Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit

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Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
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Jeu
Revue de théâtre

Stratford Festival of Canada
Gilles Marsolais

Théâtre et guerre
Number 117 (4), 2005

URI: https://id.erudit.org/iderudit/24683ac

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Publisher(s)
Cahiers de théâtre Jeu inc.

ISSN
0382-0335 (print)
1923-2578 (digital)

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Marsolais, G. (2005). Stratford Festival of Canada. Jeu, (117), 61–72.

Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 2005                 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
I                                             GILLES M A R S O L A I S

                              I
                                  Stratford Festival of Canada
                                  Cela commence comme un conte de fées
                                       la fin des années 30, Tom Patterson, un adolescent de la calme petite ville de
                                  A    Stratford en Ontario, rêve d'y établir un festival shakespearien. Il ne s'intéresse
                                  pas vraiment au théâtre, mais sait que sa ville porte le même nom que la ville natale
                                  de Shakespeare et qu'elle est traversée par une rivière, l'Avon, comme celle de la
                                  célèbre ville anglaise. Devenu soldat, il vit plus de quatre ans de guerre en Angleterre
                                  et songe un moment à se rendre à Stratford, mais un ami lui dit que le théâtre y est
                                  « ugly », ce qui l'en dissuade. À son retour au Canada, il devient journaliste, mais rêve
                                  toujours de créer un festival shakespearien. Obstiné, il obtient du Conseil municipal,
                                  en 1951, une subvention de 125 $ pour réaliser son rêve. Avec ses 125 $, il se rend à
                                  New York où joue Laurence Olivier ; il voudrait l'intéresser à son projet, mais n'ar-
                                  rive même pas à lui parler. On lui suggère alors d'appeler Tyrone Guthrie, le plus
                                  grand metteur en scène shakespearien de son époque, qui, dans un échange télépho-
                                  nique plein de friture (c'est en 1951 !), s'engage à venir au Canada, sans même dis-
                                  cuter d'un cachet : une fois rendu, il
Tom Patterson (en haut),
                                  accepte avec plaisir les 500 $ qu'on
fondateur du Festival de
                                  peut lui offrir. C'est qu'il rêve de-
Stratford, et Tyrone Guthrie,
                                  puis toujours de travailler dans un
premier directeur artistique.
                                  théâtre avec un thrust stage1, selon
Photos : Stratford Festival
                                  le modèle des théâtres élisabé-
Archives.
                                  thains, et il y voit la chance de réa-
                                  liser son rêve. Il fait appel à Tanya
                                  Moiseiwitsch, scénographe et dessi-
                                  natrice de costumes de grand re-
                                  nom, qui accepte sans discussion
                                  d'argent de créer avec lui la célèbre
                                  scène autour de laquelle le théâtre
                                  sera bâti par la suite: cet ordre de
                                  construction constitue un fait raris-
                                  sime dans les annales de l'architec-
                                  ture théâtrale.

                                  Mais il faut des vedettes pour atti-
                                  rer le public dans une petite ville
                                  isolée, à deux heures de route de
                                  Toronto. Patterson, qui n'est jamais

                                  1. On appelle thrust stage ou apron stage une scène qui s'avance au milieu des spectateurs.

                                  11111117-2005.41                                                                              61
Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
allé dans les coulisses d'un théâtre, se rend en Angle-
terre rencontrer Alec Guinness qui le reçoit dans sa
loge. Guinness accepte de venir jouer au Canada, sans
savoir ni quoi ni durant combien de temps ; il préfère
venir à Stratford pour 3 500 $ plutôt que de faire un
film qui lui aurait rapporté infiniment plus. Ce-
pendant, le contrat d'Irène Worth, la « vedette fémi-
nine », stipule qu'on devra lui fournir un chauffeur,
une coiffeuse et une manucure ; une fois sur place, elle
échangera le tout contre une bicyclette !

C'est une course folle contre la montre au début de
1953. À défaut de pouvoir construire un théâtre, on
dresse une immense tente qui peut accueillir plus de               ,.i_l______________________-___________________l
1 500 spectateurs, on recrute des acteurs anglais et                                                                    La tente dressée en
canadiens, on met sur pied une équipe technique, une administration (on a réussi à                                      1953 pour accueillir
trouver de l'argent), un service de presse, une billetterie, etc., sous la gouverne de Tom                              1 500 spectateurs. Photo :
Patterson, devenu par la force des circonstances directeur général de l'entreprise. Les                                 Stratford Festival Archives.
répétitions ont lieu dans une grange torride, car la tente n'est pas encore prête. Les
derniers jours sont frénétiques, mais le 13 juillet 1953 Alec Guinness en Richard III
peut proclamer : « Now is the winter of our discontent/ Made glorious summer by
this sun of York2. Six semaines plus tard, le rêve de Tom Patterson, qui de son pro-
pre aveu « ne connaissait rien au théâtre », était devenu réalité3.

Et maintenant
La saison 2005 s'étend sur vingt-neuf semaines ; on y donne 700 représentations de
quatorze productions réparties dans quatre salles. Le Festival attire annuellement
quelque 600 000 spectateurs qui viennent du Canada, des États-Unis et d'Europe. Le
budget dépasse les 52 M$ et l'impact économique du Festival rapporte quelque
55 M$ en taxes aux différents paliers de gouvernement, mais leurs subventions de
2 M$ représentent moins de 4 % du budget total 4 . En saison, le Festival emploie 900
personnes, dont 140 acteurs, tout en générant 3 000 emplois directs et indirects dans
la région. Il s'agit en somme d'une très grosse entreprise.

Pour comprendre l'évolution de cette aventure théâtrale, il faut lire le volume ma-
gnifiquement illustré de Robert Cushman, Fifty Seasons at Stratford, publié à l'occa-
sion du 50e anniversaire du Festival5. Même s'il répondait à une commande, l'auteur
a gardé son entière liberté d'expression et il présente les bons, les moins bons et les
2. « Voici donc l'hiver de notre déplaisir/ Changé en glorieux été par ce soleil d'York. »
3. Tom Patterson est décédé le 23 février 2005 à l'âge de 84 ans. Les amateurs de petite histoire et
d'anecdotes savoureuses liront avec plaisir son volume First Stage. The Making of the Stratford
Festival, Firefly Books, Willowdale, 1999, 248 p.
4. Au Québec, une telle attitude serait vigoureusement dénoncée. À Stratford, on ne manque pas de
souligner, dans les visites guidées, que la Royal Shakespeare Company est subventionnée à 45 % et
que certains grands théâtres d'Allemagne le sont jusqu'à 80 %. C'est le peu de soutien de l'État qui
oblige le Festival à maintenir les prix des billets élevés (de 24 à 114$), mais les étudiants, les moins
de 30 ans et les aînés bénéficient de tarifs spéciaux.
5. Robert Cushman, Fifty Seasons at Stratford, Madison Press Books, Toronto, 2002, 224 p.

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Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
mauvais coups de l'entreprise, ce qui tranche nettement avec les habituels pa-
                                       négyriques publiés en pareilles circonstances. Cushman y décrit le formidable élan
                                       donné par le premier directeur artistique, le visionnaire Tyrone Guthrie (1953-1955).
                                       Il présente comme l'âge d'or du Festival le directorat de Michael Langham (1956-
                                       1967), quand l'entreprise n'était pas encore devenue une institution. Guthrie quali-
                                       fiait les productions de l'époque Langham comme « the most consistently interesting
                                                             and exciting of our time6 ; Cushman souligne l'élargissement du
                                                             répertoire, « more adventurous than at any other time since7 »
                                                             (p. 73) réalisé par Jean Gascon (1968-1974), premier Canadien
                                                             à diriger le Festival, qui fait de Molière le deuxième auteur mai-
                                                             son. C'est Robin Phillips (1975-1980) qui consolide le système
                                                             d'alternance pour les acteurs ; il encourage la dramaturgie cana-
                                                             dienne et donne au Festival la structure que nous lui connaissons
                                                             aujourd'hui : ce sont des années fastes pour Stratford. Les années
                                                             de John Hirsh (1981-1985), devenu directeur après une crise
                                                             majeure qui mit en jeu l'existence même du Festival, sont plutôt
                                                             difficiles; Hirsh n'arrive pas à établir son autorité et laisse à son
                                                             départ un lourd déficit. John Neville (1986-1989), célèbre acteur
                                                             anglais vivant au Canada, parvient à effacer le déficit en enga-
                                                             geant notamment « the younger, zippier adresses that Stratford
                                                             has lacked recently8» (p. 157). Avec lui, la comédie musicale
                                                             devient une partie intégrante du Festival. Cushman considère
                                                             David William (1990-1993) comme un directeur de transition;
                                                             on espérait à l'époque le retour de Robin Phillips, mais il ne
Les premières vedettes à Stratford :                         revint pas. William remet le théâtre canadien au répertoire de la
Alec Guinness et Irene Worth           compagnie, en programmant notamment trois pièces de Michel Tremblay en 1990,
dans All's Well That End Well de       1991 et 1992.
Shakespeare en 1953. Photo :
Peter Smith & Company/Stratford        « You pig ! We have spent our life in this theatre. We have given our time, and we
Festival Archives.                     care about art, not about money all the time. You have no morals. I don't know how
                                       you can sleep9. » (p. 191) C'est ainsi que Richard Monette apostropha le président
                                       du bureau des gouverneurs dans une assemblée publique durant la crise que traversa
                                       le Festival en 1979. Il ne se doutait sans doute pas qu'il en deviendrait le grand
                                       patron, quinze ans plus tard. Contrairement à ses prédécesseurs, Richard Monette
                                       participait aux productions de Stratford depuis trente ans, à titre de comédien et de
                                       metteur en scène, quand il en devint directeur ; le Festival était en difficulté financière,
                                       et on a dit souvent que Richard Monette l'avait sauvé. Je lui ai demandé s'il se per-
                                       cevait comme un «sauveur». Il n'a pas voulu répondre directement à la question,
                                       mais s'est dit très heureux d'avoir fait bondir le nombre de spectateurs de 400 000
                                       à 600 000 annuellement. De plus, pour assurer la solidité financière de l'entreprise,
                                       il a créé une fondation qui a déjà accumulé 30 M$ et qui vise les 50 M$ d'ici

                                       6. « de façon continue, les plus intéressantes et les plus excitantes de notre temps ». Ibid., p. 65.
                                       7. « plus audacieux qu'en tout autre temps ». Ibid., p. 73.
                                       8. « les actrices plus jeunes et plus piquantes qui manquaient à Stratford récemment ».
                                       9. « Espèce de cochon ! Nous avons passé notre vie dans ce théâtre. Nous lui avons donné notre
                                       temps, et c'est l'art qui nous préoccupe, pas l'argent tout le temps. Vous n'avez pas de moralité. Je
                                       ne sais pas comment vous parvenez à dormir. »

                                       11111117-2005.41                                                                                  63
Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
quelques années. Il a créé le Bermingham Con-
servatory for Classical Theatre Training, qui as-
sure la relève en donnant à de jeunes acteurs le
complément de formation dont ils ont besoin
pour joindre la compagnie10. Il a mis à l'affiche
des spectacles « pour toute la famille » afin d'as-
surer le renouvellement du public. Et il est très
fier du nouveau Studio qui devrait être surtout un
foyer de création. Il attribue le peu de soutien des
pouvoirs publics au fait que les politiciens ne sont
sensibles qu'aux votes des électeurs; selon lui,
tant que les électeurs n'exerceront pas de pression
sur les élus, les pouvoirs publics ne bougeront
pas.

Richard Monette a annoncé qu'il quittera la di-
rection du Festival à la fin de la saison 2007. Il
l'aura alors dirigé durant 14 ans, soit deux an-
nées de plus que Michael Langham, alors que le                                                             Richard Monette, directeur
mandat des autres directeurs a duré de 3 à 7 ans. C'est dire la place immense que                          du Festival de Stratford
Richard Monette occupe dans l'histoire du Festival de Stratford. Le bureau des gou-                        depuis 1993. Photo :Cylla
verneurs n'aura pas trop de deux ans pour lui trouver un successeur.                                       Von Tiedemann, tirée de
                                                                                                           Fifty Seasons at Stratford,
Compagnie annuelle de répertoire                                                                           Toronto, Madison Press
Le Festival n'a pas de compagnie permanente. Les acteurs y sont engagés annuelle-                          Books, 2002, p. 190-191.
ment pour une période maximale de dix mois. Mais, comme plusieurs contrats sont
souvent renouvelés, on peut avoir l'impression qu'il s'agit d'une compagnie perma-
nente. William Hutt, par exemple, a joué à Stratford durant trente-neuf saisons.
Williams Needles, qui fut du tout premier spectacle, détient le record de longévité
avec quarante-six saisons. Martha Henry, l'une des premières diplômées de l'École
nationale de théâtre, en est à sa trente et unième saison. Plusieurs piliers de la
compagnie (Lucy Peacock, Brian Bedford, James Blendick, Barry MacGregor, Peter
Donaldson...) y ont joué une vingtaine de saisons, alors que de nombreux autres en
comptent plus de dix.

Celui qui va régulièrement à Stratford peut voir grandir ces acteurs qui, visiblement,
aiment leur métier et le pratiquent dans d'excellentes conditions, avec des séances
régulières d'entraînement physique, de gymnastique, de voix, d'escrime, etc., sans
être dérangés par la vie trépidante des grandes villes. On peut suivre un acteur dans
l'approfondissement d'un rôle : William Hutt a joué Prospero dans la Tempête et le
rôle-titre du Roi Lear durant une quarantaine d'années, devenant de plus en plus
sobre et de plus en plus impressionnant dans ces deux personnages. Seule la com-
pagnie de répertoire permet ce genre de recherche.

10. Il s'agit d'un programme intensif de formation de dix-neuf semaines qui se donne à l'automne
et à l'hiver. Les acteurs qui ont déjà une formation y sont acceptés sur audition et leur stage est payé
aux tarifs de l'Actors' Equity.

64
Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
Stratford, c'est, de l'avis d'Albert Millaire, une « expérience fantastique » ; c'est ça,
                                       «le vrai théâtre». Il y a une hiérarchie d'emploi; il est rare qu'un jeune acteur y
                                       débute dans un premier rôle. L'excellente Lucy Peacock a d'abord joué de petits rôles,
                                       puis, au fil des saisons, elle a assumé des personnages de plus en plus importants,
                                       dont une saisissante Lady Macbeth en 2004; elle reprend les emplois de Martha
                                       Henry qui joue maintenant les personnages plus âgés. En 2005, son fils Harry a joué
                                       le jeune fils du roi dans Edward II. Comme il y a souvent des enfants dans les pièces
                                       élisabéthaines, on fait naturellement appel à ceux des acteurs de la compagnie, leur
La longévité des comédiens             assurant ainsi une vie « normale » durant la saison. En fait, Stratford est une grande
du Festival de Stratford donne l'im-   famille, avec les qualités et les difficultés qui lui sont inhérentes.
pression d'une troupe permanente.
Much Ado About Nothing, mis en         Les acteurs jouent en moyenne trois rôles en alternance et peuvent assumer plusieurs
scène par Richard Monette en 1998,     doublures, car, à Stratford, on ne risque pas un spectacle, encore moins une saison,
avec Martha Henry, Brian Bedford       sur la santé ou la vie d'un acteur. Au moment où il jouait les grands rôles, Leo Ciceri
et William Hutt. Photo : Cylla Von     s'est tué dans un accident d'auto ; le choc a été terrible pour la compagnie, mais la
Tiedemann, tirée de Fifty Seasons      saison s'est déroulée tel que prévu. On garantit aux doublures une dizaine de re-
at Stratford, Toronto, Madison         présentations, généralement des matinées étudiantes.
Press Books, 2002, p. 194.
                                                                                       L'alternance permet de confier de
                                                                                       petits rôles à des acteurs de premier
                                                                                       plan. Ainsi, en 1991, Albert Millaire a
                                                                                       joué un grand premier rôle, Malvolio
                                                                                       dans la Nuit des rois, un important
                                                                                       second rôle, Chrysalde dans l'École
                                                                                       des femmes (en anglais, bien sûr) ainsi
                                                                                       qu'un petit rôle dans Hamlet, celui du
                                                                                       Roi de la troupe d'acteurs venus « di-
                                                                                       vertir » la cour. Il était excellent dans
                                                                                       les trois et donnait à son Roi une rare
                                                                                       autorité; il jouait avec grand plaisir,
                                                                                       dans le système d'alternance, un rôle
                                                                                       qu'on n'aurait certainement pas osé lui
                                                                                       offrir à Montréal.

                                                                                        Une grande compagnie se distingue
                                                                                        par la qualité des rôles de soutien et
                                                                                        par le maniement des scènes de foule.
                                                                                        À Stratford, on soigne tout particu-
                                                                                        lièrement ces deux aspects du théâtre.
                                       Le cas d'Albert Millaire jouant un petit rôle n'est pas exceptionnel ; c'est la règle dans
                                       le système d'alternance. Et, s'il y a une fête ou une bataille dans une pièce, c'est une
                                       fête ou une bataille scéniquement crédible. Pour y arriver, on ne lésine ni sur le
                                       nombre d'acteurs ni sur le temps de répétition: on peut consacrer, par exemple,
                                       jusqu'à une heure de répétition par seconde de jeu pour monter un combat, et on
                                       répète les combats avant chaque représentation. S'il y a une foule, c'est une foule
                                       plausible et bien vivante. Je me souviens d'une production de Jules César où une foule
                                       bigarrée ponctuait de réactions spontanées (pour le spectateur!) le fameux discours

                                       H H l 17 2005.41                                                                        65
Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
Synthèse des théâtres grec
                                                                                                   et élisabéthain, le Festival
                                                                                                   Theatre, construit en 1957,
                                                                                                   accueille 1 850 spectateurs
de Marc-Antoine «Friends, Romans, countrymen 1 ' », faisant croire à un nombre                     dont aucun n'est à plus
considérable de citoyens ; ils étaient en fait une dizaine. J'ai vu une production de la           de 20 mètres de la scène.
même pièce au Burgtheater de Vienne où plus de 150 figurants ne créaient pas la                    Photo : Stratford Festival
moindre animation dramatique. Le nombre n'est rien si l'art n'y est pas.                           Archives.

Une ville et ses théâtres
Stratford est une belle ville cossue influencée par le style victorien. Au début du
siècle dernier, le responsable des Parcs, Tom Orr, voulait doter sa ville d'un magni-
fique ensemble de jardins et de parcs. Il en fit le combat de sa vie et, en 1952, il avait
réalisé la majeure partie de son œuvre. Des photos aériennes montraient même une
grande similitude entre les rives de l'Avon ontarienne et celle de l'Avon anglaise.
L'aménagement du paysage impressionna les artistes anglais et exerça, par la suite,
sur les festivaliers un attrait certain. La Ville a toujours entretenu ses parcs avec
respect et fierté, prenant un soin jaloux des arbres, des fleurs, des pelouses, ainsi que
des cygnes et des canards qui s'y prélassent. À la fin de sa vie, Tom Orr n'aimait pas
tellement voir des dizaines de milliers de « touristes » profiter des jardins et des parcs
qu'il voulait offrir aux seuls Stratfordiens. Mais ceux-ci reconnaissent l'inestimable
apport du Festival à la vie et à l'économie de leur ville; ils sont accueillants, très
friendly mais toujours réservés.

C'est donc au milieu d'un paysage bucolique, calme et reposant, que l'on dressa la
tente en 1953, à l'endroit même où l'on construisit le Festival Theatre en 1957. Cette
salle de spectacle est l'une des plus prestigieuses au monde. Tous les volumes d'ar-
chitecture théâtrale et de scénographie s'y réfèrent; c'est l'héritage permanent de
Guthrie et Moiseiwitsch. On s'en est souvent inspiré, comme en témoignent le Vivian
Beaumont à New York et le théâtre du Festival de Minneapolis. Ce lieu en hémicycle
est une synthèse des théâtres grec et élisabéthain ; aucun des 1 850 spectateurs qui en-
tourent le plateau n'est à plus de 20 mètres de la scène. Cela favorise la communion

11. « Amis, Romains, concitoyens >

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Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
instantanée entre les acteurs et le public, comme elle existait au temps de
Shakespeare. Le seul fait de s'avancer sur ce plateau, même devant des bancs vides,
constitue une expérience théâtrale inoubliable; on s'y sent puissant, maître du
monde, et l'on comprend quelle stimulation ce lieu exerce sur les acteurs et les met-
teurs en scène. Se rappelant sa première visite au Festival Theatre, Robin Phillips
déclarait : « J was over the moon. I thought it was the most extraordinary theatre and
still d o n . » Le Royal Shakespeare Theatre du Stratford anglais, construit en 1932, ne
soutient pas la comparaison : c'est une grande salle à l'italienne, froide à l'intérieur et
banale à l'extérieur. Les excellents artistes qui s'y produisent mériteraient mieux et
l'ami qui, dans les années 40, a dit au jeune Tom Patterson que ce théâtre était
« ugly » n'avait pas tout à fait tort.

Le Festival s'est doté de trois autres salles. Le théâtre Avon, d'abord loué à partir de
1956 puis acheté en 1963, est situé au cœur de la ville à une dizaine de minutes de
marche du Festival Theatre. C'est une salle à l'italienne de 1 093 sièges où l'on pré-
sente surtout des comédies musicales et des pièces réalistes. Les décorateurs, limités par
les exigences du théâtre en hémicycle, s'en donnent à cœur joie dans cette salle très
bien équipée où l'on multiplie les prouesses techniques. C'est là que sont présentés les
spectacles « pour la famille », et les petits comme les grands en ont plein la vue.

La salle Tom Patterson, d'abord appelée Third Stage, a été aménagée en 1971 dans
un ancien club de badminton. C'est un théâtre de 487 places où les spectateurs sont
placés des trois côtés d'un long apron stage. Le principe de l'encerclement y est con-
servé, la communication y est excellente mais, à cause de la longueur du plateau, il y
a quelques mauvaises places. Destiné au départ à la Young Company, le théâtre sert
maintenant l'ensemble de la programmation. Il est situé au bord de la rivière, non
loin du Festival Theatre.

On a construit en 2002 le Studio, derrière le théâtre Avon, une petite salle de 260
places destinée principalement à la création. C'est un mini-théâtre de type élisabé-
thain où le moindre soupir, le plus petit clignement d'yeux est perçu par les specta-
teurs. On peut s'y permettre des audaces sans grever les budgets de production. Il est
encore trop tôt pour évaluer l'apport de cette salle, mais on comprend le directeur
Richard Monette d'en être très fier.

La visite des ateliers a de quoi faire rêver les producteurs de théâtre 13 , et les archives
conservent précieusement les documents sur la grande et la petite histoire du Festival.

Stratford et le Québec francophone
Le Festival a été créé au moment où le Canada rêvait de bilinguisme et de bicultu-
ralisme. Dans les années 50, le TNM avait une section anglaise et, à sa fondation en
1960, l'École nationale de théâtre était bilingue ; elle est devenue « co-lingue » par la

12. «J'étais renversé. Je pensais que c'était le théâtre le plus extraordinaire et je le pense encore. »
13. On conserve 43 000 costumes, même s'il est rare qu'on utilise un costume deux fois. On les loue
aussi bien aux studios d'Hollywood qu'aux troupes locales d'amateurs, à des prix variant selon les
moyens des clients.

11111117-2005.41                                                                                     67
Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
force de la réalité. C'est d'ailleurs avec l'École
                                             nationale que s'est établi le lien le plus institu-
                                             tionnel entre Stratford et le Québec. En effet,
                                             de 1961 à 1965, toute l'École faisait un stage
                                             de deux mois à Stratford, comme partie inté-
                                             grante de son année scolaire. C'était, pour les
                                             anglophones, un peu dépaysés à Montréal, une
                                             occasion de renouer avec leur milieu naturel
                                             et, pour les francophones, une immersion lin-
                                             guistique et culturelle de grande valeur. Nicole
                                             Leblanc, qui a participé à ces stages durant ses            Costume conçu par Brian
                                             trois années de formation, en garde le souvenir             Jackson pour le personnage
                                             ému d'une expérience humaine et théâtrale                   de M™ Arkadina dans The
                                             riche et stimulante. L'expansion de l'École et le           Seagull {la Mouette) (1968),
                                             nombre croissant d'élèves et de professeurs                 interprété par Denise
                                             rendirent ce stage impossible à réaliser après              Pelletier.
                                             1965.

Les comédiens du TNM furent invités deux fois, en 1956 et 1966, à jouer la cour du
roi de France dans Henry V. En 1956, la pièce fut aussi présentée en Ecosse au
Festival d'Edimbourg ; les critiques furent sévères pour les acteurs anglophones, mais
très élogieux envers les francophones ! En 1956, le TNM donna en français quelques
représentations des Trois Farces de Molière et revint en 1958 avec les
Trois Farces et le Malade imaginaire. En 1966, Denise Pelletier,
Jean Gascon et Jean-Louis Roux jouèrent en anglais la Danse de
mort de Strindberg dans une mise en scène de Gascon. Les critiques
Robertson Davies et Nathan Cohen dirent alors que cette production
était « the greatest ever seen at Stratford14 ». Douce revanche pour ce
spectacle de très haut niveau que le public montréalais avait boudé
quelques mois plus tôt. Jean Gascon, premier directeur artistique du
TNM, dirigea le Festival de 1968 à 1974; Denise Pelletier revint à
Stratford en 1968 et s'y distingua dans le rôle d'Arkadina dans la
Mouette. En 1972, Gascon invita le TNM à reprendre en anglais la
Guerre, yes sir ! de Roch Carrier, mise en scène par Albert Millaire,
qui avait connu beaucoup de succès à Montréal. Albert Millaire fut
engagé trois autres fois comme metteur en scène : en 1990, il dirigea
Pat Galloway dans Memoir, la pièce de John Murell sur Sarah
Bernhardt; il monta Bonjour, là, bonjour de Michel Tremblay en
1992 et The Imaginary Invalid (le Malade imaginaire) en 1993. En
1991, il fit la saison complète comme comédien.

Plusieurs autres artistes québécois furent engagés par le Festival.
Louise Marleau joua Juliette en 1968, Luce Guilbeault fut
Marguerite d'Anjou dans Henry VI en 1980 et Anne-Marie Cadieux
joua dans un Pirandello en 1991. En 1996, Colombe Demers,

14. « la plus grande jamais vue à Stratford. »

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Stratford Festival of Canada - Gilles Marsolais - Érudit
Franco-Ontarienne diplômée du Conservatoire d'art dramatique de Montréal, fit une
                                      saison complète à Stratford, interprétant avec aplomb trois rôles principaux; l'ex-
                                      ploit est d'autant plus remarquable qu'elle remplaçait presque au pied levé l'une des
                                      vedettes de la saison, Megan Follows, qui avait dû se désister pour cause de maladie.
                                      Jean-Louis Roux a fait quant à lui un retour à Stratford en 2005, comme metteur en
                                      scène et comédien, après quarante ans d'absence !

                                      D'autres artistes québécois, auteurs, musiciens, scénographes et dessinateurs de cos-
                                      tumes furent aussi invités au Festival ; mentionnons, entre autres, Michel Tremblay,
                                      Jean Marc Dalpé, Nicolas Billon, Gabriel Charpentier, Robert Prévost, François
                                      Barbeau, Meredith Caron, David Gaucher... Le directeur Richard Monette vient du
                                      Québec et plusieurs artistes ont des noms français (Carrière, Dionne, Giroux, Goulet,
                                      Leblanc, etc.) et sont parfois originaires du Québec, mais n'ont pas fait carrière chez
                                      nous.

                                      Il va sans dire que des milliers de Québécois, surtout anglophones, viennent au Fes-
                                      tival chaque année. Une enquête révèle que 7 % du public est bilingue, 28 % a une
                                      connaissance moyenne (moderate) du français et que 30 % serait intéressé à voir une
                                      pièce présentée en français au Festival, ce qui ne s'est pas produit depuis 1958.

                                      L'année 2006 marquera un retour aux échanges institutionnels entre Stratford et le
                                      Québec. En effet, Lorraine Pintal dirigera le Dom Juan de Molière dans une copro-
                                      duction entre le TNM et le Festival. Colm Feore, qui s'est illustré tant au théâtre
Un grand succès â Stratford :         qu'au cinéma, sera Dom Juan. Souhaitons qu'il s'agisse là d'un nouveau départ pour
les Belles-Sœurs, mises en scène      les relations entre Stratford et le Québec.
par Marti Maraden en 1991. Sur
la photo : Susan Wright (Germaine     La saison 2005
Lauzon) dans son dernier rôle,        Si j'en juge par les spectacles que j'ai vus (sept sur quatorze), la saison 2005 a été de
puisqu'elle mourait tragiquement      haute tenue. Seul The Brothers Karamazov d'après Dostoïevski, présenté au Tom
la même année dans un incendie.       Patterson, m'a laissé sur mon appétit. La pièce s'appuyait sur une adaptation plutôt
Photo:Tom Skudra/Stratford Festival   brouillonne qui faisait voir le drame par les yeux de Smerdyakov, le fils maudit, mais
Archives, tirée de Fifty Seasons at   son interprète n'avait pas le magnétisme pour rendre cette option pertinente. Tous les
St. afford, Toronto, Madison Press    comédiens restaient en scène durant le spectacle, n'obéissant pas toujours au même
Books, 2002, p. 187.                  système de conventions et, en dépit de quelques bonnes interprétations, la pièce n'at-
                                      teignait pas les sommets souhaités.

                                      Le choix d'Edward II de Marlowe se justifie, car il s'agit du premier grand drame
                                      historique du théâtre élisabéthain. La pièce est assez rudimentaire sur le plan
                                      psychologique, mais elle est un feu roulant d'actions et de retournements qui font
                                      oublier l'inconsistance des personnages. Grâce à une solide mise en scène de Richard
                                      Monette et à des interprétations dynamiques, la pièce tient bien la route. Mais le
                                      spectacle, présenté sur le plateau exigu du Studio, gagnerait à être joué dans un
                                      espace plus vaste.

                                      Le Studio remplit mieux sa vocation avec le programme double comprenant The
                                      Measure of Love de Nicolas Billon et Ruth Draper on Tour, un arrangement de textes
                                      de Ruth Draper par Raymond O'Neill. Jean-Louis Roux fait une mise en scène tout

                                       _117 70.."4]                                                                          69
en délicatesse de la pièce de Billon, et les deux actrices,
Diana Leblanc et Fiona Reid, réussissent à rendre présents
des événements troublants vécus, quelques décennies plus
tôt, dans un collège de religieuses. Pour sa part, Laly
Cadeau est éblouissante dans les monologues de Ruth
Draper, même si les textes ne s'élèvent pas toujours au-
dessus du potinage.

Into the Woods de Stephen Sondheim, d'après un livret de
James Lapine, justifie la réputation d'excellence du
Festival dans le domaine du spectacle musical. Cette
sombre fable, présentée à l'Avon, est devenue un clas-
sique du genre ; elle est menée tambour battant et
défendue par un groupe dynamique de comédiens-
chanteurs bien dirigés par Peter Hinton. Quelques effets
techniques moins réussis n'atténuent pas la qualité de
l'ensemble, et le public de tous les âges fait la fête avec les
interprètes.

La mise en scène à la fois fluide et rigoureuse de Miles
Potter, le jeu inspiré de Seana McKenna (Lady), Jonathan
Goad (Valentine) et Dana Green (Carol), la justesse des
rôles de soutien (notamment Scott Wentworth dans une
très brève mais bouleversante apparition), ont rapidement                                        Spectacle de la saison 2005, «In

dissipé mes doutes quant à la pertinence de monter Orpheus Descending de                         the Woods de Stephen Sondheim,

Tennessee Williams. Comme l'ensemble du public, j'ai été captivé du début à la fin               d'après un livret de James Lapine,

par cette histoire poignante et horrible qui méritait bien l'ovation debout (loin d'être         justifie la réputation d'excellence

automatique à Stratford) que le public lui a réservée.                                           du Festival dans le domaine du
                                                                                                 spectacle musical ». Sur la photo :

Measure for Measure de Shakespeare en était à sa sixième production à Stratford, et              Amy Walsh (Rapunzel) et Susan

on comprend mal que cette pièce si actuelle sur le pouvoir, le sexe, la corruption et la         Gilmour (the Witch). Photo :

fausse vertu n'ait jamais été montée à Montréal. L'action située en Hongrie, comme               David Hou.

l'histoire originale dont Shakespeare s'est inspiré, s'ouvre sur une partouze dans un
club interlope, brusquement interrompue par l'intervention des forces de l'ordre. Le
cadre est donné pour le reste de l'action. Leon Rubin règle une mise en scène
dynamique où s'illustrent plusieurs acteurs, dont Thom Marriot (le Duc), Jonathan
Goad (Angelo) et Dana Green (Isabella), tous trois formés au Conservatory créé par
Richard Monette ; ils font partie de la nouvelle génération des acteurs stratfordiens.
La pièce, présentée au Tom Patterson, a soulevé l'enthousiasme bien justifié du
public.

The Tempest de Shakespeare, présentée au Festival Theatre dans une mise en scène
sobre et rigoureuse de Richard Monette, marquait les adieux de William Hutt au rôle
de Prospero et au théâtre. À l'âge de 85 ans, dans une forme splendide, il livrait son
dernier message d'acteur, en symbiose avec Shakespeare qui signait dans cette pièce
son testament d'auteur. Prospero, que William Hutt avait joué et approfondi durant
quatre décennies, était à la fois charnel et métaphysique, rempli d'un humour

70                                                                            11111117-2005.41
insoupçonné. Les ovations à son entrée en scène et au salut final rendirent hommage,
                                au-delà de sa remarquable interprétation, à toute la carrière de cet immense acteur. Ce
                                fut pour moi, qui ai suivi l'évolution de cette carrière, un grand moment d'émotion.

                                Il y avait aussi, en dehors de la programmation régulière, un spectacle-causerie-
                                confidences, Shakespeare and Molière, où deux grands routiers du théâtre, Douglas
                                Campbell et Jean-Louis Roux, partageaient leurs souvenirs et jouaient des extraits
                                des deux dramaturges, dont certains en français. Les voir devenir progressivement
                                crédibles en Roméo et Juliette, après le
                                rire provoqué au début de la scène,
                                valait le déplacement. Le spectacle était
                                très chaleureux, et le public conquis
                                n'a pas ménagé ses bravos aux deux
                                « jeunes » acteurs.

                                Aller à Stratford
                                Je suis allé à Stratford pour la première
                                fois en 1960. Je revenais tout juste
                                d'Angleterre où j'avais été ébloui par le
                                très haut niveau de jeu et l'éclat des
                                mises en scène du Stratford anglais. J'y
                                avais côtoyé un public de connaisseurs
                                qui portait avec ses applaudissements
Dans la mise en scène           plus ou moins nourris un jugement sur
de Richard Monette de la        la qualité des productions. J'y avais dé-
Tempête, William Hutt faisait   couvert un extraordinaire interprète de
en 2005 ses adieux au           Shylock, que je croyais être un des
personnage de Prospero,         doyens de la compagnie; il s'appelait
râle qu'il a défendu pendant    Peter O'Toole et n'avait que 26 ans !
quatre décennies. Photo :       Toute cette production du Merchant of
David Hou.                      Venice était d'ailleurs remarquable.
                                Pourtant, j'allais ressentir une émotion
                                encore plus intense au Festival Theatre
                                quand Douglas Rain s'est avancé sur
                                Vapron stage pour dire la première ré-
                                plique de King John : « Now, say, Cha-
                                tillon, what would France with us f 15 »
                                C'était pour moi, et ça demeure, le théâtre total, la communion la plus immédiate et
                                la plus chaleureuse que l'on puisse créer entre les acteurs et le public, grâce à l'encer-
                                clement de l'action par les spectateurs16. J'y avais vu aussi un magnifique Romeo and

                                15. « Eh bien, Châtillon, parlez : que nous veut la France? »
                                16. À l'époque, l'hémicycle du Festival Theatre était ouvert à environ 210 degrés, comme celui des
                                théâtres grecs, et la salle contenait 2 250 spectateurs. Lors des rénovations du 50r anniversaire, on
                                l'a réduit à 175 degrés, pour assurer à tous les sièges un angle de vue parfait. Les spectateurs étant
                                de plus en plus grands et de moins en moins maigres, on a aussi élargi les allées et les sièges. Les
                                deux mesures combinées ont diminué de 400 fauteuils la capacité de la salle. Fort heureusement, cela
                                n'a pas affecté l'atmosphère du lieu, mais je reste nostalgique du coude à coude d'autrefois.

                                                                                                                                   71
Juliet. J'ai réalisé beaucoup plus tard que le metteur en scène du Merchant of Venice
anglais et du Romeo and Juliet ontarien était le même : Michael Langham. Si je devais
décerner une médaille d'or au metteur en scène qui m'a le plus impressionné, c'est à
lui que je la donnerais.

Je suis revenu régulièrement à Stratford durant les années 60, moins souvent durant
les années 70 et 80, et presque à chaque année depuis le début des années 90. J'y ai
vu quelques mauvais spectacles (quelle compagnie n'en a jamais monté ?) ; j'en ai vu
d'ordinaires, de bons, de très bons et d'extraordinaires. Le théâtre de Broadway, en
comparaison, fait figure de parent pauvre et, pour les comédies musicales, malgré des
moyens plus modestes, les spectacles du Festival sont souvent supérieurs aux grands
shows américains. Les Américains, d'ailleurs, le reconnaissent volontiers: la revue
Time envoie régulièrement un reporter à Stratford, ce qu'elle ne fait pour aucun fes-
tival de théâtre aux États-Unis.

Je comprends mal que des Québécois qui se disent passionnés de théâtre ne soient
jamais allés à Stratford. La langue n'est vraiment pas un problème ; on remarque que
plusieurs spectateurs anglophones préfèrent lire les pièces de Shakespeare avant de les
voir, pour être certain de n'en perdre aucune nuance. Le spectateur francophone,
pour sa part, peut lire les pièces en français (c'est ce que je fais) et prendre grand
plaisir aux spectacles, concentrant son attention sur le jeu des acteurs et les subtilités
de la mise en scène. Pour les pièces de répertoire plus récent et les comédies musicales,
une connaissance moyenne de l'anglais suffit.

Mon attachement à Stratford depuis si longtemps ne veut pas dire que je juge le
théâtre qui s'y fait meilleur que le nôtre. Je le juge très différent, et c'est cette dif-
férence qui me plaît. Je trouve là une structure organisationnelle et des moyens de
production que nous n'avons pas chez nous. Le Stratford Festival d'Ontario est le
deuxième plus important festival shakespearien au monde. Mais seuls les gens très
riches peuvent aller régulièrement en Angleterre ; pour ma part, je suis ravi d'avoir à
une journée de route ce grand événement annuel.

Et quand, avant d'aller rencontrer Shakespeare, je regarde au soleil couchant les
cygnes blancs et les cygnes noirs glisser majestueusement sur l'Avon, je pense aux vers
de Baudelaire :

         Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
         Luxe, calme et volupté. J

Merci à Jean Pol Britte, Colombe Demers, Nicole Leblanc, Albert Millaire, Richard Monette,
Jean-Louis Roux et Kelly Teahen qui, en entrevue ou par courriel, m'ont donné de précieuses
informations.

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