The translation of contemporary Arabic literature in Europe - ESCUELA DE TRADUCTORES DE TOLEDO
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ESCUELA DE TRADUCTORES DE TOLEDO C U A D E R N O S ◆ N Ú M E R O 2 The translation of contemporary Arabic literature in Europe
O B S E R V A T O R I 0 P E R M A N E N T E s o b r e l a t r a d u c c i ó n d e l á r a b e The translation of contemporary Arabic literature in Europe Farouk Mardam Bey Isabella Camera D’Afflitto María Luz Comendador Gonzalo Fernández Parrilla Miguel Hernando de Larramendi Luis Miguel Pérez Cañada Marina Stagh Cuadernos ESCUELA DE TRADUCTORES DE TOLEDO N ú m e r o 2 Toledo, 1999
© ESCUELA DE TRADUCTORES DE TOLEDO, 1999 Palacio del Rey don Pedro Apartado de Correos nº 192 Plaza de Santa Isabel, nº 5. 45080 Toledo Tel.: (34-925) 22 37 29 Fax: (34-925) 21 41 05 E-mail: ettol@vri-to.uclm.es Depósito legal: 000000000 Diseño: Antonio Otiñano Impresión: Star Ibérica, S. A. Impreso en España
ÍNDICE Cuadernos ETT Nº 2 La réception en France de la littérature arabe 7 Farouk Mardam Bey L’Italie découvre la littérature arabe: est-ce grâce à Mahfouz? 15 Isabella Camera D’Afflitto The translation of contemporary Arabic literature into Spanish 29 M. L. Comendador, G. Fernández Parrilla, M. Hernando de Larramendi, L. M. Pérez Cañada The translation of Arabic literature into Swedish 41 Marina Stagh
La réception en France Cuadernos ETT Nº 2 de la littérature arabe Farouk Mardam Bey. Editions Sindbad E n 1960, il y avait à peine quatre ou guerre d’Algérie, avaient sérieusement cinq auteurs arabes contemporains affecté les rapports franco-arabes. Et traduits en français: on pouvait cela, sans doute, a grandement contri- trouver en librairie Le Livre des jours bué à la raréfaction de la traduction lit- de Taha Hussein, le Journal d’un subs- téraire de l’arabe en français. titut de campagne de Tawfiq al-Ha- Il y a aussi une autre raison, plutôt kim, quelques pièces de théâtre de Ta- technique, de cette pauvreté éditoriale: wfiq al-Hakim, deux ou trois recueils c’est que l’orientalisme français lui- de Mahmoud Teymour, et cela dans même ne s’intéressait pas –ou très peu– une maison d’édition peu connue, Les à la littérature arabe contemporaine. La Nouvelles Editions latines, et puis c’est France pouvait s’enorgueillir de ses tout. grands orientalistes, spécialistes de lit- De cette pauvreté, il y a deux rai- térature classique, mais personne ne sons. La première est politique. C’est suivait de près l’évolution de la littéra- le contentieux très sérieux qui oppo- ture contemporaine, sauf, peut-être, la sait la France au monde arabe dans les littérature populaire, la littérature en années quarante et, surtout, dans les dialectal, aussi bien en Afrique du années cinquante. Après Suez, la plu- Nord qu’au Proche-Orient. Mais je ne part des pays arabes, sauf le Liban, ont connais pas de véritables spécialistes rompu avec la France. Mais déjà la de littérature contemporaine, à partir querelle autour des indépendances de de la Première Guerre mondiale, et la Syrie et du Liban, le soutien fran- surtout après 1945. çais au sionisme conquérant, la lutte Cette situation a commencé à en Tunisie et au Maroc, le début de la changer dans les années qui ont suivi 7
Farouk Mardam Bey l’indépendance de l’Algérie, en 1962. man de Mahfouz, Passage des mira- Pour la première fois, on a publié la cles (Zuqâq al-Midaqq); le deuxième, traduction d’un ouvrage de littérature Construire avec le peuple de Hassan arabe vraiment contemporaine, celui Fathi. Il a repris ces deux livres plus d’une jeune femme libanaise, Layla tard, chez Sindbad, et, depuis, il faut Baalbaki (Je vis, aux Editions Jul- dire qu’il a fait un travail de très gran- liard). Entre Teymour et Layla Baal- de qualité. Les conditions politiques baki, on a donc occulté Mahfouz, Idris lui étaient à l’époque favorables. D’a- ◆ et beaucoup d’autres. Mais cette tra- bord parce qu’il s’est inscrit tout natu- Cuadernos ETT Nº 2 duction a eu un grand mérite: celui de rellement dans ce qu’on appelait «La montrer aux lecteurs français, aux politique arabe de la France». Ensuite, spécialistes français, qu’il y a une parce qu’il a eu un lien privilégié avec jeune littérature arabe, et que cette lit- un pays arabe en pleine expansion, à térature est articulée aux différents savoir l’Algérie. Cela, quoi qu’on dise courants de la littérature mondiale. aujourd’hui, a eu un effet bénéfique On pourrait parler aussi de certai- puisqu’il a permis à Sindbad d’exister. nes traductions dans la revue Orient Et c’est grâce à Sindbad que, dans les que publiait le Quai d’Orsay depuis années soixante-dix, des auteurs com- 1957 et qui a contribué, grâce notam- me Tayeb Salih et Youssef Idriss ont ment à Michel Barbot, à faire connaî- été traduits ; que, dans les années qua- tre la production littéraire la plus ré- tre-vingt, Adonis, Sayyâb, Bayâtî, So- cente. nallah Ibrahim et bien d’autres ont fait Un autre moment important a été leur entrée dans les librairies françai- l’anthologie en trois volumes publiée ses. Qui plus est, ces livres étaient gé- par Le Seuil de 1965 à 1967. A la pa- néralement bien traduits, le choix des rution de cette anthologie, certains tex- auteurs était judicieux, et la présenta- tes étaient déjà dépassés, notamment tion était d’une grande élégance. On pour la poésie et la nouvelle. Mais ce- avait là, en effet, des livres parmi les la était assez révélateur, et je crois que plus soignés de toute l’édition françai- beaucoup de Français ont entendu se, ce qui a amélioré le statut de la lit- pour la première fois parler de Sayyâb térature arabe en France. ou d’Adonis grâce à cette anthologie. Parallèlement à ce travail pionnier Mais le moment le plus important de Pierre Bernard, un certain nombre a été le lancement par Pierre Bernard, de maisons d’édition ont commencé en 1970, d’une bibliothèque arabe chez dans les années quatre-vingt à s’inté- un petit éditeur parisien, Jérôme Mar- resser à la littérature arabe. Je pense tineau, puis les Editions Sindbad, en d’abord aux Editions de Minuit qui y 1972. Chez Jérôme Martineau, Pierre sont arrivées par le biais de leur sou- Bernard a publié deux livres qui ont tien à la cause palestinienne, en pu- 8 eu un grand succès: le premier, un ro- bliant des poèmes de Mahmoud Dar-
La réception en France de la littérature arabe wich, une anthologie par Laâbi parue m’étendre un peu parce que je suis di- en 1983. Zayni Barakat, de Gamal rectement concerné. Ghitany, a paru aux éditions du Seuil Actes Sud a commencé par pu- en 1985, et, la même année, a débuté blier dans ses collections générales une autre expérience importante, celle deux livres de littérature arabe con- de l’Institut du monde arabe en colla- temporaine: l’un de Nabil Naoum, en boration avec les Editions Lattès. 1988, l’autre de Rachid El-Daif, en C’est dans cette collection qu’on a 1992. A partir de cette dernière date, édité Fouad al-Takarli, Hanan El- une expérience fort importante va être Cheikh, Youssef al-Qaid, al-Ujayli, et, menée par Yves Gonzalez-Quijano, surtout, la trilogie de Mahfouz. Mais avec la fondation de la collection c’était une collection très fortement «Mondes arabes». Pour la première subventionnée ; et, comme toujours, fois, la responsabilité éditoriale reve- quand l’éditeur ne prend pas de ris- nait à un directeur de collection ayant ques, il ne fait pas beaucoup d’efforts une idée précise de la littérature arabe, pour toucher le lectorat. Les traduc- ayant des préférences –qu’on soit ◆ tions étaient subventionnées à 100% d’accord ou non avec ses choix– et Cuadernos ETT Nº 2 et l’Institut du monde arabe couvrait s’inscrivant dans une stratégie à le tiers du coût de la fabrication. Et moyen terme. Pour la première fois depuis que l’IMA a cessé de le sub- aussi, un jeune arabisant français avait ventionner, Lattès n’a publié aucune accès aux responsabilités dans le do- traduction de l’arabe. maine de l’édition. Il y a deux jours, Un autre type d’expérience a été j’ai entendu quelqu’un dans la salle mené par l’IMA: c’est de soutenir une dire du mal des jeunes arabisants maison d’édition, dans les mêmes européens. Je crois, au contraire, que conditions à peu près, mais pour pu- ce qu’ils font est absolument remar- blier un livre dans une collection litté- quable et qu’il y a une avancée par raire non spécialisée: par exemple, la rapport à la génération précédente sur fameuse collection du «Monde En- un point fondamental: c’est la proxi- tier» chez Gallimard, où ont paru les mité –à la fois intellectuelle et affecti- ouvrages d’Emile Habibi. Le premier, ve– avec le monde arabe. Il n’y a pas Al-Mutashâ’il (Le Peptimiste), a été longtemps, les grands arabisants, à publié, en effet, avec une subvention quelques exceptions près, occultaient importante de l’Institut. tout ce qui n’était pas officiel, autori- Un peu plus tard, avec le Nobel de sé, reconnu. Les jeunes sont plus en Mahfouz, en 1988, une maison d’édi- phase avec les nouveaux mouvements tion, Denoël, s’est spécialisée dans la littéraires et plus sensibles aux aspira- traduction de son œuvre. Je dirai tout tions démocratiques des intellectuels. à l’heure ce que j’en pense. Puis, il y En tout cas, il faut savoir que la co- eut Actes Sud, et là je me permets de llection «Mondes arabes», entre 1992 9
Farouk Mardam Bey et 1995, a connu trois succès. Le pre- tous les ouvrages qui existaient sur le mier est un livre de Hanan El- marché français à cette date, qu’ils Cheikh, Femmes de sable et de myrr- fussent classiques ou contemporains, he, qui a été vendu à plus de 6.000 traduits de l’arabe ou écrits directe- exemplaires, avant d’être publié en ment en français. Au 31 décembre poche; le deuxième, le livre de Sona- 1995, quarante-cinq romanciers ara- llah Ibrahim, Dhât, traduit en fran- bes étaient déjà traduits en français, çais sous le titre Les Années de Zeth, vingt-trois poètes, trois dramaturges, ◆ qui a dépassé les 5.000 exemplaires; en plus de deux ouvrages inclassables, Cuadernos ETT Nº 2 enfin, phénomène exceptionnel en deux monuments de la Nahda: La France, les 3.000 exemplaires vendus Jambe sur la jambe d’Ahmad Fâris al- d’une anthologie de Mahmoud Dar- Chidyâq, et L’Or de Paris de Tahtâwî. wich, avec une presse enthousiaste, Ces chiffres sont assez étonnants pour ce qui est aussi très rare s’agissant de ce qui est de la poésie. Ils s’expliquent la poésie. En France –ce n’est peut- par le fait que beaucoup de poètes être pas le cas en Espagne– les plus vivant en France ont publié à compte grands poètes d’aujourd’hui ne dé- d’auteurs, chez certains éditeurs, no- passent pas, en effet, les mille exem- tamment L’Harmattan. Mais on cons- plaires, sauf évidemment lorsqu’ils tate que les plus grands poètes arabes sont publiés dans une célèbre collec- contemporains –Sayyâb, Bayâtî, Ado- tion de poche. nis, Mahmoud Darwîch, etc.– ont été En 1995, Actes Sud a racheté les traduits en français, et c’est un mou- éditions Sindbad, qui avaient des vement qui se poursuit. Sindbad a problèmes financiers à cause, d’une récemment publié une anthologie part, de la situation en Algérie, d’au- d’Ounsi al-Hâj; l’année prochaine, tre part, de la maladie de Pierre Ber- paraîtra celle de Saadi Youssef. No- nard. Cela a fait d’Actes Sud le pre- tons pour le moment qu’à la fin de mier éditeur français, peut-être euro- 1995, quelque soixante-quinze au- péen, dans les domaines arabe et isla- teurs arabes contemporains étaient mique. Car Sindbad, faut-il le préci- disponibles en français. ser, ne s’intéresse pas qu’à la littéra- En septembre 1995, j’ai pris la res- ture contemporaine, mais aussi à la ponsabilité de Sindbad et de la collec- littérature classique, à l’architecture, tion «Mondes arabes» chez Actes à la mystique, au domaine persan, au Sud. Mon souci principal était de «ba- domaine turc, etc.. naliser» la littérature arabe, c’est-à-di- Arrêtons-nous un moment à la fin re de la sortir de son exotisme, de la de 1995. Un travail mené par les bi- faire lire non comme un document so- bliothécaires de l’Institut du monde ciologique ou politique, non comme arabe et publié sous le titre Ecrivains un témoignage ethnologique, mais 10 arabes d’hier et d’aujourd’hui recense comme une création littéraire.
La réception en France de la littérature arabe Actes Sud a sans doute donné plus seillers éditoriaux. Ils ont souligné de visibilité –comme on dit aujour- aussi le coût élevé de la traduction. d’hui– à la littérature arabe contempo- Quand on fait ce qu’on appelle d’un raine, car il s’agit d’une maison d’édi- mot assez barbare «la moulinette», tion en pleine expansion, distribuée par c’est-à-dire quand on additionne tous Flammarion dans un important réseau les coûts, y compris les frais géné- de librairies. Cela permet une présence raux, on arrive à des sommes considé- physique du livre dans les librairies, en rables. Selon Chodkievitch et Ber- vitrine, sur les étalages. Le fait, par ail- nard, il fallait pour équilibrer ces coûts leurs, de passer un certain nombre de vendre 6.000 exemplaires (ce qui est livres dans la collection de poche «Ba- bien sûr exagéré). De toute façon, le bel» leur assure une diffusion constan- marché algérien a permis à Pierre Ber- te, à un prix très raisonnable. nard de poursuivre son travail pion- Qu’en est-il maintenant de la ré- nier. Au contraire, les éditions du ception de la littérature arabe contem- Seuil, après Zayni Barakat, publié en poraine en France? Quand on parle de 1985, ont attendu huit ans pour pu- ◆ réception, on pense d’abord au lec- blier un autre livre de Ghitany. Ce qui, Cuadernos ETT Nº 2 teur, mais il y a des médiateurs, des sur le plan éditorial, est absolument intermédiaires, et c’est là que les cho- injustifiable. De son côté, Denoël a ré- ses se décident. Commençons par les servé les droits de Mahfouz dont les éditeurs eux-mêmes. Je me rappelle livres se vendent à 8.000/9.000 exem- qu’en 1988, il y a dix ans, un colloque plaires, mais cela ne les a pas amenés a été organisé à l’Institut du monde à publier régulièrement des auteurs arabe, auquel a participé Pierre Ber- plus jeunes ; chez Denoël a paru un nard, suivi d’un autre colloque, au livre de Yahya Haqqî, un autre de Su- Caire, auquel a participé Michel laymân Fayyâd, et ce fut le seul de la Chodkievitch qui était le directeur du génération des années soixante aux- Seuil. Tous les deux se sont plaints quels nous nous intéressons tous. Gal- d’un certain nombre de défaillances limard s’est contenté de Habibi et de dans l’édition arabe, en mettant l’ac- Sahar Khalifa, Arléa d’Elias Khoury. cent sur l’absence de véritables édi- C’est dire que l’édition française, par teurs dans le monde arabe, qui travail- paresse ou découragement, est restée, lent pour leurs auteurs, qui tentent de dans ce domaine, en-deçà des Espa- les faire connaître, qui sont en contact gnols ou des Italiens. avec les éditeurs étrangers, etc. Ils ont Entre octobre 1995 et octobre noté aussi que la plupart des auteurs 1998, ont été édités cinquante livres arabes n’ont pas d’agents littéraires. sous le label Actes Sud, dont vingt- Et que les maisons d’édition françai- trois de littérature contemporaine, qua- ses n’ont pas assez de moyens pour torze dans la collection Sindbad, sept employer des arabisants comme con- dans la collection «Mondes arabes», et 11
Farouk Mardam Bey un dans Actes Sud-Papiers, collection Daoud. Ce sont pourtant des auteurs consacrée au théâtre. A quoi s’ajoute qui ont beaucoup publié en arabe, qui un hors-série, paru le mois dernier. Il nous sont proches et que nous aime- s’agit de Sabah al-Ward (Matin de ro- rions faire connaître au public français. se) de Naguib Mahfouz. Mais le libraire, même s’il apprécie A présent, Actes Sud est l’éditeur Sindbad ou Actes Sud, ne peut pas quasi exclusif de la littérature arabe mettre en évidence tous les livres ré- contemporaine, et ce n’est pas du tout cents. Ce qui fait que la durée de vie, ◆ une bonne chose. Parce que ce mono- ou l’espoir de vie, d’un livre est d’un Cuadernos ETT Nº 2 pole involontaire se traduit par une mois ou de deux mois. Après deux sorte de guettoïsation de cette littéra- mois, le livre est renvoyé à l’éditeur et ture. Il se trouve, en plus, que le di- il disparaît des librairies, sauf s’il a recteur de la collection est maintenant une très bonne presse. Tous les chif- un Arabe et que la plupart des notes fres qu’on vous donne des ventes sont de lecture sont écrites par des Arabes. des chiffres qui se rapportent aux trois Or ce n’est évidemment pas le but re- premiers mois. Sauf exception, le liv- cherché de la réactivation du mouve- re ne se vend plus au-delà: il se vend ment de la traduction. sur commande seulement, donc très Par ailleurs, de cette manière, les peu. autres éditeurs se dégagent un peu de Un autre problème difficile que leurs responsabilités: puisque Sindbad nous devons affronter à chaque publi- existe, on est tranquille, on n’investit cation est celui de la médiatisation. pas dans la littérature arabe, on n’es- D’abord, il est d’usage en France de saie même pas de s’informer sur la confier toutes les recensions de la lit- production éditoriale arabe. Si Gal- térature arabe à des journalistes d’ori- limard, Le Seuil, Denoël, etc. pu- gine arabe. C’est-à-dire que celui qui bliaient de la littérature arabe contem- va rendre compte des livres de Sind- poraine, Sindbad pourrait se spéciali- bad dans Le Monde, c’est Tahar Ben ser, porter ses efforts sur cinq ou six Jelloun, et c’est Maati Kabbal ou auteurs, faire un peu ce qui est fait Christophe Ayad, dans Libération. pour la littérature américaine, espa- C’est la croix et la bannière pour ob- gnole, etc.. Mais le fait d’être seul sur tenir une note de lecture d’un critique ce marché est un poids lourd à porter. littéraire français, qui accepte de lire L’année dernière, nous avons pu- le livre comme un roman, comme une blié quatre ou cinq «premiers romans». œuvre littéraire, et non comme un té- Cela ne pouvait pas marcher très fort! moignage, un document ethnologique C’est toujours difficile d’avoir à défen- ou sociologique. dre cinq nouveaux noms sur un mar- D’autre part, les hebdomadaires ché saturé. Muhammad El-Bisatie ne boudent ostensiblement la littérature 12 dit rien au lecteur français, ni Hassan arabe. Or ce sont probablement le
La réception en France de la littérature arabe support le plus important pour la dif- que. Il est rare qu’une note de lecture fusion. Depuis 1995, nous n’avons eu aborde l’écriture de l’auteur. Mahmoud aucune note de lecture dans Le Nouvel Darwich a publié chez Sindbad un en- Observateur, ni dans L’Express, ni semble d’entretiens sous le titre La Pa- dans Le Point, ni dans L’Evénement lestine comme métaphore. C’est un liv- du Jeudi. A quoi s’ajoute parfois un re que je trouve remarquable, où Dar- amateurisme doublé de malveillance. wich proteste justement contre la poli- C’est le cas d’un article publié l’année tisation de sa poésie, où il demande à dernière dans Le Nouvel Observateur la critique de traiter de sa poésie en –le seul, en trois ans, concernant la lit- tant que telle, et non seulement de son térature arabe– tout entier dirigé con- rôle dans le mouvement national pa- tre les écrivains égyptiens de la géné- lestinien. Or les notes de lecture à pro- ration des années soixante, et notam- pos de ce livre ont insisté, au contrai- ment Gamal Ghitany. Dans cet article, re, sur ce rôle, avec des titres du gen- la journaliste met dans la bouche de re: «Mahmoud Darwich, la voix du Gamal des propos qu’il ne pouvait peuple palestinien» ... Un autre exem- ◆ avoir dit –nous le connaissons assez–, ple: Gamal Ghitany a publié en Cuadernos ETT Nº 2 et quand il a envoyé une lettre à Jean français Waqâi Hârat al-Za`farânî, un Daniel, protestant contre la déforma- livre très complexe sur le plan de la tion de ses propos, elle n’a pas été pu- construction romanesque, mais cela bliée. Et puis, il y a les clichés. Tel n’a pas intéressé grand monde. On a journaliste va en Egypte pour faire un seulement dit que Gamal Ghitany, reportage littéraire à l’occasion de dans ce livre, luttait vaillamment con- l’Année de l’Egypte en France. Il re- tre l’intégrisme islamique! vient sans avoir rencontré un seul J’en ai terminé. Mais comme j’ai écrivain, mais convaincu de l’incom- promis de finir sur une note optimiste, municabilité entre écrivains égyptiens il m’est particulièrement agréable de et journalistes français! dire aux responsables de l’Ecole des Enfin, nous souffrons de la politisa- traducteurs de Tolède tout le bien que tion à outrance de la littérature arabe. je pense de leur travail. Leur lucidité Toutes les oeuvres traduites sont im- et leur persévérance nous donnent des médiatement saisies sous l’angle politi- raisons d’espérer. 13
L'Italie découvre la littérature Cuadernos ETT Nº 2 Arabe: est-ce grâce à Mahfuz? Isabella Camera D’Afflitto. Istituto Universitario Orientale, Nápoles J e vous parlerai d'abord de mon ex- à l'original, avec des introductions criti- périence de traductrice et directeur ques et des notes explicatives dignes d'une série littéraire consacrée à la d'un texte universitaire plutôt que d'une littérature arabe contemporaine. Je vous oeuvre littéraire; absence presque tota- donnerai ensuite un bref aperçu des tra- le d'une recherche esthétique dans la ductions faites en Italie par les orienta- langue cible, l'italien en l'occurrence. listes depuis le début de siècle et jus- Tout cela a produit dans le passé qu'en 1988. Par ailleurs, je vous parlerai une indifférence de la part des édi- des retards et des dégâts causés à une teurs italiens, qui ont ignoré complè- production littéraire que ces derniers tement la narrative arabe et l'ont relé- ont considéré mineure par rapport à la guée dans le domaine exclusif des production occidentale, et donc pas dig- études orientalistes. Cependant, la po- ne d'être traduite. Je vous parlerai enfin ésie est restée dans le domaine des des efforts réalisés par une nouvelle gé- spécialistes surtout à cause de l'absen- nération d'arabisants pour rattraper le ce de bons traducteurs-poètes. temps perdu et faire connaître le mieux Du début du siècle jusqu'à la fin de possible la littérature arabe contempo- 1970, mis à part le cas de Jibran Khalil raine ainsi que de l'accueil fait à cette Jibran, qui a continué jusqu'à nos jours production littéraire dans mon pays. à être publié –mais il s'agit surtout de Pour ce qui concerne le passé, les traductions de l'anglais– il y a eu très critiques peuvent être ainsi synthétisé- peu de traductions de l'arabe, et la plu- es: indifférence presque totale pour la part ont été des traductions faites dans production littéraire contemporaine; le cadre de publications académiques1. traductions trop scientifiques, trop liées Parmi nos orientalistes, Francesco Ga- 15
Isabella Camera D’Afflitto brieli a été le premier qui a cherché à cessé d'exister trois années seulement publier en dehors du milieu universitai- après sa création et après la publication re. Mais après deux livres parus dans de trois livres: il s'agit de trois recueils les années 40, un recueil d'écrivains de nouvelles d'auteurs égyptiens, tuni- égyptiens (Gabrieli, 1941), et un recueil siens et syriens (Barresi, 1977; Hamza- des écrits de Mayy Ziyadeh (Ziada, wi, 1979; Tamer, 1979). Cet échec peut 1945), il s'est tourné vers d'autres cen- être attribué à l'époque même, car il n'y tres d'intérêts et a presque abandonné la avait pas encore l'intérêt qu'il y a au- production arabe contemporaine. jourd'hui pour la production arabe con- ◆ Toujours dans les années 40 Umber- temporaine, et encore moins pour des Cuadernos ETT Nº 2 to Rizzitano a traduit de l'arabe Zaynab traductions qui ressemblaient plus à des de Muhammad Husayn Haykal (Haikal, études scientifiques qu'à des oeuvres lit- 1944), mais après il faut attendre les an- téraires, et c'est pourquoi ces trois livres nées 60 pour retrouver un autre livre tra- sont passés inaperçus, ont été ignorés duit de l'arabe: il s'agit du Livre des par la presse et par le milieu littéraire, et Jours de Taha Husein, traduit toujours par conséquent, n'ont pas été vendus. par Umberto Rizzitano (Husein, 1965). En 1976, Francesco Gabrieli et Vir- Il faut ajouter que, au début des ginia Vacca ont fait paraître une antho- années soixante, quelques maisons logie de la littérature arabe (Gabrieli, d'édition avaient déjà manifesté un Vacca, 1976), où parmi des morceaux certain intérêt pour le monde arabe. choisis de l'époque classique, il y avait C'était l'époque des événements algé- quelques extraits de la production ara- riens, et, par conséquent, les maisons be contemporaine, et bien sûr, selon les d'édition avaient publié un certain connaissances de l'époque, il y avait un nombre de travaux d'auteurs algériens bref extrait de Taha Hussain, Les jours, d'expression française (Haddad, 1960; un autre de Mahmud Taymur et Tawfiq Dal Sasso, 1962; Chraibi, 1974). al-Hakim, et une première nouvelle A la fin des années 70, l'Institut pour traduite de Nagib Mahfuz2. l'Orient de Rome, sous la direction Pour ce qui concerne les traductions d'Umberto Rizzitano, a créé une série de des pièces théâtrales, l'auteur le plus tra- littérature arabe contemporaine, "Colla- duit en Italie, comme d'ailleurs dans le na di letteratura araba contemporanea", reste de l'Europe, a été Tawfiq al-Ha- avec l'aide du Centre Nationale de Re- kim, dont ont été publiées jusqu'à la fin cherche (CNR). Toutefois, cette série des années quatre-vingts, dix-huit piè- n'a pas donné les résultats espérés et a ces, parues exclusivement dans des pu- 1. Il s'agit surtout de quelques traductions de nouvelles publiées dans la revue Oriente Mo- derno ou dans les revues des universités de Naples (Istituto Universitario Orientale) et de Rome (Scuola Orientale-La Sapienza). 16 2. En effet une autre nouvelle de Nagib Mahfuz était déjà apparue avant (Giuliani, 1966).
L'Italie découvre la littérature Arabe: est-ce grâce à Mahfuz? blications académiques. La seule Ahl al- En Italie, bien avant l'attribution des Kahf, par exemple a été traduite deux prix littéraires aux écrivains arabes, ont fois par deux orientalistes (Al-Hakim, paru les premières traductions moder- 1959; 1960). Hormis le cas de Tawfiq nes de la littérature arabe écrites en ara- al-Hakim, il y a eu également une dizai- be, par des écrivains palestiniens, et sur- ne de pièces d'auteurs arabes traduites à tout publiées pour la première fois hors partir de celles des frères Taymur, ainsi du cercle académique. L'auteur palesti- que dernièrement quelques pièces du nien le plus traduit a été Ghassan Kana- plus grand dramaturge arabe actuel, fani, dont les trois romans: Rijal fi Sa'd Allah Wannus, dont ont été tradui- shams, Umm Sa'd et 'A'id ila Haifa, pa- tes trois pièces, mais toujours dans le ca- rus entre 1984 et 1985. Dans la même dre de publications scientifiques (Wan- période ont été traduits aussi deux autres nus, 1984, 1989). Dans les années pas- courts romans: l'un d'Emil Habibi, Su- sées, le théâtre a été mieux connu par les dasiyyat al-ayyam al-sitta et l'autre de spécialistes, tandis que le roman et la Tawfiq Fayyad, Salim Bahlul(Palestina nouvelle ont été presque totalement ig- - Tre racconti, 1984; Kanafani, 1985). norés, non seulement par les éditeurs, Il faut dire qu'en Italie ces cinq tra- mais aussi par les mêmes spécialistes. ductions ont vraiment ouvert le che- Quelques données: du début du min à la littérature arabe contemporai- siècle jusqu'à 1988 ont été traduites 25 ne, parce quelles ont étés les premiè- pièces théâtrales, ou extraits de pièces res traductions de romans arabes à ◆ théâtrales, tandis que 12 romans ou être publiés par une maison d'édition Cuadernos ETT Nº 2 recueils de nouvelles, dont seulement normale même s'il s'agissait d'un petit 6 de 1984 à 1987, ont été publiés. éditeur, motivé, comme moi, d'un fort Cette dernière donnée s'explique engagement politique et du désir de par le fait qu'au début des années 80 il faire connaître la cause palestinienne, y a eu un véritable regain d'intérêt même à travers un travail littéraire. pour le monde arabe et par conséquent A ces premières traductions de la pour la production littéraire contem- narrative palestinienne il faut ajouter poraine aussi. un autre livre publié par la même mai- Ainsi, de même que dans les anné- son d'édition sur le théâtre palestinien. es soixante il y avait eu un certain in- Il s'agit de la traduction de trois pièces térêt pour la cause algérienne, dans les du théâtre de Ghassan Kanafani, d'E- années quatre-vingts en Italie, comme mil Habibi et de Mu'in Bsisu, tradui- dans le reste d'Europe, la question pa- tes par Ferial Barresi (Palestina Di- lestinienne a commencé à monopoli- mensione Teatro, 1985). ser l'attention des médias, d'où une Ce genre de littérature engagée, augmentation des publications sur la dont la diffusion était fondée sur une Palestine, et par la suite de la produc- sorte de militantisme politique, a na- tion littéraire palestinienne. turellement échappé aux réseaux com- 17
Isabella Camera D’Afflitto merciaux, mais dans le même temps il es à la littérature arabe ou de façon plus n'a pas été un véritable échec pour la générale à la production littéraire de la maison d'édition. Les romans de Ka- Méditerranée, dans l'espoir de pouvoir nafani, par exemple, ont connu deux eux aussi vendre des dizaines de mi- ou trois rééditions (chaque édition de lliers de copies, comme ce fut le cas 2.000 copies), et pour cette époque-là pour les éditeurs de Ben Jelloun5. ce résultat était très encourageant. Mais la plupart de ces éditeurs n'a- C'est pour cela que je pense que, en vaient pas les compétences nécessaires Italie, le vrai début de l'intérêt pour la pour entrer dans le domaine de la litté- ◆ littérature arabe a été la littérature pa- rature arabe, et ils se sont lancés surtout Cuadernos ETT Nº 2 lestinienne, qui pour la première fois a dans la traduction des auteurs arabes suscité l'intérêt de la presse aussi, mê- maghrébins d'expression française, lan- me s'il s'agissait essentiellement d'une gue qu'ils pouvaient bien lire. Tandis certaine presse militante de gauche3. que pour ce qui concerne la littérature Mais, comme on sait, a la fin des arabe, écrite en arabe, ils ont commis années quatre-vingts, il y a eu un autre bon nombre d'erreurs et de dégâts. Le élément qui a contribué à faire sortir la cas le plus révélateur a été celui de littérature arabe des académies: c'est l'égyptienne Nawal al-Sa'dawi, écrivain l'attribution des prix littéraires conférés dont on a publié deux romans traduits pour la première fois par l'occident à de l'anglais (al-Saadawi,1986; 1989), des écrivains arabes: le Prix Goncourt car les éditeurs ne savaient même pas (1987) à Tahar Benjelloun, un an avant que l'original était en arabe, et il y a eu le prix Nobel à Najib Mahfuz (1988). bien d'autres cas où les éditeurs ont tra- Lorsque, en 1987, a éclaté le cas de duit de l'anglais ou du français des ro- Tahar Ben Jelloun, qui a fait la fortune mans écrits en arabe sans le déclarer, surtout de quelques maisons d'édition chose qui ne peut pas échapper à l'oeil parmi les plus grandes d'Italie4, bien attentif d'un traducteur. d'autres éditeurs plus petits, se sont lan- Le grand événement du prix Nobel à cés dans cette aventure éditoriale et ont Najib Mahfuz en 1988 a vraiment pris inauguré des séries littéraires consacré- de court les maisons d'éditions italien- 3. La plupart des articles ont parus sur Il Manifesto, L'unità, Com Tempi nuovi, Avvenimenti. 4. Les oeuvres de Tahar Ben Jelloun ont étés publiées surtout par Einaudi de Turin et par Bompiani de Milan. 5. Pour ce qui concerne les données de vente des livres de Tahar Ben Jelloun, on peut af- firmer qu'aujourd'hui il ne vend pas moins de 25-30 mille copies. Par exemple, voici les données comparatives de la maison d'édition Edizione Lavoro de Rome, pour un roman de Tahar Ben Jelloun et un autre de Nagib Mahfuz: Moha le sage, Moha le fou de Tahar Ben Jelloun jusqu'à juin 1998 a vendu 21.749 copies, tandis que Miramar de Mahfuz a vendu 18 à la même date 4.500 copies.
L'Italie découvre la littérature Arabe: est-ce grâce à Mahfuz? nes, qui n'y étaient pas préparées. Et mythique atmosphère d'une Alexan- c'est ainsi que j'ai commencé ma carriè- drie d'Egypte, cosmopolite et mysté- re de traductrice, car à l'époque il n'y rieuse, que les italiens ont tant aimé. avait pas d'autres "universitaires" ayant A partir du moment où les maisons une expérience de traduction non acadé- d'éditions venaient de découvrir Mah- mique. Et comme j'ai affirmé récem- fuz et la littérature arabe, je me suis di- ment dans une entrevue à un journal te que celui-ci allait bénéficier d'une at- égyptien, je dois dire que "hazz Mahfuz" tention particulière grâce à son prix No- a été aussi "hazzi". C'est à dire la grande bel, et j'ai donc décidé de me tourner chance de Najib Mahfuz, et à partir de vers d'autres auteurs arabes qui, autre- lui de toute une littérature arabe, a aussi ment, seraient restés dans l'ombre. C'est été la mienne en tant que traductrice. ainsi que j'ai traduit un autre roman pa- De plus, à cette époque la littératu- lestinien, Said ou le Péptimiste d'Emil re arabe contemporaine continuait à Habibi, jusqu'à ce qu'une petite maison être considérée dans nos milieux uni- d'édition romaine, très courageuse, Jou- versitaires, comme un champ d'études vence, m'ait offert l'occasion de diriger de deuxième catégorie, et pas digne une série littéraire entièrement consa- de l'intérêt des orientalistes, qui criti- crée à la narrative arabe, que nous quaient en général ces traductions en avons nommée "Narratori Arabi Con- les classant comme des travaux pas temporanei", et qui a publié jusqu'à pré- digne d'un bon "orientaliste". Mais sent 30 romans des plus grands écri- ◆ heureusement cette mentalité com- vains arabes, tels 'Abd al-Rahman Mu- Cuadernos ETT Nº 2 mence doucement à disparaître, grâce nif, Edwar al-Kharrat, Baha Taher, Sa- aussi à une nouvelle génération d'inte- har Khalifa, Hanan Cheikh, Ghada llectuels comme Edward Said, qui a Samman, Jabra Ibrahim Jabra, Hanna finalement mis en évidence les mé- Mina, 'Abd al-Salam al-'Ujayli, faits de cette catégorie d'orientalistes. Ibrahim al-Koni et bien d'autres6, dont Si dans le passé je n'arrivais pas à les oeuvres ont étés toutes traduites par trouver des éditeurs, prêts à publier des jeunes arabisants, qui ont eu parfois mes traductions de l'arabe, voilà qu'au l'occasion d'avoir des contacts directs bout de quelques années les choses ont avec les écrivains. radicalement changé, puisque ce sont En Italie il faut citer deux autres les éditeurs qui sont venus me trouver maisons d'édition, Abramo de Catanza- pour me proposer des traductions et ro en Calabre et Edizioni Lavoro de Ro- bien sûr les premières traductions me, qui se sont engagées dans la publi- qu'on m'a offert étaient des traductions cation de la narrative arabe contempo- de Najib Mahfuz, dont j'ai traduit le ro- raine et qui n'ont pas eu toujours la vie man Miramar, que j'ai choisi pour la facile, surtout à cause du manque d'in- 6. Voir la bibliographie annexe. 19
Isabella Camera D’Afflitto térêt des médias pour des auteurs autres prendre conscience de leur erreur; ce- que Tahar Ben Jelloun et Najib Mahfuz. lle d'avoir signé des contrats de tra- Et de ces deux maisons d'édition, seule- duction sans avoir des garanties sur la ment la deuxième continue à publier traduction et sur la maison d'édition. des livres arabes, tandis que l'autre s'est Ce genre d'erreurs entre écrivain et tourné vers d'autres intérêts7. éditeur pourrait, sans doute, un jour Dans les années 90 bien d'autres pe- être évité avec l'aide d'une agence lit- tites maisons d'édition ont inauguré de téraire sérieuse et responsable, qui dé- nouvelles séries littéraires d'auteurs ara- fendrait les droits des écrivains et ◆ bes, mais ont échoué dans leurs aventu- pourrait leur épargner bien des soucis. Cuadernos ETT Nº 2 res après quelques publications seule- Sans entrer dans l'analyse du man- ment. Je cite par exemple un éditeur de que de clairvoyance ou du manque de l'Italie du nord, qui a abandonné la litté- vision à long terme de certaines petites rature arabe après la parution de deux maisons d'édition, qui ont publié des sé- seuls romans: l'un de Magid Tobiya ries consacrées à la production "médite- (Tubiya, 1991) et l'autre de Fathi Gha- rranéenne" contemporaine, ou plus lar- nim (Ghanim, 1991). Mais cette fois l'é- gement à la production du soi-disant chec revient surtout aux traductions qui "sud du monde", on peut se poser spon- étaient des travaux de thèses universitai- tanément la question de savoir si cette res, publiées sans aucun souci de rédac- production aujourd'hui est assez appré- tion, avec des dizaines de notes, incom- ciée par le lecteur italien, malgré le nom- préhensibles pour un lecteur ordinaire. bre d'oeuvres traduites. Depuis 1988, Un autre échec éditorial a été celui sans compter les données sur les livres d'une nouvelle maison d'édition sici- de Jibran Khalil Jibran, en Italie ont été lienne qui a publié trois livres traduits traduits plus de 70 romans ou recueils de de l'arabe, avant de disparaître complè- nouvelles d'auteurs arabes d'expression tement de la scène éditoriale italienne, arabe. Et d'autres sont en cours. et après avoir fait disparaître avec elle Mais l'impression qu'on peut avoir deux romans de Son' Allah Ibrahim et est qu'il y a encore une forte indifféren- un autre de Ibrahim al-Koni (Sonallah, ce envers cette culture qui, après tout, 1993; 1994; al-Koni, 1995). reste méconnue. On peut même arriver Ainsi des écrivains arabes ont été au paradoxe que le lecteur, aujourd'hui, très mal connus ou sont restés dans comme hier quand il n'y avait pas de l'ombre par la faute de ces éditeurs traductions, continue à avoir les mêmes peu sérieux. Ces échecs se retournent connaissances et la même attitude sté- avant tout contre les mêmes auteurs réotypée vers la culture arabe et en gé- arabes, qui ne seront jamais connus néral vers le monde arabo-musulman. dans un pays, mais ils doivent aussi Quand j'ai demandé à mes étudiants 20 7. Pour une liste des traductions de ces deux maisons d'édition, voir la bibliographie annexe.
L'Italie découvre la littérature Arabe: est-ce grâce à Mahfuz? d'arabe (première année) de l'Universi- lle entre l'Egypte et l'Europe", qui a eu té de Naples quelles étaient leurs con- lieu en 1995 au Caire (10 et 11 juin naissances de la littérature arabe et des 1995), les participants européens ont auteurs arabes, puisqu'ils avaient choisi parlé de la traduction de la langue ara- d'étudier cette langue, ils m'ont répondu be dans leurs pays respectifs, et ils se qu'ils connaissaient les "Mille et une sont trouvés d'accord pour dire que, en nuit", et ils savent qu'il existe un livre dépit des énormes efforts faits dans les saint qui s'appelle "Coran", mais ils dernières années par des maisons d'édi- n'ont jamais entendu parler de Mahfuz, tions, l'Europe, au-delà du cas de Tahar ni d'autres écrivains arabes. Ben Jelloun et de Najib Mahfuz, n'a pas Ce n'est pas l'Université de Naples réussi à faire sortir la littérature arabe la pierre du scandale, mais je peux vous d'un cercle étroit de quelque amateur ou assurer, en partant de mon expérience de quelque survivant tiers-mondiste. dans plusieurs milieux italiens de l'éco- Il faut donc faire une autocritique et le, ou de la presse, etc., que ces consta- chercher à comprendre si le résultat de tations sont vraiment très fréquentes et cet "échec" doit être imputé aux experts pas seulement chez les étudiants de pre- ou aux éditeurs, qui n'ont pas su encou- mière année de l'université, mais par- rager le lecteur européen à s'intéresser à fois même chez les intellectuels. cette partie du monde, ou plutôt il s'agit Malgré le grand nombre de traduc- d'un échec provoqué par une politique tions faites dans les dix dernières anné- éditoriale générale, qui suit la "Politi- ◆ es, et malgré l'augmentation de l'intérêt que" (avec un /P/ majuscule), et dans ce Cuadernos ETT Nº 2 politique pour cette partie du monde, il cas, nous nous rendons compte que n'y a pas eu une augmentation propor- nous nous sommes engagés dans la ba- tionnelle du désir de bien connaître le taille de Don Quichotte. monde arabe et par conséquent sa cultu- Si nous pouvons récriminer, il nous re. Il paraît, plutôt, que les informations faut admettre que les dégâts doivent qui filtrent à travers les traductions, au- être imputés avant tout aux orientalis- jourd'hui correctes, soient submergées tes, qui n'ont pas su préparer la nouve- par la marée d'informations fausses et lle génération à entrer dans l'actualité, inexactes que les médias insinuent dans qui n'ont pas été prévoyants et n'ont ja- l'esprit du lecteur occidental en général. mais considéré la traduction comme un Mais cette situation ne se limite pas moyen de connaissance du monde con- à l'Italie. L'expérience européenne du temporain. Ils ont condamné tout un projet "Mémoires de la Méditerranée", peuple, qu'ils avaient d'ailleurs eux- nous a bien montré qu'en Europe il y a mêmes choisi d'étudier, à demeurer les mêmes difficultés et qu'il faut com- dans leur âge d'or dans la conviction battre les mêmes stéréotypes, en Suède que le présent n'avait rien de bon à of- comme en Italie. Dans une conférence frir, et ils ont considéré la langue arabe internationale sur la "politique culture- comme une langue "morte" qu'ils tra- 21
Isabella Camera D’Afflitto duisaient seulement à l'aide des dic- Mais, si avec ces constatations j'ai don- tionnaires comme le latin ou le grec an- né un cadre trop pessimiste, je fais cien. Et c'est cette attitude qui a con- alors recours au "Peptimiste" d'Emile damné la culture et la production arabe Habibi pour dire que, après tout, la si- contemporaine à rester dans l'ombre. tuation pouvait être pire, car ces tra- Un orientaliste hongrois dans un ductions nous permettent aujourd'hui, livre des années 40 a écrit que les nous traducteurs de littérature arabe, orientalistes européens en général: d'exister et de nous réunir ici. "quand ils traduisent n'importe quelle ◆ oeuvre littéraire arabe, ils l'analysent Cuadernos ETT Nº 2 du point de vue philologique, mais ils NOTES ne la jugent pas selon l'esthétique. • GABRIELI, Francesco (1941): Narrato- Pour eux les oeuvres des écrivains ri egiziani (Testi di Giurgi Zaidan, M. orientaux sont des études scientifi- Husain Haikal, Muhammad Taymur, ques..." (Germanus, 1946: 229-230) Mahmud Taymur, Tawfiq al-Hakim, Pour revenir au titre de cette com- Taha Husain), Milano: Garzanti. munication, L'Italie découvre la litté- • GABRIELI, Francesco, Vacca, Virginia rature Arabe: est-ce grâce a Mahfuz?, (1976), Antologia della letteratura il faut admettre que, en dépit de toutes araba, Milano, Edizioni Accademia. ces traductions, des prix littéraires, ni • ZIADA, Mayy (1945): Luci ed ombre, Mahfuz, ni les autres auteurs arabes a cura di Francesco Gabrieli, Roma: traduits en italien, ont vraiment eu un I.T.L.O. poids dans le panorama littéraire ita- • HAYKAL, Muhammad Husayn (1944): lien, comme par exemple dans le cas Zeinab, traduzione di U. Rizzitano, de la littérature sud-américaine. Ainsi, Roma: IT.L.O. ces traductions n'ont pas pu changer ne • TAHA, Husein (1965): I giorni, (I e II serait-ce que le regard stéréotypé des parte) traduzione di U. Rizzitano, occidentaux vers le monde arabe, ou de Roma: Istituto per l'Oriente. façon plus générale vers le monde ara- • Narratori egiziani contemporanei bo-musulman. Comme on sait bien la (1977): a cura di F. C. Barresi, Roma: littérature stimulée par les prix littérai- Istituto per l'Oriente. res provoque parfois des modes pas- • Hamzawi, Rashad (1979): Quattro sagères, plutôt qu'un réel intérêt pour la novelle, a cura di L. Bettini, Roma: production littéraire d'un monde que Istituto per l'Oriente. nous ne connaissons pas, et surtout que • Tamer, Zakariyya (1979): Racconti, nous ne voulons pas connaître. En mê- a cura di E. Baldissera, Roma, Istitu- me temps, nous comprenons le succès to per l'Oriente. de Tahar Ben Jelloun, parce que, avec • HADDAD, Malek (1960): Una gazze- ses livres, il a très souvent confirmé le lla per te, trad. di Andrea Zanzotto, 22 stéréotype si cher aux occidentaux. Milano, Mondadori;
L'Italie découvre la littérature Arabe: est-ce grâce à Mahfuz? • DAL SASSO, Rino (1962): Poeti e na- muore sulle rive del Nilo, Torino, rratori d'Algeria, Roma, Editori riu- Eurostudio. niti. • TUBIYA, Magid (1991): La vergine • CHRAIBI, Driss (1974): La civiltà del Gurub, Paese, Pagus Edizioni; madre mia, trad. di R. Costa, Parma- • GHANIM, Fathi (1991): Il recinto di Milano, Franco Maria Ricci Editore. ferro appuntito, Paese, Pagus Edi- • GIULIANI, V.: "Un giorno da leone di zioni. Nagîb Mahfûz", Levante, 1966, 30- • IBRAHIM, Sonallah (1993): La com- 46. missione, trad. di D. Mascitelli, Ca- • AL-HAKIM, Tawfiq (1959): Quei della tania, De Martinis. caverna, a cura di R. Rubinacci, Na- • IBRAHIM, Sonallah (1994): Quell'o- poli, Istituto Universitario orientale. dore, Catania, De Martinis. • AL-HAKIM, Tawfiq (1960): La gente • AL-KONI, Ibrahim (1995): L'oro, Ca- della caverna, a cura di U. Rizzita- tania, De Martinis. no, Roma, Centro per le Relazioni • GERMANUS, Giulio (1946): Sulle or- Italo-Arabe. me di Maometto, Milano, Garzanti. • WANNUS, Sa'd Allah (1984): Serata di gala per il 5 giugno, a cura di G. Ouvrages de litterature arabe Abet, Fasano, Schena. contemporaine traduites en italien • WANNUS, Sa'd Allah (1989): L'ele- (1940-1998) fante o re del tempo, traduzione. di 1940 - 1960 ◆ M. Ruocco, Oriente Moderno, 69, • GABRIELI FRANCESCO, Narratori egi- Cuadernos ETT Nº 2 1989, 253-71. ziani (Testi di Giurgi Zaidan, M. Hu- • Palestina - Tre racconti (1984): a cu- sain Haikal, Muhammad Taymur, ra di I. Camera d'Afflitto, [Ghassan Mahmud Taymur, Tawfiq al-Hakim, Kanafani, Uomini sotto il sole; Emil Taha Husain), Garzanti, Milano 1941. Habibi, Sestina dei sei giorni; Taw- • HAYKAL MUHAMMAD HUSAYN, Zei- fiq Fayyad, Selim lo scemo], Roma- nab, traduzione di U. Rizzitano, Salerno, Ripostes. Kanafani, Ghas- I.T.L.O., Roma 1944. san (1985): Ritorno a Haifa; La ma- • MAYY ZIADA, Luci ed ombre, a cura dre di Saad, a cura di I. Camera di Francesco Gabrieli, I.T.L.O., Ro- d'Afflitto, Roma-Salerno, Ripostes. ma, 1945. • Palestina Dimensione Teatro (1985): • TAHA HUSEIN, I giorni, (I e II parte) a cura di F. Barresi, [Muin Bsisu, traduzione di U. Rizzitano, Istituto Sansone e Dalila, Emil Habibi, Casi per l'Oriente, Roma 1965. della vita, Ghassan Kanafani, La porta], Salerno, Ripostes. 1970 - 1988 • AL-SA'DAWI, Nawal (1986): Firdaus, • Antologia della letteratura araba Firenze, Giunti. (testi di Taha Hussain, Mahmud Tay- • EL SAADAWI, Nawal (1989): Dio mur, Tawfiq al-Hakim, Nagib Mah- 23
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