Centre de développement et d'innovation Sedus

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Centre de développement et d’innovation Sedus
Interview de l’architecte Jens Ludloff sur le nouveau centre

Photo : Jens Ludloff et Laura Fogarasi-Ludloff

Construire un centre de développement est une mission intéressante et peu courante pour un architecte.
En quoi le défi a-t-il consisté dans la planification de ce projet Sedus ?

Jens Ludloff : Les architectes ont heureusement de nombreuses fonctions, c’est ce qui fait le charme de notre
métier. La particularité de ce projet a été de travailler pour un maître d’ouvrage qui, en tant que développeur de
produits et fabricant d’équipements de bureau, connaissait les méthodes de travail d’un architecte et qui a accordé
une grande confiance au travail de notre bureau d’architectes.
Le concept d’espace tient compte de tous les aspects d’une production de meubles à « petite » échelle, comprenant
la phase créative, la fabrication de modèles initiaux ainsi que la production de prototypes qui sont ensuite testés en
termes de fonctionnalité et de résistance.
Notre mission a été de regrouper sous un même toit le service de développement (designers, techniciens, artisans)
et le service centralisé d’achat, tout en garantissant à l’ensemble des collaborateurs des conditions de travail
optimales.
À quoi peut donc ressembler un bâtiment dont les utilisateurs représentent les métiers les plus divers mais
travaillent à un même ouvrage ?
Un bâtiment qui doit abriter le service de développement de nouveaux produits industrialisables et regrouper les
ateliers d’usinage du bois, du plastique et de l’acier, une cabine de vernissage, un atelier de capitonnage, des
laboratoires d’essais, des salles de conférence et d’exposition ainsi que des postes de travail administratifs.
Le résultat est unique : je pense que nous avons été en mesure de créer un bâtiment qui remplit des exigences en
partie hétérogènes. Avons-nous réellement rempli notre mission ? L’avenir des prochaines générations de produits
Sedus nous le dira.

Dossier de presse concernant le centre de développement et d’innovation Sedus – Interview de Jens
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Quelles conditions ont été imposées par le maître d’ouvrage, et comment avez-vous conçu des postes de
travail répondant aux exigences de modernité ?

Jens Ludloff : L’objectif n’était pas seulement de regrouper sous un même toit toutes les personnes impliquées dans
le développement des produits. Le but était également de créer un bâtiment dont l’atmosphère soit propice à la
communication et à la concentration. C’est-à-dire de réunir des qualités qui peuvent paraître contradictoires au
premier abord.
La première question que nous nous sommes posés a été de savoir ce qui caractérise le « travail d’aujourd’hui »,
et d’identifier les moteurs du travail créatif. Après avoir proclamé pendant des années que les « nouveaux moyens
de communication » feront disparaître dans un avenir proche le poste de travail traditionnel en tant que « place
dans l’entreprise » au sens propre du terme, nous avons suivi le chemin inverse chez Sedus.
L’accès aux informations numérisées nous garantit certes une certaine indépendance et nous permet d’accomplir
certaines tâches en déplacement ou à domicile. Cependant, le développement de mobilier nécessite l’interaction de
nombreuses disciplines. Un produit ne peut mûrir que s’il fait l’objet d’un échange entre plusieurs métiers. Une
coopération étroite entre les équipes est demandée.
Il n’existe donc pas seulement un serveur vers lequel convergent toutes les informations et auquel toutes les
personnes impliquées ont accès. Ces informations doivent permettre de tirer les conclusions qui s’imposent. Les
discussions nécessaires doivent se tenir dans un lieu réel.
Ce lieu n’est pas le laboratoire anonyme dans lequel le travail se fait dans des blouses blanches. Ce n’est pas pour
rien que les délibérations importantes, que ce soit dans le monde politique ou entre particuliers, se tiennent
souvent dans des endroits spécifiques.
Pour nous, l’important était de créer des endroits chargés d’émotions ! Donc, en aucun cas un « white cube » aux
postes de travail interchangeables, mais un bâtiment comprenant des locaux d’atmosphères différentes destinés à
interpeller nos sens.

Comment êtes-vous parvenu à cette forme monolithique ? Quelle image souhaitiez-vous véhiculer ?

Jens Ludloff : Le nouveau bâtiment Sedus se trouve à proximité directe de l’entrepôt de très grande hauteur dont
la façade haute en couleurs a été conçue par le bureau d’architectes Sauerbruch Hutton, et d’un ancien « bureau
des douanes » à un seul niveau dont le toit en croupe date des années 1940. Difficile d’imaginer un contraste plus
prononcé ! Cet endroit précis marque un net changement d’échelle entre les habitations en bordure du village et la
zone industrielle. On peut dire, en exagérant un peu, que ce contexte rural met en scène une confrontation entre
une « architecture analogique » et une « architecture virtuelle ». C’est précisément à cet endroit empreint de
contradictions que nous avons choisi d’ériger un édifice dont l’aspect pratiquement immatériel dû à l’habillage

Dossier de presse concernant le centre de développement et d’innovation Sedus – Interview de Jens
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textile de la façade est compensé par la tangibilité volumétrique du bâtiment. L’édifice forme une alternance entre
le design coloré de l’entrepôt de très grande hauteur et l’architecture solide du bureau des douanes.
Le volume du bâtiment reprend certaines caractéristiques de la typologie villageoise, et le bâtiment dispose de tous
les attributs d’une maison « traditionnelle » (surfaces de toit inclinées, chéneaux, lignes de faîte, etc.), créant une
limite de transition typologique avec la zone industrielle.

Selon les effets de lumière, le bâtiment apparaît à travers l’habillage textile comme édifice solide et massif ou
comme masse aérienne immatérielle.

L’intérieur du bâtiment est soumis à de strictes géométries que seul l’escalier central arrondi vient rompre,
les couleurs sont nuancées. Où trouvez-vous votre inspiration ?

Jens Ludloff : La géométrie projette sans détour à l’intérieur le contexte urbain morcelé. Ainsi, la forme des surfaces
murales des espaces ouverts rappelle, à certains endroits, des structures villageoises. Différentes images de formes
de toitures, pignons et chéneaux viennent inconsciemment à l’esprit. La forme du toit visible à l’intérieur contribue
pour une large part à percevoir avec discernement le bureau en espace ouvert. Parallèlement, ce « décor de toiture »
semble suspendu sur une frise tout droit extraite d’un paysage réel, en opposition aux « géométries souples » des
escaliers de desserte du bâtiment.

Selon vous, quels éléments de planification sont prioritaires dans la conception d’espaces de travail ?
Comment avez-vous mis en œuvre vos objectifs ?

Jens Ludloff : Nous voyons la réalisation de l’étage administratif comme la base d’une sorte « d’observation
empirique sur le terrain » d’un monde du travail en mutation rapide. Nous avons conçu un « contexte naturel » à
l’intérieur duquel les collaborateurs de Sedus créeront une atmosphère personnelle. Toutefois, notre « tentative
expérimentale » n’est pas une carcasse sans visage que les collaborateurs doivent d’abord aménager avant d’occuper
les lieux. Nous avons conçu un lieu émotionnel qui, au vu d’un monde du travail de plus en plus nomade, continuera
à nos yeux de gagner en importance.
Une acoustique nuancée, des conditions d’éclairage optimales ainsi qu’un climat ambiant à faible part convective
ont bien entendu constitué la base de notre mise en œuvre. La spécification de l’espace avec différentes hauteurs et
profondeurs tient compte des exigences des différents processus de travail. D’une certaine manière, nous appliquons
des mesures de personnalisation à l’intérieur d’un open space, sans toutefois laisser pour compte l’aspect
communicatif d’un « bureau personnel ». Nous avons déjà utilisé un « artifice » semblable pour notre bâtiment FL à
Berlin en créant à partir d’un espace fluide plusieurs univers individuels par le simple emploi de couleurs, de trompe-
l’œil et de fausses perspectives.

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Comment décririez-vous la façon dont l’espace est perçu d’un point de vue émotionnel ? Comment le bâtiment
interpelle les sens des utilisateurs ?

Jens Ludloff : Ce qui importe ici, ce n’est pas seulement l’impression d’espace au sein du bâtiment.
L’expérience commence par l’encadrement dans l’espace géographique en bordure du village. Après avoir franchi la
façade textile légère qui enveloppe le bâtiment, la première chose qui saute aux yeux lorsque l’on pénètre dans le
hall d’entrée est l’impressionnant mur de béton bouchardé dont la surface rugueuse « usée » contraste
délibérément avec l’image extérieure du bâtiment. Le bruit de l’usinage semble résonner dans la surface rugueuse
du matériau. C’est seulement à ce moment-là que l’on se rend compte que l’on vient de pénétrer dans un bâtiment
massif et non dans une construction légère. Le cocon d’aspect léger cache un vaste et solide noyau. Derrière
l’enveloppe quasi immatérielle du bâtiment, dont l’aspect est quelque peu énigmatique, on retrouve un « monde
réel » fait de « vrais matériaux ».
Au premier abord, le plafond qui s’ouvre sur l’étage cache plus qu’il ne montre. Ce n’est qu’en gravissant les
marches de l’escalier massif le long de murs bouchardés que l’on découvre progressivement le premier étage.
En haut de l’escalier, un espace sous forme de hall s’ouvre à nos yeux, au-dessus duquel est tendu un baldaquin bleu
clair, tel un ciel artificiel. Le baldaquin semble suspendu sur les vitrages montés à fleur de la rangée de fenêtres qui
fait le tour du bâtiment. Le baldaquin est composé d’une toiture en bâtière pliée au-dessus de la diagonale du tracé
avec différentes hauteurs de gouttière. Cette construction génère à l’intérieur du bâtiment de fausses perspectives
qui allongent ou raccourcissent optiquement les sections d’espace. La teinte bleu ciel souligne la dimension
insaisissable du plafond. Le revêtement en caoutchouc rouge rend le sol très souple, ce qui apporte un net contraste
avec le revêtement en béton de l’escalier et du hall d’entrée. Cette souplesse confère à la pièce une certaine
intimité, sans remettre en question le caractère de loft du bureau en espace ouvert. L’espace muni d’un revêtement
de sol rouge mène à un palier. Une rangée de vitrages en longueur du bâtiment ouvre la vue sur les contreforts de la
vallée du Rhin. Le contraste entre le rouge terreux du revêtement de sol et le vert de la « frise paysage » souligne le
caractère de la figure d’espace. Au centre du palier se trouve un élément de construction en textile gris clair dont le
volume est difficilement appréciable, étant donné que les surfaces textiles affleurées semblent présenter
différentes profondeurs. Directement opposé à l’escalier d’entrée, l’élément de construction est presque
transparent. En franchissant les portes d’entrée, on accède à la salle de projets, par endroits haute de 7 mètres,
réservée aux expositions et aux présentations.
La salle est éclairée par la lumière du jour diffuse qui pénètre à travers un puits de lumière latéral et remplit l’espace
d’une impression quasi muséale. Pour ainsi dire au bout de cet « espace paysagé », on accède sous les combles à une
autre salle par le biais d’un escalier en colimaçon dissimulé. Cet espace sous les toits éclairé par un puits de lumière,
n’offre aucune vue et se prête donc parfaitement à la réflexion.

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Le bâtiment présente-t-il des particularités techniques et des détails de construction raffinés invisibles de
l’extérieur ?

Jens Ludloff : Comme pour un grand nombre de nos projets, certains détails ont été spécialement conçus pour cette
construction. Toutefois, ces particularités ne sont pas une fin en soi, mais sont nées de la nécessité de créer ou de
maintenir une atmosphère particulière. Par exemple les vitrages intérieurs des fenêtres à triple vitrage hautement
isolées, lesquels sont montés à fleur et confèrent au toit son caractère « flottant ».
Ou bien la construction double couche de la façade composée d’un « sous-manteau », d’une feuille sous-tendue en
couleur et d’une gaine extérieure en tissu en fibres de verre. Combinés entre eux, ces éléments forment une
nouvelle construction. Ce n’est qu’en opérant à une différenciation des couleurs au niveau des matériaux que nous
obtenons la légèreté « diffuse » voulue.

Comme pour tous les bâtiments dont nous avons réalisé la planification, nous avons mis ici en œuvre pour Sedus un
concept de basse énergie, avec refroidissement par eau de puits et récupération de la chaleur dissipée par les
machines du système à impulsions hydrauliques pour chauffer l’eau sanitaire.

Quels sont les ingrédients nécessaires pour apprécier l’architecture ?

Jens Ludloff : Savoir se laisser surprendre, ne pas avoir peur de l’inconnu, laisser ses sens s’éveiller, soulever des
questions. Dans l’idéal, un sentiment mêlé de sécurité et de tension positive.

Une question personnelle pour finir :
Comment l’architecture de votre environnement professionnel influence-t-il votre travail ?

Nous avons la chance de travailler dans des locaux que nous avons nous-mêmes conçus. L’endroit où nous
travaillons n’est pas interchangeable, mais source de notre inspiration.

Questions posées par Dorothea Scheidl-Nennemann

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