Angela Merkel, une protestante au pouvoir - Reforme.net
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Angela Merkel, une protestante au pouvoir Veni, vidi, vici. Elle est revenue là où tout a commencé et à nouveau, elle s’est imposée. C’est à Essen (Ruhr) qu’ Angela Merkel avait conquis le parti démocrate-chrétien (CDU), écartant de sa route un Wolfgang Schäuble empêtré dans « l’affaire de la caisse noire ». C’était il y a seize ans, en avril 2000 plus précisément, et Angela Merkel se hissait, avec une écrasante majorité, à l’avant-dernière marche avant d’accéder au pouvoir en 2005 à la chancellerie. Pour ne plus le lâcher : depuis seize ans, peu de choses ont changé. C’est à Essen que sa 4e candidature à la chancellerie a été entérinée ce mardi à la majorité des délégués, voire à l’unanimité, avec 89,5 % des suffrages exprimés. Le 20 novembre dernier, Angela Merkel annonçait son intention de se représenter à sa propre succession. Souriante, sereine et souveraine, entourée de son état- major, la chancelière s’impose comme une évidence sur la petite estrade du quartier général de la CDU. L’usure du pouvoir ne semble pas l’affecter, pas davantage que les doutes de son électorat. Elle a vu passer Bush et Obama, Sarkozy et Hollande, Cameron et Renzi et ne trébuche pas. Lien inoxydable Mieux : depuis l’annonce de sa candidature, son parti enregistre un regain de popularité et atteint son meilleur score de l’année dans les sondages d’intentions de vote, autour de 37 %. Tout indique qu’elle a de bonnes chances d’envisager une réélection qui lui permettrait de dépasser le record de longévité d’Helmut Kohl, resté 16 ans au pouvoir. L’assentiment à sa candidature déborde largement
les frontières de son camp : 71 % des électeurs verts s’y déclarent favorables selon un sondage publié cette semaine ! Durant ces onze années au pouvoir, la figure de proue des conservateurs allemands a pourtant affronté des tempêtes considérables, comme la crise financière de 2008, la crise de l’euro ou l’accueil chaotique de 890 000 réfugiés en un an. Mais elle reste là, bien en place, comme si un lien inoxydable et invisible la reliait à son peuple. Après de nombreuses biographies, un documentaire diffusé cette semaine tente de percer le mystère (1). Ce portrait décrit l’ascension de la scientifique d’Allemagne de l’Est que la chute du Mur emporte dans le tourbillon de la politique jusqu’à son sommet. Ministres, compagnons de route, journalistes décrivent le « style Merkel », comme cet éditorialiste de la Süddeutsche Zeitung qui résume d’une formule : « Le charisme de cette femme, c’est qu’elle n’en a aucun ! » Son côté passe-partout et son impassibilité permettent à la jeune ministre des Femmes et de la Jeunesse de se frayer un chemin silencieux au sein de la CDU. Une gageure pour cette jeune femme protestante de l’Est dans un milieu machiste d’hommes catholiques de l’Ouest dont le chef incontesté s’appelle Helmut Kohl. Il la surnomme la jeune fille (« Das Mädchen »), mais à l’occasion d’un scandale de corruption, elle prendra sa place. Son tort est de l’avoir sous- estimée. Le documentaire, rythmé par des citations de Machiavel, décrypte sa capacité à écarter ses rivaux sans les humilier, à rester au centre du jeu politique mais sans jamais mettre son ego dans la balance. Il insiste sur son aptitude, pour conserver le pouvoir, à prendre des mesures radicales comme l’arrêt du nucléaire ou encore l’accueil des réfugiés. Le journaliste Torsten Körner explique : « Cette dernière décision s’appuie sur des valeurs chrétiennes dont elle est imprégnée, mais c’est aussi lié à la défense de l’Europe comme zone économique, avec le spectre de la disparition de l’espace Schengen en cas de fermeture de la frontière. » Elle a surestimé la participation au plan d’autres pays européens qui avaient d’autres expériences avec l’immigration, il y a clairement là une erreur d’analyse de sa part, mais je crois qu’elle a d’abord agi dans un esprit européen. » Les valeurs chrétiennes ? C’est une clef décisive pour analyser son action politique et comprendre une bonne partie de son succès. Beaucoup savent qu’Angela Merkel est la fille d’un pasteur venu s’installer dans une ville au nord de Berlin quelques mois avant sa naissance en 1954. En mission dans l’ex-RDA, Horst Kasner dirige alors un institut de formation pour les pasteurs qui accueille également de jeunes
handicapés à Templin (Brandebourg). Une éducation dans la foi en terre communiste qui façonne son caractère et sa vision du monde.Son premier mentor en politique, Lothar de Maizière, qui dirigea le dernier gouvernement de RDA, en témoigne : « Selon moi, elle est vraiment un produit typique d’une éducation protestante d’Allemagne de l’Est ! Ce qui veut dire que les règles étaient très claires à la maison : tu as le droit de faire cela mais pas cela. La vie bouleverse les circonstances mais il y a toujours des limites nettes qu’on ne doit pas franchir… » Le rejet du bling-bling Ses collaborateurs comme ses homologues lors des sommets européens reconnaissent sa puissance de travail. Dès ses premiers pas en politique, la physicienne reconvertie en politique épate par son ardeur à enchaîner seize ou dix-sept heures par jour, six jours par semaine. Le week-end, son temps de détente de chancelière se résume souvent à une ou deux heures qu’elle passe en cuisine à préparer son plat favori, la soupe de pommes de terre. Le documentariste Torsten Körner confirme son ardeur à l’ouvrage : « Il y a chez elle cette volonté de s’accomplir par le travail. Pour elle, la vie doit servir à donner le meilleur de soi-même. La performance compte. Il y a cette phrase dans le documentaire : “Celui qui travaille avec application se protège.” Il peut se présenter sans orgueil mais sans honte face à ses parents, à l’école devant ses professeurs et même devant l’État et au final devant Dieu ! C’est très clair, chez Angela Merkel, la conscience du devoir et l’exercice du pouvoir sont profondément imbriqués et je crois que cela lui vient du protestantisme. » Cette débauche d’énergie l’aide à connaître ses dossiers jusque dans leurs moindres détails et les Allemands se flattent d’avoir une leader, dont on peut certes discuter des orientations politiques, mais qui reste incontestablement compétente aux commandes. En parallèle, la chancelière incarne aussi le rejet du superflu, du bling-bling et de la vanité de paraître. Elle et son mari cultivent une modestie qui a l’heur de complaire à l’électeur moyen. Son époux, Joachim Sauer, professeur de physique reconnu, se rend en transport en commun dans son université du sud de Berlin.
Avec leur voiture, une vieille Volkswagen, ils aiment aller anonymement dans leur modeste maison de vacances du Brandebourg. L’été, le couple part invariablement faire de la randonnée dans les montagnes autrichiennes du Tyrol. Bref, elle se soucie peu de son apparence, de son train de vie, et son nom n’est associé à aucun scandale. Une autre clef pour comprendre sa longévité au pouvoir est la cote de popularité (55 % d’opinions favorables) dont elle bénéficie encore après onze années à la chancellerie. Les valeurs chrétiennes dont elle se réclame la guident dans son action et sa parole. Samedi dernier, la chancelière est allée à la rencontre des électeurs CDU dans la ville d’Iéna. L’idée est d’aller au-devant des gens en cette période de précampagne, de prendre le pouls du pays. Sur ces terres de l’Est où le parti populiste AfD (Alternative für Deutschland, Alternative pour l’Allemagne) rassemble un quart des électeurs sous sa bannière, Angela Merkel ne transige pas avec les principes. Poignées de main Interrogée sur une limite annuelle maximale de réfugiés accueillis en Allemagne, elle explique que l’incertitude de la situation en Irak et en Syrie rend impossible toute limitation forfaitaire. Avant de renvoyer « aux images d’Alep, où 250 000 personnes vivent sous les bombes sans hôpital et sans médicaments ». Un militant en colère lui objecte que ses poignées de main aux réfugiés ne sont bonnes que pour sa communication, un autre l’accuse de verser dans le culte de la personnalité comme au temps du parti unique en Allemagne de l’Est. D’une voix calme, elle explique inlassablement ses décisions à ses contradicteurs. À la fin de la réunion, les critiques ont quitté la salle mais elle répond à la demande de trois réfugiés érythréens qui souhaitent lui serrer la main, sous les applaudissements du public. Sans brusquer, elle ne varie pas. À l’orée d’une campagne qu’elle présente comme la plus difficile, alors qu’un parti d’extrême droite menace de faire son entrée au Parlement, une première depuis la guerre, Angela Merkel veut convaincre qu’elle peut être le meilleur rempart contre le populisme.
(1). Merkel, dame de fer et mère bienveillante, diffusé sur Arte + 7. Autriche : la victoire d’Alexander Van der Bellen Porté par un sursaut européen, le candidat écologiste est parvenu à défaire l’extrême droite plus nettement qu’au mois de mai : il a recueilli 53,8 % des suffrages, contre 50,3 % lors du premier second tour. « Cela ne nous a pas aidés, mais au contraire gênés. » Un membre du FPÖ (parti d’extrême droite) a commenté avec ces mots la déclaration de Nigel Farage, l’ancien chef de file des partisans du Brexit, à propos de l’élection présidentielle. Le Britannique avait assuré vendredi que la victoire certaine de Norbert Hofer conduirait à un référendum sur l’appartenance de l’Autriche à l’Union européenne. Le candidat du FPÖ a eu beau prendre publiquement ses distances avec une telle intervention, les mots de Nigel Farage ont sans doute résonné auprès des électeurs autrichiens, qui se sont déplacés plus nombreux qu’en mai pour élire dimanche, lors d’un troisième tour, leur nouveau président de la République. La participation est passé de 72,6 à 74,1 %, et a très majoritairement joué en faveur d’Alexander Van der Bellen : sur les 2 100 communes que compte le pays, son score de mai s’est amélioré dans 2 053 d’entre elles, y compris à Pinkafeld, la commune de Norbert Hofer, près de la frontière hongroise. D’après un sondage, plus de 65 % des électeurs ayant choisi le candidat écologiste ont jugé qu’il était le plus à même de représenter l’Autriche à l’étranger, et que ses positions proeuropéennes étaient un atout pour la présidence. « Le peuple autrichien a fait le choix de l’Europe et de l’ouverture », a déclaré François Hollande à l’annonce des résultats. La victoire d’Alexander Van der Bellen s’est rapidement et nettement dessinée dès dimanche soir, sans attendre cette fois le dépouillement des votes par correspondance, qui ont duré jusqu’à mardi. Myriam Détruy, correspondance d’Autriche
Le renoncement de François Hollande, vu par des théologiens Cette situation pose un certain nombre de problèmes politiques, mais elle suscite aussi de multiples réflexions sur la symbolique d’un geste surprenant. L’émotion que traduisait parfois le visage du chef de l’État semble avoir saisi les commentateurs et experts, lesquels n’ont pu que s’incliner, comme si quelque drame national s’était produit. « L’inversion des rapports de force est frappante, analyse François Euvé, jésuite, théologien et rédacteur en chef de la revue Études. Les journalistes ont été prudents, respectueux. On a pu songer à la renonciation de Benoît XVI, en 2013. Mais en choisissant de ne pas se représenter, François Hollande a souligné qu’il occupe une charge, qu’il n’est pas ontologiquement président. » Influence protestante Pour le pasteur James Woody, cet événement révèle beaucoup de l’évolution des esprits : « Nous prenons conscience que le chef de l’exécutif exerce des responsabilités, mais qu’il n’habite pas un statut. Cette lucidité quant à la finitude de toutes choses entre en confrontation avec le caractère illimité que l’on attribuait, jadis, à la fonction présidentielle, un décalque de la royauté, qui jamais ne disparaissait. Cette modération, nouvelle dans notre histoire, signe peut-être l’influence de la pensée politique protestante sur notre manière de concevoir le pouvoir. » Il n’est pas sûr pourtant que nos concitoyens se réjouissent de ce changement.
Beaucoup regrettent en effet que la représentation de la fonction présidentielle soit, selon les canons de notre imaginaire politique, altérée. Depuis « l’affaire Leonarda » jusqu’à la publication du livre Un président ne devrait pas dire ça, le chef de l’État s’est trouvé mis en cause pour un défaut d’autorité. «La symbolique du pouvoir exige une distance, estime encore François Euvé. La concentration des pouvoirs, du fait notamment du quinquennat, provoque une implication constante du président, donc sa perte d’autorité. L’ Église a connu cela du temps de Pie XII, dont les interventions permanentes avaient fini par nuire à son prestige. » La pratique du pouvoir telle que la concevait François Hollande n’aidait pas à la clarification. « Sa parole n’était pas entendue ou elle était devenue inaudible pour la majorité des Français qui ne comprenaient pas s’il avait réellement un projet pour notre pays, remarque le pasteur Olivier Brès. Au-delà des accommodements nécessaires avec la réalité, une parole était attendue qui ne vint pas. Quand la parole ne peut plus agir, il ne reste que l’acte qui parle. » La décision du président Hollande résulte sans doute d’une alchimie complexe. On a certes raison de dire qu’il a subi la pression de ses ministres – et du premier d’entre eux. Mais le chef de l’État n’est quand même pas un novice et ne se serait pas laissé impressionner de la sorte s’il avait vraiment voulu briguer un nouveau mandat. « Il y a une dimension éthique dans son renoncement, souligne le linguiste Pierre Encrevé. Le sens du devoir, de ses responsabilités envers le pays l’a emporté sur le désir de se battre pour défendre son quinquennat et tenter de retrouver son électorat. François Hollande a décidé d’être présent au temple de l’Étoile pour les obsèques de Rocard quand il a appris que Michel concevait ce culte d’adieu comme un message au monde politique. Hollande m’a dit qu’il voulait écouter ce message. Or, ce message posthume appelait à retrouver l’exigence éthique en politique, aujourd’hui tellement abandonnée. Je pense que le président de la République l’a entendu. » Et ce proche ami de l’ancien Premier ministre de rappeler combien la plupart des acteurs politiques s’accrochent en toutes circonstances au désir fou de l’emporter, même quand la partie leur paraît perdue d’avance : « À deux reprises, le prédécesseur de François Hollande a fait primer sur toute autre considération son désir de pouvoir et son goût du combat. Au contraire, ce renoncement prouve
que François Hollande n’a pas laissé l’appel de l’adrénaline dévorer l’exigence du devoir. Là, il y a quelque chose d’exemplaire qui marquera la suite de la Ve République. » Il est trop tôt pour savoir si cette renonciation fera école ou provoquera des réactions contraires. N’entend-on pas des acteurs politiques, en écho de ce qu’expriment certains de nos concitoyens, demander le rétablissement du septennat ? L’hypothèse pourrait resurgir en réponse à cette fin malheureuse, une option qui permettrait de redonner du prestige à cette présidence cabossée. Triomphe rétrospectif «Le vide creusé par ce renoncement au cœur du dispositif politique français appelle sans doute d’autres réponses qu’une urgence à vouloir le remplir, estime Olivier Brès. Peut-être est-ce un temps de silence qui devrait s’imposer à la classe politique entière, et un temps de méditation aux électeurs. Pour mesurer que la croyance politique en la maîtrise des hommes et des choses est une illusion, que les programmes “prêts à réformer en 100 jours” ne sont que de fausses promesses, que les attentes envers un président tout-puissant sont illusoires. » Alors nos concitoyens pourraient découvrir la vertu qu’il y aurait à élire un président dénué de vanité, modeste. Normal ? Ce serait le triomphe rétrospectif d’un dénommé François Hollande.
Les militants socialistes dans le flou François Hollande qui renonce, Manuel Valls qui s’annonce et les frondeurs qui s’avancent. Le moins que l’on puisse dire est que l’ambiance chez les socialistes n’est pas à la fête. Samedi dernier, l’ancien quartier parisien des Abattoirs avait un air lugubre. Le rassemblement de La Belle Alliance populaire – une expression qui, selon nos informations, a été inventée par Jean-Christophe Cambadélis et ses proches amis – s’y tenait juste après la déclaration de François Hollande et les militants donnaient l’impression d’accompagner quelque enterrement symbolique. Les deux tendances qui traversent le parti depuis quatre ans – celle qui préconise une mutation, celle qui se veut fidèle aux traditions – n’ont jamais paru si près de se séparer. Tandis que s’amorce la primaire de gauche, que signifie « être socialiste » ? Les simples adhérents peuvent-ils espérer maintenir l’unité de leur formation ? Autour de quelles idées ? Confidences de socialistes attristés. Sans boussole Une dizaine de personnes expriment d’emblée leur désarroi. « Honnêtement, je ne sais plus ce que représente l’adjectif “socialiste”, affirme Philippe, un sexagénaire au regard désabusé. En principe, c’est faire preuve d’esprit social, défendre la justice et compagnie… Mais maintenant, franchement, tous ces mots sont si banals. » Christine bredouille quelques généralités sur le sens des valeurs de la gauche et finit, dans un soupir, par admettre qu’elle ne sait pas quoi répondre. Émilie, qui se présente d’abord comme enthousiaste, affirme que la compétence administrative et la défense de l’écologie constituent les deux piliers du socialisme contemporain ; devant notre air étonné, la jeune femme admet qu’en réalité elle ne sait plus vraiment à quoi s’en tenir. Alors que sur le podium Raphaëlle Ndaw, déléguée générale du Parti écologiste, et Rachid Temal, secrétaire national du Parti socialiste, bougent et parlent d’une façon très joyeuse, Patrick nous déclare : « Eh oui, on a choisi des animateurs de supermarché parce qu’à la fin de la journée, on va vendre le PS aux enchères. »
Évidemment, tous les militants ne sont pas aussi déboussolés. Certains conservent de leurs années passées dans les discussions de section quelques bases un brin plus solides. Nombre d’entre eux nous ont dit l’importance d’un comportement quotidien, le socialisme symbolisant pour eux une forme particulière de civisme. « Penser aux plus démunis ne suffit pas, considère Sarah, c’est tous les jours qu’il faut agir, à la place que l’on occupe, afin d’améliorer la vie des autres. » Un point de vue partagé par Jean-Pierre, pour qui l’engagement socialiste implique de servir l’intérêt général et de faire naître des projets collectifs. « Bien entendu, cela n’interdit pas de nourrir des ambitions personnelles, ajoute-t-il. Mais toujours en conservant les visées collectives. » Avec beaucoup de conviction, Jean-Philippe, militant venu de la Réunion, rappelle aussi que les contrats d’avenir ont aidé la jeunesse à entrer sur le marché du travail : « Aujourd’hui, ce qui compte, plus que les programmes, ce sont les mécanismes pratiques ; être socialiste, c’est permettre à chacun de progresser, de voir ses enfants vivre mieux. Nous devons concilier la mondialisation et la protection des personnes. » Parmi les acteurs de premier plan, le scepticisme dominait aussi. Bien sûr, en public, ils faisaient bonne figure. Marisol Touraine et Najat Vallaud-Belkacem, avec beaucoup d’énergie, dressaient la liste des mesures prises pendant cinq ans, tandis que Bruno Le Roux déclarait que sa conviction de voir la gauche l’emporter au mois de mai prochain ne relevait pas de la méthode Coué. Mais en coulisses, un certain nombre d’élus prédisaient qu’aux élections législatives de juin le nombre de députés socialistes ne dépasserait pas trente- cinq, soit moins encore qu’en 1958. « La grande force des socialistes consistait à concilier ce qui paraissait contradictoire, nous a déclaré un ancien ministre. Aujourd’hui, les positions atteignent un tel degré d’antagonisme que je vois mal comment nous pourrions sortir de l’ornière. Il suffirait pourtant de presque rien : l’unité des candidatures autour d’un projet commun cohérent. Mais chacun voit bien que cette ambition-là paraît très difficile à atteindre. Alors… » Au fil des témoignages, on prend conscience des efforts considérables à fournir. Pourtant, les tensions internes ne datent pas d’hier. « Le Parti socialiste a
toujours connu des divergences, les uns considérant que le socialisme devait concilier le réel avec les utopies, les autres pestant contre les lenteurs du changement, rappelle Sylvain Brouard, chargé de recherche au Centre de recherches politiques de Science-po (Cevipof). Il suffit de se souvenir de la contestation marxiste menée par Jean-Pierre Chevènement durant les années soixante-dix, ou des critiques formulées par Henri Emmanuelli contre Lionel Jospin, pour s’en rendre compte. » Au cours du meeting de La Belle Alliance populaire, la plupart des militants ne semblaient pas s’effrayer outre mesure de ces conflits. « Vous croyez que nous ne sommes pas conscients de nos difficultés ?, souriait Christine. Je ne crois pas un instant à l’implosion de notre parti : certains camarades, plus introvertis, ne regardent pas à l’échelle européenne ou mondiale et veulent maintenir coûte que coûte une conception française de notre action ; les plus audacieux voudraient aller le plus loin possible sur la voie du réformisme. Tout cela est vrai. Mais lorsque nous allons entrer en campagne, nous retrouverons le socle de nos idées communes. » Un programme commun Au premier rang de ces idées, la redistribution des richesses, la pérennité d’un État protecteur et cependant l’ouverture aux autres, incarnée par une plus grande intégration européenne. Comme le résumait samedi l’ancienne députée Danielle Hoffman-Rispal : « Être socialiste, c’est à la fois défendre les plus faibles et renforcer la construction européenne. » Il est vrai que la concurrence actuelle d’une partie de la gauche pose au PS un problème électoral majeur : si sa primaire voit triompher le candidat réformiste, les partisans de son rival vaincu pourront se reporter sur Jean-Luc Mélenchon ; si le plus radical devait l’emporter, les modérés trouveraient en Emmanuel Macron le prétendant qui leur convient. « Mais ces calculs ne sont pour l’instant que de vagues hypothèses, tempère Sylvain Brouard. L’adversité portée par François Fillon est très forte et va contraindre les acteurs politiques de la gauche à s’unir. » En affirmant qu’il veut de nouveau privatiser des entreprises, augmenter le temps de travail hebdomadaire sans que cela se traduise nécessairement par une amélioration salariale, en préconisant une réforme de l’assurance maladie, le candidat François Fillon fait renaître un clivage classique entre la gauche et la
droite. Cela peut laisser un espace politique au Parti socialiste. « Objectivement, le retrait de François Hollande représente une chance pour le PS, conclut Sylvain Brouard. Avec lui, la gauche était solidaire de son impopularité. Sans lui, elle peut recouvrer la cohérence que sa manière de gouverner ne permettait pas d’identifier. » Pendant le meeting de La Belle Alliance populaire, on a vu des fauteuils vides et des militants refuser de se lever quand tel ou tel orateur encourageait la salle à saluer François Hollande. Mais la semaine prochaine commencera la primaire. Le roi est mort ? Vive le roi. Les échecs du quinquennat de François Hollande – L’édito d’Antoine Nouis Les commentateurs se réjouissent de l’échec du candidat d’extrême droite à la présidence de la République en Autriche, mais ils oublient de dire qu’il a recueilli les suffrages de 47 % des électeurs. Si ce résultat avait eu lieu il y a vingt ans, ces mêmes commentateurs auraient évoqué le grand danger d’un tel score pour la démocratie. C’est dans ce contexte de décrédibilisation de la politique que nous pouvons analyser le renoncement du président Hollande à se présenter aux primaires de la gauche. Le soir de son élection, en 2012, il avait fait un discours dans lequel il avait pointé les deux grandes priorités de son quinquennat : « Je demande à être jugé sur deux engagements majeurs : la justice et la jeunesse… Au terme de mon mandat, je me poserai ces seules questions : est-ce que j’ai fait avancer la cause de l’égalité et est-ce que j’ai permis à la nouvelle génération de prendre toute sa place au sein de la République ? » Pour ce qui relève de la justice, il faut lire le livre du sociologue Farhad Khosrokhavar sur son enquête sur les prisons en France, qui montre le scandale des conditions d’incarcération dans notre pays. Si nous y ajoutons le manque
cruel de moyen de la magistrature, nous devons constater que notre justice va mal. Or il s’agit d’un des piliers d’une démocratie. Dans le domaine de l’éducation, le classement PISA qui vient d’être publié montre que la France reste à un niveau bas et que notre système scolaire est particulièrement inégalitaire. Le premier service à offrir à la jeunesse est de lui permettre de se forger un avenir. Le président Hollande avait raison, la justice et l’éducation restent deux défis majeurs adressés à notre pays. Nous serons particulièrement attentifs aux propositions des candidats sur ces deux sujets… pour ne pas désespérer de la politique. Jean-Sébastien Bach, universel et protestant Aucun article disponible
Quel avenir pour les chrétiens en Syrie ? Alep meurtrie, Alep détruite, Alep martyre… On ne sait plus dans quels termes, qui ne soient pas déjà galvaudés, parler du calvaire de cette ville et de ses habitants, pris dans des combats qui se déroulent actuellement entre l’Est, tenu par l’opposition et bombardé par le régime, et l’Ouest, où se trouvent notamment les chrétiens soumis aux tirs de l’opposition. Surtout, on ne sait plus de quel côté se ranger. « Nos médias ne rendent compte que des coups du régime, ce qui donne l’impression que c’est le camp des méchants tandis que celui des rebelles serait le camp des bons. Mais il n’y a pas de bons, dans l’histoire ! », lance Thomas Wild, directeur de l’Action chrétienne en Orient (ACO). Parmi ses nombreux contacts, le pasteur Hadi Ghantous lui confiait que « les rebelles modérés n’existent que dans l’imaginaire de Hollande et d’Obama. Il n’y a plus qu’une opposition islamiste ». Soutien chrétien à Bachar En outre, Bachar el-Assad n’a pas perdu tout soutien côté chrétien. Pour Monseigneur Jean-Clément Jeanbart, ce président est « là pour défendre son pays ». La ligne de l’archevêque d’Alep n’a pas varié depuis le début de la guerre. « Les minorités se cachent derrière des pouvoirs forts car elles ont l’impression qu’il les protège, mais cela peut tout à fait se retourner contre elles », nuance Matthieu Rey, chargé de recherche à l’IREMAM-CNRS. Certains chrétiens considèrent que sans Bachar el-Assad ce serait le chaos, mais la survivance d’une minorité opprimée est-elle satisfaisante pour autant ? « Les
élites chrétiennes ne veulent pas voir que sous les Assad, la population chrétienne syrienne a très nettement décliné, ajoute le chercheur. Sa jeunesse est partie, ce qui a conduit à un effritement progressif de la communauté. » On voit donc mal quel avenir le régime actuel pourrait lui assurer. Si le soutien chrétien à Bachar el-Assad est si peu remis en cause, il y a plusieurs raisons. D’une part, il est historique. Le président syrien a toujours bénéficié de l’appui d’une partie de la population, « en particulier les minorités confessionnelles mais également une partie de la population arabe sunnite, qui avaient tout à craindre d’un régime dominé par des islamistes », affirme Fabrice Balanche, maître de conférences en géographie à l’université Lyon 2. Son pouvoir n’était pas aussi précaire que celui d’autres dirigeants : « Si nous revenons sur les débuts de la crise syrienne en 2011-2012, il faut souligner que la plupart des médias occidentaux se sont enthousiasmés au-delà du raisonnable pour le printemps arabe, et qu’ils considéraient la Syrie comme la Tunisie », précise ce spécialiste du Moyen-Orient. D’autre part, le calme relatif qui règne dans la zone sous contrôle gouvernemental joue en faveur du régime. Ceux qui réussissent à s’y réfugier bénéficient de l’aide humanitaire et de services publics. « Les citoyens [y] sont tranquilles », avance Monseigneur Jeanbart. Des propos qui doivent absolument être mis en regard des informations recueillies par Amnesty international sur la mainmise qu’exerce l’État sur ces citoyens en détresse. Mais « dans les zones tenues par la rébellion arabe sunnite – dans celle tenue par Daesh, c’est une autre problématique –, le chaos règne. Tous les témoignages que j’ai pu recueillir à Damas, Homs, Lattaquié et Tartous sont concordants. Les groupes rebelles se comportent d’une façon arbitraire à l’égard de la population. Ils confisquent l’aide humanitaire et la revendent au marché noir. Ils érigent des barrages sur les routes et prélèvent des droits de passage sur les voyageurs. Dans la banlieue de Damas, ils empêchent les civils de partir pour s’en servir comme boucliers humains ou les rançonnent pour les laisser partir. Je ne suis pas allé à Alep mais les témoignages recueillis par des amis journalistes et humanitaires sont éloquents sur cette prise en otage de la population civile par les rebelles », relate Fabrice Balanche.
L’identité confessionnelle On le voit déjà, les chrétiens auraient beaucoup à perdre d’une alternance de pouvoir qui ne pourrait se faire qu’au profit des islamistes. « Il est facile depuis Saint-Germain-des-Prés de prétendre que cela n’est pas vrai, qu’il y a des opposants chrétiens à Bachar el-Assad et que les Frères musulmans ont publiquement annoncé qu’ils respecteraient les minorités non sunnites en Syrie », insiste Fabrice Balanche. Les faits sur le terrain prouvent le contraire. « Sur les 200 000 chrétiens d’Alep, il en reste moins de 50 000 aujourd’hui. Leurs quartiers sont la cible privilégiée des roquettes lancées depuis la zone rebelle par les djihadistes ou les “modérés” soutenus et armés par l’Occident », rappelle-t-il. Et le soutien de la Russie, qui ne fait qu’agir selon « son propre agenda de grande puissance », est davantage de nature à stigmatiser les chrétiens qu’autre chose, selon Matthieu Rey. Pour le chercheur, une partie des chrétiens, qui ont l’impression que l’Europe leur fait défaut, s’arriment à la Russie. Ce qui permet à ce pays de retrouver une envergure internationale à peu de frais, tout en entretenant un alibi humanitaire. Mais finalement, « c’est comme si l’Arabie saoudite prenait la défense des musulmans en France. Cela finirait par jouer contre eux. » La population syrienne agonise, les chrétiens ont peu d’avenir… Ces derniers ont- ils encore un rôle à jouer dans cette partie du monde ? « Voulez-vous préserver cette espèce menacée d’extinction comme on aime garder quelques animaux dans un zoo ? », interroge Hadi Ghantous. Pour Thomas Wild, « les chrétiens n’ont pas de litige avec les alaouites, les sunnites ou les chiites. S’ils ne sont pas trop partisans, ils peuvent contribuer à rétablir le dialogue et à faire émerger une société qui ne soit pas obsédée par l’identité confessionnelle » La marche silencieuse du jeudi soir et le dépôt de bougies devant l’ambassade de Syrie se poursuivent. Initiée par trois personnalités du monde protestant, Nicolas Derobert, qui fut chargé de la communication de la FEP, Sylvain Cuzent, ancien directeur général du Centre d’action sociale protestant, et Muriel Menanteau, directrice de la Maison verte, elle se veut une initiative citoyenne. « Jeudi 8 décembre, ce sera notre 10e rendez-vous, commente Muriel Menanteau. Le 1er
décembre, nous étions quelque 70 participants et Brita Hagi Hasan, le président du conseil local d’Alep-Est, était parmi nous. Sa présence nous a conforté dans la conviction qu’il faut continuer à porter, de cette façon symbolique, la préoccupation du sort de la population civile massacrée. » Elle énumère les revendications des marcheurs : l’arrêt des bombardements, la création de vrais couloirs humanitaires pour l’évacuation des civils, la mise en place de parachutages de nourriture. Elle poursuit : « Brita Hagi Hasan nous a alertés sur l’enrôlement forcé des hommes dans l’armée syrienne, le fait que les femmes et les enfants sont parqués dans des conditions inconnues. » De leur côté, la Mairie de Paris et les quelque 2 000 maires du monde réunis dans l’organisation Cités et Gouvernements locaux unis vont également solliciter une rencontre auprès de l’ONU pour y plaider qu’un « corridor humanitaire puisse être aménagé sans passer par le Conseil de sécurité », a indiqué Anne Hidalgo. Arrêtons de parler d’Asie centrale “post-soviétique” ! Didier Chaudet 21 Mai 2019 Pourquoi continuer à définir l'Asie centrale en référence à son seul passé soviétique ? Il est temps de regarder de l'avant. Allemagne : la fête de la jeunesse à Berlin, une confirmation laïque Déborah Berlioz 15 Mai 2019
À Berlin, des milliers d’adolescents célèbrent chaque année leur fête de la jeunesse, sorte de confirmation laïque. Afghanistan des villes et des champs Didier Chaudet 15 Mai 2019 Accaparés par la guerre en Irak, les Américains ont laissé l'Afghanistan s'enliser, notamment dans les zones rurales. France-Allemagne, un couple au bord de la rupture ? Déborah Berlioz 09 Mai 2019 Les récents désaccords autour du Brexit ont révélé une véritable crise franco- allemande. Le fameux moteur de l’Union européenne semble être tombé en panne.
Autriche, Dakota : rien n’est écrit d’avance Ouf ! Je n’ai pu réprimer un soupir de soulagement en entendant le résultat de l’élection en Autriche : le candidat écologiste Alexander Van der Bellen a gagné l’élection présidentielle avec 53,3 % des votes, face à son adversaire d’extrême droite Norbert Hofer. Soulagée, mais pas rassurée : près de la moitié des votes se sont portés sur le candidat d’extrême droite. Et cette proportion est d’autant plus inquiétante que le taux de participation est vraiment exceptionnel : près de 75 % (1) ! On ne peut que constater, dans les pays occidentaux, la croissance indéniable des scores obtenus lors d’élections par des candidats extrémistes, dont le discours populiste séduit de plus en plus de citoyens. Un discours qui se veut rassembleur, alors qu’en réalité il est fondé sur la division et des mécanismes visant à monter des groupes de personnes les uns contre les autres, en désignant souvent un « ennemi » commun ou un bouc émissaire. Un discours qui se prétend pragmatique alors qu’il est fondé sur des idées simplistes et des programmes non réalistes. Devant une situation présentée comme désespérée, les leaders de ces partis se présentent comme des sauveurs, comme le dernier recours. Ils veulent incarner le dernier espoir pour des électeurs déçus par la gauche et la droite. Dans une situation sociale et économique difficile, leur discours séduit les révoltés, ceux qui ressentent un profond sentiment d’injustice, ceux qui se sentent perpétuellement menacés par la pauvreté, le chômage, l’insécurité, et à qui on présente les responsables de ces maux : les élites, les politiques et les immigrés. Faux prophètes Dans la Bible, de nombreux messagers mettent en garde les croyants contre les faux prophètes et leurs discours séduisants : les loups déguisés en brebis (Mt 7,15), les voleurs qui escaladent le mur de l’enclos et se font passer pour des bergers (Jn 10,1). L’Évangile nous invite à nous méfier du chemin large et facile, pour emprunter plutôt les sentiers étroits de la vérité, de la justice et du droit.
Mais il n’est pas toujours aisé de marcher sur ces sentiers-là… Les disciples en chemin vers Emmaüs confessent au Ressuscité, sans le reconnaître : « Jésus de Nazareth était un prophète puissant, par ses actes et par ses paroles. […] Nous avions l’espoir qu’il était celui qui délivrerait Israël. » (Luc 24, traduction en français courant). Les désespérés attendent toujours un sauveur. Mais les disciples ont fait avant nous l’expérience de la déception. Et l’Évangile nous enseigne bien que notre Sauveur n’est pas un chef de guerre, un roi puissant, un gourou, un magicien, qui fait disparaître les problèmes à grand renfort de miracles spectaculaires. Notre Sauveur est un berger. Qui veut mener son troupeau sur la voie étroite et difficile de la lumière. Si nous nous trouvons nous-mêmes déçus et désemparés, peut-être ne faut-il pas interroger seulement nos responsables et leur politique, mais aussi notre espérance : qu’est-ce que nous attendons des candidats auxquels nous pensons donner notre voix ? Notre attente est-elle réaliste ou bien démesurée ? Je retiens finalement de ce résultat la conviction, rassurante celle-ci, que rien n’est écrit d’avance : ni le résultat de l’élection autrichienne, ni celui des États- Unis, ni celui du combat opposant les Sioux à une multinationale au Dakota, qui voulait faire passer un pipe-line au milieu de terres indiennes, menaçant l’eau potable et des sites sacrés. Finalement, c’est l’écologiste qui est passé. C’est Donald Trump qui a été élu. Et le gouvernement fédéral a décidé d’interdire le tracé initial du pipe-line. Les humains demeurent maîtres de leur destin, qu’ils peuvent écrire lumineux ou obscur. À chacun de choisir son chemin, et son berger. Mais en Autriche et au Dakota, on sait désormais que le pire n’est jamais certain. L’Avent nous invite à garder nos lampes allumées, portés par la conviction que « l’obscurité ne peut pas chasser l’obscurité. Seule la lumière peut le faire » (Martin Luther King). (1). Source : www.lemonde.fr
Photographie : le Cuba de Marc Riboud Son image du peintre acrobate de la tour Eiffel a fait le tour du monde. Pleine de tendresse, de générosité et de gravité, sa passion de missionnaire de l’image est sans limites. « Désobéissons aux mises en garde des chemins de fer de notre enfance qui nous recommandaient de ne pas se pencher au dehors, plaidait Marc Riboud. Au contraire, sortons, marchons dehors, regardons la vie devant nous. Comme le grand air, j’aime l’indépendance et la liberté. » Au détour de ses dernières images publiées, un scoop. Alors que Kennedy est assassiné le 22 novembre 1963 à Dallas, le jeune journaliste Jean Daniel déjeune avec Fidel Castro. L’entretien est interrompu par un coup de téléphone avertissant le Lider Maximo de l’attentat. La veille, Marc Riboud, voyageant aux côtés de son ami journaliste de L’Express,venait de passer la nuit à photographier une interview marathon comme seul Castro pouvait en donner : de 22 h à 4 h du matin ! Il a aussi glané les ambiances de La Havane, son port et ses environs. Sur les murs, l’orientation désormais ouvertement communiste de la révolution cubaine s’affiche clairement. Des portraits de Lénine, Khrouchtchev ou Mao observent les passants, l’amitié russo-cubaine est célébrée. Les miliciennes sont charmantes, se laissent photographier, tout comme les anciennes hôtesses de bar, moins enclines à sourire et soumises à une rééducation idéologique… Temps de la débrouille Disparu en août dernier, Riboud a été un témoin du siècle agité. Dans un petit livre, les éditions La Martinière livrent son vécu « avec Castro à l’heure du crime
» et son regard sur le Cuba de 1963. La fête est finie, les magasins vides, les visages las et le temps de la débrouille s’est installé dans le sillage du blocus américain. Déjà, Riboud photographie les garagistes contraints de dépecer des voitures américaines pour trouver des pièces de rechange. Une pratique appelée à perdurer… À lire Cuba photographies de Marc Riboud texte de Jean Daniel, éd. La Martinière, 96 p., 18 €. Nicolas Roussellier : le passé, le pouvoir et la foi Ses idées circulent au cours de la conversation comme autrefois le ballon sur le terrain de l’Ajax d’Amsterdam : avec vivacité, larges et claires, dessinant de belles espérances. Nicolas Roussellier vient de recevoir le prix Guizot 2016 pour La force de gouverner, livre qui nous enrichit par son invite à penser le pouvoir politique sous un jour philosophique. Il déclare dans un sourire qu’il va faire son coming out : il est protestant. Réforme ne pouvait manquer de rendre hommage à cet homme de science et de foi, juvénile d’allure et penseur par vocation.
« Je suis né au mois de janvier 1963 à Chatou et j’ai vécu jusqu’à mes dix-huit ans à Marly-le-Roi, dit-il en préambule. J’ai grandi en me promenant dans le parc de Marly, en visitant l’emplacement du château, mais je n’ai jamais fait partie de ces jeunes garçons passionnés par les épopées du Moyen Âge ou les récits de la Grande Guerre. Au contraire, je suis venu à l’histoire par l’intermédiaire de la philosophie, de la sociologie. Ma grande passion était la politique. » Heureuse enfance Il faut, pour imaginer la jeunesse de Nicolas, se rappeler que la résidence nommée « Les Grandes Terres » était, au cours des années soixante, le plus vaste ensemble collectif d’Europe, à soi tout seul un quartier de la ville, aussi cosmopolite que démocratique. « Il y avait beaucoup d’enfants dont les parents venaient d’Espagne ou du Portugal, observe Nicolas Roussellier, des familles originaires de multiples régions de France, en un temps où la décentralisation n’avait pas joué son rôle, de sorte que chacun d’entre nous se dotait de références ou d’étendards à brandir et partager. » Face aux Bretons qui ne juraient que par le foot à la nantaise, le petit garçon choisit l’OM, un passeport en direction de ses ancêtres. Du côté de son père, en effet, la famille était marseillaise. « Ils étaient médecins, magistrats, mais n’appartenaient pas à la grande bourgeoisie locale, se souvient Nicolas. Mon grand-père soignait les bourgeois du boulevard Vauban, mais aussi les dockers. » La grand-mère avait des aïeux venus de Bohême en passant par la Suède, qui s’étaient installés dans le Comtat Venaissin ; quand elle s’est mariée, elle s’est convertie du judaïsme au catholicisme, par « convenance sociale », comme on disait alors. Ce couple possédait une propriété dans les Cévennes. « La frontière entre catholiques et protestants passait non loin de leur maison, entre Concoules et Génolhac, précise Nicolas Roussellier. Mon père, un jour, avec quelques copains, s’est aventuré du côté parpaillot, c’est là qu’il a rencontré ma mère. » Mademoiselle Hollard appartenait à une lignée de pasteurs. Elle fut la première fille de la famille à épouser un catholique, mais elle a transmis la culture protestante à ses enfants. « Mon père étant venu travailler dans la région parisienne, nous sommes allés très tôt à l’école du dimanche, au cercle d’études
bibliques, relate l’historien. Mon frère aîné fut pasteur en Suisse pendant quelques années. Cest lui qui, toujours passionné de culture protestante, m’a révélé que nous descendions, de manière indirecte il est vrai, de Guizot. Le pasteur Perret m’a beaucoup marqué sur le plan théologique mais aussi philosophique : jusqu’à l’âge de dix-sept ans, j’ai dévoré grâce à lui les chemins de la pensée. » Nicolas Roussellier se lance, juste après l’obtention du baccalauréat, dans ce qu’il appelle « des études de malade » : hypokhâgne, khâgne, École normale supérieure et, de façon parallèle, en cachette de ses professeurs de Saint-Cloud, Sciences-po. « J’ai dû choisir une voie, note à regret Nicolas. Guidé par les notes que j’avais obtenues, j’ai pris le chemin de l’histoire. » Au milieu des années 80, Serge Berstein est un des maîtres de la rue Saint- Guillaume. Auprès de lui, Nicolas Roussellier perfectionne son apprentissage, l’analyse de la vie politique l’ayant depuis toujours attiré : « Mes parents n’étaient pas politisés. Comme la plupart des jeunes gens de ma génération, j’admirais le courage des dissidents soviétiques, tout en ayant des idées de gauche. Michel Rocard m’intéressait, pour mille raisons que l’on devine, mais je ne me cantonnais pas à un camp, une famille de pensée. » Il est aujourd’hui maître de conférences à Sciences-po. « Doxa laïcarde » Peut-être parce qu’il place l’engagement spirituel au-dessus de toute chose, l’historien se déclare incapable de tout prendre ou de tout accepter de tel ou tel dirigeant politique et n’aime rien tant que d’échanger, de dialoguer, de comprendre. « Je conçois le champ politique de manière éclectique, dit-il. Un lieu où chacun peut parlementer, délibérer avec son prochain. Cette conception, bien sûr, on la retrouve chez les protestants. » Croyant et pratiquant irrégulier, Nicolas Roussellier ne s’est jamais éloigné de l’Église. La rencontre avec le pasteur Serge Oberkampf, au sein de la paroisse de Pentemont-Luxembourg à Paris, a resserré les liens qui le raccordaient à la théologie. Rien ne l’exaspère comme le conformisme de pensée pseudo-laïc dont il perçoit les signes quand il dit aux gens, dans la vie quotidienne, qu’il est protestant :
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