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FIFA LEGENDS AU SERVICE DU FOOTBALL CARLES PUYOL +++ MIA HAMM +++ CARLOS VALDERRAMA +++ CÉLIA ŠAŠIĆ +++ EMMANUEL AMUNEKE +++ KAKÁ +++ CARLI LLOYD +++ PARK JI-SUNG +++ RONALDO +++ CLARENCE SEEDORF +++ JAVIER ZANETTI +++ ZLATAN IBRAHIMOVIĆ VERSION FRANÇAISE WWW.FIFA.COM/MAGAZINE OCTOBRE 2017
GRASSROOTS La FIFA encourage les jeunes filles et les jeunes garçons à jouer au football. Le programme Grassroots de la FIFA est au cœur de la mission de développement de la FIFA, qui consiste à encourager les filles et garçons du monde entier à jouer au football, et ce sans restriction aucune. Ce programme vise en premier lieu à donner du plaisir aux jeunes à travers des matches à effectifs réduits et l’enseignement de techniques de football basiques, mais aussi à les informer sur l’importance de pratiquer une activité physique et sur la notion de fair-play. Pour de plus amples informations, rendez-vous sur FIFA.com
LETTRE D’UNE FIFA LEGEND
Carli Lloyd
Chers lecteurs de FIFA 1904,
E
nfant, mes joueurs préférés étaient Cobi Jones et transmettre mon vécu à la prochaine génération. J’espère
Ronaldinho. J’avais leurs posters dans ma chambre que mon histoire continue d’encourager les plus jeunes à ne
et j’adorais leur style de jeu. Mes parents m’ont jamais abandonner et à voir le positif qui peut découler de
inscrite en club à l’âge de cinq ans et le football a situations difficiles. Quand je raccrocherai les crampons,
toujours été ma plus grande passion depuis. J’avais un j’espère pouvoir voyager aux quatre coins du monde pour
tempérament très compétitif et je voulais toujours sortir inspirer les nouvelles générations.
pour jouer contre des garçons. Il ne fallait pas me dire deux
fois de me préparer pour aller à l’entraînement. Le football, Les légendes du football ont toutes tracé leur propre route
c’était ma vie. J’en étais raide dingue. dans la vie et tiré des leçons précieuses dont nous pouvons
tous apprendre. Je suis convaincue qu’écouter les FIFA Legends,
Puis j’ai commencé à disputer des compétitions. Mon les impliquer et prendre en compte leurs recommandations ne
souvenir le plus précieux, c’est lorsque que j’ai remporté le peut qu’améliorer le football à tous les niveaux.
championnat de notre État avec mon équipe du Medford
Strikers Soccer Club. C’était un formidable accomplissement Je pense prendre ma retraite après les Jeux Olympiques de
pour tout le monde, car il nous a fallu énormément de Tokyo en 2020. Après cela, j’espère que je resterai impliquée
travail pour y arriver. Encore aujourd’hui, cette journée reste dans le football et que la discipline continuera de se
spéciale car elle réveille tant d’incroyables souvenirs vécus développer aussi bien chez les filles que chez les garçons.
Illustration : Andrea Ventura / 2AGENTEN
toutes ensemble. J’ai beaucoup d’idées en tête et je n’ai pas encore pris de
décision définitive, mais je souhaite vraiment continuer à
Mais une carrière n’est pas faite que de souvenirs. Une inspirer les jeunes générations en transformant le football.
carrière internationale comme la mienne est également Car, je le répète, une carrière s’accompagne de ces devoirs.
synonyme de devoirs. J’ai pour objectif de continuer à
donner le meilleur de moi-même, que ce soit sur le terrain Sportivement,
ou en dehors. J’ai toujours été passionnée par l’idée de Carli Lloyd
FIFA 1904 / 1
SOMMAIRE
À LA RENCONTRE DES FIFA LEGENDS
8 CARLES PUYOL, ancien défenseur du FC Barcelone
et de la sélection espagnole, a remporté de nombreux
titres dont la Coupe du Monde de la FIFA™, l’EURO et
la Ligue des Champions de l’UEFA ainsi que la Liga
espagnole. Nous l’avons retrouvé chez lui en Catalogne.
18 L’ailier EMMANUEL AMUNEKE a longtemps été la
terreur des défenseurs. Le Nigérian vit aujourd’hui à
Santander, en Espagne, où nous nous sommes entretenus
avec lui.
24 Le mythique CARLOS VALDERRAMA a laissé bien des
38 souvenirs, sur et en dehors du terrain. Le fantasque
8 Colombien revient sur la joie que lui procure le football,
son rôle de FIFA Legend et, bien sûr, sa coiffure.
33 MIA HAMM, pionnière du football féminin au pays de
l’Oncle Sam, sert aujourd’hui encore son sport, mais cette
fois à travers le monde.
34 Avec un statut de championne du monde U-19,
de double championne d’Europe et de lauréate de la Ligue
des Champions, difficile de croire que CÉLIA ŠAŠIĆ a très
tôt mis un terme à sa carrière. Maman d’une petite fille
d’un an, l’Allemande est revenue avec nous sur son
parcours.
38 SÉQUENCE NOSTALGIE : quatre FIFA Legends
commentent des photos d’elles prises il y a dix ans
ou plus.
34 42 THE BEST – FIFA FOOTBALL AWARDS : les FIFA Legends
sont peut-être les mieux placées pour désigner les
meilleurs représentants actuels de la discipline.
45 LES FIFA LEGENDS œuvrent aussi en interne.
Leur groupe de réflexion conseille notamment le Président braschler / fischer, Jonathan Miller, Fotofinder, Xavier Cervera/Panos Pictures
de la FIFA.
18
COUVERTURE :
Carles Puyol chez lui à Barcelone.
Photo : Jonathan Miller
2 / FIFA 1904
LE FOOTBALL EN IMAGES
40 4 4 IMAGES DU MOIS : Jorge Campos devant des fans
indiens à Bombay et Marcel Desailly au festival Ganesh
Chaturthi, toujours à Bombay.
46 PREMIÈRES AMOURS : Goma (RD Congo).
55 UNE CARRIÈRE EN VIGNETTES PANINI : Javier Zanetti.
56 HIER ET AUJOURD’HUI : de Dortmund à Belo Horizonte.
66 ARCHIVES PHOTOS : préparatifs du tout premier match
joué à Hyde Park (1929).
66
LE MONDE DU FOOTBALL 58
49 LE MOT DU PRÉSIDENT : la procédure d’attribution
de la Coupe du Monde de la FIFA™ sera aussi objective et
transparente que possible.
50 ACTUALITÉS DE LA FIFA et Classements mondiaux FIFA/
Coca-Cola.
58 ASSOCIATIONS MEMBRES DE LA FIFA
64 CARRIÈRE D’UNE FIFA LEGEND : Clarence Seedorf.
69 BANDE DESSINÉE : Mordillo. 64
70 INNOVATIONS : le smartphone remplace le bon vieux
programme en papier.
Panini, LOC, Getty Images (2), Stepan Cerny
71 SUPPORTERS : des stades mieux équipés pour les
femmes.
72 IMPRESSUM / APERÇU
FIFA 1904 / 3
IMAGES DU MOIS
Festival Ganesh Chaturthi
Grand sourire pour la FIFA Legend Marcel Desailly à
Bombay (5 septembre 2017).
4 / FIFA 1904
FIFA 1904 /
5
Mohammed Shafiq / LOC / FIFA
IMAGES DU MOIS
Joie communicative
La FIFA Legend Jorge Campos devant des fans indiens
conquis au stade DY Patil de Bombay (5 septembre 2017).
6 / FIFA 1904
FIFA 1904 /
7
Jamil / LOC / FIFA
FIFA LEGENDS
UN
GA
GNA
NT POUR TOUS
Carles Puyol n’a pas le temps de se reposer. Après avoir tourné la page de sa brillante
carrière sur les terrains, le champion du monde espagnol veut désormais se mettre au
service de ce football qui lui a tant donné. Visite à Barcelone chez la FIFA Legend.
Par Perikles Monioudis (texte) et Jonathan Miller (photos).
8 / FIFA 1904Carles Puyol, 39 ans Le champion du
monde 2010 n’a connu qu’un seul
club dans sa carrière : le FC Barcelone.
FIFA 1904 / 9FIFA LEGENDS
Toujours en forme Carles Puyol s’entraîne sur les
hauteurs de Barcelone, en empruntant son parcours favori.
10 / FIFA 1904« TOUT LE MONDE N’A PAS LA CHANCE
D’AVOIR LA VIE QUE J’AI. »
Carles Puyol
FIFA 1904 / 11FIFA LEGENDS
D
’une foulée énergique, Carles Puyol effectue son
footing sur les hauteurs de la ville, sa ville, Barcelone.
Ce sentier de la Carretera de les Aigües, qui traverse les
collines sur près de dix kilomètres, il le connaît comme
sa poche. Pendant sa carrière de joueur déjà, il l’empruntait
régulièrement pour s’entretenir physiquement en dehors des
entraînements habituels. Aujourd’hui, alors qu’il a raccroché les
crampons, il le fréquente encore, pour s’évader. Il y a trouvé un
refuge alliant beauté et tranquillité. « Les gens viennent ici à vélo,
en famille ou pour faire un peu de sport » explique l’ancien
défenseur central, qui semble reprendre sa respiration sans diffi-
culté apparente malgré les efforts qu’il vient de fournir.
Pourtant, le panorama de la capitale catalane qui s’offre à lui est
littéralement à couper le souffle. Tout en bas, les tours de la
célèbre basilique de la Sagrada Família imaginée par Antoni Gaudí
paraissent presque minuscules. Derrière elles, la Méditerranée
scintille de mille feux dans le coucher du soleil. Quiconque entend
percer à jour l’illustre champion qu’est Carles Puyol se doit de
l’accompagner ici, sur la Carretera de les Aigües. Lorsqu’il court
comme cela, sa ville chérie en arrière-plan et l’odeur des pins
flottant dans l’air, on comprend en effet rapidement que Barce-
lone fait partie intégrante de sa personnalité.
« DE LA PRESSION ? NON »
Il y débarque à dix-sept ans, en provenance du village pyrénéen
de La Pobla de Segur, à deux heures et demie de route. À peine
sorti de l’adolescence, ce fils d’éleveurs veut tenter d’accomplir
son rêve le plus fou : évoluer un jour pour le grand FC Barcelone.
Mais le chemin s’annonce compliqué. Dans son enfance, Puyol
joue bien au football avec ses camarades sur des terrains de
fortune et pratique un peu l’athlétisme. Mais jamais il ne profite partir pour Barcelone », se souvient-il. « Et une fois arrivé, je n’ai
d’une réelle formation. Ce n’est qu’à quinze ans qu’on lui inculque pas eu peur d’échouer non plus. J’étais en train de réaliser mon
enfin comment contrôler, passer et frapper un ballon correcte- rêve, de faire exactement ce que je voulais. » Ne ressentait-il donc
ment. C’est donc presque un miracle si vingt ans plus tard, Puyol aucune pression par rapport à son avenir ? « De la pression ?
peut s’enorgueillir d’un palmarès riche de plus de vingt titres, dont Non, je jouais au football tous les jours et quand le Barça avait un
une Coupe du Monde de la FIFA™ ainsi qu’un EURO et trois match, on allait les voir au Camp Nou juste à côté. Qu’est-ce que
Ligues des Champions de l’UEFA. j’aurais pu souhaiter avoir de plus ? » Bien sûr, il sait que ses
partenaires ont un temps d’avance sur lui. Après tout, ils ont
Les bases de cette incroyable carrière sont en partie posées au intégré La Masia bien avant lui. Mais cela le pousse justement à
sein de La Masia, le centre de formation du FC Barcelone, où les travailler encore plus dur, à se battre sur tous les ballons. D’atta-
éducateurs parviennent à tirer le meilleur des qualités, de l’enga- quant, il passe à défenseur. Il rattrape son retard footballistique et
gement, de l’éducation et des valeurs de leur élève. Après un dépasse ses coéquipiers aussi bien physiquement que tactique-
essai obtenu par son tout premier entraîneur, Puyol gagne le droit ment. Avec lui, le gardien de but est sûr de ne pas être livré à
de rester un mois entier. « À l’époque, je n’avais pas peur de lui-même.
12 / FIFA 1904Puissance et élégance C’est de la tête
que Puyol a qualifié l’Espagne pour la
finale de la Coupe du Monde 2010 aux
dépens de l’Allemagne.
FIFA 1904 / 13UN STATUT D’IDOLE Bientôt, Puyol part s’entraîner avec la réserve. Lorsque l’effectif est décimé, il fait même le nombre avec l’équipe A. C’est ainsi qu’il se fait remarquer par Louis van Gaal, assis sur le banc de touche blaugrana à l’époque. La suite constitue l’une des plus belles histoires du football moderne. Puyol personnifie un football viril mais toujours correct. Il impressionne par sa motivation hors norme et son mental de fer. Il conquiert aussi la plupart des titres qu’il est possible de collectionner. Il décroche la bagatelle de cent sélections pour l’équipe d’Espagne et porte pendant des années le brassard de capitaine du FC Barcelone. Puyol devient une marque. Lui et son fidèle numéro 5 dans le dos deviennent égale- ment un symbole d’humilité et de modestie, deux caractéristiques qui accompagnent à chaque pas la carrière d’un footballeur respecté par tous et lui donnent ses lettres de noblesse. Dans la rue, petits et grands saluent la légende locale. Plusieurs supporters viennent lui demander qui une photo, qui un auto- graphe. Puyol sourit et se prête volontiers au jeu. Dans les yeux de ses admirateurs, il voit la joie qu’ils éprouvent face à cette ren- contre inespérée. Surtout, il voit de la gratitude. Ses accomplisse- ments ont empli les Barcelonais de joie et de fierté. Cela, ils ne l’oublieront jamais, pas plus que son profond engagement social. VOLONTÉ ET HUMILITÉ Puyol n’hésite en effet jamais à se mettre au service de son prochain. « Tout le monde n’a pas la chance d’avoir la vie que j’ai », précise-t-il. « En voyant le monde autour de soi, on apprend à réagir avec humilité à la victoire comme à la défaite. » Cela ne l’empêche pas bien sûr d’abhorrer cette dernière, qu’il sait com- ment éviter : « Il faut toujours tout donner, évidemment. Mais ça ne suffit pas. Il faut aussi s’intégrer à un collectif. L’égoïsme n’a pas sa place dans le football. Ni ailleurs, du reste. Les grands titres ne s’obtiennent qu’en équipe. Chaque membre doit tout donner et être dans la forme de sa vie. C’est la seule solution. » Lorsqu’on est footballeur professionnel, « tout donner » signifie pour le Catalan se montrer prêt à aller jusqu’à la limite, sans toutefois oublier les règles du fair-play. « C’est certainement auprès de mes parents, chez moi, que j’ai appris cette conception d’un jeu dur mais correct et de la modestie après un travail bien fait. » Trois ans après avoir dit adieu au terrain, Puyol a complètement tourné la page. « Mais la fin de carrière n’a pas été simple à gérer. 14 / FIFA 1904
Terrain d’enfance
Quand le champion du monde retrouve ses racines...
FIFA 1904 / 15FIFA LEGENDS
J’aurais bien aimé continuer jusqu’à quarante-et-un ans, mais à déplacement. Il est allé examiner de lui-même le terrain avant de
trente-cinq, c’était déjà fini », regrette-t-il. Malgré la déception déclarer en conférence de presse qu’il était tout à fait jouable, et
qui se lit sur son visage à l’évocation de ce traumatisme, Puyol ne même tout de suite s’il le fallait. Les spéculations ont immédiate-
serait pas Puyol s’il n’avait pas la conscience tranquille de celui qui ment été étouffées dans l’œuf.
a tout tenté pour soigner un genou récalcitrant et plusieurs fois
opéré avant de se résoudre à dire stop. Son corps n’en pouvait C’est lui, encore, qui a accompagné le Président de la FIFA, Gianni
plus, tout simplement. Et Puyol ne serait pas non plus le guerrier Infantino, à Chapecoense en décembre 2016 afin d’assister avec
que le monde a admiré si son quotidien n’était pas depuis long- lui à la cérémonie en hommage aux victimes de la catastrophe
temps empli de nouvelles missions. aérienne qui a coûté la vie à la majeure partie des membres de
l’équipe brésilienne.
Ainsi, il sait que lorsqu’il organise un match de bienfaisance, il
peut récolter une somme rondelette en faveur de hôpital local
pour enfants atteints du cancer. Lui-même père de deux petites
filles, il n’hésite pas à se servir de sa notoriété pour la bonne
cause : « Je veux rendre à la société ce que le football m’a appor-
té. C’est lui qui a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui »,
expose-t-il.
« LES GRANDS TITRES
NE S’OBTIENNENT QU’EN ÉQUIPE. »
Carles Puyol
L’AURA D’UNE FIFA LEGEND
Puyol est également resté proche du monde du football. Il est
ainsi une figure majeure du programme des FIFA Legends. Il s’est
très rapidement et tout naturellement glissé dans son nouveau
rôle de modèle pour les jeunes footballeurs du monde entier. Sa
parole a du poids, sa présence compte. Ainsi, Puyol s’est récem-
ment rendu en Inde, pays hôte de la Coupe du Monde U-17 de la
FIFA du 6 au 28 octobre prochain, à l’occasion de l’ouverture de
la vente des billets. La population locale l’a accueilli avec frénésie,
bloquant des rues entières à son passage, et les réservations ont
rapidement grimpé. Grâce à lui, la compétition a gagné en atten-
tion et en importance, tandis qu’il a contribué à faire du dévelop-
pement du football dans le pays un sujet de discussion majeur.
L’ancien joueur a aussi visité la Russie à l’approche de la Coupe
des Confédérations de la FIFA au printemps dernier afin de faire la
promotion du programme des volontaires et de remercier publi-
quement tous les bénévoles de Russie et d’ailleurs qui étaient déjà
à pied d’œuvre. Quelques semaines plus tard, lorsque les médias
se sont fait l’écho de doutes quant à l’état de la pelouse du stade Mixité
Krestovski de Saint-Pétersbourg et de sa capacité à accueillir le Garçons et filles jouent ensemble. .
match d’ouverture de la compétition, il a de nouveau fait le
16 / FIFA 1904AUCUNE NOSTALGIE À le regarder s’occuper avec tant d’attention de sa famille, on
Après son footing sur la Carretera de les Aigües, Carles Puyol devine que son quotidien consiste également à être un bon mari –
traverse la ville en voiture. La nuit tombe doucement. Lui Puyol a épousé le mannequin Vanesa Lorenzo – et un bon père. Il
arrive-t-il de repenser à ses titres ? De revoir des images de la garde ainsi un œil des plus attentifs sur ses filles ainsi que sur les
finale de la Coupe du Monde de la FIFA 2010 à Johannesburg ? voitures et vélos qui passent à côté d’elles – tout comme il surveil-
De rêver de tenir de nouveau le trophée dans ses mains ? lait autrefois le bon alignement de sa défense et les courses des
« Ce sont des souvenirs. Je ne vis pas dans le passé, je m’attarde attaquants adverses. Quelques minutes auparavant, Xavi, son ami
rarement sur des photos de moi levant les bras au ciel. Mon et coéquipier de longue date, lui a envoyé une photo prise dans les
quotidien occupe tout mon esprit, d’une autre manière », rues de Barcelone sur son téléphone. Les carrières défilent. Les
répond-il sobrement. amis restent. « Les victoires ne s’obtiennent qu’en équipe. »
« APPORTER NOTRE EXPÉRIENCE »
La FIFA Legend Carles Puyol et l’ancien
international espagnol Iván de la Peña
jouent également les conseillers pour
jeunes footballeurs.
Carles Puyol a intégré La Masia, le célèbre
centre de formation du FC Barcelone, à l’âge
de dix-sept ans seulement. C’est relativement
tard pour un jeune joueur, surtout au regard Vieux loups Iván de la Peña (à g.) et Puyol
savent ce dont les jeunes joueurs ont besoin.
des standards actuels. L’académie du Barça
compte parmi les meilleures au monde. En
2010, les trois finalistes du Ballon d’Or – An- assimiler tous les aspects qu’un joueur doit
drés Iniesta, Lionel Messi et Xavi – étaient prendre en compte s’il veut avoir une carrière
issus de ses rangs. C’est aussi là-bas que longue et réussie. Nous leur donnons ainsi
Puyol a répété ses gammes avant de percer et des conseils d’ordre sportif, comme l’analyse
d’enchaîner les succès. Il connaît les sacrifices de leur propre jeu et de celui de leurs coéqui-
indissociables d’une carrière dans le football piers, mais nous leur parlons aussi d’aspects
et sait aussi de quel soutien psychologique et un peu moins visibles de l’entraînement
stratégique un jeune joueur a besoin pour ne comme l’alimentation, les compléments
pas se perdre dans les méandres du profes- alimentaires, la physiothérapie et la récupéra-
sionnalisme. Avec Iván de la Peña, son ancien tion, ou encore de la dimension psycholo-
coéquipier à Barcelone, il met ainsi son gique de leur métier qu’ils doivent maîtriser
expérience au service de la nouvelle généra- pour gérer la pression, les victoires, les
tion. « Notre rôle va bien au-delà de celui défaites, les blessures ou leur environnement.
d’agent de joueur », détaille-t-il. « Nous Je prends les joueurs sous mon aile, je leur
faisons office de mentor pour les jeunes dont apporte mon expérience. » Récemment,
nous avons la charge. À travers notre expé- Puyol a ainsi notamment aidé à organiser le
rience, nous les aidons non seulement à transfert de Marc Bartra, jeune pousse du FC
régler leurs histoires de contrats, mais aussi à Barcelone, vers le Borussia Dortmund. mpe
FIFA 1904 / 17FIFA LEGENDS
« SEUL, LE TALENT
NE SUFFIT PAS »
Emmanuel Amuneke appartient à la génération dorée du football nigérian, celle qui
a remporté la Coupe d’Afrique des Nations de la CAF, ainsi que l’or olympique
dans les années 1990. Selon lui, son pays a encore beaucoup de travail à
accomplir avant de renouer avec son glorieux passé.
Par Annette Braun (texte) et Xavier Cervera (photos) à Santander (Espagne)
18 / FIFA 1904L
Les vagues de l’Atlantique viennent se
briser en rythme sur la plage de sable
fin et sur les falaises à proximité.
L’écume qu’elles déposent témoigne
de la force de la marée. Au loin, on aperçoit
des surfeurs qui chevauchent l’onde avec
agilité. À mesure qu’ils s’éloignent, ils ne
forment plus que de petits points colorés,
avant de se confondre avec l’immensité de
l’eau.
Depuis la péninsule de la Magdalena baignée
de soleil, Emmanuel Amuneke admire la baie
de Santander. Cette ville du nord de l’Es-
pagne est devenue son foyer et notre interlo-
cuteur ne cache pas son affection pour la
région. Santander lui offre la tranquillité et le
calme auxquels il aspire. Cette ambiance
paisible permet à l’ancien sélectionneur U-17
du Nigeria de se ressourcer entre deux
déplacements, lui qui a mené son pays au
sacre mondial en 2013 et 2015. « Contraire-
ment à ce qui se fait en Europe, il n’existe pas
de championnats pour les jeunes au Nigeria.
Il m’est arrivé de passer jusqu’à quatre mois
sur la route, rien qu’au Nigeria, pour trouver
les meilleurs joueurs », explique Amuneke.
Après deux sacres en Coupe du Monde U-17
de la FIFA, notre homme a estimé que le
temps était venu pour lui de passer à autre
chose.
Voilà pourquoi nous le retrouvons au-
jourd’hui en train de profiter de ce magni-
fique paysage. Le Palais royal de la Magdale-
na servait de résidence d’été à la famille
royale espagnole au siècle dernier. Depuis les
hauteurs de la ville, il offre désormais sa vue
imprenable sur la baie. Chemin faisant, la
FIFA Legend croise un petit port et une aire
de jeu. Entre les amateurs de balançoire et
d’escalade sauvage, un groupe d’enfants
court après une balle.
La scène lui rappelle sûrement des souvenirs.
Que ce soit dans sa ville natale, au cœur de
Promenade sur le littoral l’Igboland, ou à Lagos, la plus grande ville du
Emmanuel Amuneke vit à Santander, en
Espagne, avec sa femme et ses deux fils. pays avec ses 18 millions d’habitants, les
FIFA 1904 / 19FIFA LEGENDS
enfants du Nigeria éprouvent la même l’Égypte... mais le mal du pays n’a pas tardé à faut beaucoup d’engagement, de travail et de
fascination pour le ballon rond. « J’avais se faire sentir. Installé à l’hôtel et confronté à rigueur. Dans sa tête, il faut être prêt à
toujours envie de jouer », avoue l’ancien une autre culture, il a rapidement souffert de consentir à de nombreux sacrifices. »
international. Son père, qui accordait une la solitude et de l’isolement. « Au bout d’un
grande importance aux études, a toutefois moment, je suis allé trouver l’entraîneur et je Dominateur en catégories juniors, le Nigeria
tenu à tempérer ses ardeurs. « De nos jours, lui ai dit que je voulais rentrer chez moi. » Le peine toujours à obtenir des résultats simi-
tout le monde se passionne pour le football technicien a cependant réussi à le convaincre laires chez les A. « C’est une question de
au Nigeria et chacun sait que le sport permet de reporter sa décision et Amuneke a décidé continuité », estime Amuneke. « Tant de
d’accomplir de grandes choses. À l’époque, le de s’accrocher. La suite de son voyage l’a facteurs rentrent en compte pour l’exécution
football était surtout considéré comme un mené au Sporting Lisbonne et au FC Barce- d’un plan de jeu. Seul, le talent ne suffit pas.
loisir. Une activité agréable, mais aussi une lone. « Je crois qu’il est très important pour Un footballeur ne peut pas se fier unique-
perte de temps. » La passion d’Amuneke a ces jeunes talentueux de bien comprendre ment à son instinct ; sur le terrain, il doit
tout de même résisté aux doutes de son que le changement n’est qu’une des difficul- savoir exactement ce qu’on attend de lui.
entourage. « J’étais têtu. Après l’école, je ne tés qu’ils auront à affronter en Europe et dans Ces certitudes facilitent sa prise de décision
rentrais pas directement à la maison. Je leur carrière. Pour se faire une place là-bas, il et font de lui un meilleur joueur. » Selon lui,
retrouvais mes amis dans la rue pour jouer au
football. » C’est donc vêtu de son uniforme
scolaire que le futur champion olympique a
fait ses débuts balle au pied. « Je savais que
j’allais me faire disputer le soir, en rentrant
chez moi. Mais ça m’était égal », assure-t-il.
Après avoir subi les remontrances paternelles,
le jeune Emmanuel devait nettoyer lui-même
les vêtements salis par ses ébats balle au pied.
LE RÊVE EUROPÉEN
Comme beaucoup d’enfants nigérians des
années 1980 et 1990, Amuneke rêvait
d’intégrer un jour la sélection de son État. Tout sourire
La FIFA Legend apprécie tout particulièrement la tranquillité de la Presqu’île de la Magdalena.
Dans cette optique, les jeunes les plus
prometteurs s’entraînaient à l’école sous la
supervision d’un « maître de jeu ». « Au-
jourd’hui, les enfants rêvent de partir pour
l’Europe. Ils quittent le pays de plus en plus
jeunes », constate-t-il. La Coupe du Monde
U-17 constitue évidemment un excellent
tremplin pour tous ceux qui espèrent faire
fortune à l’étranger. Champions du monde
de la catégorie en 2015, Kelechi Nwakali
(Arsenal) et Victor Osimhen (VfL Wolfsburg)
font figure d’exemples à suivre.
En son temps, Amuneke a pu mesurer les
difficultés qui attendent les jeunes qui se
lancent à la conquête d’un nouveau pays et
d’un nouveau continent. Après neuf matches
disputés sous les couleurs du Julius Berger FC,
un club d’entreprise, le jeune prodige a rallié
20 / FIFA 1904il manque encore au Nigeria des structures
et une philosophie qui accompagneraient les
jeunes espoirs dans les différentes sélections.
« En Afrique, on pense souvent d’abord à
son propre intérêt. On cherche à gagner par
tous les moyens, sans forcément réfléchir à
une stratégie de développement efficace à
long terme ». Le manque de professionna-
lisme que dénonce Amuneke tend à freiner
le développement des jeunes qui n’ont pas la
chance de se faire une place en Europe.
« D’un seul coup, ils ne comptent plus. »
Emmanuel Amuneke s’assoit sur un banc et Gloire locale Au bar du stade du Racing Santander, le jeune Diego repartira tout heureux
avec un autographe du Nigérian.
étire ses jambes. Ce moment de repos lui
permet de soulager un peu ses genoux.
Victime d’innombrables blessures tout au sourires. Il n’hésite pas à se mêler aux
long de sa carrière, le Nigérian a vu son autres, à leur parler et à leur serrer la main.
AMUNEKE ET LA MUSIQUE
passage au FC Barcelone gâché par de Chanter, taper des mains, danser... en
graves problèmes aux genoux qui ne lui ont LA GÉNÉRATION DORÉE Afrique, la musique fait partie intégrante
jamais permis d’exprimer toute la mesure de Les habitants de la région sont fiers de de la préparation des équipes. Les bus
son talent en Catalogne. Quelques visiteurs compter le champion d’Afrique 1994 et qui entrent dans l’enceinte du stade sont
l’aperçoivent et en profitent pour jeter des champion olympique 1996 parmi eux. Dès généralement accompagnés d’un cortè-
regards furtifs dans sa direction. Amuneke qu’Amuneke évoque la génération dorée du ge de sons divers et de visages souriants.
n’a jamais porté les couleurs du Racing local, Nigeria, celle des Stephen Keshi, Nwankwo « C’est une motivation supplémentaire
ce qui ne l’empêche pas de jouir d’un grand Kanu et autres Jay-Jay Okocha, on l’écoute. pour nous. Néanmoins, dans les vestiai-
respect à Santander. Il faut dire que l’ancien « Individuellement, il y avait beaucoup de res, tout le monde reste concentré »,
footballeur professionnel n’est pas avare de talent, mais nous avions aussi énormément précise Amuneke. La musique, qui l’a
de respect les uns envers les autres. Nous accompagné tout au long de sa carrière,
formions une vraie famille », raconte l’inté- est restée un élément essentiel de sa vie
ressé. À l’époque, les plus jeunes n’hésitaient une fois les crampons raccrochés. Pour
pas à prendre leurs responsabilités. C’est FIFA 1904, l’ancien international a
ainsi qu’Amuneke a participé à la finale de la accepté de nous dévoiler sa playlist
Coupe d’Afrique des Nations 1994, un peu à préférée. Les cinq chansons retenues
la surprise générale. Le moins que l’on puisse prouvent que sa passion pour le rap a
dire, c’est que le jeune prodige avait accueilli peu à peu cédé la place à un goût
la nouvelle avec flegme : « Bon, qu’il en soit prononcé pour la pop. L’idée le fait
ainsi ». Visiblement à l’aise sous le feu des sourire : « On voit que je deviens vieux.
projecteurs, Amuneke s’est distingué en Peut-être aussi que je suis davantage
signant le but de la victoire, un exploit qu’il conscient de mes responsabilités ! »
rééditera deux ans plus tard en finale du
Tournoi Olympique de Football. « Je suis 1. „Dear Mama“, 2pac
toujours resté concentré sur mon objectif et 2. „Nothin’ But a G Thang“,
j’ai attendu qu’on me donne ma chance », Dr. Dre feat. Snoop Dogg
confie sobrement le Nigérian. 3. „One Dance“, Drake feat. WizKid
Un père fier
Amuneke assiste à l’entraînement 4. „A Sky Full Of Stars“, Coldplay
de l’équipe de son fils Joseph. Les membres de cette génération excep- 5. „The Troubles“, U2
tionnelle sont restés en contact. Amuneke
FIFA 1904 / 21estime simplement s’être trouvé au bon ont aujourd’hui neuf et sept ans. Joseph, le l’athlétisme... voire l’industrie cinématogra-
endroit, au bon moment. « Le Nigeria avait plus jeune, vient tout juste de s’inscrire dans phique. « Je veux devenir acteur », lance-t-
déjà pu compter sur d’excellents joueurs par un club. Le benjamin ne cache pas son il. Ces grands passionnés de surf pourraient
le passé, mais nous avons eu la chance de affection pour le Real Madrid, ce qui n’est aussi être l’un des petits points colorés que
bien fonctionner collectivement ». La suite évidemment pas pour plaire à son ancien l’on aperçoit au loin, sur l’Atlantique. Tandis
appartient à l’histoire. En 1994, le Nigeria, Barcelonais de père. Fataliste, Amuneke qu’ils chevauchent les vagues d’un mètre de
emmené par sa génération dorée, participe préfère hausser les épaules : « Que vou- haut dans la magnifique baie de Santander,
pour la première fois à la Coupe du Monde lez-vous que j’y fasse ?! ». Matthew, l’aîné, leur père les observe avec une grande
de la FIFA™. « Nous voulions marquer les semble pour le moment plus attiré par fierté.
esprits et montrer de quoi nous étions
capables ». Si les Super Eagles négocient
habilement la phase de groupes, ils voient
cependant leur parcours s’interrompre en
huitièmes de finale, face à l’Italie (1-2).
Plus de vingt ans plus tard, la planète football
attend toujours son premier champion du
monde africain. « Personnellement, je suis
ravi qu’on s’interroge à ce sujet. Ça montre
que les gens aiment l’Afrique et qu’ils s’inté-
ressent à notre continent. La FIFA a mené de
nombreuses actions en faveur du développe-
ment. Le potentiel est là, mais il faut que
tous les voyants passent au vert en même
temps », note Amuneke. Et d’ajouter :
« Nous ne voulons pas nous contenter de
participer ; nous avons l’ambition de défier
les meilleurs. Au niveau des infrastructures,
le Maroc et l’Afrique du Sud ont réalisé de
belles choses, mais il nous reste du chemin à
parcourir. »
Il s’agit justement d’un domaine dans lequel
notre interlocuteur aimerait s’investir. La
question de la formation lui tient particulière-
ment à cœur. Aux côtés d’autres FIFA Le-
gends, Amuneke s’est récemment rendu en Préparer l’avenir
Inde pour assurer la promotion de la Coupe Le développement du football nigérian
est un sujet qui tient tout particulièrement
du Monde U-17 de la FIFA pour le compte de à cœur à l’ancien sélectionneur U-17.
l’instance dirigeante du football mondial. En
tant qu’entraîneur, il souhaite également
faire profiter les autres de son expérience. NOM Emmanuel Amuneke
« J’aimerais partager ce que j’ai appris avec DATE ET LIEU DE NAISSANCE 25 décembre, Eziobodo (Nigeria)
les jeunes, pour les aider à progresser. » CARRIÈRE DE JOUEUR Concord Abeokuta, Julius Berger FC, Zamalek, Sporting Lisbonne, FC Barcelone,
Albacete, Busan Icons, Wehdat Amman
Ses enfants seront peut-être les premiers à CARRIÈRE D’ENTRAÎNEUR Al Hazm, Julius Berger FC, Ocean Boys, sélection U-17 du Nigeria
profiter de ses conseils. « C’est possible, ÉQUIPE NATIONALE 27 sélections, 9 buts
qui sait… », glisse Amuneke. Ses deux fils PRINCIPAUX SUCCÈS champion du Nigeria, champion d’Égypte, champion d’Afrique, champion olympique
FIFA 1904 / 23FIFA LEGENDS 24 / FIFA 1904
LE GÉNIE
DE COLOMBIE
Carlos Valderrama était un génie balle au pied.
Ce soliste hors pair a connu la gloire tardivement, à l’âge
de 29 ans. Visite virtuelle dans sa patrie d’origine.
Par Alan Schweingruber (texte) et, à Barranquilla, Charlie Cordero (photos)
Emblématique
Carlos Valderrama, 56 ans,
sur la plage de Barranquilla.
FIFA 1904 / 25FIFA LEGENDS
Posé
« Quand on oublie de prendre
du plaisir, on perd la partie la
plus importante du football. »
26 / FIFA 1904R
endez-vous était pris avec Carlos Valderrama le Au beau milieu de toutes ces considérations, les événements se
12 septembre à Barranquilla. Le temps est particulière- précipitent. Nous sommes à deux jours du décollage.
ment chaud à cette période, comme le fait remarquer
un collègue sud-américain en haussant les sourcils. Venue de nulle part, une rumeur insistante prétend que Carlos
Un simple coup d’œil aux relevés météo confirme l’information : Valderrama aurait décidé de se couper les cheveux. Quelle est
tous les ans, le thermomètre monte au-dessus de trente degrés. l’origine de ce bruit insidieux ? Twitter ? La presse à scandales ?
L’expérience incite à opter pour des vêtements légers. On se Mon voisin dans le train de ce matin ? Les rumeurs sont intéres-
munira également de lunettes de soleil, de crème solaire et d’un santes, dès lors qu’elles évoquent des images. Indépendamment
chapeau d’été, afin de prévenir tout risque d’insolation. Au même de la source de cette information, cette idée saugrenue fait
moment, un automne frisquet s’installe sur l’Europe centrale, immédiatement naître une certitude : sans ses cheveux longs,
reléguant les accessoires estivaux au fin fond des armoires. Valderrama ne serait plus que l’ombre de lui-même. Et qui voudrait
d’un reportage sur l’ombre de Valderrama ? Pour employer une
Barranquilla se trouve tout au nord de la Colombie. Ce port analogie qui parlera aux amateurs de mode, ce serait comme
installé sur les rives de la mer des Caraïbes propose une combinai- rencontrer Karl Lagerfeld habillé en hippie.
son originale : citoyens colombiens, style caribéen. D’apparence
plutôt tranquille, cette agglomération commerciale et industrielle Pourtant, les images évoquées par cette rumeur ont aussi leur
abrite de nombreux gratte-ciel gris. Barranquilla n’a pas grand- charme. Cette révolution pourrait surprendre les lecteurs
chose à voir avec l’idée que l’on se fait a priori des paysages (Valderrama chauve ! Valderrama avec une coupe en brosse !).
colombiens : des forêts à perte de vue, d’un vert profond, des On se souvient qu’il y a quelques années, le Colombien avait
images prises depuis un hélicoptère, des flamants roses qui surpris son monde en troquant ses boucles blondes contre une
s’envolent, de somptueux bâtiments historiques... autant de couleur rose inattendue. Les réseaux sociaux s’étaient alors
clichés tirés de la remarquable série « Narcos », qui retrace la vie indignés : “Pibe, qu’est-ce qui t’a pris ?” (en français, Pibe signifie
du célèbre trafiquant de drogue Pablo Escobar. « garçon », le surnom lui ayant été trouvé par l’entraîneur de
son père).
L’excitation née de la rumeur ne survivra pas à l’après-midi. « Fake
news », annonce le photographe Charlie Cordero dans un e-mail
rédigé de Colombie. Charlie Cordero sait de quoi il parle. Il vit à
Venue de nulle part, une rumeur insistante Barranquilla et doit participer au reportage sur Valderrama. Un
prétend que Carlos Valderrama aurait décidé
de se couper les cheveux.
Sans ses cheveux longs, Valderrama ne serait
plus que l’ombre de lui-même. Et qui voudrait
d’un reportage sur l’ombre de Valderrama ?
La splendeur de Barranquilla vient d’ailleurs. La ville est en effet
indissociable de l’œuvre de Gabriel García Márquez, lauréat du
prix Nobel de Littérature et auteur du célèbre roman « Cent ans
de Solitude ». Barranquilla est également connue pour son
Bob Thomas / Getty Images
carnaval, le deuxième plus important d’Amérique du Sud. Bien
entendu, la ville est aussi très fière de ses enfants, dont certains
sont aujourd’hui mondialement connus. La chanteuse Shakira a
Coupe du Monde 1998
grandi ici, tout comme l’actrice Sofia Vergara ou Martin Knox,
Le défenseur anglais Tony Adams intervient devant le meneur
un artiste new-yorkais. de jeu colombien.
FIFA 1904 / 27FIFA LEGENDS
L’amour est plus fort que tout
Valderrama arbore un de
ses t-shirts préférés pour la
séance photo.
28 / FIFA 1904certain soulagement transparaît à travers son message. Cette
angoissante perspective a tout de même eu le mérite d’exciter sa
fibre créative : « Peut-être, glisse-t-il, que je devrais le photogra-
phier dans un salon de coiffure ! »
Meilleur joueur d’Amérique du Sud,
pensez donc ! Pour se faire une idée de la valeur Deux autres options sont également débattues. Un projet prévoit
d’une telle récompense, il suffit de se rappeler notamment d’effectuer en compagnie du Pibe le trajet de
Barranquilla à Santa Marta, au volant d’un vieux cabriolet.
qu’à cette époque, des footballeurs comme Il faut compter environ deux heures pour suivre ce sympathique
Maradona ou Zico étaient encore en activité. itinéraire le long de la côte. Sur place, on pourrait suivre l’interna-
tional colombien sur les lieux de son enfance, visiter son ancien
quartier, El Pesquaito, le photographier sur les lieux de ses
premiers jongles ou encore aller voir la mer en sa compagnie là
même où, enfant, il plongeait parmi les vagues pour récupérer les
pièces jetées par des touristes superstitieux.
Un deuxième message me parvient, quelques heures après
l’annonce de la fameuse fake news. À ce moment, je peux déjà
imprimer ma carte d’embarquement pour le vol. Carlos Valderra-
ma me contacte sur Whatsapp et, en quelques mots, il jette aux
orties toute considération pour les cartes d’embarquement.
« Les avions sont cloués au sol à cause de l’ouragan Irma. Il faut
reporter notre rendez-vous. Je suis déçu. »
« Valderrama cloué au sol. » Un journaliste colombien avait écrit
cette phrase en 1988, dans un contexte bien différent. À cette
époque, le Pibe était devenu le premier footballeur colombien à
s’engager dans un club français, en l’occurrence Montpellier.
Il était encore auréolé de son titre de Joueur sud-américain de
l’année. Meilleur joueur d’Amérique du Sud, pensez donc ! Pour
se faire une idée de la valeur d’une telle récompense, il suffit de
se rappeler qu’à cette époque, des footballeurs comme Maradona
ou Zico étaient encore en activité. L’ancien sélectionneur argentin
champion du monde César Luis Menotti a dit un jour à son sujet :
« Valderrama possède une intelligence de jeu exceptionnelle. Il
sait où se trouvent ses coéquipiers sans avoir besoin de lever les
NOM Carlos « Pibe » Valderrama yeux. Et quand il décide de servir un partenaire, ses passes sont si
DATE ET LIEU DE NAISSANCE 2 septembre 1961 à Santa Marta (Colombie). précises qu’on croirait qu’il a une main à la place du pied ! »
CARRIÈRE Unión Magdalena (Col, 1981-1983), Millionarios (Col, 1984),
Deportivo Cali (Col, 1985-1987 et 1996-1997), Montpellier (Fra, 1988-1991), À Montpellier, le Colombien connaît pourtant une adaptation
Real Valladolid (Esp, 1991), Independiente Medellín (Col, 1992), difficile. Il faut dire que Valerrama débarque dans un club en plein
Atletico Junior (Col, 1993-1995), Tampa Bay Mutiny (EU, 1996-1997 et 1999-2001), chaos. Malgré son statut de recrue personnelle du président,
Miami Fusion (EU, 1998), Colorado Rapids (EU, 2001-2002). sa venue est très mal accueillie par l’entraîneur, qui ne trouve pas
ÉQUIPE NATIONALE 111 sélections, 11 buts, de place pour lui dans ses plans. On a connu situations plus
3 participations à la Coupe du Monde confortables, d’autant que le contrat était bel et bien signé. Alors
PRINCIPAUX SUCCÈS ET RÉCOMPENSES une Coupe de France, que toutes les équipes d’Amérique du Sud rêvent de lui confier
deux titres de champion de Colombie, un Supporters Shield de la MLS, les clés du jeu, le malheureux Pibe doit se contenter de faire
deux titres de Joueur sud-américain de l’année (1987 et 1993) banquette dans l’Hérault... et dans les cours de français.
FIFA 1904 / 29FIFA LEGENDS
« Impossible de déplacer le rendez-vous. Pouvons-nous nous En cet été 1990, toute la planète a les yeux rivés sur l’Italie. Les
entretenir par téléphone ? » Une demi-heure plus tard, il répond cheveux font justement leur grand retour en force. La synthpop,
d’une simple émoticône : un pouce jaune, levé vers le ciel. Pen- les bandeaux aux couleurs flashy et le 501 de Levis viennent tout
dant ce temps, le chapeau, les lunettes et la crème solaire juste de passer de mode. Les spectateurs de Bologne découvrent
sont retournés au fond de l’armoire. Le vol annulé, il est temps un garçon moustachu, qui collectionne les chaînes reggae
de passer aux recherches. multicolores. Ses cheveux ressemblent à une crinière d’un blond
doré. Le volume de l’ensemble est impressionnant, comme si une
Quand le monde a-t-il pris conscience du talent hors du commun seule personne avait décidé d’arborer les coiffures de tous les
de ce footballeur qui manie le ballon de l’extérieur du pied Jackson Five d’un coup. Nous sommes le 9 juin 1990 et le monde
comme d’autres manient les interrupteurs du bout de l’index ? s’apprête à découvrir Carlos Valderrama. Qui est donc ce foot
Lorsqu’il arrive à Montpellier, le Pibe va déjà sur ses trente ans. balleur étonnant, qui ne court pratiquement pas mais qui dirige
Il remportera une Coupe de France avec le club de l’Hérault et le jeu de main de maître ?
disputera ensuite une saison en Espagne, sous les couleurs du
Real Valladolid. Toutefois, ce n’est pas grâce aux quatre ans À cette époque, la société a déjà cédé à la tentation de classer les
passés en Europe que Valderrama s’est fait une place dans la grands sportifs aux looks les plus improbables dans une catégorie
légende du football, mais bien plutôt en raison de ses perfor- à part. À la fin des années 90 (la génération Beckham), le terme
mances en équipe nationale. Cette autre carrière a véritablement de popstar est couramment employé. Le Pibe n’a jamais été une
débuté avec la Coupe du Monde de la FIFA 1990. popstar. Il n’a jamais été que lui-même. S’il porte cette coiffure,
c’était uniquement parce qu’il en avait décidé ainsi dans sa
jeunesse. S’il collectionne les chaînes multicolores, c’est parce
qu’elles sont à la mode dans les Caraïbes. Il les portait déjà à
Santa Marta lorsque, plus jeune, il vendait des glaces pour se faire
un peu d’argent de poche.
Ce jour-là, la Colombie bat les Émirats arabes unis 2-0 à Bologne.
Les Cafeteros retrouvent la Coupe du Monde de la FIFA, après
28 ans d’absence. Cette date marque aussi un tournant important
dans la carrière de Valderrama. Ce succès précieux permettra à la
Colombie de se qualifier pour les huitièmes de finale. Lors de la
dernière journée de la phase de groupes, Valderrama s’illustre
encore en offrant la passe décisive à Freddy Rincon pour arracher
le nul (1-1) face à l’Allemagne, dans les derniers instants. Du jour
au lendemain, son nom se retrouve sur toutes les lèvres. Dans les
tribunes, on commence à voir apparaître des perruques blondes
(l’investissement se révèlera payant sur le long terme : Valderrama
mènera encore son équipe en Coupe du Monde de la FIFA™ en
1994 et 1998).
Nous sommes le 14 septembre 2017. L’ouragan sévit au nord et les
webcams de Barranquilla nous livrent des images magnifiques :
un ciel bleu et des palmiers bercés par le vent. Ici, un paquebot
lève l’ancre. Quel plaisir d’imaginer les plus belles îles des Caraïbes
à portée de vue ! La Jamaïque, Haïti, la Guadeloupe... Soudain,
Bob Thomas / Getty Images
le téléphone sonne. Un rire caractéristique résonne dans
l’appareil, suivi d’une question, prononcée d’une voix un peu
Pasadena (États-Unis) enrouée : « Maintenant, j’ai du temps. Par quelle question
Valderrama et la Colombie s’inclinent face à la voulez-vous commencer ? »
Roumanie (1-3) lors de la Coupe du Monde 1994
– sa deuxième participation à l’épreuve reine.
30 / FIFA 1904« LA MER ME DONNE LE CALME ET
LA TRANQUILLITÉ DONT J’AI BESOIN. »
Carlos Valderrama, quelle place tient le plaisir Qu’aimeriez-vous changer dans le football ?
dans le football ? Je supprimerais le hors-jeu.
Le plaisir est l’essence même du football. Sans
plaisir, le football n’existerait pas. Je crois qu’il Vraiment ?
ne faut jamais perdre de vue la raison pour Je pense que ça vaut la peine d’essayer. À mon
laquelle on choisit de pratiquer ce sport. Quand avis, le football peut fonctionner sans hors-jeu. Il
on oublie de prendre du plaisir, on perd la partie y aurait plus de buts. Les gens qui vont au stade
la plus importante du jeu. prendraient encore plus de plaisir. Finalement,
c’est pour ça qu’on va voir les matches.
Vous avez toujours eu plaisir à jouer ?
La plupart du temps, oui. En tant que meneur Une question sur ce qui est votre marque
de jeu, je devais faire preuve de créativité sur le de fabrique...
terrain. Je prenais souvent mes décisions à (rires) Ma coiffure ?
l’instinct. tout du moins. Aujourd’hui, on attend davantage
des meneurs de jeu sur le plan physique. D’où vient-elle ?
Vous trouvez que le football manque Dans ma jeunesse, je me suis laissé pousser les
de créateurs aujourd’hui ? Vous êtes considéré comme quelqu’un cheveux et j’ai trouvé ça sympa. Au fil du temps,
Non, je ne dirais pas ça. Il suffit de regarder de plutôt discret. Étiez-vous un meneur cette coiffure est effectivement devenue ma
Lionel Messi ou Neymar. Je pense aussi à James d’hommes ? marque de fabrique. Je me la suis appropriée.
Rodríguez, qui pratique un football de qualité Un meneur de jeu ne peut pas se permettre de D’ailleurs, je n’en ai pas changé depuis des
avec l’équipe nationale colombienne. Il faut passer inaperçu sur le terrain. C’est un rôle très dizaines d’années.
aussi des joueurs capables de mettre la balle au exigeant de ce point de vue. Je parlais beaucoup
fond des filets. Quant à savoir si ces buts sont avec mes coéquipiers, que ce soit sur le terrain, Le bruit a un temps couru que vous vouliez
spectaculaires ou non, c’est une autre affaire. avant et après les matches, dans les vestiaires. vous couper les cheveux très courts ?
Je ne ferai jamais une chose pareille !
Comment jugez-vous la forme actuelle Avez-vous besoin de calme ?
de la sélection nationale colombienne ? Énormément. J’ai grandi au bord de l’eau et Vous allez souvent chez le coiffeur ?
Nous avons de formidables footballeurs, et nous aujourd’hui encore, je vis près de la mer. L’eau et C’est ma femme qui me coupe les cheveux.
allons bien entendu nous qualifier pour la Coupe la plage me donnent le calme et la tranquillité Je trouve qu’elle fait ça très bien.
du Monde en Russie. J’ai hâte que la compétition dont j’ai besoin. La semaine, je suis à Barranquil-
commence et de me rendre dans les stades ! la ; le week-end, je retourne dans ma ville natale
de Santa Marta avec ma femme, pour profiter
Votre technique individuelle était irrépro- des magnifiques plages.
chable. Les grands joueurs comme vous
étaient-ils dispensés de courir ? Quel regard portez-vous sur votre nouveau
C’est vrai que je n’ai pas beaucoup couru dans ma rôle de FIFA Legend ?
carrière. Mon rôle consistait avant tout à ne pas C’est un grand honneur de représenter le
perdre le ballon et à m’assurer qu’il serait transmis football à travers le monde. J’aime rencontrer
au joueur le mieux placé en phase offensive. Si la des gens et j’ai toujours grand plaisir à voyager.
balle arrive au bon endroit, le jeu s’accélère Le football, c’est toute ma vie. Il est donc très
automatiquement. Pour ça, il n’y a pas forcément important à mes yeux que ce sport s’engage sur
besoin de courir partout. Enfin, à mon époque la bonne voie.
FIFA 1904 / 31Vous pouvez aussi lire
