ACCES AUX SOINS La médecine hospitalière et de ville en état d'urgence vitale
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ACCES AUX SOINS La médecine hospitalière et de ville en état d’urgence vitale Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Département des études • http://www.quechoisir.org
2 RESUME DE L’ETUDE Cette étude s’inscrit dans la continuité des travaux de l’UFC-Que Choisir sur l’accès aux soins sous l’angle de la fracture sanitaire1, qui se focalisaient sur la médecine de ville libérale et sa mauvaise répartition sur le territoire. Le présent travail élargit la focale à la médecine dans son ensemble, y compris salariée et en particulier hospitalière, et démontre l’insuffisance globale de l’offre de soins par rapport aux besoins. Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes : Les usagers se reportent sur les urgences faute d’accès à la médecine de ville Il n’y avait aucune étude en attestant sur la France, mais sur la base d’une analyse économétrique inédite, l’UFC-Que Choisir démontre et chiffre l’impact de l’offre de soins de ville sur le recours aux services d’urgences. Cette présente étude considère les données de 2013 à 2020 sur l’ensemble des établissements ayant un service d’urgences (hôpitaux publics et privés), en comparant leur activité avec la démographie médicale libérale des départements. Pour une zone donnée, nous concluons formellement à un effet de la faible offre de soins libéraux sur l’affluence aux services d’urgences des établissements hospitaliers. Il est donc injuste et intolérable de reprocher aux usagers d’engorger inutilement les urgences, comme le sous-entendent régulièrement les autorités, et il est inopérant de leur recommander de se tourner vers la médecine de ville lorsque celle-ci leur est inaccessible. La démographie médicale est insuffisante, et amenée à se dégrader jusqu’au milieu des années 2030 A court terme, il faut donc coordonner la permanence des soins entre ville et hôpital afin de gérer la pénurie au mieux, et chercher à assurer une prise en charge des soins non programmés. A moyen et long terme, il est indispensable d’accroître les capacités des universités, susciter suffisamment de vocations, et piloter la formation des médecins, par région et par spécialité en fonction des besoins prioritaires. A ce titre, le fait que les autorités n’aient pas prévu d’augmenter les capacités d’accueil d’étudiants en deuxième année de médecine à horizon 2025 au-delà de l’ordre de grandeur de la cohorte 2021 est particulièrement alarmant. En effet, la démographie médicale est amenée à se dégrader dans les années à venir du fait de départs en retraite, et à accroître qui plus est la fracture sanitaire, puisque l’étude met en évidence le fait que les départements ayant l’offre de soins de ville la plus dégradée sont généralement ceux où l’âge moyen des praticients est le plus élevé. Il existe par ailleurs un vivier d’étudiants ayant validé leur première année mais non admis en deuxième année de médecine. Il est donc incompréhensible que les autorités n’aient pas pour ambition de former davantage de médecins dans les années à venir, compte tenu de la croissance des besoins de soins de la population, en lien notamment avec son vieillissement. 1 https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-l-ufc-que-choisir-devoile-la-carte-de-l-intolerable- fracture-sanitaire-les-pouvoirs-publics-vont-ils-engin-agir-pour-la-resorber-n103835/?dl=107451 Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
3 TABLE DES MATIERES RESUME DE L’ETUDE _______________________________________ 2 I. LE MANQUE D’ACCES A LA MEDECINE DE VILLE SE REPERCUTE SUR UN HÔPITAL EN SURCHAUFFE ________________________________ 4 A. Contexte : l’accès défaillant à la médecine de ville se double d’un accès aux urgences qui n’est plus systématiquement en mesure d’être assuré ________________ 4 B. Une étude quantitative géographique, testant le lien entre activité des urgences et accessibilité de la médecine de ville ___________________________________________ 5 1) Méthodologie ________________________________________________________________ 5 2) Résultat : le manque d’accès aux soins de ville se répercute sur l’hôpital, quel que soit le modèle statistique retenu __________________________________________________________ 6 II. L’HÔPITAL EN TRAIN DE SOMBRER _________________________ 8 A. Une tendance à l’intensification du travail, du fait d’une offre de soins qui n’a pas suivi la hausse des besoins __________________________________________________ 8 B. Une dégradation accentuée par la crise du Covid (2020-2022) _________________ 9 C. Les conséquences délétères d’un accès dégradé à l’hôpital __________________ 10 1) La généralisation du filtrage aux urgences ______________________________________ 10 2) La fermeture de maternités ___________________________________________________ 11 3) Automne-hiver 2022 : triple épidémie de bronchiolite, grippe et Covid _______________ 11 III. UNE DEMOGRAPHIE MEDICALE DECLINANTE CAUSEE PAR L’INCURIE DES POUVOIRS PUBLICS ___________________________ 13 A. Le numerus clausus a artificiellement limité la formation de médecins _________ 13 B. La situation devrait continuer à se dégrader jusqu’en 2030… _________________ 14 C. … et pourrait amplifier la fracture sanitaire ________________________________ 16 D. Le numerus apertus, symbole des moyens limités consacrés à la formation _____ 18 IV. DES PISTES POUR AMELIORER L’OFFRE MEDICALE A COURT ET LONG TERME _____________________________________________ 20 A. Piloter la formation afin de cibler les spécialités et régions prioritaires __________ 20 B. Augmenter l’attractivité du métier pour former davantage de médecins _________ 20 C. Les maisons de santé ou la décharge du temps administratif _________________ 21 D. La coordination ville-hôpital : s’inspirer des solutions locales qui fonctionnent ___ 22 E. Des annonces récentes qui seront suivies par les usagers avec prudence _______ 23 DEMANDES DE L’UFC-QUE CHOISIR ___________________________ 25 Annexe : Densité et âge moyen des généralistes libéraux par département _____________________________________________ 26 Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
4 I. LE MANQUE D’ACCES A LA MEDECINE DE VILLE SE REPERCUTE SUR UN HÔPITAL EN SURCHAUFFE A. Contexte : l’accès défaillant à la médecine de ville se double d’un accès aux urgences qui n’est plus systématiquement en mesure d’être assuré Une récente étude de l’UFC-Que Choisir sur la fracture sanitaire a montré2 que 23,5 % de la population de la France métropolitaine avait des difficultés d’accès aux généralistes libéraux dans un rayon de 30 minutes autour de la commune où ils résident, et 52,4 % aux pédiatres libéraux dans un rayon de 45 minutes. En 2019, nous avions en outre souligné que près de la moitié des généralistes refusaient les nouveaux patients3, ce qui est particulièrement problématique lorsque le médecin traitant d’un patient prend sa retraite par exemple. Nous avons donc pointé l’existence d’un sérieux problème d’accès aux soins primaires en ce qui concerne la médecine de ville. Résultat : en 2021, 11 % de la population éligible4 ne disposait pas de médecin traitant5. Alors que l’accès à la médecine de ville est défaillant sur de larges pans du territoire du fait de la liberté totale d’installation dont bénéficient les médecins libéraux, les hôpitaux sont par ailleurs structurellement saturés. Or les autorités appliquent des politiques de plus en plus suspicieuses envers les usagers se présentant aux urgences : en effet, le FPU (Forfait Patient Urgences, facturant un montant 19,61 € à chaque patient étant reçu mais pas hospitalisé) est en vigueur depuis le 1er janvier 2022. En outre, la régulation de l’accès aux urgences s’est étendue à un nombre important d’établissements hospitaliers à l’été 2022, à travers un appel au 15 préalable obligatoire6. Pendant l’épidémie de bronchiolite touchant les bébés et autres enfants en bas âge de l’automne 2022, les autorités ont recommandé d’appeler le 15 ou le 112 avant de se présenter éventuellement aux urgences7. Pire, à l’hiver 2022-2023, une grève de médecins généralistes en pleine triple épidémie de Covid, grippe et bronchiolite s’est traduite par une saturation encore plus importante de services d’urgences de nombreux hôpitaux. Dans ce contexte, plusieurs dizaines de morts de personnes en attente de prise en charge ont été recensées8. Tout se passe donc comme si les autorités faisaient un raisonnement doublement à charge contre les patients : ils se présenteraient aux urgences de manière injustifiée (encore qu’il faille juger soi-même de la gravité de son cas), et auraient l’opportunité de consulter la médecine de ville plutôt qu’aller à l’hôpital. 2 Novembre 2022 ; https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-l-ufc-que-choisir-devoile-la- carte-de-l-intolerable-fracture-sanitaire-les-pouvoirs-publics-vont-ils-engin-agir-pour-la-resorber- n103835/?dl=107451 3 https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-enquete-aupres-des-medecins-generalistes-pres- d-un-medecin-traitant-sur-deux-refuse-de-nouveaux-patients-n73175/ 4 C’est-à-dire les assurés sociaux âgés de plus de 16 ans. 5 https://www.senat.fr/rap/r21-589/r21-5891.pdf 6 https://www.quechoisir.org/billet-du-president-acces-aux-soins-filtrage-a-l-acces-aux-urgences-ou-l- art-de-masquer-un-symptome-sans-traiter-le-mal-n102104/ 7 https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/bronchiolite/bons-reflexes et https://www.service- public.fr/particuliers/actualites/A16087 8 https://www.quechoisir.org/billet-du-president-greve-des-generalistes-liberaux-ni-la-fin-ni-les- moyens-ne-se-justifient-n105055/ Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
5 Aujourd’hui, la littérature scientifique sur des données françaises montre que seuls 2 % des patients indiquent s’être présentés à l’hôpital car ils pensaient que c’était gratuit, et seules 6 % des visites sont jugées inappropriées compte tenu de l’opportunité (ou non) de consulter un généraliste9. Souhaitant s’assurer que les autorités ne font pas indûment subir à l’usager la défaillance de la permanence des soins, l’UFC-Que Choisir a voulu élargir le champ d’analyse en vérifiant si les usagers se reportent ou non sur les urgences faute d’accès à la médecine de ville, en se basant sur des données empiriques, quantitatives et objectives. B. Une étude quantitative géographique, testant le lien entre activité des urgences et accessibilité de la médecine de ville 1) Méthodologie Pour établir son analyse, l’UFC-Que Choisir a collaboré avec les équipes de recherches quantitatives dans le domaine de la santé de l’école de management SKEMA Business School, qui ont récolté, traité et archivé des données à partir des sources publiques suivantes : • Statistique annuelle des établissements (SAE) de 2013 à 2020 (dernière année disponible) pour les données sur les services d’urgences des hôpitaux publics et privés. • Répertoires RPPS (Répertoire Partagé des Professionnels de Santé) pour les médecins, et ADELI pour les auxiliaires médicaux, notamment infirmiers, pour estimer la démographie médicale libérale au niveau départemental sur les années 2013-2020. • Données démographiques départementales annuelles de l’INSEE. Les observations portent sur 8 années, l’ensemble des médecins libéraux et hospitaliers, et plus de 600 services d’urgences grâce à une approche exhaustive10. La base porte sur 158,5 millions de passages aux urgences. L’étude économétrique réalisée par les équipes scentifiques de SKEMA Business School est basée sur des indicateurs obtenus à partir de ces données. D’après le rapport Braun (juin 2022)11, le manque de médecins urgentistes est la première cause de la saturation des services d’urgences. C’est pourquoi dans le cadre de cette étude l’UFC-Que Choisir a choisi d’élaborer un indicateur d’activité mettant en rapport, pour chaque service d’urgences, le nombre moyen de patients traités par jour et par médecin. Il représente le ratio entre le nombre moyen de passages aux urgences par jour sur une année et le nombre de médecins du service, en équivalent temps plein. L’étude porte sur 4 568 observations de cet indicateur. La moyenne d’activité des services d’urgences est de 11,2 patients par médecin et par jour, avec toutefois une forte hétérogénéité entre les établissements. Quant à la densité des généralistes et pédiatres libéraux, elle a été mesurée pour chaque département, en additionnant la totalité des professionnels exerçant uniquement en libéral, et des professionnels de santé ayant une activité mixte affectés d’un coefficient de 0,5 (en posant comme hypothèse qu’ils exercent à 50 % en libéral et le reste du temps en hôpital ou 9 https://qualitysafety.bmj.com/content/29/6/449 10 Seuls les établissements ayant ouvert ou fermé pendant cette période ont dû être exclus de l’échantillon, pour des raisons de méthodologie statistique. 11 https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_du_docteur_braun_- _mission_flash_sur_les_urgences_et_soins_non_programmes.pdf Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
6 en clinique). Ce nombre de médecins a ensuite été rapporté à la démographie de chaque département, pour obtenir un coefficient pour 100 000 habitants. Deux indicateurs ont été retenus : • densité de généralistes (moyenne annuelle nationale entre 2013 et 2020 : 96,7 médecins pour 100 000 habitants) • densité de généralistes et pédiatres (en moyenne 100,4 professionnels pour 100 000 habitants) Ce maillage par département, qui est le plus précis dont nous disposions sur la durée, comporte des limites intrinsèques. En effet, il n’y a pas de « frontières » infranchissables entre les départements ; les usagers peuvent tout à fait consulter dans le département voisin (voire à l’étranger pour les frontaliers). La méthode retenue fournit néanmoins une bonne estimation de la réalité de l’accessibilité des médecins, cela étant avéré par des tests de la robustesse de nos estimations. Afin de prouver de manière robuste le lien entre faible accessibilité de la médecine de ville et forte affluence aux urgences, plusieurs modèles statistiques ont été utilisés. D’abord, l’analyse du coefficient de corrélation a révélé le fait que l’activité des services d’urgences est négativement corrélée à la densité médicale, que l’on prenne en compte seulement les généralistes ou également les pédiatres. Cela signifie qu’une faible densité médicale est corrélée à une forte affluence aux urgences. Ces coefficients sont statistiquement significatifs12. Toutefois, l’existence de cette corrélation ne permet pas de conclure à une causalité13. Pour pouvoir inférer une causalité, une analyse des données sur plusieurs années a été effectuée, afin de jauger, pour chaque année donnée, si les valeurs « passées » de la densité médicale sont des bons prédicteurs de l’affluence « future » aux urgences. Un test statistique a permis de conclure à un lien de cause à effet uniquement de la densité médicale sur l’activité des urgences, mais non l’inverse (pas d’effet de l’affluence aux urgences sur la densité des libéraux). Cela confirme donc que l’inaccessibilité des médecins de ville provoque un report de la demande de soins vers les urgences. 2) Résultat : le manque d’accès aux soins de ville se répercute sur l’hôpital, quel que soit le modèle statistique retenu Nous avons ensuite cherché à quantifier cet effet de report des patients sur les urgences. Plusieurs estimations ont été effectuées, en tenant compte ou non des pédiatres dans la densité de libéraux, et en utilisant différents modèles économétriques dans un souci de robustesse. Les résultats de cette estimation sont les suivants : une diminution d’un pour cent de la densité des médecins libéraux dans un département aurait augmenté l’activité des établissements d’urgences localisés dans ce département, d’entre 0,4 % et 0,6 % sur le court terme14, et jusqu’à 0,9 % sur le long terme (en tenant compte de l’inertie15). Les résultats ci-dessus reposent sur une analyse rapportant les données de chaque établissement à la densité du département où il se situe. Les mêmes estimations ont été 12 Au seuil de 1 %. 13 Par exemple, le même facteur pourrait causer la faible implantation des libéraux et la forte affluence aux urgences. Ce ne serait donc pas l’indisponibilité des libéraux qui causerait, en soi, la forte activité des urgences. 14 Coefficients significatifs au seuil de 5 %. 15 Coefficient d’inertie significatif au seuil de 1 %. Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
7 réalisées en agrégeant tous les services d’urgences de chaque département, pour vérifier si l’analyse est robuste à un changement de méthodologie, ce qui est le cas. Ainsi, les patients ont bien tendance à aller davantage aux urgences lorsqu’ils ont un accès dégradé aux consultations libérales. La saturation des urgences ne peut donc pas être expliquée par une accumulation de consultations abusives de la part des usagers. Tout se passe comme si les usagers avaient tendance à se présenter davantage aux urgences lorsque la consultation chez un généraliste (ou un pédiatre) n’est pas une option accessible. Stigmatisé par des messages infantilisants de type « petit bobo : pas urgence »16 et des appels à se présenter chez son généraliste, les usagers se voient qui plus est facturés pour les passages aux urgences non suivis d’hospitalisation. Le patient qui rencontre des difficultés pour consulter un médecin doit arbitrer entre : • S’acquitter d’un reste à charge : urgences payantes si non suivies d’hospitalisation, ou médecin effectuant des dépassements (en particulier pour les spécialistes tels que les pédiatres : trois quarts des enfants vivent dans une zone où l’accès à un praticien respectant le tarif de la Sécurité sociale est problématique17) ; • Effectuer un temps de trajet important pour trouver une consultation de ville (plus de 30 minutes pour les généralistes, 45 pour les spécialistes) ; • Supporter un délai avant de décrocher un rendez-vous, risquant d’aggraver le motif de consultation entretemps, autrement dit, risquant qu’un problème de santé, qui initialement n’était pas urgent, finisse par le devenir. Toutefois, la saturation des services d’urgences ne saurait leur être reprochée : il est impossible de nier les difficultés des hôpitaux à répondre à la demande de soins, du fait de l’incurie des autorités (Gouvernements et administrations) depuis des décennies. 16 https://www.lequotidiendumedecin.fr/hopital/conditions-de-travail/communication-sur-le-bon- usage-des-urgences-les-campagnes-du-chu-de-montpellier-et-du-ch-de-beziers 17 https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-l-ufc-que-choisir-devoile-la-carte-de-l-intolerable- fracture-sanitaire-les-pouvoirs-publics-vont-ils-engin-agir-pour-la-resorber-n103835/?dl=107451 Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
8 II. L’HÔPITAL EN TRAIN DE SOMBRER A. Une tendance à l’intensification du travail, du fait d’une offre de soins qui n’a pas suivi la hausse des besoins Avant même la crise du Covid au début de l’année 2020, le nombre de passages aux urgences traités par médecin et par an a connu une tendance à la hausse : de 2 682 en 2013 à 2 914 en 2019 ; et de 1 030 à 1 076 patients par an en moyenne pour les infirmières travaillant dans ces services sur la même période. Cela traduit le fait que l’offre de soins n’a pas suivi la demande depuis les années 2010. En effet, la démographie des urgentistes comme la dépense de soins ont augmenté depuis 2010. Tableau 1 : Effectifs de médecins urgentistes (équivalent temps plein) année 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 EQTP médecins 6586 6530 6694 6768 7068 7186 7208 7518 Sources : SKEMA Business School, calcul de l’UFC-Que Choisir Tableau 2 : Dépense de soins hospitalière annuelle (euros par habitant) année 2010 2015 2019 2020 Dépense par habitant 1240 1357 1441 1491 Secteur public 953 1048 1108 1166 Secteur privé 287 309 333 324 Sources : Drees, Insee, calcul de l’UFC-Que Choisir Toutefois, cet effort budgétaire s’est révélé insuffisant par rapport à la hausse de la demande de soins liée à l’évolution de la pyramide des âges, et en particulier au vieillissement de la génération du baby boom : Tableau 3 : Âge moyen de la population Année 2010 2015 2019 2020 Age moyen 40,1 ans 40,9 ans 41,7 ans 41,9 ans Source : Insee Tableau 4 : Population âgée de plus de 75 ans année 2010 2015 2019 2020 population (millions) 5,58 5,97 6,15 6,24 proportion 8,9 % 9,3 % 9,4 % 9,6 % Source : Ined Cette évolution démographique pourrait donc expliquer pourquoi l’activité des urgences s’est intensifiée depuis les années 2000. En effet, les personnes de 85 ans ou plus sont la tranche d’âge au taux de recours aux urgences le plus fort18. De plus, les passages aux urgences des 18 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/er1128.pdf Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
9 personnes âgées de plus de 75 ans ont une durée médiane environ deux fois plus longue que ceux des 15-74 ans19. Ainsi, en 2019, 30 % des infirmières se reconvertissaient dans les cinq années consécutives à leur prise de poste, la source syndicale citant la « dégradation des conditions de travail » comme première cause de ce phénomène20. Cette augmentation de l’activité des services d’urgences s’est accompagnée d’épisodes de saturation, qui se sont révélés catastrophiques en termes de perte de chances des patients. B. Une dégradation accentuée par la crise du Covid (2020-2022) La pandémie de Covid-19 qui a frappé la France à partir de février 2020 a illustré les effets délétères des fermetures de lits à l’hôpital, à travers la saturation des services et le « tri » des patients. En effet, le nombre de lits d’hôpital a suivi une tendance à la baisse, ininterrompue malgré la crise sanitaire : entre 2013 et 2021, les capacités des hôpitaux se sont réduites de 30 000 lits d’hospitalisation complète, ce qui représente une réduction de 7,3 % en huit ans21. En 2020, pour faire face à l’afflux de malades en lien avec la pandémie, les capacités des soins critiques ont toutefois été augmentées (+ 3,6 %, avant de refluer : - 1,2 % en 2021, grâce à la couverture vaccinale réduisant le nombre de cas graves de Covid nécessitant une hospitalisation), en particulier en réanimation (+ 14,5 % en 2020, puis - 3,8 % en 2021). Cette intensification de l’activité a pesé lourdement sur les équipes ; selon une enquête réalisée fin 2020-début 202122, près des deux tiers du personnel soignant étaient exposés à un risque d’épuisement professionnel (98 % en ont déjà ressenti des symptômes), et 15,9 % étaient en burn-out23. Fin 2021, 85 % des infirmiers affirmaient que leurs conditions de travail s’étaient dégradées depuis le début de la crise sanitaire, 15 % disaient vouloir changer de métier d’ici un an, et 54 % de ceux exerçant en établissements publics estimaient traverser un burn-out, avec des effets préjudiciables sur la qualité des soins24. Le surmenage a également mené à des démissions de personnel soignant (60 000 postes d’infirmières étaient vacants à l’hôpital fin 202125), ou à un report sur une activité d’intérim, se traduisant par moins d’ETP au global (les équipes permanentes des hôpitaux sont unanimes à dénoncer des médecins « mercenaires », qui représenteraient environ 20 % des effectifs d’après le Ministre de la Santé26, qui a d’ailleurs annoncé vouloir lutter contre un intérim « cannibale » : contrôle des rémunérations dans le secteur public, lancement d’un 19 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/er1008.pdf 20 http://www.syndicat-infirmier.com/Infirmiers-30-des-nouveaux-diplomes-abandonnent-dans-les-5- ans.html 21 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-09/ER1242.pdf 22 https://www.caducee.net/actualite-medicale/15406/burn-out-dans-la-sante-98-des-soignants- reconnaissent-avoir-deja-ressenti-les-symptomes-de-l-epuisement-professionnel.html 23 https://www.psychologue.net/articles/soignants-et-burnout 24 https://www.ordre-infirmiers.fr/actualites-presse/articles/resultats-consultation-infirmiere-lordre- national-infirmiers-alerte-de-nouveau-sur-la-situation-de-la-profession.html 25 http://www.syndicat-infirmier.com/60-000-postes-infirmiers-vacants-dans-les-hopitaux.html 26 https://www.leparisien.fr/societe/sante/interim-cannibale-francois-braun-le-ministre-de-la-sante- sonne-la-fin-des-medecins-mercenaires-03-10-2022-M3GADHXU6BEHDIGNWGB2F74OKM.php Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
10 chantier pour interdire complètement l’intérim en début de carrière27). D’après le CNOM, 26 % des médecins avaient une activité intermittente au 1er janvier 2022 (postes caractérisés comme « essentiellement remplacements libéraux ou contrats salariés courts »)28. C. Les conséquences délétères d’un accès dégradé à l’hôpital 1) La généralisation du filtrage aux urgences Les Services d’accès aux soins (SAS)29 ont été introduits par le Pacte de refondation des urgences en 2019. Visant à prendre en charge les soins non programmés, les SAS recommandent d’appeler le 15 afin de se faire orienter plutôt que se présenter directement aux urgences. De tels dispositifs existaient dans certains territoires avant l’été 2022, et leur généralisation est prévue au cours de l’année 202330 (ce qui n’étonne guère puisque leur ardent promoteur François Braun, auteur d’une mission « flash » sur les urgences31, est devenu ministre de la Santé à l’issue des élections législatives en juillet 2022). Carte des services d’accès aux soins, août 2022 Source : Ministère de la Santé Les SAS présentent d’indéniables avantages. En situation de saturation des urgences, ils permettent de prioriser la prise en charge par l’hôpital des soins les plus critiques. Lorsque 27 https://www.egora.fr/actus-pro/politique-de-sante/78879-dix-annonces-a-retenir-des-voeux-de- braun?page=0%2C1 28 https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external- package/analyse_etude/11jksb5/cnom_atlas_demographie_medicale_2022_tome_1.pdf 29 https://esante.gouv.fr/sas 30 https://www.thinglink.com/scene/1387833131897192451?buttonSource=viewLimits 31 https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_du_docteur_braun_- _mission_flash_sur_les_urgences_et_soins_non_programmes.pdf Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
11 l’urgence est vitale, l’appel au 15 préalable permet de faire intervenir une ambulance, ce qui est généralement plus rapide et efficace que se rendre à l’hôpital soi-même. Lorsqu’ils assurent une liaison permanente avec la médecine de ville, les SAS permettent la prise en charge de soins non programmés ne nécessitant pas de se présenter à l’hôpital. Toutefois, l’extension des SAS face aux tensions dans les services d’urgences à l’été 2022 a été davantage placée dans un contexte de culpabilisation du patient (« ne pas se présenter à l’hôpital pour un bobo »32) que d’annonces d’efforts de permanence des soins de ville. Il conviendra donc de s’assurer que la généralisation des SAS joue véritablement son rôle de prise en charge de soins non programmés, et qu’ils ne constitueront pas un simple « filtre » à l’entrée des urgences n’offrant pas de solution alternative en ville pour autant. 2) La fermeture de maternités D’après une source syndicale de sage-femmes, à l’été 2022 40 % des répondants à l’enquête soit au moins 10 % des maternités étaient en situation de fermeture partielle33. Faute de personnel, des maternités se sont livrées à des « délestages » de femmes qui allaient accoucher, en particulier en Seine-Saint-Denis et à Paris, où une femme qui a été « délestée » par deux hôpitaux successifs a perdu son bébé, possiblement du fait d’une prise en charge trop tardive34. Faute de politique systémique, de tels phénomènes de saturation des services sont à prévoir à chaque période où des personnels sont amenés à prendre leurs congés, telles que l’été. 3) Automne-hiver 2022 : triple épidémie de bronchiolite, grippe et Covid Outre les congés estivaux des personnels, les épidémies hivernales tendent aussi à faire passer le niveau d’activité des urgences d’une situation structurelle de surchauffe à une saturation totale. En effet, les virus hivernaux tendent à affecter le plus durement les personnes les plus vulnérables, qui ont une probabilité plus importante d’avoir besoin d’une prise en charge hospitalière. L’épidémie de bronchiolite a mis en lumière l’état structurellement tendu des services de pédiatrie, qui sont passés près d’un effondrement35. Des délestages de bébés ont d’abord été mis en place, des enfants ont été dans certains cas envoyés à des centaines de kilomètres36, jusqu’à ce qu’au plus fort de l’épidémie une perspective de saturation imminente de l’ensemble des services de France fasse craindre qu’il n’y ait plus aucun service où délester. Le Covid et la grippe saisonnière affectent quant à eux sous leurs formes graves essentiellement les personnes âgées. Ajoutées à la bronchiolite, ces deux épidémies ont provoqué un afflux des patients encore plus soutenu, et mis les hôpitaux dans un état de 32 https://www.lequotidiendumedecin.fr/hopital/conditions-de-travail/communication-sur-le-bon- usage-des-urgences-les-campagnes-du-chu-de-montpellier-et-du-ch-de-beziers 33 https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/07/01/au-moins-10-des-maternites-en-fermeture- partielle-selon-un-syndicat-de-sages-femmes_6132931_3224.html 34 https://www.mediapart.fr/journal/france/310722/vive-tension-dans-les-maternites-qui-limitent- les-inscriptions-et-delestent-des-accouchements 35 https://sante.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/article/bronchiolite-precoce-et-tensions- dans-les-services-de-pediatrie-le-ministre-de 36 https://www.letelegramme.fr/dossiers/les-hopitaux-bretons-en-surchauffe/bronchiolite-24- heures-aux-urgences-pediatriques-de-brest-15-12-2022-13242530.php Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
12 tension extrême37. Des patients ont souffert des délais d’attente de prise en charge anormaux, certains restant sur des brancards faute de lits disponibles ; au moins 43 morts « inattendues » sont survenues, suspectées d’avoir pu être évitées si les services avaient été en capacité de prendre en charge les patients à temps38. Ainsi, la tension dans les hôpitaux est telle que le moindre sursaut épidémique tend à saturer les services (et cela d’autant plus lorsque les confrères de la médecine de ville refusent de faire leur part en termes de permanence des soins39), jusqu’à mettre la vie des patients en danger. Le diagnostic pour l’hôpital est celui d’une urgence vitale. 37 https://www.lexpress.fr/societe/aux-urgences-la-triple-epidemie-ne-permet-plus-daccueillir-les- patients-dans-des-conditions-dignes-DABKVJQ2FBDZLFJG2JUM3ATEGQ/ 38 https://www.samu-urgences-de-france.fr/fr/actualites/presse/cp-sudf-06-02-2023-no-dead-ou- comment-tolerer-l-inacceptable/art_id/1098 39 https://www.quechoisir.org/billet-du-president-greve-des-generalistes-liberaux-ni-la-fin-ni-les- moyens-ne-se-justifient-n105055/ Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
13 III. UNE DEMOGRAPHIE MEDICALE DECLINANTE CAUSEE PAR L’INCURIE DES POUVOIRS PUBLICS L’offre de soins, sous la forme de la démographie médicale, est globalement insuffisante, et d’après toutes les projections, la situation poursuivra de se dégrader, au moins jusqu’au milieu des années 2030. A. Le numerus clausus a artificiellement limité la formation de médecins Le numerus clausus, dispositif limitant le nombre de places d’étudiants en deuxième année de médecine, a été instauré en 1971, et supprimé en 2020. Ce dispositif avait été mis en place sous la pression de syndicats de médecins corporatistes, qui souhaitaient instaurer une sélectivité des études de médecine via un concours, et réduire le volume des cohortes formées, en réaction à la massification universitaire qui s’était amorcée40. Dans la mesure où il faut dix ans pour former un médecin, les effets des modifications de politiques de cette nature prennent du temps, et ceux des politiques passées sont particulièrement durables. Nombre de places en médecine au numerus clausus entre 1972 et 2020 10000 9000 8000 7000 6000 5000 4000 3000 2000 1000 0 1976 1982 1972 1974 1978 1980 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 2020 Source : UFC-Que Choisir, d’après les arrêtés de chaque année Comme nous pouvons le constater, un creux est particulièrement marqué entre 1984 et 2002 : la France admettait moins de 5 000 étudiants par an en deuxième année de médecine à cette période (contre plus de 8 000 entre 1972 et 1978). Ce phénomène peut être attribué à des alliances entre syndicats corporatistes et hauts fonctionnaires convaincus qu’une plus faible offre de soins aurait des effets bénéfiques sur les finances publiques41. Cette politique a eu pour effet de stabiliser la densité médicale à partir des années 1990, alors même que le vieillissement de la population venait augmenter les besoins de soins : 40 https://www.cairn.info/revue-d-histoire-de-la-protection-sociale-2009-1-page-79.htm 41 Ibid. Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
14 Densité médicale (pour 100 000 habitants) 400 350 300 250 200 150 100 50 0 Source : Atlas éco-santé du Ministère de la santé et de de l’Assurance maladie 42 B. La situation devrait continuer à se dégrader jusqu’en 2030… Du fait des délais de formation et du vieillissement démographique des médecins, les effectifs de praticiens sont amenés à être durablement insuffisants, comme le montrent les prévisions la Drees reproduites ci-après. La densité représente un nombre de médecins par habitant, et la densité standardisée tient compte des effets des évolutions démographiques sur la demande de soins (croissance et vieillissement de la population). 42 http://www.ecosante.fr/index2.php?base=DEPA&langh=FRA&langs=FRA Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
15 En effet, selon la Drees, la densité des médecins sur le territoire devrait se maintenir durablement en deçà de son niveau de 2020, jusqu’au milieu des années 2030. Or, en 2017, la France se situait déjà dans la moyenne basse de l’OCDE, avec 3,2 médecins pour 1 000 habitants, et fait partie des rares pays développés où ce ratio stagne ou baisse43. En effet, en maintenant la tendance de cohortes de 10 400 étudiants admis en deuxième année (ce que prévoient les autorités jusqu’en 2025), il faudrait attendre la fin des années 2020 pour observer un rebond des effectifs et de la densité médicale : Projections de démographie médicale 250000 360 245000 240000 350 235000 340 230000 Effectifs Densité 225000 330 220000 215000 320 210000 310 205000 200000 300 Effectifs Densité Source : Drees Ce rebond n’est cependant pas garanti, car les autorités n’ont pas affiché de cibles d’admis en deuxième année au-delà de 2025. Les cohortes formées devraient tenir compte à la fois des départs en retraite, de la normalisation du temps de travail à laquelle aspirent les jeunes médecins, et des besoins de la population. La situation est encore plus préoccupante en raison des prévisions démographiques à horizon 2030, tant en matière d’augmentation de la population (+ 1,7 % d’habitants) que de son vieillissement (+ 44,3 % d’habitants âgés de 75 à 84 ans, et + 8,8 % de plus de 85 ans44) qui devraient logiquement augmenter les besoins de soins. Qui plus est, les nouvelles générations de médecins aspirent à une meilleure coordination entre vie professionnelle et personnelle : en 2019, les médecins de moins de 50 ans passaient en moyenne 41,6 heures par semaine auprès des patients, contre 46,4 heures pour les 50-59 ans45. Il faut donc former davantage de médecins pour maintenir le nombre de consultations effectuées par leurs prédécesseurs. Il convient également d’interroger le fait qu’un quart des admis en deuxième année de médecine abandonnent leurs études ou choisissent de ne pas pratiquer à l’issue de celles- 43 https://www.oecd-ilibrary.org/sites/d50086e7- fr/index.html?itemId=/content/component/d50086e7-fr 44 https://www.ined.fr/en/everything_about_population/data/france/population- evolution/projections/ 45 https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/deux-tiers-des-medecins- generalistes-liberaux-declarent-travailler Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
16 ci46 et, parmi les médecins en activité, un quart des médecins pratique une activité intermittente47. Il est donc important de limiter les possibilités de recours à l’intérim, et urgent d’améliorer les conditions des études pour éviter l’érosion des vocations : deux tiers d’externes et internes ont connu un burn-out, et 19 % des idées suicidaires48. Les étudiants en médecine doivent être reconnus à la juste valeur de leur apport au fonctionnement des hôpitaux. Enfin, l’âge moyen de départ en retraite s’élève à 66,8 ans en 202249, il apparait donc déraisonnable de demander encore davantage d’efforts aux médecins qui pratiquent en termes de poursuite de leur activité, d’autant que des incitations financières à la poursuite d’activité au-delà de l’âge de départ en retraite existent d’ores et déjà (7,6 % des médecins actifs en 2022 étant des retraités ayant conservé une activité, contre 2,4 % en 201050). C. … et pourrait amplifier la fracture sanitaire La démographie des médecins en activité reflète ces politiques passées. Médecins en exercice par âge, au 1er janvier 2022 40 000 35 000 30 000 25 000 20 000 15 000 10 000 5 000 0 Moins de Entre 30 Entre 35 Entre 40 Entre 45 Entre 50 Entre 55 Entre 60 65 ans et 30 ans et 34 ans et 39 ans et 44 ans et 49 ans et 54 ans et 59 ans et 64 ans plus Source : Drees, démographie médicale Logiquement, les cohortes formées avant le resserrement du numerus entamé en 1978 sont plus importantes numériquement… et aussi plus proches de la retraite ! Ainsi, 16 % des médecins généralistes en activité au 1er janvier 2022 avaient entre 60 et 64 ans, ce qui représente la cohorte la plus nombreuse, car elle a été formée dans les années 1970 avant le resserrement du numerus. Au contraire, seuls 8 % des généralistes ont entre 40 et 44 ans, ce qui correspond aux cohortes formées dans les années 1990, au plus bas du numerus. 46 https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external- package/analyse_etude/18abtr9/atlas_national_de_la_demographie_medicale_2015.pdf 47 https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external- package/analyse_etude/11jksb5/cnom_atlas_demographie_medicale_2022_tome_1.pdf 48 https://drive.google.com/file/d/1n4QF3drkvJLIX-O18A51KKHliKH5E6W5/view 49 https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external- package/analyse_etude/11jksb5/cnom_atlas_demographie_medicale_2022_tome_1.pdf 50 Ibid, rapport du CNOM, calculs de l’UFC-Que Choisir. Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
17 Le départ à la retraite à venir de ces médecins de plus de 60 ans formés avant le resserrement du numerus est encore plus inquiétant quand on met en relation l’âge moyen des médecins et leur densité par département. A titre illustratif, ce travail est présenté pour les médecins généralistes libéraux51. Âge moyen des généralistes libéraux en fonction de leur densité par département (01/01/2022) 125 Hautes-Alpes Savoie 115 Finistère 105 Densité pour 100 000 habitants 95 85 75 65 55 Cher Yonne 45 Eure-et-Loir 45 47 49 51 53 55 57 Âge moyen des généralistes Source : UFC-Que Choisir d’après données DREES sur la France métopolitaine Les départements les moins bien dotés en généralistes sont donc aussi ceux où la moyenne d’âge de ces praticiens est la plus élevée ! Ainsi, tendanciellement, les départements qui étaient déjà les moins dotés en généralistes en 2020 connaîtront au cours des prochaines années le plus de départs à la retraite, et verront donc leur situation relative se dégrader, sauf changement radical de politique de régulation de l’installation. En outre, cette baisse de l’offre de généralistes sera doublée d’une hausse de la demande de soins du fait du vieillissement de la population : les personnes âgées de 70 ans ou plus ont 2,3 fois plus recours aux médecins généralistes que les patients plus jeunes52. 51Les données complètes sont disponibles en annexe. 52https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020- 08/dossier_presse_demographie.pdf Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
18 D. Le numerus apertus, symbole des moyens limités consacrés à la formation La suppression du numerus clausus est effective depuis l’année universitaire 2020-2021. Celui-ci a toutefois été remplacé par un numerus apertus fixé par les universités en fonction de leurs capacités d’accueil. 10 741 étudiants ont ainsi été admis en deuxième année à l’issue de l’année universitaire 2020-202153. Alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que la suppression du numerus clausus entraîne une hausse importante du nombre d’étudiants formés à la médecine, force est de constater que cela n’est pas le cas. En effet, l'objectif national pluriannuel relatif au nombre de professionnels de santé à former en médecine annoncé par les autorités pour la période 2021-2025 est de 51 505, avec un seuil maximal fixé à 54 16054. L’objectif central correspond donc à des cohortes de 10 301 étudiants par an en moyenne, et la borne maximale à 10 832, des chiffres équivalents au nombre d’étudiants admis en deuxième année en 2021. Les autorités ne prévoient donc aucun changement d’échelle dans les capacités de formation entre 2021 et 2025, ce qui est aberrant tant au niveau des perspectives d’offre de soins (départs en retraite) que de demande de soins (croissance démographique et vieillissement de la population). Cela est d’autant moins sensé compte tenu du nombre d’étudiants souhaitant et pouvant faire des études de médecine. Depuis 2021, les étudiants souhaitant intégrer la deuxième année de médecine ont en effet le choix entre deux filières en première année de licence à l’université : • PASS (Parcours Accès Santé Spécifique) ; majeure santé et mineure d’une autre discipline • LAS (Licence Accès Santé) ; majeure d’une autre discipline et mineure santé. Or, seul un quart des étudiants de PASS/LAS entre en deuxième année de médecine : 28 % des PASS et 18 % des LAS55, alors que respectivement 80 % en PASS et 40 % en LAS ont validé leur première année de licence56. On peut donc légitimement s’interroger sur la raison d’être d’une telle sélectivité : ni le vivier de candidats, ni le vivier de candidats ayant validé leur année, n’est près d’être épuisé. Le numerus apertus constitue donc aujourd’hui un rationnement de la formation à la médecine lié à l’absence d’augmentation conséquente des moyens alloués aux universités pour la formation de nouveaux médecins. Pour aller plus loin, il est donc essentiel d’augmenter les capacités des universités (locaux, médecins formateurs notamment généralistes, etc.), en leur fixant des contrats d'objectif assortis des moyens financiers nécessaires. 53 https://www.senat.fr/rap/r21-590/r21-590_mono.html. Si la suppression du numerus clausus a donné lieu a une augmentation de 14,7 % de la cohorte d’étudiants autorisée à entrer en deuxième année par rapport à l’année précédente, il est a noter qu’il ne s’agit pas d’une conséquence de la suppression du numerus clausus puisque les années précédentes des hausses comparables étaient constatées. 54 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044053576 55 https://www.letudiant.fr/etudes/medecine-sante/reussite-en-pass-et-l-as-un-quart-des-etudiants- integre-les-etudes-de-sante.html 56 https://etudiant.lefigaro.fr/article/reforme-des-etudes-de-medecine-la-majorite-des-etudiants-de- las-ont-echoue_f87b757a-ed7e-11ec-a378-3d8008006685/ Avril 2023 UFC-QUE CHOISIR • Service des études • http://www.quechoisir.org
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