Actes du séminaire de prévention Cpas1option - 29 ET 30 MARS 2021 Accueilli et co-organisé par l'ENAC - CDEFI
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Actes du séminaire de prévention Cpas1option 29 ET 30 MARS 2021 Accueilli et co-organisé par l’ENAC À distance
Sommaire JOURNÉE DU 29 MARS Lancement de l’édition 2021 de Cpas1option 1 Table-ronde sur le bien-être étudiant 5 Conférence sur l’isolement 10 Intervention de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement su- périeur, de la recherche et de l’innovation 12 JOURNÉE DU 30 MARS Conférence sur la responsabilité 14 RÉSUMÉS DES JOURNÉES Résumé de la journée du 29 mars 17 Résumé de la journée du 30 mars 24
Lancement de l’édition 2021 de Cpas1option Première journée du séminaire Cpas1option portant sur la prévention des conduites à risque chez les étudiants. Olivier Chansou, le directeur dénéral de l’École nationale de l’aviation civile (ENAC), a lancé l’édition 2021 avec un enthousiasme sincère. « Cette année, le thème de notre séminaire est le bien-être étudiant, une problématique devenue encore plus importante par les temps qui courent », a-t-il déclaré. Cette grande école toulousaine spécialisée dans l’aéronautique aurait dû accueillir en ses locaux les rencontres, mais étant donné le contexte épidémique, l’ENAC a accueilli sur la plateforme Zoom un peu plus de 230 participants. Deux jours d’échanges sur le bien-être étudiant et la prévention des addictions auxquels ont participé des directeurs d’établissement, leur administration, ainsi que des étudiants investis dans la vie associative. « Cet espace de discussion est un moment privilégié pour partager les bonnes pratiques concernant la santé des étudiants, un thème très abordé car les élèves sont de plus en plus stressés face aux difficultés économiques qu’ils rencontrent et aux incertitudes sur leur avenir », a rappelé Olivier Chansou. « Depuis un an, on a pris l’habitude d’échanger par visioconférence mais cela ne facilite pas l’inté- gration des étudiants, souligne l’ingénieur en aviation civile. La question qui se pose pour tous les di- recteurs d’école est celle de l’équilibre entre les cours en ligne et le présentiel ». Élèves et étudiants sont devenus des « victimes de l’isolement et du distanciel, qui a exacerbé les inégalités ». « Notre mission de grande école est de former des nouveaux citoyens prêts à entrer dans le monde du tra- vail, notamment avec des démarches de prévention face à l’alcoolisme et aux conduites à risque », a réaffirmé le DG de l’ENAC. À sa suite, Aline Lebrun Faes, pilote du groupe de travail Cpas1option, a confirmé son « vrai regret de ne pas faire cette rencontre en présentiel mais espère que l’an prochain les conditions seront à nouveau réunies ». Et a remercié chaleureusement « la présence, bien que virtuelle, de tous les participants ». « Étudiante en dernière année d’école d’ingénieurs à Besançon », Gaëlle Petitjean est aussi « co-res- ponsable prévention au BNEI », le Bureau national des élèves ingénieurs, depuis un an. Elle a rappelé que le BNEI « représente 185 000 élèves-ingénieurs en France », et que l’organisation porte une mission de « prévention des addictions en milieu festif et quotidien » pour garantir le bien-être et donc le bon déroulement des études des promotions. Ensuite, elle a proposé « un petit jeu » pour inviter les quelque 200 participants à se joindre à la dé- marche de réflexion Cpas1option, « en créant un nuage de mots sur le thème de la prévention ». Tour à tour et d’une couleur différente, les mots et expressions suivantes ont gravité sur l’écran : « anti- cipation », « prévenir », « conseils », « accompagner », « responsabilité », « gestion des risques », « nécessité » ou encore « sensibilisation ». À l’aide de cette activité interactive et ludique qui a fait sourire, Gaëlle Petitjean a voulu « donner les clefs aux établissements et aux étudiants pour propo- ser des évènements fun et responsables, sans diaboliser les évènements festifs ». 1
Le point de départ de la démarche de prévention remonte à « 2005, quand on a fait le constat qu’il y avait des accidents assez graves lors des soirées d’intégration et rencontres étudiantes », a expliqué l’étudiante ingénieure. Le BNEI, la CGE (Conférence des grandes écoles) et la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) se sont alors associées pour former le groupe Cpas1option. « Nous souhaitons partager les bonnes pratiques, a affirmé Alice Guilhon, directrice générale de SKEMA Business School, et assurer un transfert de connaissances pour que les jeunes profitent de leurs années et de leur vie étudiantes, c’est ce qu’il y a de plus beau », se souvient-elle en souriant. 2
Également élue de la CGE, elle a expliqué l’intérêt « de détecter les signaux faibles de mal-être et d’addiction chez les étudiants pour les accompagner, quel que soit leur origine, quel que soit leur situation et leur éloignement avec la famille ». « On est à vos côtés et vous pouvez nous solliciter quand vous le voulez », a assuré Alice Guilhon. À son tour, Philippe Dépincé a applaudi l’initiative. « Cpas1option permet de considérer les choses avec recul ». Président de la commission Formation et société de la CDEFI, l’organe représentant l’ensemble des écoles françaises d’ingénieurs accréditées par la CTI (Commission des titres d’ingénieur) auprès de l’État, il a expliqué sa mission : « la priorité de la CDEFI réside notamment dans la capacité à permettre aux étudiants de vivre leur vie étudiante et d’entrer dans le monde du travail. Ce qui manque depuis le début de la crise, c’est de créer du lien, c’est primordial pour les jeunes adultes ». « Il y a trois étapes dans notre démarche : la stratégie, l’application et la rétroaction, et elles fonctionnent comme un cycle », a renchéri Gaëlle Petitjean. De nombreux partenaires accompagnent Cpas1option, détaille l’étudiante : Monte ta soirée, La Croix rouge, les fédérations d’addictions, etc. Et elle a rappelé que « le premier séminaire de prévention a eu lieu en 2013, et la première charte signée en 2007 a beaucoup évolué ». Parmi les sept points de cette charte, on retrouve les suivants : l’importance du binôme direction-BDE, la mise en place d’actions concrètes et d’outils pour prévenir les conduites à risque chez les élèves et la formation de tous les acteurs de la vie étudiante. 3
Puis s’est lancé un temps d’échanges modéré par Aline Lebrun Faes, la pilote du groupe Cpas1option. Alice Guilhon, la directrice générale de SKEMA Business School, a notamment proposé l’élaboration d’« un seul document assez exhaustif et qui pèse un peu plus lourd, [pour] le montrer à toutes les parties prenantes comme les étudiants, et surtout le ministère ». Xuan Meyer, directrice adjointe de l’INP-ENSIACET de Toulouse, a souligné la problématique des passations. « Quand on change d’équipe administrative ou étudiante, il y a une perte des informations et une perte de connaissances dans les bonnes pratiques », s’est inquiétée l’ingénieure en génie chimique. Alban Charonnat, président du BDE de l’INSA Toulouse et Louis Rampal, du BDE de l’ESEO à Angers, ont partagé leurs bonnes idées. Tous deux ont expliqué avoir fait leur « passation pendant le confinement », et pour renforcer le lien avec les nouveaux et anciens du BDE, « on a fait des capsules vidéo pour être plus dynamique et plus sympa qu’un doc papier ». Une initiative qui a sans doute fait des intéressés dans l’auditoire. Puis, Xuan Meyer a demandé au groupe de travail si « quelque chose va être fait pour les harcèlements, les violences sexistes et sexuelles ». En réponse, Aline Lebrun Faes a assuré que Cpas1option « va travailler là-dessus dans les prochains mois » et a rappelé l’existence de « la plateforme SOIREE de CentraleSupélec pour organiser des soirées intelligentes et qui respectent la législation ». Le responsable vie étudiante d’Audencia, Constantin Ciovica, a quant à lui recommandé de faire « une version en anglais de la charte », « une excellente question » pour Aline Lebrun Faes, réjouie par tant d’émulation intellectuelle et de partages d’expériences. 4
Table-ronde sur le bien-être étudiant À 15 h, Sophie Monvoisin, une psychologue clinicienne, a lancé la table-ronde « Bien-être étudiant – Prévention des comportements à risque ». Elle a travaillé quinze ans dans le groupe hospitalier Nord-Essonne. C’est par une « métaphore aéronautique » et avec légèreté que la psychologue a ou- vert ce temps de rencontres avec des spécialistes : « Malgré les turbulences et les changements de personnel navigant, la destination est toujours la même et on espère un atterrissage en douceur », a-t-elle avancé le sourire au coin des lèvres. La psychologue a tout d’abord rappelé ce qu’était une « conduite à risque » et la « notion clef de prévention ». Cette première désigne « une conduite qui met en danger, c’est une tentative de sou- lagement d’une souffrance, consciente ou non, de violence contre soi (automutilation, suicide) et contre les autres », a précisé la psychologue. Dans ces conduites à risque, on retrouve notamment « l’usage et l’expérimentation précoces de substances psychoactives (médicamenteuses ou alcool) et des comportements sexuels à risque », a-t-elle expliqué. La prévention de ces conduites mettant en danger la santé et les études des jeunes, elle aussi, est multiple : « il y a la prévention primaire qui agit en amont, puis la secondaire (dépistage) et la tertiaire qui sert à prévenir une rechute », a détaillé Sophie Monvoisin. À sa suite, la docteure Samira Djezzar, médecin-praticien hospitalier et directrice du CEIP (Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance et d’addictovigilance) de la région Île-de- France, a présenté un PowerPoint très détaillé issu de sa recherche sur l’usage des substances psychoactives. Il s’agit de substances modifiant, partiellement ou totalement, le fonctionnement psychique de leur utilisateur. Et elles sont très nombreuses : alcool, amphétamines, cannabis, cham- pignons hallucinogènes, tabac, opiacés, sédatifs, hypnotiques et anxiolytiques, etc. 5
Samira Djezzar a ensuite expliqué que dans le cadre de cette étude sur les étudiants, elle a « reçu un peu plus de 60 000 réponses, dont 63 % de femmes ». Les substances les plus consommées par les étudiants qui ont répondu à l’étude sont « le cannabis, les benzodiazépines, le poppers, le proto, la cocaïne, les champignons hallucinogènes ». Les princi- pales motivations de consommation sont en premier lieu la fête, puis l’expérimentation, ainsi qu’un désir de pimenter les relations sexuelles. Mais le cannabis, ses dérivés et les autres médicaments psychostimulants sont également utilisés par les jeunes adultes à des fins de « gestion du stress », de « gestion du sommeil », et de « dopage intellectuel, avec le méthylphénidate pour modafinil ». Samira Djezzar a souligné que « les jeunes femmes sont plus sujettes à la pharmacodépendance avec les anxiolytiques ». Ces dernières consomment beaucoup plus de médicaments codéinés, d’an- xiolytiques et de sédatifs que les jeunes hommes. « D’après l’étude, les étudiantes ressentent moins de bien-être et plus de stress face aux examens que leurs camarades masculins, a souligné la médecin avec gravité. Les jeunes adultes estiment qu’il n’y a pas assez de prévention sur les drogues et sur les médicaments psychostimulants. L’in- formation a du mal à arriver à la cible », a conclu l’addictologue. 6
« La dépendance aux benzodiazépines (ndlr : comme le Valium pour dormir) des étudiantes est une pratique ancienne », a ajouté le professeur Laurent Gerbaud, directeur du service de santé universi- taire du site Clermont-Auvergne. Également président de l’ADSSU (Association des directeurs de services de santé universitaires), il « étudie les risques en termes de prise d’alcool et de drogues avec les personnes qui organisent un événement étudiant », a-t-il expliqué. « Avec le 2e confinement on a constaté une tendance à l’aug- mentation de la consommation d’alcool, même quand c’est occasionnel », la plupart du temps pour pallier un « symptôme d’anxiété et de dépression apparu pendant 1er confinement, car le monde d’après ressemble à un jour sans fin », a expliqué le professeur de médecine. Pour lui, ce 3e confinement annoncé par Emmanuel Macron fin mars va créer des dommages du- rables sur la santé mentale et physique des étudiants français. « Plus on est isolé et on a des dif- ficultés financières, plus l’impact de la Covid-19 est flagrant », a-t-il regretté. « En France, on a dix fois moins de psychologues à temps plein pour nos étudiants que d’autres pays développés ». « Et le discours très négatif de septembre accusant les jeunes et les adolescents d’avoir relancé et contribué à la 2e vague de l’épidémie n’a pas aidé, s’est révolté Laurent Gerbaud. Seulement 12 %, donc une minorité de contaminations étudiantes, sont dues à des fêtes étudiantes ». Marion Bulot, la responsable du dispositif Wellness de KEDGE Business School, a quant à elle expli- qué que leur dispositif « a été mis en place depuis plus d’une dizaine d’années sur tous les campus ». Cette prestigieuse école de commerce « fait le pari que les 14 000 étudiants réussissent au mieux leur scolarité ». L’école réfléchit donc activement à la prévention des risques et à « l’épanouissement individuel, sco- laire et professionnel, en proposant un accompagnement gratuit et confidentiel, un planning d’ac- tivités sportives et des ateliers pour créer du lien entre les étudiants et repérer les signaux faibles chez ceux qui ne vont pas très bien », a assuré Marion Bulot. Elle a également appelé à la « mobilisation des professionnels de santé, car peu d’étudiants savent qu’ils peuvent utiliser les ‘chèques psy’ sur leur campus. Leur médecin traitant a l’habitude de réo- 7
-rienter vers un psychologue libéral et non pas vers le campus étudiant, ce qui complique la dé- marche », a-t-elle regretté. En charge de la coordination et de la communication de l’association SPS (Soins aux professionnels de la santé), la docteure Catherine Cornibert a insisté sur l’importance du « 0 805 23 23 36 , le nu- méro vert qu’on peut appeler quand on ne va pas bien ». Des intervenants parlant français, anglais et espagnol sont disponibles pour écouter, rassurer et orienter les jeunes étudiants en santé vers des aides. « On a reçu 6 000 appels de détresse l’année dernière, de personnels et d’étudiants en santé, a af- firmé la médecin. Et notre service est ouvert jour et nuit, ce qui est essentiel pour les gens qui ont des idées suicidaires ». Cette table-ronde sur le bien-être étudiant, très riche en informations et en débats, s’est achevée par le témoignage de Benjamin Rivière, un « élève de la promotion 2019 de l’ENAC ». « À l’école, on a vu que ça se passait pas bien… » a soufflé le jeune homme doucement. « Avec le 1er et le 2e confi- nement, on n’a pas pu se créer des souvenirs. Et là, dans l’aéronautique plus particulièrement, on n’a aucune perspective de nouvelle rentrée. Je vois des étudiants qui ont 20 ou 21 ans comme moi, et je vois qu’ils n’ont plus de projet », s’est inquiété l’étudiant en école d’ingénieurs. Pour lui, ce qui est « alarmant et grave », c’est que ses camarades « ne s’impliquent pas sur les cours en Zoom ou Microsoft Teams, ils ont moins d’intérêt pour les stages ». Benjamin Rivière a aussi constaté que « beaucoup d’étudiants font la culture de l’apéro quasiment chaque soir. Alors qu’avant c’était des sas de décompressions après les partiels, donc tous les trois mois où on buvait pas mal ». La difficulté est de repérer les signaux faibles chez les étudiants qui ne vont pas bien, puisque les évènements et rencontres sont inexistants et que les cours ont lieu en distanciel. « Ce sont des comportements déviant compliqués à identifier car sur la promo des étudiants de 1re année, sur une centaine, je n’en connais que 40 ». La Covid-19 a ainsi aggravé les conditions de vie et de travail, 8
même au cœur d’une grande école d’ingénieurs. Après ce témoignage qui reflète bien l’état d’esprit des étudiants français, un temps d’échange avec l’audience s’est ouvert. Le professeur Laurent Gerbaud a renchéri sur ce décalage des cultures entre les étudiants plus âgés et ceux fraîchement entrés dans une école ou université. « Les nouveaux admis dans les écoles ont vécu leur bac et la fin du lycée en confinement total, et ils savaient que leur rentrée en automne se- rait coupée du monde », a-t-il expliqué. « Nous sommes des animaux sociaux et nous avons un cerveau social, si on ne le développe pas, alors ça ne va pas », a alerté l’épidémiologiste et chef du pôle de santé publique du CHU de Cler- mont-Ferrand. Il reste néanmoins optimiste et « espère que l’épidémie s’arrêtera à un moment donné ». Louis Rampal, président du BDE de l’ESEO à Angers, a acquiescé. « Nos étudiants en 1re année ont encore un ‘esprit lycée’, a-t-il souligné. Ils n’ont pas vécu le réel décalage entre le lycée et le supé- rieur. Les 1A n’ont pas la culture d’appartenance à l’école ni la conscience des risques qu’ils peuvent prendre ». À une question de l’audience sur la difficulté de repérer les signaux faibles chez les étudiants en détresse, Sophie Monvoisin, la modératrice de le table-ronde et psychologue clinicienne, a répété : « on est tous des sentinelles en ce moment, il ne faut pas hésiter et rester vigilant aux autres ». 9
Conférence sur l’isolement À la suite de la table-ronde sur le bien-être étudiant, Benoît Heilbrunn, philosophe et professeur de marketing à l’ESCP, a défendu sa « vision philosophique de l’isolement ». Un parti-pris très serein, voire optimiste, sur cette expérience collective de confinement qui a pu surprendre certains parmi les 230 auditeurs du séminaire Cpas1option. « J’ai une position délicate car un philosophe n’apporte pas des réponses mais des questions », a tout d’abord avancé le penseur. C’est en proposant « un regard philosophique sortant du misé- rabilisme et de la dramaturgie ambiante » que Benoît Heilbrunn a souhaité nous faire réfléchir et « prendre du recul sur cette diabolisation de l’isolement, car il a un certain nombres de vertus ». L’isolement ou « esseulement » au sens philosophique, « est susceptible de conduire à des conduites addictives, a expliqué cet ancien élève d’HEC et de l’école des Hautes études en sciences sociales. Le confinement a renforcé les addictions, et notamment les paris sportifs en ligne ». Face à l’isolement, « deux possibilités » Illustrant son propos d’un article de Laurence Devillairs, « Vivre l’isolement avec Pascal », publié en mai 2020, Benoît Heilbrunn s’est demandé : « sommes-nous véritablement à une suspension de la vie et de la société ? ». Avec cet isolement forcé décidé par le gouvernement en mars de l’année dernière, puis assoupli, et à nouveau durci il y a une semaine, nos repères ont été mis à mal. Seuls les commerces de première nécessité sont ouverts. Il n’y a plus de place pour le reste. « Le futile est banni, l’accessoire reporté, tout est exacerbé : les sentiments, les liens, les peurs », a détaillé le philosophe. Face à cette situa- tion inédite pour nous, en tant qu’animal social, nous nous sommes retrouvés « à nu » et « nous avons devant nous deux possibilités : soit nous réfugier dans le virtuel, soit retrouver le réel, même si son goût est amer », a postulé le professeur de marketing. Benoît Heilbrunn a ensuite âprement critiqué « la tyrannie du bien-être », et questionné cette « so- ciété qui a érigé le confort en objectif ultime, en finalité en soi ». Un thème qui lui est cher et auquel il a consacré un ouvrage paru en octobre dernier. Le bonheur et donc le bien-être sont « une question subjective ». La société occidentale actuelle et « le capitalisme », à l’image « de l’emblématique marque Coca-Cola », « associent le fait d’être heureux avec le fait d’être ensemble, ça laisse penser que l’on ne peut pas être heureux dans la so- litude ». Pourtant, cette société un brin schizophrénique nous intime également de vivre dans « un cocon, a détaillé le philosophe. Notre époque valorise le repli sur soi, ce safe space où l’on se sent bien » . Les vertus cachées de l’isolement Confinés dans nos salons et chambres d’étudiants, le seul horizon reste virtuel. Les jeux en ligne, les séries, les réseaux sociaux, etc. Cependant « le divertissement ne contribue pas au bonheur », a as- séné le philosophe. Pour lui, « le bonheur est faiblement impacté par des évènements extérieurs, au 10
bout de 16 à 18 mois on revient à l’état de bonheur initial. Donc la période de Covid-19 n’a pas af- fecté le bonheur des individus dans le monde ». Sur les caméras silencieuses des participants de ce séminaire sur Zoom, des yeux se sont levés au ciel, les mines sceptiques. Selon Hannah Arendt, « la solitude, l’isolement, l’esseulement, la désolation », renvoient « à la forme majeure de tyrannie, comme l’est le totalitarisme, car le contact entre les hommes est rompu ». Toutes les quatre sont des « catégories politiques plutôt que psychologiques », a témoigné le pro- fesseur de l’ESCP. Pour être bien avec les autres, l’exigence sine qua non selon Benoît Heilbrunn est d’être « seul et bien avec soi-même avec son activité de l’esprit : c’est pourquoi le dialogue intérieur est la condition de possibilité du dialogue avec les autres ». « Je’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », a-t-il avancé en citant Blaise Pascal, le philosophe et moraliste français du XVIIe siècle. Ainsi pour accéder à la joie, ce « chatouillement ou allégresse » de l’âme selon Baruch Spinoza, il faut savoir souffrir de la solitude, nous a-t-il expliqué. Pour Friedrich Nietzsche, cette dernière est « censée nous apporter une forme de bonheur qui s’appelle la sagesse […], l’Intelligence suprême ». Il écrivait même « Heureuse solitude, seule béatitude ». La « capacité créatrice née de l’isolement, la solitude comme échappatoire à la médiocrité am- biante » se retrouve « chez les grecs et dans la pensée chinoise », a assuré Benoît Heilbrunn. Juste avant de filer « sur Europe 1 pour parler des paris sportifs en ligne au journal de 19 h », le philosophe a conclu sa thèse optimiste sur l’isolement, en citant John Stuart Mill : « la solitude est le berceau de pensées et d’aspirations qui sont non seulement bonnes pour l’individu, mais utiles à la société ». Un parti-pris philosophique très serein et ascétique sur le confinement, qui peut être contesté, no- tamment après le témoignage précédent de Benjamin Rivière, élève-ingénieure à l’ENAC. 11
Intervention de Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Temps fort de cette première journée de rencontres Cpas1option édition 2021, la ministre de l’En- seignement supérieur, de la recherche et de l’innovation Frédérique Vidal s’est exprimée devant un peu plus de 220 participants, représentants d’établissements, psychologues et étudiants. Après de chaleureux remerciements pour la tenue de ce séminaire « à l’aune de cette pandémie qui rythme nos vies depuis plus d’un an », la ministre a confirmé que « pendant que le virus se diffusait dans la population, s’est jouée la dégradation de la santé mentale des étudiants ». Professeure en biochimie, Frédérique Vidal a également été présidente de l’université de Nice So- phia-Antipolis de 2012 jusqu’à son entrée dans le gouvernement en 2017. Fine connaisseuse des problématiques universitaires, elle regrette qu’à ces confinements successifs « dans la solitude de leur chambre », s’est ajoutée « la peur de rater le diplôme et l’angoisse d’un horizon brouillé », pour les quelque deux millions d’étudiants en France. « Cet isolement est un cercle vicieux », estime-t-elle, car il a aggravé les « troubles alimentaires, les consommations de tabac, drogues et alcools, qui eux-mêmes viennent renforcer ce sentiment de mal-être qui a plongé les étudiants dans une grande détresse ». Elle illustre ensuite ses propos de chiffres édifiants. « Il y a une augmentation de 30 % des consulta- tions dans les services médico-psycho-sociaux universitaires depuis mars ». Et d’enchaîner : « Il y a eu une hausse de 40 % d’appels chez Nightline », un service d’écoute ouvert en soirée spécialement dédié aux « étudiants qui ont besoin de parler » de leur isolement et de leurs idées parfois bien 12
noires. La ministre était d’ailleurs aux côtés des bénévoles qui animent la hotline téléphonique, « le 18 février dernier ». L’enquête « La vie d’étudiant confiné » de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), publiée en sep- tembre 2020, « a mis en lumière les fragilités psychologiques des étudiants pendant et depuis le confinement, reconnaît la ministre. La crise sanitaire souligne ces signes de détresse ». L’enjeu du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est aussi de « faire front commun pour promouvoir un environnement contre les violences sexuelles et les dis- criminations sexistes qui ont lieu sur les campus », appuie Frédérique Vidal. Après avoir salué « le mouvement de libération de la parole ces dernières semaines » (polémique qui a agité Sciences Po Paris et les IEP autour du hashtag #SciencesPorcs), la ministre a clairement affirmé qu’elle veut « éviter que cette parole libérée ne soit source d’angoisses pour les victimes et pour les témoins ». Pour ce faire, elle appelle à un « engagement collectif total et sans compromission » entre « les communautés universitaires, les administrations des établissements et les étudiants ». Enfin, évoquant les « chèques psy » mis en place le 1er février pour les étudiants en détresse sou- haitant bénéficier d’une aide psychologique sur leur campus, la ministre a annoncé la création d’un nouveau « dispositif d’accompagnement ». « Je souhaite porter un plan d’action national, avec un budget pour la formation des référents, de cellules d’écoute et de valorisation des bonnes initiatives étudiantes, pour enrayer et faire face aux comportements à risque », a expliqué Frédérique Vidal. Pour la femme politique, « le meilleur remède, c’est la solidarité dans l’écoute et l’accompagnement dans la réponse, pour que les étudiants en détresse puissent être bien dans leurs études ». 13
Conférence sur la responsabilité Philippe Thébaud, le premier intervenant de cette seconde journée du séminaire Cpas1option édi- tion 2021, a abordé thème de la « responsabilité des organisateurs de fêtes et des directeurs d’éta- blissement ». Juriste et administrateur de la MAIF depuis plus de quinze ans, il s’est penché sur cette thématique que « rencontre tout directeur d’école ou président d’une association étudiante ». À l’aide d’une présentation PowerPoint très détaillée et d’exemples tirés de son vécu, il a précisé le cadre légal qui entoure la responsabilité civile et pénale des associations et de l’administration en cas de dérapages ou débordements. Condition sine qua non de « ce cours de droit », comme l’a surnommé Philippe Thébaud, il a rappelé que les BDE et autres associations d’un établissement d’enseignement supérieur « sont des asso- ciations régies par la loi 1901 », et donc le droit français. 14
Le spécialiste de la législation et des assurances a listé les cas où la responsabilité civile des étu- diants associatifs intervient. « La responsabilité civile est engagée lorsque trois éléments sont réu- nis : la faute du responsable, le préjudice subi par la victime, et un lien de causalité entre la faute et le préjudice ». Pour que la victime (étudiant ou tiers lésé dans une manifestation ou un évènement étudiant) soit dédommagée « sous forme de dommages et intérêts, elle doit donner la preuve que ces trois éléments sont réunis », a expliqué le juriste. « La responsabilité de l’association s’apprécie en fonction de la nature de la relation entre l’associa- tion et la victime », détaille Philippe Thébaud. Si cette dernière était dans une relation contractuelle avec l’organisation étudiante, elle était bien sous contrat, et l’association présente des « obligations de résultat » en cas de pratique d’un sport dangereux, d’intoxication alimentaire, de transport et d’organisation de séjours, etc. C’est-à-dire que « l’association est tenue, de manière quasi auto- matique, de réparer les conséquences dommageables des dommages causés à l’occasion de ces activités ». « Lorsqu’on cherche la responsabilité, on se demande si l’association a tout fait pour informer les étudiants, précise le juriste. Il est toujours bon de leur rappeler qu’il faut modérer les consomma- tions d’alcool par exemple ». La foule de questions des auditeurs, modérée par Aline Lebrun Faes, pilote du groupe de travail BNEI-CDEFI-CGE Cpas1option, portait sur de nombreux cas de figure. Un marteau qui tombe lors de l’installation d’une manifestation, du GHB dans un verre servi lors d’une soirée étudiante, une intoxication alimentaire, un voyage scolaire ou un WEI (week-end d’intégration) qui dérapent, etc. Sur une question de l’audience relative aux dérapages de bizutages, Philippe Thébaud, a notamment rappelé que « le bizutage est strictement interdit et que c’est une infraction pénale ». Patiemment et avec pédagogie, le spécialiste du droit civil et pénal a répondu à chaque question, soit en se servant d’exemples vécus, soit en expliquant qu’il est difficile de toujours répondre de manière tranchée. « J’aime beaucoup les cas d’étude, mais parfois il est impossible de désigner un responsable », a-t-il déclaré. Il a ensuite rappelé que la « loi Fauchon » du 10 juillet 2000 sert à pro- téger « les décideurs », les dirigeants et organisateurs d’une manifestation, en cas de « faute ou de négligence ». 15
Concernant les établissements et les associations, Philippe Thébaud leur a conseillé « l’outil SOIREE et les formations, l’affichage, les brochures à diffuser. C’est très bien pour démontrer devant les forces de l’ordre qu’on a mis les moyens en oeuvre. Signer la charte Cpas1option permet de respon- sabiliser tous les organisateurs et les participants des événements, mais aussi de montrer la bonne foi de l’association et de l’établissement en cas de problème », a-t-il alerté. Se rappelant « ses années d’étudiant en fac de droit », il salue l’engagement actuel des jeunes as- sociatifs. « À l’époque c’était n’importe quoi, il y avait le bizutage comme coutume, il n’y avait pas d’échanges avec l’administration, ni ce genre de séminaires ou d’efforts », a-t-il reconnu. « C’est très méritoire de s’engager, avance Philippe Thébaud. Il faut savoir endosser ce costume de responsable quand on est président d’association car on devient un « dirigeant » au regard de la loi, et plus seulement un étudiant ». « Aujourd’hui, j’ai devant moi des jeunes qui ont un vrai sens des responsabilités », a applaudi le juriste. Il a également rappelé que sa mission auprès de la MAIF est d’être « dans une certaine em- pathie, bienveillance, car on est dans le cadre conseil avec les étudiants et les établissements ». 16
Résumé de la journée du 29 mars Première journée du séminaire Cpas1option portant sur la prévention des conduites à risque chez les étudiants. Olivier Chansou, le directeur général de l’École nationale de l’aviation civile (ENAC), a lancé l’édition 2021 avec un enthousiasme sincère. « Cette année, le thème de notre séminaire est le bien-être étudiant, une problématique devenue encore plus importante par les temps qui courent », a-t-il déclaré. Cette grande école toulousaine, dont le fer de lance est l’aéronautique, aurait dû recevoir les ren- contres, mais étant donné le contexte épidémique, l’ENAC a accueilli sur la plateforme Zoom un peu plus de 230 participants. Deux jours d’échanges sur le bien-être étudiant et la prévention des addictions auxquels ont participé des directeurs d’établissement, leur administration, ainsi que des étudiants associatifs. « Cet espace de discussion est un moment privilégié pour partager les bonnes pratiques concernant la santé des étudiants », a rappelé Olivier Chansou. Isolement dans des chambres minuscules, manque d’interactions sociales, inégalités d’accès aux cours en ligne, problèmes financiers, cercle vicieux des addictions, horizon incertain qui a le goût d’un « jour sans fin », la pandémie et le distanciel ont aggravé les nombreuses difficultés que ren- contraient les étudiants. C’est pourquoi le thème du bien-être étudiant résonne en mars 2021, un an après le premier confinement, avec d’autant plus d’acuité. Davantage encore dans ce contexte, l’école et l’enseignement qu’elle délivre ont pour mission de préparer les élèves à entrer dans la vie adulte. « Notre mission de grande école est de former des nouveaux citoyens prêts à entrer dans le monde du travail, notamment avec des démarches de prévention face à l’alcoolisme et aux conduites à risque », a réaffirmé le DG de l’ENAC. « Étudiante en dernière année d’école d’ingénieurs à Besançon », Gaëlle Petitjean est aussi « co-res- ponsable prévention au BNEI », le Bureau national des élèves-ingénieurs, depuis un an. Elle a rappe- lé que le BNEI « représente 185 000 élèves-ingénieurs en France », et que l’organisation porte une mission de « prévention des addictions en milieu festif et quotidien » pour garantir le bien-être et donc le bon déroulement des études des promotions. À l’aide d’« un petit jeu » sous forme de « nuage de mots », l’étudiante a voulu « approfondir notre notion de la prévention ». Tour à tour et d’une couleur différente, les expressions suivantes ont gravité sur l’écran : « anticipation », « prévenir », « conseils », « accompagner », « responsabilité », « gestion des risques », « nécessité » ou encore « sensibilisation ». 17
Le point de départ de la démarche de prévention remonte à « 2005, quand on a fait le constat qu’il y avait des accidents assez graves lors des soirées d’intégration et rencontres étudiantes », a expliqué l’étudiante ingénieure. Le BNEI, la CGE (Conférence des grandes écoles) et la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) se sont alors associés pour former le groupe Cpas1option. « Il y a trois étapes dans notre démarche : la stratégie, l’application et la rétroaction, et elles fonctionnent comme un cycle », a renchéri Gaëlle. De nombreux partenaires accompagnent Cpas1option, détaille l’étudiante : Monte ta soirée, La Croix rouge, les fédérations d’addictions, etc. Et elle a rappelé que « le premier séminaire de prévention a eu lieu en 2013, et la première charte 18
signée en 2007 a beaucoup évolué ». Parmi les sept points de cette charte, on retrouve les suivants : l’importance du binôme direction-BDE, la mise en place d’actions concrètes et d’outils pour prévenir les conduites à risque chez les élèves et la formation de tous les acteurs de la vie étudiante. « Nous souhaitons partager les bonnes pratiques, a affirmé Alice Guilhon, directrice générale de SKEMA Business School, et assurer un transfert de connaissances pour que les jeunes profitent de leurs années et de leur vie étudiantes, c’est ce qu’il y a de plus beau », se souvient-elle en souriant. Également élue de la CGE, elle a expliqué l’intérêt « de détecter les signaux faibles de mal-être et 19
d’addiction chez les étudiants pour les accompagner, quelles que soient leurs origines, quels que soient leurs situations et leur éloignement avec la famille ». « On est à vos côtés et vous pouvez nous solliciter quand vous le voulez », a assuré Alice Guilhon. Puis s’est lancé un temps d’échanges modéré par Aline Lebrun Faes, la pilote du groupe de travail Cpas1option. Xuan Meyer, directrice adjointe de l’INP-ENSIACET de Toulouse, a souligné la problé- matique des passations. « Quand on change d’équipe administrative ou étudiante, il y a une perte des informations et une perte de connaissances dans les bonnes pratiques », s’est inquiétée l’ingé- nieure en génie chimique. Alban Charonnat, président du BDE de l’INSA Toulouse et Louis Rampal, du BDE de l’ESEO à Angers, ont partagé leurs bonnes idées. Tous deux ont expliqué avoir fait leur « passation pendant le confi- nement » et pour renforcer le lien avec les nouveaux et anciens BDE, « on a fait des capsules vidéo pour être plus dynamique et plus sympa qu’un doc papier ». Une initiative qui a sans doute fait des intéressés dans l’auditoire. Le responsable vie étudiante d’Audencia, Constantin Ciovica, a quant à lui recommandé de faire « une version en anglais de la charte », « une excellente question » pour Aline Lebrun Faes, réjouie par tant d’émulation intellectuelle et de partages d’expériences. À 15 h, Sophie Monvoisin, une psychologue clinicienne, a lancé la table-ronde « Bien-être étudiant – Prévention des comportements à risque ». Elle a travaillé quinze ans dans le groupe hospitalier Nord-Essonne. C’est par une « métaphore aéronautique » et avec légèreté que la psychologue a ou- vert ce temps de rencontres : « Malgré les turbulences et les changements de personnel navigant, la destination est toujours la même et on espère un atterrissage en douceur », a-t-elle avancé le sourire au coin des lèvres. La psychologue a tout d’abord rappelé ce qu’était une « conduite à risque » et la « notion clef de prévention ». Cette première désigne « une conduite qui met en danger, c’est une tentative de sou- lagement d’une souffrance, consciente ou non, de violence contre soi (automutilation, suicide) et contre les autres », a précisé la psychologue. Dans ces conduites à risque, on retrouve notamment « l’usage et l’expérimentation précoces de substances psychoactives (médicamenteuses ou alcool) et des comportements sexuels à risque », a-t-elle expliqué. La prévention de ces conduites mettant en danger la santé et les études des jeunes, elle aussi, est multiple : « il y a la prévention primaire qui agit en amont, puis la secondaire (dépistage) et la tertiaire qui sert à prévenir une rechute », a détaillé Sophie Monvoisin. À sa suite, la docteure Samira Djezzar, médecin-praticien hospitalier et directrice du CEIP (Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance et d’addictovigilance) de la région Île- de-France, a présenté un PowerPoint très détaillé issu de sa recherche sur l’usage de substances psychoactives. Il s’agit de substances modifiant, partiellement ou totalement, le fonctionnement psychique de leur utilisateur. Et elles sont très nombreuses : alcool, amphétamines, cannabis, cham- pignons hallucinogènes, tabac, opiacés, sédatifs, hypnotiques et anxiolytiques, etc. 20
Les substances les plus consommées par les étudiants qui ont répondu à l’étude sont « le cannabis, les benzodiazépines, le poppers, le proto, la cocaïne, les champignons hallucinogènes ». Les princi- pales motivations de consommation sont en premier lieu la fête, puis l’expériementation, ainsi que le désir pimenter les relations sexuelles. Mais le cannabis, ses dérivés et les autres médicaments psychostimulants sont également utilisés par les jeunes adultes à des fins de « gestion du stress », de « gestion du sommeil », et de « dopage intellectuel, avec le méthylphénidate pour modafinil ». Samira Djezzar a souligné que « les jeunes femmes sont plus sujettes à la pharmacodépendance 21
avec les anxiolytiques ». Ces dernières consomment beaucoup plus de médicaments codéinés, d’an- xiolytiques et de sédatifs que les jeunes hommes. Pour Laurent Gerbaud, épidémiologiste et directeur du service de santé universitaire du site Cler- mont-Auvergne, ce 3e confinement annoncé par Emmanuel Macron fin mars va créer des dom- mages durables sur la santé mentale et physique des étudiants français. « Plus on est isolé et on a des difficultés financières, plus l’impact de la Covid-19 est flagrant », a-t-il regretté. « En France, on a dix fois moins de psychologues à temps plein pour nos étudiants que d’autres pays développés ». « Et le discours très négatif de septembre accusant les jeunes et les adolescents d’avoir relancé et contribué à la 2e vague de l’épidémie n’a pas aidé, s’est révolté Laurent Gerbaud. Seulement 12 %, donc une minorité de contaminations étudiantes, sont dues à des fêtes étudiantes ». Marion Bulot, la responsable du dispositif Wellness de KEDGE Business School, a quant à elle expli- qué que leur dispositif « a été mis en place depuis plus d’une dizaine d’années sur tous les campus ». Cette prestigieuse école de commerce « fait le pari que les 14 000 étudiants réussissent au mieux leur scolarité ». En charge de la coordination et de la communication de l’association SPS (Soins aux professionnels de la santé), la docteure Catherine Cornibert a insisté sur l’importance du « 0 805 23 23 36, le numé- ro vert qu’on peut appeler quand on ne va pas bien, jour et nuit ». Des intervenants parlant français, anglais et espagnol sont disponibles pour écouter, rassurer et orienter les jeunes étudiants en santé vers des aides. Cette table-ronde sur le bien-être étudiant, très riche en informations et en débats, s’est achevée par le témoignage de Benjamin Rivière, un « élève de la promotion 2019 de l’ENAC ». « À l’école, on a vu que ça ne se passait pas bien… » a soufflé le jeune homme doucement. « Là, dans l’aéronautique plus particulièrement, on n’a aucune perspective de nouvelle rentrée. Je vois des étudiants qui ont 20 ou 21 ans comme moi, et je vois qu’ils n’ont plus de projet », s’est inquiété l’étudiant en école d’ingénieurs. 22
À une question de l’audience sur la difficulté de repérer les signaux faibles chez les étudiants en détresse, Sophie Monvoisin, la modératrice de le table-ronde et psychologue clinicienne, a répété : « on est tous des sentinelles en ce moment, il ne faut pas hésiter et rester vigilant aux autres ». À la suite de la table-ronde sur le bien-être étudiant, Benoît Heilbrunn, philosophe et profes- seur de marketing à l’ESCP, a défendu sa « vision philosophique de l’isolement ». Un parti-pris très serein, voire optimiste sur cette expérience collective de confinement, qui a pu surprendre certains parmi les 230 auditeurs du séminaire Cpas1option. Son but : « nous faire réfléchir et prendre du recul sur cette diabolisation de l’isolement, car il a un certain nombre de vertus ». Bien que l’isolement, ou « esseulement » philosophique, « est susceptible de conduire à des conduites addictives […] comme les paris sportifs en ligne, a expliqué cet ancien élève d’HEC et de l’école des Hautes études en sciences sociales, il faut savoir souffrir de la soli- tude », nous a-t-il expliqué. Pour être bien avec les autres, l’exigence sine qua non selon Be- noît Heilbrunn est d’être « seul et bien avec moi-même avec mon activité de l’esprit : c’est pourquoi le dialogue intérieur est la condition de possibilité du dialogue avec les autres ». « J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », a-t-il avancé en citant Blaise Pascal, le philosophe et mo- raliste français du XVIIe siècle. Pour Friedrich Nietzsche, la solitude est « censée nous apporter une forme de bonheur qui s’appelle la sagesse […], l’Intelligence suprême ». Il écrivait même « Heureuse solitude, seule béatitude ». La « capacité créatrice née de l’isolement, la solitude comme échappatoire à la médiocrité ambiante » se retrouve « chez les grecs et dans la pensée chinoise », a assuré Benoît Heilbrunn. Juste avant de filer « sur Europe 1 pour parler des paris sportifs en ligne au journal de 19 h », le philosophe a conclu sa thèse optimiste sur l’isolement, en citant John Stuart Mill : « la solitude est le berceau de pensée et d’aspirations qui sont non seulement bonnes pour l’individu, mais utiles à la société ». Un parti-pris philosophique très serein et ascétique sur le confinement, qui peut être contesté, no- tamment après le témoignage précédent de Benjamin Rivière, élève-ingénieure à l’ENAC. Cette première journée de séminaire s’est achevée avec un temps d’échange, spécialement réservé aux étudiants, qui a eu lieu à 20 h sur la plateforme Teams. Un moment informel, de type agora, rythmé par une table-ronde et des jeux de cohésion. 23
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