/04)
Par Isabelle Wagner

Roman : un combat pour la liberté
Avec L’amour au temps des éléphants, publié aux éditions Belfond, Ariane Bois
signe son septième roman.

En 1916 dans le Tennessee, une éléphante est pendue. Son tort ? Avoir piétiné un
homme qui l’a maltraitée. Ce terrible spectacle va durablement marquer les trois
héros du roman. Arabella, étudiante infirmière, en rébellion contre son adventiste
du septième jour de père. Kid, un pauvre clarinettiste noir poursuivi par le Ku
Klux Klan. Jeremy, un journaliste mondain. Un an plus tard, en 1917, le trio se
retrouve incidemment sur les champs de bataille de la Marne. L’une soigne les
blessés, l’autre s’est engagé dans les bataillons de soldats noirs qui introduisirent
le jazz en France. Le dernier travaille comme reporter de guerre.

Après l’armistice, aucun n’a oublié le martyre de l’éléphante. Ils profitent de la vie
artistique parisienne dans des lieux mythiques et fomentent un projet délirant :
enlever un éléphant pour lui rendre sa liberté en Afrique. Un voyage épique les
mène de Marseille à Djibouti puis au Kenya ; on se retrouve alors dans une
atmosphère proche de La Ferme africaine de Karen Blixen, ayant inspiré le film
Out of Africa. Partie d’un fait divers réel, la romancière tisse une fiction enlevée,
traitant à la fois du racisme, de la guerre, du colonialisme, de l’émancipation des
femmes et de la maltraitance animale. Dans cette folle aventure rythmée par la
musique, on croise aussi bien Hemingway que Joséphine Baker. Une lecture
distrayante en période de confinement.

Ariane Bois, L’amour au temps des éléphants, Belfond, 2021, 252 p., 19 €.

  Roman : “Des diables et des saints”, amitié et résilience

  Roman : “Lunch-box”, fascinant fait divers

  Roman : l’héritage de Miguel Bonnefoy

  Roman : les mots de Sylvie Germain sur la crise
Publié le 1 avril 2021(Mise à jour le 1/04)
Par Isabelle Wagner

Roman : “Des diables et des
saints”, amitié et résilience
Les éditions L’Iconoclaste publient Des diables et des saints de Jean-Baptiste
Andrea.

Joe joue du piano, divinement, dans les gares, les lieux publics. Le septuagénaire
interprète du Beethoven, dans l’espoir insensé de retrouver son amour de
jeunesse. Suite à un tragique accident, il a perdu ses parents à l’adolescence, et
arrêté ses cours avec un professeur virtuose. Envoyé dans un pensionnat dirigé
par un sinistre abbé, l’orphelin doit surmonter humiliations et mauvais
traitements. Seules échappées dans ce sordide univers : les copains qui ont fondé
une société secrète pour écouter en cachette la radio, et les cours de piano qu’il
donne à Rose, la fille d’un bienfaiteur de l’établissement. Avec une plume
élégante et inventive, l’auteur renouvelle le thème de l’enfance meurtrie. Telle
une sonate qui sonde le clair-obscur des âmes, ce roman compose une partition
brillante sur l’amitié, la trahison et la résilience.

L’ouvrage a été récompensé du prix 2021 RTL et Lire Magazine, ainsi que celui
de Livres & Musiques de la ville de Deauville.

Jean-Baptiste Andrea, Des diables et des saints, L’Iconoclaste, 2021, 368 p.,
19 €.
Publié le 18 mars 2021(Mise à jour le 18/03)
Par Laure Salamon

Une trilogie huguenote signée
Kate Mosse
L’écrivaine anglaise Kate Mosse a répondu aux questions de Réforme sur les deux
premiers tomes de sa nouvelle trilogie, dont l’intrigue romanesque et amoureuse
se déroule à l’époque des guerres entre catholiques et protestants.

En temps normal, Kate Mosse commence toujours l’écriture de ses ouvrages à
Carcassonne, où elle possède une maison depuis une trentaine d’années.
Pandémie oblige, elle a dû amorcer l’écriture du troisième tome de sa trilogie
dans sa maison du Sussex, mais c’est la cité médiévale qui l’inspire. C’est là
qu’elle a écrit Labyrinthe (2005) à l’origine de sa renommée, ouvrage vendu à des
millions d’exemplaires.

Dans cette nouvelle trilogie, vous vous attaquez au sujet des guerres de
Religion entre catholiques et protestants. Pourquoi avoir choisi ce
thème ?

Enfant des années soixante, j’ai grandi dans une jolie ville du Sussex, un comté du
Sud de l’Angleterre, plutôt rural. Accro à la musique classique, j’ai été inscrite
par mes parents dans un orchestre pour jeunes où j’ai joué du violon. Souvent nos
concerts se tenaient dans la cathédrale de Chichester (du culte anglican). Un
responsable m’a proposé de participer à l’office. Je fus la première jeune femme à
devenir « servant de messe ». J’ai été cruciféraire (porte-croix) et thuriféraire
(porte-encensoir). De cette époque, j’ai gardé un profond respect pour ces vertus
chrétiennes énoncées au cours de chaque culte – la charité et l’amour du
prochain.

La Cité de feu commence à Carcassonne, puis se poursuit à Toulouse et à
Puivert (au pied des Pyrénées). Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de ces
lieux ?

Dans La Cité de feu, je voulais interroger une nouvelle période de l’histoire –
nouvelle pour moi, pas pour tous. Et je voyais dans le clivage entre la cité
médiévale de Carcassonne et sa bastide commerçante sur l’autre rive de l’Aude
une sorte de conflit emblématique. Il me semblait que ce conflit pouvait servir de
« drame de fond », un panorama en quelque sorte, derrière mes personnages.

Très vite je me suis aperçue qu’il faudrait que j’aille plus loin – que je quitte
Carcassonne pour me retrouver au cœur des événements qui ont tellement
marqué cette époque, vers la fin du XVIe siècle. C’est pour cela que mes
personnages débarquent à Toulouse, la Ville rose, où ils sont impliqués dans le
terrible massacre de 1562. Les Pyrénées ont toujours été pour moi un lieu de
refuge, allant bien au-delà du Montségur des cathares, que j’ai exploré dans
Labyrinthe. D’aucuns croient y avoir trouvé une Arcadie, n’est-ce pas ?

Le récit est à la fois une intrigue familiale et une histoire d’amour entre
Minou et Piet, dans le contexte tragique des guerres de Religion.

À chaque fois que je commence les recherches qui précèdent la rédaction de mes
romans, je me pose des questions sur les personnages naissant dans mon
imagination, sur les personnages réels de l’histoire, et sur le panorama des faits
documentés. J’aime mettre en scène des femmes et des hommes qui sont en
désaccord avec leur temps. Évidemment, ce n’est pas simple pour ces
personnages de dire aux puissants qu’ils ont tort. De là vient le drame.

À mon avis, il y a des circonstances où l’on n’a plus le choix de se tenir à l’écart.
C’est ce que je crois. Dans La Cité de feu, les personnes qui s’opposent à la
guerre ne sont pas forcément protestantes ou catholiques. La situation est
confuse. Il y a des « bons » et des « méchants » des deux côtés. Mais ce qui est
certain, c’est que dans chacune de mes histoires, mes héros et mes héroïnes sont
toujours des femmes et des hommes de vraie foi, amenés par la charité et par
l’amour du prochain à agir.

Propos recueillis par Laure Salamon

  Une intrigue amoureuse sur fond de guerres de religion

  Le prologue se déroule en 1862 en Afrique du Sud, on imagine que ce sera la
  destination finale de cette trilogie. Elle démarre avec La Cité de feu. Janvier
  1562, dans les cachots de l’Inquisition à Toulouse, puis à Carcassonne, Minou
  Joubert aide son père à s’occuper de la librairie dans la cité médiévale. La jeune
  catholique va croiser la route de Piet, huguenot né à Amsterdam, dans des
  circonstances troubles. Un homme a été retrouvé mort près du fleuve. Minou
  n’en croit pas ses yeux, pourtant c’est bien lui qui est venu à la librairie pour
  parler à son père. Que lui voulait-il ? Piet est accusé de ce meurtre par Vidal,
  homme d’Église et futur évêque cherchant à retrouver le suaire par tous les
  moyens. Le frère de Minou, Aymeric, va aider Piet à s’échapper et à rejoindre
  Toulouse. Aymeric et Minou sont envoyés chez leur tante dont le mari
  catholique est très investi contre les huguenots.

  Intrigues amoureuse et romanesque sur fond de guerres de Religion. Tous les
  ingrédients sont réunis dans cette trilogie. Kate Mosse nous régale de son
  talent de conteuse. Au détour de ces aventures, elle distille aussi des indices
  sur les distinctions théologiques entre catholiques et protestants, par exemple
  la lecture de la Bible en français ou le pouvoir des prêtres… Un récit que l’on a
  du mal à lâcher.
© Sonatine

Les deux premiers tomes de la trilogie :

La Cité de feu, Pocket, 2021, 736 p., 9,50 €,
La Cité de larmes, Sonatine éditions, 2021, 576 p., 23 €.

Publié le 11 mars 2021(Mise à jour le 11/03)
Par Laure Salamon
Roman : “Lunch-box”, fascinant
fait divers
Les éditions Gallimard publient Lunch-box de Émilie de Turckheim, un roman
aussi trépidant que délicat.

L’histoire de M. Patok est racontée par un professeur à des élèves attentifs et
curieux de l’école libre bilingue d’une ville de la baie du détroit de Long Island.
Le livre s’ouvre sur un triste fait divers. Sarah, intervenante dans cette école
franco-américaine, raconte son histoire. Celle que tout le monde appelle Jezu
initie les élèves au solfège et au chant, et prépare la comédie musicale de fin
d’année. Auréolée du succès de ces spectacles, Jezu jouit d’une petite notoriété
dans son école. Elle se rapproche tendrement de David, le père d’une élève,
jusqu’au jour où survient le drame. Le fait divers est au cœur de ce roman. À
partir d’un événement réel qu’Émilie de Turckheim a vécu, enfant, l’auteure
tricote maille après maille un récit haletant, flirtant presque avec le polar, mais
en gardant le ton et la douceur propres à son écriture.

Émilie de Turckheim, Lunch-box, Gallimard, 2020, 256 p., 19,50 €.
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