ALPENSCÈNE - Destination Alpes Lieux de vie pour les populations locales et les visiteurs - Cipra
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DEUTSCHE VERSION FRANÇAISE AUSGABE ISSN 2225-3882 2305-9834 ALPENSCÈNE LA REVUE DE LA CIPRA N° 102 / 2017 Destination Alpes Lieux de vie pour les populations locales et les visiteurs
ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 SOMMAIRE Éditorial Page 3 Visages Alpins Anderson Scantlebury Page 4 Destination Alpen « Terrain de jeux de l’Europe » ou balle de pingpong de l’économie ? Le tourisme alpin à la croisée des chemins Page 5 Entre deux Immense diversité des touristes, comme des habitant(e)s des Alpes Page 8 L’innovation sociale plutôt que la croissance P5 Le moteur de croissance « tourisme et BTP » toussote Page 10 Panorama Amitiés de … Page 12 Entretien avec Verena Winiwarter « Produisons les images nous-mêmes ! » Page 14 Destination Alpes ! ? Essai de Jens Badura Page 17 Et si le tourisme avait (encore) besoin de la protection de la nature ? Les espaces protégés en tant qu’élément d’un business plan Page 18 Regard oblique Lorsque le « soutenable » prend racine 20 ans de « Alliance dans les Alpes » et « Ville des Alpes de l’Année » Page 20 Par monts et par vaux Page 22 Point d’orgue Page 23 Bande-annonce Page 24 P14 C I P R A , U N E O R G A N I S AT I O N Paraît périodiquement en version française, allemande, italienne et slovène. La reproduction A U X A C T I V I T É S E T A U X V I S A G E S M U LT I P L E S des articles de cette revue est autorisée sur demande à condition d’indiquer les sources et La Commission Internationale pour la Protection des Alpes, la CIPRA , est une organisation d’envoyer un exemplaire souhaite après parution. faîtière non gouvernementale avec des représentations nationales dans sept pays alpins ; elle regroupe plus de cent associations et organisations. Elle oeuvre pour un développement Abonnements: Alpenscène peut vous être envoyé gratuitement par CIPRA International : durable dans les Alpes, comprenant la préservation du patrimoine culturel et naturel, www.cipra.org/alpenscene de la diversité régionale, ainsi que la proposition de solutions transnationales répondant aux problèmes rencontrés dans l’espace alpin. Alpenscène est publiée par CIPRA International avec l’aimable soutien de la Principauté MENTIONS LÉGALES du Liechtenstein et de la fondation Aage V. Jensen Charity Foundation. Nous nous réjouissons de chaque don envoyé à IBAN LI43 0880 5502 2047 8024 0, Éditeur: CIPRA International Rédaction: Barbara Wülser (responsable), BIC VPBVLI2X (en francs suisses) ou IBAN AT18 20604 03100411770, BIC SPFKAT2B (en euros). Maya Mathias Autres auteurs: Jens Badura, Monika Bandi Tanner, Franco Brunner, Dominik Cremer-Schulte, Bernard Debarbieux, Bettina Hug, Irmi Seidl, Christian Baumgartner, Corinne Buff, Maya Mathias, Barbara Wülser Traductions: Claire Simon, Nataša Leskovic Uršič, Reinhold Ferrari, Marianne Maier Relecture: Violaine Simon, Nina Pirc, Francesco Pastorelli, Barbara Wülser Concept graphique et mise en page: Jenni Kuck Impression: Buchdruckerei Lustenau/A Tirage: 13.500 exemplaires Aage V. Jensen Charity Foundation/LI 2
ÉDITORIAL ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 Schaan/LI, août 2017 Chères lectrices, chers lecteurs, Il y a peu de temps, j’assistais à une conférence sur la culture à Maloja en Suisse. Nous discutions des touristes et des locaux et de leur in- fluence sur la culture. Je ne savais plus où me situer. La conférence avait lieu dans mon canton, mais dans une autre aire linguistique, le voyage Photo de couverture : Hans Peter Jost; Photos : Heinz Heiss / Zeitenspiegel (P. 2 en haut), Lukas Schiemer (P. 2 en bas), Martin Walser (P. 3) pour y arriver avait duré plusieurs heures, j’ai passé la nuit dans une auberge et payé une taxe de séjour. Pourtant, je me sentais chez moi. Tirer une ligne de démarcation entre locaux et visiteurs est de plus en plus difficile. Il y a toujours eu des interactions entre les uns et les autres. Les visiteurs apportent de nouvelles idées qui influencent le style de vie des locaux. Certains prennent goût à ce vent d’exotisme, venu de la ville ou d’ailleurs encore, se laissent inspirer et quittent la vallée. D’autre part, il y a des visiteurs qui prennent racine et de- viennent des locaux ou ce qu’on appelle des « résidents multilocaux ». Une « destination » est avant tout un lieu de vie pour les résidents locaux et les visiteurs. Le tourisme n’est pas une fin en soi, mais une branche économique possible, offrant une source de revenus aux per- sonnes qui souhaitent vivre dans les Alpes. C’est pourquoi le magazine que vous tenez entre les mains ne se limite pas à passer en revue le tourisme en soi et les défis auxquels il est actuellement confronté. Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est le lien entre cette branche économique et d’autres secteurs. Nous posons notamment la ques- tion de la contribution du tourisme à la cohésion sociale. Et comment le tourisme influence-t-il notre perception du paysage ? Nous en sommes convaincus : conçu et mis en œuvre avec intelli- gence, le tourisme peut conjuguer à la fois les différentes facettes de la vie dans les Alpes et les exigences multiples des populations locales et des hôtes, afin de contribuer à la qualité de vie. Car l’enjeu final est là : une vie de qualité dans les Alpes, en été comme en hiver. J’espère que vous lirez ces pages avec plaisir, Barbara Wülser, Directrice adjointe CIPRA International C I P R A I N T E R N AT I O N A L CIPRA Deutschland CIPRA Slovenija Im Bretscha 22, LI-9494 Schaan Moosstraße 6, D-82279 Eching a. Ammersee društvo za varstvo Alp, Trubarjeva cesta 50, SI-1000 Ljubljana Tel.: +423 237 53 53 Fax: +423 237 53 54 Tel.: +49 8143 271 50 11 Fax: +49 8143 271 50 11 Tel.: +386 59 071 322 E-Mail: slovenija@cipra.org E-Mail: international@cipra.org Web: www.cipra.org E-Mail: info@cipra.de Web: www.cipra.de Web: www.cipra.org/sl CIPRA France C O M I T É S N AT I O N A U X 5, Place Bir Hakeim, F-3800 Grenoble R E P R É S E N TAT I O N R É G I O N A L E Tel.: +33 476 42 87 06 Fax: +33 6 73 04 16 19 CIPRA Österreich E-Mail: france@cipra.org Web: www.cipra.org/fr CIPRA Südtirol / Alto Adige c/o Alpenkonventionsbüro, Salurner Strasse 1, c/o Dachv. für Natur- und Umweltschutz, 4. Stock, 6020 Innsbruck CIPRA Liechtenstein Kornplatz 10, I-39100 Bozen Tel.: +43 1 401 13 36 Fax: +43 1 401 13 50 c/o LGU, Dorfgasse 46, LI-9491 Ruggell Tel.: +39 0471 97 37 00 Fax: +39 0471 97 67 55 E-Mail: oesterreich@cipra.org Web: www.cipra.org/at Tel.: +423-232 52 62 Fax: +423 237 40 31 E-Mail: info@umwelt.bz.it Web: www.umwelt.bz.it E-Mail: liechtenstein@cipra.org Web: www.cipra.org/li CIPRA Schweiz Membre associé Postfach 22, CH-3800 Interlaken CIPRA Italia Nederlandse Milieu Groep Alpen (NMGA) Tel.: +41 33 822 55 82 Fax: +41 33 822 55 89 c/o Pro Natura, Via Pastrengo 13, I-10128 Torino Keucheniushof 15, NL-5631 NG Eindhoven E-Mail: schweiz@cipra.org Web: www.cipra.ch Tel.: +39 011 54 86 26 Fax: +39 011 503 155 Tel.: +31 40 281 47 84 E-Mail: nmga@bergsport.com E-Mail: italia@cipra.org Web: www.cipra.org/it Web: www.nmga.bergsport.com 3
ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 VISAGES ALPINS La cordialité caribéenne dans les montagnes grisonnes Anderson Scantlebury a une mission : il veut faire sourire les gens. Grâce à lui, au télésiège de Marguns-Plateau Nair au-dessus de Celerina/CH, il y a, hiver comme été, la « garantie-bonne-humeur ». De nos jours, ça dure peut-être un poil plus longtemps pour l’un de sports aquatiques dans son pays. L’accueil chaleureux de ses ou l’autre des hôtes, mais dès la deuxième descente, Anderson hôtes a toujours fait partie de son boulot. A l’époque, tout comme Scantelbury fait apparaître un sourire sur le visage de chaque visi- aujourd’hui. « Qu’importe qui nous sommes et où nous nous trou- teur. Car telle est sa mission : en plus de veiller au bon fonctionne- vons, un peu de bonne humeur fait du bien à tous », dit Anderson ment du télésiège, il souhaite rendre les hôtes heureux. Comment en riant. Le pompon jaune-orangé sur son bonnet vert tilleul bouge ça marche ? En riant lui-même. Ou en surprenant les touristes avec pour marquer son accord. une chansonnette. Voilà treize ans que l’homme de l’île caribéenne D’ailleurs, la « garantie-bonne-humeur » est également offerte pen- de la Barbade sème la joie de vivre dans les montagnes grisonnes. dant les mois d’été à Marguns. Anderson est embauché à l’année Plus précisément, au pied du télésiège de Marguns-Plateau Nair, par la SA Engadin St. Moritz Mountain. Alors, à la place des skieurs, au-dessus de Cerlerina dans le Haut-Engadin en Suisse. A 50 ans, ce sont les randonneurs et VTTistes qui glanent auprès de lui une ce père de deux enfants prend le temps pour chacun, pour les portion de bonne humeur. A propos de VTT : c’est un des loisirs petits, pour les grands, pour les locaux et pour les hôtes étrangers. d’Anderson. Ainsi que le cricket, qu’il pratique en équipe au Lyceum Comme s’il connaissait chacun sur la piste par son prénom. Il ne Aloinum de Zuoz. Fendre le bois, voilà un autre passe-temps qu’il a peut plus faire de ski ; son dos et son genou ne supportent plus. Il découvert en Suisse. C’est pourquoi il affectionne particulièrement raconte, et le Piz Corvatsch se reflète dans ses lunettes de soleil. les hivers rigoureux. Photo : Franco Brunner Anderson est arrivé il y a 22 ans en Suisse. Par amour, comme il dit. Par amour pour son épouse et par amour pour les montagnes. « La plage me manque de temps en temps, bien sûr. Mais à part Franco Brunner cela, je me sens très bien ici » dit cet homme, qui était moniteur Journaliste indépendant, Domat/Ems/CH 4
D E S T I N AT I O N A L P E S ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 « Terrain de jeux de l’Europe » ou balle de pingpong de l’économie ? Le succès du tourisme alpin est à la fois son dilemme : Comment préserver les merveilles naturelles tout en les rendant accessibles pour que les touristes puissent les admirer ? Décor alpin avec palmier, pour une mise en scène touristique. 5
ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 Le paradoxe du tourisme alpin : les sites touristiques alpins doivent être sauvages, tout en étant accessibles en voiture individuelle. « The Alps – the Playground of Europe », c’est ainsi que les bour- des lits touristiques se concentre sur cinq pourcent des communes, geois voyageant au 19 ème siècle nommaient cette destination prisée. et 37 % d’entre elles n’ont aucune offre d’hébergement touristique. Ils faisaient ainsi référence à la monographie d’un alpiniste Anglais Aujourd’hui encore, les Alpes constituent une région exceptionnelle Leslie Stephen. Plus de cent ans après, cette chaîne de montagne du point de vue paysager, avec un patrimoine naturel et culturel au cœur de l’Europe est passée d’un des berceaux du voyage mo- immense. Toutefois, au cours des décennies passées, certaines derne à une destination touristique classique. parties des Alpes sont devenues des exemples de développement Après la Deuxième Guerre Mondiale, les Alpes sont devenues une non-pérenne en raison de leur surexploitation touristique. Plus de destination pour tout un chacun. Les progrès techniques, médicaux sept millions de lits, au moins 10 000 remontées mécaniques, des et sociaux ont contribué à un changement global de la société et milliers de routes d’accès et des infrastructures massives telles que des conditions de vie. La croissance économique en Europe, l’aug- les aménagements pour l’enneigement artificiel ou les terrains de mentation des revenus, y compris pour la classe ouvrière, l’intro- golf en sont l’illustration. Et malgré une demande stagnante dans le duction légale des congés payés, la mobilité individuelle croissante tourisme hivernal classique, tourné vers le ski, les domaines skiables grâce aux véhicules bon marché et aux bonnes infrastructures de et la capacité d’hébergement continuent de croître. transport – tout cela a facilité l’accès aux Alpes, jusqu’alors diffi- Le tourisme alpin est aujourd’hui dans une situation paradoxale. Les ciles à approcher, attirant les regards touristiques sur cette région. Alpes sont d’une part perçues comme un écrin de nature préservée, Certaines petites villes des vallées périphériques des Alpes se sont tout en se devant d’offrir des infrastructures luxueuses, attendues placées sur le marché touristique, de nombreuses entreprises agri- par les touristes. Ce grand écart entre préservation et développe- coles ont proposé des hébergements et de la restauration, afin ment influence le positionnement des Alpes sur le marché touristique d’améliorer leurs revenus autrefois faibles et de sortir de la pau- international. Les territoires alpins sont tiraillés entre la nécessité de vreté. De nombreux lieux de cure thermale ont émergé, car les cures préserver leurs atouts particuliers –dont la nature et les paysages et autres traitements étaient remboursés par l’Etat. Aujourd’hui, à – pour attirer les touristes, et la tentation d’intensifier le développe- l’échelle mondiale, environ un touriste sur dix dort dans les Alpes. ment pour rester dans la course et maintenir les standards écono- miques et sociaux exigés. On observe ici peu d’innovation. PRÉSERVER OU DÉVELOPPER ? Concernant le changement climatique et le tourisme (hivernal), tout Néanmoins, le quatrième Rapport sur l’Etat des Alpes de la Conven- a déjà été écrit et dit. Le réchauffement global dans les Alpes est tion alpine (2013), source de l’histoire touristique esquissée ci- une réalité, même si la situation peut être relativisée ici ou là ; il dessus, indique que les régions alpines ne profitent pas toutes du est également un fait que les domaines skiables d’altitude sont tourisme de la même façon. Outre de grandes différences entre moins touchés et peuvent être gagnants, grâce aux touristes qui se les Alpes de l’ouest et de l’est il y a d’importants écarts à l’échelle réorientent. De nombreuses autres régions, à plus basse altitude, locale. Dans l’ensemble, seules 10% des communes alpines ont des seraient bien avisées de chercher bientôt de nouvelles voies, en recettes qui dépendent directement du tourisme. Presque la moitié dehors du tourisme alpin traditionnel lié au ski. 6
D E S T I N AT I O N A L P E S ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 Compte tenu de la croissance démographique et de l’évolution globale du tourisme, la mobilité liée au tourisme et aux loisirs continuera cer- tainement à croître dans les Alpes. 75 % des émissions de CO2 liées LA CIPRA AGIT À PLUSIEURS NIVEAUX au tourisme sont générées par le trafic. Et 84 % des voyages touris- tiques dans les Alpes sont effectués en voiture individuelle. La situa- Les communes touristiques dans les Alpes font face à des tion est bien sûr contrastée dans les différents pays alpins. En Suisse, décisions difficiles : poursuivre des pistes sur-fréquentées, par exemple, les touristes profitent – comme les locaux – d’un réseau initier une transition en douceur ou faire demi-tour ? La de transports publics très étendu. Mais de façon générale, l’offre de présentation en ligne sur alpmonitor.cipra.org esquisse un transports publics tend plutôt à diminuer dans les Alpes, en particulier processus de prise de décision basé sur une région fictive dans les zones rurales, comme l’indique la CIPRA dans sa prise de et révélant les obstacles et les solutions possibles. Cette position de 2017 sur le tourisme hivernal (voir encadré). D’ici 2030, présentation est complétée par le dossier en ligne « Tou- diverses sources prévoient une augmentation du trafic de loisirs de risme hivernal dans les Alpes », qui offre des informations 30 %. En 2065, le tourisme mondial génèrera la totalité des émissions de fonds et des liens pour aller plus loin. carboniques que nous pourrons émettre, si nous souhaitons respec- Dans le débat actuel sur l’avenir du tourisme alpin, la CIPRA ter l’objectif des deux degrés maximum de réchauffement climatique. demande, dans sa prise de position « Solstice pour le tou- risme hivernal », une stratégie soutenable qui respecte la LA REDÉCOUVERTE finitude des ressources et soutienne des approches inno- Les forces vives de l’accélération du développement se trouvent vantes. Ce qui compte, c’est d’impliquer les personnes essentiellement dans l’industrie touristique, dont les entreprises sont concernées. Lors du séminaire I-LivAlps de Lecco/I, dans soumises à un effet de concentration accru. Il ne semble plus y avoir le cadre de la Conférence sur le tourisme de Sonthofen/D de politique de régulation en matière de tourisme et d’aménagement ou encore à l’occasion d’un forum à Bern/CH, la CIPRA a du territoire. Au contraire, dans les années 1980 et 1990, divers proposé à de jeunes adultes, à des experts et à des re- moratoires sur les remontées mécaniques ou le Plan alpin bavarois présentants du secteur touristique, une plateforme pour mettaient un frein au développement sans limites des infrastructures. échanger sur les opportunités et les défis en matière de tou- Aujourd’hui, les voix critiques issues de la société civile sont bien trop risme. Montrant l’exemple, de jeunes adultes ont participé souvent considérées comme des rabat-joies, bien au chaud dans au « Youth Alpine Express » : ils ont voyagé dans les Alpes leurs bureaux urbains, alors qu’il faudrait encourager toutes les per- avec des modes de déplacement doux, pointant la mobilité sonnes concernées à chercher ensemble des solutions. comme un aspect clef du tourisme alpin. La marche reste Démarches et projets innovants existent depuis longtemps dans les le mode de déplacement le plus respectueux de l’environ- Alpes. Ils tentent d’opposer aux tendances dominantes des alterna- nement : c’est ainsi que la Via Alpina, chemin de grande tives durables. Ce sont souvent des pionniers, des résistants, des randonnée coordonné par la CIPRA, ouvre une porte vers esprits libres ou des soit disant empêcheurs de tourner en rond, un tourisme soutenable dans les Alpes, tout comme la ran- qui réalisent ce qui paraissait impossible, à force d’opiniâtreté et donnée transalpine whatsalp. d’audace. Ces projets exemplaires sont en partie irrigués par des financements européens, grâce aux fonds structurels et agricoles. www.cipra.org/tourisme-hivernal Il est cependant grand temps de passer d’expériences pilotes et de bons exemples à la mise en œuvre généralisée d’un tourisme alpin durable. Avec l’estimation généralement admise d’environ 100 mil- lions de visiteurs par an et des recettes touristiques annuelles aux Transition, demi-tour ou recettes alentours des 50 milliards d’euros, et selon le modèle du cycle de de toujours : alpMonitor vie des destinations touristiques de Butler, les Alpes ont atteint une propose différentes façons de phase de saturation et de stagnation. prendre des décisions. Le tourisme alpin doit donc bientôt se réinventer – en s’inspirant des ressources culturelles et naturelles endogènes et des principes de durabilité. Sinon, il devra accepter une phase de décroissance, comme on peut déjà le constater dans certaines destinations esti- vales et hivernales. Une nouvelle forme de tourisme de santé, inno- vante et intégrée, dépassant le thermalisme traditionnel, pourrait être un élément clef, permettant de générer une valeur ajoutée ré- gionale pendant toute l’année. Par ailleurs, cette forme de tourisme repose à long terme sur des paysages et un environnement sains et Illustration : Johannes Gautier respectueux de la nature. Pour assurer une réelle approche soute- nable, il n’y a « plus qu’ » à mettre en place des conditions de travail respectueuses dans le secteur du tourisme. Christian Baumgartner, Vice-président CIPRA International (texte), Photos : Hans Peter Jost, www.alpen-blicke.ch (de) 7
ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 Entre deux Les alpins se sont depuis longtemps habitués aux visages étrangers. Mais il devient parfois difficile de faire la différence entre les locaux et les visiteurs. De nouvelles alliances sont de mise, pour assurer les services publics et le lien social. L’histoire contemporaine des Alpes est étroitement associée à l’his- ci, par-là. Il y a aussi ces nouveaux habitants saisonniers, parfois toire du tourisme toute entière. Le Grand Tour, déjà, avait mené les âgés, qui partagent leur année entre plusieurs lieux de résidence. aristocrates anglais du XVIIIème siècle, curieux de paysages et de mo- La diversité des touristes et des excursionnistes est devenue telle numents, à fréquenter les Alpes assidument, lors de leurs voyages qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’en dessiner un profil type, ni à travers l’Europe. Ces montagnes sont ensuite devenues peu à à l’aide d’indicateurs socio-économiques, ni en termes de motiva- peu une des destinations phares de la curiosité touristique. Elles le tions et d’implication. sont encore aujourd’hui. De ce fait, les populations alpines ont eu le temps de s’habituer à la présence d’étrangers, de curieux de leur PETIT-LONDRES DES ALPES environnement et de leurs paysages, de visiteurs porteurs de valeurs A cette diversification des touristes s’ajoute celle des résidents eux- et adeptes de pratiques souvent bien différentes des leurs. mêmes. Certes les populations alpines ont toujours été variées, Mais deux siècles plus tard, qu’en est-il de ce différentiel entre tou- touchées à des degrés très divers par la présence des touristes ristes et populations alpines ? Qu’en est-il aussi des rapports qu’entre- et l’accès aux ressources associées. Mais on perçoit bien qu’une tiennent ces populations entre elles ? La question est difficile, tant le proportion croissante des habitants des Alpes est devenue dépen- phénomène touristique et ses implications sociales se sont diversifiés. dante de l’image ou de l’économie touristique alpine. Dans beau- D’abord, la multiplication des façons d’être touriste dans les Alpes coup de vallées, l’activité dépasse de loin toutes les autres en interdit depuis longtemps de cultiver une vision uniforme et sim- importance ; dans de nombreuses régions, quantité de nouveaux pliste de cette activité. Bien différente des premiers voyageurs, la habitants sont venus s’installer dans les communes alpines tout en catégorie des touristes rassemble aujourd’hui des profils très variés continuant de travailler dans une des principales agglomérations – randonneurs fidèles et grimpeurs occasionnels, skieurs acharnés situées au pied des Alpes – Munich, Vienne, Milan, Turin, Genève- ou dilettantes, amateurs de villégiature et visiteurs d’un jour venus Lausanne – voire plus loin encore. Citons par exemple ces cen- de l’autre bout du monde - qui ont souvent des rapports aux Alpes taines d’Anglais venus résider à Verbier en Suisse et à Chamonix bien différents. A ceux-là, il faut ajouter, les habitants des villes en France, et qui, par télétravail ou par migration hebdomadaire, environnantes qui ne viennent en montagne qu’une journée par- continuent d’être un peu ou beaucoup « Londoniens ». Ces nou- 8
D E S T I N AT I O N A L P E S ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 La vie est belle : dans une ville comme Annecy/F, les frontières entre habitants et hôtes s’estompent. UNE « DESTINATION » QUI SE VEUT « LIEU DE VIE » Le Tyrol du Sud s’interroge sur l’influence interne d’un processus d’élaboration de marque. Dans le passé, la marque s’adressait avant tout aux touristes et aux agri- culteurs. Dans la démarche en cours pour repositionner veaux habitants ne sont certes pas des touristes au sens classique la marque, l’objectif principal est de présenter le Tyrol du du terme ; mais ils ont choisi d’habiter les Alpes pour tirer profit de Sud comme le lieu de vie le plus désirable d’Europe. Les son environnement touristique. responsables de la marque « Tyrol du Sud » souhaitent qu’une « symbiose contrastée entre alpin et méditerra- Le traditionnel clivage entre « touristes » et « locaux », souvent mis néen, spontanéité et fiabilité, nature et culture » soit vécue en scène dans le débat public, ne fonctionne plus. Le défi social et et proposée aux visiteurs. Ils sont convaincus que l’offre culturel auquel sont confrontées les populations alpines aujourd’hui faite aux visiteurs et clients n’est crédible que si elle est en est désormais le suivant : peuvent-elles résister à l’affaiblissement accord avec ce que vivent et aiment les habitants. Tho- des structures sociales traditionnelles et à l’individualisation ex- mas Aichner, directeur de la communication de « Innova- trême des pratiques et des valeurs ? Le tourisme peut-il y contri- tion, Development and Marketing Südtirol », confirme que buer –ou non ? Ces populations –de locaux, de nouveaux rési- « l’élaboration de la stratégie a certainement contribué à dents ou de visiteurs de passage- peuvent-elles procéder à des la cohésion sociale au Tyrol du Sud ». recompositions spectaculaires, des alliances d’un nouveau genre, Andreas Riedl, directeur de CIPRA Tyrol du Sud, salue les notamment autour d’objectifs de protection du paysage, de vie efforts réalisés pour passer d’une valorisation purement associative et de défense des services publics ? On observe tous touristique de la destination, à une approche plus globale les cas de figure aujourd’hui dans les Alpes. Mais le devenir des du lieu de vie. « Toutefois » dit-il, « les ambitions et la réa- sociétés locales dans les Alpes dépendra largement de la capacité lité sont parfois encore très contradictoires dans ce terri- des uns et des autres à réinventer et à cultiver du lien social entre toire le plus prisé dʼEurope, tel que l’illustre par exemple tous les résidents, touristes ou non, mobiles ou sédentaires, et à l’utilisation massive de pesticides dans la culture intensive Photo : Antoine Berger développer un souci commun de ce qui les environne. de fruits ou les effets secondaires négatifs de la pression touristique accrue dans cette région. » Bernard Debarbieux, Université de Genève/CH 9
ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 Marché saturé : il faut trouver des alternatives à la croissance générée par la bétonisation. L’innovation sociale plutôt que la croissance Le moteur de croissance « tourisme et BTP » toussote. Il faut de nouvelles pratiques sociales, des changements institutionnels et des démarches participatives pour les remplacer. Les territoires alpins sont soumis à une pression constante de déve- nomique et financière –marquée par le Franc suisse fort- ou encore loppement. Certains moteurs de ce développement agissent sur de des changements législatifs, tels que la loi sur les résidences secon- longues périodes, tels que les transformations démographiques, la daires. La situation est particulièrement critique lorsque les différentes globalisation et l’augmentation de l’utilisation des ressources. Par causes citées ont un effet rapide et cumulé, touchant en même temps conséquent l’adaptation, la nécessaire concurrence, la transforma- les principales industries des Alpes, souvent centralisées, le tourisme, Photo : CIPRA tion et la diversification se font sous haute pression. D’autres phé- structuré de façon plus diffuse, ou encore le secteur du BTP. nomènes arrivent de façon brusque et effraient. En Suisse ce fut, Une telle situation est la cause des problèmes économiques de par exemple, l’abandon des clients allemands du fait de la crise éco- nombreuses destinations, qui se traduisent notamment par la 10
D E S T I N AT I O N A L P E S ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 baisse des nuitées dans l’hôtellerie ou la stagnation du moteur de croissance des dernières décennies, « tourisme et BTP ». Des traces de freinages apparaissent notamment du fait de la raréfac- tion de terrains constructibles. En même temps, un changement dans la composition de la clientèle est en cours : il y a moins de clients des marchés de proximité, tels que l’Allemagne. Ceux-ci sont en partie remplacés par une clientèle à moindre valeur ajou- tée, provenant des marchés asiatiques, plus lointains. Enfin, la croissance faible des régions d’où proviennent les touristes et des avant-pays, pèse sur la capacité d’investissement. Les perspec- tives de relance d’une croissance de même ampleur sont mau- vaises, un changement structurel est en cours et exige un nouveau mode de pensée. Plus grand, plus haut, plus loin : la volonté de croissance de certaines entreprises CENTRE DU BOIS, PARTAGE DE PERSONNEL de remontées mécaniques est sans limites. ET PLUS ENCORE Comment concevoir des modèles d’entreprise dans le domaine du tourisme et du BTP, pour un avenir à faible croissance ? Il faut remplacer le développement jusqu’alors quantitatif par un dévelop- QUELLE DESTINATION POUR pement qualitatif. L’innovation sociale est de mise : être créatifs, LE TOURISME DE SKI ? vouloir faire et intégrer les différents besoins et préoccupations. Des démarches partagées autour de l’innovation, s’appuyant sur Il existe des études scientifiques qui montrent quel type de nouvelles pratiques sociales, des changements institutionnels de sociétés de remontées mécaniques est endetté, et des approches participatives, peuvent faire naître de nouvelles quelles sommes sont en jeu et combien de sociétés per- opportunités pour le tourisme et pour le BTP. çoivent des subventions – et quelles conséquences cela Des innovations sociales émergent par exemple en Suisse dans engendre à long terme. CIPRA International avait obtenu le projet « Avenir Hasliberg », initié par la commune : dans cette l’accès à l’étude relative à l’Autriche. A la dernière mi- démarche collective, plus de 100 résidents permanents et secon- nute, l’institut de recherche concerné s’est rétracté ; la daires ont proposé des idées pour redynamiser le développement raison de ce volte-face, selon l’auteur, serait la crainte de local, par exemple avec un centre du bois, une maison multi-géné- conflits et d’une perte de contrats pour l’institut. rationnelle ou des possibilités de présentation pour les petites en- D’autres études publiées permettent certains constats treprises. A Adelboden, on envisage de relancer l’économie locale sur l’évolution du comportement des touristes. Comme en incitant des propriétaires de résidences secondaires vieillies à présenté dans la prise de position de la CIPRA « Solstice les rénover avec une aide financière et technique de la commune pour le tourisme hivernal », le nombre de nuitées recule et en faisant intervenir les petites entreprises locales. Après avoir depuis des années dans les Alpes, y compris dans les été rénovées, ces résidences de vacances devront être proposées grandes destinations de sports d’hiver. Le nombre des sur le marché de l’immobilier pendant une partie de l’année. Une journées-skieurs diminue lui aussi depuis cinq ans dans autre initiative : des entreprises hôtelières grisonnes et tessinoises tous les pays alpins, tout comme la longueur des séjours. se partagent le personnel qualifié, afin de surmonter les pics sai- Les jeunes, en particulier, ne pratiquent plus les sports sonniers décalés. A travers de telles coopérations, la gestion du d’hiver qu’occasionnellement (au mieux). Entre un tiers et personnel s’améliore et les salariés ont la possibilité d’acquérir de un quart des stations sont déficitaires. L’appel au finan- nouvelles compétences, ce qui renforce l’attractivité de l’employeur. cement public des activités de marketing et des infras- Les innovations sociales peuvent redistribuer le chiffre d’affaires tructures s’intensifie, le risque est reporté sur la société. et les bénéfices et permettre de mieux gérer les ressources. Elles La tendance actuelle de création de liaisons entre do- nécessitent une coordination et une communication de grande maines skiables n’est pas une garantie pour attirer des qualité et elles donnent priorité aux qualités matérielle et immaté- touristes supplémentaires, comme l’indiquent diverses rielle. La formation de base et la formation continue jouent un rôle études. L’offre élargie attire peut-être une nouvelle clien- primordial. De telles innovations diminuent par ailleurs la prise de tèle à court terme. Mais dès qu’une autre station agran- risque, nuisent moins aux paysages et montrent aux générations dit son infrastructure, cette clientèle s’en va ailleurs. Le futures qu’un modèle d’entreprise intégré permet de vivre de façon nombre total de skieurs est globalement en baisse – c’est soutenable dans la région alpine, au côté des touristes. donc une compétition intra-alpine pour la répartition des Photo : Pete Coleman, flickr skieurs qui est en jeu. Monika Bandi Tanner, Université de Berne/CH, Institut de recherche sur le tourisme (CRED-T) et Barbara Wülser, CIPRA International Irmi Seidl, Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage Birmensdorf/CH 11
ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 P A N O Amitiés de… Savez-vous ce que recherchent les touristes lorsqu’ils viennent … Tolm dans les montagnes et les villes alpines ? Que font-ils de i n , S lov énie leur temps et à quoi ressemblent les images qu’ils remportent J’a i c h o is i la S lo chez eux ? Découvrez ce qui touche les visiteurs des Alpes, j’ava is la p o s s ib il vé n ie c ar u n p ro g ité, ic i, à travers six cartes de vacances personnelles. ra m m e tr è s va d’avo ir Il y a d e ri é . s v il le s s a n s av e t la n a o ir b e s tu re , trè s lo in o in d’a ll e r . Ce so q u i m’im nt le s p p re s s io ay s a g e s n n e nt le p lu s. enstein , Liecht …Vaduz s dans va c a n c e s o m mes en nous No u s , ce qui d e l’A ll e m ag n e ite r le S u d u e d e v is n e c h a n c e u n iq ro ns off re u oya g e te n s te in . Nous v le L ie c h s vo is ins : s s i d a n s le s pay ie chtenste in au is s e. Le L et la S u l’Autriche des s to n ie u m ilie u J a n o d ’E to u t p e ti t pays a la d é s, Fa m il le e st un mes b a u s n ous som au tre s. N o lm e ic lai, ’u n jo u r b e a u e t trè s c a st –> Séjour d c’e st trè s nto u rs e m o n ta g n e s a le vue sur le s s vieux t n o u s aimons le fantastiq ue e a d u z. rc h it e c tu re d e V ts et l’ a bâtim e n … E ng e l b e rg , S uisse E n g e lb e rg e s to u r d e tu n e d e S u is s e s é ta p e que no s du ave c u n u s ré a li groupe s ons v is ite r la d e voy a m o n ta g g e. N o u n e T it li s s allons c a sc ad e t vo ir e s. L e s le s la nature montag nes enn et la tra eigées, p a r ti c u n q uillité no li è re m e us plais n t. L e M e nt le p a n o o n t T it li ra m a s s e t im p re s o n t p a r ti s io n n a n c u li è re m In r a (3 ts . To u t e e nt 5) et R ic i e t in st si na a ja n i (4 0 ) d ’I c roya b tu re l nde u n li e u le m e n t –> Séjour p o u r le b e a u. C quel on ’e s t d e deux p o u rra it jo u rs m o u rir. 12
R A M A ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 EuroCpeou'sntry! best m e n o , H au t e vallée lie … R o n a , Tr e ntin, Ita de la No ptez u n in it ia ti ve „ Ad o ip e à l’ u m o ins J e pa rtic n s à R omeno a r“. J e v ie e mon p o m m ie o u r m ’o ccuper d par an p m b re, je u n e fo is r. En s e pte ta il le p o m m ie r, le pommes u n e c a is s e d e p e u x ré c o lte r itiati ve je c e à c ette in 2) rb re. G râ c e s. Fa b io (4 d e c et a e s va c a n , It a li e s c h e r pour m s e pt oscane p aye m o in is d é jà v e nu e ic i S a n M in ia to, T je s u de En tro is a n s è re m e nt p la it pa rtic u li qui m e p re té e t e 3 jo u rs fo is. C e p a ix, le s il e n c e, la p ro jo u rs –> Séjour d c’e s t la e mes sé e . J e p rofi te d des C r a ig (3 le pays a g t v is it r e 5) e p ro mener e . p o u r a ll e r m re s s nts a de Gra a u tr e s s ite s inté xe t nd e Bret a g c h âte au ne –> Séjour d e 12 jo u rs e n S lové n ie et u n e m ati n é e à To lm in … Term i P a r c N g n o n au c œ ationa u Fr a n c l de V r du e a no i s e, J’a i c h o is i c e le s p o t te d e is s o ns stin atio d a ns la n pou un hô r te fi d è r iv iè re le de ce . Je su j’a p p r s li e u x is é c ie b . B ie n et l’ac eauco q c u e il, u p l’e n ue je v ie n v iro n n s ic i p emen our pé t c h e r. Didie r (5 0) de Ch am b é r y, Fr a n c e –> Séjo ur d e 4 jo urs , Vor a rlberg S i l v re t t a , … he Autric bes super g r â ce aux de J e s u is ic i du ski p o u r fa ire nemen t io ns nv iro n c o n d it ans u n e ta nnée d S il v ret rando t a g n e ; le beaut é triche h a u t e mo n . J ’a im e la s lzbu r g , Au de r c e la m èt er de Sa u té p o u e 2 000 it (5 8) e st r é p de là d k ie u r Marg e s au- to u t s ay s a g n te n t jo u r s des p n c h a l’Eu ro pe r de 2 d e, q u ie –> S é jo u d’a ltitu g ens de e. D e s du ski e r a n donné i p o u r fa ire d nt ic v ie n n e e ntiè re e. donné de ran 13
ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 E N T R E T I E N AV E C V E R E N A W I N I WA R T E R « Produisons les images nous-mêmes ! » Nous croyons ce que nous voyons. Pourtant l’imagerie des Alpes ne communique pas la réalité. C’est plutôt une construction à partir de caractéristiques typiques, comme le démontre l’historienne de l’environnement Verena Winiwarter. Cela cache souvent des intérêts économiques. Verena Winiwarter étudie le lien entre les cartes postales idylliques et la réalité touristique. 14
D E S T I N AT I O N A L P E S ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 Madame Winiwarter, comment un lieu le tricolore alpin : la gentiane, l’edelweiss tiques typiques : on observe la population devient-il une attraction touristique ? et le rhododendron. Et lorsque les fleurs rurale traditionnelle dans son habitat ; et Si un lieu devient une attraction, c’est sim- manquent, il suffit de les rajouter à l’image. les gens se présentent en tenues tradition- plement parce qu’un certain nombre de per- Ces images finissent par être totalement nelles devant leurs maisons typiques, de- sonnes le perçoivent ainsi, en fonction de déconnectées d’un lieu précis. Les mêmes vant les églises ou devant les montagnes. leur propre expérience. Nous différencions photos de fleurs figurent sur les cartes pos- Cela a un effet même sur les personnes re- les lieux de cette manière et nous façonnons tales, qu’elles soient de Schladming, de présentées sur ces images. Les personnes des sites remarquables en décrétant qu’une Fieberbrunn ou d’Absam. Les attractions de ces lieux construisent une part de leur portion de paysage a davantage de quali- touristiques sont donc à la fois ce qui est identité à partir des images touristiques qui tés qu’une autre. Les « constructeurs » des unique mais aussi idéal. leurs sont proposées. attractions touristiques apparaissent dès le Les journaux régionaux donnent une autre XVIIIème siècle, avec les voyageurs anglais. Comment fait-on connaître ces image alpine : on y représente ce qui est im- Ils se rendaient aux lieux les plus accessibles attractions aux visiteurs ? portant au quotidien pour les gens qui vivent et là où il y avait quelque chose à admirer. Il existe divers catalogues d‘images tou- sur place, c'est-à-dire plutôt la nouvelle ca- Une chose remarquable est toujours unique, ristiques : celui des cartes postales et des serne des pompiers ou les paravalanches. et dépendante de préférences culturelles, prospectus est omniprésent. Les photos qui évoluent avec le temps. En outre, il existe des Alpes sont présentes même sur les for- Comment la perception des Alpes des attractions créées de toutes pièces, par faits de ski, dans le prospectus de chaque influence-t-elle la perception de soi des exemple par les structures de promotion hébergement et sur chaque plan de situa- habitantes et des habitants des Alpes ? touristique. Elles prétendent à l’unicité, pour tion. Tous ces imprimés, ainsi que la publi- Lors de mes recherches sur les cartes pos- vendre leur produit. cité touristique en ligne, suivent le même tales, mon collègue s’est rendu en été dans schéma : la photo qui s’impose influence une auberge à Sankt Aegyd am Neuwalde. Qui définit ce qui est remarquable ? la perception de nombreuses personnes Il demanda à la patronne, qui vendait des Le regard de l’étranger ou bien le et marque ceux qui produisent les images. cartes postales, si elle n’avait pas des cartes regard intérieur peut-il en faire autant? Vient un moment où les photographes sont représentant l’été. Elle lui répondit « Chez La vue, en tant que perception sensorielle obligés de photographier les Alpes de la nous, y a qu’l’hiver qu’c’est beau. » Voilà une dominante vient souvent de l’extérieur ; c’est même manière que tous les autres, sinon forme d’aliénation envers sa propre région une forme de perception plutôt réservée au ils ne vendraient plus leurs photos. Dans qui, selon moi, est liée au fait que les gens ne flâneur, au voyageur, au touriste. Les gens le domaine du graphisme, les créateurs considèrent « beau » que les paysages mis qui vivent dans les Alpes se posent d’autres d’images doivent s’adapter aux goûts pré- en valeur économiquement. Si l’on souhaite questions : cette voie est-elle protégée définis et refaire perpétuellement les mêmes un développement durable dans les Alpes, contre les avalanches, cet alpage est-il pro- images standardisés. il est donc également nécessaire d’agir sur ductif, les vaches peuvent-elles se blesser les images. Tant que le secteur touristique facilement, la météo est-elle clémente ? Ils La transmission d’images suit donc aura la main mise, de l’extérieur, sur la défi- honorent le pays du point de vue de ce qui toujours la même logique ? nition du « beau », les gens seront toujours vivent et travaillent avec cet environnement Dans le domaine du tourisme, c’est effec- confrontés à cette perception étrangère. toute l’année. tivement le cas. Il existe bien entendu d’autres images des Alpes, par exemple Qu’est-ce qui a changé au cours Quelles sont les sites remarquables dans les milieux artistiques ou scienti- du temps, du point de vue des sujets typiques des Alpes ? fiques. Cependant, même les chercheurs typiques ? Si je tape „Alpen“ dans un moteur de re- qui travaillent sur les paysages culturels Pas grand chose. Les cartes postales des cherche, les quinze premières photos qui sont influencés par l’imagerie touristique années 1920 mettaient déjà en scène la me sont proposées montrent tout ce qu’il dominante. Même dans la topographie so- vue dominante sur les Alpes, d’en haut. Il y a de typique à voir. Il y a deux façons de ciale, où l’on représente des personnes, les existe encore aujourd’hui des cartes de ce percevoir les choses. On voit d’abord de images sont créées à partir de caractéris- type. Il y a toujours eu des cartes humoris- la neige, les Alpes en hiver ; sur l’une des quinze photos figure un télésiège. Les pho- tos de la conquête par l’homme, telles que les traces de skis et les pas dans la neige « Les attractions touristiques poudreuse, me fascinent particulièrement. Il y a ensuite les photos des Alpes esti- sont à la fois ce qui est unique vales avec des randonneurs, des cyclistes et des fleurs alpines. C’est ce que j’appelle mais aussi ce qui est idéal. » 15
ALPENSCÈNE 10 2 / 2 0 17 E N T R E T I E N AV E C V E R E N A W I N I WA R T E R cors des Alpes. La Suisse a de nombreux cantons avec de nombreuses armoiries, UNE HISTORIENNE DE et il y a des indications sur l’accessibilité, L’ENVIRONNEMENT AU représentant les voies ferrées alpines. Le REGARD PERCUTANT train orne de nombreuses cartes postales. Les Alpes autrichiennes sont remplies de Verena Winiwarter est la « Cher- petites fleurs, peu de vaches, quelques cheuse de l’Année 2013 » en Autriche. moutons, aucun train et parfois une route Originaire de Vienne, elle enseigne à de montagne. En Italie, on fait de larges l’Université Alpen-Adria à Klagen- concessions à l’urbanité des Alpes. Il y a furt ; elle est une des chevilles ou- des lacs et leurs abords, des villes avec vrières de la recherche scientifique des promenades et des palmiers ; à l’arrière sur l’histoire de l’environnement en plan, les montagnes. Des motifs régionaux Autriche. Elle doit sa renommée à se développent et dominent les autres. ses travaux sur les cartes postales des Alpes. Par ailleurs, elle tient A quoi ressemblerait une également à faire connaître l’his- communication sincère ? Verena Winiwarter encourage à créer toire de l’environnement en dehors Dans le système social dans lequel ces des images, au lieu de faire des copies. du milieu scientifique. C’est pour- images sont traitées, la sincérité n’est pas quoi elle a notamment développé du exigée. Les cartes postales sont retou- tiques, déconnectées du lieu. Il existe main- matériel pédagogique adressé aux chées, et tout le monde le sait. Si vous tenant des cartes avec une image satellite centres de formation profession- passez quinze jours à Schladming, la mé- et une flèche, à côté de laquelle est inscrit nelle dans les domaines technique, téo ne sera pas tous les jours comme sur « Kitzbühel ». Cette virtualisation de l’image commercial et artistique. les cartes postales. Cela n’étonne pas les est devenue possible, car on n’envoie plus consommateurs. Nous nous en sommes l’image à la maison pour sa documentation ; www.umweltgeschichte. fait une raison. Il faut poser la question au- de toute façon on prend désormais les pho- uni-klu.ac.at (de, en) trement : pouvons-nous utiliser les images tos soi-même. Le changement le plus impor- pour un autre objectif que celui qui consiste tant réside dans la plus grande spécificité des à continuer de développer les infrastruc- catalogues d’images, taillés sur mesure pour tures touristiques et à coloniser les Alpes ? chaque groupe cible. La production d’image d’entrer, y compris pour des raisons péda- Cependant, il est très difficile de modifier est croissante et se diversifie. gogiques. Je constate que même les parcs les préférences esthétiques. J’inciterais Par ailleurs, il existait auparavant une pro- nationaux reprennent et se soumettent au les gens à se faire leur propre image. Je duction autochtone d’images. Les photos catalogue d’images touristiques dominant, proposerais par exemple, dans des sites étaient prises par les gens qui habitaient dans lequel ce à quoi doit ressembler une touristiques, des concours de photos dans dans la région. Un photographe du Bre- belle « portion »des Alpes est déjà défini. lesquels les images des visiteurs seraient genzerwald a par exemple créé des cartes Les films et la télévision mettent aussi la jugées par un jury d’habitants du pays, et postales de sa région. Il les reproduisait et pression. Les parcs nationaux sont mis vice-versa. Cela permettrait de donner de les vendait sur place. Aujourd’hui ce sont au pied du mur et misent sur un tourisme la place aux images des résidents locaux. des maisons d’édition qui créés ce genre d’aventure. Une expérience forte doit être Je me sens responsable du paysage, si ce d’images. Cette évolution induit sans doute sous-jacente, même si au final rien ne se n’est pas quelque chose que je consomme, une abstraction renforcée du lieu. passe. Peut-être rencontrera-t-on un ours. mais plutôt quelque chose que je fabrique. Ou si on n’en rencontre pas, le garde du On enclenche ainsi une démarche d’auto- Certaines destinations tentent de parc doit être en mesure de repérer des réflexion. Les gens se saisissent de la créa- refléter une image plus authentique excréments d’ours en indiquant « un ours tion d’images, en photographiant ce qui des Alpes, telles que les réserves est passé ici ! ». Les espaces protégés est important pour eux. Si nous cherchons de biosphères ou parcs naturels devraient en fait amener les gens à s’émer- des alternatives aux parcs à thèmes de régionaux. Y arrivent-elles ? veiller devant les petits détails. plein air dans le style de Disneyland, nous En fin de compte, la logique économique de avons besoin d’autres images, plus respec- commercialisation d’un parc contraint celui- La communication autour des tueuses. Nous devons nous réapproprier la ci à façonner une offre touristique. S’ils disent paysages alpins est-elle différente production d’images. « ne venez surtout pas ici et laissez la nature d’un pays alpin à l’autre ? en paix », les parcs nationaux ne peuvent pas Il y a des différences notables. Les Alpes Bettina Hug (entretien) et se financer. Ils doivent permettre aux gens suisses sont couvertes de vaches et de Lukas Schiemer (photos), Vienne/A 16
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