POUR QUI LA THÈSE ? Rencontres Jeunes Chercheurs 2015-16 - Master 2 Études Culturelles
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1 Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR 04 Arts, 47-53 rue des Bergers, 75015, Paris Rencontres Jeunes Chercheurs 2015-16 Master 2 Études Culturelles Semestre 2 Textes réunis sous la direction de Françoise Julien-Casanova POUR QUI LA THÈSE ?
3 SOMMAIRE Programme/flyer…….………………………………………………………..……… p. 2 Sommaire ……………………………………………………………………………..p. 3 1. Présentations courtes des invitées Yosra Ayadi / Sirine Abdelhedi…………………………………….…..…p. 4 Laura Cappelle / Manon Filhol………………………………..………….p. 5 Filipa Cruz / Sofia Mavrogianni…………………………………………..p. 6 Marion Coville /Vivien Richou-Bac……………………………………….p. 7 Clémence de Montgolfier / Arnaud de Vellis et Jean-Marc Nemer…p. 8 2. Comptes rendus des interventions Yosra AYADI par Sirine Abdelhedi………………………………………………….… .p. 9 Laura CAPPELLE par Manon Filhol……………………………………..…………….……p. 13 Filipa CRUZ par Sofia Mavrogianni………………………………………………….p. 17 Marion COVILLE par Vivien Richou-Bac…………………………………………………..p. 20 Clémence DE MONGOLFIER par Arnaud de Vellis et Jean-Marc Nemer…………………………….p. 22 * Design flyer et programme : M Apostolova
4 1. Présentations courtes des invitées __________________________________________ Lundi 25 Janvier 2016. Yosra AYADI. Littérature comparée et Interculturalité Invitée par Sirine Abdelhedi Thèse / Littérature en cours, 2ème année : Poétique du silence dans quelques textes francophones (écrire la violence religieuse en Algérie, Afghanistan et Iran), sous la direction de Dominique Ranaivoson, Maître de conférences HDR, Université de Lorraine, UFR Arts, Lettres et Langues. Mots clés : Silence, écriture, violence, religion, francophonie, poétique, esthétique L’ascendance de l’islam radical sur la scène politique et sociale trouve progressivement son écho en littérature surtout dans des pays comme l’Algérie, l’Iran et l’Afghanistan. Les écritures y sont conçues dans la peur, l’enfermement et le silence. Cependant, de ces textes muets jaillissent sens et révolte. Le sujet de thèse de Yosra Ayadi, se présente comme une étude de textes littéraires qui ont été produits sous une violence religieuse. Bien que la géographie semble les éloigner, un fil conducteur rapproche les histoires de son corpus. Une intime affinité au niveau des stratégies langagières et structurales utilisées par les auteurs sera repérée tout au long de son travail. Algérie, Afghanistan et Iran ont enduré au nom de la religion une violence sans égale. D’abord à travers une histoire coloniale commune, que ce soit pendant les conquêtes musulmanes et ottomanes mais aussi les colonisations occidentales. Ensuite, à travers les conflits civils qui ont bouleversé leurs structures sociales. L’objectif de cette étude est de montrer que l’écriture du silence possède deux dimensions majeures ; la première est esthétique, caractérisée par une puissante aspiration au silence, qui se met à se taire afin de mieux suggérer. La deuxième est historique; cette écriture n’aurait pas eu les mêmes représentations si elle n’avait pas été influencée par le contexte de la violence." ________________
5 Lundi 22 Février 2016. Laura CAPPELLE. Sociologie / Danse / Genre Invitée par Manon Filhol Thèse / Sociologie en cours, 4ème année. : Le processus de création en danse classique, sous la direction de Bruno Péquignot, Professeur, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, UFR Arts et Médias. Laura Cappelle est une chercheuse et journaliste de danse bilingue. Ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon, elle poursuit sa thèse de sociologie depuis 2012, sous la direction de Bruno Péquignot (Paris 3). Ses recherches portent sur le processus de création de nouveaux ballets en danse classique. Actuellement, Laura Cappelle enseigne à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, en tant qu'Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche en sociologie (ATER). Outre sa recherche en sociologie, Laura Cappelle écrit articles, critiques et interviews pour la presse internationale et numérique. Contributrice régulièrement du Financial Times, elle couvre pour les pages du journal la danse et le théâtre en France. Grande voyageuse, elle écrit également pour Pointe Magazine, Dance Magazine, Dance Europe et Dance International. Elle a contribué aux pages du Monde, du Huffington Post et de Causette, ainsi qu'aux programmes de l'Opéra de Paris, du Festival d'Automne ou du Ballet du Bolchoï. Elle présente également régulièrement des rencontres avec les artistes pour Les Ballets de Monte-Carlo, à Monaco, et a contribué en tant que consultante au film Rudolf Nureyev : Dance To Freedom, réalisé par Richard Curson Smith pour la BBC en 2015. ________________
6 Lundi 7 Mars 2016. Filipa CRUZ. Art et Design. Invitée par Sofia Mavrogianni Thèse / Arts soutenue en Décembre 2015 : Tout ce que je voulais te dire : l’indéfinition, l’illisibilité, l’invisibilité et l’insuffisance du langage dans la pratique artistique, sous la direction de M. Pedro Francisco Fernandes da Silva Maia et Bernardo Alberto Frey Pinto de Almeida, Professeurs, Université de Porto, Spécialité Arts Plastiques / UFR Beaux Arts- Paris. Filipa Cruz est artiste et chercheuse, elle travaille à Paris et au Portugal, où elle est née. Elle a commencé son parcours par une licence en Arts Plastiques-Sculpture à la faculté des Beaux-Arts de l’Université de Porto. Depuis 2012, et jusqu’à peu - puisqu’elle vient juste d'y présenter sa thèse -, elle était doctorante en Art & Design à l’Université de Porto, en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure de Beaux Arts de Paris où elle est en instance de soutenir sa thèse, côté français. Par ailleurs, depuis 2014, et afin de compléter sa formation par une approche plus théorique, elle poursuit un Master en Esthétique à Paris 1. Son travail se concentre sur les interactions entre texte et image et sur le statut du texte dans les Arts visuels. L’écart entre les images, les paroles et les manques du langage sont à la base de son étude qui envisage le texte dans le cadre de sa pratique artistique. ________________
7 Lundi 14 Mars 2016. Marion COVILLE. Exposition des jeux vidéos / Études Culturelle Invitée par Vivien Richou-Bac Thèse / Etudes culturelles, en cours 4ème année : La construction du jeu vidéo comme objet muséal. Etude de cas à Paris, sous la direction de Christophe Génin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UFR 04 Arts. L’exposition Jeu vidéo : l’exposition, présentée à la Cité des Sciences et de l’Industrie, plonge les visiteurs dans l’univers du jeu vidéo (des échecs au jeu d’arcade sur les téléphones portables en passant par les jeux en réseau). L'étude de terrain, menée durant un an par Marion Coville, permet de redéfinir notre conception du jeu vidéo comme objet de divertissement s'inscrivant dans l'industrie de la culture. En effet, ce travail amène à interroger le rôle entretenu par l'institution muséale et ses publics, la représentation des usagers et les postures visiteur-joueur dans une mise en scène du corps et du geste, et enfin une fabrique nécessairement genrée de l'utilisateur. Les entretiens réalisés avec des commissaires d'exposition, des initiateurs du projet, des visiteurs, des concepteurs multimédia, des employés et directeurs de départements, mais également les enquêtes statistiques et études de fréquentation menée par la Cité des Sciences, affirment l'approche sociologique de cette démarche, et mettent en évidence les enjeux liés à la production, la diffusion, et la réception autour de cet Artefact qu'est le jeu vidéo. ________________
8 Lundi 21 Mars 2016. Clémence DE MONGOLFIER. Médiation culturelle, art contemporain Invitée par Arnaud de Vellis et Jean-Marc Nemer Thèse / Sciences de l’Information et de la communication en cours, 4ème année : La représentation de l'art contemporain à la télévision française de 1960 à nos jours, sous la direction de François Jost, Professeur, Université Sorbonne Nouvelle Paris III, CEISME. Clémence de Montgolfier est doctorante au CEISME (Centre d’Études sur les Images et les Sons Médiatiques) sous la tutelle de son directeur François Jost. Ce centre de recherche s’intéresse aux différentes manifestations audiovisuelles, en particulier aux programmes télévisuels, avec des problématiques liées à la réception, la médiation ou l’énonciation. François Jost, professeur à Paris III, a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet, il dirige notamment la revue Télévision (CNRS Éditions). La recherche de Clémence de Montgolfier s'intéresse aux discours télévisuels sur l’art contemporain. Au travers d’une analyse pragmatique, elle étudie les réseaux des différents acteurs de ces programmes. Elle met au jour les rapports de pouvoir qui les sous-tendent notamment les enjeux de médiatisation et d’hégémonie d’une culture « légitime ». Elle analyse aussi les valeurs de l’art contemporain telles que la télévision les structure. Elle interroge la médiation de l’écran et son influence sur l’œuvre qui transforme une création artistique en événement et fournit de nouvelles perspectives de création et d’interprétation. ________________________________________________________________
9 2. Comptes-rendus des interventions ____________________________________ Yosra AYADI. Compte rendu par Sirine Abdelhedi C’est avec Yosra Ayadi, mon invitée, que nous avons eu le plaisir d’inaugurer la session 2016 des « Rencontres Jeunes Chercheurs ». Yosra nous a fait part de son expérience de jeune doctorante à travers la présentation de son projet de thèse intitulé « Poétique du silence dans quelques textes francophones ; écrire la violence religieuse en Algérie, Afghanistan et Iran. » Parcours de l’invitée Après l’obtention d’une licence en Littérature à l’Institut Supérieur des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, Yosra bénéficie d’une bourse de l’État tunisien qui lui permet de poursuivre ses études en France. Elle intègre l’Université Paris 3 – La Sorbonne Nouvelle, pour effectuer un Master 2 en Lettres modernes. Actuellement, dans la continuité de son projet de mémoire elle prépare une thèse à l’Université de Lorraine. Dans cette thèse, elle s’intéresse à une étude poétique du silence dans quelques textes francophones. Ce sujet, certes, a été déjà abordé ici et là, mais dans un cadre national. Or, cette fois, le corpus s’étend de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale. Présentation du sujet Le sujet est ancré dans une actualité brûlante. L’ascendance de l’islam radical sur la scène politique et sociale trouve progressivement son écho en littérature, surtout dans des pays comme l’Algérie, l’Iran et l’Afghanistan. Les textes sélectionnés sont conçus dans la peur, l’enfermement et le silence, ils jaillissent de sens et de révoltes plurielles engendrés par ce contexte. Le projet de thèse se présente comme une étude de textes littéraires qui ont été produits sous l’effet d’une violence religieuse. Algérie, Afghanistan et Iran ont, au nom de l’Islam, enduré une violence sans égale. D’abord, à travers une histoire coloniale
10 commune — pendant les conquêtes musulmanes et ottomanes ou les expansions occidentales. Ensuite, par les guerres civiles qui ont renversé l’ordre social des pays. Bien que leurs identités géographiques soient éloignées, un fil conducteur rapproche néanmoins les histoires du corpus. Ainsi, une intime affinité des stratégies langagières et structurales utilisées par les auteurs sera repérée tout au long du travail. Dans les textes choisis, l’écriture s’est déplacée à côté du silence pour migrer dans un espace où se tue le dire et parle le silence. Ce travail s’intéresse à ce paradoxe où le silence est « le souffle de la signification ». L’objectif serait de montrer que « l’écriture du silence » possède deux dimensions majeures. La première est d’ordre esthétique : le silence médité génère un débat muet et laisse couler beaucoup d’encre. La deuxième est d’ordre historique : cette écriture n’aurait pas eu les mêmes qualités si elle n’avait pas été alimentée par la tyrannie exercée au nom de l’islam. Corpus d’étude Le corpus constitué par Yosra est diversifié. Pour le cas de l’Afghanistan, elle présente une analyse du roman Syngué Sabour Pierre de patience (2008) de Atiq Rahimi, adapté au cinéma en 2013 grâce à une collaboration avec Jean-Claude Carrière. Pour le cas de l’Iran, elle a retenu Je ne suis pas celle que je suis (2011) de Chardott Djavann. Et enfin concernant l’Algérie, elle a sélectionné Si tu cherche la pluie, elle vient d’en haut (2010) de Yahia Belaskri, Maintenant ils peuvent venir (2000) de Arezgui Mellal et Nos silences (2009) de Wahiba Khiari. Pour constituer son corpus, Yosra a choisi des romans qui s’inscrivent dans la continuité du travail commencé en master 2. Elle ajoute : « Les romans choisis ont eu plusieurs prix, bien que leurs écrivains ne soient pas trop connus sur la scène internationale. (...) Ce sont de petits romans, qui ont connu du succès ainsi que de très bons échos. Je suis partie sur le fait de ne pas travailler sur des œuvres trop connues, comme cela mon sujet sera plus original. »1 Ce qui est remarquable dans ce corpus, à mon avis, en plus de la diversité et de la force des récits, est le fait que ces ouvrages sont tous publiés dans les années 2000. Ce qui signale l’émergence d’une situation particulière encore vécue aux XXIes, et on le verra, poignante. De surcroît, nous savons l’importance du langage dans la structuration de la communication avec autrui, et il faut souligner que les écrivains inclus dans ce corpus sont issus de cultures différentes et ont tous relevé le défi d’écrire en français. Démarche et questionnement Au cours du travail, Yosra est amenée à situer chacune des productions littéraires dans le contexte historique, géopolitique et social d’origine. Elle cherche à identifier les 1Propos recueillis le 25-01-2016, lors de la présentation de Yosra Ayadi au séminaire « Rencontres Jeunes Chercheurs » sous la direction de Mme Françoise Julien-Casanova.
11 stratégies langagières et structurales qui révèlent le sens et la signification du « silence ». Je la cite : « Je vais montrer au fur et à mesure que ce silence muet, n’est pas un silence défini dans sa négation. Ce n’est pas l'absence de bruit, mais le silence qui est parlant, qui est très étudié, très calculé même. Ce sont des moments d'absence, où le lecteur est invité à combler le vide. Donc, je vais montrer que le silence est présent dans la mise en scène, dans la narration, dans l'intrigue, dans les répétitions, dans les blancs, au niveau des personnages, etc. Tout mon travail se base sur ça. »2 Dans ce cas, nous pouvons dire que le silence proposé dans cette thèse a un caractère polysémique. Les écrivains offrent un espace-temps aux lecteurs pour interpréter, imaginer, et prendre leurs responsabilités pour habiter le vide. À travers le silence, les écrivains dénonce la domination religieuse et lancent un cri d’alarme. Ce paradoxe donne, selon la chercheuse, naissance à une nouvelle forme d’écriture trop élaborée, qu’elle cherche à justifier. Elle se propose de construire une typologie des silences. En amont, elle se pose les questions suivantes : - Comment ces écritures sont-elles capables de rendre compte de l’indicible, l’innommable, l’inconcevable ? - Comment ce silence est-il représenté ? Par quels moyens ? - S’agit-il d’une nouvelle forme esthétique d’écriture ? D’une part, Yosra se plonge dans des lectures comparées des textes. D’autre part, elle essaie de rencontrer les auteurs des livres. Ces entrevues lui permettent non seulement de discuter leurs moyens et finalités derrière le choix du silence, mais également d’identifier, à travers les informations recueillies, les points de concordance et d’écart entre les écrivains et leurs écritures. Lorsqu’on lui a demandé si elle considère l’écriture du silence comme une forme d’autocensure et de continuité de la tyrannie exercée au nom de la religion, Yosra répond : « Oui, peut être que c'est un moyen de contourner la censure, mais je pense que le silence dont je parle est un silence libérateur, qui libère la parole et qui reflète la liberté d'expression des auteurs. »3 Relation du sujet avec les Etudes Culturelles En discutant avec Yosra de son travail, j’ai immédiatement remarqué qu’il pouvait être abordé également dans une approche culturaliste. D’une part, son sujet questionne explicitement des rapports de pouvoir et de domination liés aux phénomènes religieux, d’autre part il y a une dimension autobiographique dans les ouvrages étudiés, et qui relève du « biographique collectif » ne serait-ce que par les processus d’engendrement des problèmes relatés. On peut aussi considérer qu’à travers leurs textes, les auteurs élus sont en train de construire une contre culture. En outre, leur choix – deux femmes et trois hommes – permet de réfléchir à des questions relatives aux genres. Finalement, ce corpus s’ajoute 2 Ibidem., 3 Ibidem.,
12 à nombre d’autres pour montrer ce qu’il en est des rapports de forces exercés par une coercition d’ordre religieux. En deçà du présent, on peut revenir également par exemple aux textes liés à la Shoah, entre autres à ces « écritures du désastre » qui ont vu le jour après la catastrophe que fut la deuxième guerre mondiale, avec Duras, Bekett et Delbo dont l’écriture a été jalonnée de silences. Pour qui la thèse ? Yosra a profité du thème de notre séminaire pour parler des difficultés qu’elle a rencontrées et nous donner des conseils pour mieux vivre la thèse. Comme tous les doctorants, elle insiste non seulement sur l’importance du choix d’un sujet passionnant et de l’amour pour la recherche, mais également sur le choix du directeur de la thèse et sur le financement. Elle a attiré notre attention sur l’importance de mettre à distance sa subjectivité pour aborder un travail scientifique et sur le choix des mots dans l’intitulé de la thèse : dans son cas, elle a été invitée par exemple à changer le mot « intégrisme » pour le remplacer par l’expression « violence religieuse ». À cet égard, les Études Culturelles, par leur définition et leurs identités mêmes, offrent un espace de réflexion qui permet de ne pas censurer les mots « connotés », mais au contraire de les mettre aux cœurs des débats. Enfin, dernière remarque, grâce à cette séance, et à ce séminaire, j’ai réalisé que non seulement la recherche est un métier mais que c’est également, et surtout, un choix de vie ! ___________________________
13 Invitée : Laura CAPPELLE Compte rendu par Manon Filhol Présentation Laura Cappelle est journaliste et chercheuse dans le domaine de la danse et de la sociologie. Elle est actuellement inscrite en 4ème année de thèse, à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, au sein de l’école doctorale Arts et Médias. C’est avec grand plaisir que nous l’avons accueillie lors de la séance du Lundi 22 février 2016, malgré son emploi de temps très chargé : une disponibilité dont nous la remercions sincèrement. Ses recherches portent sur les nouveaux ballets en danse classique, et sa thèse est dirigée par le Professeur Bruno Péquignot (Université Paris 3). Par ailleurs, elle enseigne à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, en tant qu'Attachée Temporaire d'Enseignement et de Recherche en sociologie (ATER). Elle écrit de nombreux articles et critiques de danse et de théâtre, notamment pour le Financial Times, la presse magazine et les nouveaux médias. Ses compétences plurilingues lui permettent de travailler en anglais pour Pointe Magazine, Dance Magazine, Dance Europe, Dance International et Dancing Times. En 2008 elle contribue également à la traduction française de Prémices du geste dansant, un livre de Roger Tully, pour l’édition Gremese. En 2015, elle est consultante sur le documentaire Rudolf Nureyev : Dance to Freedom (BBC). De plus, elle anime régulièrement des rencontres, notamment pour Les Ballets de Monte-Carlo. Le parcours Laura Cappelle débute sa présentation en se situant par rapport à sa thèse. En premier lieu, ce n’est pas comme on pourrait le supposer une Licence de sociologie qu’elle obtient, mais une Licence en lettres modernes, à l’École Nationale Supérieure de Lyon. Lors de son exposé, elle précise le fonctionnement de cette ENS. En effet, les études y sont financées en échange de dix ans de travail au service de la fonction publique. Une fois sa licence terminée, Laura se lance dans la suite du parcours universitaire, notamment dans un Master où elle effectue une étude comparée de trois critiques de danse. Se pose alors le problème de « comment aborder la danse » par le biais du texte. Elle souhaite en effet trouver une méthodologie scientifiquement vérifiable qui
14 permette de parler de la danse sans intermédiaire. Visant à ouvrir sa recherche à de nouveaux horizons et à se doter de nouveaux outils, elle fait alors un Master en Culture Européenne, à Londres. À son retour à Lyon, elle rencontre Christine Détrez, professeure de sociologie à l’ENS, et entame un Master de sociologie. Bruno Péquignot, sociologue des arts, accepte ensuite de diriger sa thèse, pour laquelle elle bénéficie d’un contrat doctoral de l’ENS. Elle conseille d’ailleurs de toujours choisir le directeur de thèse par rapport à sa propre méthode de travail, à ses demandes et à ses attentes. Dans son cas, par exemple, le choix est justifié en raison de l’approche sociologique qu’elle a en amont mise en place. Il convient encore de rappeler que, durant la rédaction de sa thèse et depuis l’obtention de son master, Laura Cappelle développe une carrière de journaliste. La Thèse Aujourd’hui Laura Cappelle entame sa 4° année de thèse. Les terrains qu’elle a sélectionnés ont été effectués. En ce moment et en vue de la rédaction, elle débute la phase d’analyse des données. Elle a notamment travaillé avec Jean-Guillaume Bart sur la création de son ballet La Source, ainsi qu’ avec Jean-Christophe Maillot et Annabelle Lopez Ochoa. Une difficulté reste : adopter un regard de chercheuse et non pas de journaliste. Dans le cadre de son intégration au sein de ces compagnies, Laura Cappelle a souhaité observer ce processus de création en danse classique qu’il est si difficile de saisir sans passer par les coulisses. En effet, les compagnies dites « de répertoire » dansent au quotidien et devant un large public des ballets déjà existants. C’est dire que la chorégraphie de ces ballets implique plus une répétition de l’existant que véritablement une création, novatrice, et que les formes de l’improvisation y sont très réduites par rapport à d’autres types de danse. Le processus de transmission est primordial pour ces compagnies classiques. Les danseurs travaillent souvent uniquement avec des maîtres de ballet et non avec les chorégraphes, ceux-ci étant souvent décédés. Selon Bernard Lahire, le travail artistique n’est pas le résultat d’un génie, mais le résultat d’un travail entre personnes qui se retrouvent dans un studio et qui essaient de créer à l’intérieur d’une relation sociale. Laura Cappelle insiste sur le fait qu’aucune chorégraphie ne peut exister sans les conditions sociales dans lesquelles elle prend forme, s’effectue et se réalise (de la relation des corps lors d’une danse à la prise de décision en ce qui concerne les costumes). Les chorégraphes sont ainsi influencés notamment par les interprètes ; parfois, ce sont ces derniers qui créent les mouvements. Les maîtres de ballet ont par ailleurs pour tâche d’enregistrer la chorégraphie afin d’être capables de la reproduire. Puisque la danse est une activité sociale, des intervenants dialoguent avec les artistes et la contribution des danseurs est primordiale. De même, le rôle du pianiste peut être important en studio. On peut aussi noter que les chorégraphes classiques ont généralement été danseurs, et ont eux-mêmes dansé le répertoire classique. Laura Capelle souligne donc un glissement de statut entre danseur et chorégraphe. L’histoire de cette transition dans les statuts montre qu’il n’y a pas de formation structurée pour être chorégraphe. En général, il s’agit d’un ancien danseur qui change de fonction et dans le même temps
15 garde en lui ses capacités initiales, si bien que sa création s’inscrit dans cette mémoire corporelle forgée à partir de sa propre expérience. Il faut également compter avec les répétiteurs qui ont une implication forte sur le plan chorégraphique. En fin de compte, on saisit clairement qu’une des visées de la thèse de Laura Cappelle est de mettre au jour les processus qui, aujourd’hui permettent - voire favorisent - la création d’un ballet classique. Et les enjeux du débat semblent se situer au niveau de l’inscription sociale dudit ballet. Les Recherches Outre la délimitation de son champ de recherche, Laura Cappelle doit aussi faire face à la constitution de son corpus de ballets, ses terrains. Elle décide de choisir des compagnies géographiquement éloignées afin de pouvoir comparer les créations sous un angle également culturel. Elle s’arrête donc sur quatre institutions : l’Opéra de Paris, le Ballet du Bolchoï (Moscou), le New York City Ballet et l’English National Ballet. Et c’est ainsi que pour observer de façon adéquate le ballet du Bolchoï à Moscou, elle va, entre autres, apprendre le russe. Les terrains élus composent un exemple d’échantillon international, dans le sens où ils appartiennent à ce que Howard Becker nomme un « réseau de coopération » (Les mondes de l’art). Le monde de la danse classique fonctionne à un niveau international, il reste homogène en termes de formation (professionnelle et préprofessionnelle). Les danseurs et chorégraphes se déplacent cependant entre les différentes écoles, quoique plus en Angleterre et aux États-Unis qu’en Russie ou en France. Mais si une grande échelle de coopération existe, la mixité culturelle n’est pas toujours présente. Les enquêtes vont partir des terrains, de ces grandes compagnies classiques. La recherche de Laura Cappelle est exceptionnelle, elle ne peut s’appuyer sur des précédents qui n’existent pas et par ailleurs nécessite des bases quantitatives : il faut donc mettre en place une base de données fiable qui puisse donner lieu à d’autres développements. Les informations récoltées seront croisées avec celles obtenues lors des entretiens avec les danseurs, les chorégraphes, les maitres de ballet. Les observations sont faites pendant les répétitions auxquelles Laura assiste, de la manière la moins intrusive possible. Elle souligne combien elle est consciente de la chance que lui donne cet accès au travail en train de se faire, dans sa dimension spontanée et réfléchie à la fois : cette stratégie lui permet de ne pas être cantonnée exclusivement au seul résultat final, celui qui est présenté aux publics dans sa version ultime. Le rapport à la thèse : conclusion Laura Cappelle a une double posture de journaliste et chercheuse, on l’a dit, elle articule ainsi deux types de compétences tout en ne les confondant pas, et de la sorte construit un regard que l’on peut qualifier de complet sur l’actualité en danse. Elle le précise, il n’est pas légitime de parler de danse sans fréquenter les lieux où celle-ci se donne. Ses
16 critiques de spectacles dans la presse, plus immédiates que les textes de recherche, lui amènent une satisfaction quotidienne et de surcroît enrichissent sa réflexion personnelle. L’article de recherche, lui, exige au contraire un long travail d’élaboration et d’écriture, et parfois n’est publié qu’une ou deux années après avoir été rédigé. Le rapport du chercheur à sa thèse se réalise donc sur le long terme. C’est pourquoi d’après notre invitée, il est préférable de ne pas s’engager dans cette entreprise sans financement. Laura envisage plutôt la thèse comme un travail, un métier. Les statuts du chercheur se déclinent au pluriel : il est à la fois doctorant, étudiant et chercheur, mais aussi parfois enseignant. La thèse en soi n’est pas forcément un moment de vie très confortable. En fin de texte, nous n’oublierons pas de préciser que Laura Capelle a elle-même une pratique amateur de la danse : ceci explique cela, et aide à comprendre sa sensibilité et la finesse de ses remarques concernant les mouvements des corps qu’elle observe, de la répétition à l’interprétation personnalisée des danseurs. Nous la remercions à nouveau, ici, d’avoir participé à la Rencontre et d’avoir répondu à toutes nos questions. _________________________
17 Invitée Filipa CRUZ Compte rendu par Sofia Mavrogianni Filipa Cruz, en fin de doctorat à l’Université de Porto au Portugal, a préparé et soutenu sa thèse en Février dernier. Le titre en est : Tout ce que je voulais te dire : L’indéfinition, l’illisibilité, l’invisibilité et l’insuffisance du langage dans la pratique artistique, sous la direction de Messieurs Pedro Francisco Fernandes da Silva Maia et Bernardo Alberto Frey Pinto de Almeida, professeurs de l’Université de Porto, spécialité Arts Plastiques / UFR Beaux-Arts Paris. Son projet de recherche est une tentative d'analyser la multiplication, la dissolution et le caractère non défini du sujet artistique ainsi que les possibles relations établies entre les Arts plastiques et la Littérature. Filipa a obtenu sa licence à l’Ecole des Beaux-Arts à l’Université de Porto, en collaboration avec le Diplôme Nationale des Arts Plastiques de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Parallèlement à sa recherche, Filipa a effectué un Master 1 en Esthétique à Paris 1 – Panthéon Sorbonne et parallèlement elle a continué son travail artistique. Elle a travaillé aussi sur plusieurs projets artistiques. Les derniers sont l’Espace des Arts sans Frontières à Paris, de 2014 jusqu’à aujourd’hui, où elle participe à titre de collaboratrice, et l’exposition Air de Chine et La figure dans tous ses états, dans le même Espace des Arts sans Frontières, où elle est intervenue en tant que curatrice en 2015. Présentation et structure de la thèse La thèse de Filipa n’est pas un projet de recherche qu’on peut définir comme étant conventionnel, puisqu’elle constitue un travail autant théorique que pratique, c’est-à- dire artistique. La chercheuse a approfondi le lien entre les arts plastiques et la littérature en analysant le travail d’un certain nombre d’artistes modernes et contemporains, ainsi que sa propre pratique artistique. L’enjeu essentiel a consisté à prendre en compte son propre travail en l’intégrant au corpus étudié, de sorte à le traiter et en faire un traitement le plus objectivement possible. Par ailleurs, on constate que Filipa, elle-même artiste, affronte son sujet de manière assez poétique en lui conférant une double essence, à la fois métaphorique et figurative. Dans la première partie de la thèse, Filipa aborde la problématique du sens inhérent au sujet et la difficulté à s’en saisir en raison de ce qu’elle nomme sa « dissolution et indéfinition ». Selon la chercheuse, l’artiste est toujours conduit à « un univers autoréférentiel et autofictionnel », créant ainsi une distinction entre le Moi, l’artiste, et le Toi, le spectateur. La chercheuse a mis au jour certaines questions par rapport à cette relation intersubjective. Elles sont liées à l’obscurité du langage et à l’usage des pronoms personnels : « Qui écrit? Qui est l'auteur? Qui est le personnage? Qui occupe les pronoms? Pourquoi est-ce qu'on s'inscrit tous dans les mêmes mots? Suis-je un je
18 différent du je que tu es? Quand tu me lis, est-ce que tu me lis ou tu me lis par ta voix privée? » La deuxième partie porte sur la question du langage en tant qu’œuvre artistique : son évolution, ses valeurs tactiles, cinesthésiques, sensorielles et son expansion dans l'espace. La doctorante part de l’hypothèse que le langage logico-verbal est incapable de tout cataloguer et de tout contrôler ; et en conséquence parle de l’effort artistique comme n’étant qu’une approximation, comme n’ayant jamais la capacité de communiquer les intentions exactes du créateur. La troisième partie concerne le projet artistique personnel. En passant par les étapes précédentes, le général, Filipa se dirige à l’expérimentation et à la confrontation avec soi-même. La question de la non-traduction et de l'insuffisance du langage qui découle de l'immatérialité et de l'éphémère du discours fait partie de la problématisation par rapport à la présence du texte dans les arts plastiques. Tout ce que je voulais te dire établit, effectivement, une connexion entre le visible et l'invisible, l’objectif et le subjectif puisqu’il s’appuie sur l’hypothèse que l’artiste est toujours « un autre » qui se présente mais qui reste aussi occulté, éloigné, étrange. Méthode de la recherche La chercheuse aborde plusieurs méthodologies empruntées à des domaines différents. Le croisement de la littérature et des arts plastiques constitue un facteur déterminant dans le processus du choix de son corpus puisque son travail se concentre sur ce qu’elle appelle un « nouveau terrain hybride », dans lequel l’auto-narration est une composante importante. En effet, Filipa a cherché à présenter son sujet comme étant dynamique et en relation avec plusieurs facteurs et notions. Dans ce cadre, elle distingue « le moteur interne (qui nous mène à l'écriture poétique) et le moteur externe (la composante sensible du langage dans laquelle les notions comme temps, espace, rythme, intonation, tonalité et texture sont décisives) ». Dans un registre qui cherche à mettre en relation la philosophie de l'art, l’esthétique, les arts plastiques, la littérature et la production personnelle, la chercheuse vise à déconstruire ce qu’elle appelle « la poétique de l'indéfinition ». La pratique de l'atelier qui oscille entre la réflexion, la production du texte et l'exécution de l’œuvre, s’inscrit dans une série d’activités inhérentes à la pratique artistique et qui mérite notre attention. Pour Filipa, l’artiste n’est pas seulement créateur mais le voix-corps qui véhicule le sens par le langage et la communication. La déconstruction de l’usage des différents pronoms personnels et l’analyse des personnages fictifs sont indissociables de l’expérience solide et unique du personnage-auteur, en tant que personnage-narrateur. Dans le but de mettre l’accent sur la distinction entre l’auteur et autrui, Filipa s’appuie sur des philosophes comme Emmanuel Levinas, selon qui l'inévitabilité de la différence réside dans la relation du « Je » et d’autrui. Effectivement, le « Moi » n’est qu’un terme relatif, liquide, qui peut se transformer en « vous », en « nous », en « tu », suivant le point de vue du sujet-référent qui se positionne dans l'espace et qui parle à partir de son propre regard. Même si le « moi » du créateur
19 est toujours présent dans l’œuvre, la chercheuse reconnaît dans la production artistique personnelle un travail vers l’ « a-spatialité », une indéfinition constante qui permet à l’œuvre d’être perçue comme quelque chose d’universel constituant « une métaphore pour l'humanité ». Ainsi, comme on l’a déjà souligné, la chercheuse et artiste effectue un travail créatif et original qui se situe aux confins de ces deux domaines qu’elle explore, la philosophie de l’art et la création artistique. De ce fait elle parvient à inventer une osmose de la théorie et de la pratique. Même si l’approche de Filipa est pour une grande partie d’ordre philosophique, son travail présente un grand intérêt pour les Études Culturelles. En effet, en présentant son propre parcours artistique et en mettant en évidence l’intersubjectivité du discours artistique, la jeune chercheuse reconnaît la difficulté de comprendre une expérience qui n’est pas la sienne. Tandis qu’elle explore l’œuvre des artistes qui ont marqué sa pensée concernant le rôle contradictoire du langage, Filipa s’appuie sur sa propre démarche pour tirer des conclusions qui sont éventuellement plus fiables, en tant que personnelles. Ainsi, en s’identifiant comme jeune artiste qui travaille autant à Porto qu’à Paris et étant elle-même bilingue, la chercheuse est inévitablement influencée par le croisement culturel et l’écart linguistique omniprésents dans son interaction sociale et dans ses relations professionnelles. Étant moi même également une étrangère en France, venue de Grèce et bercée entre cultures orientale et occidentale, je ne peux m’empêcher de me demander comment mon décentrement culturel m’influence au niveau sémiotique. L’indéfinition et le flottement du sens deviennent, pour les étrangers dont moi, un élément constituant de la communication, modifiant ainsi l’ensemble de nos pratiques discursives. Selon Michel Foucault, la formation discursive dérive d’une série de relations qui conditionnent nos pratiques et qui peuvent être internes (la mise en relation des énoncés) ou externes (la coexistence des institutions, techniques, groupes sociaux etc.) du langage4. La thèse de Filipa ne contribue pas seulement à la mise au jour de cet écart linguistique et culturel mais démontre l’importance de l’image dans la construction du sens. En effet, l’usage des images n’est pas simplement complémentaire mais indispensable à la compréhension des concepts qui n’appartiennent pas à notre propre cadre d’expérience. Par conséquent, la longue tradition idéaliste d’un « art pour l’art », qui prive de qualités utilitaires l’expérience esthétique, n’est plus pertinente. Puisque la prépondérance picturale de l’époque facilite notre expression et notre communication, et change nos pratiques et habitudes, on ne peut que reconnaître la causalité qui régit ce processus qui relie les causes, les moyens de communication aux effets, les pratiques discursives. Autrement dit, de nouveaux dispositifs de communication signifient un nouvel univers sémiotique puisque la construction du sens est indissociable du langage employé. _______________________ 4 FOUCAULT, Michel. L’archéologie du savoir. Paris : Gallimard, 1969, p. 100-103.
20 Invitée : Marion COVILLE Compte-rendu par par Vivien Richou-Bac C’est après un Master recherche Études culturelles, et un Master professionnel Sciences et Techniques de l’Exposition, à Paris 1, que Marion Coville s’est engagée dans une thèse, désormais sur le point d’être achevée ; en effet, après un travail de quatre ans sa soutenance ne saurait tarder. Son insertion dans le milieu de la recherche est indéniable : elle est membre du comité éditorial de la revue en sciences humaines Poli, politique de l’image ; elle est intervenue dans un bon nombre de tables rondes et auprès de médias pour des reportages concernant ses domaines de recherche, qui relèvent du genre et du jeu vidéo. Elle est également affiliée à l’institut ACTE (structure de recherche en Art, Créations, Théories et Esthétique), et travaille comme ingénieure d’étude pour Paris 7. Dans le séminaire, nous avons surtout mis l’accent sur ce qui relève de « l’après-thèse », et Marion a bien insisté sur le fait que l’enseignement n’est pas un but exclusif qu’elle se fixerait, s’intéressant également au métier d’ingénieure de recherche. En effet, les places de maîtres et maîtresse de conférence, sont très « chères » et rares, il est donc rassurant de savoir qu’existent d’autres ouvertures et voies professionnelles possibles. Dans le cadre de sa thèse, Marion Coville s’intéresse aux expositions de jeux vidéo qui ont lieu dans des institutions muséales. Dans celles-ci, des jeux vidéo issus du commerce sont mis à disposition des publics. En d’autres termes, cela signifie que des supports de jeu sont détournés de leur cadre d’usage initial, domestique et privé. Ils sont ensuite adaptés, et parfois modifiés, pour intégrer le cadre de l’exposition muséale. Marion étudie une exposition pour laquelle l’équipe en charge du projet a créé ses propres installations interactives, à partir de technologies issues du jeu vidéo. À travers cette étude de cas, elle cherche à décrire les acteurs et les opérations qui contribuent à ce « déplacement » du jeu vidéo. Pour répondre à ce problème, Marion s’est immiscée durant un an et demi dans l’organisation d’une exposition dans un centre sciences, afin de suivre d’une part la conception et la production du projet et, d’autre part, les usages des visiteurs dans l’exposition. Pour cela, elle adopte une approche ethnographique et s’intéresse aux champs de la sociologie des sciences et techniques et de la sociologie des usages. Sa thèse se divise en trois parties, la première porte sur les conditions de possibilité de l’entrée du jeu vidéo au musée. La seconde sur la conception de l'exposition qu'elle étudie et des installations interactives. Enfin, la dernière partie porte sur les usages et la réception de l’exposition et de ses dispositifs par les publics.
21 Marion s’est notamment intéressée à la manière dont étaient représentés les visiteu.r.se.s tout au long de la conception de l’exposition. On remarque par exemple que l’image récurrente d’un « visiteur qui ne lit pas » conduit à réduire les informations textuelles disponibles dans l’exposition, au profit de dispositifs censés « parler d’eux- mêmes ». De plus elle constate que des rapports sociaux de genre parcourent tout autant la conception de l’exposition que les visites et les usages du public. Visiteuses ou employées, les femmes se voient en effet souvent refuser l’attribution de compétences techniques, ce qui contribue à genrer au féminin la représentation du « visiteur néophyte » et à les exclure de certains domaines d’activité. Son travail a pu aussi mettre en évidence le fait que les usages de l’exposition et les significations qu’endossent les visiteurs varient fondamentalement selon les relations qu’entretiennent les individus entre eux. La configuration familiale, amicale, ou conjugale, rend compte des dimensions sociales et collectives de la réception d’une exposition. Par exemple, en observant la visite et les usages des familles et grâce aux entretiens menés avec les visiteurs, on peut comprendre comment les adultes conçoivent et construisent leur rôle de parent, et ainsi comment ils se situent par rapport à la pratique vidéoludique de leurs enfants. Enfin, elle s’intéresse également à l’environnement matériel de l’exposition et à ses spécificités. En effet, il s’agit d’un espace public, dans lequel se côtoient des visiteurs proches et des inconnus. Certains éléments de l’exposition (marquages au sol, par exemple), contribuent aussi à matérialiser le regard des professionnels qui ont conçu l’exposition. Enfin, cette exposition est conçue de manière à mettre en scène les corps des visiteurs en train d’agir. Or, la manipulation de ces objets engage des compétences, inégalement réparties entre les visiteu.r.se.s et suscite des jugements. L'exposition serait « un théâtre des habiletés techniques ». Marion s’est intéressée à la dimension corporelle des activités des visiteu.r..se.s et à ce qu’implique cette mise en visibilité pour leur action. Elle montre que, par ces usages, les visiteu.r.se.s expriment aussi ce qu'ils pensent être leur rôle en que public d'une telle exposition. Pour les publics en attente d’une activité participative pour le plaisir d’« être ensemble », dans un lieu qu’ils estiment ludique, il s’agit de jouer et de s’amuser, alors que d’autres soulignent leur identité de joueur dans une visite permettant l’évaluation de contenus relatifs à leur propre pratique. ________________
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