ARABIE SAOUDITE - Mediapart
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ARABIE SAOUDITE Nous devrions faire tout notre possible pour insister sur la notion de « guerre sainte » Eisenhower, 1957 Ce batârd [le roi ibn Séoud d'Arabie Saoudite ] était censé nous défendre contre le communisme et les extrémistes du nationalisme arabe au Moyen-Orient. Harrison Symmes, ambassadeur américain en Jordanie 1967-19701 Daech a adopté l’idéologie sala fiste. Ce n’est pas celle des frères musulmans, du Qutbisme ou Ashari ... Daech a tiré son idéologie de nos livres, de nos principes. Nous suivons la même route mais dans une voie différente Kalbani, ancien imam de la grande mosquée de La Mecque, 20152 Les racines de l'investissement saoudien dans les écoles et les mosquées remontent à la guerre froide quand les alliés saoudiens exigeaient leurs ressources pour empêcher l'Union soviétique de gagner de l'in fluence dans les pays musulmans [...] Nous avons propagé le wahhabisme à la demande de nos alliés. Mohammed ben Salman, Washington Post, 22 mars 2015 Make America great again Alors que le mandat de son prédécesseur Obama avait été marqué par un désengagement de la présence militaire américaine au Moyen-Orient et une volonté d’apaisement entre le monde musulman et les Etats-Unis, le nouveau président Trump semble vouloir renouer avec une politique extérieur forte, plus proche de celle des années Reagan ou Bush. A peine arrivé au pouvoir en janvier 2017, il promulgue un très polémique décret anti immigration, quali fié de “muslimban“, visant à lutter contre les “terroristes islamistes radicaux“. Sept pays se retrouvent dans le viseur de l’administration, accusés de soutenir le terrorisme. Pourtant aucun auteur d’attentat perpétré sur le sol américain n’était réfugié, et fortiori aucun n’était originaire des pays visés par le muslimban. Étonnement (ou pas, comme on le voir), les saoudiens eux, ne sont pas concernés par le décret. Pourtant, la part de responsabilité de l’Arabie Saoudite dans le terrorisme islamiste est régulièrement pointée du doigt, les liens entre les pétrodollars du Royaume et le financement du djihadisme étant plus ou moins avéré. Le pays a fourni le plus gros contingent de moudjahiddin dans la guerre en Afghanistan contre les soviétiques dans les années 1980 (5 000 personnes), des attentats du 11 septembre (15 des 19 pirates de l’air), des prisonniers de Guantanamo (155 sur 611) et des troupes de l’État Islamique (2 500 personnes). Pourtant, ce n’est pas à ce pays que les présidents américains soucieux de lutter contre le terrorisme s’attaquent. Georges Bush Jr après les attentats du 11 septembre avait pointait la responsabilité de divers pays, qu’il désignait sous l’appellation d’Axe du mal : Iran, Irak et Corée du Nord, quant bien même il n’y avait pas d’iraniens, pas d’irakiens et moins encore de nord-coréens parmi les kamikazes. Un article 3du New York Times explique que les pays oubliés par le décret « sont ceux où le président fait des affaires ». Arabie Saoudite, Égypte, Émirats Arabes Unis, dont sont issues beaucoup des troupes de Daech pour les deux premiers, sont des pays où Trump possède et/ou est actionnaire d’entreprises. Ce n’est donc pas un hasard si le nouveau président se rendra en Arabie Saoudite lors de son premier voyage à l’étranger. Le 21 mai à Riyad, face à une cinquantaine de chefs d’état, Trump pointe du doigt la responsabilité de l’Iran, ennemi juré des saoudien, qu’il accuse de financer le terrorisme. Dans un « grand fourre-tout »4 il cite pêle-mêle ce qu'il appelle les « extrémistes » qu'il associé plus ou moins entre eux : Hezzbolah, Iran, Al-Qaïda et Daech. Et ce, au moment même où les iraniens étaient appelés aux urnes pour élire Hassan Rohani, un modéré. 1 Cité dans Tim Weiner, Des cendres en héritage, 2009 2 Cité dans Pierre Conesa, Dr Saoud et Mister Jihad, la diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite, Laffont, Paris, 2016 3 Who Hasn’t Trump Banned? People From Places Where He’s Done Business, New York Times, 29/01/17 4 Malise Ruthven, Les milliards de l'Arabie Saoudite, revue le Débat n°198, 2018
Elections totalement impensable dans le royaume saoudien. Désignant Daech comme ennemi principal, il en oubli pourtant que l’Iran est engagé, militairement et financièrement, en Syrie aux côtés de Bachar al-Assad, donc contre Daech5. Et évidemment pas un mot sur le financement des pétromonarchies à l’islam radical. Il faut dire que ce jour là, le président signera pour quelques 380 milliards de dollars de contrats, dont 110 milliards concernant l’armement. Barack Obama ne s’était pas déplacer après les attentats de Charlie Hebdo. Mais quelques jours après il avait pris l’avion pour se rendre aux funérailles du roi Abdallah. Tous les chefs d’États de François Hollande à Tony Blair saluèrent alors la mémoire de ce grand homme. Christine Lagarde, directrice du FMI, avait même déclaré à propos du roi qu’il « était à sa manière, un grand défenseur des femmes ». Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif s’était rendu quatre fois à Riyad en 2013, et Jean-Yves le Drian trois fois. « C’est un hommage du drogué à son dealer6 » écrit Mediapart. L’Arabie Saoudite ne produit pas d’arme mais en achète beaucoup. Elle est le deuxième plus gros importateur après l’Inde. La France est le cinquième plus gros exportateur d’arme au monde7. Côté pétrole, l’hexagone ne produit que 1% du pétrole qu’il consomme et en importe 20% d’Arabie Saoudite. Pétrole et arme. On comprend donc mieux pourquoi lorsque des journalistes critiquent la politique économique française, forcément complaisante vis-à-vis d’un pays où les femmes n’ont pas le droit de conduire et où les homosexuels risquent la peine de mort, la diplomatie française parlent de “diabolisation“ et de “saoudophobie raciste“8. Quand l’État français dénonce l’islamophobie, c’est pour mieux préserver ses intérêts. Il suf fit de lire un rapport d’Amnesty international sur la torture pour comprendre ce qu’est l’Arabie Saoudite. On y parle de coups de fouets, de bâtons, de suspensions au plafond par les chevilles. Les aveux obtenus sous la torture qui donnent lieu à des exécutions sommaires sont monnaie courant et la peine de mort peut être délivrée pour différents motifs allant de l’adultère, l’apostasie, à la sorcellerie. Sans compter la flagellation, des amputations, des amputations croisées (bras droit et pied gauche par exemple). Un journaliste du Middle East Eye s’est même essayé à comparer l’Arabie Saoudite et L’État Islamique9. Il estime qu’il n’y a quasiment pas de différences. Dans sa tribune L’Arabie Saoudite un Daesh qui a réussit publiée dans le New York Times, l’écrivain algérien Kamel Daoud10 écrit que les nouvelles générations extrémistes du monde arabe ne sont « pas nés djihadistes ». Elles « ont été biberonnées » par « cet espèce de Vatican islamiste ». Et si Daesh est né sur le chaos irakien post-2003, « il a aussi un père : L’Arabie Saoudite et son industrie idéologique ». « Le déni de l’Occident face à ce pays est frappant: on salue cette théocratie comme un allié et on fait mine de ne pas voir qu’elle est le principal mécène idéologique de la culture islamiste » Selon l'ONG Freedom House, financé par les USA, l'Arabie Saoudite occupe au niveau des droits de l'Homme la même place que la Syrie ou la Corée du Nord. La peine de mort y est de rigueur. En 2016, le pays a éxécuté149 personnes, parfois en public. Dont une exécution collective de 47 personnes accusées de « terrorisme », en réalité des chiites et des opposants au régime. Comment l’Arabie est devenue Saoudite L’Arabie Saoudite est le seul pays au monde à porter le nom d’une dynastie, celle des Saoud qui y règnent en maître. Son histoire commence en 1744, de la rencontre entre le chef de tribu Mohammed Bin Saoud et le prédicateur islamiste Mohammed Bin Abdelwahab. Cet Iman inspiré par une lecture littérale du coran élaborera la doctrine que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de wahhabisme. Ibn Saloud, chef de village se laisse convaincre par le prédicateur. Pour Abdelwahab l’islam serait retombé dans le paganisme, les musulmans seraient apostasiés, adoraient des reliques, vénéraient des marabouts intercesseurs, des pharaons mécréants et obéiraient au taghout (transgresser et dépasser les limites). Il s’agit de les remettre dans le droit chemin. L’émir accorda son allégeance au cheikh au nom de Dieu, de son prophète, du djihad et de la commanderie du bien et de l’interdiction du mal, établissant le premier contrat sunnite où le pouvoir est partagé à égalité entre le glaive et le Livre. C’est le pacte de Nadjd. Le couple « Saoudo-wahhabite » va dès lors 5 Même si comme on le verra dans le chapitre sur la Syrie, l'État Islamique est l'ennemi préféré des iraniens. 6 L’Arabie Saoudite tient la France et les Etats-Unis en otages, Mediapart, 8/02/15 7 La liste des pays exportateurs et importateurs d’armes https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/08/killer-facts-the-scale-of-the-global-arms-trade/ 8 Touche pas à l’Arabie, Le Canard Enchaîné, 4/01/17 9 Crime and punishment, Islamic State versus Saudi Arabia, Middle East Eye, 20/01/15. 10 Kamel Daoud, L’Arabie Saoudite, un Daesh qui a réussit, New York Times, 20/11/15
réunir les tribus du Nadjd11 sous sa bannière et les arracher à d’incessants con flits fratricides et guerres de razzia. Le Hedjaz, berceau de l’islam, d’où le prophète avait vu le jour en l’an 570, n’était plus qu’une province périphérique de l’Empire Ottoman qui assurait tant bien que mal la sécurité des centaines de milliers de pèlerins venant du monde entier pour remplir l’une des cinq obligations de l’islam. Autour, un immense désert abandonné aux querelles de bédouins, constitué en entité autonome, en émirat. Les manuels d’histoire du collège en Arabie explique le wahhabisme s’est d’abord répandu « par la volonté d’Allah et ensuite par le soutien des Saoud, qui ont consenti tous les efforts pour son succès et ont beaucoup souffert dans leur vie et leurs biens » et de poursuivre que « pour sa propagation, cette généreuse dynastie continue de sacri fier tout ce qu’elle a de plus cher ». Les écoliers apprennent donc que le facteur principal de la propagation de la doctrine d’Abdelwahab est « d’avoir appuyé le débat et la persuasion religieuse sur une force militaire et politique ». Deux ans après le pacte de 1744, Abdelwahab qui disposait du droit de déclarer la guerre lança les troupes de l’émirat contre une tribu jugée in fidèle. Il ne s’agissait plus d’une simple razzia mais du djihad, qui désigne en premier lieu l’effort sur soi, et qui permettait de doter le con flit d’une finalité religieuse12. A sa mort en 1792, Abdelwahab avait permis au Prince de commencer à étendre son pouvoir et, surtout, il en avait théorisé le moyen : le djihad mené contre tous au nom d’un islam rénové. Cette histoire demeura anecdotique jusqu’en 1802 et le saccage de la ville chiite de Karbala, en Irak actuelle. Dans ce raid expéditif les troupes wahhabites se déchainèrent contre les « hérétiques », faisant trois mille morts parmi les civils et pillant en huit heures toutes les richesses de la cité. Ils démontèrent et emportèrent les stèles et offrandes qui décoraient la tombe de Hussein, le petit-fils du prophète, cher aux chiites. Le chérif de la Mecque, descendant du prophète, commença à s’alarmer pour son autorité spirituelle face à l’expansion foudroyante du wahhabisme. Saoud n’hésita pas à lancer son armée dans la conquête du Hedjaz (province où se trouvent les villes saintes de Médine et La Mecque). « Ils ont égorgé les nourrissons dans les bras de leurs mères (...) les habitants furent désarmés sous prétexte qu’ils étaient des mécréants, puis l’émir (...) ordonna de les tuer sans exception13 ». L’armée des purs rentre à La Mecque en 1803. Ils y détruisirent les mausolées, brûlent les livres de logiques et d’incantation mystiques, interdirent la musique, nettoient les places des fumeurs de narguilés et s’emparent des richesses, jusqu’au trésor sacré déposé dans le caveau du prophète. Suleiman, le frère de Mohammed Bin Abdelwahab excédé par le fanatisme et l’arrogance de son cadet écrit dans un livre toujours interdit à l’heure actuelle en Arabie Saoudite « vous vous êtes lourdement trompé, en quali fiant de kafer14 tous ceux qui refusent de vous suivre et s’aligner sur votre doctrine. De ce fait vous avez considéré tous ceux qui ne se soumettent pas à votre domination comme vivant dans le Dar al-Harb » On retrouve là l’idéologie taki firiste qui caractérise Daech. Le Dar al-Harb, ou territoire de la guerre, là où vivent les in fidèles à convertir par opposition au Dar al-Islam15 où vivent les croyants. Suleiman donc, dans son livre Les foudres divines qui répliquent au wahhabisme écrit au 18ème siècle, reproche donc à son frère, qui selon lui n’en avait aucun droit, de prendre des décrets condamnant les musulmans à mort, des fatwas tak firistes. Ces campagnes victorieuses, et l’expansion d’une forme d’islam qui déjà fait débat au sein du monde musulman, n'auraient pas été possibles sans une conjoncture internationale favorable. L'occupation de l'Égypte par Bonaparte venait de déstabiliser le pouvoir ottoman. Français et britannique n'hésitaient pas à s'appuyer sur Saoud, soucieux comme lui d'affaiblir la Sublime Porte. Et si la pureté de la doctrine interdisait l'alliance avec les in fidèles, le réalisme politique le commandait. Rien ne semblait arrêter les troupes wahhabites, qui allèrent jusqu'à attaquer Alep et s'approchèrent 11 Province d’où sont originaire les Saoud à 30 kilomètres de Riyad. 12 On retrouve cette propension à déclarer de nouvelles choses licites chez Daech, comme par exemple quand le fait de déclarer que le vol aux apostats est licite. C’est un « butin de guerre ». 13 L’historien Mohsen el-Amine cité dans Antoine Basbous, L’arabie Saoudite en question, Perrin, Paris, 2002 14 Kufr, parfois orthographié kâ fir, kouffar au pluriel et francisé en cafre. C’est le mécréant. 15 Dar al-Islam est aussi le magazine français de Daech disponible en ligne après une simple recherche google.
de Damas. Mais les premières défaites de Napoléon en Russie en 1812 rendirent toute sa liberté d'action au pouvoir ottoman. La sublime porte chargea alors le khédive égyptien Méhémet-Ali d'écraser "la bande des sortants usurpateurs". En trois ans les égyptiens envahirent le Hedjaz et le Najd avant de récupérer Darïya le foyer originel des Saoud à trente kilomètres de l'actuel Riyad. C'est la chute du premier royaume. Les causes de cette fin restent sujettes à controverses. Certains historiens considèrent que l'état saoudo-wahhabite ne reposait que sur la force militaire mais s'était montré incapable d'obtenir l'adhésion des cœurs. La raison la plus semblable semble effectivement que la terreur provoqué par les troupes wahhabites rasant les villages et massacrant les habitants n'était pas la façon la plus ef ficace de s'assurer l'adhésion de la population. Mais c'était là la nature profonde du régime saoudien : la violence au service d'une idéologie. En 1823, un membre du clan Saoud ayant survécu à l’épuration ottomane sorti de sa cachette et entama la reconquête du Najd. Il parvint à faire capituler les turcs à Riyad l'année suivante. Les survivants s'engagèrent dans une guerre civile où frères et cousins se combattirent mutuellement. En 1902, Abdelaziz se lance dans la reconquête du Nadj et du Hedjaz. Mais comment convaincre les bédouins de la nécessité de substituer leurs revenus réguliers provenant des butins des razzias et se consacrer maintenant à l'agriculture, l'artisanat et le commerce. Il fallait les sédentariser. La condition de stabilité de son régime était de les "enchaîner à la terre" aurait-il dit. Il expliqua alors aux bédouins que le désert était une terre de mécréance, et qu'il devait s'installer dans le Dar al- islam. On fit appel à des ingénieurs occidentaux pour puiser de l'eau dans la nappe phréatique, et les bédouins découvrirent les maisons en durs, les écoles religieuses pour les enfants. En 1924, Hussein chérif hachémite de La Mecque et héros de la révolte arabe contre les ottomans, apprenant la fin de l'Empire se proclama Calife. Abdelaziz, héritier de la dynastie Saoud, qui n'avait que mépris pour lui passa à l'attaque. Les britanniques présents dans la région, n'intervinrent pas. Hussein exilé à Chypre, les Saoud règnaient de nouveau sur la Mecque, où Abdelaziz se fît proclamer roi du Hedjaz en 1926. Il venait de réuni fier la péninsule comme l'avait fait son ancêtre. "Par amour d'unir les diverses parties de ce royaume" est-il écrit dans l'article premier du décret royal, l'Arabie devint Saoudite en 1932. La découverte de l’Or noir En 1930 Ibn Saoud, le chef de ce qui deviendra l’Arabie Saoudite, était en manque d’argent depuis que la Grande Dépression avait réduit le flot de pèlerins pour la Mecque, qu’il avait conquise cinq ans plus tôt. Il entama donc des négociations pour vendre le pétrole arabe à des compagnies pétrolières américaines. L’intermédiaire de ces négociations fut St John Philby, ancien homme d’affaire, diplomate et agent secret, converti à l’islam le plus rigoriste et conseiller du roi. Mais pourquoi aux américains en particulier ? Parce que contrairement aux britanniques, ils ne possèdent pas de colonies et ne constituent donc pas une menace pour l’indépendance du Royaume. Philby se dé finissait d’ailleurs lui-même comme anti-impérialiste. Les prospecteurs texans débarquent au débuts des années trente, et en août 1933 la Standard Oil of California devint acquéreur de la première concession saoudienne. Il fallu attendre 1938 avant que le premier forage ne soit fructueux. En mai 1939, le roi Abdelaziz en personne ouvrit les vannes, et la première cargaison de brut fût chargée dans un pétrolier. Peu de temps après le roi étendit la concession américaine à 1,5 millions de km2, soit plus de la moitié de la super ficie du Royaume. Sept ans après la création de l’Arabie Saoudite, son roi venait de vendre la moitié du territoire sacré de l’islam à une compagnie pétrolière américaine. Les compagnies, et par là même toute la nation américaine en devenant dépendante de cet or noir, venaient elles aussi de se convertir à l’islam le plus puritain, le wahhâbisme. « La Standard Oil et ses partenaires sont devenues dépendantes et ont soutenu ce qu’elles appelaient l’ « islam unitaire » comme méthode et moyen d’opérer en Arabie, c’est-à-dire de maintenir et de développer l’économie pétrolière globale » écrit Timothy Mitchell dans Carbon Democracy16. En résumé, la production d’or noir, et donc l’économie pétrolière global, devenait dépendante de la stabilité de l’Arabie, assurait par cette idéologie conservatrice qu’était le wahhâbisme. Mais à la fin des années trente seulement 5% du pétrole mondial était produit au Moyen-Orient. Mais bientôt, les besoins pharamineux en énergie de la guerre, allaient faire passer le centre de 16 Timothy Mitchell, Carbon Democracy, le pouvoir politique à l’ère du pétrole, La Découverte, Paris, 2013.
graviter de l'or noir du golfe du Mexique au golfe Persique. L'Amérique engagée dans la guerre envoi son meilleur géologue évaluer les réserves de pétrole. Celui-ci rapporte qu'elles « se révèle[nt] fabuleuse, vertigineuse et sans équivalent sur Terre, pas même au Texas ». A l’époque 63% du pétrole est encore extrait aux USA. Roosevelt déclare alors la « défense de l'Arabie Saoudite vitale pour la défense des Etats-Unis ». Car la guerre met à rude épreuve la puissance militaire américaine, et l'acquisition de réserves hors des frontières états-uniennes devient maintenant une priorité. L’Alaska, bien que regorgeant de pétrole, se révèle être une terre trop hostile17. D’autant plus que les pétroliers ne disposent pas encore des technologies d’extractions suf fisantes pour pomper en off-shore par des conditions extrêmes. Il est tout simplement plus aisé de d'aller l'exploiter à l'autre bout du monde plutôt que de canaliser une source délicate à maîtriser. Le 14 février 1945, alors que la guerre est en passe d’être remportée par les alliés le président Roosevelt, qui avait participé quelques jours plus tôt à la conférence de Yalta avec Churchill et Staline, reçoit à bord du croiseur Quincy Abd Al Aziz sur le lac Amer dans le canal de Suez. Une quarantaine de personnes accompagnent le Roi pour cette entrevue de six heures. Son astrologue, son goûteur, son serveur de café, son chambellan ainsi que dix gardes armés d’épées, de dagues et de fusils anglais. Le Roi a aussi amené huit moutons (il voulait en amener quarante mais ça n’était pas possible) a égorger en l’honneur de Roosevelt, ainsi que des otage de tribus turbulentes pour s’assurer de leur tranquillité en son absence. Le régime inauguré treize années plus tôt reste fragile et les risques d’insurrections réelles. Soixante ans après cette rencontre, en 2005, George Bush déclara qu’elle « donna le ton des relations étroites entre nos deux nations pour des décennies ». Roosevelt veut parler pétrole, mais le “Léopard du désert“ semble plus préoccupé par les accrochages entre juifs et arabes en Palestine. Au terme de l’entrevue Roosevelt fait deux promesses : le gouvernement américain ne changera jamais sa politique en Palestine sans consulter les arabes et les juifs, et il n’entreprendra jamais quoique ce soit d’hostile envers les arabes. Le Roi quant à lui décida de faire des Etats-Unis son nouvel allié principal au détriment de l’Empire Britannique. Côté pétrole on ignore précisément ce que les deux dirigeants se sont dit, mais les historiens résument cette rencontre au pacte pétrole contre protection. Les américains apportent leur soutien et la garantie de la sécurité du territoire en échange de l’exploitation des richesses pétrolières. En vérité, la question du pétrole en Arabie Saoudite est tranchée depuis des années. Les premières concessions datent de 1933 et le premier forage de 1938. La moitié du Royaume appartenait à L’Aramco (Arabian American Oil Company) et l’État saoudien touchait 18 à 21 cents par baril. Abd Al Aziz, grâce au soutien militaire américain allait asseoir son autorité sur le Royaume, et grâce à la rente pétrolière moderniser le pays. L’or noir constitue l’atout essentiel pour l’avenir du pays qui détient 16% des réserves mondiales. Ses champs pétroliers lui assurent encore un siècle d’exploitation. L'Arabie devient le premier producteur et le premier exportateur de brut au monde. En décembre 1950 l'état saoudien cherche à augmenter son contrôle sur l'Aramco. À contrecœur les américains mettent en place le système " fifty-fifty". Les revenus générés par la rente permettent ainsi de moderniser le pays et de mettre en place une réelle révolution sociale. La population va peu à peu se sédentariser et le pays s'urbaniser. En 1972 le royaume étend son pouvoir sur l'Aramco en s'appropriant 25% de son capital. Finalement la compagnie sera totalement nationalisée en 1980 pour devenir la Saudi Aramco18. Avec la nationalisation complète l’état saoudien gère l’ensemble de l'exploitation pétrolière, de la prospection à l'acheminement. Mais sa dépendance à l’occident, notamment sur le plan militaire reste total. Alors, même si le pétrole saoudien est exploité par les saoudiens, le royaume va demeurer la couroi de transmission des Etats-Unis au sein du Moyen- Orient. Créateur de l’OPEP avec quatre autres pays, ses réserves lui permettent d’en être un des acteurs clé. Sur le plan global, la principale caractéristique de l’Arabie Saoudite, c’est de jouer le rôle de swing Producer au service des américains. En augmentant ou en baissant sa production, c’est le seul pays à 17 Il faudra attendre le début des années 1970, pour que les technologies et surtout le prix du pétrole permettent d’envisager d’exploiter le pétrole dans cette région. Le premier baril est extrait en 1973, alors que le prix du brut venait de tripler. 18 La Saudi Aramco devrait être introduite en bourse en 2018. Avec 2000 milliards de valorisation boursières se sera la plus grosse entrée en bourse jamais réalisée.
pouvoir in fluer sur le prix du baril arti ficiellement et à le stabiliser en cas de crise19. C’est à cette capacité de surproduire en cas de besoin, et donc à baisser arti ficiellement le prix du baril, et inversement à produire moins pour faire augmenter le prix, que les américains vont faire appel, pour asphyxier économiquement certains pays dont l’économie dépend du prix du baril. Tout au long du XXème ce rôle de swing Producer va être une véritable arme de guerre au service des ambitions géopolitiques américaines mais aussi des compagnies. En effet, ce qui importe aux compagnies c’est le pro fit. Et le prix du pétrole est dé fini par la rareté. Même si les réserves et les capacités d’extractions sont immenses, il est possible d’organiser cette rareté. Ce sera le rôle de l’Arabie Saoudite. En dépit de leur rôle de premier producteur mondial, les USA ne disposait que de 10% des réserves de brut et coût d’extraction bien supérieur à celui de l’Arabie Saoudite. Contrairement aux britanniques, présent dans la région (Iran et Irak) depuis le début du 20ème siècle, les Etats-Unis, qui ne possèdent pas de colonies, s'assurent avec ce partenariat la mainmise sur la moitié des réserves mondiales. Le plan Marshall et l’après guerre Dans l'après-guerre, le plan de reconstruction élaboré sous l'égide du général Marshall est le grand outil de la pax americana en Europe. L’objectif consiste à reconstruire l’Europe de façon à élever un mur de richesse capitaliste capable d'endiguer l'expansion de l'URSS. Le pétrole étant le ciment de cette digue, ne manquait plus que les infrastructures capables d’amener le vieux continent à passer de la houille noire au pétrole. L'Iran, l'Irak, l'Arabie Saoudite vont désormais l’Europe, acheminant le brut vers la Méditerranée via la Syrie20 et le Liban. Le European Recovery Program, le nom anglais du Plan Marshall, va donc amorcer en Europe la transition du charbon au pétrole, en subventionnant plus de la moitié du pétrole dans la première décennie suivant la guerre, et en favorisant la construction de générateurs aux fiouls et de raf fineries. Une question se pose. Tout au long du XXème siècle le charbon restera moins cher que le pétrole. On peut donc se questionner sur ce choix irrationnel du passage de l’un à l’autre, le pétrole passant de 5% de l’énergie mondiale en 1910, à 60% en 1970. L’explication est peut-être sociale. A la fin de la seconde guerre mondiale les mines deviennent des foyers gigantesques de con flits sociaux en Europe, mais aussi dans les pays du Sud, en Malaisie ou en Inde. A l’inverse, le secteur pétrolier reste relativement à l’abri des luttes et des perturbations sociales. Après 1945, le système énergétique global va de plus en plus être dominé par le pétrole. L’hégémonie pétrolière est portée par l’expansion des Etats-Unis notamment à travers le Plan Marshall en Europe, notamment dans l’intention d’affaiblir le pouvoir des mineurs et de la gauche. Le point culminant de cette lutte étant l’offensive de Margaret Tatcher dans les années 1980, contre les “ennemis de l’intérieur“, la National union of Mineworkers, l’organisation syndicale la plus puissante du pays. A l’issu d’une grève d’une extrême dureté, les mineurs n’obtiennent rien, reprennent le travail. Les syndicats sont affaiblis et l’ordre libéral sort triomphant21. Sur le plan militaire, les américains sont en 1945 la première puissance mondiale, mais leur usage qu’ils pouvaient faire de cette armée, notamment au Moyen-Orient était assez réduit. Les britanniques en avaient fait l’expérience avec les soulèvements arabes des années 1919-1920 puis en Palestine en 1936-1939, il était dif ficile de maintenir une occupation militaire dans la région, les pays du Sud n’acceptant plus les bases militaires sur leurs territoires. En 1945 les américains possèdent des bases chez les vaincus de la guerre, en Allemagne et au Japon, et c’est à peu près tout. Grâce à leur implantation depuis une quinzaine d’années en Arabie Saoudite, ils vont pouvoir négocier une base à Dhahran sur la rive ouest du golfe Persique. Base militaire qu’ils garderont jusqu’en 1962, date à laquelle Riyad, sous la pression populaire, sera obligée de demander aux 19 Entre juin 2014 et janvier 2016 le prix du baril est ainsi passé de 114 à 27 dollars. C'est ce que certains journalistes ont appelé “la politique des vannes ouvertes“. L'Arabie saoudite a volontairement inondé le marché de brut a fin de faire monter le prix du baril a fin de mettre en dif ficulté les américains qui misent eux sur les huiles de schistes et le pétrole en Alaska plus coûteux à exploiter. 20 On notera que ce "corridor noir" ou “hub énergétique“ est actuellement un enjeu de la guerre en Syrie. La Syrie ne comportant pas de pétrole, son principal atout est stratégique. Deux visions s'affrontent alors, une Syrie débarrassée de Bachar al-Assad, acheminant via un “pipeline sunnite“, le gaz du Qatar vers la méditerranée. Ou une Syrie sous in fluence russe ou iranienne, acheminant le pétrole Iranien via un “pipeline chiite“, en passant par le Liban (par Hezzbolah interposé). 21 C’est l’hypothèse de Timothy Mitchell dans Carbon Democracy et de Bruce Podobnik, Global Energy Shifts. Fostering Sustainability in a Turbulent Age, Philadelphia, Temple University Press, 2005.
américains de partir. Il leur faudra attendre l’invasion du Koweït en 1990, pour qu’une nouvelle occasion d’établir une base dans la région ne se présente. 1973 et le premier choc pétrolier La guerre déclenchée en Octobre 1973, à l'initiative de la Syrie et de l'Égypte, a fin de récupérer respectivement le plateau du Golan et le Sinaï occupés par Israël depuis la guerre des six jours en 1967, constituent un moment d'accélération du processus d'expansion du wahhabisme. Si les israéliens sortent vainqueurs militairement (ils ne seront arrêtés que par l'armistice à 101 kilomètres de la capital égyptienne) c'est à l'embargo que l’on doit l’armistice. Embargo sur les livraisons de pétrole à destination des pays occidentaux alliés à l'état hébreu et décrété par les pays arabes exportateurs. Les états arabes du champ de bataille remportent une victoire symbolique, mais les réels vainqueurs sont les pays exportateurs de pétrole, au premier rang desquels l'Arabie Saoudite. L'embargo est un succès politique. Les prix flambent et les pays exportateurs voient leurs revenus exploser. L’Occident s’affole. En France comme au Japon et aux USA, les gouvernements invitent leurs citoyens à faire des économies d’énergies. Les pays arabes auront tenu tête à l'Occident, qui trouve son économie plongée dans l'in flation, le chômage de masse et la déstabilisation économique. Le prix du baril a triplé, c'est la fin des trente glorieuses. L'Arabie Saoudite acquiert ainsi une position dominante dans le monde musulman. Durant les années soixante, le dynamisme du nationalisme et ses leaders charismatiques avaient relativisé l'importance de la religion. Le premier choc pétrolier change la donne. L'Arabie Saoudite avec ses moyens illimités peut alors mettre en œuvre son vieux rêve d'hégémonie sur le sens de l'islam dans la Oumma (la communauté des croyants). Jusque là, le wahhabisme qui ne jouissait de prestige hors de la péninsule que dans les cercles de l'islam rigoristes (sala fistes) va dès lors se lancer dans un prosélytisme à grande échelle via un immense empire de bienfaisance. L'exemple de la Ligue Islamique mondiale 22en est l'incarnation parfaite. Fondée en 1962, pour contrer la propagande nassérienne, elle joue un rôle d'éclaireur en recensant les associations et les mosquées partout dans le monde et en les finançant et en ouvrant des bureaux. Elle est présente dans 120 pays. Le ministère des affaires religieuses saoudien fait imprimer des millions de coran et de textes doctrinaux wahhabites. Cette uniformisation doctrinale s'accompagne de distribution de subsides pour construire des mosquées23 et autres écoles coraniques. L'adhésion au wahhabisme est parfois plus intéressée que sincère, et la wahhabisation fluctue en fonction du prix du baril, mais le mal est fait. En finançant tous ceux qui se réclamaient de l'islam, il lui arriva de financer des groupes révolutionnaires hostiles à la monarchie de Riyad. Entre 1979 et 2002 l’ “industrie idéologique“ selon l’expression de Kamel Daoud24, l’Arabie Saoudite aurait dépensé 70 milliards de dollars en aides diverses. Panislamisme contre panarabisme « Les arabes devraient commencer par libérer Riyad avant de libérer Jérusalem » avait déclaré Nasser en 1952. Leader nationaliste arabe, il est ouvertement opposé à la royauté alliée des Etats- Unis. A l’époque la révolution socialiste et le rêve d’un monde arabe libéré du joug des puissances étrangères devient possible. En 1956 le Royaume de Jordanie est presque tombé, en 1958 c’est la monarchie irakienne qui est défaite par un coup d’état. La même année est créée la République d’arabe unie, union de l’Égypte et de la Syrie prémisse d’une grande fédération des états arabes à venir. Face à cette menace, le président Eisenhower se laisse gagner en 1956 par l’idée de promouvoir le roi Saoud comme rival de Nasser dans la région. L’idée était de se servir de la place hégémonique de l’Arabie sur le plan religieux et de faire du roi un chef spirituel, puis de promouvoir son leadership politique. Malheureusement celui-ci préféra se ranger derrière les nationalistes et les réformateurs, et les américains attendirent 1964, que son rival le prince Fayçal le renverse et chasse 22 La ligue islamique mondiale est une organisation non gouvernementale mais d'obédience saoudienne crée à La Mecque en 1962 dans un contexte de “guerre froide arabe“ qui opposait alors les progressistes liés à l'URSS (comme l'Égypte de Nasser ou la Syrie Ba’athiste). Dont le but est la propagation de l'islam à la sauce saoudienne à l'échelle de la planète. 23 Par exemple la grande mosquée du cinquantenaire à Bruxelles, construite au début des années soixante va diffuser en Belgique la pensée wahhabite. Elle aura une in fluence sur les jeunes de Molenbeek dont certains finiront djihadistes. 24 Kamel Daoud, Mes indépendances, chroniques 2010-2016, Actes Sud, Arles, 2016
du gouvernement tous les modernisateurs dont Abdullah Tariki, ministre du pétrole, créateur de l’OPEP, surnommé le Cheikh rouge, et qui préparait la prise de contrôle de l’Aramco par l’État25. Fayçal, présentait comme un « monarque éclairé » par les américains, en vérité ultra-réactionnaire, reprit la campagne contre le nassérisme en faveur des mouvements islamistes à l’étranger. Les frères musulmans égyptiens persécutés par le régime de Nasser commencèrent à fuir vers l’Arabie Saoudite. Le pays est alors en pleine modernisation. Le roi Fayçal va alors leur con fier des fonctions au sein de l’état, et notamment le ministère de l’enseignement. Dans les années 1960, l’université Al-Azhar du Caire qui domine le débat intellectuel dans le monde musulman diffuse un islam progressiste nassérien. Les frères musulmans en exil vont alors tenter de rivaliser et de briser cette hégémonie culturelle. « L’islamisme saoudien n’est pas une réaction à la marginalisation de l’islam mais le résultat de la légitimation acquise grâce aux frères musulmans » écrit Pierre Conesa. Le panislamisme, c’est à dire l’alliance des frères musulmans, du royaume saoudien et des américains, va lutter contre le panarabisme. « D’anciens employés d’Aramco qui travaillaient désormais pour la CIA participèrent à l’élaboration de complots pour assassiner les présidents de l’Égypte et de l’Irak, où les gouvernements avaient adopté une réforme foncière, des droits pour les femmes, l’instruction universelle et d’autres mesures démocratiques26 ». Anti-panarabiste et donc anti-communiste, l’idéologie des frères musulmans allait prendre de l’in fluence dans la gestion des affaires internes du royaume. Et les saoudiens allaient devenir un allié de choix de l’occident, en pleine guerre froide, contre l’in fluence soviétique dans la région. Alors que le wahhâbisme est apolitique, et s’oppose seulement aux innovations religieuses, les frères musulmans allaient politiser le wahhâbisme. Si l’idéologie frériste est en premier lieu construit contre l’occident impérialiste (elle s’est développée dans les années 1920 dans une Égypte sous mandat britannique), celle-ci allait se développer ensuite contre les “régimes impies“ arabes. Le premier choc pétrolier allait avec les pétrodollars multiplier la puissance d’attractivité des pétromonarchies en offrant aux frères les moyens de leurs ambitions. Dans son livre Carbon Democracy, l’historien Timothy Mitchell explique qu’au regard du rôle joué par l’alliance politique entre l’Amérique et le royaume saoudien dans le développement de l’intégrisme, on ne peut pas réellement présenter l’islamisme comme une force d’opposition au capitalisme. “Il est devenu de plus en plus populaire aujourd’hui de dire que nous vivons à l’âge du « Djihad contre McWorld27 »“ pour témoigner des forces de résistances auxquelles se heurteraient les pouvoirs globalisants du capitalisme. Timothy Mitchell estime que l’histoire de l’islamisme, que l’on présente souvent comme une force locale anticapitaliste s’opposant à l’impérialisme, aux injustices et aux inégalités, est en fait l’histoire de l’alliance entre la première puissance économique mondiale et l’intégrisme religieux le plus puritain. Il préfère parler de McDjihad. “L’économie politique du pétrole, ne s’est pas appuyé accidentellement sur un gouvernement saoudien qui devait son autorité à la force d’un mouvement islamique [...] les pro fits du pétrole n’étaient possibles qu’avec la collaboration des forces capables de garantir le contrôle politique de l’Arabie28 “. Islamisation de la contestation Jusqu’en 1973 des groupes révolutionnaires d'inspiration marxistes fleurissent autour des luttes tiers-mondistes et de libération nationale partout dans le monde arabe et notamment autour du con flit palestinien. La victoire idéologique saoudienne de 1973, va constituer une rupture dans les mouvements politiques via la réaf firmation de l'identité islamique au détriment de la gauche. Le pétro-islam véritable vainqueur n'est pas du tout favorable à la remise en question de l'ordre social29. Et si la plupart des porte-paroles wahhabites sont à ranger dans la case des conservateurs, ils alimenteront pourtant les mouvements révolutionnaires islamistes. Dans son livre La revanche de 25 Finalement la nationalisation complète se fera en 1980. 26 Chapitre 8 : MacDjihad dans Carbon Democracy, le pouvoir politique à l’ère du pétrole, op. cité. 27 “McWolrd“ est une expression américaine développée en 1992 par un conseiller de Clinton, pour désigner ce qu’on nomme globalisation. “Mc“ faisant référence à McDonald. 28 Carbon Democracy op.cité. 29 La Ligue Islamique Mondiale émet nombre de recommandation lors de sa création notamment "l'islam de connaît pas la lutte des classes ou encore “rejette le socialisme et le communisme“.
Dieu30, Gilles Kepel écrit : "Ce paradoxe qui se noue avec le passage du flambeau révolutionnaire des marxistes aux islamistes, constitue l'une des clés qui permettent de mettre en perspective les mouvements de réislamisation depuis le milieu des années soixante dix jusqu'au débit des années quatre vingt. Après une décennie révolutionnaire (...) se dessine une nouvelle séquence historique où la réislamisation se développe principalement à partir "du bas" du quadrillage de la société civile par le réseau de mosquées et d'associations quiétistes" Mais le pétrole n'est que l'accoucheur de cet islam renaissant, conclut-il, le nerf du jihad que lanceront les groupes islamistes contre la jahiliyya31. La nouvelle séquence du “retour au religieux“ particulièrement visible dans les mouvements contestataires, lancée en 1973 à la faveur du surplus de pétrodollars généré par le triplement du baril de brut va alors culminer lors de l’année 1979. Le travail de “réislamisation par le bas“, initié notamment à l’initiative des frères musulmans va porter ses fruits. 30 Gilles, Kepel, La Revanche de Dieu, Seuil, Paris, 1991 31 Période d'ignorance et de barbarie désignant la période antérieur à la prédication de Mahomet en Arabie. Pour les islamistes ce terme peut aussi être utilisé pour désigner les sociétés du 20 ème siècle contraires à l'essence de l'islam.
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