ACTION PUBLIQUE Recherche et pratiques - De l'environnement dans l'action publique - Ministère de l'Économie
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
ACTION PUBLIQUE Recherche et pratiques De l’environnement dans l’action publique Septembre 2021 N°11 2021/2
ACTION N°11 PUBLIQUE Recherche et pratiques
Directrice de la publication Si vous souhaitez recevoir par courriel la revue Virginie Madelin Action publique. Recherche et pratiques, rendez‑vous sur le site Rédacteurs en chef https://www.economie.gouv.fr/igpde‑editions‑publications Marcel Guenoun pour vous inscrire à notre liste de diffusion Jean‑Gabriel Plumelle Coordinateur de la publication / rédacteur spécialisé Jean‑Gabriel Plumelle Publication trimestrielle en accès libre – ISSN 2647‑3135 Secrétaire de rédaction Edoardo Ferlazzo Contact : recherche.igpde@finances.gouv.fr Design graphique Studio graphique du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance (SG‑SIRCOM) Réseaux sociaux : Relecture, mise en page et maquettage Twitter : @Igpde_GP Jouve Youtube : Youtube.com/igpde 2
Sommaire 4 Éditorial PAR VIRGINIE MADELIN Regards croisés : entre recherche et pratique 6 De la régulation financière au contrôle de gestion Les défis écologiques dans l’action publique ENTRETIEN ENTRE ANGÈLE RENAUD ET CHARLOTTE GARDES Dossier thématique : la fiscalité environnementale 16 Les finances publiques vertes Entre ambition budgétaire et réalité fiscalo‑sociale ROBIN DEGRON 27 La carte carbone peut‑elle être simple, efficace et juste ? ANTONIN POTTIER Note réactive : Belgique 36 GreenCheck, éclairer le consommateur sur la qualité environnementale de l’offre énergétique en Flandre SABINA CARAMIZARU 39 L’œil du chercheur REVUE D’ARTICLES ET DE THÈSES EN SCIENCES DE GESTION 3
Éditorial par VIRGINIE MADELIN L’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique n’a cessé de croître ces dernières années, facilitant l’émergence d’une prise de conscience collective concernant la rapidité, la généralisation et l’intensification des dérèglements écologiques. La communauté Virginie Madelin scientifique, notamment à travers des comités et des Directrice générale groupes d’études placés sous l’égide des Nations Unies, a de l’Institut de la tenu un rôle fondamental dans la mise en évidence de la gestion publique et du développement dimension systémique du changement climatique. économique En consacrant un numéro à la prise en compte de ces enjeux dans la poursuite de l’action publique, la revue de l’IGPDE souhaite contribuer – à son échelle – à la diffusion de ces savoirs en les faisant dialoguer avec les pratiques et les initiatives mises en place pour tenter d’apporter des solutions à cette polycrise écologique. À cet égard, l’entretien entre la professeure en sciences de gestion Angèle Renaud et l’économiste Charlotte Gardes illustre bien la possibilité d’un dialogue fructueux entre recherche et pratiques. Les correspondances qu’elles établissent entre le financement de la transition énergétique au niveau national et le contrôle de gestion environnemental au niveau des entreprises montrent la richesse de ces échanges. Ce numéro accorde également une importance particulière aux instruments de la fiscalité environnementale. D’abord avec Robin Degron qui fournit une analyse éclairante de la budgétisation « verte », ensuite avec Antonin Pottier qui interroge dans son article l’efficacité de la carte carbone. Enfin, la Note réactive vous présente un dispositif mis en place par les autorités de régulation belge pour éclairer le consommateur sur la qualité environnementale de l’offre énergétique. Je vous souhaite une excellente lecture. 4
ACTION PUBLIQUE • RECHERCHE ET PRATIQUES • N°11 • 2021/2 Regards croisés Entre recherche et pratiques Le Regards croisés repose sur un dialogue organisé entre une personne issue du monde académique et universitaire et une personne issue de l’administration publique sur un sujet d’intérêt commun. Ce dialogue est animé dans le cadre d’une interview vidéo publiée sur la chaîne YouTube de l’IGPDE. Cette interview est également retranscrite et remaniée sous la forme d’un article publié dans cette revue. 5
REGARDS CROISÉS : ENTRE RECHERCHE ET PRATIQUE De la régulation financière au contrôle de gestion Les défis écologiques dans l’action publique Un entretien avec Angèle Renaud et Charlotte Gardes Retrouvez cet entretien en vidéo sur la chaîne YouTube de l’IGPDE Comment intégrez‑vous comme General Motors. Puis, dans les années 1950, il est introduit en Europe dans les entreprises les enjeux environnementaux industrielles, et plus tard, dans les entreprises dans vos objets d’études de service. et de recherche ? C’est avec le new public management (NPM) que le contrôle de gestion s’étend au secteur public. En France, les réformes dites de moder‑ ANGÈLE RENAUD – En tant que professeur en nisation des services publics – je fais notam‑ sciences de gestion, je m’intéresse aux probléma‑ ment référence à la LOLF (Loi organique relative tiques environnementales à l’échelle des organisa‑ aux lois de finance, N.D.L.R.), à la LRU (Loi rela‑ tions, tant dans le secteur privé que dans le secteur tive aux libertés et responsabilités des universi‑ public. Plus précisément, mes travaux portent sur tés, N.D.L.R.), à la T2A (Tarification à l’activité, l’intégration des enjeux environnementaux dans N.D.L.R.) et plus récemment au programme Action la sphère du contrôle de gestion. Publique 2022 – conduisent à institutionnaliser Avant de vous parler d’écologie, j’aimerais d’abord les dispositifs de contrôle de gestion dans les décrire brièvement ce qu’est le contrôle de gestion. organisations publiques. Si on reprend les travaux fondateurs de Robert Par ailleurs, avec l’avènement de la responsabi‑ Anthony (aux États‑Unis) et d’Henri Bouquin (en lité sociétale des organisations (RSO), le contrôle France), on pourrait dire que le contrôle de gestion de gestion s’oriente désormais vers des dimen‑ est un processus managérial qui sert à décliner le sions non financières. En particulier dans le business model et la stratégie d’une entreprise à domaine écologique, on voit émerger le concept tous les niveaux organisationnels. de « contrôle de gestion environnemental », qui Le contrôle de gestion est apparu dans les années est parfois qualifié d’éco‑contrôle en Amérique 1920 dans les grandes entreprises américaines du Nord. 6
ACTION PUBLIQUE • RECHERCHE ET PRATIQUES • N°11 • 2021/2 Depuis une dizaine d’années, j’étudie le rôle du la recherche macroéconomique, également en contrôle de gestion et des contrôleurs de gestion matière climatique, ou encore la recherche sur l’im‑ face aux nombreux défis écologiques que sont les pact de l’investissement dans les énergies fossiles, changements climatiques, la pollution des eaux, sur la biodiversité et sur le réchauffement clima‑ l’érosion des sols ou encore l’épuisement des res‑ tique. Cette recherche a pour objectif de nourrir sources naturelles… la prise de décision, mais aussi de permettre de pouvoir débattre de ces sujets – plus on creuse les questions liées au climat, plus on se rend compte CHARLOTTE GARDES – La problématique envi‑ que le réchauffement climatique et la transition ont ronnementale et climatique est de plus en plus des conséquences opérationnelles très variées sur prégnante dans la poursuite de l’action publique. l’ensemble des politiques publiques. En ce sens, comme la direction générale du Trésor Très concrètement, la direction générale du Trésor a pour objet d’élaborer la politique économique, est représentée dans des groupes de travail sur la la problématique climatique s’intègre dans l’en‑ place de Paris – par exemple pour réfléchir à des semble des services de la direction générale du méthodologies d’alignement sur l’accord de Paris Trésor, tant au service du financement de l’éco‑ des portefeuilles financiers. Les agents ont ainsi nomie auquel j’appartiens qu’au sein d’autres besoin de se fonder sur la recherche existante. Je services – par exemple, le service des politiques participe ainsi au comité scientifique de l’Obser‑ publiques, celui en charge de l’internationalisation vatoire de Paris sur la finance durable. Ce comité des entreprises ou encore des relations bilatérales. est à mon sens un très bel organe car il réunit à Et en ce sens, la problématique climatique est la fois des chercheurs, académiques, des experts, particulièrement complexe parce qu’elle irrigue issus de think tanks, par exemple, ou encore des pleinement l’ensemble des politiques publiques. auditeurs, et puis des représentants de la direction Tant la politique industrielle et énergétique que générale du Trésor et du Commissariat général la politique de régulation financière et des entre‑ au développement durable du ministère de la prises, mais aussi la politique de l’emploi et la Transition écologique. Il existe ainsi un véritable politique sociale. pont entre la recherche académique et la prise de décision en matière de politique publique – et ce La problématique climatique doit s’intégrer dans dans les deux sens. l’ensemble de la direction générale du Trésor. À ce titre, la recherche en matière climatique a énormé‑ Le monde académique a également besoin de ment de sens, parce qu’elle va pouvoir irriguer aussi comprendre quel est l’impact réel de la recherche la prise de décision en matière réglementaire, de sur la prise de décision. Inversement, comme poursuite de programmes publics, et de politique représentant de la direction du Trésor, nous avons publique plus généralement. besoin de comprendre exactement ce que nous apporte la recherche pour mieux pouvoir prendre Il existe donc un plan Climat au sein de la direction les décisions. générale du Trésor, et plus largement au ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, depuis Par ailleurs, la direction générale du Trésor compte 2021. C’est une demande du Premier ministre. Le quelques docteurs et quelques doctorants. Je ministère s’appuie donc sur des indicateurs de poursuis par exemple ma thèse en économie du suivi en matière climatique, qui sont imposés à droit, sur le risque climatique appliqué aux ins‑ l’ensemble des agents, des directions qui consti‑ titutions financières et sa prise en compte dans tuent le ministère de l’Économie et des Finances. l’ensemble des piliers prudentiels : cela nécessite évidemment de mobiliser des compétences inter‑ S’agissant des entreprises et du secteur financier, disciplinaires, à la frontière de l’économie (à l’instar ce sont par exemple des indicateurs de suivi en de la spécialisation du Trésor), du droit, de la régu‑ matière de transparence extra‑financière des lation, ainsi que des sciences environnementales entreprises, de bilan des émissions de gaz à effet et climatiques. de serre qui sont produits par les entreprises, et Le mot d’ordre est donc l’interdisciplinarité, tandis de transparence extra‑financière de la part des que jusqu’à présent, tout a beaucoup fonctionné investisseurs et des établissements bancaires et en silo. Cela peut même encore en étonner beau‑ assurantiels. C’est plus largement une palette d’in‑ coup que la direction du Trésor puisse s’intéresser dicateurs qui doivent être suivis par les agents. au climat ! En ce sens, tant la sensibilité des agents La recherche climatique s’intègre plus largement que la recherche aident la direction générale du dans le travail au quotidien, à la fois la recherche sur Trésor à prendre en compte l’intérêt climatique le fondement des rapports du GIEC, évidemment dans l’élaboration des politiques publiques. 7
REGARDS CROISÉS : ENTRE RECHERCHE ET PRATIQUE Dans le temps long, et énergétique. Au vu des balbutiements en matière de politique environnementale (d’un point les politiques en faveur de vue fiscal, industriel…), le système financier a de l’environnement besoin d’avoir un cap à atteindre, de connaître exactement quels sont les critères de durabilité se sont constituées autour dans lesquels il intervient. du triptyque « éviter, réduire, Cette feuille de route partagée – ou ce langage compenser ». commun – vise à pallier l’absence d’information sur ce que constitue une véritable trajectoire de Comment cela se traduit‑il durabilité pour une entreprise : c’est l’objectif dans les dispositifs de de la taxonomie des activités économiques durables en cours de développement au niveau régulation financière ? européen, qui constitue le cœur de ce qui est aujourd’hui poursuivi en matière d’intégration CHARLOTTE GARDES – C’est une excellente ques‑ de la problématique environnementale dans le tion car l’intégration, de l’environnement et du dispositif de régulation financière. climat dans les dispositifs de régulation financière ne va pas de soi. La manière dont la réglementa‑ Dès lors qu’on est en train progressivement – tion financière a été construite jusqu’à présent est au niveau européen essentiellement mais aussi largement axée sur le risque. Il est donc d’abord au niveau national – de modifier la réglementa‑ nécessaire de bien comprendre quels sont les tion financière existante pour y intégrer la prise risques issus du changement climatique et de l’éro‑ en compte du climat ou dès lors qu’on adopte de sion de la biodiversité sur la stabilité financière. nouvelles réglementations essentiellement, encore une fois niveau européen, pour venir aider à verdir En ce sens, il existe un triptyque des risques cli‑ les pratiques financières, on se fonde sur cette matiques : d’abord, les risques de transition, qui taxonomie qui est un peu cette grammaire com‑ découlent directement de la nécessité de la transi‑ mune, ce système métrique, on pourrait presque tion – par exemple via la dépréciation d’actifs ; puis dire, de la durabilité. Cette taxonomie est utilisée les risques physiques que sont les conséquences pour « standardiser » les instruments financiers physiques du réchauffement climatique sur les – tant pour l’instrument qui n’est pas commer‑ actifs ; et enfin les risques dits de contentieux. cialisé comme durable que celui qui est distribué Pour ces derniers, la poursuite en justice d’États, comme tel. Sur l’ensemble de la chaîne d’inves‑ de collectivités, mais également d’entreprises, peut tissement, jusqu’au processus de distribution des faire peser des risques sur les institutions finan‑ produits financiers, la durabilité est intégrée. cières qui détiendraient de tels titres. À titre d’exemple, on mentionne beaucoup le rôle Or, la manière dont le climat est aujourd’hui clef joué par les obligations vertes : une « stan‑ intégré dans les dispositifs de régulation finan‑ dardisation » va bientôt apparaître dans l’Union cière dépasse le seul risque. L’enjeu consiste à européenne sur ces instruments, pour dynamiser s’interroger sur la manière dont la réglementa‑ le marché et assurer son caractère compétitif, tion financière peut permettre l’atténuation du tout en harmonisant les critères afin de renforcer changement climatique. aussi la confiance des investisseurs dans le système Sur le fondement du triptyque « éviter, réduire, com‑ financier plus généralement, et donc dans le rôle penser », développer une finance durable revient à aussi de vecteur de la transition écologique que s’interroger sur la mesure avec laquelle le système doit revêtir le système financier. financier a un rôle à jouer dans la redirection des La finance durable est donc à la frontière de la flux de capitaux vers la transition énergétique et sur réglementation financière, de la science clima‑ la manière dont le système financier doit gérer ces tique (parce qu’atteindre la transition écologique risques issus du changement climatique – le climat et rediriger les flux de capitaux vers la transition, est dès lors perçu comme une contrainte. cela implique de comprendre ce qu’est cette tran‑ Ces deux éléments constituent la définition même sition et ce qu’elle doit apporter), et de l’économie de la finance durable : la manière dont ils sont réelle (car l’on parle de processus industriels, de la intégrés en pratique dans la réglementation est fourniture de produits et de services, etc.). donc naturellement assez pluridimensionnelle. Le système financier ne fonctionne pas seul et Cela requiert en outre une feuille de route com‑ son rôle premier est bien de financer l’économie mune sur ce que constitue la transition écologique réelle. C’est ce qui rend le sujet particulièrement 8
ACTION PUBLIQUE • RECHERCHE ET PRATIQUES • N°11 • 2021/2 intéressant. Or, sans transparence extra‑financière public, l’État, les collectivités territoriales de plus de la part des entreprises, de la part de l’économie de 50 000 habitants et les établissements publics réelle, il est rendu beaucoup plus complexe pour de plus de 250 agents (dont les hôpitaux) doivent le système financier d’effectivement jouer ce rôle publier leurs bilans d’émissions de gaz à effet de aussi de redirection des flux de capitaux vers la serre (BEGES). Et plus récemment, la loi PACTE transition écologique. de 2019 va plus loin puisqu’elle oblige les entre‑ prises à prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux dans la gestion de leurs activi‑ Comment ces politiques tés au quotidien. Cette loi propose également aux entreprises de redéfinir leur raison d’être, voire, de en faveur de l’environnement devenir des sociétés à mission. se traduisent dans Ce que je viens d’évoquer renvoie au volet juri‑ les dispositifs de gestion dique. Maintenant intéressons‑nous au volet normatif du reporting. Il faut savoir que d’autres existants, notamment référentiels, cette fois‑ci d’application volontaire, les outils de contrôle sont utilisés par les organisations pour effectuer leurs divulgations extra‑financières, je pense de gestion ? notamment à la norme internationale ISO 26000, aux lignes directrices de la Global Reporting ANGÈLE RENAUD – Charlotte Gardes vient d’abor‑ Initiative (GRI) ou encore au cadre international der cette question à l’échelle macroéconomique. À du reporting intégré… l’échelle micro, il faut savoir que le contrôle de ges‑ J’en viens maintenant à la question du pilotage. En tion environnemental est l’un des dispositifs clés matière de pilotage environnemental, les mana‑ de la déclinaison des politiques environnementales gers publics ou privés utilisent différents outils, à l’échelle des organisations, privées ou publiques. plus ou moins articulés entre eux au sein de ce Ce dispositif peut être appréhendé comme un que l’on appelle un Control Package. Il s’agit par processus managérial qui sert à mettre en œuvre exemple du calcul des coûts environnementaux, ou à faire émerger des stratégies vertes au sein des du bilan carbone (qui permet de mesurer les organisations, donc des stratégies d’évitement, émissions de gaz à effet de serre), de l’analyse de de réduction ou de compensation des impacts cycle de vie (qui est utilisée dans les programmes environnementaux. d’éco‑conception), des Agendas 21 (déclinés dans C’est sous la pression des parties prenantes (y com‑ les collectivités territoriales), des budgets carbone pris institutionnelles) que ce nouveau contrôle ou encore des tableaux de bord verts instaurés se construit aujourd’hui dans les organisations, pour piloter la performance environnementale en particulier dans les entreprises, avec plus ou des organisations. moins de succès. Il se construit entre, d’une part, Pour terminer, j’aimerais souligner les différences le reporting extra‑financier (que vous avez évoqué qui existent entre le secteur privé et le secteur rapidement) qui sert à répondre aux obligations public. Il faut savoir que le contrôle de gestion légales et, d’autre part, les besoins réels en termes environnemental est encore balbutiant et moins de pilotage de la performance globale des organi‑ contraignant dans les organisations publiques par sations. Examinons plus en détail ces deux points, rapport aux entreprises privées. en évoquant d’abord le reporting extra‑financier avant de revenir sur la question du pilotage. Par exemple, l’État français a publié récemment son premier budget vert, adossé au projet de loi Sur le reporting, ce que l’on peut dire, c’est qu’il de finances pour 2021. Si on apprécie l’effort de existe aujourd’hui tout un arsenal juridique et nor‑ transparence sur l’impact environnemental des matif qui encadre le reporting extra‑financier. Il recettes et des dépenses de l’État, certaines ques‑ y a d’abord eu les lois NRE (loi relative aux nou‑ tions restent néanmoins en suspens : par exemple, velles régulations économiques, N.D.L.R.), les lois comment ce budget sera déployé dans les diffé‑ Grenelle et aujourd’hui, les grandes entreprises rentes administrations ? Qu’adviendra‑t‑il si ses y compris les entreprises publiques, telles que la objectifs environnementaux ne sont pas atteints ? SNCF ou EDF, ont l’obligation de publier des décla‑ rations de performance extra‑ financières (DPEF), On peut aussi s’interroger sur la nature même de ce dispositif est issu de la transposition d’une l’outil. S’agit‑il d’un outil marketing pour rassurer les directive européenne de 2014. À cela s’ajoutent citoyens sur l’engagement environnemental de l’État d’autres dispositifs. Toujours dans le secteur ou d’un véritable outil de pilotage de la performance 9
REGARDS CROISÉS : ENTRE RECHERCHE ET PRATIQUE environnementale des administrations, des organi‑ sein d’une équipe spécialisée, à l’instar de ce qu’a sations publiques en général ? À ce stade, je pense pu faire récemment aussi la Banque centrale euro‑ qu’il est encore trop tôt pour mesurer la portée péenne. Au sein de l’Autorité des marchés financiers de cet outil et qu’il sera donc intéressant de suivre (AMF), c’est une approche quelque peu différente l’usage de cet outil dans le temps long. qui a été choisie : il existe une équipe de coordina‑ tion en finance durable, mais les sujets climatiques et environnementaux sont essaimés un peu par‑ Avez‑vous des expériences tout au sein de l’Autorité des marchés financiers, à la fois au sein de la direction de la Régulation et qui vous semblent des Affaires internationales, mais également dans intéressantes d’États l’ensemble des activités de l’autorité. ou d’organisations L’approche retenue au sein du Trésor rejoint ainsi celle de l’AMF sur ce sujet : des référents en matière qui ont réussi à faire durable existent un peu partout dans les services. en sorte que les ministères, À mon sens, la prochaine étape reviendrait à ce que chaque expert (assurantiel, social…) ait véri‑ que leurs différents tablement la transition écologique et énergétique départements et directions inscrite dans ses missions. C’est après tout le sens de l’histoire, si les choses ont bien fonctionné : la se sentent impliqués dans problématique environnementale serait prise en les sujets environnementaux compte un peu partout. en parallèle de leurs Mais néanmoins, je pense qu’une telle évolu‑ tion requiert deux choses. D’abord, une prise de responsabilités sectorielles ? conscience généralisée de l’importance fondamen‑ tale de ce sujet dans la poursuite des politiques CHARLOTTE GARDES – Le sujet de l’intégration, publiques, ce qui n’est pas forcément encore de l’essaimage de la problématique environne‑ toujours le cas aujourd’hui. Malgré la prise de mentale et climatique dans l’administration, est conscience de nature politique, le climat et l’en‑ clé. Si un tel essaimage n’a pas lieu, alors l’on peut vironnement restent « à part », ou sont en tout se demander dans quelle mesure est‑ce que la cas encore souvent traités de manière parallèle politique publique peut effectivement accom‑ à d’autres objectifs de politique publique. Or, la pagner et inciter, voire contraindre, à la transition prise en compte des limites planétaires devrait énergétique et écologique. s’effectuer selon l’approche promue par la théorie J’aurais plusieurs expériences à mettre en exergue. du Donut de Kate Raworth : l’économie doit se La première pour rappeler peut‑être aussi ce qu’a développer entre un « plancher » social et un « pla‑ pu faire la direction générale du Trésor sur ce sujet. fond » climatique, qui correspond aux limites pla‑ Depuis l’année 2020, le directeur général du Trésor nétaires. Cette approche devrait, à tout le moins est accompagné d’un délégué de haut niveau sur de manière conceptuelle (ou théorique), irriguer le climat qui vient constituer le point d’ancrage la manière dont fonctionnent l’administration et de l’ensemble des services de l’administration du les politiques publiques. Trésor, sur ces sujets environnementaux et clima‑ Le second enjeu est celui de la compétence. Tout le tiques, et qui a pour rôle de coordonner la poli‑ monde a un degré de connaissance plus ou moins tique publique sur ces sujets. C’est évidemment un important sur le réchauffement climatique, mais rôle large qui comprend à la fois l’élaboration de la ce sont toutes les ficelles qui doivent être tirées politique publique en matière environnementale pour effectivement opérer cette transition. Aussi, et climatique (par exemple sur le budget vert), en tout décideur devrait lire – et comprendre – le matière de réglementation financière, mais aussi résumé pour policymakers du GIEC : quels sont la participation de la France aux sommets inter‑ les différents gaz à effet de serre ? Quelles sont les nationaux et au Fonds vert, le suivi de l’action des sources d’émission ? Qu’est‑ce qu’un budget car‑ banques multilatérales de développement, etc. bone ? Quels sont les impacts du réchauffement Des initiatives un peu similaires ont été mises en climatique sur l’humanité ? On évoque souvent place, par exemple au sein de la Banque de France, le fait de « sauver la planète » : c’est en réalité, avec la création d’un centre sur le changement cli‑ surtout, « sauver l’humanité » ! La planète s’en matique créé il y a quelques mois, qui vient réunir sortira très bien sans l’espèce humaine, et les éco‑ des experts climatiques et environnementaux au systèmes s’adapteront. C’est tout l’objet de ce que 10
ACTION PUBLIQUE • RECHERCHE ET PRATIQUES • N°11 • 2021/2 rappelle le GIEC dans le rapport qui a récemment de la Covid‑19. Cette crise a montré dans quelle « fuité » (sixième rapport d’évaluation du Groupe mesure aussi l’érosion de la biodiversité avait un d’experts intergouvernemental sur l’évolution du impact majeur sur l’économie. Il y a eu une forme climat dont une version non destinée au public de redéploiement de la problématique climatique est sortie en juin 2021, N.D.L.R.). dans la prise de décision publique. Tout ceci requiert des compétences « de base » sur Le sujet est vaste, mais disons que l’intégration du les sujets environnementaux et climatiques, mais climat dans la politique monétaire, c’est désormais qui ne sont pas simples. Compétences que l’on un sujet clé : les articles de recherche qui portent ne nous enseigne pas nécessairement – y compris sur ce sujet sont extrêmement nombreux ; la prési‑ aujourd’hui au sein de la direction générale du Trésor, dente de la Banque centrale européenne, Christine du fait des parcours très « ingénieur » ou « sciences Lagarde, s’exprime très largement sur ce sujet. Il y sociales » des agents. La problématique environne‑ a par ailleurs un débat très fort au sein du Conseil mentale n’est que peu enseignée aujourd’hui dans des gouverneurs de la Banque centrale européenne les universités au sein des formations généralistes sur la place qui doit être donnée au climat dans – au‑delà souvent d’un cours d’économie ou de droit la poursuite de la politique monétaire, et pas seu‑ de l’environnement. Cela n’est que peu pleinement lement, dans la poursuite d’objectifs climatiques intégré dans la formation, ce qui se reflète a poste‑ dans le cadre de la gestion des fonds propres des riori dans le monde du travail, dans l’administration banques centrales, mais également dans la pour‑ publique, comme dans l’entreprise. suite de la politique monétaire elle‑même. Ce sujet s’impose également dans le cadre de l’élaboration de la révision de la réglementation ANGÈLE RENAUD – Je me permets de rebondir financière – et au‑delà en matière de politique sur la question de la formation, je peux dire que économique (prix du carbone, mécanisme d’ajus‑ les choses sont en train d’évoluer dans la mesure tement carbone aux frontières, marché ETS…). où, ne serait‑ce que dans le domaine des sciences de gestion, nous intégrons dans nos programmes Un triptyque de politiques peut être mis en place. pédagogiques des unités d’enseignement sur la Je citerais sur ce point un excellent article récent responsabilité sociétale des organisations ; ce qui intitulé « It takes two to dance » (à consulter n’était pas le cas il y a dix ans. ici, N.D.L.R.), qui étaye trois différents types de politiques. Celles d’ordre informationnel – qui Donc, les étudiants qui sortent de nos forma‑ constituent aujourd’hui l’essentiel de ce qui est tions ont effectivement un bagage, en tout cas poursuivi, avec les actions menées en matière de des connaissances, sur les questions environne‑ transparence extra‑financière des entreprises et mentales, les questions sociales. Pour ne prendre des investisseurs, tel qu’Angèle l’a très bien décrit. ne serait‑ce que l’exemple des acteurs du monde Les instruments et les produits financiers sont éga‑ financier, ils ne sont plus focalisés que sur des lement « standardisés », aux côtés du règlement indicateurs financiers, ils s’intéressent aussi aux Disclosure des établissements bancaires en matière KPI RSE (Key Performance Indicators ou Outils ESG – le fameux « pilier 3 » du Comité de Bâle. indicateurs clés sur la responsabilité sociale des entreprises, N.D.L.R.). Je pense que les choses Un autre de type de politique peut être davantage évoluent. Pas aussi rapidement que l’on le sou‑ d’ordre incitatif, par exemple la politique fiscale. haiterait, mais il y a quand même une évolution Au‑delà d’une taxe carbone, l’on pourrait imaginer dans le bon sens. des dispositifs fiscaux pour l’émission d’obligations vertes, ou l’achat de parts d’un fonds écolabellisé. Ces réflexions ont lieu. Quel est le rôle du régulateur Des politiques plus coercitives pourraient aussi dans l’intégration coexister, via la contrainte de l’ensemble du sys‑ tème financier à suivre une trajectoire bas carbone, au système financier à adopter des objectifs quantitatifs d’émissions des défis écologiques ? de gaz à effet de serre … et via la possibilité de sanctionner si ces objectifs n’étaient pas atteints. CHARLOTTE GARDES – Il est vrai que l’intégration On se situe beaucoup plus aujourd’hui dans l’ac‑ de la problématique climatique dans le système compagnement du marché, avec un accent très financier et plus largement dans la politique éco‑ fort mis sur la transparence. Nous avons ainsi par nomique, est une question très large et qui mobi‑ exemple publié le 27 mai 2021 au Journal officiel lise beaucoup, et ce d’autant plus depuis la crise le décret d’application de l’article 29 de la loi 11
REGARDS CROISÉS : ENTRE RECHERCHE ET PRATIQUE énergie‑climat : cet article est venu réviser le cadre de transparence extra‑financière des investisseurs, Quel est le rôle du contrôleur qui datait de 2015, et plus spécifiquement de l’ar‑ ticle 173‑VI de la loi de transition énergétique pour de gestion dans l’intégration la croissance verte. des défis écologiques C’était une première mondiale en matière de au sein des organisations transparence extra‑financière des investisseurs. Ce décret vient contraindre les acteurs de marché publiques ou privées ? à publier une stratégie d’alignement avec l’accord ANGÈLE RENAUD – Avant d’aborder le rôle du de Paris, en publiant des objectifs quantitatifs contrôleur de gestion dans le domaine environ‑ d’émissions de gaz à effet de serre tous les cinq nemental qui nous intéresse, il faut quand même ans jusqu’à horizon 2050, avec des contraintes rappeler qu’à l’origine, le contrôleur de gestion en matière de transparence quant à la métho‑ est de formation comptable et financière, et qu’il dologie adoptée. Aussi, un gestionnaire d’actifs n’était pas destiné à jouer un rôle dans le domaine ne pourra demain pas seulement dire « mon environnemental. portefeuille est aligné à 1.5, 2, voire 4 °C », mais il devra aussi se fixer une véritable stratégie, sur Toutefois, le métier est en train d’évoluer notam‑ des fondements quantitatifs. ment sous l’effet de nouvelles réglementations en matière de RSE. Aujourd’hui, et je l’espère demain, Le décret vient décrire la manière dont l’acteur le contrôleur de gestion pourra jouer un rôle plus de marché doit élaborer cette stratégie, sur le important, notamment en termes de pilotage de fondement de quel scénario énergie‑climat, en la performance environnementale et de la perfor‑ prenant en compte quels secteurs, quelles zones mance globale (si on s’intéresse aussi aux aspects géographiques, quelles données réelles et esti‑ sociaux et sociétaux). mées, etc. Les acteurs de marché devront publier un plan d’amélioration, et les actions correctives À l’heure actuelle, deux profils de contrôleur de mises en place dès lors que des résultats « néga‑ gestion semblent se dégager de la pratique. Le tifs » pourraient émerger de la mise en place de premier profil est plus courant, il consiste en fait à cette stratégie parce que le gérant, par exemple, attribuer de nouvelles missions environnementales se « rendrait compte » que son portefeuille est aux contrôleurs de gestion financiers, conduisant exposé à plus de 2 °C de réchauffement. ainsi à une transformation mineure du métier de contrôleur de gestion. Par exemple, le contrôleur L’on suit donc une logique de transparence, certes, de gestion peut se voir confier la réalisation et le mais renforcée. Ce n’est pas chose simple, car la suivi d’un bilan carbone au sein de son entreprise. réglementation financière n’a pas comme ADN, Il peut également être chargé de produire des indi‑ initialement, la prise en compte du climat. C’est cateurs RSE ou de réaliser le reporting extra‑finan‑ une matière très complexe. cier pour répondre aux exigences légales. À titre d’exemple, les groupes EDF ou APICIL proposent ANGÈLE RENAUD – Mais y a‑t‑il des sanctions ? ce type d’emploi. Est‑ce que des sanctions sont prévues dans le Quant au second profil, il est plus marginal. Des cadre de ce décret que vous évoquiez ? pionniers comme Danone, Nature et Découvertes ou encore la Caisse des dépôts ont créé des postes CHARLOTTE GARDES – La sanction pourrait venir de contrôleur de gestion dédiés aux probléma‑ tiques environnementales. Ces postes seraient, à de l’absence de publication et ce serait au régu‑ mon sens, les prémices d’un nouveau métier, qui lateur d’en tirer les conséquences. Un juge peut est en train d’émerger, et que l’on pourrait qualifier également tout à fait juger de l’absence de publi‑ de « contrôleur de gestion environnemental » ou cation d’une déclaration de performance extra‑fi‑ « contrôleur de gestion écolo ». nancière. Après, la sanction vient avant tout du marché, étant donné qu’il est lui‑même contraint Ce métier pourrait se développer à l’instar du de publier ces informations et de tenir compte de métier plus ancien, celui de contrôleur de ges‑ cette nécessité d’alignement des produits pour tion sociale ou RH. Il y a 20 ans, on parlait peu pouvoir gérer ces risques, et évidemment distri‑ de contrôleur de gestion sociale ; donc j’imagine buer aussi ces produits aux clients qui demandent que dans les 20 années à venir, on pourra assis‑ de plus en plus d’ESG (pour Environnementaux, ter au développement du métier de contrôleur Sociaux et de Gouvernance, N.D.L.R.). de gestion environnemental, notamment sous la 12
ACTION PUBLIQUE • RECHERCHE ET PRATIQUES • N°11 • 2021/2 pression des parties prenantes et bien évidem‑ Le troisième rôle est celui de business partner. Le ment des réglementations. contrôleur de gestion remplit une fonction de conseil et d’aide à la décision auprès des dirigeants Ce nouveau contrôleur de gestion environne‑ et des managers intermédiaires. Il les accompagne mental assume pour l’heure quatre principaux dans l’élaboration de leur stratégie environnemen‑ rôles. Tout d’abord, dans son rôle de vérificateur tale, voire de leur stratégie RSE, et dans le pilotage environnemental ou de vérificateur carbone, si l’on ne s’intéresse qu’à la question climatique, ce de leur performance. contrôleur de gestion a pour mission de surveiller Pour terminer, le quatrième rôle faire référence au les émissions de gaz à effet de serre. Pour ce faire, rôle d’acteur du changement. En interne, le contrô‑ il met en place une comptabilité carbone et un leur de gestion est un éveilleur de conscience éco‑ suivi budgétaire pour vérifier l’atteinte des objec‑ logique au sein de l’entreprise. En mettant en place tifs. Il est amené aussi à rendre des comptes à sa de nouveaux outils tels que les tableaux de bord hiérarchie et aux parties prenantes externes par verts, le budget vert, il va inciter ses collègues à le biais du reporting extra‑financier. réduire leurs impacts environnementaux en modi‑ Le deuxième rôle fait référence à la traduction fiant leurs comportements. euros/carbone. Le contrôleur de gestion endosse À l’extérieur de l’organisation, le contrôleur de le rôle de traducteur dans la mesure où le langage gestion peut encourager, inciter les parties pre‑ environnemental est particulièrement complexe. nantes externes, notamment les fournisseurs, à Donc, il est amené à traduire le langage environ‑ changer leurs modes de pensée, leurs pratiques, nemental ou langage CO2, en langage financier ou notamment en les inscrivant dans des programmes en langage opérationnel, compréhensible par tous d’éco‑conception permettant ainsi d’améliorer la les acteurs de l’organisation. Il s’agit par exemple qualité des produits proposés sur le marché. de convertir en émissions de gaz à effet de serre les données d’activité (telles que le nombre de En conclusion, le contrôleur de gestion a un rôle kilomètres de fret parcourus, le nombre de litres à jouer dans les années à venir. Si les prémices de carburant consommés ou la quantité d’énergie de ce nouveau métier de contrôleur de gestion consommée en kilowattheures). De même, il est environnemental sont observables dans certaines capable de valoriser en euros les résultats envi‑ organisations, il ne reste plus qu’à le générali‑ ronnementaux obtenus, c’est‑à‑dire de mesurer le ser dans les entreprises, dans les organisations retour sur investissement lorsqu’on met en place publiques et notamment au sein des adminis‑ des actions environnementales. trations de l’État. ANGÈLE RENAUD est professeure des univer‑ CHARLOTTE GARDES est doctorante en éco‑ sités en sciences de gestion à l’université de nomie sur le risque climatique à l’université Bourgogne. Elle dirige le centre de recherche Paris‑II–Panthéon‑Assas. Entre février 2019 et en gestion des organisations (CREGO). Elle est août 2021, elle exerce la fonction d’adjointe au également la directrice du master Contrôle de chef de bureau, en charge de la finance durable gestion des organisations publiques de l’IAE et du risque climatique, à la direction géné‑ Dijon. Ses recherches s’inscrivent dans les rale du Trésor au ministère de l’Économie et champs du contrôle de gestion, de la respon‑ des Finances. À partir d’août 2021, elle exerce sabilité sociale de l’entreprise et du manage‑ la fonction de responsable climat, stabilité ment public. Elle est l’autrice d’un manuel et financière et financement de la transition au de plusieurs articles sur le contrôle de gestion Département des marchés monétaires et de environnemental. capitaux du FMI. 13
ACTION PUBLIQUE • RECHERCHE ET PRATIQUES • N°11 • 2021/2 Dossier thématique La fiscalité environnementale 15
LES FINANCES PUBLIQUES VERTES. ENTRE AMBITION BUDGÉTAIRE ET RÉALITÉ FISCALO‑SOCIALE Les finances publiques vertes Entre ambition budgétaire et réalité fiscalo‑sociale Par Robin Degron Dans le sillage des Accords de Paris de 2015 et sous l’impulsion de l’OCDE, de nombreux États ont engagé un processus complexe et progressif de budgétisation verte. La France s’inscrit dans ce mouvement avec une démarche originale de cotation environnementale des dépenses budgétaires et fiscales de l’État à partir de la loi de finances pour 2021. Toutefois, le poids de la fiscalité écologique dans le total des prélèvements obligatoires montre que la « fiscalité verte » reste globalement modeste au sein des pays de l’OCDE, en Europe et spécialement en France. La montée en puissance des préoccupations environnementales sur les plans budgétaires et fiscaux questionne la capacité des États à arbitrer entre les trois composantes économiques, sociales et écologiques du développement durable. Dans le sillage des Accords de Paris de 2015, l’OCDE La crise écologique appelle la mobilisation de com‑ a ouvert la voie à la conceptualisation de la « bud‑ pétences qui dépasse dorénavant la seule sphère gétisation verte » qui commence juste à se décliner des écologues. Géographes, économistes, gestion‑ dans plusieurs pays. naires, juristes et financiers contribuent aux débats publics et participent à l’émergence de solutions Le « budget vert » présenté par la France à l’occa‑ innovantes en commençant par porter un regard sion du projet de loi de finances pour 2021 est une neuf sur les outils à disposition des États. illustration d’un mouvement qui présente de mul‑ tiples facettes (Degron et Stroeymeyt, 2021). Il y a Les instruments concourant à la transition écolo‑ en effet plusieurs stades d’adaptation des finances gique sont de nature variée (Bontemps et Rotillon, publiques aux nouveaux enjeux écologiques. 2013) : la réglementation environnementale dont l’exigence va croissante, en particulier au sein de Il s’agit donc de savoir où nous en sommes et de l’Union européenne participe à la limitation des préciser le sens d’un concept qui recouvre aussi pollutions et la préservation des espaces naturels ; bien des stratégies de protection de l’environ‑ l’établissement de marché de droits à polluer, spé‑ nement chiffrées qu’une refonte totale du droit cialement des droits à émettre des gaz à effet de budgétaire ou le simple développement d’une serre, tend à donner un coût aux externalités néga‑ documentation écofinancière. tives écologiques, notamment dans le cadre de la Par ailleurs, les finances publiques considérées directive UE relative au système européen de quo‑ comme l’ensemble des règles encadrant les tas ; la fiscalité verte, en particulier dans sa compo‑ dépenses et les recettes publiques impliquent une sante énergétique, contribue elle aussi à donner un attention soutenue à la fiscalité verte, attention prix à des pratiques néfastes pour l’environnement. qui permet de relativiser les ambitions affichées Plus récemment apparu, un nouvel outil dit de en matière de présentation du budget de l’État. « budgétisation verte » devrait à terme permettre Enfin, la réflexion écologique doit être replacée d’ajuster les dépenses publiques en faveur de dans une perspective plus large de développement l’environnement ou, au contraire, de réduire les durable et donc inclure la prise en compte des moyens alloués à des politiques nuisibles. Cette enjeux économiques, sociaux et environnemen‑ nouvelle approche, embryonnaire, mérite un exa‑ taux de manière conjointe afin de préserver la men spécifique. cohérence de l’action publique. 16
ACTION PUBLIQUE • RECHERCHE ET PRATIQUES • N°11 • 2021/2 Après un rappel de l’initiative portée par l’OCDE Dès le rapport de la Commission pour l’environ‑ et une présentation de ses premières traduc‑ nement et le développement des Nations unies, tions nationales, l’article repositionne le débat dit rapport Brundtland (1987), la notion de « bud‑ sur le « budget vert » dans le cadre plus large gétisation verte » avait implicitement émergé : de « finances publiques vertes » qui inclut la fis‑ calité et pointe les contraintes de nature socio‑ « the major central economic and économique à intégrer pour tendre vers un sectoral agencies of governments should verdissement durable de nos finances. now made directly responsabible an fully accountable for ensuring that Les initiatives en matière their policies, programmes, and budgets support development that is ecologically de budgétisation « verte » sustainable »1 (cf. chapitre 12, point 1.2). depuis la COP 21 Les travaux sur la gouvernance financière de Une réflexion originale sur le « budget vert » l’OCDE et les actions en faveur du développement portée par l’OCDE durable du système onusien finissent par conver‑ ger à partir de 2017 à travers le « Collaboratif de Dans le cadre de ses travaux sur la gouvernance Paris sur les budgets verts » lors du One Planet financière, l’OCDE a développé des recommanda‑ Summit, conférence internationale de haut niveau tions sur le pilotage budgétaire qui impliquent en sur le changement climatique. particulier de concevoir l’acte de budgétisation, y compris dans sa dimension pluriannuelle qui fait L’objet de cette conférence est de promouvoir souvent défaut au sein des pays développés, en des outils pour évaluer et mener des initiatives particulier en France, comme un outil au service nationales de dépenses et de recettes en phase de choix stratégiques (Moretti et Kraan, 2018). avec les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique et l’érosion de la biodiversité dans le Cette réflexion budgétaire de fond a rencontré les droit fil des conventions sur le climat et la biodi‑ engagements souscrits lors des Accords de Paris versité de 1992 (Degron, 2012). qui ont marqué un tournant dans la mobilisation internationale en matière de protection de l’en‑ Plus qu’une fin en soi, la « budgétisation verte » est vironnement, en particulier s’agissant de la lutte un processus relativement complexe et structuré contre le changement climatique (Ourbak, 2017). en plusieurs étapes. Les étapes de la budgétisation verte selon l’OCDE Composante 1 Cadre strategique solide Le cadre de Composante 3 budgétisation Composante 2 Reporting pour faciliter environnementale Outils pour la production la responsabilité de l’OCDE de données et la cohérence et la transparence des politiques Composante 4 Un cadre de gouvernance budgétaire favorable Source : OCDE, 2020 [traduction libre du graphique de l’anglais vers le français] 1 « Les principaux désormais être rendus politiques, programmes écologiquement durable » organismes économiques directement responsables et budgets soutiennent [traduction libre]. et sectoriels des et pleinement responsables un développement gouvernements devraient de veiller à ce que leurs 17
Vous pouvez aussi lire