Villa Noailles, chambre n 3, David Dubois /quelques fertilisations

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Villa Noailles, chambre n 3, David Dubois /quelques fertilisations
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                Villa Noailles, chambre n° 3, David Dubois /quelques fertilisations

                À l'occasion de la présentation au public, en octobre 2007, des aménagements réa-
                lisés par des designers pour quatre chambres d'hôtes de la villa Noailles, Pierre
                Doze est invité à passer une nuit dans celle qui porte le n° 3. Elle est le fruit du
                travail de David Dubois.

                La chambre nourrit des visions / une main, à l'extrémité d'un bras tendu, qui
                apparaît au bout du lit, le premier matin / une suggestion de la myopie,
                accompagnant la sensation de réveil d'un boxeur (après un combat – la Villa
                est toujours un lieu de confrontations, diversement physiques) / avant que
                l'on découvre que cet organe n'est pas celui d'un noyé en train de sombrer,
                définitivement, mais la tige et la fleur d'une jacinthe seulement / le gonflable
                lumineux, installé dans le lit, était entre-temps devenu une bouée (amarrage,
                sauvetage, indication de récifs ? / dénommé airbag, il n'est pas conçu pour ce
                type de hantises / une fois lancé sur la piste / les indices tendent irrésistible-
                ment à se multiplier / ce sont les restes d'un sportif : la chaussure de basket au
                mur, on s'en souvenait forcément, dès l'entrée / mais ce survêtement à
                capuche, suspendu en vis-à-vis sanitaire, dont une poche laisse filer un rou-
                leau de papier, semblable à un mouchoir aspiré par la vitesse ? / que s'est-il
                passé la veille ? / qu'est-il advenu de ce possible coureur, inconnu, dont il ne
                reste que des effets, un peu partout ? / lorsque l'on parvient enfin à se libérer
                du scénario policier, un autre lui succède : la large écharpe étendue sur le lit
                porte l'inscription A.M. Stretter / la dimension littéraire est inévitable : à ajou-
                ter, donc, amour et drame (la femme du consul de France, plus chic que la
                noyade et le jogger mystérieux), mais on ne voudra pas nécessairement
                conserver l'ennui tout à fait pénétrant de l'India Song de Marguerite Duras /
                on en choisira plutôt la musicalité, sa scénographie.

                La dimension discrète des fonctions multiples portées par les objets est
                une caractéristique du lieu. Celles-ci n'ouvrent pas toujours – contrairement
                à ce qui a été suggéré ici, de manière très imprudente – sur des perspectives à
                caractère vaguement traumatisant. Ce n'est que l'une des possibilités : le petit
                cosmos d'objets et de dispositifs mis en place dans la chambre sont des tiroirs à
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                            significations. Ils portent en eux, presque à tous les coups, des contradictions :
                            ils parlent de rangement et de possibilités de désordre, aux sens propre et figuré,
                            ouvert ou caché. Liberté et contradiction s'accordent bien.
                            Cet endroit est une pièce gigogne, une « matriochambre ». Si elle rend pleine-
                            ment possible le travail, elle est aussi, certainement, organisée pour le repos.
                            Elle ouvre des vues très vastes et pose un lieu, confiné par sa superficie (15 m2
                            environ), comme espace de vie, nécessaire et suffisant.

                            Plutôt que de croiser une fois encore cette chimère du couteau suisse – où
                            toutes les fonctions, supposées égales entre elles, épaississent et alourdissent l'ob-
                            jet jusqu'à n'en faire qu'une incantation à la puissance démultipliée – ce sont
                            plutôt ici des compléments fonctionnels. Des fonctions « parasites », propose
                            leur auteur, qui doit s'intéresser certainement aux insectes, aux animalcules. Ces
                            accessoires fonctionnels constituent un paradesign : ne pas les découvrir, ou ne
                            pas les employer, n'altère pas la destination initiale de l'objet. Les mettre à jour
                            est aussi une joie (celle de la découverte naïve par l'utilisateur, s'en croire le
                            pionnier). Ce sont des poches d'espace, et de liberté d'usage (une récompense
                            pour la découverte), des contenants ou des supports qui ont renoncé à tout diri-
                            gisme. Ce sont des tiroirs furtifs : les sangles qui tiennent le bureau sont une
                            ceinture de révolutionnaire, remplaçant dans leurs plis les balles par des stylos et
                            des morceaux de papier. Un scotch de chantier au mur, qui semble condamner
                            une porte, offre des sinuosités de stockage (stickage) semblables. L'écharpe,
                            comme un accessoire de cérémonie pour le lit (est-ce celle du maire dans ses
                            grands offices ou l'étole du prêtre ?) est un ruban inaugural, témoignant d'une
                            possible virginité du lit (ce nom de Stretter qu'elle porte écarte l'hypothèse froi-
                            dement hygiéniste, promettant de la romance) : elle se double de grands sacs
                            zippés à ses extrémités. Elle pourra jouer au plaid sur la terrasse d'un soir plus
                            frais, ou protéger les pieds frileux. L'une des serviettes éponge, dans la salle de
                            bains, suggère l'expédition à la mer et cache une poche marsupiale : c'est un
                            kangourou de plage, qui permettra l'illusion d'une légèreté d'équipement tout
                            en protégeant certains ustensiles qui n'aiment ni l'eau salée ni le sable, ou dont
                            il paraît préférable d'éviter le contact, visuel ou épidermique.
                            Le végétal en pot est doublé d'un vase – il peut faire semblant d'être fleuri
                            toute l'année, s'hybridant librement, volage dans la continuité de sa produc-
                            tion florale, en changeant comme de propriétaire précaire, et de saison.
                            L'excroissance de l'une des poutres sommaires, qui sert d'appui au cadre
                            d'acier du sommier de lit à la manière de traverses de chemin de fer, devient
                            table de chevet d'une stabilité incontestable.
                            Le miroir de salle de bains s'incruste de tubes ou flacons (si on est encore
               En haut :    étreint par les spectres et d'humeur toujours littéraire, on verra peut-être
          Plant-vase chez   dans cette glace une incarnation de Grégoire, en version pomme de la
          Claude Aïello à
                Vallauris
                            Métamorphose de Kafka).
                            La chaise de bureau, que l'on nommera vite chaise à foutoir, très amicalement
                 En bas :   et sans concertation préalable avec son auteur, est sans doute l'un des objets
               Plant-vase   donnant la clé de lecture la plus claire de l'environnement : en tant qu'objet
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        Bureau Wall-table

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