70 ANS DE L'OTAN : RÉAFFIRMER LES VALEURS DE L'ALLIANCE - NATO Parliamentary ...

 
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COMMISSION SUR LA
DIMENSION CIVILE DE LA
SÉCURITÉ (CDS)

70 ANS DE L’OTAN :
RÉAFFIRMER LES VALEURS
DE L’ALLIANCE

Projet de rapport général révisé

Ulla SCHMIDT (Allemagne)
Rapporteure générale

132 CDS 19 F | original : anglais | 25 juillet 2019

Tant que ce document n’a pas été adopté par la commission sur
la dimension civile de la sécurité, il ne représente que le point de
vue de la rapporteure générale.
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                                                TABLE DES MATIÈRES

I.     INTRODUCTION : L'ALLIANCE DE DÉMOCRATIES ? .............................................. 1

II.    L'OTAN ET SES VALEURS DÉMOCRATIQUES : UN APERÇU HISTORIQUE ........ 2
       A.      LA PÉRIODE DE LA GUERRE FROIDE....................................................................... 2
       B.      ÉLARGISSEMENT DE L'OTAN ET NORMES DÉMOCRATIQUES .............................. 5

III.   LES SOCIÉTÉS EURO-ATLANTIQUES DANS UN ENVIRONNEMENT POLITIQUE
       MONDIAL EN MUTATION .......................................................................................... 8

IV.    CONCLUSIONS - INTÉRÊTS OU VALEURS : QUEL EST LE BON ÉQUILIBRE POUR
       L'ALLIANCE ? ........................................................................................................... 12

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 16
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I.    INTRODUCTION : L'ALLIANCE DE DÉMOCRATIES ?

1.     Alors que l'Alliance célèbre son 70e anniversaire, il convient de faire le point sur les valeurs qui
continuent de sous-tendre notre Alliance. Signé le 4 avril 1949 à Washington DC, le traité de
l'Atlantique Nord stipule dans son préambule la détermination des Alliés « à sauvegarder la liberté,
le patrimoine commun et la civilisation de leurs peuples, fondés sur les principes de la démocratie,
des libertés individuelles et de l'État de droit ». Dans l'article 2, les Alliés expriment leur engagement
à « renforcer leurs institutions libres ». Ces dispositions font de l'OTAN une Alliance unique, fondée
non seulement sur des intérêts communs, mais aussi sur des valeurs communes. C’est
principalement cette combinaison qui a fait de l'OTAN l'Alliance la plus performante de l'histoire,
celle qui a perduré et réussi à protéger la liberté de son peuple tant dans un monde bipolaire que
multipolaire.

2.     Au cours de la dernière décennie, d'importants développements technologiques, économiques
et démographiques ont modifié l'environnement politique et sécuritaire mondial. La suprématie
morale de l'ordre démocratique libéral n'est plus considérée comme acquise. La croissance continue
de la Chine semble remettre en question l'idée que la démocratie libérale est la seule voie vers la
richesse, une économie compétitive et un leadership technologique. La démocratie et les libertés
individuelles reculent dans certaines parties du monde. Il y a des signes évidents de perte de
confiance de la population dans les institutions politiques, de désenchantement à l'égard des
principaux partis et des médias, de polarisation partisane croissante et d'inégalités
socio-économiques. Combinés à des phénomènes tels que les fausses nouvelles, les bulles créées
par les médias sociaux et les chambres d'écho, ces développements ont un impact profond sur les
systèmes politiques occidentaux. Si rien n'est fait, ces clivages politiques et sociétaux croissants
pourraient affaiblir l'unité de notre Alliance et mettre en péril notre sécurité collective.

3.      En janvier 2019, la rapporteure générale et le rapporteur de la sous-commission sur les
relations transatlantiques de la commission politique, Gerald E. Connolly (États-Unis), ont adressé
une lettre à toutes les délégations de l'AP-OTAN pour leur demander de livrer leurs points de vue
sur deux questions fondamentales :
1 / Quel rôle l'OTAN joue-t-elle pour la sécurité de votre pays et pour la région euro-atlantique ?
2 / Considérez-vous que les tendances mondiales actuelles menacent les valeurs sur lesquelles
l'Alliance a été fondée ? Le cas échéant, comment l'Alliance pourrait-elle raviver sa cohésion
politique et idéologique ?

4. Les réponses reçues à la deuxième question révèlent que pour de nombreux délégués, il faut,
selon les termes de la réponse norvégienne, « se rappeler que l'OTAN n'est pas seulement une
alliance militaire, mais aussi une alliance de pays démocratiques adhérant à des valeurs libérales ».
Selon l’Allemagne, la Bulgarie, le Canada, l’Estonie et le Royaume-Uni, le régime russe actuel
constitue la principale menace externe pour le modèle de société occidental et pour l’unité de
l’Alliance, car il tente, par diverses activités hybrides, de saper les valeurs fondamentales de la
communauté euro-atlantique. Selon l’Allemagne, la Chine est à l’origine de menaces du même
ordre. Pour la Hongrie, « la menace la plus directe à l’encontre de ces valeurs fondamentales
provient de l’État islamique/Daesh, dont l’idéologie dévoyée est l’antithèse de ce que représente
l’OTAN », opinion que partage la Turquie. La République tchèque observe que l’influence religieuse
et économique de l’Arabie saoudite et de la Russie dans les Balkans occidentaux est un défi à
relever pour l’Alliance, tandis que la réponse roumaine signale les activités militaires russes dans la
région de la mer Noire. Pour la Pologne, la montée en puissance d’acteurs non gouvernementaux
ainsi que la révolution technologique remettent aussi en question l’ordre mondial fondé sur le droit.
Le Monténégro évoque les questions de terrorisme, de délinquance transfrontalière et de migration
illégale. La Lituanie souligne qu’« il ne suffit pas de préserver un haut niveau éthique », car les
adversaires de l’OTAN en exploitent le « politiquement correct » et la complaisance. Elle exhorte les
Alliés à « se défaire des vœux pieux et des intérêts économiques étriqués, qui sont propres à
alimenter les illusions et les perceptions erronées, avec les conséquences potentiellement
dangereuses qui s’ensuivent ». Le Royaume-Uni exprime le même point de vue, en observant que
« depuis la fin de la guerre froide, nous sommes devenus paresseux ». Plusieurs délégations

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remarquent que les défis lancés à l’Alliance proviennent également de l’intérieur. Par exemple, la
Lettonie fait état de « tendances générales au populisme, aux nationalismes extrêmes et à
l’autoritarisme, qui remettent directement en cause les valeurs de l’Alliance atlantique ». La Turquie
en appelle aux Alliés pour qu’ils manifestent de l’empathie les uns envers les autres et qu’ils tiennent
compte de leurs réalités respectives en matière de sécurité. Un consensus se dégage des réponses
obtenues, selon lequel, malgré les changements que connaissent la sécurité et l’environnement
politique au niveau mondial, les principes fondamentaux de l’Alliance gardent toute leur valeur. Selon
les termes danois, « quels que soient les changements et défis, la seule façon d’y faire face consiste
à respecter les fondements de l’Alliance ». Les réponses de nombreux pays, notamment de
l’Espagne et de la Lettonie, placent parmi les priorités la réaffirmation du lien transatlantique et une
coopération plus étroite avec l’UE. Plusieurs délégations exhortent l’OTAN à adapter ses structures
aux nouvelles réalités stratégiques, en particulier dans un contexte où des attaques hybrides
brouillent la limite entre les domaines militaire et civil. La Belgique rappelle la pertinence de la
doctrine Harmel (évoquée plus loin dans ce projet de rapport général) ainsi que l’importance de
conjuguer une défense militaire crédible et un dialogue politique. Le Canada souligne la nécessité
pour l’OTAN et pour les parlementaires des pays membres de poursuivre leurs actions de
sensibilisation et d’éducation du public, en tirant notamment parti des réseaux sociaux, et ce, afin
de mieux faire connaître les missions et valeurs essentielles de l’OTAN, en particulier parmi les
jeunes.

II.   L'OTAN ET SES VALEURS DÉMOCRATIQUES : UN APERÇU HISTORIQUE

      A.    LA PÉRIODE DE LA GUERRE FROIDE

5.     L'OTAN est née à une époque de profondes divisions idéologiques dans un monde bipolaire.
La lutte entre les deux blocs a été largement vue à travers le prisme d'une compétition entre deux
idéologies opposées : la démocratie contre la tyrannie communiste (du point de vue occidental) ou
le capitalisme contre le socialisme (comme présenté par Moscou). Mais l'idéologie n’a-t-elle pas été
utilisée comme un simple voile pour dissimuler les intérêts nationaux des puissances mondiales ?

6.     Cet argument peut certainement s'appliquer au bloc soviétique. Le pacte de Varsovie était
clairement un instrument permettant à Moscou de maintenir la subordination des pays d'Europe
centrale. Toute tentative de rébellion contre la domination soviétique fut réprimée par la force :
l'Allemagne de l'Est en 1953, la Hongrie en 1956, la Tchécoslovaquie en 1968 et la Pologne en
1980-81 1 . Malgré sa proximité idéologique, l'Union soviétique entretenait des relations tièdes -
parfois même hostiles - avec les régimes communistes en Chine et en Yougoslavie. D'une certaine
manière, la Russie d'aujourd'hui continue de suivre cette tradition, en déployant tous les efforts, y
compris la force militaire, pour empêcher les pays voisins d'échapper à sa sphère d'influence telle
qu’elle est perçue - l'agression contre l'Ukraine et la Géorgie en sont les exemples les plus
marquants.

7.    La prétention du bloc occidental à représenter l'idéologie démocratique libérale avait une base
beaucoup plus solide. Tout au long de la guerre froide, l'écrasante majorité des Alliés avait de solides
références démocratiques et était véritablement attachée aux libertés individuelles et aux droits
humains. L'unité de l'Alliance a été maintenue sur une base volontaire : la décision de la France de
quitter la branche militaire de l'OTAN en 1966, au plus fort de la guerre froide, a été respectée, de
même que la décision de la Grèce de suivre l'exemple de la France en 1974. L'adhésion à l'OTAN
a également été largement considérée comme un facteur déterminant pour s'assurer que l'armée
ouest-allemande respecte les principes démocratiques (Reiter et al., 2002). L'engagement de la
communauté euro-atlantique à protéger Berlin-Ouest était justifié non seulement pour des raisons
géopolitiques, mais aussi, comme l'a dit le président John F. Kennedy, parce qu'il s'agissait d'un "îlot
de liberté".

1     Dans le cas de la Pologne, l'invasion soviétique n'a pas eu lieu, mais la menace d'invasion a été un
      facteur clé qui a aidé le régime Jaruzelski à réprimer le mouvement Solidarnosc.

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8.      Enfin, en raison de l'opposition de plusieurs Alliés - notamment le Danemark, le Luxembourg,
les Pays-Bas et la Norvège - l'Espagne franquiste n'a pas été admise dans l'Alliance, malgré la
valeur ajoutée potentielle et significative de ce pays (pour l'Alliance) en termes de localisation
stratégique et de capacités militaires. Les propositions visant à inclure l'Espagne dans l'OTAN ont
fait l’objet de discussions, à différents moments dans les années 1950 et 1960, ainsi qu'au Conseil
de l'Atlantique Nord en mai 1975 (quelques mois avant la mort de Franco), pour finalement être
rejetées en raison du système politique non démocratique de l'Espagne (Carothers, 1981). La
transition démocratique dans l'Espagne de l'après-Franco a ouvert la voie à l'adhésion du pays à
l'OTAN en 1982.

9.    Cependant, le bilan de l'OTAN pendant la guerre froide en tant qu'alliance de démocraties n'a
pas été sans tache, principalement en raison de la manière dont elle a traité les régimes autoritaires
et/ou les coups d'État militaires au Portugal, en Grèce et en Turquie.

10. Le Portugal est l'un des membres fondateurs de l'Alliance, même si le régime d'Estado Novo
d'Antonio Salazar ne respectait pas les principes démocratiques tels que stipulés dans le traité de
Washington. Il est assez évident que les membres de l’OTAN ont apprécié la position neutre,
quoique pro-Alliés, du Portugal pendant la seconde guerre mondiale, ainsi que le fait d’offrir, par
l'admission du Portugal, une présence de l’Alliance dans la péninsule ibérique et dans les archipels
des Açores et de Madère au milieu de l'Atlantique. L’Estado Novo était par ailleurs généralement
considéré comme moins brutal que d’autres régimes ailleurs en Europe.

11. Néanmoins, dans les années 1960 et surtout au début des années 1970, la dictature
portugaise a été de plus en plus perçue comme un problème au sein de l'Alliance, d'autant que le
pays s'est engagé dans une série de guerres pour réprimer les mouvements de libération dans ses
colonies. Ces guerres ont été critiquées, à différentes étapes, par le président américain
John F. Kennedy, le Canadien Pierre Trudeau, les gouvernements de centre-gauche en Norvège,
aux Pays-Bas et en Italie, et par les ministres libéraux du Danemark, notamment dans le cadre de
l'OTAN. L'un des moteurs de cette critique était de dissocier le nom de l'OTAN de ces guerres
coloniales. Le ministre norvégien des affaires étrangères, Andreas Zeier Cappelen, a noté lors du
Conseil de l'Atlantique Nord (CAN) en 1971 que les politiques portugaises « sapent le soutien à
l'OTAN dans nos propres pays et nuisent à son image en Afrique ainsi que dans d'autres parties du
monde ». Les Alliés les plus puissants ainsi que les secrétaires généraux Manlio Brosio et
Joseph Luns ont cependant refusé de se joindre à ces voix critiques, espérant en partie que le
nouveau dirigeant portugais Marcelo Caetano, qui a remplacé Antonio Salazar, libéraliserait le
régime. Par exemple, le ministère britannique des affaires étrangères et du Commonwealth a fait
valoir à l'époque que l'OTAN n'était pas « un forum approprié pour discuter des affaires intérieures
du Portugal ou de ses politiques africaines ; une telle discussion serait très offensante pour les
Portugais et menacerait la cohésion de l'Alliance » (Lopes, 2016). Ensuite, le secrétaire général
Manlio Brosio a qualifié le débat sur le Portugal au sein du CAN de « futile », « dangereux » et
« sapant la substance de notre Alliance » (Sawyer Samp, 2017). La « révolution des œillets » au
Portugal en 1974 a mis fin au débat sur le déficit démocratique du pays.

12. La Grèce a représenté le premier cas de recul démocratique d'un pays membre de l'OTAN.
Le coup d'État militaire de 1967 n'a pas été bien accueilli par les Alliés et a entraîné la suspension
temporaire de la coopération militaire avec ce pays. Cependant, après que le nouveau régime eut
assuré aux Grecs qu'ils seraient les « meilleurs élèves de la classe atlantique », la coopération a
repris rapidement (Someritis, 1972). Sous le « régime des colonels », la Grèce a considérablement
augmenté ses dépenses de défense et a offert des installations à la 6e flotte américaine.

13. Le Danemark a été le critique le plus virulent à l'égard du « régime des colonels », et ce point
de vue a également été partagé par les Pays-Bas et la Norvège, qui sont allés jusqu'à lancer un
débat parlementaire sur l'expulsion de la Grèce de l'OTAN (Woodhouse, 1985). Ces critiques n'ont
pas eu d'incidence tangible sur la participation de la Grèce aux activités de l'OTAN, mais les Alliés

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ont continué d'attendre d'Athènes qu'elle revienne à des pratiques démocratiques. Par exemple, le
ministère britannique des affaires étrangères et du Commonwealth a noté que « nous avons
clairement fait savoir au gouvernement grec, tant en public qu'en privé, que nous devrions nous
féliciter de la restauration des processus démocratiques dans ce pays » (Lopes, 2016). Le parti
travailliste au pouvoir au Royaume-Uni a même adopté une résolution demandant l'expulsion de la
Grèce de l'OTAN (Nafpliotis, 2013). La démocratie a été restaurée en 1974, mais l'Alliance n’a guère
pu s'en attribuer le mérite.

14. La position de l'Alliance vis-à-vis des coups d'État militaires successifs en Turquie (en 1960,
1971 et 1980) est restée encore plus neutre. La situation géographique de la Turquie - encore plus
importante sur le plan stratégique pendant la guerre froide que celle de la Grèce et du Portugal - et
la perception de l'armée turque en tant que gardienne du système politique laïque de type occidental
dans le pays ont empêché toute pression significative au sein de l’Alliance sur la Turquie pour rétablir
des procédures démocratiques. Au cours des trois années de règne militaire qui ont suivi le coup
d'État de 1980, l'adhésion de la Turquie à l'OTAN n'a pas été sensiblement affectée et la pression
extérieure en faveur de la démocratisation est venue principalement des Communautés
européennes et du Conseil de l'Europe.

15. Il est important de noter que pendant la guerre froide, l'Assemblée parlementaire de l'OTAN –
connue alors sous le nom d'Assemblée de l'Atlantique Nord - a été l'un des forums les plus
importants pour discuter des cas de gouvernance non démocratique au sein de l'Alliance. À diverses
reprises, l’Assemblée a réagi par des mesures strictes à des régressions de la démocratie dans ses
pays membres : les statuts des délégations grecque, portugaise et turque ont été suspendus ou
rétrogradés en plusieurs occasions. La détermination de l’Assemblée à recourir à de tels extrêmes
a contrasté avec l’attitude plus conciliante de l’OTAN. Les débats sur les règles démocratiques ont
été particulièrement animés au début des années 1970, époque où trois pays de l’Alliance avaient
à leur tête un régime autoritaire. Lors des discussions et de l’adoption des documents de
l’Assemblée, de profondes divisions se sont fait jour entre nations alliées. Les parlementaires
scandinaves et néerlandais exhortaient leurs collègues à ne pas tolérer de dictatures au sein de
l’Alliance. D’autres s’abstenaient de critiquer ouvertement les affaires internes des nations membres,
l’unité de l’OTAN vis-à-vis du bloc soviétique primant à leurs yeux. En 1972, la commission politique
de l’Assemblée a débattu d’un rapport de Max van der Stoel, parlementaire néerlandais, qui déplorait
que « l’OTAN ne prenne pas la mesure de la répugnance que la situation en Grèce et au Portugal
inspire à de nombreuses personnes dans ses pays membres, et en particulier au sein de la gauche
démocratique ». Max van der Stoel soulignait que « l’autodétermination, les élections libres et l’État
de droit devaient être les principes gouvernant tous nos États membres ». L’année suivante, le
rapporteur néerlandais Peter Dankert évoquait la désapprobation de l’opinion publique, qui pointait
ce « paradoxe selon lequel on reprochait à l’Union soviétique sa politique répressive, alors qu’il y
avait au sein de l’Alliance des pays qui niaient la liberté d’expression, brûlaient des livres et
pratiquaient la détention sans autre forme de procès ». Les commissions de l’Assemblée
entretenaient en outre des contacts avec des dissidents, notamment le président du dernier
parlement grec. À la suite du coup d’État en Turquie en 1980, plusieurs délégations parlementaires
se sont opposées avec succès à la participation de la nouvelle délégation turque aux activités de
l’Assemblée. En 1984, la délégation turque a de nouveau été admise, sous réserve que « … soient
poursuivies avec vigueur de nouvelles actions visant à restaurer une démocratie à part entière ».

16. En résumé, pendant la période de la guerre froide, l'Alliance a joué un certain rôle dans la
promotion des valeurs démocratiques parmi ses membres, mais, on le comprend aisément,
l'approche réaliste et les considérations de sécurité ont prévalu sur l'objectif idéaliste de la pureté
démocratique au sein de l'Alliance. Bien que les rapports des « Trois Sages » (1956) et Harmel
(1967), commandés par l'OTAN, préconisaient une définition plus large de la sécurité, les concepts
stratégiques de l'époque de la guerre froide de l'OTAN étaient exclusivement axés sur la défense et
la dissuasion. Même si l'OTAN menaçait d'expulsion l'un de ses membres non démocratiques, il n'y
avait manifestement aucune volonté politique de le faire, comme l'a montré le refus de l'Alliance
d'appliquer à ces membres certaines sanctions mineures, comme la suspension de la coopération

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militaire ou le report des réunions de l'OTAN qui se tiennent dans ces pays. La position de l'OTAN
quant au lien entre démocratie et sécurité pendant la guerre froide, elle ne peut pas être mieux
décrite que par la citation du président américain John F. Kennedy sur les différentes options
politiques américaines concernant le dictateur Rafael Trujillo en République dominicaine :
« Par ordre décroissant de préférence : un régime démocratique décent, une continuation du régime
Trujillo ou un régime Castro. Nous devons viser la première possibilité, mais nous ne pouvons
vraiment pas renoncer à la seconde tant que nous ne sommes pas sûrs de pouvoir éviter la
troisième » (Poznansky et Carter, 2016).

17. Rétrospectivement, il aurait peut-être été plus prudent pour l'Alliance de trouver un juste milieu
entre la position très critique du groupe scandinavo-néerlandais et les politiques trop
accommodantes des grandes puissances de l'OTAN envers les régimes autoritaires du Portugal et
de la Grèce. Si cette dernière approche a prévalu à l'époque, elle a fini par poser quelques
problèmes à l'OTAN : lorsque la Grèce et le Portugal ont finalement rejeté leurs régimes autoritaires,
ils se sont aussi quelque peu distancés de l'OTAN, les forces démocratiques des deux pays ayant
été déçues par la collaboration de l'OTAN avec ces régimes (Hatzadony, 1996). Le nouveau
gouvernement d'Athènes a suivi l'exemple français et a quitté - temporairement - la branche militaire
de l'OTAN, tandis que le gouvernement de gauche du Portugal a envisagé de rejoindre le
mouvement des non-alignés. Pendant la dictature en Grèce, plusieurs délégations ont mis l’accent
sur des « problèmes d’opinion publique » vis-à-vis de l’OTAN dans leurs pays respectifs, tandis que
le représentant de la Norvège déclarait que « si l’on admettait des représentants du régime grec
actuel, la Norvège retirerait sa délégation de l’Assemblée. Le coup d’État militaire d’avril dernier a
suscité une nouvelle vague d’hostilité à l’égard de l’OTAN en Norvège. » Certains ont aussi vu une
corrélation entre autoritarisme et risque de conflit au sein de l’Alliance. Peter Dankert, alors
rapporteur de l’Assemblée, avait argumenté que la junte militaire grecque devait assumer la
principale responsabilité pour la crise de Chypre en 1974 et a reproché à l’OTAN de ne pas oser
« adopter une attitude critique envers la dictature grecque et exercer une forme ou une autre de
pression sur la junte, pour que celle-ci revienne à un gouvernement démocratique ». Le rôle du
parlementaire au sein de l’Alliance, publication de l’Assemblée parue en 1981, indiquait qu’il « était
tentant de croire qu’une réaction plus positive et plus unie des nations membres de l’Alliance lors du
coup d’État en Grèce aurait pu permettre une résolution plus rapide de la crise parlementaire et
enrayer la suite d’évènements qui allaient conduire aux hostilités entre la Grèce et la Turquie à
propos de Chypre » (Charman et Williams, 1981).

      B.    ÉLARGISSEMENT DE L'OTAN ET NORMES DÉMOCRATIQUES

18. La période entre la chute du mur de Berlin et la crise économique de 2008 est largement
considérée comme le zénith de la démocratie libérale. Dans son ouvrage « La fin de l'histoire et le
dernier homme » (1992), le penseur américain Francis Fukuyama a annoncé que le triomphe de la
démocratie libérale était si écrasant et définitif qu'il a mis fin de facto à l'histoire en tant que telle. La
« démocratie libérale » en tant que système politique pratiqué en Occident - fondée sur les libertés
individuelles, la primauté du droit, des élections compétitives, la liberté d'expression, l'économie de
marché, la laïcité, le politiquement correct et la protection des minorités - a été présentée comme le
seul type de démocratie véritable.

19. L'OTAN s'est profondément transformée en s'adaptant à l'ère de l'après-guerre froide - non
seulement en intervenant hors zone, mais aussi en soulignant le côté politique de son identité en
tant qu'Alliance politico-militaire. L'accent mis sur les valeurs démocratiques de l'OTAN est devenu
beaucoup plus important dans la rhétorique et les documents de l'Alliance. Le concept stratégique
de l'OTAN de 1991 appelait l'OTAN à bâtir la sécurité en Europe, notamment en favorisant « la
croissance des institutions démocratiques ». Au sommet de Madrid en 1997, les Alliés ont déclaré
que « [l]a consolidation de sociétés démocratiques et libres sur l'ensemble du continent [...] intéresse
donc directement et matériellement l'Alliance ». Le concept stratégique de 1999 réitérait également
l'engagement de l'OTAN à promouvoir la démocratie et précisait que les portes de l'OTAN sont

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ouvertes aux pays européens démocratiques qui répondent aux normes d'adhésion. Une ligne
similaire a été réitérée dans le concept stratégique 2010.

20. En effet, la politique de la porte ouverte de l'OTAN et, dans une certaine mesure les
mécanismes de partenariat de l'OTAN, offrent à l'Alliance un outil puissant pour promouvoir ses
valeurs démocratiques au-delà de ses frontières. Comme l'a déclaré le secrétaire d'État américain
Warren Christopher au Conseil de l'Atlantique Nord en 1993 : « Notre alliance de démocraties peut
contribuer à consolider la démocratie dans une Europe indivise en paix. Nous pouvons aider à
concevoir une architecture globale et inclusive qui renforce la sécurité et la liberté pour tous...
[L'élargissement de l'OTAN] renforcera la main des forces engagées dans la réforme politique,
militaire et économique » (OTAN, 1994). En 1995, l'Alliance a publié une « Étude sur l'élargissement
de l'OTAN » qui soulignait la nécessité pour les pays candidats d'avoir un système politique
démocratique et d'établir un contrôle civil démocratique de leurs forces armées. De plus, en 1995,
le secrétaire américain à la défense, William Perry, a identifié la démocratie comme l'un des quatre
principes (« principes Perry ») du processus d'élargissement.

21. Du point de vue des candidats, l'adhésion à l'OTAN était importante pour des raisons de
sécurité, mais aussi parce qu'ils estimaient partager les mêmes valeurs que les anciens membres
de l'OTAN. Par exemple, lors de l'adhésion de la Hongrie à l'OTAN en 1999, le ministre hongrois
des affaires étrangères, Janos Martonyi, a déclaré que la Hongrie « retournait à son habitat naturel »
et que « le destin manifeste de la Hongrie a été de rejoindre ceux avec qui [le pays] partage[ait] les
mêmes valeurs, intérêts et objectifs » (Perlez, 1999).

22. Les nombreux mécanismes d'adhésion et de partenariat de l'OTAN - y compris le Partenariat
pour la paix, le Plan d'action pour l'adhésion, le processus de planification et d'examen et le Plan
d'action individuel pour le Partenariat - sont principalement conçus pour réformer les secteurs de
défense et accroître l'interopérabilité avec les forces alliées, mais ils couvrent également certains
aspects d'autres réformes politiques et économiques. Les experts notent que l'OTAN est l'une des
principales organisations régionales qui a eu un « effet de socialisation » sur les pays candidats. En
effet, les interactions entre les élites politiques et militaires des démocraties naissantes et les
institutions de l'OTAN ont facilité l'adoption des fondements démocratiques de l'OTAN dans les pays
candidats et ont contribué à l'instauration de démocraties libérales multipartites dans ces pays.
L'OTAN ne peut certainement pas s'attribuer le mérite exclusif de ces transformations - l'UE a une
approche plus élaborée de la « conditionnalité démocratique » - mais elle a certainement joué son
rôle, en particulier en termes de promotion du contrôle civil démocratique des forces armées
(Cassis, 2008). L'Assemblée parlementaire de l'OTAN, par le biais de son programme Rose-Roth et
d'autres activités, a également joué un rôle important dans cet « effet de socialisation ».

23. L'importance de l'adhésion aux valeurs démocratiques en tant que critère d’adhésion a été
démontrée lors de la première vague d'élargissement de l'OTAN en 1999. Des invitations ont été
lancées en 1997 à la République tchèque, à la Hongrie (bien que ce pays soit géographiquement
séparé du reste de l'Alliance) et à la Pologne, mais pas au quatrième membre du groupe de
Visegrad, la Slovaquie. La réticence à l’égard de la Slovaquie était liée aux politiques
antidémocratiques du premier ministre Vladimir Meciar. En 1997, des dirigeants occidentaux tels
que le chancelier allemand Helmut Kohl et le président américain Bill Clinton avaient signalé que la
Slovaquie ne serait pas invitée en raison de « problèmes intérieurs », tandis que l'examen annuel
des pratiques en matière de droits humains du département d'État critiquait sévèrement le mépris
du gouvernement Meciar pour les règles démocratiques. Dans une lettre adressée au président
slovaque Michal Kovac, le président Clinton a souligné qu’« il reste encore beaucoup à faire pour
promouvoir un climat d'ouverture aux opinions et préoccupations opposées des minorités ». Les
Alliés ont toutefois clairement indiqué que les portes de l'OTAN restaient ouvertes à la Slovaquie
une fois que les préoccupations concernant la qualité de la démocratie seraient dissipées
(Goldman, 1999). La Slovaquie a rejoint l'Alliance en 2004, de même que six autres nouveaux
membres.

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24. La République de Macédoine du Nord en est un autre exemple. Depuis son indépendance, le
pays est en litige avec la Grèce au sujet de son nom. Au sommet de Bucarest de 2008, les Alliés
ont indiqué que le pays serait invité à adhérer à l'Alliance dès que la question du nom serait réglée.
Toutefois, au cours des années suivantes, le pays a régressé en termes d'État de droit et de liberté
d'expression. Lors de plusieurs visites de délégations de l'AP-OTAN à Skopje, un certain nombre
d'interlocuteurs, dont des diplomates occidentaux, ont souligné que même si la question du nom
était résolue, le pays devrait améliorer ses références démocratiques avant de pouvoir devenir un
membre à part entière de l'OTAN et de l'UE. La rapporteure générale soutient que, grâce à l'accord
de Prespa avec la Grèce, mais aussi grâce à l'amélioration des normes démocratiques dans ce pays
depuis 2017, une adhésion imminente de la Macédoine du Nord à l'OTAN devient possible.

25. L'engagement en faveur de la démocratie, des droits humains et de l'État de droit demeure
une condition préalable importante à l'adhésion à l'OTAN des trois pays candidats restants :
Bosnie-Herzégovine, Géorgie et Ukraine. Ces trois pays ont réalisé des progrès significatifs dans la
consolidation de systèmes politiques démocratiques et la tenue d'une série d'élections pluralistes2.
Les conseillers de l'OTAN ont joué un rôle essentiel en aidant la Géorgie et l'Ukraine à rédiger leur
récente législation, ce qui a considérablement renforcé le contrôle parlementaire démocratique des
secteurs de la défense et de la sécurité. Lors du dernier sommet de l'OTAN à Bruxelles en juillet
2018, les Alliés ont déclaré que « l'Ukraine, fermement attachée à la démocratie et à l'État de droit,
est la clé de la sécurité euro-atlantique ». Ils ont souligné l'importance de « réformes de grande
ampleur, y compris la lutte contre la corruption et la promotion d'un processus électoral inclusif,
fondé sur les valeurs démocratiques, le respect des droits humains, des minorités et de l'État de
droit ». En effet, l'incapacité de Kiev à obtenir des résultats tangibles dans la lutte contre la corruption
et les influences oligarchiques demeure3 un obstacle majeur à l'intégration euro-atlantique du pays34.
Ils ont également appelé la Bosnie-Herzégovine à « faire preuve de volonté politique, dans l'intérêt
de tous les citoyens de Bosnie-Herzégovine dans la poursuite des réformes politiques, économiques
et de défense ». En ce qui concerne la Géorgie, l'OTAN a souligné que la pression en faveur de
réformes démocratiques depuis 2003 a été « un puissant catalyseur pour un partenariat intensifié
avec l'Alliance ». L'OTAN soutient de vastes réformes en Géorgie dans les domaines politique,
économique, de la défense, des ressources, de la sécurité et du droit, comme indiqué dans le
programme national annuel.

26. Il est légitime d’affirmer qu'un recul démocratique important dans un pays candidat annihilerait
ses chances d'adhérer à l'Alliance. Sur une note positive, on constate que la Géorgie comme
l’Ukraine sont toutes deux sur la bonne voie pour ce qui est de leur processus de transformation et
qu’elles se rapprochent du niveau actuel des membres de l’Alliance dans les évaluations
internationales concernant le degré de liberté des médias, le respect de l’État de droit et les
conditions des échanges commerciaux. L'indice de perception de la corruption publié en 2018 par
Transparency International place la Géorgie à un rang plus élevé que dix des pays membres de
l’OTAN et qu’un pays prochainement intégré. La rapporteure générale s’exprime fortement en faveur
d’une approche « plus pour plus » pour soutenir les réformes géorgiennes et ukrainiennes, qui
ouvrent la voie vers une intégration européenne et euro-atlantique de ces deux pays.

2     Il convient toutefois de noter que l’évaluation des observateurs internationaux à l’occasion de l’élection
      présidentielle en Géorgie en 2018, n’a pas été aussi positive que pour les scrutins précédents. Si les
      observateurs ont en général jugé le scrutin « pluraliste et organisé de façon professionnelle », ils ont
      également considéré que le processus électoral avait été entaché par une « rhétorique excessive » et
      une « mauvaise utilisation des ressources administratives ». Ils ont conclu qu’« une des parties avait
      bénéficié d’un avantage indu, et que le caractère négatif de la campagne avait discrédité le processus
      des deux côtés ».
3     Selon l'indice de perception de la corruption de Transparency International, au cours de la période
      2015-2018, l'Ukraine est passée de la 130e à la 120e place dans le monde - des progrès nettement
      inférieurs aux attentes des partisans de la révolution EuroMaïdan.
4     Il reste à voir si le nouveau président, Volodymyr Zelensky, dont la campagne était axée sur un
      programme de lutte contre la corruption, ainsi que le nouveau parlement, parviendront à réaliser une
      avancée tangible dans ce domaine.

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27. L'Assemblée parlementaire de l'OTAN, et en particulier cette commission, a suivi de près les
progrès réalisés par les pays candidats en matière de démocratie, d'État de droit et de droits
humains. Elle a ainsi élaboré de nombreux rapports, recommandations de politique générale et
mené des visites exploratoires. Avant de décider d’accepter de nouveaux membres associés,
l’AP-OTAN a tenu compte d’évaluations établies par le Conseil de l’Europe, c’est pourquoi son
réseau de partenaires diffère quelque peu de celui de l’OTAN. Par exemple, l’Assemblée a mis fin
à sa coopération avec le gouvernement bélarusse quand, en 1996, celui-ci a opté pour un régime
autoritaire. L’Assemblée a également interrompu ses relations avec la Mauritanie, à la suite du coup
d’État survenu dans ce pays en 2008. Pour sa part, l’OTAN poursuit, bien que plus modérées, des
relations de partenariat avec le Bélarus et avec la Mauritanie.

28. Dans l'après-guerre froide, les opérations hors zone de l'OTAN étaient, dans plusieurs cas,
justifiées par des raisons humanitaires, plutôt que de sécurité. Par exemple, en mars 1999, le
secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, a justifié la décision de l'OTAN de lancer des frappes
aériennes contre la Yougoslavie par l'obligation de « soutenir les objectifs politiques de la
communauté internationale », « éviter une catastrophe humanitaire » et « prévenir davantage de
souffrances humaines, de répression et de violence envers la population civile du Kosovo ».
Le déploiement subséquent de la Force pour le Kosovo (KFOR) a été conçu, entre autres, pour
protéger les droits des minorités au Kosovo. Ce rôle est largement apprécié par les deux principales
communautés ethniques du Kosovo. En revanche, l’Alliance n’a pas été en mesure de forger un
consensus entre ses membres, de façon à agir de manière décisive pour mettre un terme à la terrible
crise sécuritaire et humanitaire en Syrie.

29. La rapporteure générale ne prétend pas que la politique de l'OTAN après la guerre froide a
été exclusivement idéaliste. Les aspects de la realpolitik étaient également clairement présents.
Par exemple, le rythme et la portée de l'élargissement de l'OTAN ont été influencés par des
considérations géopolitiques, en particulier le facteur russe. L'implication dans les conflits
balkaniques a été fortement motivée par la nécessité de stabiliser et de prévenir la propagation de
violences dans le « ventre mou de l'Europe ». Néanmoins, les deux premières décennies qui ont
suivi la chute du mur de Berlin ont marqué un rééquilibrage significatif de la pensée stratégique de
l'OTAN en faveur de justifications idéalistes.

III.   LES SOCIÉTÉS EURO-ATLANTIQUES DANS UN ENVIRONNEMENT POLITIQUE
       MONDIAL EN MUTATION

30. La crise économique mondiale de 2008-2009, la montée fulgurante des médias sociaux et la
crise des réfugiés ces dernières années ont eu un impact profond sur l'environnement politique
mondial. On considère généralement que la démocratie libérale est en recul. Freedom House estime
que la démocratie dans le monde s'est détériorée jusqu'à son point le plus bas il y a plus d'une
décennie. Selon l'indice de la démocratie 2018 de l'Economist Intelligence Unit, seulement 4,5 % de
la population mondiale vit actuellement dans une « démocratie complète ».

31. Il est alarmant de constater que presque toutes les études menées par d'éminentes
organisations internationales, des groupes de réflexion et des organismes de surveillance constatent
que l'érosion de la démocratie a eu lieu dans le monde industriel développé - le fondement de la
démocratie libérale. Le dernier rapport de Freedom House, Freedom in the World 2019, a enregistré
la 13e année consécutive de déclin de la liberté dans le monde, y compris parmi les démocraties de
longue date : au cours des cinq dernières années, sur les 41 pays qui ont été constamment classés
« libres » de 1985 à 2005, 22 ont enregistré une baisse nette de leur score. La grande majorité des
pays de l'OTAN se sont classés en tête de liste, mais trois Alliés et un futur membre de l’OTAN se
sont retrouvés dans la catégorie « partiellement libre », tandis qu'un Allié a été jugé « non libre ».

32. Les institutions de l'UE se sont également inquiétées de ce qu'elles considéraient comme un
recul démocratique chez leurs membres, la Hongrie et la Pologne : en septembre 2018, le
Parlement européen a adopté une résolution appelant à des sanctions contre Budapest pour des

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violations présumées de la liberté des médias et de l'État de droit. Le même mois, la Commission
européenne a poursuivi la Pologne devant la Cour de justice de l’Union européenne pour avoir
adopté une loi sur la Cour suprême qui, selon elle, était incompatible avec le droit communautaire
et portait atteinte au principe de l'indépendance judiciaire. Budapest et Varsovie rejettent ces
accusations, affirmant que le courant dominant de l'UE cherche à punir la Hongrie et la Pologne pour
leur position anti-immigrés. Il est intéressant de noter que le premier ministre hongrois Viktor Orban
lui-même a adopté le terme « illibéralisme », affirmant qu'il est compatible avec la notion de
démocratie.

33. L'étude de la fondation Bertelsmann sur la performance politique et les capacités de
gouvernance dans l'OCDE et l'UE a montré que, sur les 41 pays de l'OCDE et de l'UE interrogés en
2018, quelque 26 États présentent une dégradation de la qualité de leur démocratie par rapport à
l'enquête précédente il y a quatre ans. L'étude note également que les nouveaux dirigeants
populistes de plusieurs pays sont moins efficaces en termes de bonne gouvernance, car même
lorsqu'ils sont au pouvoir, ils restent souvent en mode « campagne permanente ». En conséquence,
conclut l'étude, « la capacité à résoudre les problèmes dans de nombreux pays de l'OCDE et de
l'UE a, en moyenne, diminué ces dernières années » (Bertelsmann Stiftung, 2018).

34. La présence de partis et de dirigeants populistes, protectionnistes et anti-immigration est l’une
des caractéristiques de la politique européenne depuis des décennies. Toutefois, ces tendances se
sont accélérées ces dernières années et, dans une certaine mesure, se sont également manifestées
de l'autre côté de l'Atlantique. La confiance du public dans les partis traditionnels a diminué dans la
région euro-atlantique : on estime qu'entre 2004 et 2015, la part des voix des partis anti-UE est
passée d'environ 10 à 23% en Europe (Brechenmacher, 2018). Les partis populistes en Europe du
Sud se revendiquent à la fois d'extrême gauche et d'extrême droite, tandis que le reste de l'Europe
est principalement confronté à l'extrême droite. Les nouveaux centristes pro-européens - comme La
République en Marche en France - mais aussi les mouvements écologistes, qui sont en pleine
ascension, peuvent également tirer parti du mécontentement dû au statu quo.

35. Aux États-Unis, les démocrates et les républicains continuent de dominer la scène politique,
mais là aussi, des candidats externes aux cercles de ces deux partis ont obtenu, ou presque obtenu,
la possibilité de se porter candidat à l’élection présidentielle de 2016. Contrairement à ce qui se
passe en Europe, le système politique américain reste à l'abri de la montée des partis
d'extrême gauche et d'extrême droite, mais la polarisation est notable entre les deux principaux
partis américains. Par exemple, les deux tiers des partisans démocrates considèrent le changement
climatique mondial comme une priorité absolue, pour seulement 21 % des républicains. Les
divergences d’opinions entre les deux partis se creusent également dans des domaines comme
l'immigration et les soins de santé. Selon le Pew Research Center, il y a 20 ans, et même plus
récemment en 2014, les points de vue des partisans démocrates et républicains étaient beaucoup
plus alignés les uns sur les autres qu'aujourd'hui (Jones, 2019).

36. Outre les partis, les sondages révèlent un déclin continu de la confiance dans les institutions
politiques. Aux États-Unis, par exemple, la proportion d'Américains qui ont exprimé une « dose
minimale de confiance » envers les dirigeants politiques est passée de 63 % en 2004 à 42 % en
2016 (The Economist, 2019). Des processus similaires sont en cours en Europe : selon
l'Eurobaromètre, la confiance dans les gouvernements et les parlements nationaux de
l'Union européenne est respectivement passée de 34 % et 38 % en 2004 à 27 % et 28 % en 2016.
Bien entendu, il existe d'importantes variations selon les pays et la confiance tend à être beaucoup
plus faible en Europe du Sud (Brechenmacher, 2018). En ce qui concerne la confiance portée à l'UE
elle-même, 40% des Européens ont une image positive de l'Union européenne (37% une image
neutre et seulement 21% une image négative) (Commission européenne, 2018). Toutefois, le vote
du référendum sur le Brexit et les critiques constantes de la bureaucratie et du déficit démocratique
de l'UE sont les symptômes d’un retard d’une refonte significative du projet européen.

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