Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
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01 / 2020 RLS RESEARCH PAPERS ON SOCIAL JUSTICE IN WEST AND CENTRAL AFRICA Les entreprises chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d’impact DR IBRAHIMA NIANG DR ALIOUNE BADARA SECK OUSMANE FAYE
LES ENTREPRISES CHINOISES AU SÉNÉGAL: CARTOGRAPHIE ET MESURES D’IMPACT DR IBRAHIMA NIANG1 DR ALIOUNE BADARA SECK2 OUSMANE FAYE 3 1 Sociologue, Directeur de l’Institut des études africaines et asiatiques au Sahel (IAASS), xalilniang@gmail.com 2 Économiste, chercheur à l’IAASS, aliounebadou7@gmail.com 3 Master en enseignement de la langue chinoise, chercheur associé à l’IAASS, manman1632@yahoo.com 3
Table des matières Résumé 9 Introduction 13 Les Entreprises Chinoises en Afrique 23 Carte des entreprises chinoises au Sénégal 27 Investissement chinois et justice sociale 61 Le Commerce entre le Sénégal et la Chine 65 Conclusion 71 Références 73 5
Liste des acronymes A.N.S.D Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie A.P.I.X Agence de Promotion des Investissements A.S.C.O.S.E.N Association des Consommateurs du Sénégal C.A.D.F Fonds de Développement Sino-africain C.D.B Banque Chinoise de Développement CHINA EXIM BANK Banque Chinoise d’Import et d’Export C.N.E.S Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal C.R.B.C China Road Bridge and Corporation F.O.C.A C Forum de Coopération Chine Afrique G.O.A.N.A Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance I.D.E Investissement Direct Etranger MOFCOM Ministère Chinois du Commerce MOFA Ministère des Affaires Étrangères MOF Ministère des Finances O.C.D.E Organisation pour la Coopération et le Développement Économique O.C.I Organisation de la Conférence Islamique O.M.C Organisation Mondiale du Commerce P.P.T.E Pays Pauvres et Très Endettés R.P.C République Populaire de Chine R.A.D.D.HO Rencontre Africaine Des Droits de L’Homme SO.NA.TEL Société Nationale de Télécommunications U.NA.CO.I.S Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal Z.TE Zhongxing Telecom 6
Liste des tableaux Tableau 1: Statuts et effectifs de « Sea Production » Tableau 2: Exportations d’arachide du Sénégal vers la Chine Tableau 3: Balance commerciale du Sénégal avec la Chine Liste des graphiques Graphique 1: Évolution du stock d’investissements chinois au Sénégal (en millions de dollars) Graphique 2: Exportations de produits agricoles du Sénégal vers la Chine Graphique 3: Volume des échanges Chine-Sénégal (en millions de dollars) Graphique 4: Évolution du Commerce Sino-Sénégalais (en milliards de FCFA) Graphique 5: Évolution des exportations du Sénégal vers la Chine (en milliards de FCFA) Graphique 6: Évolution des importations du Sénégal en provenance de la Chine (en milliards de FCFA) Liste des photos Photo 1: Tour de la BCEAO Sénégal réalisée par Henan Chine Photo 2: Une photo du pont à péage de Foundiougne en construction par le groupe Henan Chine Photo 3: Vue d’un poste à péage sur l’autoroute Ila Touba construite par CRBC Photo 4: Vue des Sphères Ministérielles de Diamniadio Photo 5: Une vue aérienne de l’autoroute Thiès Sindia construite par CWE Photo 6: L’Esplanade du grand Théâtre construite par CNQC Photo 7: Plateforme industrielle de Diamniadio Photo 8: Une vue de l’Hôpital pour enfants de Diamniadio construit par CRSG, en 2011 et en cours de transformation pour l’accueil d’une Unité mère- enfant par la même entreprise Photo 9: Le Grand Théâtre national Photo 10: L’Arène nationale de lutte de Pikine construite par Hunan N° 6 Photo 11: Inauguration de l’Usine Twyford par le président Macky Sall en janvier 2020. Photo 12: Une vue du barrage de l’Anambé du projet de l’entreprise Photo 13: Usine de peche de Tamou Photo 14: Un opérateur économique chinois posant sur la table des millions pour les besoins de la commercialisation agricole. Photo 15: Machines de décortiqueuses de graines d’arachide 7
Résumé En l’espace d’un quart de siècle, la Chine est devenue le partenaire économique le plus dynamique du continent africain. De la mise en exécution de la stratégie du Going Global à la définition d’une politique africaine de la Chine avec l’institutionnalisation du partenariat Chine-Afrique, autour du FOCAC, et la publication du livre blanc en 2006, sans oublier la nouvelle stratégie appelée la ceinture, la route (Bealt and Road). L’engagement chinois sur le continent africain se décline autour de trois dimensions : le commerce, les investissements, le financement des infrastructures avec Exim Bank of China, la politique d’aide avec une nouvelle agence dédiée China Aid. En effet, la Chine, qui fut un investisseur relativement modeste sur le continent, est devenue un partenaire économique en puissance en Afrique, détrônant les partenaires traditionnels. Et depuis le tournant du millénaire, le commerce entre l’Afrique et la Chine a augmenté d’environ 20% par an. Les investissements directs étrangers ont augmenté encore plus rapidement au cours de la dernière décennie, avec un taux de croissance annuel vertigineux de 41% 4. Au cœur de cette dynamique sans précédent en construction, se trouve une multitude d’entreprises étatiques, non étatiques œuvrant sur la quasi-totalité des pays du continent. Ces entreprises localisées dans tous les secteurs d’activités, et de tailles variables, apportent leur main-d’œuvre, un modèle de management chinois, et des investissements en capital. Elles ont été peu étudiées, exception faite d’un rapport du cabinet McKinsey qui évalue leur nombre en Afrique autour d’une dizaine de milliers, chiffre dépassant largement ceux avancés par les sources du ministère chinois du Commerce (MOFCOM), lequel demeure jusqu’ici la seule structure habilitée à donner les chiffres concernant les entreprises chinoises en Afrique. Au Sénégal, les statistiques officielles de l’Ambassade de Chine mentionnent l’existence d’une cinquantaine d’entreprises installées sur l’ensemble du territoire, depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, intervenu en 2005 5. Toutefois, il faut souligner que les entreprises chinoises installées au Sénégal dépassent largement ce nombre selon des recherches menées sur le terrain, en marge des institutions dédiées telles que l’Apix et l’ANSD. L’Apix ne mentionne que les 4 McKinsey2017. 5 Source Bureau Economique de l’Ambassade de Chine au Sénégal. 9
entreprises dont les investissements sont agréés, laissant de côté celles qui interviennent dans le cadre de la coopération ; c'est-à-dire celles qui ont fait leur entrée sur le marché sénégalais dans le cadre des grands chantiers comme le Musée des Civilisations Noires, le Grand Théâtre national, l’Arène nationale et qui ont décidé de s’installer définitivement. Ces entreprises échappent ainsi au recensement global des entreprises chinoises au Sénégal. D’autres entreprises n’intervenant pas dans les contrats de coopération et non répertoriées dans les registres de l’Apix ont été retrouvées dans cette étude. C’est ainsi que ce travail de cartographie des entreprises chinoises au Sénégal a pour ambition de montrer la place des entreprises chinoises au Sénégal en termes d’investissement, de création d’emplois, de part de marché dans leur secteur d’activité, d’impact économique et de justice sociale ; car à ce jour, il était difficile de comprendre la véritable étendue de la relation économique entre le Sénégal et la Chine en raison du manque de données. Notre travail de cartographie et de mesures d’impact des entreprises chinoises au Sénégal cherche à mesurer l’engagement chinois au Sénégal depuis son érection en partenariat stratégique global 6 et son évolution quatorze ans après le rétablissement des relations diplomatiques. Cette recherche permet d’avoir une idée globale et factuelle de la relation entre le pays du Dragon et celui du Lion bâti sur des données de terrain à l’échelle du territoire. En effet, depuis le rétablissement des relations diplomatiques, la Chine a prêté au Sénégal 1600 millions de francs CFA, loin des chiffres du China Global Investment Tracker qui estime les investissements effectués à environ 4,64 milliards de dollars 7. C’est ainsi qu’un nombre important d’interviews et de questionnaires a été fait pour saisir cette présence chinoise au Sénégal. Ainsi nous avons eu des entretiens avec des acteurs économiques sénégalais, des fonctionnaires, des employés sénégalais d’entreprises chinoises, des chefs d’entreprises chinoises pour avoir une image complète et factuelle de la relation économique entre l’Afrique et la Chine, fondée sur un nouvel ensemble de données à grande échelle : • La Chine est le deuxième partenaire commercial du Sénégal avec un volume commercial de 2,20 milliards de dollars, soit une augmentation de 158% par rapport à 2012. Cela traduit un déficit de la balance commerciale du Sénégal ; 6 Le partenariat stratégique global est le plus haut niveau de partenariat que la Chine octroie à ses partenaires les plus importants selon l’échelle de partenariat existant ces derniers et elle. 7 https://www.aei.org/china-global-investment-tracker/ 10
• Le stock d’investissement chinois cumulé entre 2000 et 2018 tourne autour de 193.015.932.971 milliards de franc CFA selon l’Apix ; • Les prêts dédiés aux programmes de constructions d’infrastructures reviennent dans leur totalité aux entreprises chinoises ; • Les entreprises chinoises ont créé à ce jour 3000 emplois permanents et autour de 2000 emplois non permanents, certaines d’ailleurs abusent des emplois permanents ; • Les entreprises chinoises travaillent pour la quasi-totalité tous les jours de la semaine selon la formule de 12 heures de travail par jour dépassant la norme nationale de 8 heures de travail par jour ; • La question de la justice sociale doit être résolument prise en compte dans les entreprises chinoises pour mieux prendre en charge les intérêts des travailleurs qui subissent des renouvellements sans arrêt de leur contrat. • La Chine stimule le développement des infrastructures. Ce qui facilite l’accès des produits africains aux marchés régionaux et internationaux. Les exportations de l’Afrique vers la Chine s’accroissent, alors que le commerce du continent avec les autres grands marchés mondiaux stagne, quand il ne régresse pas. Les importations de l’Afrique en provenance de la Chine sont plus diversifiées que ses exportations. Trois grands types de produits sont importés : machines et matériel de transport, biens manufacturés et produits de l'artisanat, améliorant ainsi la consommation locale. 11
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I. Introduction « Bonjour, une société chinoise cherche des interprètes ; un chinois cherche un interprète pour trois mois ». Il ne se passe pas une semaine sans que ce message ne soit passé plus d’une fois sur le groupe de messagerie du réseau social chinois WeChat 8, dénommé « Back 2 Galsen »9, crée par d’anciens étudiants diplômés de la Chine et rentrés au pays. Ces annonces quasi quotidiennes de recrutement d’interprètes hors des circuits officiels ajoutés aux réalisations visibles d’édifices comme le Grand Théâtre national, le Musée des Civilisations, l’Arène nationale de lutte, l’Hôpital pour enfants de Diamniadio et l’existence d’un Little China Town sur le Boulevard du Centenaire de Dakar, dénotent de l’activisme économique des ressortissants de l’Empire du Milieu et de leur intérêt pour le Sénégal depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays survenus en octobre 2005. Ce nouvel ancrage chinois au Sénégal sera symboliquement matérialisé par les visites successives des présidents chinois Hu Jintao en 2009 et de l’actuel dirigeant, Xi Jinping en 2018. Cette intense activité des entreprises chinoises traverse tout le continent avec plus d’une dizaine de milliers d’entreprises chinoises installées en Afrique, encouragées par la mise en place d’un fonds d’investissement le CadFUND, le Forum Chine Afrique et l’Initiative une « ceinture » une « route ». Le XXIe siècle est parti donc pour être le « siècle sino-africain » 10 au regard des tendances lourdes qui sont en train de se dessiner. Débarquent ainsi en Afrique de plus en plus nombreux, non seulement des marchandises chinoises, des commerçants, des capitaux et techniciens chinois, mais aussi des entrepreneurs autonomes, d’entreprises sous contrôle étatique avec leur main-d’œuvre qui réalisent des travaux à moindre coût à un rythme accéléré. Au point que les vieilles puissances perdent du terrain dans leur pré carré colonial. Ce qui fait dire à Yves Lacoste 11 : « Finie la Françafrique, bonjour la Chinafrique ! » 12. Ce néologisme s’est imposé dans le langage des chercheurs comme 8 WeChat [wiˈtʃæt] ou weixin est une application mobile de messagerie textuelle et vocale développée par le géant chinois Tencent Holdings Limited. Elle permet également les appels audio et vidéo. L'application est très populaire en Chine et comptait déjà plus d'un milliard de comptes dans le monde en mars 2019. 9 Back 2 Galsen : retour au Sénégal. 10 Gaye A., Un siècle sino-africain, Alternatives Sud, vol. 18-2011, pp177-182. 11 Yves Lacoste, géographe 12 Yves Lacoste, ́ Quand la Chine change l’ordre du monde, Hérodote n°125, La Découverte Paris, 2e trimestre 2007. 13
des médias 13 au point d’enterrer la Françafrique jusque dans son pré carré et de faire l’objet d’une myriade de productions destinées à un grand public (C. Alden : 2007, A. Gaye : 2006, S. Michel et M. Beuret : 2010), et aux milieux académiques dans des domaines aussi divers que la géopolitique (I. Taylor : 2011), les relations internationales, le développement. Les travaux des institutions comme la Banque mondiale 14 ont plus insisté sur la dimension macro-économique, notamment l’évolution des flux commerciaux, leurs impacts sur les économies africaines, leurs évolutions possibles et les mesures qui peuvent être prises afin d’améliorer les perspectives de développement en Afrique (H. Broadman 2007). D’autres études se sont focalisées sur les relations historiques entre la Chine et l’Afrique (Chan 2013, Nguyen 2009, Zhang et al.2014), tandis que certaines ont choisi de mettre l’accent sur la question des ressources naturelles africaines, particulièrement les richesses minières (Alves 2013, Rupp 2013). A côtés des relations interétatiques s’ouvre une nouvelle donne dans les relations sino- africaines au niveau des échanges commerciaux marqués par une forme de mondialisation par le bas avec la présence d’acteurs africains en Chine dans les villes de Yiwu et de Canton ( Xu 2012, 2013, Li et al. 2013, Haugen 2013b, Bodomo 2012, Matthews et Yang 2012) au point que l’on parle d’enclaves ethniques africaines en Chine avec l’existence de « Chocolate City » (Castillo R, 2014 15 ; Li Z, Lyons M, Brown A, 2012 16 ; PangChing lin, 2013), d’opérateurs économiques ou petits entrepreneurs chinois dans les villes africaines (Kernen A., Vulliet B., 2008, Laurence Marfaing et Alena Thiel 2015). Cette dynamique migratoire entre la Chine et l’Afrique a fait l’objet de publications chez un grand nombre d’auteurs (Cissé 2013, Bredeloup 2012, Bredeloup et Bertencello 2009). Le continent africain est vu par la presse internationale et les experts sous l’angle des opportunités économiques et des luttes de positionnement pour l’accaparement de ses ressources. L’Afrique est donc objectivée dans le champ du discours dominant selon un lexique qui se décline dans des termes comme domination, dépendance, proie, péril, convoitise, opportunité, menace, sanglot de l’homme noir, où l’Afrique fait figure 13 Un site internet et un magazine mensuel portent le nom de www.chinafrica.cn 14 Harry G. Broadmandir., Africansilk road, World Bank, Washington DC, 2006, 375 p. sur http://siteresources.worldbank.org/AFRICAEXT/Resources/ASR_French_Overview.pdf ,la route de la soie en Afrique. 15 Castillo, R (2014) Feeling at home in the « Chocolate City » : an exploration of place making practices and structures of belonging amongst Africans in Guangzhou, Inter-Asia Cultural Studies, 15 :2, 235- 257. 16 Li Z, Lyons M, Brown A. “China’s Chocolate City : an Ethnic Enclave in a Changing Landscape”, African Diaspora, 2012, 5 (1) : 51-72. 14
d’autruche 17, l’Inde et la Chine respectivement dragon et tigre 18. C’est pourquoi toute rupture doit être menée pour mieux saisir les enjeux de la présence chinoise en Afrique et particulièrement au Sénégal. En effet, la Chine d’hier, celle qui envoyait des médecins aux « pieds nus » pour la mission médicale et les agronomes pour les Centres de techniques agricoles, n’est pas celle d’aujourd’hui. Aujourd’hui la Chine est beaucoup plus agressive et affirmée dans sa démarche de conquête de marchés. Les Chinois investissent tous les secteurs d’activité économique allant du primaire aux services. Rien n’échappe aux investisseurs chinois du commerce aux TIC en passant par la restauration, l’hôtellerie, le tourisme, les bâtiments et travaux publics, l’agriculture, les mines, l’hydraulique rurale, le solaire, la pêche, l’énergie, le traitement des déchets plastiques etc. Les entreprises chinoises raflent les appels d’offres au point de pousser à la sortie certains géants comme Alsthom, Siemens et Eriksson en dehors du Sénégal dans les TICs, tout en grignotant le marché des entreprises nationales. Cette vaste offensive du Dragon marque un changement important dans l’approche chinoise de la diplomatie internationale. Elle matérialise la rupture annoncée par le Premier ministre chinois Zhao Ziyang qui, lors d’une tournée africaine en janvier 1983 dans onze pays africains (Algérie, Congo, Égypte, Gabon, Guinée, Kenya, Maroc, Tanzanie, Zaïre, Zambie et Zimbabwe), axa son discours sur les nouveaux principes devant articuler la politique africaine de la Chine. Le temps du commerce va primer sur celui de l’aide « Less aid more Trade » 19 avait-il souligné. Le redéploiement diplomatique de la Chine en Afrique depuis deux décennies se traduit aujourd’hui par le fait qu’elle est le partenaire le plus en vue du continent. Elle joue un rôle important de fournisseur de financements et de savoir-faire pour le continent. En effet, la structure des IDE chinois laisse souvent percevoir l'intention d'établir des relations à long terme avec les gouvernements. Cette étude braque le projecteur sur les entreprises chinoises étatiques et non étatiques présentes au Sénégal, y compris celles qui ne sont pas recensées par les statistiques officielles et les institutions chinoises. Elle s’intéresse à leurs activités en termes d’investissement, de création d’emplois, de parts de marché dans leur secteur d’activité, d’impact économique et de justice sociale. Jusque-là, en raison de 17 Adama Gaye, op cit. 18 FantuCheru, Chris Obi, 2010, The Rise of China and India in Africa, Zed Books, Londres. 19 Moins d’aide et plus d’échanges. 15
problèmes de données, il s’est avéré difficile de mesurer la véritable étendue de la relation économique entre le Sénégal et la Chine. C’est pourquoi nous ne manquerons pas de mentionner quelques travaux qui ont tenté de capter cette présence chinoise en Afrique afin de mieux étayer notre démarche. Le Sénégal ne bénéficie pas d’un traitement de faveur dans la littérature sino-africaine : est-ce une lecture tronquée de la réalité sociale qui empêche ces observateurs de mesurer à leur juste valeur les enjeux de ces investissements et de la présence chinoise? Parmi les autres questions que l’on ne peut s’empêcher de se poser concernant les relations entre la Chine et le Sénégal : quels sont les facteurs explicatifs de l’intérêt grandissant de la Chine à devenir un investisseur en puissance dans un « petit pays » de l’Afrique de l’Ouest ? Et quelles sont les retombées des investissements chinois au Sénégal ? Notre approche Notre cartographie va s’intéresser aux entreprises chinoises installées au Sénégal : quelles sont-elles ? Dans quels secteurs interviennent-elles ? Comment interagissent- elles avec la population locale ? Pourquoi cette présence suscite-t-elle autant d’interrogations dans l’exploitation des produits halieutiques et agro forestière ? Dans quelle mesure ces entreprises concluent-elles des partenariats avec les entreprises locales ? Quelle est la place de la justice sociale dans les entreprises chinoises ? Dans quelle mesure ces entreprises transfèrent-elles des technologies ? De quelles manières les investissements chinois pourraient-ils permettre au Sénégal de s’industrialiser ? Cette étude pionnière autour du thème « investissements chinois en Afrique : acteurs et impacts sur les économies » a été menée dans les secteurs où la présence chinoise est la plus remarquée. Il s’agit des secteurs des infrastructures, des mines, des espaces agricoles et forestières, de la pêche, de l’énergie, de la récupération ainsi que le commerce et les services. Cette cartographie a pour but de faire l’état des lieux de la présence chinoise au Sénégal en recensant toutes les entreprises chinoises installées au Sénégal et leur secteur d’activité respectif. Cette étude a couvert l’ensemble du territoire car les entreprises chinoises sont généralement installées dans les zones les plus reculées du pays. L’enquête a allié des entretiens individuels et un questionnaire à administrer dans les différents sites. Des articles de presse et rapports ont aussi été exploités pour les besoins de cette étude. 16
Jean Jacques Gabas et Jean Raphael Chaponnière ont dirigé un travail intitulé « Le temps de la Chine en Afrique » qui a réuni des spécialistes en économie, en géographie et en sciences politiques et qui a permis de décrire les multiples réalités des présences chinoises en Afrique subsaharienne. Pour les co-auteurs, l’heure est venue de rompre avec les clichés et les rumeurs sur l’implantation chinoise en Afrique. Cet ouvrage est basé sur des études empiriques menées en Afrique de l’Ouest, en Afrique Australe et en Afrique de l’Est ainsi que sur des missions en Chine. Ces études de terrain ont permis de mesurer la manière dont les communautés chinoises sont accueillies, vues, comprises et insérées dans les sociétés d’accueil, par les bailleurs traditionnels, les populations locales, les opérateurs économiques locaux avec un regard critique vis-à- vis des données statistiques publiées un peu partout sans aucune vérification. Partant de là, les auteurs de cet ouvrage ont essayé d’exposer les spécificités propres aux pays africains étudiés au regard de leur passé, de leurs dotations en matières premières ou de leur position géostratégique. Ils ont aussi apporté des informations clés sur trois points essentiels - les motivations des investissements chinois, leurs modalités et leurs impacts. Leur objectif a été de montrer que les manifestations de la présence chinoise en Afrique ne sont pas homogènes et qu’il ne faudrait en aucun cas extrapoler les résultats d’un ou de quelques pays à l’ensemble du continent. C’est fort de cela, ont-ils estimé, qu’il sera possible de mieux éclairer les dynamiques qui influenceront le devenir de l’Afrique subsaharienne. Serge Michel et Michel Beuret 20 dans China Safari21 vont à la rencontre des acteurs qui font la ChinAfrique, de Luanda à Dakar en passant par le Caire, Alger, Freetown, Abidjan, Brazzaville, Khartoum, avec l’intention de faire découvrir le quotidien de ces acteurs de la mondialisation par le bas en empruntant une démarche différente de celle des spécialistes en Géopolitique et Relations internationales. Cette ChinAfrique, selon Beuret 22 et Michel 23, est l’une des dernières étapes d’une mondialisation qui va intégrer définitivement le continent africain. Les auteurs ont enquêté dans quinze pays et rencontré ces nouveaux « colons » qui se comptent en centaines de milliers. Les Chinois qui sont déjà en Afrique séduisent les chefs d'État africains - parce qu'ils investissent sans parler de démocratie – ainsi que les populations - parce qu'ils 20 Michel, Serge et Beuret, Michel La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, nouvelle édition augmentée, Paris, Grasset, 2010. 21 China Safari est le titre en anglais de l’ouvrage des co-auteurs. 22 Serge Michel est correspondant en Afrique de l’Ouest pour Le Monde, prix Albert Londres en 2001, pour ses reportages en Iran. Il est l’auteur de Bondy Blog (Le Seuil, 2006). 23 Michel Beuret est chef du service étranger du magazine suisse, L’Hebdo. 17
construisent des routes et des barrages. En même temps ils découvrent à tâtons les grands espaces, l’exotisme, le rejet et l’aventure individuelle. Décrivant ces migrants qui se retrouvent tantôt héros de leur propre histoire, tantôt prédateurs, conquistadores ou samaritains, les coauteurs les crayonnent comme des populations vivant repliées sur elles-mêmes : aucun effort d’intégration dans les sociétés d’accueil, ils n’essaient pas d’apprendre la langue d’accueil et sont allergiques aux coutumes locales. Cet enfermement sur soi qui a toujours caractérisé les populations chinoises a fini de les rendre incapables de s’adapter aux autres civilisations. C’est pourquoi leurs pérégrinations en terre africaine ne les épargneront pas ; elles feront naître chez elles de nouvelles idées et les transformeront en retour. Beuret et Michel soutiennent que ces relations vont changer la Chine, l’Afrique ensuite car cette dernière, jadis tout juste bonne à recevoir l'aide humanitaire ne faisait courir plus personne sauf une Chine souhaitant alimenter ses industries en matières premières. Ainsi, l’Empire du Milieu va remettre un selle un continent « délaissé » dans la mondialisation, opérant ainsi un basculement des grands équilibres internationaux, un séisme géopolitique. Les coauteurs n’oublient pas de poser les conséquences de la présence chinoise en Afrique en avisant du danger que pourrait constituer une banalisation de la Chine après qu’elle ait incarné le rôle du partenaire providentiel et fraternel, capable de tous les miracles. Ils évoquent également la contradiction entre l’apport chinois au développement économique et l’exploitation cynique de la main d’œuvre africaine, comme en Zambie ainsi que les rivalités de pouvoir entre la Chine et les puissances traditionnelles. Mais on ne sait pas quelles seront les conséquences écologiques de ce « développement » ni comment les Africains réagiront ? Un des mérites de cet ouvrage est d’avoir démontré qu’il ne suffisait pas de quelques enquêtes de terrain, pour affirmer que le pouvoir chinois - très centralisé, pourvu de réserves financières et d'une main-d'œuvre abondante - poursuit une stratégie précise et méthodique en Afrique. Il semble un peu tôt pour l'affirmer. Car, les études menées sur le terrain démontrent bien que ce plan manque totalement de visibilité en raison de la multiplicité des actions en cours un peu partout et dans tous les secteurs dans un contexte politique interne où il est difficile de savoir qui décide de quoi. Bien des indices attestent de l'impréparation chinoise en Afrique, de maladresses et d'un mouvement assez désordonné. Un certain nombre de revers en sont déjà la conséquence. Tang Xiaoyang et Janet Eom dans « Time Perception and Industrialization : divergence and convergence of Work Ethics in Chinese enterprises in Africa » analysent le rapport 18
au travail des investisseurs chinois vis-à-vis de leurs employés africains. Partant d’une idée répandue selon laquelle les différences culturelles sont à l’origine de tensions entre ces deux groupes quant à la signification de « travail acharné », de « discipline » et de « manger de l’amertume », les deux auteurs soutiennent plutôt que les perceptions contradictoires de l’éthique du travail entre Chinois et Africains relèvent de différences dans les structures socioéconomiques. En effet selon eux, il faut chercher à comprendre les constructions sociales du temps qui accompagnent la transition d'une production précapitaliste vers celle du capitalisme industriel. La culture ne saurait être un angle d’analyse correct selon eux. Ils montrent que lorsqu'une société s'industrialise, ses notions d'éthique du travail et de perception du temps changent. Ils montrent ensuite comment l’industrialisation de la Chine a eu un impact sur les relations de travail des employeurs chinois avec leurs employés en Afrique. Pour appuyer leur démonstration, et montrer notamment comment les gestionnaires chinois changent les attitudes des travailleurs africains à travers une plus grande discipline temporelle, les auteurs ont étudié la Tanzanie et l’Éthiopie, deux pays accueillant des investissements chinois. Si ce texte présente un certain intérêt, c’est parce qu’il décrit une situation que l’on retrouve au Sénégal où, comme nous le verrons, les horaires des entreprises chinoises ne sont pas en phase avec la législation du travail au Sénégal. Un rapport du PNUD sur les zones économiques spéciales (ZES) intitulé « If Africa builds nest, will the birds come ? » a examiné les expériences des ZES en Afrique et en Chine, en se concentrant notamment sur trois pays africains - l'Ethiopie, le Nigéria et la Zambie - et deux ZES situées en Chine - celles de Shenzen et Fuzhou. Cette étude n’a pas cherché à analyser l’adéquation des ZES en tant que moyen d’industrialisation. Elle a essayé plutôt de voir comment utiliser de façon efficace ces plateformes industrielles. L’intérêt de ce papier par rapport à notre étude est qu’il identifie des limites rencontrées par certaines ZES qui pourraient être reproduites dans celle de Diamniadio, une ZES conçue notamment pour recevoir des entreprises chinoises. Le « nid » de Diamniadio a eu du mal à accueillir des « oiseaux » après sa réception nonobstant le financement de 28 milliards de FCFA de l’Etat du Sénégal pour sa construction et son aménagement par l’entreprise chinoise CGCOC. En effet, le vice- président chinois Li Yuanchao visitant le parc industriel dira : « les autorités sénégalaises doivent réfléchir à une meilleure stratégie pouvant leur permettre d’attirer 19
davantage d’entreprises au parc industriel de Diamniadio »24. Ce dernier peut attirer davantage d’entreprises si les autorités sénégalaises parviennent à faire sa promotion en se dotant d’un "cadre règlementaire intéressant" et si elles proposent "des services de grande qualité". Le vice-président chinois a également suggéré la mise en place de "mécanismes d’incitation et d’encouragement". Au cours de la dernière décennie, un certain nombre de pays africains, comme le Rwanda, le Kenya, l'Afrique du Sud et l'Éthiopie, ont adopté des lois et règlements nationaux détaillés sur l'établissement et la gestion des ZES. Bien que la performance des ZES varie d'un pays à l'autre et à l'intérieur d'un même pays, des recherches antérieures ont conclu que les ZES en Afrique n'ont, dans l'ensemble, pas été fructueuses jusqu'à présent. Un certain nombre de facteurs semblent avoir contribué à la sous-performance des ZES africaines confrontées aux défis que sont : les lacunes dans les infrastructures à l'intérieur et à l'extérieur des ZES et l’absence de planification et de bonne gestion. Pour conclure, il faut souligner que certes des emplois sont créés, mais on ne peut pas parler de transfert de technologies avec l’installation de l’entreprise chinoise C&H Garnements et les niveaux de salaire ne sont pas élevés 25. De plus, ces entreprises profitent des facilitations d’exportation vers le marché de l’Union européenne et celui des Etats Unis avec l’AGOA. Un autre important rapport du cabinet McKinsey intitulé « Dance of the Lions and Dragons: How Africa and China engaging, and how will the partnership evolve? » rassemble des informations sur plus de 100 dirigeants africains et plus de 1,000 propriétaires ou gérants d'entreprises chinoises dans huit pays africains. Selon McKinsey, des milliers d'entreprises chinoises - beaucoup plus que ce qui est officiellement compté – opèrent dans de nombreux secteurs de l'économie africaine. Près du tiers d'entre elles travaillent dans le secteur manufacturier, un quart dans les services et environ un cinquième dans le commerce, la construction et l'immobilier. Le rapport « Danse des lions et des dragons » donne un portrait détaillé de l’évolution d’une Chine qui est devenue le plus important partenaire économique de l’Afrique en seulement deux décennies. Dans le secteur manufacturier, le rapport estime que 12% de la production industrielle de l’Afrique, évaluée à quelque 500 milliards de dollars par an, est déjà gérée par des 24 Extraits du discours de Li Yuanchao, 07 mai 2017 à Diamniadio. https://www.leral.net/Video-la-visite- du-vice-president-de-la-Chine-M-Li-Yuanchao-avec-M-Mahammed-Boun-Abdallah-Dionne-le-Premier- ministre_a200307.html 25 Les ouvrières de la société de textile disent être payées entre 53000 à 60000 francs pour 12 heures de travail par jour. 20
entreprises chinoises. Dans le secteur des infrastructures, la domination des entreprises chinoises est encore plus prononcée et elles représentent près de 50% du marché de la construction sous-traité de l'Afrique. La Chine occupe désormais le troisième rang en tant que donateur et représente une opportunité de 440 milliards de dollars d’ici à 2025 de revenus pour les entreprises chinoises. Les entreprises chinoises en Afrique pourraient accélérer considérablement leur croissance. En se développant agressivement dans les secteurs existants et nouveaux, ces entreprises pourraient atteindre des revenus de 440 milliards de dollars en 2025. Selon les données de ce rapport, plusieurs millions d'emplois ont été créés par des entreprises chinoises. La moitié de ces entreprises a introduit un nouveau produit ou service, tandis qu'un tiers a introduit une nouvelle technologie. Néanmoins, McKinsey a néanmoins relevé des lacunes et des domaines dans lesquels des améliorations importantes devaient être apportées. Les recommandations incluaient la nécessité pour les entreprises chinoises de faire davantage d'efforts pour trouver des entreprises africaines manquant d’opportunités, et celle d'un leadership africain en matière de gestion. Le rapport a également abordé les cas de violations du droit du travail et le code de l'environnement. "Cela va des conditions de travail inhumaines à l'extraction illégale de ressources naturelles, y compris le bois et le poisson". Ces conclusions de McKinsey sur les violations du droit du travail ont été aussi notées dans le cadre de notre recherche avec l’emploi de mineurs, un usage abusif de travailleurs temporaires et de contrats à durée déterminée. Concernant le bois et les poissons, des navires chinois ont été épinglés sur la fraude au tonnage 26 et dans la pêche illégale 27. En Casamance l’existence d’un vaste trafic du bois rouge via la Gambie a été notée 28. Deborah Brautigam, Tang Xiaoyang, et Ying Xia, dans « What kinds of Chinese "Geese" are flying to Africa? Evidence from Chinese manufacturing firms », s’inspirent de la théorie du vol d’oies sauvages de l’économiste japonais Akamatsu29, qui démontra 26 Voir rapport Greenpeace publié en 2015 concernant Sénégal Pêche et l’arraisonnement en 2018 de chalutiers chinois en Casamance par la Marine Nationale. 27 https://www.igfm.sn/4-navires-chinois-ont-paye-6-milliards-damende-apres-leur-arraisonnement 28 La Gambie est le deuxième pays d’Afrique de l’Ouest exportateur de bois vers la Chine après le Nigeria. Entre 2010 et 2015, le montant de ses exportations de bois de rose vers la Chine était estimé à 238,5 millions de dollars. Ce qui représente une somme considérable, surtout au regard de la disparition presque totale de la forêt gambienne. Ceci semble indiquer que la majeure partie du bois exporté vers la Chine viendrait de Casamance. Une personne qu’un des auteurs de ce rapport avait interviewé en Chine en 2014 avait confirmé cette information. http://www.asianews.it/news-en/China- plundering-the-last-forests-of-Senegal-37618.html 29 Kaname Akamatsu, “A Historical Pattern of Economic Growth in Developing Countries,” The Developing Economies 1 (1962): 3-25. 21
comment le Japon, à l’époque où il voyait ses coûts de production augmenter à la suite d’un développement économique important, décida de transférer certaines entreprises et les connaissances dans certains pays asiatiques et d’Amérique latine pour se spécialiser dans les secteurs plus pointus du développement. Partant du cas des entreprises chinoises du Delta de la rivière des Perles, happées par des coûts de production élevés, de la hausse du niveau des salaires, les coauteurs partent de ces constats mais aussi du ralentissement économique chinois avec le « New Normal » et des défis de la surproduction des entreprises chinoises pour voir comment ces dernières cherchent à se positionner dans des sites où la compétition est moins rude. En effet, à la fin de l’année 2015 le gouvernement chinois a annoncé une série de mesures pour inciter les entreprises chinoises à s’installer en Afrique dans le cadre de la stratégie du « Going Global ». Ces auteurs ont ainsi cherché à démontrer comment des entreprises chinoises s’installent sur le continent en y transférant leurs modèles d’industrialisation. Ils se sont appuyés sur quatre pays principaux (Ethiopie, Ghana, Nigeria et Tanzanie). Leur travail détaille la diversité des investissements manufacturiers et les secteurs dans lesquels les compagnies chinoises sont en train d’investir. Il montre la croissance rapide des investissements des compagnies manufacturières chinoises au-delà du nombre d’investissements officiels approuvés de part (Chine) et d’autre (Afrique). Plusieurs de ces compagnies copient le modèle d’Akamatsu du « vol d’oies sauvages » avec de larges entreprises cherchant à redéployer leur unité de production comme faisant partie de réseau global de la chaîne de valeurs. Dans cette étude il a été noté trois sortes d’« oies » : les grandes oies stratégiques, à la recherche de marchés locaux ; les moyennes oies à la recherche de matières premières ; et les petites oies voyageant ensemble en troupeaux. Ces différents types d'entreprises offrent des opportunités de développement et des défis différents pour la transformation structurelle en Afrique. 22
II. Les Entreprises Chinoises en Afrique Si les entreprises chinoises ont tardé à s’implanter en Afrique, comparées aux entreprises occidentales, qui sont présentes depuis la période coloniale, aujourd’hui leur nombre démontre à suffisance leur désir de rattraper ce retard. Toutefois, pour l’histoire, il faut mentionner que dans le cadre de la politique d’accompagnement de l’industrialisation de certains Etats nouvellement indépendants, la Chine s’était engagée à des projets d’aide et d’investissement direct 30. Le Nigeria fait partie des premiers pays africains à recevoir des investissements chinois au lendemain des indépendances africaines avec la présence d’investisseurs venant de Hong Kong et de Shanghai qui plus tard vont dominer la production des sandales en plastique, matériaux de construction et de la production de l’émaillerie. Le nombre d’entreprises chinoises en Afrique a été évaluée par la UNCTAD à 230 entreprises manufacturières, entre 1979 et 2000, sur la base des sources du ministère chinois du Commerce 31. Ainsi, le Bureau Industriel du Textile de Shanghai avait installé une compagnie en Ile Maurice dénommée Hong Kong-Shanghai Textile pour profiter des opportunités d’exportation facilitées par les accords Europe ACP. L’Afrique du Sud est le pays qui a le plus accueilli d’entreprises chinoises en Afrique avec 83 entreprises dont celle qui domina le marché des télévisions Noir et Blanc de tout le pays : le Shanghai Guangdian Company. A côté, le Nigeria accueillit 33 entreprises, le Kenya 21, l’Ile Maurice 20, le Ghana 17 et la Zambie 1732. Ces investissements chinois en Afrique vont prendre une nouvelle ampleur avec le nouveau millénaire. A partir de là, la politique africaine de la Chine devient beaucoup plus offensive et ciblée. L’Ile Maurice qui est souvent agitée comme un modèle économique de développement en Afrique va accueillir une compagnie chinoise du 30 Deborah Bräutigam, “Chinese Networks as Catalysts in Sub-Saharan Africa,” 2003; Eunsuk Hong and Laixiang Sun, “Go Overseas via Direct Investment: Internationalization Strategy of Chinese Corporations in a Comparative Prism,” Working Paper. University of London: School of Oriental and African Studies, 2004; Deborah Bräutigam, “Chinese Business and African Development: ‘Flying Geese’ or ‘Hidden Dragons’?” in Daniel Large, J. Christopher Alden, and Ricardo M. S. Soares de Oliveira, eds. China Returns to Africa: A Rising Power and a Continent Embrace (New York: Columbia University Press, 2008), 51-68; Hong Song, “Chinese Private Direct Investment and Overseas Chinese Network in Africa,” China & World Economy19, no. 4 (2011): 109-126. 31 “Asian Foreign Direct Investment in Africa: Towards a New Era of Cooperation Among Developing Countries,” UNCTAD, January 2007, http://unctad.org/en/Docs/iteiia20071_en.pdf. 32 SAIS-CARI Working Paper | No. 17 | August 2018. 23
nom de Tianli, en provenance de la Province de Shanxi pour un investissement de 10 millions de dollars dans le Mauritius Pinning Mill en 2000. Le Nigeria voit l’ouverture d’une nouvelle usine de chaussures à Lagos en 2004 avec un investissement de 6 millions de dollars US. Des usines de tannerie pour l’exploitation du cuir vont s’installer en Ethiopie et en Ouganda pour un montant de 6 millions de dollars. A côté de ces entreprises manufacturières, le Sénégal va connaître la présence de deux grandes entreprises chinoises spécialisées dans la construction et le secteur de la pêche. China National Fisheries Company (CNFC), plus connu sous le nom de SENEGAL ARMEMENT ET SENEGAL PECHE (société d’armement et société de transformation) va s’installer au Sénégal en 1983 suivi une année plus tard par Henan Chine et 1983. Historique de la présence des entreprises chinoises au Sénégal C’est à partir des années 1980 que les entreprises chinoises vont historiquement commencer leurs activités, soit bien après la signature des accords diplomatiques entre les deux pays en 1971. Les pionniers du made in China ou du China Inc ont été les groupes Henan Chine devenu Henan Chico et le CNFC Sénégal Pêche et Armement ; deux entreprises qui se sont installées quasiment au même moment. L’entreprise de construction Henan-Chine est installée au Sénégal depuis 1983 pour les besoins de la construction du stade de l’Amitié. En contrepartie, le Sénégal avait octroyé à la Chine des licences de pêche. À la fin des travaux de construction du stade, l’entreprise travaillant au nom de la République populaire de Chine, décida de prendre un registre de commerce en vue de s’installer définitivement en tant que société de droit privé. Cette nouvelle orientation a fait suite à des conseils reçus des acteurs de la construction et avec l’aval de la direction mère de l’entreprise, selon Bao Fei, 33qui affirme que « C’est un choix qui a coïncidé avec la politique d’ouverture mise en place en Chine où l’on encourageait les entreprises à s’externaliser en allant chercher des marchés ailleurs dans le cadre toujours de la coopération chinoise, mais aussi à permettre aux capitaux étrangers de venir s’investir en Chine. Cette ouverture de la 33 Bao Fei, ancien directeur général de Henan Chine. Entretien effectué en 2012. 24
Chine est une inspiration de Deng Xiaoping qui voulait une réforme sociale et une politique d’ouverture et moins d’enfermement ». Henan Chine poursuivra ses activités en collaboration avec d’autres entreprises sénégalaises comme la Compagnie Sahélienne d’Entreprises (CSE) pour la réalisation de gros œuvres que sont la construction de la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS), et la tour du siège de la (BCEAO) Sénégal. L’entreprise Henan a construit aussi les locaux de l’Ambassade de Chine au Sénégal. Henan Chine exécute par ailleurs des projets sous la houlette de l’Ambassade de Chine. En même temps, elle est impliquée dans les projets privés, des projets de l’État du Sénégal tels que l’hydraulique rurale, la construction d’une centaine de forages dans le monde rural, les châteaux d’eau, et dans pratiquement tous les corps du génie rural. En deux décennies, Henan-Chine a à son actif une vingtaine d'ouvrages. Outre le stade de l'Amitié de Dakar (aujourd’hui Léopold Sédar Senghor), on peut citer entre autres ouvrages réalisés : la route élargie de Malick Sy, les ponts de Hann et de Colobane et des forages dans de nombreux villages du Sénégal. 25
Photo 1 Tour de la BCEAO Sénégal réalisée par Henan Chine Source: Bceao Outre ces deux entreprises pionnières, d’autres entreprises de type individuel et de type familial - comme des commerces et des restaurants - seront ouvertes par les ressortissants chinois du Sénégal. Bref, c’est avec le rétablissement des relations diplomatiques que les investissements chinois vont être plus conséquents particulièrement après la visite du Président Hu Jintao au Sénégal en 2009. 26
III. Carte des entreprises chinoises au Sénégal Entre 2003 et 2009, 83% des IDE en provenance de la Chine vers le continent étaient destinés à l’Afrique du sud, le Nigéria, l’Algérie, la Zambie, le Soudan, en Zambie, à l’Égypte à la République Démocratique de Congo et au Niger. La moitié de ces investissements étaient destinés à l’Afrique du Sud. Ces chiffres montrent que le Sénégal, ne faisant pas partie des partenaires privilégiés de la Chine du fait de leurs ressources minières et énergétiques importantes, doit son importance à sa position géostratégique. Le géant chinois considère Dakar comme un pôle politique et diplomatique en Afrique de l’Ouest. Il faut noter une évolution discrète de l’IDE chinois au Sénégal même durant la période où les deux pays avaient connu une rupture de leurs relations diplomatiques. Autrement dit, nonobstant la reconnaissance officielle de Taiwan par le Sénégal, Pékin n’a pas mis fin à ses relations commerciales avec Dakar et a plutôt encouragé des entreprises comme Sénégal-Pêche, Henan Chine et des privés chinois. Entre la visite du président Hu Jintao, intervenue en 2009 et celle du président Sall en Chine en 2014, nous avons noté une progression assez significative du stock des investissements chinois au Sénégal (voir graphique 1). Le changement de régime intervenu avec le départ d’Abdoulaye Wade qui avait amorcé cette diplomatie de rupture en diversifiant les partenaires du Sénégal explique un peu la baisse des stocks en 2013. Au total, entre 2012 et juin 2018, ce sont 84 projets qui ont été agréés pour des investissements de 239 milliards FCFA. Ces investissements ont connu une forte augmentation récemment, en passant de 13 milliards FCFA en 2015, à 53 milliards en 2016 et 95 milliards FCFA en 2017 34. Les investissements portent sur des secteurs variés comme la fabrication de tuyaux en PVC, l’assemblage de matériels et équipements agricoles, les prestations de services agricoles, la fabrication de jus de fruits et d’eau filtrée, la transformation de produits halieutiques, la fabrication de matériaux de construction, l’industrie métallurgique, la production d’arachides 34 Sources Apix statistiques 2018. 27
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