Agnès Badou and Thomas Bierschenk - Les défis du secteur privé au Benin et les paradoxes de sa promotion - Institut für Ethnologie ...

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2019
  ARBEITSPAPIER – WORKING PAPER                 189

                     Agnès Badou and
                     Thomas Bierschenk
                     Les défis du secteur privé au
                     Benin et les paradoxes de sa
                     promotion

ARBEITSPAPIERE DES
  INSTITUTS FÜR
   ETHNOLOGIE
UND AFRIKASTUDIEN

WORKING PAPERS OF
THE DEPARTMENT OF
ANTHROPOLOGY AND
 AFRICAN STUDIES
AP IFEAS 189/2019

Herausgegeben von / The Working Papers are edited by:
Institut für Ethnologie und Afrikastudien, Johannes Gutenberg-Universität,
Forum 6, D-55099 Mainz, Germany.
Tel. +49-6131-3923720; Email: ifeas@uni-mainz.de; http://www.ifeas.uni-mainz.de
http://www.ifeas.uni-mainz.de/92.php
Geschäftsführende Herausgeberin / Managing Editor: Maike Meurer (meurer@uni-mainz.de)

Copyright remains with the author.

Zitierhinweis / Please cite as:
Badou, Agnès et Thomas Bierschenk (2019) : Les défis du secteur privé au Benin et les para-
doxes de sa promotion. Arbeitspapiere des Instituts für Ethnologie und Afrikastudien der Jo-
hannes Gutenberg-Universität Mainz (Working Papers of the Department of Anthropology
and African Studies of the Johannes Gutenberg University Mainz), 189.
________________________________________
Badou, Agnès et Thomas Bierschenk (2019) : Les défis du secteur privé au Benin et les para-
doxes de sa promotion.

Abstract: The present study identifies three major challenges for Beninese entrepreneurs as
they themselves perceive and experience them: access to foreign markets, access to credit, and
the limited effectiveness of the Industrial Free Zone, which was intended as a means of indus-
trial promotion. Entrepreneurship in Benin is hindered by the political-administrative func-
tioning of the state, asymmetries in economic agreements and partnerships between states,
and the lack of powerful organizations of entrepreneurs who could be on an equal footing
with the state and development agencies. In the face of these challenges, the arsenal of state
and international private sector development is proving largely ineffective, as it bypasses the
real needs of eco-nomic entrepreneurship in Benin.

Résumé : La présente étude identifie trois défis majeurs pour les entrepreneurs béninois tels
qu'ils les perçoivent et les vivent : l'accès aux marchés extérieurs, l'accès au crédit et l'efficacité
limité de la Zone Franche Industrielle, qui a été conçue comme un moyen de promotion in-
dustrielle au Bénin. L'entrepreneuriat au Bénin est entravé par le fonctionnement politico-ad-
ministratif de l'Etat, les asymétries dans les accords économiques et les partenariats entre Etats,
et l'absence d’organisations puissantes d’entrepreneurs qui pourraient être sur un pied d'éga-
lité avec l'Etat et les agences de développement. Face à ces défis, l'arsenal du développement
économique étatique et international s'avère largement inefficace, car il contourne les véri-
tables besoins de l'entrepreneuriat économique au Bénin.

Keywords/mots-clés : private sector, development, business promotion, entrepreneurship,
state, capitalism / secteur privé, développement, promotion des entreprises, entreprenariat,
Etat, capitalisme

Les auteurs : Agnès Badou est socio-anthropologue et enseignante-chercheur à l’Université
d’Abomey-Calavi (Bénin) ; Thomas Bierschenk est professeur d’anthropologie et d’études
africaines à l’Université Johannes Gutenberg, Mainz, Allemagne.
E-Mail: agnes.badou@uac.bj; biersche@uni-mainz.de
AP IFEAS 189/2019

Table

1.        Introduction .................................................................................................................................. 1

2.        Méthodologie de l’étude ............................................................................................................. 3

3.        L’économie béninoise et les entrepreneurs : Quelques données de base ............................. 5
4.        Les grands défis du secteur privé .............................................................................................. 7
     a.      L’accès aux marchés ................................................................................................................. 7

          Le difficile accès au marché Nigérian ........................................................................................ 7
          L’utopie d’un accès au marché américain : le « Africa Growth and Opportunities Act »
          (AGOA) ....................................................................................................................................... 10
          La compétivité des produits béninois à l’extérieur................................................................ 12
          Le marché intérieur .................................................................................................................... 12

     b.      L’accès au crédit ..................................................................................................................... 12
     c.      La Zone franche industrielle du Bénin (ZFI) ...................................................................... 14
5.        La promotion de l’entreprenariat : Environnement entrepreneurial et acteurs ................ 16

6.        L’appui de l’Etat et ses rapports avec les entrepreneurs et leurs associations................... 20
7.        L’appui des agences internationales de développement et leurs relations avec le secteur
privé ..................................................................................................................................................... 25
8.        Conclusions ................................................................................................................................. 29
Bibliographie....................................................................................................................................... 30
AP IFEAS 189/2019

Liste des sigles

ABENOR             Agence béninoise de normalisation et de gestion de la qualité
ABEPEC             Agence béninoise de promotion des échanges commerciaux
ABMCQ              Agence béninoise de métrologie et de contrôle de la qualité
ABSSA              Agence béninoise de la sécurité sanitaire des aliments
ACDI               Agence canadienne pour le développement international
ACMERP             Appui conseil macroéconomique pour la réduction de la pauvreté
ACP                Afrique Caraïbes Pacifique
ACP-UE             Afrique Caraïbes Pacifique-Union européenne
AFD                Agence française de développement
AGOA               Africa Growth and Opportunities Act/Acte pour la croissance et l’op-
                   portunité en Afrique
AIAB               Association de l’interprofession de l’ananas au Bénin
ANPE               Agence nationale de promotion de l’emploi
ANPME              Agence nationale de promotion des petites et moyennes entreprises
ANAPI              Agence nationale de la propriété industrielle
ANEAB              Association nationale des exportateurs de l’ananas du Bénin
ANECA              Association nationale des entreprises de construction, des travaux pu-
                   blics et des activités connexes
APIEX              Association de promotion de l’investissement et des exportations
ASNIB              Association nationale des industriels du Bénin
ASPS               Amélioration de la qualité sanitaire et phyto sanitaire
AZFI               Agence d’administration de la zone franche industrielle
BIT                Bureau international du travail
BOAD               Banque ouest-africaine de développement
BPC                Business promotion center
BTP                Bâtiments et travaux publics
CAMEC              Centre d’arbitrage de médiation et de conciliation
CCIB               Chambre de commerce et d’industrie du Bénin
CDE                Centre pour le développement de l’Entreprise
CEDEAO             Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest
CENAFOC            Centre national de formation comptable
CEPAG              Centre de promotion, d'assistance et de gestion
CePEPE             Centre de promotion et d'encadrement des petites et moyennes entre-
                   prises
CIPB               Conseil des investisseurs privés au Bénin
CNAB               Chambre nationale d'agriculture du Bénin
CNPB               Conseil national du patronat du Bénin
CNS/CAT            Conseil national de suivi/Cellule d’appui technique
CNUCED             Conférence des nations unies sur le commerce et le développement
CONEB              Confédération nationale des employeurs du Bénin
CONTRELEC          Agence de contrôle des installations électriques intérieures
CPI                Centre de Promotion des Investissements
CPI                Conseil présidentiel de l’investissement
CPPE               Centre de perfectionnement du personnel des entreprises
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CREE        Créez votre entreprise
DANA        Direction de l’alimentation et de la nutrition appliquée
DANIDA      Agence danoise pour le développement international
EMPRETEC    Emprendedores tecnologia (Entrepreneurs technologie)
FAO         Food and agriculture United Nations organization
FCFA        Franc de la Communauté financière d'Afrique (1€ = 656,17 FCFA)
FEFA        Fédération des femmes d’affaires et chefs d’entreprises
FEJEC       Fédération des jeunes chefs d’entreprise
FENA-PME    Fédération nationale des petites et moyennes entreprises
FIDA        Fond international pour le développement agricole
FMI         Fond monétaire international
FNM         Fonds national de micro-finance
FNPEEJ      Fonds national de promotion de l'entreprise et de l'emploi des jeunes
FODEFCA     Fonds de développement de la formation professionnelle continue et de
            l’apprentissage
GERME       Gérez mieux votre entreprise
GIZ         Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit/Coopération Alle-
            mande
GUFE        Guichet unique de formalisation des entreprises
IDH         Indice de développement humain
LARES       Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale
LCSSA       Laboratoire central de contrôle de la sécurité sanitaire des aliments
MCA         Millénium Challenge Account
NAFDAC      National agency for food and drug administration and control
OBOPAF      Observation des opportunités d’affaires
PACER       Projet d’appui à la croissance économique rurale
PADA        Projet d'appui à la diversification agricole
PADEAR      Programme d’assistance au développement du secteur de l’alimentation
            en eau potable et de l’assainissement en milieu rural
PADFA       Programme d’appui au développement des filières agricoles
PADSP       Programme d’appui au développement du secteur privé
PAG         Programme d’action du gouvernement
PAMESO      Projet d’appui à la méso-finance
PARASEP     Programme d’appui au renforcement des acteurs du secteur privé
PASP        Projet d’appui au secteur privé
PASPRIB     Projet d’appui au secteur privé du Bénin
PCCI        Projet de compétitivité et de croissance intégrée
PDFE        Projet danois de formation des entreprises
PDASP       Projet d’appui au développement du secteur privé
PEJ         Programme emploi-jeunes
PNDC        Politique nationale de développement du commerce
PNUD        Programme des nations unies pour le développement
PPAAO       Projet de productivité agricole en Afrique de l’ouest
ProAgri     Programme de promotion de l’agriculture
ProInvest   Projet pour le développement d’un environnement incitatif des affaires
            pour les investisseurs au Bénin
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PRSP      Programme de relance du secteur privé
PRMN      Programme de restructuration et de remise à niveau
PRoCAD    Programme cadre d’appui à la diversification agricole
ProCIVA   Projet Centre d’innovation vertes pour le secteur agro-alimentaire
REPAB     Réseau des producteurs de l’ananas au Bénin
RGE       Recensement général des entreprises
SBEE      Société béninoise d’énergie électrique
TDR       Termes de références
UCIMB     Union des chambres interdépartementales des métiers du Bénin
UEMOA     Union économique et monétaire ouest africaine
WBPC      Women Business Promotion Center
ZES       Zone économique spéciale
ZFI       Zone franche industrielle
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    1. Introduction1
Présentée comme l’une des plus florissante au monde, la croissance économique en Afrique
subsaharienne est estimée à 3,4 % en 2019, avec une prévision à la hausse de 3,6 % en 2020
(FMI 2019). Ce taux de croissance vient juste après celui des pays asiatiques émergents ou en
développement. Cependant, bien que la croissance africaine ait résisté à la crise européenne, à
la baisse des cours et aux aléas de l’invasion chinoise, elle ne pourra être soutenue sans un
véritable essor industriel pourvoyeur d’emplois (Chaponnière 2014). Dans le monde du déve-
loppement, il est largement admis que la promotion réussie du secteur privé est un élément
essentiel, voire incontournable, du développement futur des pays africains (World Bank 2019
a). Basé sur une étude empirique réalisée en République du Bénin, le présent document traite
des défis et des paradoxes de telles initiatives promotionnelles.
     L’entrepreneuriat africain à capital et à dirigeant africain, est soumis dans un monde glo-
balisé, à plusieurs pressions aussi bien interne qu’externe. Celles-ci se matérialisent par des
défis auxquels font face les entrepreneurs et qui freinent leur élan d’émergence. Sur le plan
externe, la littérature rend compte des relations asymétriques dans les accords commerciaux
et les partenariats économiques (Deblock 2013), notamment les abus de pouvoir des accords
ACP-UE (Afrique Caraïbes Pacifique-Union européenne) (Guillotreau et al. 2011) ; et des avan-
tages et inconvénients des relations avec la Chine (Chaponnière 2014). Outre les difficultés des
entreprises africaines d’accéder aux marchés extérieurs, la dimension externe des défis s’il-
lustre également par la dépendance de leurs Etats à l’aide budgétaire, l’exploitation abusive
des ressources naturelles, le blocage de l’industrialisation dû à l’importation accrue de pro-
duits manufacturés, etc.
     Sur le plan interne, on pourrait évoquer la relation ambiguë et opaque qu’entretiennent
les entrepreneurs avec leurs Etats, les agences de développement, les banques, les associations
professionnelles, la communauté locale et d’autres mondes comme le religieux et le politique.
Dans la première partie de notre étude sur les entrepreneurs béninois et leurs associations
(Badou et Bierschenk 2019), nous avons souligné la faible conscience d’appartenance de ces
entrepreneurs à une force sociale et économique unique reconnue qui a voix de cité dans les
grandes questions de gouvernance du pays d’une part, et de la faible émergence d’une classe
d’entrepreneurs visible et autonome impactant son environnement socio-politique d’autre
part. En d'autres termes, la conscience de classe des entrepreneurs béninois n'est pas particu-
lièrement prononcée. Il s’agit davantage de quelques réussites individuelles plutôt que de
groupes d’intérêts économiques forts. Aussi, avons-nous proposé le terme de « capitalisme
sous tutelle » (de l’Etat et des agences du développement) pour caractériser le secteur privé
existant au Bénin. A l’échelle africaine, le Bénin reste marginal en terme de grands entrepre-
neurs et de domination de grands secteurs économiques par ces entrepreneurs. La parole don-
née à certains parmi les quelques entrepreneurs prospères au Bénin, a montré la récurrence

1Nous remercions la Fondation Sulzmann (http://www.foerdern-und-stiften.uni-mainz.de/272.php) pour avoir fi-
nancé les recherches de terrain de cette étude. Nous tenons également à remercier les entrepreneurs et responsables
des associations et autres interlocuteurs pour leur fructueuse collaboration. Les résultats de nos enquêtes seront
rapportés dans plusieurs documents de travail dont le présent est le deuxième (pour le premier, voir Badou et
Bierschenk 2019). Ces résultats ont fait l’objet de communications à la 7ème Conférence européenne des études
africaines (ECAS) du 29 juin au 1er juillet 2017 à Bâle (Suisse), et à la 8e conférence ECAS du 11 au 15 juin 2019 à
Edinburgh (Royaume Uni). Nous tenons à remercier les participants à ces discussions, et en particulier Helmut
Asche et Lara Petersen, pour leurs nombreuses inspirations et commentaires critiques sur nos thèses.

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d’un certain nombre de défis relevant de prérogative de l’Etat mais face auxquels les entrepre-
neurs se retrouvent seuls. Si ces défis sont le plus souvent spécifiques aux différents secteurs
de production, certains sont transversaux à toute l’arène entrepreneuriale. Au nombre de ces
défis, se trouvent l’accès aux marchés régionaux et internationaux, l’accès à la main d’œuvre
qualifiée, l’accès au crédit, le fonctionnement des zones franches industrielles, l’effectivité du
dialogue public privé. Ces défis dépendent fortement d’aléas externes mais aussi des capacités
de « gouvernance » institutionnelles du pays, de son poids politique et diplomatique dans les
accords commerciaux et les partenariats économiques, des politiques de formation-emploi, des
politiques énergétiques, des systèmes de bancarisation, etc.
    Ce que nous mettons en exergue dans cette deuxième partie de notre étude, c’est l’entre-
preneur/l’entreprise béninois en proie à ces défis qui se manifestent au quotidien. Nous nous
sommes intéressés aux stratégies individuelles évoquées pour y faire face mais aussi et surtout
aux limites des efforts de promotion brandis par l’Etat, les agences de développement et les
associations d’entrepreneurs pour y remédier.
     Notre étude est donc une manière de tester empiriquement l'efficacité de la nouvelle orien-
tation de la politique de développement, en prenant le Bénin comme exemple. Au cours des
dernières décennies, la politique de développement a beaucoup mis l'accent sur la réforme des
institutions publiques. Depuis un certain temps, cette orientation a été complétée par la pro-
motion explicite du secteur privé. Le ‘développement du secteur privé’ est devenu un domaine
distinct de la politique de développement. Le développement du secteur privé en tant que
paradigme concerne non seulement la promotion des petites et moyennes entreprises, mais
aussi des programmes très controversés tels que la réforme du climat d'investissement ou la
Réforme de l'environnement des entreprises of the Donor Committee for Enterprise Development,
et notamment l'initiative Doing Business de la Banque mondiale (World Bank 2018, 2019a,
2019b).
     Le paradigme, ainsi que les programmes spécifiques qui y sont associés, ont un angle mort
particulier : dans quelle mesure les programmes de développement du secteur privé ont-ils
réellement porté leurs fruits ? quelle est la nature des entreprises émergentes et quelle place
occupent-elles dans la structure sociale de leurs pays respectifs ? Sur le plan empirique, la
situation réelle reste remarquablement nébuleuse. Ceci est d'autant plus particulier qu'un élé-
ment – le programme Doing Business – a établi une véritable concurrence, en particulier entre
les pays du Sud, ce qui a permis de simplifier et de réduire la réglementation des entreprises.
Il y a un débat intensif sur le sens et le parti pris idéologique de ce programme, mais on s'inter-
roge beaucoup moins sur le type de business qui aurait fait son chemin en Afrique à la suite de
réformes inspirées par ce programme. Notre étude tente d’éclairer un peu cet angle mort.
     Dans une première section, nous présenterons les trois défis majeurs pour les entrepre-
neurs béninois tels que perçus et vécus par eux-mêmes, c.a.d. l’accès aux marchés extérieurs,
l’accès au crédit et l’effectivité de la zone franche industrielle. Le problème d’accès aux mar-
chés extérieurs est illustré par les ambiguïtés qui entourent la fonctionnalité effective des ac-
cords commerciaux avec le Nigéria dans l’espace CEDEAO (Communauté économique des
Etats de l’Afrique de l’ouest) et le partenariat économique avec les Etats-Unis dans le cadre de
l’AGOA (Africa Growth Opportunities Act). L’accès au crédit s’illustrera par les rapports avec
les institutions financières ainsi que les appuis financiers de l’Etat et des agences de dévelop-

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pement. Quant à la zone franche industrielle, elle est présentée comme une réponse au relève-
ment du défi de la promotion industrielle qui se heurte à des blocages aussi bien internes
qu’externes au pays.
    La seconde section questionne la promotion de l’entreprenariat par l’Etat et ses partenaires
internationaux, ainsi que son appréciation par les entrepreneurs eux-mêmes. Les appuis insti-
tutionnels, administratifs et organisationnels mis en place répondent-ils aux besoins et aux
défis récurrents du secteur entrepreneurial ? apportent-ils une plus-value ?

   2. Méthodologie de l’étude
Dans notre étude, nous avons privilégié une démarche ethnographique (pour ce qui suit, voir
Badou et Bierschenk 2019 : 3-4). De ce fait, le focus a été mis sur trois techniques de collecte de
données : la revue documentaire, l’entretien semi-directif et l’observation.
    La revue documentaire a exploré la littérature grise locale et régionale sur les entrepre-
neurs Béninois. Elle s’est intéressée aux journaux des dix dernières années (général et spéci-
fique) pour comprendre la manière dont les entrepreneurs et leurs entreprises sont analysés
dans les médias. Elle a aussi exploité les magazines et les sites web édités par les associations
professionnelles, les institutions étatiques promotrices de l’entreprenariat, les partenaires au
développement des entreprises, etc. Cette revue a concerné aussi l’actualité quotidienne
(presse écrite, audiovisuelle, réseaux sociaux) sur les entrepreneurs, leurs activités profession-
nelle, syndicale, politique, leur auto-perception, etc. Les statistiques sur les entrepreneurs ainsi
que les politiques, les documents d’accords commerciaux, les stratégies et grandes rencontres
du secteur privé ont également fait l’objet d’investigations.
     Au cours de l’étude, 38 entretiens ont été menés avec une quarantaine de personnes dont
21 entrepreneurs. Parmi ces derniers, il y a trois femmes. Le choix des entrepreneurs enquêtés
s’est fait en recherchant d’abord ceux qui sont à la tête ou membres de bureau actifs de grandes
associations d’entrepreneurs. Ils sont au nombre de seize concernés par l’étude et sont en ma-
jorité à la tête de grandes entreprises visibles dans l’environnement béninois des affaires. Ce-
pendant, deux parmi ces 16 entrepreneurs-leaders d’associations peuvent être qualifiés de pe-
tits entrepreneurs de par la taille de leur entreprises (moins de cinq personnes employées et
un capital de moins de 20 millions FCFA, soit 30.500 €). Pour les autres entrepreneurs, un choix
délibéré s’est porté sur les promoteurs de grandes ou moyennes entreprises afin de ne pas se
perdre dans la grande masse des micros et petites entreprises. Les secteurs d’activités pris en
compte sont le commerce (ananas, produits manufacturés, produits congelés, etc.) ; l’industrie
(transformation agricole, plastiques, imprimerie, eau, bâtiments et travaux publics/BTP, etc.) ;
les services (transport, logistiques, Nouvelles technologies de l’information et de la communi-
cation etc.).
    Les entretiens avec les entrepreneurs ont tenu compte de deux grands volets : un volet
biographique professionnel des entrepreneurs (accès à la profession, modalité d’exercice, accès
aux ressources, leadership, vie associative, politique, religieuse) et un aspect général sur leurs
perceptions, représentations et vécus sur l’entreprenariat au Bénin, les grands défis du sec-
teur, les associations professionnelles d’intérêts communs, les interactions de ces associations
avec l’Etat, avec les agences de l’aide au développement, etc. Les autres enquêtés sont compo-
sés des cadres de l’administration, des partenaires techniques et financiers, des directeurs et
experts de projets et d’agences d’appui à l’entreprenariat, etc.

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    Les entretiens ont eu lieu majoritairement à Cotonou, pôle économique du pays. Cepen-
dant les entrepreneurs de la chaine de valeur de l’ananas ont été enquêtés sur leur lieu de
travail à Allada pour la plupart. Néanmoins, trois entretiens ont eu lieu à Parakou avec deux
entrepreneurs.
    Quatre observations ethnographiques ont été faites. Elles ont concerné :
    • La Conférence sur la politique économique du Japon organisée par l’ambassade du Ja-
pon au Bénin, en collaboration avec la Chambre d’industrie et de commerce du Bénin (CCIB),
le Conseil national du patronat du Bénin (CNPB) et l’université Espéranza de Cotonou, le 17
janvier 2017 à la salle de fête Majestic de Cotonou-Cadjèhoun ;
    • La rencontre de travail des membres de la Fédération des jeunes chefs d’entreprise
(FEJEC) avec le chargé de mission du Programme d’appui au renforcement des acteurs du
secteur privé (PARASEP) le 26 janvier 2017 au groupe Royal Azur ;
   • La séance d’internalisation et d’appropriation du PAG (Programme d’action du gouver-
nement) au siège de la CCIB le vendredi 03 février 2017 ;
    • Le lancement au Ministère de l’industrie et du commerce, de l’ouvrage ‘Réussir des
échanges commerciaux et des partenariats industriels fructueux en Afrique de l’ouest : le cas
Bénin-Nigéria’, le 22 mars 2018 (voir en bibliographie, Ali 2017).
    En matière d’association, celles qui ont été directement investiguées sont :
    • Les deux associations patronales faitières : la Confédération nationale des employeurs
du Bénin (CONEB) et le Conseil national du patronat du Bénin (CNPB) ;
    • Le Conseil des investisseurs privés au Bénin (CIPB) ;
    • Des associations professionnelles de secteurs majeurs : l’Association nationale des en-
treprises de construction, des travaux publics et des activités connexes (ANECA) pour le sec-
teur des bâtiments et travaux publics (BTP); l’Association nationale des industriels du Bénin
(ASNIB) pour l’industrie ; l’Association de l’interprofession de l’ananas au bénin (AIAB), le
Réseau des producteurs de l’ananas au Bénin (REPAB) et l’Association nationale des exporta-
teurs de l’ananas au Bénin (ANEAB) pour la filière ananas ;
    • Des fédérations d’associations professionnelles : la Fédération des femmes d’affaires et
chefs d’entreprises (FEFA), la Fédération des jeunes chefs d’entreprise (FEJEC), la Fédération
nationale des petites et moyennes entreprises (FENA-PME).
    Les institutions étatiques ou semi-étatiques directement investiguées sont :
    • Le Ministère du commerce et de l’industrie ;
    • La Chambre de commerce et d’industrie (CCIB) ;
    • l’Agence nationale de promotion des petites et moyennes entreprises (ANPME) ;
    • Le Centre de promotion et d'encadrement des petites et moyennes entreprises (CePEPE);
    • Le Centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation (CAMEC) ;
    • L’Association de promotion de l’investissement et des exportations (APIEX) ;
    • le Women Business Promotion Center, (WBPC), etc.
    Les agences de développement directement investiguées sont :

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    • La GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit/Coopération allemande) à tra-
vers le Projet Centre d’innovations vertes pour le secteur agro-alimentaire (ProCIVA) et le
projet Appui-Conseil Macroéconomique pour la réduction de la pauvreté (ACMERP) ;
   • L’Union Européenne et l’Agence française de développement (AFD) à travers le projet
PARASEP.
     La recherche s’est déroulée en quatre grandes étapes. Une première étape d’immersion
dans le monde de l’entreprenariat béninois et de recherches intensives en binôme (Thomas
Bierschenk et Agnès Badou aidés d’un assistant de recherche) qui a eu lieu du 12 au 20 octobre
2016. Une deuxième phase faite d’entretiens, d’observations et de revues de journaux et de
littérature grise s’est faite entre décembre 2016 et mars 2017 (Agnès Badou). La troisième phase
en binôme Thomas Bierschenk et Agnès Badou a eu lieu en avril 2017. La quatrième phase
s’est poursuivie de mai 2017 à mars 2018 notamment sur les entretiens biographiques profes-
sionnelles (Agnès Badou).

   3. L’économie béninoise et les entrepreneurs : Quelques données de
   base
L’Indice de développement humain (IDH) du Bénin pour 2015 était de 0,485, ce qui situe le
pays dans la catégorie des pays à « développement humain faible » et le place à la 167ième
position sur 188 pays et territoires. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le pays af-
fiche un taux de croissance économique de 5,4% en 2017 avec un taux de croissance démogra-
phique de 3,5%. Les secteurs commerciaux et agricoles privés sont les grands piliers de la
croissance économique. La production agricole et les services font plus de 85% du PIB et les
entrepreneurs représentent dans leur ensemble 35% du PIB du Bénin. Les échanges avec le
Nigéria le principal partenaire commercial, font 20% du PIB, contre 5 à 7% pour le coton prin-
cipale culture d’exportation avec 37% des exportations agricoles (Banque mondiale 2019). L’in-
dustrie est embryonnaire. Cette marginalité s’exprime également à travers certains dispositifs
institutionnels : sur 99 sièges à la CCIB, 12 sont réservés aux industriels ; l’inexistence d’une
politique nationale sur l’industrie ; le non fonctionnement de la zone franche industrielle ; la
quasi inexistence de banques d’investissement industriel ; etc.
     Le Bénin est classé 151ème sur 190 pays, en terme de facilités de l’environnement des af-
faires (World Bank 2018), soit le 25ème pays africain sur 53. Il demeure ainsi l’avant-dernier
en Afrique de l’ouest devant le Nigéria la première puissance économique du continent afri-
cain en 2018. En 2019, le Bénin a encore régressé en occupant la 153ème place soit la 31ème
place sur le plan africain, la 8ème et dernière place au sein de l’UEMOA et la 12ème place dans
l’espace de la CEDEAO (World Bank 2019 b).
    Lors du dernier recensement général des entreprises (RGE) en 2008, 154.839 unités de pro-
duction ont été dénombrées sur toute l’étendue du territoire national. Le département du Lit-
toral avec 37% des unités recensées constitue le principal centre névralgique de l’activité éco-
nomique au Bénin. Suivent respectivement l’Ouémé et l’Atlantique avec 13% et 11%. L’infor-
mel concentre 98,5% des entreprises. Cette situation est essentiellement due à la forte propor-
tion des unités de production artisanales et commerciales qui pour la plupart opère dans l’in-
formel. Toutefois le formel est plus appréhensible dans les Bâtiments et travaux publics (BTP)
(75%) le Transport (45%) et les Technologies de l’information et de la communication (21%)
(INSAE 2010).

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    Quant aux entreprises formelles, selon le Plan stratégique de la Chambre de commerce et
d’industrie du Bénin pour 2015- 2021 (CCIB 2015), chaque année naissent au moins 2500 en-
treprises formelles qui, à 80%, sont des entreprises individuelles dont 20% seulement survi-
vent, le taux de mortalité étant de 80%. Les petites et moyennes entreprises constituent l'épine
dorsale de l’économie. Elles créent les deux tiers des nouveaux emplois.
    Les statistiques actualisées et centralisées sur les entreprises formelles sont difficilement
accessibles vu la multiplicité des structures concernées (GUFE, CONEB, CCIB, CNPB, INSAE,
CePEPE) et l’absence d’une actualisation et d’une centralisation des données existantes. Le
croisement de différentes sources donne une estimation d’environ 15.000 entreprises formali-
sées sur près de 200.000 au total en 2016. 90% des opérateurs économiques formels se retrou-
vent dans la région Atlantique-Littoral. C’est sur ce secteur privé formel marginal que repose
la pression fiscale de l’Etat bien que les entreprises non formelles soient également assujetties
à certaines taxes. Les rares grandes sociétés de commerce et d’industrie sont détenues par des
capitaux étrangers (français et libanais) notamment dans les secteurs du textile, des matériaux
de construction, de l’automobile, de la téléphonie mobile, des produits alimentaires, etc.
      Les entreprises formellement enregistrées au Bénin sont caractérisées par une forte dua-
lité formelle et informelle (pour ce qui suit, voir Badou et Bierschenk 2019). De par les presta-
tions fournies, il existe des entreprises davantage liées à l’Etat comme les BTP, les agences de
voyages. Un aperçu de la biographie socio-professionnelle des grands et moyens entrepre-
neurs béninois révèle des hommes et des femmes de classe moyenne ou supérieure ayant fait
pour la plupart des études secondaires ou universitaires pas toujours liées à leur secteur en-
trepreneurial. Ils ont été au moins une fois membre d’une association professionnelle, bénéfi-
ciaire de l’appui au développement des entreprises et parfois des rapports avec des partis po-
litiques, et / ou des associations religieuses ou caritatives. La dimension politique, associative
et religieuse est très prégnante dans leur parcours professionnel.
    L’idée de leur persécution par l’Etat, les institutions bancaires, voire l’environnement fa-
milial et communautaire apparaît souvent dans leur discours. Le caractère individuel des en-
treprises fait montre d’une évolution singulière des entrepreneurs avec très peu de regroupe-
ment d’intérêt économique mais plutôt d’intérêt associatif. Les entrepreneurs au Bénin évo-
luent dans un environnement institutionnel très foisonnant et assez dynamique, notamment
sous forme de groupe de défense de leurs intérêts professionnels.
     On dénombre plus d’une centaine de fédérations et d’associations professionnelles d’en-
trepreneurs, tout secteur confondu. La création des associations professionnelles relève de
l’initiative singulière ou combinée des entrepreneurs, des agences de développement et de
l’Etat. Organisées par secteur, ces associations naissent pour la plupart de la volonté de l’Etat
ou des « partenaires au développement » d’avoir des interlocuteurs pour dialoguer et collabo-
rer avec la grande masse des entrepreneurs. Toutes les associations sont marquées par la dif-
ficulté de fédérer leurs efforts pour constituer une force vis-à-vis de l’Etat en vue de l’effectivité
du dialogue public-privé. La présence d’une multitude d’association professionnelle dont au-
cune ne représente à elle seule tous les entrepreneurs, pointe à l’inexistence d’un secteur privé
bien organisé, représentant une force socio-économique au sein de la société globale. L’analyse
des soutiens aux associations professionnelles du secteur de l’entreprenariat révèle que les
appuis de l’Etat aux associations entrepreneuriales sont infimes comparés à ceux des agences
de développement. Il convient de noter aussi que chaque agence est porteuse de plusieurs

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projets dans le temps et peut participer à la mise en place et/ou au renforcement de plusieurs
associations professionnelles.

     4. Les grands défis du secteur privé
Trois décennies d’appui à l’entreprenariat béninois par l’Etat et les agences de développement
n’ont pas réussi à changer profondément les défis du secteur privé qui restent récurrents et
persistants. Ces défis, souvent évoqués par nos interlocuteurs, sont : l’accès au crédit, l’accès
aux marchés régionaux et internationaux, l’accès à la main d’œuvre qualifiée, l’accès à l’éner-
gie, la fiscalité, la justice, le dialogue intra secteur privé, le dialogue public-privé, etc. La per-
sistance de ces défis peut rendre compte du fait que soit les actions de promotion et d’appui
sont mal orientées, soit ces défis ne sont pas une priorité de ces actions, soit encore ils sont trop
complexes à résoudre par l’Etat et le modèle « projet/programme » des « partenaires au déve-
loppement ».
     La manifestation de ces défis telle que rapportée ou vécue par les différents acteurs en jeu
se trouve explicitée dans ce chapitre. Pour ce faire, deux défis principaux que sont l’accès aux
marchés internationaux d’écoulement des biens et services, et l’accès aux financements pour
les entreprises moyennes débutantes seront étudiées. Un troisième cas qui en lui-même n’est
pas un défi mais plutôt une initiative visant à corriger un défi, la mise en place d’une zone
franche industrielle sera prise en compte.

    a. L’accès aux marchés
L’accès aux marchés est étudié sous l’angle des difficultés surtout relatives à l’exportation. Il
s’agit de mettre en exergue l’effectivité ou non des accords commerciaux mais aussi la compé-
titivité des produits béninois à l’exportation. En ce qui concerne les accords commerciaux, l’ac-
cent est davantage porté sur les échanges avec le Nigéria, ce gros marché à proximité que tous
les entrepreneurs des secteurs productifs aimeraient conquérir de façon formelle. Toutefois
d’autres accords d’échanges commerciaux avec l’UEMOA, la CEDEAO et l’AGOA avec les
Etats Unis seront abordés.
    Les accords commerciaux au sein de l’UEMOA sont plus ou moins effectifs. Tous les en-
trepreneurs affirment bénéficier des avantages tarifaires et non tarifaires au sein de cet espace
monétaire et économique. Les accords de la CEDEAO avec le principe de la libre circulation
des personnes et des biens ne sont pas formellement effectifs quant à l’exportation de produits
made in Bénin vers les pays anglophones que sont le Ghana et le Nigéria.

     Le difficile accès au marché Nigérian2
Du fait de la proximité très étroite, bon nombre de produits provenant du Bénin, franchissent
frauduleusement de tout temps les frontières nigérianes. Selon le Laboratoire d’analyse régio-
nale et d’expertise sociale (LARES), cité par le magazine Syfia du 21 septembre 2007, le Bénin

2Nous tenons à souligner que notre étude a été réalisée avant le récent conflit frontalier entre le Nigéria et le Bénin.
Depuis le 20 août 2019, le Nigéria a unilatéralement fermé ses frontières terrestres avec le Bénin, le Niger, le Came-
roun et le Tchad dans le but selon les autorités nigérianes, de protéger leur économie de la contrebande galopante
de certaines marchandises notamment les produits importés. Si ce n’est pas une première initiative de la part du
Nigéria en ce qui concerne le Bénin, c’est quand même la première fois que la fermeture a été aussi hermétique et
inscrite dans la durée. Malgré les mesures prises par le Bénin le 06 septembre 2019 pour se conformer à l’interdiction

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réalise 35 % de ses échanges commerciaux avec le Nigéria (Magazine Syfia 2007). En outre,
80% des importations faites par le Bénin en 2017, sont réexportées en fraude vers le marché
nigérian (Banque mondiale, 2019). (Pour les échanges commerciaux du Bénin avec le Nigéria,
voir aussi Igué et Soulé, 1992).
     Vu l’accroissement de la contrebande, le Nigéria dans sa politique protectionniste, à un
moment donné interdisait l’arrivée sur son territoire de produits provenant du Bénin. Ceci
s’est manifesté par la fermeture de ses frontières avec le Bénin en 2003. C’est à l’issue du règle-
ment de ce contentieux frontalier que le fameux Mémorandum de Badagry a été signé entre le
Bénin et le Nigeria la même année. Ce mémorandum comprend plusieurs aspects d’échanges
entre les deux pays dans les domaines du commerce et de la sécurité. La principale conclusion
sur les échanges commerciaux stipule que seuls les articles fabriqués ou les denrées produites
au Bénin peuvent faire objet de transaction entre les deux pays.
         Voici les grandes dates en lien avec l’accord de Badagry :

         9 août 2003 : Fermeture par le Nigéria des frontières avec le Bénin

         14 août 2003 : Signature du mémorandum d’accord de Badagry entre les présidents Olusegun
         Obasanjo et Mathieu Kérékou, concernant l’escalade de la contrebande, les crimes frontaliers,
         le trafic humain, le trafic de drogue, les tracasseries faites aux officiels et citoyens des deux
         pays ; l’immigration illégale et autres crimes.

         15 aout 2003 : Réouverture des frontières

         22 avril 2004 : Rencontre de Cotonou entre les chefs d’Etat des deux pays et les opérateurs éco-
         nomiques, et finalisation d’une liste d’entrepreneurs agréés

         6 et 7 juin 2004 : Visite de travail du Vice-ministre des finances du Nigéria avec le Ministre du
         commerce et de l’industrie et de la promotion de l’emploi ainsi que le Ministre des finances du
         Bénin suivi de l’adoption du mémorandum sur les problèmes commerciaux entre le Bénin et
         le Nigéria ; l’adoption d’un document cadre portant création attribution et fonctionnement du
         comité conjoint Bénin Nigéria sur le commerce dans le processus de mise en œuvre des recom-
         mandations faites par les deux chefs d’Etats lors de la rencontre de Cotonou.

Mais dans les faits, et malgré l’établissement d’une liste d’entrepreneurs agréés, même les pro-
duits made in Bénin n’ont pas toujours accès au marché nigérian de façon formelle. Vu la non-
effectivité de l’accord de Badagry, le 8 février 2007, le président béninois Yayi Boni et son ho-
mologue nigérian Olusegun Obasanjo ont conclu un autre accord qui cette fois-ci inclut le Togo
et le Ghana. Cet accord visait à créer un co-partenariat dans les domaines de l’énergie, les
télécommunications et les infrastructures de transport. Ce nouvel accord a permis néanmoins
l’exportation de certains produits du Bénin vers le Nigéria comme l’huile, les tissus écrus, les
jus de fruits béninois, etc. mais il n’a pas duré et a laissé place à la contrebande.

des opérations de réexportation vers le Nigéria suivant les accords de Badagry, le Nigéria reste ferme sur sa posi-
tion. Cette situation met à mal les accords de libre-échanges commerciaux tout le long du corridor Abidjan – Lagos
et affecte notamment les entrepreneurs de l’agro-business notamment les filières fruits et légumes localement pro-
duits qui sont des denrées périssables.

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     Depuis 2003 malgré l’accord de Badagry, les produits béninois peinent toujours à traverser
officiellement la frontière nigériane. Tous les entrepreneurs concernés rencontrés nous ont af-
firmé qu’ils exportent frauduleusement vers ce marché qui constitue un grand débouché pour
eux et ceci au prix de nombreuses tractations.
       « Pour exporter nos produits on fait appel à des contrebandiers qui nous aident à les
       écouler dans la sous-région. La grande majorité est libérée au Nigéria. Avant on avait
       bénéficié des accords du NAFDAC nigérian mais après ils ont mis un tas de protocoles
       qui font qu’on a laissé. » Un entrepreneur de la filière oléagineuse, entretien du 06 mars 2017.

     Si les mesures protectionnistes du Nigéria ont été doigtées comme raison de l’échec de
l’accord de Badagry, l’administration béninoise est également accusée pour n’avoir pas joué
sa partition. Il lui revenait en effet d’évaluer périodiquement les entreprises initialement sélec-
tionnées, d’actualiser la liste et de fournir des renseignements spécifiques sur chacune d’elles
suivi d’une correspondance à adresser aux autorités nigérianes. C’est ce que tente d’expliquer
ce cadre du Ministère du commerce béninois :
      « Le mémorandum de Badagry, stipule que seuls les produits made in Bénin seront accep-
      tés au Nigéria. Environ une trentaine de sociétés béninoises ont signé le procès-verbal issu
      de cet accord. Ces dernières pourront écouler leurs produits au Nigéria à condition que
      chaque année, un état des lieux soit fait pour vérifier si elles sont en règles. Malheureuse-
      ment cet accord a connu un échec dû à une mauvaise volonté politique d’une part et aux
      préjugés des Béninois sur les nigérians d’autre part. Or le Nigéria constitue une grande
      opportunité pour notre pays ; nous devons tenir compte du Nigéria pour implanter les
      usines au Bénin. Il faudrait avoir des industries complémentaires pour concurrencer le Ni-
      géria. » Un cadre du Ministère du commerce, entretien du 15 février 2018.

    Au fait si l’accord de Badagry autorisait l’entrée des produits made in Bénin, le Nigéria a
par la suite opposé l’obtention de l’agrément de son service de contrôle de qualité. Et c’est
justement à ce niveau que se vérifie ce qu’exprime Deblock (2013 : 831) « Tous les accords com-
merciaux comportent des dispositions spécifiques, des exceptions et des clauses dérogatoires.
Par nature ils sont exclusifs, préférentiels et souvent assujettis à des critères politiques. D'où
un protectionnisme qui ne porte pas toujours son nom, une certaine opacité, des coûts de tran-
saction parfois élevés ou des asymétries ».
     Le Bénin n’arrive pas à se conformer aux normes de certification établies par la Nigerian
Agency for Food and Drug Administration and Control (NAFDAC), structure de certification
de la qualité des aliments, équivalent de la Direction de l’alimentation et de la nutrition appli-
quée du Bénin (DANA). L’Etat béninois n’a pu prendre la responsabilité de faciliter cette cer-
tification pour les entreprises privées béninoises. L’idéal, de l’avis d’un cadre du Ministère du
commerce et de l’industrie, serait un processus de certification par une structure béninoise de
contrôle (par exemple la DANA) qui à son tour sera certifiée par la NAFDAC. Ainsi l’Etat
pourrait négocier un bureau local de la NAFDAC au Bénin ou établir une collaboration entre
la NAFDAC et les structures de normalisation béninoise pour une reconnaissance mutuelle
des certificats délivrés.
    Au vu de l’échec répété des accords commerciaux avec le Nigéria, les entrepreneurs béni-
nois ont entamé des démarches personnelles pour obtenir la certification du NAFDAC.

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    Des entrepreneurs nous ont affirmé avoir investi assez de temps et d’argent sans résultats
dans la quête de ce certificat. Chacun y va selon ses relations. C’est ce qu’en disent deux entre-
preneurs de la filière ananas :
      « On est allé à la NAFDAC au Nigéria en septembre 2015 mais depuis rien. On n’a jamais
      livré directement en dehors de l’informel. C’est la semaine dernière que l’ambassadeur du
      Nigéria est venu ici voir l’usine et a dit qu’aucune usine n’est autant propre au Nigéria. Je
      fais les démarches personnelles et j’espère que cela va aboutir. » Une entrepreneure de la
      filière ananas, entretien du 27 février 2018.

      « L’UEMOA est une réalité en termes d’espace de libre échange, il n’y a pas de barrière
      mais les accords de la CEDEAO ne sont pas concrets ; on ne peut aller vendre au Nigéria.
      J’ai tout fait, j’ai investi pour avoir cet agrément, j’ai recherché et j’ai rencontré le directeur
      de la NAFDAC, j’ai fait un lobbying et je suis allé avec le directeur du commerce Béninois
      au Nigéria ; on a vu le directeur de la NAFDAC mais il refuse. » Un entrepreneur de la filière
      ananas, entretien du 25 janvier 2017.

Au vu de ces propos, il apparait un protectionnisme nigérian qui met à mal le principe de
libre échanges des biens et services au sein de la CEDEAO mais aussi favorise et nourrit un
réseau de contrebande au vu et au su des deux pays.

       L’utopie d’un accès au marché américain : le « Africa Growth and Opportuni-
       ties Act » (AGOA)
L’AGOA, en français Acte pour la croissance et l’opportunité en Afrique, est un mécanisme
mis en place en 2000 par le gouvernement américain pour permettre aux pays africains d’écou-
ler sur son territoire environ 6000 produits typiquement africains et cultivés ou fabriqués par
eux et ceci sans frais de douane. Le Bénin est éligible depuis 2004 suite à un accord entre le
Ministère du commerce et l’Ambassade des Etats-Unis. Au total 38 pays africains sont éli-
gibles. Toutefois la fabrication ou la production de ces articles doit se faire selon des normes
précises répondant aux exigences des USA. Durant la première phase de l’AGOA de 2000 à
2015, un seul entrepreneur béninois a pu s’en sortir et livrer des savons et autres produits
cosmétiques aux Etats-Unis à travers cet accord, et ceci sans aucune aide de l’Etat béninois. La
deuxième phase du programme court de 2015 à 2025. Selon les responsables du Ministère du
commerce, il s’agit de procédés d’éligibilité très complexes qui limitent les entrepreneurs. Mal-
gré l’accompagnement de certains entrepreneurs par le Ministère et les agences de développe-
ment, un seul entrepreneur en 2017 dans le domaine des textiles et du prêt-à-porter est éligible
pour exporter vers les USA. Pour un entrepreneur dans l’agro-alimentation qui a voulu es-
sayer le canal AGOA, l’effectivité « n’est pas pour demain » car le prix de revient des produits
béninois même en l’absence des frais de douanes n’est pas compétitif. A ce niveau aussi, l’ad-
ministration béninoise apparait comme un obstacle. C’est ce qu’il exprime en ces termes :
      « Autre chose, nous n’avons pas accès au marché américain malgré les accords de l’AGOA
      avec les Etats-Unis. Tout ce qu’ils disent est du leurre, c’est théorique. Cela n’alimente que
      les cadres du Bénin. Dans le même temps, les industriels sont là et ne bénéficient de rien.
      Depuis qu’ils ont créé AGOA, il n’y a eu rien pour les entrepreneurs. On dit que les pro-
      duits seront exonérés de la douane (et) c’est une aubaine, mais le Bénin envoie quoi ? Même
      si tu es exonéré de la douane et que tu présentes un produit archaïque ou cher non compé-
      titif, tu vends comment ? si le prix de revient est déjà élevé comment ce sera compétitif ?

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