ADDICTIONS AU FEMININ : UNE PRISE EN CHARGE SPECIFIQUE ? - UNIVERSITE DE LA REUNION - DIPLOME UNIVERSITAIRE D'ADDICTOLOGIE OCEAN INDIEN 2012 ...
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UNIVERSITE DE LA REUNION ADDICTIONS AU FEMININ : UNE PRISE EN CHARGE SPECIFIQUE ? Mémoire présenté par NAULOT BRUNAT Pascale Née le 31 janvier 1966 à CONSTANCE (Allemagne) DIPLOME UNIVERSITAIRE D’ADDICTOLOGIE OCEAN INDIEN 2012 0
SOMMAIRE INTRODUCTION 2 CHAPITRE 1 : HISTORIQUE 4 I : ALCOOL 5 II : TABAC 5 III : CANNABIS 5 IV : COCAINE 6 CHAPITRE 2 : PARTICULARITES HOMMES/FEMMES 7 I : PARTICULARITES PHYSIOLOGIQUES 8 1 : Toutes drogues confondues 8 2 : Alcool 8 3 : Tabac 8 4 : Opiacés 8 II : PARTICULARITES PSYCHOLOGIQUES 9 1 : Toutes drogues confondues 9 2 : Alcool 9 III : PARTICULARITES COMPORTEMENTALES 9 IV : AUTRES PARTICULARITES 10 1 : Par rapport au produit 10 2 : Par rapport à l’âge 11 3 : Par rapport à la situation socio-économique 11 CHAPITRE 3 : LE REGARD DE LA SOCIETE 13 I : AU DEUXIEME MILLENAIRE AVANT J.C. il y a 4000 ans 14 II : AU PREMIER MILLENAIRE AVANT JC: il y a 3000 ans 14 III : LA BIBLE 14 IV : AU 20e SIECLE 15 CHAPITRE 4 : UNE PARTICULARITE FEMININE INCONTOURNABLE : LA GROSSESSE 17 I : ALCOOL 19 II : TABAC 21 III : CANNABIS 21 IV : AUTRES SUBSTANCES 22 CHAPITRE 5 : PLACE DE LA SAGE-FEMME EN ADDICTOLOGIE 23 CHAPITRE 6 : EXISTE-T-IL DES PRECONISATIONS POUR LA PRISE EN CHARGE DES FEMMES ? 27 I : HAS 28 II : OBSERVATOIRE EUROPEEN DES DROGUES ET DES TOXICOMANIES 28 III : FEDERATION ADDICTOLOGIE 28 IV: INSTITUT SUISSE DE PREVENTION DE L’ALCOOLISME 29 V : RESEAU PERINATAL « Naître en Languedoc Roussillon » 29 VI : REUNISAF 30 CONCLUSION 31 ANNEXES 33 BIBLIOGRAPHIE 38 1
Lorsque nous parlons de la prise en charge de la femme en addictologie, nous avons tendance à parler de la femme enceinte. Effectivement, les effets des produits psycho actifs sur l‘embryon ou le fœtus en développement sont connus comme néfastes voire tératogènes. Nous aurons l’occasion d’en parler dans ce mémoire. Seulement, nous ne pouvons limiter la femme à la seule période de grossesse. En effet, si nous considérons que l’âge moyen aux premières règles s’élève à 12,6 ans et que l’âge à la ménopause se situe autour de 50 ans, la durée potentielle de la reproduction biologique est ainsi d’un peu plus de 35 ans, moins si l’on prend en compte les périodes d’hypo fécondité (avant 18 ans et après 41 ans). Ainsi nous pouvons donc dire qu’aujourd’hui, en France, les femmes vivent en moyenne 82 ans, et plus des deux tiers de leur vie se déroule hors du temps de la procréation(1). En tant que sage-femme, actrice de la prévention et de la préservation de la santé des femmes, j’ai souhaité mener une réflexion sur l’effet des drogues sur celle-ci et ne pas me restreindre aux conséquences pendant la grossesse. Les cours dispensés pour le DU d’addictologie m’ont amenée à une réflexion : existe t’il des différences entre femmes et hommes face à la consommation de substances addictogènes qui aboutiraient à une prise en charge spécifique du public féminin ? Et si oui, quelle prise en charge spéciale pourrait-on proposer ? Cette étude est un état des lieux des connaissances actuelles sur le sujet et des préconisations dans ce domaine. Après avoir situé la problématique dans l’histoire, nous allons dans un premier temps aborder sommairement les différences physiologiques entre l’homme et la femme (2). A travers des études historiques et anthropologiques, nous essayerons de comprendre si effectivement, les consommations au féminin sont différentes des consommations au masculin. Ensuite, nous consacrerons un chapitre à la grossesse et aux effets de différents produits psychoactifs sur l’enfant en développement. Nous continuerons par la place de la sage-femme dans cette problématique globale et les recommandations préconisées dans l’Hexagone ainsi qu’un exemple de prise en charge par une association réunionnaise : REUNISAF. 3
Contrairement à ce que nous pouvons croire, la consommation de substances psychoactives chez la femme telle qu’elle est connue actuellement est un phénomène relativement récent. I : ALCOOL Depuis la découverte de la fermentation dans l’Antiquité, son usage sous forme de bière, d’hydromel ou de vin était réservé à l’élite (contexte social) ou à la religion (usage sacré et religieux). A cette époque, la place de la femme dans la société (romaine, hébraïque) est moindre, à part quelques rares exceptions, et ce breuvage ne semble par lui être digne. On ne commence à parler véritablement d’alcool au féminin que depuis la révolution industrielle, fin 18ème siècle (3). II : TABAC Le tabac était considéré comme une plante sacrée par les Indiens d’Amérique du Nord. Souvent cultivé à part, son ensemencement et sa récolte s’accompagnaient de rites particuliers. Dans certaines parties de l’Amérique du Sud, le tabac pouvait être mâché ou prisé pour dégager l’esprit. On s’en servait aussi comme remède pour soigner de nombreuses affections (4). Aucun document ne relate l’utilisation du tabac chez les femmes avant le 19eme siècle (hormis Catherine de Médicis afin de soulager ses migraines.(5) Nous retrouvons le premier portrait connu d’une femme (Lola Montez) posant avec une cigarette en 1851(6). III : CANNABIS (7) Pour nombre d’historiens, d’archéologues, d’anthropologues et de botanistes, le cannabis est sans doute la plante la plus cultivée. Initialement récolté pour ses fibres textiles et pour ses graines nourricières, il est probable que le cannabis fut secondairement utilisé pour ses propriétés médicinales et psychotropes. Les premières traces de chanvre datent de quelques 10 000 ans et sont retrouvées dans des débris de tissage, dans l’ancienne Mésopotamie. 5
Vers 2700 avant J.C., le légendaire empereur SHEN NUNG, « Père de la médecine chinoise », recommandait l’utilisation du cannabis contre la malaria, la constipation, les douleurs rhumatismales, les absences et les règles douloureuses … En Inde, le cannabis est utilisé pour stimuler l’esprit, faire baisser la fièvre, faire dormir, guérir la dysenterie, stimuler l’appétit, améliorer la digestion, soulager les maux de tête, traiter les maladies vénériennes, employé lors des accouchements comme analgésique et pour augmenter les contractions utérines…. Au Moyen-âge, l’Inquisition voit dans le cannabis une herbe diabolique et ordonne son interdiction en Espagne au XIIe siècle, et un siècle plus tard en France. IV : COCAINE La cocaïne, stupéfiant récemment démocratisé, n’est connue que depuis 1855, date à laquelle le chimiste allemand Friedrich GAEDCKE isole cette substance dans les feuilles de coca. C'est un chimiste viennois, Albert NIEMMAN qui identifia pour la première fois en 1859 le principe actif de la cocaïne et qui la fait connaître au monde scientifique. Elle sera utilisée comme anesthésiant et tonifiant à partir de 1884. L'usage de la feuille de coca remonte à la plus haute antiquité. Les découvertes archéologiques témoignent de l’usage de la Coca en Amérique du Sud 3000 ans avant J.C. Elle a initialement été réservée aux prêtres et aux castes incas élevées pour les rituels sacrés. Par la suite, elle a gagné toutes les couches de la population, pour combattre la faim et la fatigue liée en partie à la raréfaction de l’oxygène en altitude (8). Le pavot, appelé également opium, est utilisé depuis la nuit des temps. Des graines et des capsules ont été retrouvées dans des habitats néolithiques européens datant de cinq mille ans avant notre ère. Il était largement utilisé aussi dans l'ancienne Égypte, notamment par les Pharaons, non seulement à des fins thérapeutiques mais également pour ses propriétés psychotropes. Il n’y a pas, pour ce produit, de référence à l’utilisation uniquement masculine et l’on pourrait penser que, utilisé beaucoup à des fins thérapeutiques, hommes et femmes en usaient (9). 6
CHAPITRE 2 PARTICULARITES HOMMES/FEMMES 7
On ne dispose à l’heure actuelle que de très peu de données sur les conduites addictives chez les femmes. Nous pouvons aussi constater que ces enquêtes épidémiologiques présentent peu de distinctions entre les 2 sexes (10). I : PARTICULARITES PHYSIOLOGIQUES 1 : Toutes drogues confondues Pour la cocaïne, le cannabis, l’alcool et les opiacés, la durée écoulée entre l’expérimentation et la dépendance est généralement plus faible pour les femmes (11). 2 : Alcool (12) Les femmes ont un volume de liquide corporel plus faible que celui des hommes et elles métabolisent l’alcool différemment, ce qui entraîne un taux d’alcoolémie plus élevé à quantité ingérée identique et après ajustement sur le poids. Elles développent des problèmes de santé liés aux consommations, comme des maladies du foie liées à l’alcool, plus rapidement que les hommes (cirrhose après 10 ans de consommation contre 15 ans chez l’homme). Le système nerveux féminin serait plus sensible à l’alcool. L’alcool peut provoquer l’infertilité, des cancers du sein (2 fois plus) et des fausses couches. Des travaux récents qui évoquent aussi, chez la femme, une moindre activité d’une iso enzyme (γADH) qui intervient dans le métabolisme gastrique de l’éthanol. 3 : Tabac La consommation de tabac augmente le risque de cancer du col de l’utérus ou le cancer du sein. Il provoque une baisse de la fertilité féminine et une augmentation des grossesses extra-utérines (13). 4 : Opiacés La consommation des opiacés induit des cycles menstruels irréguliers voire une aménorrhée ce qui entraine secondairement un risque plus élevé de grossesse non désirée chez les consommatrices. 8
II : LES PARTICULARITES PSYCHOLOGIQUES 1 : Toutes drogues confondues Des études (surtout canadiennes) ont révélé que les femmes consomment généralement plus de médicaments psychotropes que les hommes et ce, dès l’adolescence (14). Se joint aussi le fait qu’elles ont deux fois plus de risques que les hommes d’avoir une prescription de benzodiazépines pour des symptômes non cliniques comme le stress au travail ou à la maison (15). Les effets médicaux de l’ingestion de drogues sont plus forts chez les femmes notamment chez celles qui présentent des problèmes psychiatriques (16). L’abus de substances et les problèmes mentaux coexistent fréquemment chez les femmes qui ont subi de la violence, des traumatismes ou des abus. 2 : Alcool (17) 92% des femmes ayant des difficultés avec l’alcool consomment en cachette. 46% de ces mêmes femmes refusent d’en parler (honte, peur que les services sociaux ne leur enlèvent la garde des enfants), ce qui amène à des situations de dénis. 65% sont dépressives, 80% expliquent leur consommation excessive par des problèmes psychoaffectifs et 46% sont poly toxicomanes (tabac et médicaments). L’âge d’apparition du problème alcoolique est plus tardif (80% ont plus de 35 ans) et est très souvent liée à des problèmes conjugaux, le départ des enfants (syndrome du nid vide), la ménopause. Enfin, l’alcool aurait un effet de médicaments (automédication et/ou autodestruction) pour traiter les problèmes psychologiques trop durs à supporter (3/4 ont été victimes de psycho traumatismes : abus sexuels et violences). III : PARTICULARITES COMPORTEMENTALES Les femmes prendraient plus de risques dans leur vie sexuelle et dans leur mode de consommation des drogues (18): elles seraient plus susceptibles que les hommes d’avoir des relations sexuelles en échange de drogue ou d’argent (19), auraient plus de risques d’avoir un partenaire sexuel injecteur de drogues (source du partage des seringues) et elles seraient souvent les dernières à utiliser les seringues lors d’un partage (20). Elles recourent plus fréquemment à la prostitution pour acheter les drogues et consomment également des drogues pour se livrer à la prostitution. Les hommes recourent plus fréquemment aux conduites délictueuses et en particulier aux activités de trafic de drogues pour financer leur consommation. 9
Pour les femmes, les addictions seraient davantage en lien avec la vie affective (première consommation avec leur partenaire pour se sentir plus proche …), tandis que pour les hommes, ces conduites seraient avant tout liées aux relations avec leurs pairs ou à la solitude (21). IV : AUTRES PARTICULARITES 1 : Par rapport au produit : L’usage régulier de substances psychoactives est un comportement plutôt masculin. Nous avons pris comme référence une étude faite et décrite dans le BEH Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire) du 10 mars 2009 qui fait un état des lieux sur les consommations et leurs conséquences sur les femmes. Cette analyse nous montre que les écarts sont particulièrement importants pour la consommation régulière d’alcool et de cannabis mais très réduits pour celle de tabac (tableau 1). NB : Les ratios bruts présentés au tableau 1 ne tiennent pas compte des éventuelles différences d’âge des hommes et femmes. Tableau 1 CONSOMMATION DE PRODUITS PSYCHOACTIFS SUIVANT LE SEXE PARMI LES PERSONNES AGEES DE 18 A 64 ANS (France 2005) hommes femmes ensemble ration en % en % en % H/F Tabac (usage régulier) 33,5 25,6 29,5 1,3 Alcool (usage régulier) 28,6 9,7 18,9 3 Cannabis (usage régulier) 4,2 1,2 2,7 3,5 Cannabis (vie) 38,5 23,3 30,7 1,7 Poppers (vie) 6 4,1 2 1,5 Cocaïne (vie) 4,1 1,6 2,8 2,6 Champignons hallucinogènes (vie) 4,3 1,4 2,8 3,1 Ecstasy (vie) 3,1 1 2 3,1 Colles et solvants (vie) 2,6 1 1,8 2,6 LSD (vie) 2,6 0,6 1,6 4,3 Amphétamines (vie) 2 1 1,5 2 Héroïne (vie) 1,3 0,4 0,9 3,3 BEH thématique 10-11 / 10 mars 2009 10
2 : Par rapport à l’âge Selon cette étude, la différence de consommation en fonction de l’âge est significative. Les hommes consomment plus que les femmes à âge égal et cet écart a tendance à augmenter avec l’âge, hormis la consommation quotidienne d’alcool. (tableau 2) Toutefois, les prévalences de consommation régulière de tabac et de cannabis ainsi que celles de l’ivresse alcoolique diminuent avec l’âge tandis que l’écart entre les sexes augmente. Comme précédemment, malgré un écart important, cette prévalence diminue avec l’âge pour la consommation régulière d’alcool. CONSOMMATION DE PRODUITS PSYCHOACTIFS SUIVANT LE SEXE ET L'AGE PARMIS LES PERSONNES AGEES DE 18 A 64 ANS. (France 2005) Alcool quotidien Ivresse dans l'année Tabac quotidien Cannabis année âge femmes hommes ratio femmes hommes ratio femmes hommes ratio femmes hommes ratio (ans) en % en % H/F en % en % H/F en % en % H/F en % en % H/F 18-24 0,7 4,4 6,8 21,2 45 2,1 33 38,3 1,2 15,2 29,5 1,9 25-34 1 6,8 6,5 11,4 37,9 3,3 30 40,1 1,3 6,5 17,7 2,7 35-44 3,4 13,7 4 6,9 22,1 3,2 30,5 34,9 1,1 3,2 7,6 2,4 45-54 8,5 26,3 3,1 3,4 14,8 4,3 22 30,7 1,4 0,9 2,5 2,9 55-64 15,8 40,8 2,6 1,7 6,1 3,6 9,6 19,8 2,1 0,2 0,8 3,9 Tableau 2 BEH thématique 10-11 / 10 mars 2009 3 : Par rapport à la situation socio-économique (22) Hommes et femmes consomment différemment suivant leur âge mais aussi suivant leur situation professionnelle et leur milieu social. Les hommes associent des consommations plus importantes d’alcool et de tabac plus souvent que les femmes à une inactivité professionnelle, en particulier lorsqu’elle est subie comme dans le cas du chômage. 11
Globalement, l’étude montre que le ratio hommes/femmes de l’usage d’alcool évolue peu avec l’âge pour les différents indicateurs (usage occasionnel, régulier, ivresse, etc.), à l’exception des fortes consommations ponctuelles pour lesquelles les pratiques des jeunes femmes s’avèrent relativement proches de celles des jeunes hommes. D’autres travaux internationaux montrent que les écarts hommes/femmes ont tendance à se réduire depuis quelques années pour l’alcool (23). Pour le tabagisme, les écarts plus faibles entre hommes et femmes dans les jeunes générations sont confirmés par les données recueillies auprès d’adolescents, au sein desquels l’écart est presque nul : à 17 ans, 33,6 % des garçons sont fumeurs quotidiens, contre 32,3 % parmi les filles (24). Nous nous rendons compte que, quels que soient les domaines étudiés (physiologique, psychologique …), il existe bien des différences entre les deux sexes. Les produits psychoactifs sont globalement plus consommés par les hommes et ces tendances peuvent varier suivant l’âge, le niveau d’éducation et le milieu social des personnes. Les facteurs psychologiques sont très nets pour expliquer les consommations féminines (surtout alcool) et sont à l’origine de la difficulté de prise en charge (déni, honte, psycho-traumatismes) Enfin, les modes de consommation apparaissent moins liés au sexe des individus qu’aux rôles sociaux qui modèlent les rapports entre hommes et femmes. 12
CHAPITRE 3 LE REGARD DE LA SOCIETE 13
On ne peut parler de particularité féminine vis-à-vis des addictions sans aborder le problème du regard de la société face à cette problématique. En effet, les recherches montrent que les femmes sont plus stigmatisées que les hommes pour leurs addictions et cela dans la plupart des sociétés et des cultures. Il en découle un sentiment de honte. Quelle est l’origine de cette stigmatisation et de cette honte que ressent une femme lorsqu’elle consomme ? Mes recherches ne m’ont amenée qu’à la problématique de l’alcool. Nous devons encore remonter dans l’Histoire pour essayer de comprendre cela. I : Au deuxième millénaire avant J.C. il y a 4000 ans (25). Hammourabi (1792-1750 av. J.-C.), Roi de Babylone, dans son Code pénal, menace de mort les grandes prêtresses ou les religieuses qui compromettent leur dignité en allant dans les tavernes et maisons de débauche : elles étaient condamnées à être brûlées vives ou enterrées vivantes. Ce même Code punit aussi sévèrement l'ivresse de toutes les femmes. Dans l’Antiquité, seules les joueuses de flûte, les courtisanes étaient autorisées à boire dans des situations d’orgies où l’obéissance aux sens transgressait les règles de bonnes conduites (vin = femme légère, prostituée). Malgré les mythes et les codes très stricts de certaines sociétés, les femmes aimaient et buvaient du vin, à la seule condition de ne pas atteindre l’ivresse. II : Au premier millénaire avant JC, à Rome : il y a 3000 ans Devant les situations de débauches et d’orgies des Bacchanales, le Sénat Romain proclame l'interdiction absolue aux femmes de boire de l'alcool, sous peine de mort. Le baiser sur la bouche trouve sans doute son origine ici, qui permettait au maître de maison de vérifier que les dames de sa maisonnée n'avaient pas enfreint cet interdit. Les Bacchanales sont interdites et 5 000 femmes furent jugées et condamnées à mort. III : La Bible Un ange de l'Éternel apparut à la femme, et lui dit: « Maintenant prends bien garde, ne bois ni vin ni liqueur forte, et ne mange rien d'impur. Car tu vas devenir enceinte et tu enfanteras un fils ». (Juges chapitre XIII ; 4) 14
IV : Au 20e siècle La consommation d’alcool pour la femme n’est pas préjudiciable à condition qu’elle ne soit pas liée à l’ivresse. En cas de dépendance, la maladie alcoolique est reconnue. Mais la condamnation sociale prime. Elle est réglementée : lieu, sexe, quantité, âge, moment, modalités, fréquences … avec plus de permissivité pour l’homme. D’autres sources d’études nous amènent à élargir notre compréhension : Selon le Dr CRAPLET Michel, psychiatre et alcoologue « L’alcoolisation des femmes a toujours été considérée comme dangereuse par les hommes. Dans l’Antiquité, il arrivait qu’on les condamne à mort si on les surprenait en train de boire. La consommation d’alcool impliquait le soupçon de débauche sexuelle, due à la perte des inhibitions. Aujourd’hui encore, les hommes craignent que l’alcool ne transforme la femme, lui faisant perdre toutes les vertus féminines qu’ils lui attribuent, à tort ou à raison, comme la pudeur et l’élégance. De plus, la femme est jugée plus responsable que l’homme du fait de son rôle éducatif. Elle se doit d’être une mère exemplaire, de veiller à la stabilité de son foyer et à l’équilibre de ses enfants. ». (26) Selon J.-P. Corbeau, sociologue de l’alimentation, « le tabou féminin sur le vin serait lié à l’incompatibilité avec la fonction reproductrice de la femme (confirmé par la science moderne qui souligne des prévalences d’alcoolisme chez les enfants nés de mère buvant de l’alcool), la souillure du vin, pensé comme un produit divin, par le sang menstruel et l’image d’une boisson enivrante pour femmes sans morale, comme les prostituées, les femmes adultères ».(27). Lorsqu’une femme boit, le rejet de la société est total, sans appel. Il ne s’agit pas d’une malade alcoolique, mais d’une « soûlotte »(28), d’une moins que rien. Sans doute parce que la femme symbolise depuis toujours la gardienne de la cellule familiale, la mère. Qui n’a pas entendu cette phrase : « Lorsque l’homme boit, le toit de la maison brûle, mais lorsque c’est la femme qui boit, la maison entière est la proie des flammes. »(28). « La femme se doit d’être belle, gardienne des valeurs morales et mère exemplaire, la société n’aura pas pour elle l’indulgence qu’elle a pour l’homme.» (29) L’alcoolisme chez les femmes est également comparé ou opposé aux représentations de l’alcoolisme masculin : (30) L’homme alcoolique boit en société, la femme boit isolée. Il manifeste sa masculinité en buvant, elle perd sa féminité. Il boit pour être avec les copains, elle boit parce qu’elle est déprimée… 15
Nous trouvons des « représentations dissymétriques de l’alcoolisme des hommes et des femmes : socialisation/isolement, public/privé, virilité/atteinte à la féminité, violence/résignation, indignation sociale/indignation morale, causes sociales/causes psychologiques, conséquences sociales/conséquences biologiques, honte/honte-culpabilité ». Les motivations des hommes ou des femmes pour boire de l’alcool sont en lien avec les rôles occupés par les uns et les autres dans la société. L’alcoolisme masculin est « normal ». Boire de l’alcool est même quelquefois associé à la virilité. Par contraste, l’alcoolisme des femmes devient quasi « anormal ». Il est en plus soupçonné de contredire ce que certains considèrent comme « la nature féminine ». « Ainsi les hommes regrettent-ils que l’alcool transforme la femme, lui faisant perdre toutes les vertus féminines qu’ils lui ont attribuées, faites de pudeur et d’effacement. Ainsi déplorent-ils qu’elles perdent leur féminité et deviennent semblables à eux dans les lourdeurs de l’ivresse. » L’image sociale négative envers la femme en difficulté avec l’alcool entraine non seulement une difficulté importante pour aborder ce sujet mais surtout un déni défavorable à sa prise en charge. Sa vulnérabilité n’en sera que plus importante. Dans son livre « Miroir de Verres », Reine-Marie PAYET-VENIN, anthropologue, nous présente, à travers des récits de femmes, toute cette particularité du « boire au féminin ». Nous retrouvons des femmes, métropolitaines et réunionnaises, racontant leur parcours à travers les violences vécues, leur consommation, le regard des autres, leur regard vis-à-vis d’elles-mêmes. Ce livre est un recueil aidant à comprendre cette singularité féminine. « Il s’agit d’un message d’espoir de mères volontaires, adressé avant tout à d’autres mères……mais aussi un appel lancé aux professionnels : médecins généralistes, pédiatres, sages-femmes ou travailleurs sociaux, qui n’ont pas toujours su les accompagner dans leurs parcours. » Au regard de ce qui a été décrit dans ce chapitre, il semble que les images de la femme alcoolique isolée et clandestine n’ont pas été prises en compte pour développer des pistes d’aide spécifiquement adaptées à cette donnée. De plus, la présence forte de stéréotypes pourrait aussi amener des malades alcooliques à expliquer leur propre alcoolisme à travers des idées reçues. 16
CHAPITRE 4 UNE PARTICULARITE FEMININE INCONTOURNABLE : LA GROSSESSE 17
La consommation de substances psychoactives pendant la grossesse entraîne non seulement un ensemble de risques chez l’enfant à naître propre à chaque produit, mais aussi un coût sanitaire et social très important. Ces risques peuvent survenir à tout moment de la grossesse et peuvent se prolonger ou apparaître après la naissance de l’enfant. Voici un tableau récapitulatif fait par l’équipe de périnatalité de Montpellier (Languedoc Roussillon) (31). Il résume parfaitement les effets des drogues sur l’embryon, le fœtus et l’enfant : 18
I : ALCOOL (32) Le risque majeur de consommer de l’alcool pendant une grossesse est la naissance d’un enfant atteint de SAF, ou Syndrome d’Alcoolisation Fœtale. C’est aujourd’hui la 1ère cause d’origine non génétique de retard mental. Environ 600 enfants naîtraient, en France, avec un SAF, dont 70 à la Réunion. Mais le SAF, dans sa forme la plus sévère ne constitue que le sommet de l’iceberg. Les autres formes, dites incomplètes, sont 3 à 4 fois plus fréquentes et sont très souvent non diagnostiquées : Le SAF partiel, avec ou sans confirmation de l’alcoolisation prénatale Les Troubles Neuro-développementaux liés à l’Alcool (TNDLA) Les Malformations Congénitales liées à l’Alcool (MCLA) Ces quatre représentations cliniques constituent les ETCAF (ensemble des troubles liés à l’alcoolisation fœtales) qui peuvent provoquer chez l’enfant et l’adulte, à des degrés divers, des problèmes de santé physique et/ou mentale. Le diagnostic du SAF se fait par l’association d’un certain nombre d’anomalies : un RCIU (retard de croissance intra utérin) non rattrapé, des anomalies cranio-faciales, des malformations d’organes, des atteintes neurologiques variables. 1 : Anomalies cranio-faciales ou dysmorphie faciale (au moins 2 signes majeurs associés) des fentes oculaires étroites
4 : Atteintes neurologiques variables Ceux-ci ne deviennent apparents que dans les mois ou les années suivant la naissance. La problématique de la consommation d’alcool pendant la grossesse ne concerne pas seulement les femmes dépendantes mais toutes consommatrices. En effet, à l’heure actuelle, nous ne connaissons pas le seuil en dessous duquel les risques pour l’enfant à naitre sont nuls. Une enquête auprès des femmes en maternité faite par l’Observatoire Régional de la Santé de haute Normandie en Avril 2008 démontre que : 1 femme enceinte sur 2 déclare avoir consommé de l’alcool au moins une fois durant leur grossesse parmi lesquelles 0,4 % déclarent au moins un épisode d’alcoolisation ponctuelle excessive. 1 femme enceinte sur 2 aborde la problématique Alcool avec les professionnels de santé. 36 % n’ont aucune connaissance sur le SAF(33). L’enquête périnatale faite en 2010 sur l’ensemble du territoire français montre que 22.8% des femmes déclarent avoir consommé de l’alcool au moins une fois pendant leur grossesse. 3.7% ont consommé plus de trois verres en une seule même occasion. Les résultats de cette étude démontrent une baisse de la consommation d’alcool pendant la grossesse au cours des dix dernières années (ou une augmentation des sous déclarations ?). A la Réunion, dans son mémoire de fin d’études de sage-femme présenté en juin 2012, Delphine MAILLOT a fait une enquête sur la connaissance des femmes sur les conséquences de l’alcool sur l’enfant à naître. Il en résulte que 81 % des personnes interrogées savent qu’il faut cesser de consommer pendant la grossesse. Néanmoins, plus de 30% continuent de consommer durant cette période. Ceci démontre bien que malgré la connaissance du danger que représente la consommation d’alcool pendant la grossesse, la prise de risque reste réelle et la prévention impuissante. 20
II : Tabac (34) Le tabac, est considéré comme le 3ème produit le plus addictogène après la cocaïne et les opiacés. Il constitue la première cause évitable de mortalité prématurée dans les pays développés : Au 20ième siècle : 100 millions de morts prématurés. En France : 66 000 décès /an. A la Réunion : 600 décès / an. Un fumeur régulier sur deux mourra précocement victime du tabac Les enquêtes faites estiment à environ 33% de fumeuses en début de grossesse et 20 % en fin de grossesse(35). Cette problématique a amené un grand nombre de maternité à spécialiser leur personnel soignant à la tabacologie et à obtenir le label « Hôpital sans tabac ». *(annexe 3) Selon une Enquête périnatale faite en 2003 (Dress) : 1 femme sur 5 demeure fumeuse à l’accouchement. Moins de 20 % des femmes sont interrogées sur leur tabagisme Moins de 10% sont adressées en tabacologie (36). 50% des femmes reprennent leur consommation après l’accouchement (37)(38). Les conséquences liées à la toxicité de la fumée de cigarette et à l’hypoxémie placentaire pour l’enfant sont entre autre : Première cause de RCIU(39), Un risque de prématurité, Un risque 2 fois plus élevé de mort subite du nourrisson (MSN). Ceci entraine une augmentation des soins souvent très couteux lors de la petite enfance et constitue à lui seul un réel problème de santé publique. III : Cannabis (40) Souvent associé au tabac, il expose le consommateur aux mêmes risques de dépendance et de toxicité. La substance psychoactive, le tétrahydrocannabinol (THC), franchit la barrière placentaire et se fixe sur le cerveau du fœtus. Les risques néonataux sont : Un risque de RCIU, Un risque de microcéphalie, Des risques de répercutions sur le développement psycho moteur de l’enfant. 21
IV : Autres substances La consommation des autres substances psychoactives constituent un très faible nombre des grossesses menées à terme (de 500 à 2500/an en comptant le cannabis) (41) mais il ne faut pas pour autant nier leurs effets sur l’enfant à naître qui peuvent être extrêmement dommageables : Accouchements prématurés Hypotrophie Souffrance fœtale aigüe pendant l’accouchement Ischémie cérébrale Et surtout un syndrome de sevrage du nouveau né, compliquant l’attachement précoce mère/enfant (42) La consommation d’alcool et de tabac pendant la grossesse est un réel problème de santé publique : environ 500 000 Français souffriraient à des degrés divers des séquelles de l’alcoolisation fœtale ; augmentations des hospitalisations des enfants de mères fumeuses (RCIU, prématurité). Malgré les campagnes de prévention sur les risques liés aux consommations pendant la grossesse, nombre de femmes continuent à en user par ignorance. Nous retrouvons aussi des personnes qui, dans leur entourage, ont consommé sans que l’enfant né ne présente de réelles difficultés. La prévention, à ce niveau, est très malheureusement souvent vaine. En ce qui concerne l’alcool, nous ne touchons pas seulement les futures mères dépendantes. La quasi-totalité des femmes cessent ou diminuent fortement leur consommation à l’annonce de leur grossesse, ce qui réduit le risque de mettre au monde un enfant porteur de troubles sévères liés à l’alcool. Pour les femmes dépendantes (à l’alcool, mais aussi au tabac et aux autres drogues), l’arrêt de ces substances est plus difficile surtout lors de la grossesse. La jeune femme est plus fragilisée de par son état et l’arrêt de la consommation en sera que plus compliqué. Elles connaissent les risques qu’elles prennent pour leur enfant et se culpabilisent de ne pas pouvoir arrêter de consommer. Elles nécessitent un suivi médical approprié mais surtout un accompagnement chaleureux et bienveillant. La sage-femme peut-elle avoir un rôle dans cet accompagnement ? Ses compétences lui permettent-elle le suivi de femmes addictes ? Nous allons aborder ces questions dans le prochain chapitre. 22
CHAPITRE 5 LA PLACE DE LA SAGE- FEMME EN ADDICTOLOGIE 23
Le métier de sage-femme remonte à la nuit des temps. Dans l’Antiquité, son rôle, intimement lié à l’art de l’obstétrique, conservera pendant plusieurs millénaires un caractère sacré et une place privilégiée dans la société. Elle est, depuis toujours la « protectrice de la mère et de l’enfant » à la fois médicale et sociale.(43) La religion aura pour conséquences non seulement la perte du caractère sacré de la sage-femme mais aussi ses connaissances dans l’art de la guérison et de l’accouchement. Au moyen âge, elle sera sorcière et sera brulée vive. Ce n’est qu’au XVIème siècle, grâce à une sage-femme devenue célèbre, Madame Le BOURSIER du COUDRAY, que la profession de sage- femme sera remise à l’honneur. De nos jours, le rôle de la sage-femme dans le suivi de la grossesse normale n’est plus à démontrer. Néanmoins, elle doit aussi savoir s’adapter aux connaissances médicales récentes pour organiser le suivi des grossesses pathologiques en partenariat avec le médecin obstétricien, l'anesthésiste et le pédiatre. Le code de la santé publique définit ses compétences (quatrième partie du code de santé publique, titre V du livre 1er). Un code de déontologie définit ses devoirs. L’article 86 de la loi du 21 juillet 2009 sur la réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), publiée au Journal officiel le 22 juillet 2011, a étendu ses compétences : « L'exercice de la profession de sage-femme peut comporter également la réalisation de consultations de contraception et de suivi gynécologique de prévention, sous réserve que la sagefemme adresse la femme à un médecin en cas de situation pathologique."* « Cet accompagnement comporte la surveillance et le suivi médical du déroulement de la grossesse, et des activités de prévention et d'éducation pour la santé. »* *Article L4151-1 du code de la santé publique Les sages-femmes, de par leurs compétences, ont été associées au Plan Cancer 2003-2007, initiative du Président de la République, Monsieur Jacques CHIRAC pour lutter contre cette maladie. (44). Le chapitre prévention de ce plan consiste à : « Se donner les moyens d’obtenir, au sein de l’ensemble de la population, une diminution importante des conduites à risque, pour éviter les cancers évitables ». Les mesures 10 et 17 concernent de près les sages-femmes : « Lutter contre le tabagisme des femmes enceintes (information dans les maternités, sensibilisation du personnel soignant, accès aux consultations de sevrage). » 24
« Relancer une campagne d’information grand public sur les risques sanitaires liés à l’excès d’alcool. » L’idée de ce plan est de renforcer, de l’école jusqu’à l’université, des actions de prévention et d’éducation aux facteurs de risques cancérologiques. Les étudiants médicaux et para médicaux verront leur programme d’étude évoluer : « Intégrer dans le tronc commun de première année des études médicales un module prévention et éducation à la santé, comportant notamment un volet tabac.» (Mesure 9) « Former les médecins…. et infirmière, au cours du cursus universitaire, au repérage précoce des buveurs excessifs et à une démarche de conseil ». (Mesure 16). La contribution des sages-femmes a été reconduite pour le plan cancer 2009- 2013 (45) La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), créée en 1982 et placée sous l'autorité du Premier ministre, anime et coordonne les actions de l’Etat en matière de lutte contre les drogues et les toxicomanies. Pour ce faire, elle prépare les plans gouvernementaux et veille à leur application. Le plan MILDT 2007- 2011 a fixé six priorités : Une meilleure prise en charge des addictions dans les établissements de santé, Une meilleure prise en charge des addictions dans les centres médico- sociaux, Une meilleure coordination des 3 secteurs de suivi et d'accompagnement du patient: hospitalier, ambulatoire et médico-social, Le développement de la prévention, Le renforcement de la formation des professionnels au repérage et à la prise en charge des addictions, Le renforcement et la coordination de la recherche en addictologie. Ces priorités ont été déclinées en 26 mesures parmi lesquelles nous retrouvons des actions de prévention de la consommation des substances psycho actives pendant la grossesse, le développement de l’enseignement en addictologie des professions médicales et paramédicales et surtout l’intégration de l’addictologie à la formation médicale continue. Plusieurs DU ou DIU (Diplômes universitaires) sont ouverts à la sage-femme et reconnus par l’ordre(45) : 25
1 DU « Périnatalité et addictions » 10 DU et DIU « Tabacologie et aide au sevrage tabagique » 3 DU et DIU « Tabacologie » 1 DIU « Addictologie pratique, adolescence, cannabis et nouvelle consommations ». Les objectifs concernant ces formations sont définis : Connaissances théoriques et les conséquences médicales Dépister les conduites addictives pendant la grossesse Dépister les situations à risque Utiliser les outils spécifiques : testeur de CO……. Organiser l’aide au sevrage Prescrire les TSN Intégrer la prise en charge des conduites addictives quel que soit le secteur d’activité Accompagner les femmes enceintes dépendantes au sein d’un réseau spécialisé Epidémiologie - Mécanismes de dépendance - Les co-morbidités et les situations à risque - Risques spécifiques chez la femme, notamment au cours de la grossesse - Outils ( CO-Testeur ) et tests (Fagerström , HAD, Beck ) - Les aides au sevrage (TSN , Cs de tabacologie ou d ’addictologie, TCC , les représentations ) - Modalités de prise en charge des fumeuses enceintes par une sage-femme quelle que soit sa pratique. Nous pouvons déplorer le nombre restreint des formations proposées (15 sur l’ensemble de l’hexagone/DOM/TOM) et surtout la limitation au tabac et grossesse. Les autres produits psychoactifs ne sont peu, voire pas étudiés. Toutefois, la sage-femme a maintenant la possibilité de faire des consultations en tabacologie et des prescriptions de substituts nicotiniques auprès des couples et auprès des femmes. N’est pas encore défini si ces consultations et prescriptions touchent toutes les femmes et non seulement celles en âge de procréer. Cependant, l’historique de la sage-femme nous renvoie à ce que les personnes attendent d’elle : être attentive, patiente, maternante, empathique….. C’est là que son rôle peut être défini dans le suivi de patientes en addictologie. Nous savons maintenant que les femmes consommatrices de drogues sont vulnérables. Elles ont besoin de temps, de chaleur, de compréhension pour se livrer et faire confiance. La sage-femme sait prendre son temps et accompagner sa patiente dans le respect et la dignité. 26
CHAPITRE 6 EXISTE T-IL DES PRECONISATIONS POUR LA PRISE EN CHARGE DES FEMMES? 27
La littérature française est très pauvre sur les préconisations de la prise en charge des femmes ayant des problèmes de dépendance aux produits psycho actifs. Nous ne trouvons quasiment que des recommandations pour les femmes enceintes. Dans le cas de consommation de substances psychoactives pendant la grossesse, celle-ci est considérée comme à risque, compte tenu des effets possibles sur l’enfant à naître. I : HAS L’HAS (Haute Autorité de Santé) a publié un guide de « recommandations de bonne pratique » sur la prise en charge et les orientations préconisée en cas de grossesse à risque : « Ces recommandations de bonne pratique ont été élaborées par la HAS à la demande de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins (DHOS). Elles s'inscrivent dans le cadre du Plan périnatalité 2005-2007. Elles concernent l’orientation des femmes enceintes en vue de l’accouchement en fonction du type de maternité (de niveau I, II ou III), en cas de risque avéré obstétrical, fœtal ou maternel…. » (46)* voir annexe 4. II : OBSERVATOIRE EUROPEEN DES DROGUES ET DES TOXICOMANIES Le rapport annuel 2006 fait état des spécificités des consommations et des vulnérabilités des femmes consommatrices de substances psycho actives. Des plans (lutte contre les toxicomanies 2008-2011, prise en charge des addictions 2007_2011…) ont été mis en place afin de soumettre des propositions de prise en charge spécifique. III : FEDERATION ADDICTILOGIE La Fédération Addiction organise depuis plusieurs années un module de formation sur la prise en charge des femmes en addictologie. Elle est aussi à l’origine des carrefours de l’addictologie, en 2010, en partenariat avec les ELSA et l’ANPAA, sur le thème « addictions au féminin ». Un projet, dont les objectifs sont : d’identifier les spécificités de prise en charge des femmes, de capitaliser les expériences conduites sur le terrain de synthétiser les bibliographies connues (France et étranger) de produire un document de synthèse sur les axes de préconisation de pratiques professionnelles Les résultats de ce projet sont en cours. IV: INSTITUT SUISSE DE PREVENTION DE L’ALCOOLISME 28
L’institut Suisse de Prévention de l’alcoolisme s’engage clairement en faveur d’une prise en charge spécifique des femmes en matière d’alcool. Des rapports sont encore en cours d’élaboration. Il existe aujourd’hui plusieurs statistiques et instruments de mesure du travail en matière de dépendances, en particulier QuaThéDA, ainsi que la banque de données harmonisée act-info. Toutefois, ces derniers ne permettent pas encore de détecter une spécificité liée au sexe des personnes dépendances. V : RESEAU PERINATAL « naître en Languedoc Roussillon » L’équipe de ce réseau a fait à ce sujet un énorme travail. Elle a publié des fiches techniques concernant les effets de chaque substance psychoactive sur la grossesse et le nouveau-né, la prise en charge de celui-ci à la naissance, comment aborder le problème avec la future maman….(47) Une partie de ce travail est résumée dans le tableau suivant : Pour chaque produit étudié (alcool, tabac, cannabis, opiacés….), ils expliquent : 29
Pourquoi, qui et comment aborder ce sujet avec les patientes, Comment évaluer la situation, Quelles réponses apporter. Cet ouvrage est orienté sur la prise en charge de la femme consommatrice de drogues pendant la grossesse. Il ouvre cependant des pistes de travail sur leur prise en charge et propose un suivi après la naissance de l’enfant pour préparer une éventuelle future grossesse. Ils mettent en avant le travail en réseau, seul possibilité dans la prise en charge d’une problématique qui touche la personne à tous les niveaux : physique, psychologique …. VI : REUNISAF REUNISAF est une association réunionnaise créée en 2001. Elle anime un réseau de Santé en faveur des femmes en âge de procréer en difficulté avec l’alcool. Sa mission est d’accompagner ces femmes vers les professionnels de santé et de les orienter vers les professionnels sociaux. Son objectif est de les aider à préserver leur santé et celle de l’enfant à naître si elles sont enceintes.* Cette prise en charge est faite par le biais d’un Plan Personnalisé de Santé (P.P.S.) établi, avec les adhérentes, dès leur arrivée dans le réseau. Il est évalué et refait chaque année. Il sert de base pour leur prise en charge et a pour but d’établir la meilleure orientation possible vers le soin (addictologique mais aussi général, gynécologique …) avec l’aide de leur médecin généraliste. Les femmes choisissent les partenaires vers qui elles seront orientées. Les animatrices du réseau apportent surtout un soutien psychologique qui est au plus prêt de la réalité fluctuante des ces femmes. En effet, au regard de leur particularité psychologique, celles-ci fuient le soin, souvent par honte ou peur qu’on leur enlève leurs enfants. La souplesse instaurée dans le réseau permet à la personne de refuser, même au dernier moment, un rendez vous pris avec un partenaire médical et de le différer. Ces refus sont le plus souvent dus à des raisons qui peuvent paraitre secondaires (enfants ou conjoint malades, problème de garde d’enfant, besoin d’un logement décent….), ou parce qu’elles ont consommé et ont honte de sortir dans cet état. Le soin, dans ces moments, n’est pas prioritaire pour elles et les animatrices le savent. Souvent, les problèmes sociaux sont à résoudre avant les problèmes de santé. La prise en charge proposée par REUNISAF est innovante et ses résultats sont positifs. Fin 2011, 6 femmes suivies sur 10 ont amélioré leur situation face à l’alcool depuis leur entrée dans le réseau, 60% utilisaient une contraception et plus de 300 accompagnements ont été réalisés auprès de partenaires médicaux (médecins généralistes, gynécologues, psychiatres, psychologues, addictologues, dentistes …) (48) « Art. D. 766.1-3 : REUNISAF garantit à l’usager le libre choix d’accepter de bénéficier du réseau ou de s’en retirer. Il garantit également le libre choix des professionnels de santé intervenants dans le réseau ». 30
CONCLUSION 31
Nous disposons aujourd'hui d'études fiables permettant d'affirmer qu'il existe des différences manifestes de modes de consommations de produits addictogènes entre femmes et hommes. Nous pourrions tout naturellement nous attendre à ce que soient développées des actions spécifiques dans leur direction. Mais, à l'exception du tabac, le recensement des actions françaises de prévention ou de prise en charge spécifiques aux femmes laisse une forte impression de vide. Toutefois, une catégorie de femme fait exception, les futures mères. En matière d'addiction, les femmes sont surtout appréhendées sous l'angle de la maternité, avec notamment des campagnes de sensibilisation sur les risques pour le fœtus de la consommation d'alcool ou de tabac pendant la grossesse. Dans la pratique, les problèmes de consommations de substances psycho actives ne sont pas, ou très peu, abordés par sous-catégorie sexuelle. Les femmes consommatrices de drogues sont donc traitées sur le modèle des toxicomanes masculins. Une prise en charge spécifique serait sans doute plus utile voire profitable. Maintenant que l'on commence à mieux connaître les femmes dépendantes (alcool ou autres drogues), tout est à penser et à construire pour leur prise en charge. Quelques pistes à exploiter: développer une information spécifique dans leur direction, ouverture de plus de structures ou d’espaces d'accueil, organisation de groupes de parole non mixtes, proposition de plus de consultations orientées sur l'histoire familiale, les maltraitances... sur le modèle de REUNISAF, accompagner physiquement ces femmes vers le soin et créer un maillage médicosocial. Cela semblerait être une des clés de la prise en charge au féminin, dans le contexte actuel. Et surtout, il faudrait changer de regard à leur encontre. Ne pas les voir qu’à travers leur rôle de mère ou d’épouse irréprochable. Enfin, d’accepter réellement ces différences pour que les femmes viennent plus vers le soin, sans avoir peur du jugement. 32
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