Camille au Jardin des sens - Par Julie Boudreau

La page est créée Jocelyne Vasseur
 
CONTINUER À LIRE
Camille au Jardin des sens - Par Julie Boudreau
Camille
au Jardin des Sens

       Par Julie Boudreau
Camille au Jardin des sens - Par Julie Boudreau
Voici l’histoire d’un jardin qui,
       pour Camille sa propriétaire,
       devient un paradis

Il a plu toute la nuit. Il était temps. Le jardin de Camille en avait bien besoin. Ce matin, elle est
seule. Avec son jardin. Les enfants sont partis visiter la grand-mère et Colin doit faire quelques
travaux sur la voiture. Une tisane de camomille à la main, elle sort, pieds nus, pour faire ce
que tous les jardiniers du monde se plaisent à faire en ces moments de grande tranquillité: la
tournée du jardin. Toutefois, elle y aspire différemment, avec, disons, un peu plus de sensua-
lité.

Elle hume son breuvage chaud, un plein sourire aux lèvres, se rappelant que la camomille provient
de son propre jardin. Puis, elle prend une grande inspiration. L’air est frais. Elle capte toutes ces bon-
nes odeurs si particulières aux lendemains de pluie. Quelques oiseaux chantent le retour du soleil du
matin. Un cardinal appelle à l’amour, puis un troglodyte familier lance son habituel pirloui, à la
fois complexe et mélodieux. Elle ne l’a jamais vu, il ne vient pas aux mangeoires, mais elle sait le
reconnaître au son.

Aujourd’hui, Camille s’apprête à vivre une expérience unique. Ce sera pourtant
le même jardin, celui dont elle a si bien pris soin depuis des années. Mais aujourd’hui, ce sera
différent. Ce doit être ce petit sondage qu’elle a lu dans sa revue de jardinage préférée qui lui a
donné l’envie, ce matin, de « vivre » son jardin. On y disait que 93 % des gens interrogés croient
qu’un jardin doit combler tous les sens, pas seulement la vue. Lui aurait-on posé la question qu’elle
aurait répondu de même, presque automatiquement. Mais à quel point son jardin est-il plein de
sens ? Cela, elle ne le savait pas trop.

D’un mouvement lent, presque cérémonial, elle pose un pied sur la pelouse. Le gazon mouillé
lui glisse entre les orteils. Camille jette un premier regard sur l’ensemble du jardin. Elle voit le
potager, qui, bientôt, sera dominé par les tournesols. Elle voit aussi son petit jardin d’eau, puis en-
core plus à gauche, les jardins de vivaces et le petit sous-bois. Elle décide d’aller d’abord du côté du
potager afin de vérifier s’il              n’y aurait pas quelques tomates cerises à croquer au vol.

                                            Elle longe l’allée de fines herbes qui borde le potager tout
                                            en étirant la main. Du bout des doigts, elle chatouille les
                                            différents feuillages, afin qu’ils libèrent leurs arômes
                                             respectifs. Marjolaine, estragon, français, lavande,
                                             basilic, romarin. Elle passe un peu plus de temps dans
                                              la sauge, laissant glisser les feuilles, à la
                                              fois douces et rugueuses, entre son pouce
                                               et son index. Elle porte les doigts à son nez. Il
                                               lui revient à l’esprit ce somptueux gâteau aux
                                               pommes et à la sauge qu’elle a confectionné
                                                l’automne dernier.
Un petit papillon blanc la sort de sa rêverie. Le voilà, ce gredin, qui virevolte au-dessus des choux.
Dans son potager, les légumes d’usage. De juteuses tomates, des concombres pour les enfants et
des petits pois pour le simple plaisir de les manger frais, sur place. Aussi, des plants de tomates
cerises, que tous les membres de la famille visitent régulièrement. C’est à qui les trouvera le pre-
mier.

Ce matin, quelle chance! Deux petites pommes d’amour affichent une couleur intéressante. Telle
une chapardeuse de nourriture, elle détache les deux baies rouges et les croque une à une.
Le goût en est sucré, légèrement acidulé. C’est si bon quand ça vient du jardin ! Elle regarde
un peu autour, histoire de voir s’il n’y aurait pas autre chose à se mettre sous la dent. Si ! Tiens,
quelques fleurs de bourrache, au goût mielleux. Puis, elle termine ce copieux repas en mâchouillant
une feuille de menthe.

Du potager, elle longe les rosiers jusqu’au jardin d’eau. Elle passe rapidement (relativement
rapidement) devant les hybrides de thé aux fleurs parfaites pour s’arrêter un instant devant le
rosier rugueux ‘Blanc Double de Coubert’. Même si le port en est moins esthétique que celui des
hybrides de thé, il les surpasse tous en parfum.

Elle quitte ensuite la pelouse pour marcher sur les pierres plates qui bordent le jar-
din d’eau, le dernier-né du jardin. Camille perçoit le bruit de l’eau de la petite cas-
cade. Combien d’heures ont-ils passé à placer les pierres, avec une précision exagérée,
jusqu’à l’obtention de la tierce parfaite. Le bruit de l’eau, assez fort pour faire taire une
certaine voisine, mais à la fois mélodieux, et propice à la détente. Elle s’installe en bordure
du bassin, sur une large pierre et laisse baigner ses pieds dans l’eau. C’est un peu froid.
Après plusieurs minutes, un poisson ose s’avancer pour observer l’étrange créature qui lui
tient compagnie dans le bassin. Camille fixe les reflets de l’eau dans la cascade, les ondes
créées par le mouvement de ses pieds. Elle s’attarde à la finition des pierres, détecte les
replis où la mousse commence à s’installer, puis pose les yeux sur un hosta qui aurait besoin
d’être protégé des limaces. Elle restera là quinze minutes, trente minutes, une heure ? Com-
ment savoir ?

Elle regarde encore le pauvre hosta. Pas aujourd’hui. Pas de truelle, pas de gants, pas de sécateur
pour la distraire de son but premier. Aujourd’hui elle se laisse atteindre. Aujourd’hui, elle est ouverte
à recevoir les bienfaits de son jardin. Très souvent, elle regarde son jardin d’une manière presque
mathématique. Elle qualifie les harmonies de couleurs, distingue les contrastes de textures et
de formes de feuillages. Elle compte les fleurs, les fruits. Mais, rarement, elle le sent, elle le
touche, elle l’entend. Aujourd’hui, elle est vulnérable, au meilleur de sa conscience.

C’est le carillon, balancé par une douce brise, qui l’invite à poursuivre. À poursuivre du regard le
vent, qui fait crépiter quelques feuilles du chêne sous lequel elle est assise. Ce vent qui berce les
miscanthus. Ce vent qui revient à elle, qui glisse sur son propre visage, qui, d’une mèche de che-
veu, la chatouille dans le cou.

Elle passe alors au jardin de vivaces et s’arrête, comme à l’habitude, devant les lis blancs. Dire
que ce grand massif aux cent fleurs ne provient que d’un seul bulbe, rapporté de chez sa tante
Florianne. Camille se rappelle, étant petite, les jours passés en compagnie d’Éléonore, sa cousine.
Toutes deux, annuellement, allaient sentir à coups de grandes respirations ces même lis, profitant
 de l’occasion pour se tacher le bout du nez de quelques grains de pollen. Un si puissant
 parfum rappelle un si doux souvenir. Il est bien vrai que les odeurs sont l’essence de la
 mémoire. Ce matin, Camille reproduit ce geste d’enfance, cette fois, en se penchant un
 peu au lieu de se mettre sur la pointe des pieds.
Puis, par curiosité, elle se met à sentir toutes les fleurs de son jardin. À sa grande surprise, elle
découvre des iris à senteur de jus de raisin et tombe en admiration devant le doux parfum de ses
hémérocalles ‘Stella de Oro’. Une autre belle qualité à ajouter à cette plante vivace fantastique.

C’est aussi parmi les vivaces qu’elle entend le bourdonnement incessant des insectes polli-
nisateurs. Un gros bourdon fébrile tente, de peine et de misère, de s’infiltrer dans une fleur
de muflier. Elle réalise combien il est facile de ne pas percevoir les sons. Combien de fois
a-t-elle entrepris des travaux de désherbage dans ces mêmes plates-bandes sans entendre
le moindre pépiement d’oiseau ou le moindre bourdonnement ?

Elle qui se croyait dans un endroit paisible et silencieux. Camille réalise que tant de choses lui
échappent, par manque d’attention. Un son de tondeuse, au loin, fait taire les insectes, mais lui
rappelle que quelqu’un d’autre travaille pendant qu’elle, se repose. Elle lève les yeux au ciel. Le
soleil continue son ascension dans un ciel sans nuages. Sa chaleur commence à se faire sentir sur
les joues de Camille. Puis, le visage et le cœur réchauffés et le nez taché de pollen, elle poursuit
sa route.

La voilà dans le sous-bois. Elle marche maintenant, sur un sentier parsemé d’aiguilles de pin
blanc. Ça sent bon les conifères. Elle se dirige à pas lents, les orteils retroussés, jusqu’au banc
qui est là, au fond, entre deux troncs de pin. Son regard se remplit de verdure et elle constate
que, même sans floraisons, ce jardin est magnifique. Elle passe sa main sur l’écorce bosselée
d’un des nombreux grands pins, puis s’éloigne du sentier pour fureter autour de la seule épi-
nette du lot. Sur le tronc, un peu de résine séchée fait aussitôt un voyage vers sa bouche. Elle
laissera bien la gomme se réchauffer et s’humecter avant de la mâcher.

Enfin elle s’assoit sur le banc de bois, dans un geste plein de coquetterie et de satisfaction. Car elle
sait. Son poids sur la chaise enclenche le mécanisme. Cachés derrière les gros hostas, des haut-
parleurs murmurent «Les quatre saisons» de Vivaldi. C’est « Le printemps ». Alors, elle ferme les
yeux. Plus d’oiseaux, plus d’insectes, plus de bruits d’eau, que la musique. Elle laisse tomber sa
main sur le côté, agitant ses doigts, au son de la musique, entre les feuilles d’un érable du Japon
à feuillage disséqué. Même l’odeur du feuillage ainsi froissé la rejoint.

Maintenant, ses orteils baignent dans le myosotis qu’elle a laissé se ressemer sous la ban-
quette. Le temps passe. C’est « L’été ». Par on ne sait quel hasard, une chenille toute poilue en-
treprend une ascension sur sa main. Voilà touchée celle qui touchait. Elle dépose la chenille sur
l’érable et doit bien admettre, avec une certaine nostalgie, que son périple au pays des sens doit
bientôt prendre fin. Mais elle reviendra.

Cette nuit, quand les enfants dormiront, elle reviendra dans ce même jardin, afin de profiter
du parfum nocturne des nicotines plantées là derrière. Après avoir écouté quelque temps le
chant des grillons, elle viendra se rasseoir sur ce banc pour finalement se laisser emporter par la
musique. Les yeux fermés, elle rêvera d’un monde merveilleux, idyllique, qui ne sera nul autre
que son propre                           jardin.

                                           Julie Boudreau,
                                           Horticultrice et journaliste horticole
Un petit test
Ce texte porte sur l’omniprésence des sens dans le jardin.
Trouvez cinq éléments qui ont stimulé chacun
des sens suivants :

a) La vue __________________________________
b) L’ouïe __________________________________
c) L’odorat ________________________________
d) Le goût _________________________________
e) Le toucher _______________________________

Réponses possibles
(car il y en a beaucoup d’autres) :
a) La vue : la papillon blanc, les roses, la mousse sur les pierres du jardin
d’eau, les vivaces, la verdure du sous-bois.
b) L’ouïe : les oiseaux, le bruit de l’eau, le bourdonnement
des insectes, la musique.
c) L’odorat : l’odeur d’après la pluie, les fines herbes, les roses, l’odeur
des conifères, le parfum des fleurs vivaces (lis, iris, hémérocalles).
d) Le goût : la tisane de camomille, les tomates
cerises, les fleurs de bourrache, la feuille de menthe, la gomme d’épinette.
e) Le toucher : le gazon mouillé, les feuillages des fines herbes, les pieds
dans l’eau, le vent qui frôle son visage, la chenille poillue.
Vous pouvez aussi lire