Terre d'élevage ou " nature préservée " en zone centrale des parcs nationaux français des Alpes du Sud ? - OpenEdition Journals
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Méditerranée N° 3.4 - 2006 53 Terre d’élevage ou « nature préservée » en zone centrale des parcs nationaux français des Alpes du Sud ? Farm land or «preserved nature» in the central zone of French national parks in the southern Alps? Lionel LASLAZ* Résumé - Cet article vise à montrer comment les parcs Abstract - This article aims to show how the national parks of the nationaux des Alpes françaises du Sud sont passés d’une southern French Alps have moved from an implicit rejection of situation plus ou moins implicite de rejet de l’agriculture, comme agriculture towards an integrated perspective of that same perturbatrice du milieu, vers une perspective d’intégration de activity. This evolution was shaped by both the retreat of farming cette activité. Cette évolution s’est façonnée en parallèle du and by the financial and technical support, including the recul de l’élevage, impliquant son soutien financier et technique, patrimonalization of territorial markers. When Écrins (1973) voire la patrimonialisation de ses éléments de marquage and Mercantour (1979) national parks were created, the territoriaux. Lors de la création des parcs nationaux des Écrins presence of farming in the central zone was perceived as a (1973) et du Mercantour (1979), certains discours considéraient hindrance to nature protection. This view still remains la présence de l’élevage en zone centrale comme une entrave widespread in certain scientific circles. The farmers, by their forte à la mission première de protection. Cette vision fundamental role in maintaining Alpine landscapes and their antagoniste demeure encore répandue dans quelques milieux local economic activity considered «traditional», have gained scientifiques. Or, les éleveurs, par leur rôle fondamental dans the support of governmental authorities and managers of l’entretien des paysages alpins et dans l’activité économique protected areas. Public entities have undertaken promotion of locale dite « traditionnelle », constituent aujourd’hui un atout pastoral activity. But is that their role and are they competent to reconnu qui leur a valu le soutien des pouvoirs publics et des do that? Is the admission of local people into the process simply gestionnaires d’espaces protégés. Des programmes d’aides à a response to a political objective? With 30 years of agricultural l’activité pastorale ont ainsi été développés par ces retreat in the two national parks, what appraisal can be drawn of établissements publics, sortant un peu du cadre de leur mission this process? initiale. Mais est-ce leur rôle et en ont-ils les compétences ? Cela répond-il à des objectifs politiques et d’admission de la structure de protection par les populations locales ? Quel bilan peut-on tirer de ces processus avec une trentaine d’année de recul dans les deux Parcs nationaux sud-alpins ? Introduction nombre d’Unités pastorales, comme en têtes, est ovin. En raison de l’altitude moyenne des zones centrales L’élevage en zone centrale des parcs nationaux sud- (2429 m dans les Écrins pour 2120 m dans le Mercantour) alpins est confronté à leurs objectifs de protection et de il s’effectue essentiellement sur des unités pastorales découverte. L’essentiel de cet élevage, en superficie, en d’altitude, alpages ou estives. De rares unités d’intersaison * Maître de conférences, Département de géographie de l’Université de Savoie, Laboratoire EDYTEM (Environnements, Dynamiques et Territoires de la Montagne) - CNRS UMR 5204, Campus scientifique, 73376 Le-Bourget-du-Lac cedex. lionel.laslaz@univ-savoie.fr
54 et quelques unités abandonnées complètent ce panorama. Écrins ») « dans le but d’équiper, et de développer Les unités pastorales d’altitude sont des unités l’action touristique et de maintenir les activités agricoles géographiques fonctionnelles d’un seul tenant, pouvant traditionnelles tout en sauvegardant les richesses atteindre plusieurs centaines d’hectares, situées naturelles du département pour les mettre en valeur généralement au-dessus de l’habitat permanent et des […] » (souligné par nous). L’ordre établi par les élus cultures. Leurs limites sont d’origine naturelle départementaux entre les différentes missions du parc (hydrologie, relief, changement de végétation…), national n’est pas celui retenu par l’État dans la loi et les administrative (parcelle, commune, limite de parc) ou décrets de création. Le développement touristique apparaît calquées sur des artefacts (route, clôture, muret…). Une avant les activités agricoles dans la hiérarchie des unité pastorale est découpée en quartiers exploités préoccupations, les richesses naturelles doivent être successivement au cours de la saison (AUDOIN et CHATAIN, sauvegardées non pas en tant que telles, mais pour être 2002). La gestion menée en alpage, ou conduite, a pour mises en valeur… but de satisfaire les besoins alimentaires du troupeau. Depuis une dizaine d’années de manière insistante, L’unité pastorale désigne donc une Surface toujours en l’établissement public devient un acteur supplémentaire de herbe d’au moins 10 hectares, exploitée une partie de l’élevage, alors que ce n’est pas sa fonction, ni le métier l’année seulement, sans retour journalier sur les lieux des personnels, alors qu’il est gestionnaire d’un espace d’hivernage (ERNOULT et al., 1998). protégé dont il n’est pas propriétaire. Il se voit donc Les parcs nationaux, établissements publics contraint de travailler avec les acteurs locaux et tente de administratifs, ont été créés malgré les réticences, voire construire des formes de contractualisation autour de l’hostilité des populations locales, notamment des mesures agri-environnementales, voire de protection des éleveurs et des chasseurs. Le Parc national des Écrins voit espèces. ainsi le jour en 1973, justifié par le fait que : « la La première partie montrera cette implication conservation de la faune, de la flore, du sol, du sous-sol, progressive des établissements publics dans l’élevage, de l’atmosphère, des eaux et, en général du milieu naturel, considéré comme de plus en plus impératif au maintien en présente un intérêt spécial et qu’il importe de préserver ce l’état des paysages. Cela ne va pas sans une modification milieu contre tout effet de dégradation naturelle et de le considérable des comportements des différents acteurs soustraire à toute intervention artificielle susceptible d’en impliqués. Quels sont les outils et les moyens altérer l’aspect, la composition et l’évolution » (loi de d’intervention des gestionnaires de ces espaces protégés 1960, art. L. 241-1). Sa zone centrale s’étend sur 918 km2 sur le pastoralisme ? Ils demeurent cependant limités par et 23 communes, pour l’essentiel (16) dans les Hautes- les conditions conjoncturelles et structurelles dans Alpes. Six ans plus tard, et après 19 années de lesquelles ils s’exercent (deuxième partie). La troisième tergiversations, le Parc national du Mercantour occupe partie dressera un bilan nuancé de cette synergie entre les l’essentiel du haut Pays des Alpes-Maritimes, et le nord- acteurs du pastoralisme et les établissements publics. est des Alpes-de-Haute-Provence. La zone centrale (685 km2) s’étire sur 80 km le long de la frontière italienne. Même si une limite Alpes du Nord/Alpes du Sud 1. De l’entrave idéologique et fonctionnelle à peut sembler arbitraire à tracer (il n’y a d’ailleurs pas de l’élevage vers la construction d’un projet idéalisé différence considérable entre les logiques agricoles du de sauvetage… Valbonnais et celles du Valgaudemar, par exemple), le département de l’Isère sera exclu de cette étude qui se limitera aux trois départements précédemment cités. Mais Pour des raisons idéologiques et fonctionnelles, c’est surtout sur la notion de zone centrale qu’il importe de l’agriculture a longtemps été considérée comme une s’arrêter : l’étude des rapports entre agriculture et activité n’ayant plus sa place dans la future zone centrale. protection de l’environnement devient pertinente lorsque Mais le contexte socio-économique a aussi joué son rôle : cette protection est réglementaire et stricte. Or, par les années 1970-1980 ont mis en avant le rôle déterminant définition, une zone centrale de parc national doit être de la pâture et de la fauche dans l’entretien et le maintien maintenue en l’état, ce qui suppose de prime abord que la des paysages montagnards : d’où une volonté politique de présence de troupeaux et les aménagements nécessaires au l’État et des acteurs locaux, relayée par les parcs pâturage soient contraires à une préservation stricte des nationaux, de contribuer à la survie de cette activité. écosystèmes, tels que voulus par la loi créant les parcs nationaux en 1960. Pour autant, les zones centrales sont le 1.1. Légitimité de l’agriculture et intangibilité de siège de différents usages, très anciens, comme la la loi sylviculture ou l’élevage, d’autres plus récents comme la L’antériorité de l’agriculture dans les hautes vallées randonnée pédestre ou l’alpinisme : la question de leur alpines a construit sa légitimité et limité les remises en compatibilité sur des territoires restreints est donc cause de son emprise, lorsque certains protecteurs également posée. Ainsi, dans sa session extraordinaire du envisageaient les zones centrales comme dépourvues de 23 juin 1969, le Conseil général des Hautes-Alpes émet un toute trace et de toute présence humaines. « vœu relatif à la création du parc national du Pelvoux » (finalement dénommé en 1973 « parc national des
55 1.1.1. Une agriculture ancestrale présente de longue territoire, notamment des alpages des zones centrales. Les date Chambres d’agriculture notamment firent partie des « Au cours de tout son passé, la Haute-Provence, organismes consultés lors des projets de création. Elles dans ses limites historiques les plus larges, fut, avant tout, eurent des élus dans les conseils d’administration et les ont mais non exclusivement, le pays du mouton » écrivait bien souvent conservés. C’est le cas pour celle des Hautes- Th. SCLAFERT (1945). L’élevage ovin est culturellement Alpes, influente au sein du parc national des Écrins. associé à la Provence et aux hautes vallées sud-alpines, la Les archives soulignent combien fut importante transhumance est une tradition, même si des flux pour la création de ce dernier la session extraordinaire de importants affectent aujourd’hui aussi les alpages plus la Chambre d’agriculture des Hautes-Alpes en date du riches de Savoie et d’Isère (FABRE, dir., 2002). Ainsi, le 18 janvier 1972 à laquelle participèrent toutes les parties. cheptel ovin estivé dans le Parc national du Mercantour Elle permit d’aborder tous les problèmes, pas seulement représente environ le quart des Alpes du Sud, soit 160 000 agricoles, de renégocier les limites, d’accélérer le têtes en 1985, pour 85 000 en zone centrale en 2000. processus et de déboucher sur un accord de principe du On peut, comme pour tout espace, remonter aux Comité interministériel des parcs nationaux trois mois origines de la présence humaine, en faisant référence aux plus tard (MERVEILLEUX DU VIGNAUX, 2003). bergers de la Roya et leurs gravures des vallées des L’incompatibilité protection/agriculture, si elle Merveilles et de Fontanalba comme marque historique de n’est guère mise en avant aujourd’hui par les gestionnaires l’élevage sur le territoire qui nous concerne. Datées de des espaces protégés, l’est par certains visiteurs qui l’âge du Cuivre et du début de l’âge du Bronze (3200 à conteste la présence du mouton, espèce domestique dans 1700 av. J.-C.), les 40 000 pétroglyphes sont la un milieu naturel. Il est vrai que parfois les établissements transcription des pratiques agraires ou des croyances publics recommandent des mises en défens, pestent contre divines. Ces gravures (notamment des corniformes qui des conduites de troupeaux mal menées, ou contre des représentent 60% de l’ensemble, et des attelages) sont éleveurs ayant recours à des véhicules motorisés. Les surtout dédiées à la « déesse terre ». De même, les éleveurs ont donc bien souvent mal vécu la création des archéologues ont découvert des vestiges de la présence parcs nationaux, plus par a priori que par gêne réelle. humaine très ancienne des pasteurs dans l’Embrunais ou le Champsaur. La toponymie de la Tinée en est une autre illustration : La Mount Gno (au sens de pâturage) 1.2. De l’évolution de l’agropastoralisme et de sa désignait le Mont Saint-Sauveur, et les termes Cabana- nécessaire survie… Moutoun ou « Quartier d’Aoust » se trouvent sur Isola, L’agropastoralisme alpin a connu un net recul, ces quartiers de plein été étant d’ailleurs abondamment notamment dans les Alpes du Sud. Concurrencée par les répandus aussi bien dans les Écrins que dans le très gros producteurs mondiaux (Nouvelle-Zélande, Mercantour. Australie, Argentine), la viande ovine française n’est pas Les alpages constituent l’essentiel de la superficie compétitive et manque de débouchés. Elle doit, de ce fait, de la zone centrale dans le Mercantour (52.5%) pour 19 % tabler sur la qualité, la proximité de marchés de de celle des Écrins, plus élevés, rocailleux et pentus. Mais consommation et s’appuyer sur des labels. L’élevage la différence est nette entre le groupe septentrional Meije- laitier, trop contraignant, périclite et l’absence d’AOC Écrins-Pelvoux très minéral et les vastes alpages du limite la rentabilisation. Les formes d’associations et de Champsaur ou de l’Embrunais. De même, les alpages groupements sont encore trop peu répandues pour soutenir forment une part élevée des SAU communales. Ainsi un élevage en grande difficulté qui ne se maintient que l’enquête pastorale de 1968 a montré que, dans le canton grâce aux subventions de la PAC (plus du double des de Colmars-les-Alpes (haut Verdon), les alpages revenus agricoles de l’ovin viande de montagne en 1996). représentaient 41% de la superficie totale (dont 49% sont Pourtant, le secteur primaire constitue encore gérés par l’ONF). L’Office national des forêts est l’activité principale de 30% des communes des Écrins effectivement très présent depuis les grands reboisements (PNE, 2003), alors que le tourisme et les services sont la de la fin du XIXe siècle, notamment en Ubaye, haut Verdon, première activité pour plus de la moitié d’entre elles. Le haut Var et haute Tinée. secteur dit « secondaire » ne domine que dans 11% des communes. Même si cette classification n’a plus guère de 1.1.2. Une profession impliquée dans la création des pertinence aujourd’hui, elle illustre le poids encore majeur parcs nationaux de l’activité agricole ; certes il faut sans doute la compléter par les activités de transformation Sans doute plus incontournables par le passé, les agroalimentaires et l’agritourisme – qui reste peu agriculteurs représentent aujourd’hui plus, en terme développé. Pour autant, les actifs agricoles ne représentent d’influence, qu’une simple approche statistique des actifs que 6% des actifs totaux en 2002, pour 16% en 1990 et agricoles. Les agriculteurs retraités, les agriculteurs 34% en 1968. Le nombre d’exploitations a chuté de 26% reconvertis, les familles et les actifs agricoles eux-mêmes, de 1979 à 1988, soit 5 points de plus que la moyenne qui sont bien souvent chasseurs aussi, pèsent dans les nationale (BAZIN, 1996). Ainsi en 2000, ce sont 629 différentes communes. Ils se soucièrent très tôt des projets exploitations dont 319 professionnelles qui sont installées de création de parcs nationaux, dont certaines rumeurs en zone centrale et périphérique, pour 679 chefs affirmaient qu’ils allaient bannir l’élevage de leur d’exploitations et coexploitants (PNE, 2003). Les alpages
56 collectifs s’étendent sur 67 000 ha. Ils accueillent 120 000 La zone centrale du parc national du Mercantour ovins (sur 212 300 du département des Hautes-Alpes) et accueille 85 000 ovins sur 83 unités pastorales (60 sont 5000 bovins (sur 14 520 du département) par an : 60% situées dans les Alpes-Maritimes, partagées entre sont des troupeaux locaux, 30% du département et 10% 45 transhumants et 15 éleveurs locaux). Le parc national extra-départementaux, du reste de la région Provence- du Mercantour comptait en 1985 23 000 UGB « ovins » Alpes-Côte d’Azur. En 1883, F. BRIOT dénombrait dans le contre 3300 UGB « bovins ». Sans surprise, le recul est département des Hautes-Alpes 262 055 ovins et généralisé. De 1988 à 2000, la Tinée a perdu la moitié de 25 632 bovins (BRIOT, 1884). Qu’en est-il des communes ses exploitations, les agriculteurs ne représentant plus que de la zone centrale ? En 1988, 378 exploitations résident 3% des actifs. La transhumance « inverse », une des dans les communes de la zone centrale pour 3369 dans le originalités très anciennes de la Tinée, a tendance à département des Hautes-Alpes. Certes, en 2000, si l’on se disparaître, car les bergers se fixent plus facilement près place à l’échelon intra-parc, le Champsaur et le des pâturages d’hiver. Dans le Mercantour, l’opposition Valgaudemar demeurent les places fortes de l’élevage historique entre un ouest et un nord traditionnellement dans le parc du haut Dauphiné avec 50% des exploitations ovin et un sud et un est où les troupeaux bovins agricoles des Écrins (301 dont 183 professionnelles pour représentaient une part non négligeable du bétail, a été une SAU de 10 643 ha). Mais les formes sociétaires sont troublée par les mutations économiques. Il y a une peu développées. Les études menées sur les cantons trentaine d’années, les vacheries sont devenues des d’Orcières (8.3% d’actifs agricoles en 1999) et de Saint- bergeries, les éleveurs bovins ont préféré se reconvertir Bonnet (12.8% d’actifs agricoles en 1999) dans le dans l’ovin, plus extensif et moins exigeant en temps (cas Champsaur (PNE et CEMAGREF, 1995) ont montré que notamment de la Tinée, de la moyenne Roya et du haut la Superficie toujours en herbe augmente dans le premier Var). La grande transhumance a aussi glissé et diminue dans le deuxième, alors que la taille des progressivement des hauts plateaux de Provence vers les troupeaux croît conjointement. Ces derniers se répartissent vallées alpines (de REPARAZ, 2000). Les ovins différemment : le nombre moyen de brebis par transhumants reculent nettement de 1963 à 1976 (-20%) exploitation (120 et 150) augmente de plus de 10% en avant de remonter, car les très gros troupeaux, gardés, 1979 et 1988 ; mais les vaches laitières reculent au profit surveillés sanitairement, sont plus rentables mais des vaches nourrices (800% et 220% d’augmentation nécessitent de vastes étendues riches en herbe destinées à respectivement) (DDAF, 2001). être pâturées trois mois. À l’échelle microlocale, la montagne de l’Alp (ou Depuis moins de dix ans, on constate de manière Alpe) à Villar-d’Arêne conserve sensiblement la même limitée le phénomène inverse : l’élevage bovin reprend charge en 1873 (2000 ovins) qu’en 1997 avec 1884 têtes. de la vigueur. C’est le cas par exemple au Boréon (Saint- Est-ce un signe de vigueur ou au contraire une preuve de Martin-Vésubie). Il n’est toutefois pratiquement plus disparité ? Car si cet alpage réputé pour ses qualités laitier mais plutôt tourné vers l’allaitement. Deux causes herbagères reste utilisé prioritairement par l’élevage, ont été avancées pour analyser cette évolution : beaucoup d’autres, moins productifs, moins accessibles, - le prix de vente de la viande d’agneau, déjà abordé plus moins étendus, sont laissés à l’abandon. C’est le cas de haut. Même si des investissements sont nécessaires pour l’alpage des Bans (Vallouise). La logique est la même à les ateliers de transformation fromagère, les fromages se l’échelle des communes : les gros villages agricoles vendent bien. Les labels fromagers sont en outre plus résistent mieux à la déprise (Chateauroux-les-Alpes) que faciles à obtenir que les labels ovins : ainsi, un projet les plus petits : de 1979 à 1988, Pelvoux (Vallouise) a d’AOC « Tomme de la Vésubie » est actuellement porté perdu 75% de ses exploitations agricoles, Freissinières par le GEDAR (Groupe d’étude et de développement (Argentiérois) 65% (photo 1). agricole de la Vésubie), association regroupant les PHOTO 1 - TROUPEAU TRANSHUMANT de la vallée de Freissinières, au-dessus du lit du torrent de Ruffy et de la « Barre Noire », sur un secteur de l’alpage de Faravel dénommé le « Quartier d’Août ». Sur ce vaste territoire d’altitude (1687 ha entre 1700 et 2800 m), accidenté, les 1430 ovins recensés en 1997 exploitent de manière très organisée les différents secteurs. (Cliché : L. LASLAZ, août 2003)
57 éleveurs de la vallée et menant des actions de met en avant les trois obstacles principaux à une reprise développement (études, soutien aux projets) et de d’activité sur cet alpage qui pourrait accueillir 250 promotion (plaquettes d’information, dépôt de la marque moutons : des bâtiments très dégradés ne permettant pas susdite) ; d’abriter un berger ; la nécessité de débroussailler, 10 ans - le retour du loup, évoqué plus loin, mais il s’agit plus après l’abandon, sur cet ubac caillouteux ; la raison d’un révélateur que d’un déclencheur de crise… majeure, qui explique en partie les deux précédentes : les Une autre manifestation de la crise de l’élevage est difficultés d’accès. Effectivement, seuls des sentiers bien sûr une transcription paysagère à travers l’extension nécessitant 1 heure 30 à 3 heures de marche permettent de des friches et landes (Chambre régionale d’agriculture rejoindre cette vallée enclavée en zone centrale. PACA, 1998). Dans les Hautes-Alpes de 1976 à 1986, Comme dans les Alpes du Nord, la survie de l’augmentation des landes atteint 11 400 ha (étage alpin nombreux alpages est donc conditionnée à leur accès. Est- exclu) et les surfaces boisées ont gagné 4700 ha, dans les ce à dire que non situé en zone centrale, cet alpage aurait deux cas par abandon des terrains agricoles. Cette pu bénéficier d’un tracé de piste pastorale que la expansion de 19% se rencontre également à hauteur de réglementation stricte et les longues procédures, au sein + 5% dans les Alpes-de-Haute-Provence alors que dans les des parcs nationaux, limite considérablement ? La réalité Alpes-Maritimes, le recul des friches atteint 15%. Mais est beaucoup plus complexe… Car l’ouverture de la piste c’est plus pour des impératifs de prévention des incendies est aussi conditionnée à sa rentabilisation ; et celle-ci qu’une traduction d’une vigueur retrouvée de n’est pas assurée pour un troupeau ovin de 250 têtes. Ces l’exploitation agricole. Dernière traduction du recul conditions d’accès demeurent pourtant un facteur majeur agricole, la fauche a disparu des zones centrales : dans le de disparités spatiales dans la gestion des Unités parc national du Mercantour, les derniers prés ont été pastorales : baisse de l’élevage et du nombre d’éleveurs fauchés en 1995 (ils ont pu représenter au maximum près aidant, seules les plus accessibles sont utilisées, et de de 400 ha, ce qui est considérable). manière plus intensive que jadis, les autres étant progressivement gagnées par la friche et les ligneux. La Les aléas de la survie moitié des estives des Alpes-Maritimes sont desservies par un sentier (pour 20% par route goudronnée) et la ressource Contrairement à ce qui est souvent avancé, herbagère peu entretenue. Le taux de desserte à pied l’élevage ovin n’est pas en recul irrémédiable. Le cheptel atteint 30% pour les Unités pastorales du Champsaur, du ovin champsaurin a ainsi augmenté de 11% de 1988 à Briançonnais et du haut Embrunais. 2000, pour passer d’un troupeau moyen de 245 brebis et agnelles à 365. Indivisions, place disponible pour la L’avenir des exploitations repose enfin sur leur construction de bâtiments d’exploitation dans des vallées durabilité qui dépend de l’âge de l’exploitant et des très encaissées et souvent soumises à des PPR rigoureux, possibilités de reprise de l’exploitation, or le coût d’une installation ou d’une transmission sont autant vieillissement est généralisé. d’obstacles pour les locaux. Si ces petits troupeaux connaissent des difficultés de maintien, notamment pour 1.3. Les parcs nationaux des Alpes du Sud, des problèmes d’accès au foncier, les grands transhumants contraintes lourdes ou « sauveurs » de demeurent, eux, toujours autant demandeurs des Unités l’élevage ? pastorales. Toutes celles de l’Ubaye sont utilisées, et les collectivités publiques de la haute Tinée refusent des Dans ce contexte de déprise agricole, les parcs demandes, faute d’alpage disponible. Mais la pérennité de nationaux des Alpes du Sud, longtemps perçus comme une cet élevage repose plus sur des installations de permanents contrainte supplémentaire au développement agricole, dans les communes que sur des « saisonniers de sont-ils devenus des atouts sur le terrain, par leurs apports l’herbe », tels que l’on pourrait définir les transhumants. matériels et financiers ? Historiquement, ils étaient mal vus par les locaux, accusant leurs troupeaux d’être vecteurs de maladie, 1.3.1. Les parcs nationaux, des « empêcheurs de comme le montre F. BELLON (1989) pour le Valgaudemar. brouter en rond » ? La petite commune de Rimplas (108 habitants en Le fait que le premier programme d’aménagement 1999 pour 38 en 1968), en moyenne Tinée (Alpes- du PN du Mercantour ne date que de 1995 est une Maritimes), étirée entre vallon de Mollières au nord et illustration des difficultés de celui-ci, développées plus vallon de Bramafan au sud, disposait de deux Unités avant, de construire un projet sur son territoire et pastorales. Celle de la vacherie de Rimplas (45 vaches d’accompagner le développement local. Au lieu d’avancer laitières) fonctionne encore, mais avec de graves une ouverture, l’établissement public se retranche durant difficultés d’accès à l’eau. À l’inverse, au sein de la zone cette période derrière une position de repli en se centrale, celle du vallon de Velail, exploité jusqu’en 1987 cantonnant à l’application stricte de la réglementation. par un éleveur de la commune, est abandonnée (TRECUL, Ainsi, le programme d’aménagement renferme des 1987). Entre les granges éponymes à 1400 m et la cime passages indiquant une grande fermeté et une utilisation des Lauses à 2651 m, elle s’étire sur 357 ha, dont 107 rigide de la loi de 1960. On peut lire, par exemple, à la répartis entre 9 propriétaires privés, le reste appartenant à page 6 : « L’objectif est d’obtenir à terme des milieux la commune. Le recensement des Unités pastorales (1997) représentatifs d’une évolution strictement naturelle.
58 maires sous la pression des bergers, inquiet de cette future création émanant de Paris. Mais une analyse fouillée des archives des conseils d’administration permet de montrer que l’agriculture ne sera jamais véritablement une pierre d’achoppement dans les Écrins : problèmes de limites de la zone centrale, notamment pour la chasse, construction de domaines skiables, équipements touristiques et tracés de sentiers seront des dossiers autrement plus épineux. Cependant, l’interdiction du pastoralisme interviendra bel et bien lorsque l’État décide de créer (le 9 mai 1995) la seule réserve intégrale en vigueur aujourd’hui, autour du lac du Lauvitel (Oisans) avec interdiction de pénétration humaine et d’animaux domestiques sur 689 ha. L’exploitation forestière arrêtée en 1922, et le dernier pâturage remontant à 1947, le terrain étant propriété d’État depuis 1977, les conditions étaient évidemment requises pour instaurer une mesure aussi lourde. 1.3.2. Quand les parcs nationaux s’allient aux éleveurs… Les élus, puis les gestionnaires des espaces protégés, prennent conscience de la nécessité d’aider les bergers afin que l’abandon, déjà fortement entamé, ne soit pas généralisé et afin que les instances de décision des parcs nationaux tiennent FIG. 1 - LES ESPACES PROTÉGÉS DANS LES ALPES FRANÇAISES compte, dans la limite des impératifs de protection, du contexte actuel de l’élevage. Aucune forme nouvelle d’exploitation ou d’intervention Les rénovations de chalets, les demandes de tracés de humaine ne doivent donc être admises dans ces milieux et pistes ont été examinées avec plus de souplesse. Mais la ni encouragées pour celles qui pourraient y subsister ». contrepartie de cet intérêt résidait dans les efforts Doit-on considérer que l’agriculture fait partie de ces demandés aux agriculteurs pour la gestion de la ressource « exploitations » dont on ne saurait « encourager » la et l’extensivité (tout en étant contrôlée) de leurs pratiques pratique ? Cela est finalement en totale opposition avec pastorales. Les Mesures agri-environnementales (MAE) la logique développée en même temps (dans le parc (AURIAC, 1997), à travers l’instauration des Contrats national des Écrins et la plupart des territoires alpins) territoriaux d’exploitation faisaient partie des objectifs (fig. 1) sur l’utilité de l’agriculture dans le maintien de la (DELLA-VEDOVA, 1996). Les CTE, issus de la loi biodiversité. Le programme désigne également un certain d’Orientation agricole du 9 juin 1999, sont signés entre nombre d’Unités pastorales où l’élevage constitue une l’agriculteur et l’État. Mis en place en 2000 dans le PN des gêne, voire va à l’encontre des objectifs de protection : Écrins et en 2001 dans celui du Mercantour, ils font partie celui-ci poserait un problème au tétras-lyre sur l’alpage de de ces contrats agri-environnementaux qui proposent des Couastas à Entraunes. L’unité pastorale de Salèse à primes en contrepartie de travaux comme la pose de St-Martin-Vésubie est interdite aux ovins, alors que clôtures, des parcs de nuit pour fertiliser, ou un calendrier d’autres sont affectées par le surpâturage et l’érosion ou de pâturage. Ces contrats, instruits par les Directions posent des problèmes quant à l’éventuel tracé d’une piste. départementales de l’agriculture et de la forêt (DDAF), Les mises en défens ou les incitations à ne plus pâturer un sont signés pour cinq ans. Le parc national du Mercantour secteur jugé fragile écologiquement ne sont donc pas travaille alors avec différents groupements agricoles rares. Dans les Écrins, la neuvième des dix-sept réserves comme le GDA de la vallée de la Tinée, ou le GEDAR de formulées par le Conseil général des Hautes-Alpes lors de la vallée de la Vésubie, mais très peu de contrats sont son vœu favorable à la création du parc national le signés au final dans les Alpes-Maritimes et les Alpes-de- 26 février 1972 stipule qu’il n’y ait pas « d’entrave à la Haute-Provence (mobilisation faible des acteurs du vie pastorale et forestière, la liberté totale des ovins et le département et tensions liées au retour des loups) : les libre pacage ». Il s’agit d’une demande expresse des méfiances sont trop fortes.
59 Dans les Hautes-Alpes (PNE, 1999), le considérées comme la panacée. Personne morale financement relève à 50% de l’Union européenne, pour constituée entre plusieurs propriétaires en vue de favoriser 30% de l’État et 20% du Conseil général. Plus de la moitié le regroupement, l’aménagement, l’exploitation et des agriculteurs des Hautes-Alpes se sont positionnés pour l’entretien des surfaces, elle permet de lutter contre un CTE, 55 contrats « alpage » sont alors signés, dont 45 l’obstacle de l’indivision mais nécessite de longues dans ce département, bénéficiant à 252 éleveurs, procédures de regroupement et d’entente des propriétaires principalement en zone centrale. Ils sont très et une forte volonté politique communale. Les Hautes- majoritairement locaux, à 15% des transhumants Alpes sont le premier département pour ces associations départementaux, pour 12% de grands transhumants. Le (25), mais seules 4 sont présentes en zone centrale du PN parc national des Écrins (2003) souhaite soutenir et des Écrins pour une seule dans le Mercantour (cf. infra). développer « une agriculture productrice de produits de Les Groupements pastoraux (association agréée par arrêté qualité : basée sur différents CTE type ou collectifs ; une préfectoral consistant en la mise en commun d’un agriculture productrice de services marchands de troupeau par plusieurs éleveurs pour l’exploitation qualité ; une agriculture humaine et viable ». Mais ce d’alpages) ne représentent que 16% des utilisateurs des dernier intitulé semble décalé dans un contexte actuel de unités pastorales de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Mais ils baisse du nombre d’agriculteurs pour une augmentation de rencontrent un succès important dans les communes du la taille des exploitations. Cette formulation est suivie par parc national des Écrins. Les GAEC, a contrario des des déclarations de bonnes intentions mais sur lesquels on Alpes du Nord, restent limités, malgré les projets dans le peut douter du pouvoir d’intervention d’un parc national : Champsaur et à La Grave. transmissibilité des exploitations ou contribution à l’installation. En invoquant la « qualité » et en souhaitant 2.1.2. Équiper ou protéger ? limiter les agrandissements, les PN peuvent-ils aller à l’encontre de la logique économique des exploitations La quadrature du cercle pour les établissements agricoles ? De son côté, le parc national du Mercantour publics s’exerce à travers l’équipement des alpages. Céder consacre 20 000 à 30 000 euros d’investissement par an revient à assouplir une réglementation qui exclut toute (sur un budget global d’investissement de 1173 millions construction d’artefact et à constituer un précédent jugé d’euros en 2002) pour des actions d’équipement des dangereux. Refuser signifie faire fi des conditions alpages (matériel de protection et de prévention). Au final, actuelles de l’élevage et de l’impérieuse nécessité de on peut s’interroger : est-ce un mariage de raison ou rendre un alpage exploitable au XXIe siècle si l’on souhaite d’intérêt ? Les professions agricoles n’ont-elles pas y maintenir une activité. Cela passe par l’accès à l’alpage intérêt à profiter des crédits de la zone périphérique et des (les plus isolés seront irrémédiablement abandonnés) et financements ou aides matérielles en zone centrale ? Les par les conditions de vie du berger. Or ceux-ci disposent espaces protégés tirent-ils profit de relations le moins bien souvent d’équipement médiocre, et leurs conditions tendues possible avec un groupe social facilement lamentables d’existence sont très loin des représentations mobilisable, et qui contribue à l’image de l’espace sur urbaines sur une vie pastorale idyllique. Toutes les lequel ils exercent leur autorité ? cabanes pastorales ne disposent pas de l’eau courante, d’ailleurs rarement à l’intérieur du bâtiment. Celui-ci est souvent vétuste, de petite taille et nécessite des rénovations (toitures, charpentes, murs, isolation), demande souvent exprimée dans les fiches de recensement 2. Outils et limites de l’aide des parcs nationaux des unités pastorales. Sanitaires et électricité s’apparentent sud-alpins à l’activité agricole à des luxes. Mais indépendamment de ces données intrinsèques, la nécessité d’une deuxième cabane (par Sur quels outils travaille la profession agricole aux exemple sur le « Quartier d’Août »), permettant plus de côtés des parcs nationaux ? Ces derniers sont-ils proximité entre le berger et d’autres zones de couchade initiateurs de projets ou accompagnateurs ? Ont-ils (reposoir nocturne) des brebis par exemple, peut se faire réellement les moyens et la possibilité d’intervenir ? sentir, notamment sur de très vastes alpages. Quelle attitude adopter alors ? Une attitude « comptable » (une 2.1. La « mosaïque éclatée » : une grande seulement est nécessaire), ou tenant compte des réalités de diversité d’outils et d’aides multiformes terrain et de la nécessité économique d’un éleveur ou d’un groupement travaillant de manière raisonnée ? 2.1.1. Regrouper pour survivre ? Le parc national du Mercantour, avec entre autres Mettre en commun les troupeaux, les hommes, les partenaires la Direction départementale de l’agriculture et structures, le foncier font partie des opérations proposées la forêt des Alpes-Maritimes, a dressé un inventaire en France pour limiter les impacts de la déprise. Mais là exhaustif des 220 cabanes pastorales de la zone centrale encore, sans surprise, les logiques de collaboration et de (seules cinq appartiennent à l’établissement public). Les mise en commun ne sont pas plus fortes et plus impulsées trois finalités de l’inventaire, soulignent combien, derrière sous l’effet des établissements publics qu’elles ne le sont la rénovation et l’aspect patrimonial de l’architecture, la en dehors. Les Associations foncières pastorales sont volonté de (re)donner une fonction agricole à des bâtiments l’ayant perdu est prégnante.
60 Les pistes pastorales sont nécessaires pour limiter celle plus délicate d’« agneau du Mercantour ». La les temps de déplacement des exploitants, pour assurer le marque « agneau des Alpes d’Azur » a été développé ravitaillement, pour favoriser le rapatriement de bêtes pendant plusieurs années par une grande chaîne de malades ou blessées, pour permettre aux bergers un lien supermarché présente à Nice et garantissant un prix plus fréquent avec la vallée, pour déplacer une salle de valorisé. Mais les animaux étaient abattus à Puget- traite mobile et le lait en cas d’élevage laitier… Mais il Théniers, dans un petit abattoir non agréé par les normes s’agit d’un aménagement qui n’est pas neutre dans le européennes, ce qui a conduit le magasin à mettre fin à paysage, qui n’est pas toujours bien perçu par les touristes, l’opération en raison de la réglementation sanitaire. Le voyant des véhicules se déplacer sur des pistes qui leur projet d’atelier de découpe porté par le site pilote sont interdites. Des cadres stricts sont aujourd’hui d’agriculture durable de la Tinée tente de relancer, avec proposés afin d’éviter tout abus dans le tracé, à la fois en les mêmes éleveurs, cette opération qui s’est avérée une terme d’itinéraire et d’impact. réussite. Il permettrait en outre d’offrir quelques emplois La piste du Rabioux (Châteauroux-les-Alpes, dans cette vallée des Alpes-Maritimes. En attendant, et Embrunais, PNE) passe tantôt en zone périphérique, tantôt pour l’essentiel des éleveurs du parc national, c’est la en zone centrale ; en 1976, le préfet des Hautes-Alpes vente directe aux bouchers qui est de règle. Mais demande que l’autorisation de circulation soit accordée vraisemblablement près de la moitié des ovins locaux aux résidents de la commune suite aux récriminations de « sortent » des circuits en étant achetés directement par la ceux-ci (séance du conseil d’administration du PNE, 6 et clientèle musulmane du littoral, surtout pour les fêtes 7 février 1976). La plupart était de toute façon antérieures religieuses. Pour les autres produits, ce sont les circuits à la création du parc national des Écrins, mais il faut courts, notamment en vente directe aux touristes, qui déterminer qui a le droit de l’emprunter. En 2004, seul un semblent aujourd’hui privilégiés (fromage, huiles projet de nouveau tracé est en cours de discussion pour essentielles…) : mais la saisonnalité de la fréquentation desservir le plateau de Charnières (Prapic, commune touristique, élevée en hiver, plus inégale durant les deux d’Orcières, Champsaur). La logique est différente dans le mois d’été, ne permet pas de garantir des revenus Mercantour, où dès l’origine des tensions s’affichent sur pérennes. Toucher la population, permanente ou de potentielles ouvertures de pistes dont les gestionnaires vacancière, qui se concentre sur le littoral semble bel et de l’espace protégé contestent le bien-fondé. Des pistes bien une issue inexorable… Quoiqu’il en soit, une marque forestières en Roya ont ainsi défrayé la chronique dans les « Parc national » n’est envisagée par aucun des années 1980-1990, le débat portant sur la pénétration établissements publics. d’engins motorisés (jeep, 4x4, quads…) en zone centrale. Car indépendamment des éleveurs, elles peuvent être 2.2. La tendance à la contractualisation utilisées à des fins de loisirs, comme ce fut le cas en juillet Premier parc national à ébaucher des conventions 1999 (col de la Bonnette) par 450 motos d’un club de partenariat et des contrats les associant aux éleveurs, les motocycliste italien contre lequel la direction du parc Écrins se lancent dans d’ambitieux projets de travail en national du Mercantour a porté plainte. synergie avec les agriculteurs et creusent un sillon dans lequel s’engouffrent d’autres espaces protégés par la suite. 2.1.3. Valoriser pour vendre ? Alors que les Alpes-Maritimes opposent un littoral 2.2.1. Le parc national des Écrins, initiateur d’une densément peuplé à un arrière-pays qui cherche des voies dynamique dès 1992 de maintien de sa population et de son tissu économique, Dès 1992 en effet, le parc national des Écrins fait la proximité du premier ne bénéficie pas au second. Bien parvenir une note d’intention précisant les objectifs de que les troupeaux ovins grossissent, ils ne représentent que l’établissement public pour les programmes de « mesures 10% de la consommation du département, alors qu’il y agri-environnementales » : son attention se porte aurait là un marché porteur et économiquement rentable. particulièrement sur les alpages et les prés fauchés Alors que les aides de l’État et de l’Europe (Prime (LAURENS, 1995). Le 11 juillet 1996, la « charte compensatoire ovine et l’Indemnité compensatoire aux d’environnement et de développement durable » est handicaps naturels) constituent environ 50% du revenu signée avec toutes les communes du parc. La partie II (p.3) des grands transhumants et 60% de celui des éleveurs consacre sous le titre « soutenir une sylviculture et une locaux, la question de la finalité de l’élevage pour la agriculture […] » quatre entrées : production est donc posée. Le vieux débat des années -activité agropastorale (exemple : « amélioration du 1970 sur les éleveurs « jardiniers du paysage », et payés cadre de vie des bergers » évoqué plus haut) ; pour l’être, est lancinant : l’agriculture n’a-t-elle -productions locales de qualité (exemple : désormais de raison d’être qu’à travers le prisme des commercialisation de produits locaux) ; perceptions urbaines, amatrices d’espaces entretenus et -installation d’agriculteurs (exemple : soutien au d’étendues parcourues par la faune domestique ? La démarrage d’installations nouvelles) ; finalité du travail agricole demeure la production. Dans ce -entretien de l’espace, des paysages et du patrimoine rural contexte, la recherche de la valorisation est nécessaire et (exemple : réhabilitation de canaux et de murets). existe déjà avec le label rouge « agneau fermier César », Même si, comme toute déclaration de principe, le la demande en cours d’IGP « agneau de Sisteron » et texte reste peu précis sur les moyens mis en accord avec
61 ses bonnes intentions, la charte est signée par les homogène sur l’unité d’altitude (945 ha de 1700 à 61 communes du parc national. Les trois premières 2600 m). Vingt-trois secteurs de parcours sont suggérés actions sont d’ailleurs reprises dans la convention de en fonction des périodes et des ressources en herbe et en partenariat signée le 4 décembre 1998 entre le parc eau disponibles. L’objectif est de faire rentrer les éleveurs national des Écrins et les deux chambres d’agriculture de progressivement dans une logique de « gestion l’Isère et des Hautes-Alpes. Il est intéressant de noter que raisonnée » de la ressource en herbe et donc du milieu la quatrième s’est « évaporée » en deux années, car afin d’en maintenir la richesse. Les CTE tentaient de formulée telle quelle, elle est peu en accord avec la prouver la convergence d’intérêt entre la protection des conception qu’ont les agriculteurs de leur métier. Le parc ressources et leur exploitation économique, trop entend appliquer préférentiellement cette convention vers longtemps opposées. Mais ils ont été peu suivis dans le les exploitants adoptant les modalités d’une « agriculture Mercantour. durable », selon une expression à la mode ne désignant Reste le cas par cas : les éleveurs et les parcs pas un élevage économiquement viable et « qui va nationaux contractualisent ainsi en fonction de leur durer », mais respectueux des ressources… Mais qu’est- entente et de leurs intérêts réciproques. Dans le parc ce que cela implique en terme de pratiques agraires ? national du Mercantour, l’État possède peu de terrain et les relations avec les éleveurs ne sont pas très développées, et 2.2.2. Contractualiser pourquoi et sur quoi ? pourtant une association fonctionne : celle de l’unité Bien que non situés en zone centrale, les bocages pastorale située sous le lac d’Allos dans les Alpes-de- des Écrins illustrent les interventions sur des thématiques Haute-Provence. Pour cette mosaïque de foncier privé paysagères. Des opérations ont été menées conjointement acquis par le parc auprès de 36 propriétaires, il a fallu par les acteurs locaux avec le PNE pour l’entretien et la 11 ans pour arriver à signer le compromis de vente. Un sauvegarde du plus vaste et emblématique d’entre eux, le exemple qui illustre la difficulté à faire avancer les choses « bocage du Champsaur », où l’irrigation gravitaire dans une commune pourtant sinistrée au niveau agricole, existe encore. Considéré comme le mieux conservé des malgré son héritage d’élevages bovin et ovin. À Champ Alpes françaises et comme une réussite de la collaboration Richard, grosse ferme située en rive droite du Laus, le parc national des Écrins/agriculteurs, le premier a PNM loue ainsi 21 ha (dont 11 ha en prés de fauche) en abondamment communiqué autour de cette opération 2004 au dernier éleveur d’Allos. La fauche est (programme européen LEADER). Le bocage champsaurin effectivement facilitée par la topographie du site fait partie des « paysages à enjeux », sous entendu agri- permettant la mécanisation. L’éleveur doit tenir des environnementaux, identifiés par la direction du parc clauses de restauration des prés de fauche : l’objectif est national. Les Opérations locales agri-environnementales bien agri-environnemental. (OLAE), proposées par la Commission européenne en 1992, ont permis l’instauration de contrats de gestion avec 2.3. Le loup et la « nature préservée » les agriculteurs à titre individuel ou collectif. L’objectif n’est pas ici de retracer les effets des Transformées en CTE puis CAD (Contrats d’agriculture retours des loups en zone centrale des parcs nationaux, durable), les opérations sont plus contraignantes et moins abondamment traités dans divers travaux, mais de montrer intéressantes financièrement. Mais 84 contrats ont pu être en quoi il influe sur la politique agricole des signés depuis 2001, assurant l’entretien de 140 km de établissements publics. haies pour 7 km de haies plantées. L’aspect environnemental repose sur la diversité ornithologique, la circulation des espèces dans les « corridors biologiques » 2.3.1. L’arrivée « déclarée » du loup dans le et le maintien des sols face au risque d’érosion. Preuve, Mercantour en 1992… s’il en est, du rôle bénéfique de l’agriculture à la diversité Le moins que l’on puisse dire est que le retour du biologique. Le parc des Écrins intervient auprès des loup fut facteur de crispations des relations entre les communes notamment pour ce qui touche au éleveurs et l’espace protégé. Il est d’abord « salué » remembrement et à la sensibilisation sur la « richesse » comme la récompense du travail de protection accompli des paysages concernés. internationalement, mais aussi en France, qui par la Les travaux de S. AUDOIN et C. CHATAIN (2002) protection des écosystèmes, a permis la réapparition dans le Mercantour visaient à optimiser l’exploitation d’espèces disparues. L’augmentation du gibier, la pastorale des alpages dans le cadre de la mise en place des reconquête progressive des espaces forestiers, font ainsi Contrats territoriaux d’exploitation. Le but est d’éviter le partie des facteurs avancés pour celle-ci. Evoqué en 1987 surpâturage de certains secteurs, le maintien des bêtes lors de « l’affaire du loup de Fontan », le retour dans d’autres de manière prolongée, afin d’obtenir la inexorable du prédateur depuis l’Italie a été plus ou moins gestion la plus efficace et la moins nocive écologiquement passé sous silence jusqu’a sa réapparition officielle en sur l’alpage. Sur l’unité pastorale de l’Alpe-Bonnette novembre 1992. Mais le parc national va commettre (commune de Saint-Dalmas-le-Selvage, haute Tinée, l’erreur de s’approprier l’épineuse gestion de l’animal, Alpes-Maritimes), occupée par deux troupeaux de alors que celle-ci sort du cadre de ses attributions et relève 2000 ovins et 80 chèvres, les auteurs ont proposé de l’État. D’où une assimilation progressive de 7 espaces de couchade, avec parc de contention mobile, l’établissement public aux attaques commises envers les en général proches des pierres à sel, réparties de manière troupeaux, ce qui va rendre sa tâche ardue. Dès lors,
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