Cher Noël Noël cher Yvan Fortier - Continuité - Érudit

La page est créée Stéphane Guillaume
 
CONTINUER À LIRE
Cher Noël Noël cher Yvan Fortier - Continuité - Érudit
Document généré le 30 déc. 2021 08:47

Continuité

Cher Noël… Noël cher
Yvan Fortier

Les grands magasins : cent ans de séduction
Numéro 42, hiver 1989

URI : https://id.erudit.org/iderudit/18537ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)
Éditions Continuité

ISSN
0714-9476 (imprimé)
1923-2543 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article
Fortier, Y. (1989). Cher Noël… Noël cher. Continuité, (42), 32–35.

Tous droits réservés © Éditions Continuité, 1988                     Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
                                                                     services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
                                                                     d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
                                                                     https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

                                                                     Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
                                                                     Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
                                                                     l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
                                                                     Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                     https://www.erudit.org/fr/
Cher Noël Noël cher Yvan Fortier - Continuité - Érudit
DOSSIER

                                                          CHER NOËL...
                                                          NOËL CHER
     par Yvan Fortier                                     Déjà au siècle dernier, le temps des Fêtes avait
                                                          son corollaire: la fièvre de la consommation.

                                                             •u^.   ^-.-«SJ* ^   "» "%.».- .

         Page frontispice du Canadian Illustrated News,
     25 décembre 1875. Ce n'est pas d'hier qu'on se
     plaint du caractère commercial de Noël.

     L     a frénésie du magasinage, qui
           d'entre nous n'y succombe à l'ap-
     proche des fêtes de Noël et du Nouvel
     An? Orchestrée par ce bon vieux Père
     Noël, cette ronde de la consommation,
     qui nous semble si typique des sociétés
     modernes, a déjà ses adeptes dans le der-
     nier quart du XIX' siècle. C'est du reste
     au cours de cette période que se produit
     un glissement dans la coutume des ca-
     deaux; on tend de plus en plus, en effet, à
     substituer les cadeaux de Noël aux
     étrennes du Nouvel An, et ce, que l'on
     soit en Angleterre, aux États-Unis ou au
     Canada.
            La fête ne saurait être complète
     sans l'arbre de Noël et ses décorations.
     Cette pratique de dresser un arbre décoré                   Le cousin et mari de la reine Victo-   son ornementation des cadeaux suspen-
     est issue des pays du nord de l'Europe.              ria, le prince Albert de Saxe-Cobourg-        dus à ses branches. À ce compte, le beau
     L'arbre de Noël commence à s'intégrer à              Gotha, est celui qui contribue le plus à      sapin, c'est celui qui exhibe les plus
     la culture populaire des pays germani-               répandre la coutume du sapin de Noël          belles étrennes, les plus nombreux ca-
     ques à compter du XVI' siècle. Avec                  dès 1841. L'arbre de Noël, «the new Ger-      deaux; il est en quelque sorte un baro-
     l'émigration allemande, la coutume se                man toy», comme se plaît à l'écrire           mètre de la consommation. On le pare
     transplante en Amérique dès le XVIIIe                Charles Dickens, gagne ainsi ses lettres      également de petites bougies multico-
     siècle, et en Angleterre au début du XIX'            de noblesse. En Amérique, dans la se-         lores, comme en fait foi cette annonce
     siècle; son rayonnement demeure néan-                conde moitié du XIX' siècle, il devient       parue le 15 décembre 1865 dans un jour-
     moins très limité. Jusqu'en 1900, la «car-           bientôt le complément indispensable des       nal montréalais, et qui propose des
     rière» du sapin de Noël sera avant tout              étrennes: en effet, jusque vers 1900,         «chandelles coloriées pour arbres de Noël».
     bourgeoise.                                          l'arbre de Noël tire une bonne partie de

32   CONTIM ITK hiver 1989
Cher Noël Noël cher Yvan Fortier - Continuité - Érudit
DINER DE NOEL
                                                                                                               et de
                                                                                                       LA NOUVELLE ANNÉE.
                                                                 PRESENTS
                                                                 DE NOËL.                           FAISANS ANGLAIS
                                                                                                      C O Q S DE BRUYÈRES Écossais,
                                                          SANTA CLAUS invite tous ceux                               LIÈVRES Anglais.
           Fromage de Noël.                        que cela peut regarder de rendre bientôt
                                                   visite au No 451, rue Notre-Dame, où             Dindons Sauvages,
LE PLUS GROS FROMAGE qui ait été
                                                   l'on verra exposé pendant quelque temps                   Poulets des Prairies,
offert en vente à Montréal. Il a 11 pieds 7
                                                   un assortiment choisi de ses célèbres ca-                      Cailles et
pouces de circonférence, 18'/2 pouces de
                                                   deaux. Ils comprennent:                                             Perdrix du Canada.
largeur et pèse 1,021 livres. Maintenant
visible.                                           LIVRES IMAGÉS, Jeux de                           TRUFFES FRANÇAISES,
                     ALEX. McGibbon.               combinaison et d'amusement pour les                       POIS VERTS,
                                                   enfants, en grande variété.                                      FÈVES VERTES.
                                                   FLEURS de papier de cire.
   La Minerve, 22 décembre 1863.                                                                    Soupe aux tomates,
                                                   FRUITS et FIGURES de cire.
                                                   BOÎTES de PEINTURES pour                                  Tomates en boîtes,
MAGASINER                                          enluminures, aquarelles, et colorier les                            et blé d'Inde vert.
 A U SIÈCLE DERNIER                                photographies.
                                                                                                    Sauce de Worcester,
        Déjà, à l'époque, certains maga-           BOITES pour les Gants, les Cols et les                   Moutarde allemande,
sins se font plus attrayants pour gagner la        Bijoux, décorés par planches à                                     Chutna du Bengale.
faveur de la clientèle. Â l a f i n d e 1867, le   décalcomanie et le nouveau genre
magasin d'alimentation de William                  d'ouvrage en cuir.                                               FRUITS,
McGibbon, à Montréal, nous en fournit              CHROMOLITHOGRAPHIES                              Raisins, en boîtes élégantes,
un exemple. Pour mieux vendre ses fruits           Françaises et Anglaises.                              Raisins, en boîtes ordinaires,
 importés, ses fromages, ses viandes ou                                   JOHN M. BELL.                         Raisins, en cartons élégants.
encore les cinq cents douzaines de tartes                                                                          VINS,
aux fruits d o n t il a fait provision,               Le Pays, 22 décembre 1866.                    Vieux vin de Porto,
McGibbon annonce que «le magasin sera                                                                           Vieux Sherry,
décoré de verdure et d'ornements de Noël                                                                            Bière de toute qualité.
pendant les fêtes». Il s'agit probablement                Mais suivons, pour un instant, La-
de guirlandes de houx agrémentées de               dy Hariot Dufferin, l'épouse du gouver-              DUFRESNE & McGARITY,
fleurs séchées ou encore de fleurs de pa-          neur général en poste au Canada de 1872               Épiciers, en gros et en détail,
pier.                                              à 1878. Dans son journal intime, en date                          228, Rue Notre-Dame.
       C'est donc sans trop de surprise            du 23 décembre 1873, Lady Dufferin               24 déc. 1867.
que l'on voit ce même McGibbon, dans               écrit qu'elle s'est livrée à une «Christmas
une annonce parue en 1870, utiliser une            shopping expédition» avant de dresser, le           Le Nouveau Monde, 27 décembre 1867.
astuce publicitaire promise à un bel ave-          lendemain, son arbre de Noël. Le 24
nir: la prime. «Due Notice will be given,          décembre 1877, elle se rend en ville, à
écrit-il, of the Arrival of the Holly and          Ottawa, et fait «a quantity of Christmas                Après 1880, on n o t e certains
Mistletoe, to be given to Customers Gra-           shopping». Ce sont là, manifestement,            changements dans les habitudes des
tis». Le holly, c'est du houx, une plante à        des achats de cadeaux. Comme le veut             acheteurs. En effet, l'introduction de ce
feuilles dentées et piquantes portant des          l'usage, les cadeaux de moindre dimen-           nouveau mode de promotion qu'est le
fruits rouges; et le mistletoe est une boule       sion seront suspendus aux branches de            catalogue bouleverse la traditionnelle
de gui à feuilles oblongues et fruits blancs       l'arbre de Noël et les plus gros iront par       période de magasinage qui, jusque-là, se
que l'on suspend au plafond. La coutume            terre, au pied du sapin.                         limitait aux quelques jours précédant
veut qu'un couple se trouvant par hasard                  C'est également à quelques jours          Noël. Avec le catalogue, on peut faire
sous le gui doive s'embrasser.                     de Noël qu'on fait l'achat des victuailles.      ses achats plus longtemps à l'avance.
       Dans ces établissements du siècle           Les m a r c h a n d s des villes d o i v e n t   D'ailleurs, vers la fin du XIX' siècle, cer-
dernier, le magasinage se fait peu de jours        augmenter en conséquence le nombre de            tains magasins publient un catalogue
avant Noël. Les marchands eux-mêmes                leurs voitures de livraison. À preuve, ce        spécial de Noël. Par exemple, les cent
n'entreprennent leur battage publici-              marchand qui, en décembre 1867, aver-            vingt-deux pages du Catalogue of Xmas
taire que vers le 10 décembre. Les 21, 22,         tit ses clients d'envoyer «leurs ordres de       Goods (1897) de Henry Morgan, de
23 et 24 décembre, le nombre des ré-               bonne heure. Cependant, pour prévenir les        Montréal, regorgent de suggestions de
clames dans les journaux atteint son               désappointements, des voitures extra ont été     cadeaux pour les adultes et surtout pour
point culminant, tant pour la publicité            ajoutées à celles déjà destinées à porter les    les enfants. La section réservée à ces der-
des jouets et autres cadeaux que pour              effets à domicile ( . . . ) » (Le Nouveau        niers fait l'objet d'une illustration abon-
celle des magasins d'alimentation.                 Monde).                                          dante et variée.

                                                                                                    CONTIM ITK hiver 1989                          33
Cher Noël Noël cher Yvan Fortier - Continuité - Érudit
D É C O R S DE N O E L                         cornes d'abondance en papier et de pe-
            Les décorations de Noël que l'on        tites bonbonnières de confection mai-
     achète dans les magasins, en cette der-        son. O n découpe les cartes de souhaits
     nière partie du XIX1 siècle, sont avant        pour en faire de jolies silhouettes que l'on
     tout des fleurs: fleurs de papier, fleurs de   fixe en pendeloque au bout des branches
     cire ou fleurs séchées montées en cou-         de l'arbre. Les ornements de fabrication
     ronnes, en corbeilles, en guirlandes ou        commerciale n'apparaissent vraiment
     en bouquets. Ces ornements trouvent            qu'après 1870, et ce, chez les nantis;
     place dans les maisons, accrochés aux          Lady Dufferin, par exemple, enjolive son
     lustres ou aux cadres des miroirs, disposés    sapin de la Noël 1875 avec des boules de
     sur les tablettes des cheminées ainsi que      verre. Ces objets d'importation provien-
     sur les tables.                                nent sans doute de la région de Nurem-
            Entre 1860 et 1885 environ, les         berg, en Allemagne, où s'approvisionne-
     objets décoratifs destinés au sapin de         ra jusqu'en 1939 un marché américain en
     Noël - à l'exception des petites bougies       pleine croissance. Pour le sapin de Noël,
     d'illumination - sont pour la plupart fa-      on dispose également de décorations
                                                                                                        Catalogue of Xmas Goods du magasin Henrv
     briqués à la main par les membres de la        commerciales de fer-blanc, de carton, de        Morgan & Co. de Montréal, 1897. (Coll. R. Bilo-
     maisonnée. Ainsi orne-t-on l'arbre de          papier mâché, parmi d'autres.                   deau)

                                                                               -:>^AS|OLLS..                             HENRYMOBCANCC».
                                                                                                                        *î,   .5 MONTUCAL.

                                  ($Tps>6Jer
                                                                                            ' t e
                                                                             ] —"             \ fP

                 [je/MRr/^oRGA^ô.go
                                  (^OLO/JI/L/V^E-.

34   ((IM'IM III. hlu-i l'ill'i
LE REVERS
                                                                                                 DE L ' A B O N D A N C E
                                                                                                        La variété des aliments et des bois-
                                                                                                 sons se révèle aussi remarquable. Parmi
                                                                                                 les produits offerts alors sur le marché, on
                                                                                                 trouve beaucoup de fruits frais: oranges,
                                                         À la fin du XIX' siècle, les mar-      citrons, limes, raisins, figues, prunes...
           2F^                                   chands proposent une nouvelle panoplie
                                                 de jouets pour les filles et les garçons. À
                                                                                                 Les magasins des années 1860 proposent
                                                                                                également des fromages importés d'Eu-
                                                 ces derniers, on destine, entre autres, des    rope ou des États-Unis, sans compter
                                                 véhicules miniatures en fonte ou en fer-       ceux qui sont produits localement. En
                                                 blanc représentant des voitures de pom-        outre, la clientèle aisée peut se distinguer
                               %                 piers ou de policiers, des voitures de li-     par des achats de caviar russe ou de gi-
   ffmMr^           \7y\                         vraison ou de promenade, des trains et
                                                 des tramways. Puis s'ajoutent les jeux de
                                                 blocs, les jouets mécaniques de toutes
                                                                                                bier, surtout si celui-ci est de provenance
                                                                                                anglaise!
                                                                                                        À la même époque, on peut se
                                                 sortes, les coffres d'outils de menuiserie,    procurer aux étalages des marchands di-
                                                 les petits bateaux, les habits de militaire    vers produits préparés et vendus en
                                                 ou de pompier et les soldats de métal. Les     conserve: soupe aux tomates (une nou-
                                                 fillettes se voient offrir des poupées, dont   veauté) ou à la tortue, pâtés de foie, de
                                                 certaines sont en caoutchouc, des cuisi-       canard, de bécassine, de crevette... Les
                                                 nières de fer-blanc avec batterie de cui-      vins de Bordeaux, de Bourgogne, de Sau-
                                                 sine miniature, des services de vaisselle,     ternes, de Champagne, du Rhin, de Por-
                                                 des fers à repasser, des meubles minia-        to ou de Madère sont aussi bien repré-
                                                 tures, dont le piano droit, ainsi que tout     sentés. On pourrait encore énumérer les
                                                 le nécessaire en petit format pour la les-     liqueurs importées de France ainsi que
                                                 sive. Les jeux de société sont également       l'aie et le porter du Royaume-Uni.
                                                 nombreux; le catalogue de Noël (1897)                  Il apparaît, cependant, que Noël
       Jusqu'au début des années 1880,          de H. Morgan énumère cent trente jeux           et le temps des Fêtes sont des périodes
les cartes de souhaits sont davantage rat-      différents!                                     difficiles pour la majeure partie de la po-
tachées au jour de l'An qu'à Noël; les                   Pour les adultes, la gamme des ca-     pulation du dernier quart du XIX1' siècle.
fleurs et les paysages constituent leurs        deaux comprend, malgré des modes dif-           En effet, de 1874 à 1896, l'économie
principaux thèmes iconographiques. Ce            férentes, les mêmes présents qu'on offre       connaît une phase de ralentissement.
n'est qu'après 1880 que s'établit vérita-       encore aujourd'hui: vêtements, acces-           Chose significative, en décembre 1875,
blement l'usage de la carte de Noël dont        soires vestimentaires, bijoux, parfums et       Henri Julien dessine pour le Canadian
le sujet favori est l'enfant. Divers assorti-   nécessaires de toilette. Vient ensuite          Illustrated News un Père Noël qui quête
ments de cartes de souhaits sont offerts à      toute la série des ustensiles de table en       au lieu de donner. Plus tard, à la fin du
la clientèle par le biais des catalogues.       porcelaine, en verre ou plaqués argent.         siècle, on représentera le Père Noël en
                                                Les petits meubles, guéridons, tables de        train d'écraser les chefs de famille pour
T O U T E LA GAMME                              toilette ou sectétaires figurent parmi les      leur soutirer tout leur argent; c'est déjà
DES C A D E A U X                               cadeaux de prix, tout comme la machine          une façon de se plaindre que Noël est
       Déjà, entre 1865 et 1870, la va-         à coudre, qui s'ajoutera un peu plus tard à     décidément bien commercial.
riété des cadeaux est assez considéra-          la liste.
ble. Aux enfants, on offre des livres                   Au cours des années 1860 et 1870,
d'images, des albums à coller et à dessi-       on signale à la clientèle qu'une photogra-             Yvan Fortier est ethnologue et agent
ner, des poupées de cire, de porcelaine,        phie, celle qui est reproduite sur un sup-      de recherche en culture matérielle, histoire
de kid (chevreau) ou de toile, sans             port de porcelaine notamment, consti-           et archéologie, au Service canadien des
compter les chevaux à bascule et à res-         tue un cadeau de choix. De plus, la pho-        parcs.
sorts, les traîneaux et toboggans, les pa-      tographie tridimensionnelle étant très
tins et les vêtements. La liste pourrait        en vogue à cette époque, les stéréo-
s'allonger encore dans le registre des          grammes et les stéréoscopes enrichissent
images religieuses, des chapelets et des        bientôt l'éventail des présents. N'ou-
statuettes. Certaines annonces de jour-         blions pas la lanterne magique, ce pro-
naux de cette période mentionnent que           jecteur d'images sur verre qui viendra
les jouets sont de provenance allemande.        agrémenter les soirées familiales.

                                                                                                COVriNl ITK hiver 1989                          35
Vous pouvez aussi lire