80ème anniversaire du professeur Emile Gautier
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Personnalités / Persönlichkeiten Vol. 14 No. 5 2003 43 80ème anniversaire du professeur Emile Gautier Après d’autres stages, à Londres (Hospi- tal for Sick Children, Dr W.W. Payne, Prof. A. Moncrief) et aux USA (Buffalo Childrens Hospital, Dr C. Lowe), il a été de 1956 à 1963 chef de clinique au Kinderspital de Berne (Prof. E. Rossi). De 1964 à 1991, il a été responsable du département de pédiatrie du CHUV à Lau- sanne, période durant laquelle il a initié à la pédiatrie plus de 250 médecins, dont 122 pédiatres. Président de la Société Suisse de Pédia- trie en 1970/1971, il a proposé que les sous-spécialités pédiatriques aient des rencontres sur le plan Suisse. Il a égale- ment contribué à l’organisation de plu- Le 4 septembre 2003, une réunion a été sieurs congrès de la SSP (Montreux 1968, organisée à Lausanne pour fêter le pro- Lausanne 1970, 1971, 1982) et est mem- fesseur Emile Gautier à l’occasion de son bre d’honneur de la SSP. 80ème anniversaire. Co-rédacteur des Helvetica Paediatrica Vous trouverez ci-après un article de Acta, il a soutenu, dès la disparition de Bernard Pelet évoquant cette journée et cette revue la création de Paediatrica et a un exposé, donné à cette occasion, de continué. après sa retraite à collaborer Gabriel Duc sur les problèmes éthiques en activement à ce bulletin (également en médecine néonatale. nous faisant profiter de ses talents de des- Après des études de médecine à Genève, sinateur (couverture de Paediatrica durant Emile Gautier a effectué une formation en l’année 2001). sciences médicales de base à Berne (Prof. A. v. Muralt) et à Boston (Massachussetts Nous aimerions ici également lui rendre General Hospital, Dr A. Butler). Il a ensuite hommage, en le remerciement de son effectué des stages cliniques à Genève grand apport pour la pédiatrie d’ici et (Prof. M. Roch), puis à Zurich (Prof. G. Fan- d’ailleurs. coni). C’est durant cette période, qu’avec C. Gasser, il a publié la première descrip- tion du syndrome hémolytique urémique.1) 1) Gasser C, Gautier E, Steck A, Siebenmann RE, Oechs- lin R : Hämolytisch-urämische Syndrome: bilaterale Nie- rindennekrosen bei akuten erworbenen hämolytischen Anämien. Schweiz Med Wochenschr. 1955 Sep 20; 85 (38–39): 905–9 René Tabin, Sierre
Personnalités / Persönlichkeiten Vol. 14 No. 5 2003 44 Quand les parallèles se rejoignent: un défi pour la médecine de demain Ce jeudi 4 septembre, les anciens élèves ellement l’une des plus basse au monde l’introduction des 50 heures menace la du professeur Emile Gautier ont fêté le grâce à cette méthode scientifico-clinique formation des assistants dans des ser- 80ème anniversaire de leur ancien patron, (par exemple: associer l’administration vices hospitaliers devenus pléthoriques, la chef du Service de Pédiatrie durant des d’une solution OMS à la cuillère par la leçon donnée par le maître, ses élèves et décennies. Ils sont venus de toute mère à la mesure de leur poids) importée ses patients vaut la peine d’être méditée: l’Europe. Avec le temps et la distance, on par Antonio Torrado et son équipe formés humanité, écoute, observation, analyse, a pu prendre la pleine mesure de l’origi- à Lausanne et repartis dans leur pays décision. Et pour faire baisser le coût de nalité de son apport. après la révolution. En Algérie des échan- la médecine, il convient de pratiquer la Tous ont décrit son enthousiasme, son ges permanents ont été poursuivis jusque vraie médecine, celle où les parallèles se engagement pour les enfants de ce pays dans les années 1990 puis interrompus rejoignent. Merci professeur Gautier. et d’ailleurs, cette capacité si extraordi- pour des raisons de sécurité avec une naire d’associer médecine scientifique et perte de compétence pour les enfants de médecine clinique. Je me souviens d’un ce dernier pays. cas particulièrement difficile d’anémie Les anciens patients étaient également hémolytique dont la cause restait totale- présents et c’est de l’un d’entre eux qu’est ment incompréhensible; en examinant la venu le témoignage le plus émouvant. malade, le professeur avait découvert un Opéré plus de 40 fois, greffé 4 fois, la angiome stellaire suggérant une atteinte médecine, il la connaît par le dedans et il hépatique. De fil en aiguille nous avions pu a réussi sa vie. Il a expliqué son secret: construire notre diagnostic: une maladie écouter son corps, lui faire confiance et de Wilson avec manifestation de crises communiquer les messages au médecin hémolytiques. Ses anciens assistants, qui l’écoute à son tour. Ce secret, il l’avait devenus praticiens, ont bien décrit la pré- compris tout petit en parlant avec ceux qui sence de leur ancien patron penché par- le soignaient. Pour illustrer son propos, il dessus leur épaule, lorsque, noyés dans a utilisé une métaphore: il avait appris que leur consultation, ils devaient débrouiller deux parallèles ne se rejoignaient jamais un cas difficile. et en avait conçu une certaine tristesse; De la relation parents-fœtus, en passant plus tard, on lui a dit que peut-être, à par la physiopathologie du rein, aux mala- l’infini, la rencontre était possible mais dies métaboliques, il n’y avait pas un l’infini, c’est loin. Par la suite, il a vécu ses domaine qui ne le fascinât pas. expériences médicales et il a vu que Mais le chef de service, le scientifique, le médecin et patient pouvaient vivre leurs clinicien était aussi préoccupé par le sort expériences parallèlement ou au contraire des enfants des pays les moins favorisés. échanger et se rejoindre pour le plus grand Il a formé des pédiatres qui, au Portugal, profit de tous. C’est la voie qu’il a choisie en Algérie particulièrement, mais aussi pour gagner la partie. Grande et fascinante dans d’autres pays d’Afrique ou d’Asie, ont leçon. réussi à soulever les montagnes: au Por- A l’heure où la médecine est de plus en tugal, par exemple, la mortalité infantile, plus chère; à l’heure où l’on entend déjà qui était l’une des plus élevée du monde de sinistres craquements dans la coque avant la révolution des œillets, est actu- du titanesque Tarmed; à l’heure où Bernard Pelet, Lausanne
Personnalités / Persönlichkeiten Vol. 14 No. 5 2003 45 Néonatologie et Ethique: chronique d’un conflit annoncé1 Ce titre trop prometteur peut-être, mérite (troubles de la distribution de la ventilation duite régularisant la recherche. L’assen- une précision. Je n’ai pas l’ambition de à la perfusion, shunts et hypoventilation timent du patron suffisait pour justifier un confronter ici les exigences de la néona- alvéolaire) qui, chez le nouveau-né, peu- projet, son autorité avait valeur d’infailli- tologie dans son originalité avec les impé- vent tous bénéficier d’un traitement pour bilité. ratifs de l’éthique médicale. Mon but est lequel nous n’avions aucune expérience à Le bon sens nous a suggéré à l’époque plus modeste et plus personnel. l’époque: la ventilation artificielle à l’aide d’éviter d’exposer des enfants aux risques Je voudrais simplement décrire la chro- d’une machine. possibles du nouveau traitement si leur nologie de ma prise de conscience, au J’emploie le terme «machine» car il affection semblait évoluer spontanément cours de mon activité professionnelle, du exprime l’aspect agressif pour nous pédi- vers la guérison et de nous limiter à ne fait que les succès de nos interventions atres que représentait entre autre l’intu- ventiler que ceux qui semblaient si grave- visant à la restitution des fonctions vitales bation endo-trachéale, associée à toute ment atteints qu’on pouvait craindre une essentielles allaient fréquemment nous une mécanique de pistons, de tubes, de évolution fatale. Çela nous paraissait rai- mettre en conflit avec les exigences de tuyaux et de signaux d’alarmes visuels et sonnable! l’éthique. Celles-ci nous demandent non sonores au berceau de nos fragiles seulement de maintenir la vie mais patients. Etude clinique encore de juger de la valeur de notre inter- Durant quelques mois, six nouveau-nés vention sur les bienfaits qu’elle apporte à Choix des patients remplissant ces critères furent ventilés. long terme au patient quant à ses capa- Question: par qui commencer? Leur état clinique s’améliora sensiblement cités de créativité et d’intégration sociale, Je n’aborderai pas ici les problèmes tech- pour quelques heures mais finalement ceci en l’absence de souffrances physi- niques associés à l’adaptation des équi- tous moururent. ques et morales graves. pements utilisés chez l’adulte aux dimen- Pour illustrer ces moments de prises de sions du nouveau-né. Nous bénéficiions à Analyse conscience, je vais procéder chronologi- l’époque de l’expérience d’autres groupes Ce résultat était doublement décevant quement, par étapes. et il suffisait de bien les imiter. La question d’abord à cause de l’échec thérapeutique éthique que je veux aborder est celle du global mais aussi parce qu’il nous fallait 1ère Etape: choix des patients susceptibles de béné- après coup admettre que nous n’avions Introduction de la ventilation assistée. ficier du nouveau traitement sans souffrir rien appris. des effets secondaires possibles. C’est là En fait nous avions effectué un essai cli- Bases physiopathologiques bien sûr une question qui se pose tous les nique présentant des risques potentiels La mise sur le marché suisse au début des jours en recherche clinique. pour les patients et dont le résultat était années soixante d’un appareil crée par le Mais à cette époque les codes d’éthique impossible à interpréter. En l’absence d’un Professeur Astrup de Copenhague, per- pour la recherche clinique n’existaient pas groupe de contrôle non soumis au traite- mettant d’évaluer l’équilibre acido-basique encore. Le premier «international code of ment, toutes les interprétations restaient dans de petites quantités de sang artéri- ethics for biomedical research» date de possibles, en particulier celle d’accuser le alisé, facilement prélevé au talon du bébé, 1964: c’est le code d’Helsinki. traitement d’être responsable – du moins allait nous confronter à des évidences iné- La première recommandation de l’Aca- partiellement – des décès. luctables: l’hypoxie entraînée par les démie Suisse des Sciences Médicales sur affections pulmonaires du nouveau-né est la recherche utilisant des sujets humains C’était là un constat désagréable à faire causée par des mécanismes complexes date de 1989. car il mettait en cause notre responsabi- Il n’y avait dans notre clinique bernoise ni lité professionnelle, notre éthique; de plus 1) Conférence donnée le 4.9.2003 à l’occasion des 80 ans du Prof. E. Gautier commission d’éthique, ni lignes de con- – ce qui est plus grave – l’impossibilité de
Personnalités / Persönlichkeiten Vol. 14 No. 5 2003 46 tirer des conclusions valables était prévi- qu’il n’est pas légitime de la «chosifier» en et peut se résumer par la question: quand sible dès le départ de l’essai puisque nous l’utilisant comme simple moyen de et comment arrêter ce traitement ? avions expérimenté sans groupe de con- savoir servant aux fins d’autres intérêts et Le but de la ventilation assistée est de trôle. non pour l’aider en tant que personne». corriger l’hypoxémie et l’hypercapnie, ce qui, en combinaison avec l’arsenal de On peut argumenter pour notre défense Cette première étape dans la chronologie médecine intensive, doit permettre à que cette façon de faire était courante à de ma prise de conscience d’un conflit l’enfant, après un certain laps de temps, l’époque. La philosophie de Bradford Hill entre l’éthique et la néonatologie est par- de reprendre lui-même sa fonction respi- et de Cochrane concernant la recherche ticulièrement illustrative de la complexité ratoire. des preuves, l’établissement des éviden- des relations entre la mise en marche d’un Il est évident que si cette prémisse est ces, n’avait pas franchi les bastions de essai clinique et la responsabilité morale remplie, l’assistance respiratoire n’est l’empirisme de la pédiatrie. Elle a d’ailleurs des cliniciens engagés. La naïveté avec plus nécessaire. été bien longue à le faire. La robustesse laquelle nous avons cru bien faire en nous de l’étude contrôlée prospective de 1954 lançant tête baissée dans l’action n’est De même si l’assistance respiratoire est qui détecta l’oxygène comme le coupable explicable que par notre désir de pro- associée à une péjoration grave et pro- de la fibroplasie rétrolentale n’avait pas gresser. gressive de l’état clinique et des gaz du rencontré beaucoup d’adeptes en Europe. La prise de conscience de notre échec sang malgré le recours à tout l’arsenal thé- L’application des méthodes de l’épidé- méthodologique fait partie d’ une nouvelle rapeutique, l’assistance respiratoire doit miologie à la recherche clinique n’en était réflexion effectuée en néonatologie sous être arrêtée, même si le décès s’en suit, qu’à ses balbutiements. Il a fallu attendre l’influence de William Silverman, Ian puisqu’elle porte préjudice au patient et les années 70 pour qu’apparaissent des Chalmer, Jack Sinclair et David Sacket con- est peut-être facteur de souffrances ouvrages comme «Clinical Epidemiology, a cernant la structure de la méthodologie en inutiles. Basic Science for Clinical Medicine» recherche périnatale. Jusqu’ici aucun conflit avec l’éthique! C’est (David Sackett). l’évidence des situations extrêmes. L’essence de l’enseignement que l’on Les choses se gâtent dans la zone grise, Cette expérience révélait également une peut tirer de cette première étape de ma entre deux, lorsque malgré une normali- autre difficulté inhérente à tout essai chronique personnelle peut se résumer par sation des gaz sanguins et de l’état gé- clinique, relative au respect du principe la question: comment commencer un néral, l’enfant est incapable de reprendre d’autonomie. Dans la conception de essai clinique? par lui-même sa fonction respiratoire. Com- l’éthique, associée au nom d’Emmanuel En d’autres terme: comment sélectionner bien de temps va-t-on le garder branché à Kant, l’autonomie est à la fois le fonde- les patients que l’on va soumettre à un la machine? Si cela dure, on peut prévoir ment des devoirs éthiques et la raisons traitement dont ni les effets positifs ni les des complications. Après quelques première du respect dû aux personne effets secondaires ne sont connus tout en semaines, il faudra effectuer une traché- humaines. La formulation la plus connue respectant les patients en tant que per- otomie. De plus on sait que la ventilation de l’impératif catégorique de Kant est que sonne? mécanique entraîne avec le temps une les personnes doivent être traitées détérioration des structures broncho-pul- comme des fins en soi et non seulement 2ème Etape: monaires, ce qui rendra l’extubation en- comme des moyens. Quand et comment arrêter ce traitement core plus difficile. En d’autres termes,comme le dit Alex Mau- Et puis, on doit bien sûr se demander pour- ron: «c’est parce que toute personne Le conflit annoncé que je veux illustrer se quoi l’enfant ne respire pas spontané- humaine est potentiellement autonome rapporte encore à la ventilation assistée ment? N’est-on pas en train de garder arti-
Personnalités / Persönlichkeiten Vol. 14 No. 5 2003 47 ficiellement en vie un bébé qui présente semblaient pas, après des semaines de ce fut habituellement avec l’aide d’une une atteinte grave et irréversible de son lutte, rendre un enfant atteint dans son femme. Bent Hagberg à Göteborg colla- système nerveux central, ce qui est système nerveux central indépendant de borait avec son épouse qui, disait-on, faisait moralement inacceptable? sa machine, je me suis heurté à un tabou le travail pendant que Bent présentait les Le conflit annoncé entre les possibilités massif de la part de mes collègues pour résultats à travers le monde. Et puis, cher techniques de la néonatologie et les exi- lesquels l’arrêt de la machine signifiait un Emile, si la remarquable étude prospective gences de l’éthique est évident: geste d’euthanasie active, donc un geste lausannoise qui a été un des joyaux de ta • Faut-il continuer de ventiler avec la criminel, passible de sanction. Ainsi, pour clinique a été mise en route par des hom- seule justification de maintenir la éviter ce genre d’écueil, on ventilait ces mes, le duo Sam et André, aurait-elle pu vie? (en vertu du respect de la Vie) enfants jusqu’à leur décès. L’engagement grandir, mûrir et porter tous les fruits que • Faut-il arrêter le traitement dans la de tous était remarquable mais personne les néonatologistes du monde entier lui crainte de maintenir en vie un enfant ne voulait mettre en question cette marche doivent sans Claire-Lise? Notons en pas- sévèrement handicapé? (en vertu à suivre – difficile à accepter pour moi – sant l’absence presque complète des du respect de la personne que l’on mais qui pour mes collègues visait priori- américains dans cette liste d’auteurs. Le traite!) tairement à assurer à l’enfant toutes ses prestigieux Babies Hospital du Columbia chances de survie. Mais quelle qualité de Medical Center maintes fois cité aujour Je n’aborde pas ici les compléments sa survie? d’hui, n’effectuait dans les années septante d’informations que nous offre aujourd’hui aucun bilan neurologique des survivants. l’imagerie cérébrale moderne pour juger La question de la qualité de la survie est plus objectivement de l’état cérébral de ce essentielle dans le jugement de la valeur 3ème Etape: Comment gérer les conflits? patient. Ces renseignements n’existaient éthique de cette marche à suivre pas à l’époque. Ils sont de nos jours jusqu’au bout. Or la réponse à cette Cette étape est en rapport avec ma péri- d’une grande utilité mais ne remplacent question essentielle était impossible à ode zurichoise, qui débuta en 1970. pas la nécessité du jugement moral que je l’époque, car les études prospectives à Peu de temps après mes débuts à Zürich, viens d’évoquer. long terme étaient quasi-inexistantes. le Dr Peter Dangel, médecin chef de la Lorsque, dans les années soixante, j’ai Est-ce parce que ces études exigent de la division d’anesthésie et des soins inten- commencé ma formation de néonatologue patience, qu’elles sont longues et ne per- sifs du «Kinderspital» a mis au point un au «Babies Hospital» du Columbia Medical mettent pas des publication fréquentes système de transport des nouveau-nés qui Center de New York, je fus d’abord ent- (critères essentiels de survie académique) allait faire école en Europe. Un hélicoptère housiasmé par les résultas obtenus grâce qu’elles furent si longues à mettre en de la garde aérienne était (et est encore) à la ventilation assistée. La plupart des route? Un fait demeure: elles furent habi- stationné en permanence sur le toit de prématurés de plus de 1500 grammes trai- tuellement initiées grâce à l’initiative des l’hôpital. Le pilote et l’équipe de transport tés par cette technique survivaient. La femmes, par exemple Lula Lubschenko à étant rapidement à disposition pour toute courbe de survie dans l’unité s’améliorait Denver, Drillien à Edingburg dans les intervention! chaque année. L’attitude du groupe devant années cinquante, et plus tard Pamela Ce progrès était évident mais, comme tout les questions posées toute à l’heure m’a Davies et Anne Stuart à Londres, Pamela progrès, il nous a confronté avec de nou- en revanche déçu, ce qui a été l’occasion Fitzharding à Toronto, Claudine Amiel à veaux problèmes. L’efficacité du service a pour moi d’une prise de conscience qui Paris, Saroj Saigal à Hamilton, liste encouragé les médecins d’hôpitaux de la allait me préoccuper longtemps. A vouloir incomplète que je cite de mémoire. Suisse Orientale, des Grisons et du mettre en question des traitements qui Lorsque exceptionnellement ce furent Tessin que nous desservions à transférer me paraissaient futiles parce qu’ils ne des hommes qui mirent la main à la pâte, des prématurés de plus en plus immatures.
Personnalités / Persönlichkeiten Vol. 14 No. 5 2003 48 Mon expérience dans la ventilation assis- fesseur Prader et plus tard directeur de la En voici le texte: «Dans le cas de nouve- tée de bébés de poids inférieur à 1000 g clinique pédiatrique de Coire – et le pro- au-nés atteints de graves altérations mor- avait été mauvaise. A New York, tous étai- fesseur Rico Gitzelman spécialiste du phologiques congénitales ou de lésions ent décédés. Nous avions décidé de ne métabolisme, un ami qui s’intéressait à périnatales, le pronostic est particuliè- plus les ventiler. A Zurich, l’équipe de mes soucis. rement important. En cas de malforma- Peter Dangel n’avait pas d’expérience pour L’acceptation de notre démarche tendant tions graves ou de lésions périnatales du traiter ces fragiles petits enfants. à l’officialisation de l’euthanasie passive système nerveux central conduisant à Sur mon initiative, une première décision fut particulièrement difficile à accepter par des troubles du développement irrépa- concernant notre politique de limitation de les juristes, principalement par le profes- rables ou si le nouveau-né ou le nourris- l’emploi de la ventilation assistée fut seur de droit pénal, qui voyait dans notre son ne survit que grâce à la mise en prise dans le groupe de néonatologie et démarche une incitation à la non-assis- oeuvre de mesures techniques excep- des soins intensifs en accord avec le tance à une personne en danger. tionnelles et permanentes, le médecin patron de la maison, le Professeur Andrea Nous nous rencontrions une fois par pourra, après concertation des parents, Prader. Jusqu’à nouvel avis, la ventilation semaine à la Paulus Akademie une insti- renoncer à introduire ou à poursuivre de assistée restait réservée aux bébés pe- tution catholique de réflexions à la fois telles mesures.» sant plus de 1000 grammes. L’ouverture philosophiques et théologiques, ouverte d’esprit de mes nouveaux collègues aux exigences du monde moderne. Cette prise de position officielle de l’Aca- zurichois contrastait avec les tabous Après des mois de rencontres, le consen- démie Suisse des Sciences Médicales américains. Elle fut pour moi un encou- sus n’était toujours pas trouvé. C’est sur s’exprimant pour l’ensemble d’un pays et ragement à tenter de formuler des recom- la suggestion du directeur de l’Académie, autorisant dans cer taines conditions mandations concernant les indications des qui participait en observateur à nos séan- l’euthanasie passive du nouveau-né traitements intensifs chez le nouveau-né ces, que nous avons décidé de confronter représentait, je crois, une première mon- ainsi que les critères justifiant l’arrêt de les juristes et les théologiens du groupe à diale. Un article soutenant cette position tels traitements et permettre le décès. des situations cliniques concrètes, en les fut publié dans la Neue Zürcher Zeitung par Avec l’aide des différents spécialistes de invitant à des visites au lit du malade. le père Albert Ziegler, jésuite, membre de la maison, une liste de recommandations notre groupe. La publication fut suivies de fut établie et discutée démocratiquement Je suis convaincu que c’est cette démar- réactions très positives en Suisse. Deux dans l’auditoire avec tout le staff. Après che qui a permis de trouver le concensus. critiques négatives apparurent dans la diverses modifications, la liste «restrictive» L’ancien juge du Tribunal Fédéral formula presse médicale: une de la part d’un néo- fut adoptée. une recommandation, qui fut adressée à natologue allemand, l’autre d’un directeur Nous nous rendions bien compte que ce l’Académie Suisse des Sciences Médi- d’une clinique pédiatrique autrichienne. premier pas vers la formalisation de cales après avoir orienté Sam Prod’hom Peu après cette époque, des débats dans l’enthanasie passive nécessitait d’autre qui siégeait dans la sous commission différentes sociétés de néonatologie en précautions avant d’être rendu publique. d’éthique de cette institution. Europe furent ouverts, en particulier en Pour élargir le débat, nous avons créé un C’est lui qui contribua à la formulation France, en Suède, dans le Royaume-Uni, en groupe de réflexion interdisciplinaire com- finale du paragraphe concernant les nou- Italie et tout particulièrement en Hollande. prenant deux théologiens, un réformé et veau-nés intégré dans les «Directives L’importance du texte cité, émanant de un catholique, un professeur de droit médico-éthiques sur l’accompagnement l’Académie Suisse des Sciences Médica- pénal, un ancien juge fédéral à la retraite médical des patients en fin de vie ou souf- les, n’a pas besoin d’être soulignée. Il et, avec moi, deux pédiatres: le Dr. Dieter frant de troubles cérébraux extrêmes» était très encourageant et tranquillisant Vischer - à l’époque remplaçant du pro- (1976). pour nous, néonatologues, de nous sentir
Personnalités / Persönlichkeiten Vol. 14 No. 5 2003 49 soutenus dans notre démarche en faveur ture de la discussion, en d’autre les plus proches de l’enfant. Ce d’une régulation de l’euthanasie passive terme la mise en scène? groupe forme le noyau responsable de par des représentants importants de la • Qui porte la responsabilité de la l’analyse de toute mise en question. philosophie, de la théologie et du droit de décision finale? La mise en question de la légitimité d’un notre pays. • Quel est le rôle des parents dans traitement peut être demandée par les Notons qu’à ma connaissance aucun cas cette décision? parents, les médecins et le personnel de plainte pénale pour décision d’arrêt de infirmier de l’unité. traitement intensif chez des nouveau-nés Le temps me manque pour discuter ces L’analyse de chaque mise en question par- n’a été faite jusqu’à ce jour en Suisse. Ce différentes questions. Permettez-moi de ticulière doit se faire dans le cadre d’un qui n’est pas le cas aux Etats-Unis. me limiter à deux remarques: échange d’informations suivant un proto- La première concerne les critères à cole strict dans lequel les avis des mem- Le temps me manque pour discuter en observer dans toute analyse de cas clini- bres du staff et des spécialistes extérieurs détail les différent critères que nous exige- ques limites. C’est d’abord l’estimation à l’unité sont rassemblés. Cet ensemble ons pour justifier une décision d’arrêt de des chances de survie de l’enfant. Cette de données chiffrées et d’opinions per- traitement respectant les valeurs fonda- estimation est basée sur nos propres sonnelles doit permettre aux responsables mentales de l’éthique. Nous avons, il y a statistiques ou celles de cliniques analo- directs, le noyau du système, de prendre bientôt 10 ans, formé dans la clinique de gues à la nôtre. la décision la plus équitable possible. néonatologie du département de gynéco- Ensuite nous estimons la probabilité Cette décision est ensuite proposée et dis- logie et obstétrique un groupe d’éthique d’un développement exempt d’handicaps cutée avec les parents. sous la direction de Madame Ruth Bau- graves, sur la base d’études prospectives, Nous voulons par cette structure éviter de man, éthicienne, intégrant une théolo- par exemple celle du groupe lausannois. déléguer les responsabilités ultimes à des gienne, trois infirmières et trois néonato- De plus nous tentons d’estimer la durée personnes qui ne sont pas responsables logues dans le but de développer un probable du traitement intensif avant du traitement lui-même et ne connaissent modèle de structure de décision éthique. qu’une extubation soit possible. Cette du- pas intimement la situation clinique de Le résultat du travail de ce groupe vient rée représente une estimation de l’inten- l’enfant comme par exemple un comité d’être publié sous la forme d’une mono- sité de la souffrance imposée à l’enfant. d’éthique ou un philosophe, un théologien, graphie intitulée: «An der Schwelle zum Enfin, il nous parait important d’estimer un juriste, si sages soient-ils. eigenen Leben. Lebensentscheide am aussi le soutien que l’on peut attendre de Je suis conscient que ce résumé concer- Lebensanfang bei zu früh geborenen, kran- la famille après la sortie de l’hôpital (Ce nant la structure du débat éthique tel que ken und behinderten Kindern in der Neo- dernier élément est à juger avec une cir- nous le concevons est très incomplet et natologie» (Ed. Peter Lang 2002). conspection toute particulière pour éviter suscite en vous de nombreuses ques- des dérapages). tions... Nous y avons abordé les questions sui- Je ne puis que vous conseiller de consul- vantes: Ma deuxième remarque concerne les res- ter l’ouvrage cité plus haut en ajoutant qu’il • Quels sont les critères que l’on doit ponsables de la décision finale. a été déjà très apprécié par le Professeur respecter lorsqu’on analyse une situ- Nous pensons que la responsabilité de la Gautier lui-même. ation clinique dans laquelle la pour- décision concernant la poursuite ou l’arrêt En m’excusant, cher Emile, pour cette suite du traitement ou l’abandon d’un traitement intensif incombe premiè- intermède publicitaire, signe de notre mérite une justification éthique? rement au groupe qui s’occupe de l’enfant, temps, je tiens encore à te remercier pour • Comment se fait l’analyse du pro- c’est-à-dire le chef de clinique, le ou les as- le soin que tu as pris, au cours de toutes blème c’est-à-dire quelle est la struc- sistants ainsi que les infirmières qui sont ces années, pour m’encourager dans mon
Personnalités / Persönlichkeiten Vol. 14 No. 5 2003 50 travail, en particulier dans le sujet qui nous a occupé aujourd’hui. Je garde un souvenir ému des deux semaines où tu t’es engagé un jour comme observateur incognito dans ma cli- nique en suivant les visites et les inter- ventions comme un étudiant, te faisant appeler même la nuit pour participer aux interventions urgentes. Ta présence fut un grand encouragement pour moi-même et pour mon équipe qui apprécia particulièrement ton légendaire enthousiasme. Avec mes meilleurs voeux de joie et de santé dans ta retraite. Ad multos annos! Références: A disposition chez l’auteur. Gabriel Duc, Ebmatingen Adresse de l’auteur: Professeur Dr G. Duc Vordere Rainholzstrasse 10 8123 Ebmatingen
Vous pouvez aussi lire