Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact

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Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
01 / 2020
                             RLS RESEARCH PAPERS ON   SOCIAL JUSTICE
                                           IN WEST AND CENTRAL AFRICA

                              Les entreprises
                         chinoises
                             au Sénégal

Cartographie et mesures
       d’impact

    DR IBRAHIMA NIANG
    DR ALIOUNE BADARA SECK
    OUSMANE FAYE
Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
2
Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
LES ENTREPRISES
CHINOISES
AU SÉNÉGAL:
CARTOGRAPHIE ET MESURES
D’IMPACT

DR IBRAHIMA NIANG1
DR ALIOUNE BADARA SECK2
OUSMANE FAYE 3

1
    Sociologue, Directeur de l’Institut des études africaines et
    asiatiques au Sahel (IAASS), xalilniang@gmail.com
2
    Économiste, chercheur à l’IAASS,
    aliounebadou7@gmail.com
3
    Master en enseignement de la langue chinoise, chercheur
    associé à l’IAASS, manman1632@yahoo.com

                                                                   3
Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
4
Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
Table des matières

Résumé                                       9

Introduction                                 13

Les Entreprises Chinoises en Afrique         23

Carte des entreprises chinoises au Sénégal   27

Investissement chinois et justice sociale    61

Le Commerce entre le Sénégal et la Chine     65

Conclusion                                   71

Références                                   73

                                                  5
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Liste des acronymes

A.N.S.D            Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie

A.P.I.X            Agence de Promotion des Investissements

A.S.C.O.S.E.N      Association des Consommateurs du Sénégal

C.A.D.F            Fonds de Développement Sino-africain

C.D.B              Banque Chinoise de Développement

CHINA EXIM BANK Banque Chinoise d’Import et d’Export

C.N.E.S            Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal

C.R.B.C            China Road Bridge and Corporation

F.O.C.A C          Forum de Coopération Chine Afrique

G.O.A.N.A          Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance

I.D.E              Investissement Direct Etranger

MOFCOM             Ministère Chinois du Commerce

MOFA               Ministère des Affaires Étrangères

MOF                Ministère des Finances

O.C.D.E            Organisation pour la Coopération et le Développement
                   Économique

O.C.I              Organisation de la Conférence Islamique

O.M.C              Organisation Mondiale du Commerce

P.P.T.E            Pays Pauvres et Très Endettés

R.P.C              République Populaire de Chine

R.A.D.D.HO         Rencontre Africaine Des Droits de L’Homme

SO.NA.TEL          Société Nationale de Télécommunications

U.NA.CO.I.S        Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal

Z.TE               Zhongxing Telecom

                                                                                 6
Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
Liste des tableaux
Tableau 1:    Statuts et effectifs de « Sea Production »
Tableau 2:    Exportations d’arachide du Sénégal vers la Chine
Tableau 3:    Balance commerciale du Sénégal avec la Chine

Liste des graphiques
Graphique 1: Évolution du stock d’investissements chinois au Sénégal (en
             millions de dollars)
Graphique 2: Exportations de produits agricoles du Sénégal vers la Chine
Graphique 3: Volume des échanges Chine-Sénégal (en millions de dollars)
Graphique 4: Évolution du Commerce Sino-Sénégalais (en milliards de FCFA)
Graphique 5: Évolution des exportations du Sénégal vers la Chine (en milliards
             de FCFA)
Graphique 6: Évolution des importations du Sénégal en provenance de la Chine
             (en milliards de FCFA)
Liste des photos
Photo 1: Tour de la BCEAO Sénégal réalisée par Henan Chine
Photo 2: Une photo du pont à péage de Foundiougne en construction par le
         groupe Henan Chine
Photo 3: Vue d’un poste à péage sur l’autoroute Ila Touba construite par CRBC
Photo 4: Vue des Sphères Ministérielles de Diamniadio
Photo 5: Une vue aérienne de l’autoroute Thiès Sindia construite par CWE
Photo 6: L’Esplanade du grand Théâtre construite par CNQC
Photo 7: Plateforme industrielle de Diamniadio
Photo 8: Une vue de l’Hôpital pour enfants de Diamniadio construit par CRSG,
         en 2011 et en cours de transformation pour l’accueil d’une Unité mère-
         enfant par la même entreprise
Photo 9: Le Grand Théâtre national
Photo 10: L’Arène nationale de lutte de Pikine construite par Hunan N° 6
Photo 11: Inauguration de l’Usine Twyford par le président Macky Sall en janvier
          2020.
Photo 12: Une vue du barrage de l’Anambé du projet de l’entreprise
Photo 13: Usine de peche de Tamou
Photo 14: Un opérateur économique chinois posant sur la table des millions pour
          les besoins de la commercialisation agricole.
Photo 15: Machines de décortiqueuses de graines d’arachide

                                                                              7
Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
8
Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
Résumé

En l’espace d’un quart de siècle, la Chine est devenue le partenaire économique le plus
dynamique du continent africain. De la mise en exécution de la stratégie du Going
Global à la définition d’une politique africaine de la Chine avec l’institutionnalisation du
partenariat Chine-Afrique, autour du FOCAC, et la publication du livre blanc en 2006,
sans oublier la nouvelle stratégie appelée la ceinture, la route (Bealt and Road).
L’engagement chinois sur le continent africain se décline autour de trois dimensions :
le commerce, les investissements, le financement des infrastructures avec Exim Bank
of China, la politique d’aide avec une nouvelle agence dédiée China Aid. En effet, la
Chine, qui fut un investisseur relativement modeste sur le continent, est devenue un
partenaire économique en puissance en Afrique, détrônant les partenaires
traditionnels. Et depuis le tournant du millénaire, le commerce entre l’Afrique et la
Chine a augmenté d’environ 20% par an. Les investissements directs étrangers ont
augmenté encore plus rapidement au cours de la dernière décennie, avec un taux de
croissance annuel vertigineux de 41% 4.

Au cœur de cette dynamique sans précédent en construction, se trouve une multitude
d’entreprises étatiques, non étatiques œuvrant sur la quasi-totalité des pays du
continent. Ces entreprises localisées dans tous les secteurs d’activités, et de tailles
variables, apportent leur main-d’œuvre, un modèle de management chinois, et des
investissements en capital. Elles ont été peu étudiées, exception faite d’un rapport du
cabinet McKinsey qui évalue leur nombre en Afrique autour d’une dizaine de milliers,
chiffre dépassant largement ceux avancés par les sources du ministère chinois du
Commerce (MOFCOM), lequel demeure jusqu’ici la seule structure habilitée à donner
les chiffres concernant les entreprises chinoises en Afrique.

Au Sénégal, les statistiques officielles de l’Ambassade de Chine mentionnent
l’existence d’une cinquantaine d’entreprises installées sur l’ensemble du territoire,
depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays, intervenu en
2005 5. Toutefois, il faut souligner que les entreprises chinoises installées au Sénégal
dépassent largement ce nombre selon des recherches menées sur le terrain, en marge
des institutions dédiées telles que l’Apix et l’ANSD. L’Apix ne mentionne que les

4
    McKinsey2017.
5
    Source Bureau Economique de l’Ambassade de Chine au Sénégal.

                                                                                          9
Chinoises au Sénégal Cartographie et mesures d'impact
entreprises dont les investissements sont agréés, laissant de côté celles qui
interviennent dans le cadre de la coopération ; c'est-à-dire celles qui ont fait leur entrée
sur le marché sénégalais dans le cadre des grands chantiers comme le Musée des
Civilisations Noires, le Grand Théâtre national, l’Arène nationale et qui ont décidé de
s’installer définitivement. Ces entreprises échappent ainsi au recensement global des
entreprises chinoises au Sénégal. D’autres entreprises n’intervenant pas dans les
contrats de coopération et non répertoriées dans les registres de l’Apix ont été
retrouvées dans cette étude.

C’est ainsi que ce travail de cartographie des entreprises chinoises au Sénégal a pour
ambition de montrer la place des entreprises chinoises au Sénégal en termes
d’investissement, de création d’emplois, de part de marché dans leur secteur d’activité,
d’impact économique et de justice sociale ; car à ce jour, il était difficile de comprendre
la véritable étendue de la relation économique entre le Sénégal et la Chine en raison du
manque de données. Notre travail de               cartographie et de mesures d’impact des
entreprises chinoises au Sénégal cherche à mesurer l’engagement chinois au Sénégal
depuis son érection en partenariat stratégique global 6 et son évolution quatorze ans
après le rétablissement des relations diplomatiques. Cette recherche permet d’avoir
une idée globale et factuelle de la relation entre le pays du Dragon et celui du Lion bâti
sur des données de terrain à l’échelle du territoire. En effet, depuis le rétablissement
des relations diplomatiques, la Chine a prêté au Sénégal 1600 millions de francs CFA,
loin des chiffres du China Global Investment Tracker qui estime les investissements
effectués à environ 4,64 milliards de dollars 7. C’est ainsi qu’un nombre important
d’interviews et de questionnaires a été fait pour saisir cette présence chinoise au
Sénégal. Ainsi nous avons eu des entretiens avec des acteurs économiques sénégalais,
des fonctionnaires, des employés sénégalais d’entreprises chinoises, des chefs
d’entreprises chinoises pour avoir une image complète et factuelle de la relation
économique entre l’Afrique et la Chine, fondée sur un nouvel ensemble de données à
grande échelle :

    •    La Chine est le deuxième partenaire commercial du Sénégal avec un volume
         commercial de 2,20 milliards de dollars, soit une augmentation de 158% par
         rapport à 2012. Cela traduit un déficit de la balance commerciale du Sénégal ;

6
    Le partenariat stratégique global est le plus haut niveau de partenariat que la Chine octroie à ses
    partenaires les plus importants selon l’échelle de partenariat existant ces derniers et elle.
7
    https://www.aei.org/china-global-investment-tracker/

                                                                                                   10
•   Le stock d’investissement chinois cumulé entre 2000 et 2018 tourne autour de
    193.015.932.971 milliards de franc CFA selon l’Apix ;
•   Les prêts dédiés aux programmes de constructions d’infrastructures reviennent
    dans leur totalité aux entreprises chinoises ;
•   Les entreprises chinoises ont créé à ce jour 3000 emplois permanents et autour
    de 2000 emplois non permanents, certaines d’ailleurs abusent des emplois
    permanents ;
•   Les entreprises chinoises travaillent pour la quasi-totalité tous les jours de la
    semaine selon la formule de 12 heures de travail par jour dépassant la norme
    nationale de 8 heures de travail par jour ;
•   La question de la justice sociale doit être résolument prise en compte dans les
    entreprises chinoises pour mieux prendre en charge les intérêts des travailleurs
    qui subissent des renouvellements sans arrêt de leur contrat.
•   La Chine stimule le développement des infrastructures. Ce qui facilite l’accès
    des produits africains aux marchés régionaux et internationaux. Les
    exportations de l’Afrique vers la Chine s’accroissent, alors que le commerce du
    continent avec les autres grands marchés mondiaux stagne, quand il ne
    régresse pas. Les importations de l’Afrique en provenance de la Chine sont plus
    diversifiées que ses exportations. Trois grands types de produits sont importés
    : machines et matériel de transport, biens manufacturés et produits de
    l'artisanat, améliorant ainsi la consommation locale.

                                                                                 11
12
I. Introduction

    « Bonjour, une société chinoise cherche des interprètes ; un chinois cherche un
interprète pour trois mois ». Il ne se passe pas une semaine sans que ce message ne
soit passé plus d’une fois sur le groupe de messagerie du réseau social chinois
WeChat 8, dénommé « Back 2 Galsen »9, crée par d’anciens étudiants diplômés de la
Chine et rentrés au pays. Ces annonces quasi quotidiennes de recrutement
d’interprètes hors des circuits officiels ajoutés aux réalisations visibles d’édifices
comme le Grand Théâtre national, le Musée des Civilisations, l’Arène nationale de lutte,
l’Hôpital pour enfants de Diamniadio et l’existence d’un Little China Town sur le
Boulevard du Centenaire de Dakar, dénotent de l’activisme économique des
ressortissants de l’Empire du Milieu et de leur intérêt pour le Sénégal depuis le
rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays survenus en octobre
2005. Ce nouvel ancrage chinois au Sénégal sera symboliquement matérialisé par les
visites successives des présidents chinois Hu Jintao en 2009 et de l’actuel dirigeant, Xi
Jinping en 2018. Cette intense activité des entreprises chinoises traverse tout le
continent avec plus d’une dizaine de milliers d’entreprises chinoises installées en
Afrique, encouragées par la mise en place d’un fonds d’investissement le CadFUND, le
Forum Chine Afrique et l’Initiative une « ceinture » une « route ».

Le XXIe siècle est parti donc pour être le « siècle sino-africain »                 10
                                                                                         au regard des
tendances lourdes qui sont en train de se dessiner. Débarquent ainsi en Afrique de plus
en plus nombreux, non seulement des marchandises chinoises, des commerçants, des
capitaux et techniciens chinois, mais aussi des entrepreneurs autonomes, d’entreprises
sous contrôle étatique avec leur main-d’œuvre qui réalisent des travaux à moindre coût
à un rythme accéléré. Au point que les vieilles puissances perdent du terrain dans leur
pré carré colonial. Ce qui fait dire à Yves Lacoste 11 : « Finie la Françafrique, bonjour la
Chinafrique ! » 12. Ce néologisme s’est imposé dans le langage des chercheurs comme

8
      WeChat [wiˈtʃæt] ou weixin est une application mobile de messagerie textuelle et vocale développée
      par le géant chinois Tencent Holdings Limited. Elle permet également les appels audio et vidéo.
      L'application est très populaire en Chine et comptait déjà plus d'un milliard de comptes dans le
      monde en mars 2019.
9
      Back 2 Galsen : retour au Sénégal.
10
      Gaye A., Un siècle sino-africain, Alternatives Sud, vol. 18-2011, pp177-182.
11
      Yves Lacoste, géographe
12
      Yves Lacoste, ́ Quand la Chine change l’ordre du monde, Hérodote n°125, La Découverte Paris, 2e
      trimestre 2007.

                                                                                                     13
des médias 13 au point d’enterrer la Françafrique jusque dans son pré carré et de faire
l’objet d’une myriade de productions destinées à un grand public (C. Alden : 2007, A.
Gaye : 2006, S. Michel et M. Beuret : 2010), et aux milieux académiques dans des
domaines aussi divers que la géopolitique (I. Taylor : 2011), les relations internationales,
le développement. Les travaux des institutions comme la Banque mondiale 14 ont plus
insisté sur la dimension macro-économique, notamment l’évolution des flux
commerciaux, leurs impacts sur les économies africaines, leurs évolutions possibles et
les mesures qui peuvent être prises afin d’améliorer les perspectives de développement
en Afrique (H. Broadman 2007). D’autres études se sont focalisées sur les relations
historiques entre la Chine et l’Afrique (Chan 2013, Nguyen 2009, Zhang et al.2014),
tandis que certaines ont choisi de mettre l’accent sur la question des ressources
naturelles africaines, particulièrement les richesses minières (Alves 2013, Rupp 2013).
A côtés des relations interétatiques s’ouvre une nouvelle donne dans les relations sino-
africaines au niveau des échanges commerciaux marqués par une forme de
mondialisation par le bas avec la présence d’acteurs africains en Chine dans les villes
de Yiwu et de Canton ( Xu 2012, 2013, Li et al. 2013, Haugen 2013b, Bodomo 2012,
Matthews et Yang 2012) au point que l’on parle d’enclaves ethniques africaines en
Chine avec l’existence de « Chocolate City » (Castillo R, 2014 15 ; Li Z, Lyons M, Brown
A, 2012 16 ; PangChing lin, 2013), d’opérateurs économiques ou petits entrepreneurs
chinois dans les villes africaines (Kernen A., Vulliet B., 2008, Laurence Marfaing et Alena
Thiel 2015). Cette dynamique migratoire entre la Chine et l’Afrique a fait l’objet de
publications chez un grand nombre d’auteurs (Cissé 2013, Bredeloup 2012, Bredeloup
et Bertencello 2009).

Le continent africain est vu par la presse internationale et les experts sous l’angle des
opportunités économiques et des luttes de positionnement pour l’accaparement de ses
ressources. L’Afrique est donc objectivée dans le champ du discours dominant selon
un lexique qui se décline dans des termes comme domination, dépendance, proie, péril,
convoitise, opportunité, menace, sanglot de l’homme noir, où l’Afrique fait figure

13
     Un site internet et un magazine mensuel portent le nom de www.chinafrica.cn
14
     Harry G. Broadmandir., Africansilk road, World Bank, Washington DC, 2006, 375 p. sur
     http://siteresources.worldbank.org/AFRICAEXT/Resources/ASR_French_Overview.pdf ,la route de la
     soie en Afrique.
15
     Castillo, R (2014) Feeling at home in the « Chocolate City » : an exploration of place making practices
     and structures of belonging amongst Africans in Guangzhou, Inter-Asia Cultural Studies, 15 :2, 235-
     257.
16
     Li Z, Lyons M, Brown A. “China’s Chocolate City : an Ethnic Enclave in a Changing Landscape”,
     African Diaspora, 2012, 5 (1) : 51-72.

                                                                                                         14
d’autruche 17, l’Inde et la Chine respectivement dragon et tigre 18. C’est pourquoi toute
rupture doit être menée pour mieux saisir les enjeux de la présence chinoise en Afrique
et particulièrement au Sénégal.

En effet, la Chine d’hier, celle qui envoyait des médecins aux « pieds nus » pour la
mission médicale et les agronomes pour les Centres de techniques agricoles, n’est pas
celle d’aujourd’hui. Aujourd’hui la Chine est beaucoup plus agressive et affirmée dans
sa démarche de conquête de marchés. Les Chinois investissent tous les secteurs
d’activité économique allant du primaire aux services. Rien n’échappe aux investisseurs
chinois du commerce aux TIC en passant par la restauration, l’hôtellerie, le tourisme,
les bâtiments et travaux publics, l’agriculture, les mines, l’hydraulique rurale, le solaire,
la pêche, l’énergie, le traitement des déchets plastiques etc. Les entreprises chinoises
raflent les appels d’offres au point de pousser à la sortie certains géants comme
Alsthom, Siemens et Eriksson en dehors du Sénégal dans les TICs, tout en grignotant
le marché des entreprises nationales. Cette vaste offensive du Dragon marque un
changement important dans l’approche chinoise de la diplomatie internationale. Elle
matérialise la rupture annoncée par le Premier ministre chinois Zhao Ziyang qui, lors
d’une tournée africaine en janvier 1983 dans onze pays africains (Algérie, Congo,
Égypte, Gabon, Guinée, Kenya, Maroc, Tanzanie, Zaïre, Zambie et Zimbabwe), axa son
discours sur les nouveaux principes devant articuler la politique africaine de la Chine.
Le temps du commerce va primer sur celui de l’aide « Less aid more Trade » 19 avait-il
souligné.

Le redéploiement diplomatique de la Chine en Afrique depuis deux décennies se traduit
aujourd’hui par le fait qu’elle est le partenaire le plus en vue du continent. Elle joue un
rôle important de fournisseur de financements et de savoir-faire pour le continent. En
effet, la structure des IDE chinois laisse souvent percevoir l'intention d'établir des
relations à long terme avec les gouvernements.

Cette étude braque le projecteur sur les entreprises chinoises étatiques et non étatiques
présentes au Sénégal, y compris celles qui ne sont pas recensées par les statistiques
officielles et les institutions chinoises. Elle s’intéresse à leurs activités en termes
d’investissement, de création d’emplois, de parts de marché dans leur secteur
d’activité, d’impact économique et de justice sociale. Jusque-là, en raison de

17
     Adama Gaye, op cit.
18
     FantuCheru, Chris Obi, 2010, The Rise of China and India in Africa, Zed Books, Londres.
19
     Moins d’aide et plus d’échanges.

                                                                                               15
problèmes de données, il s’est avéré difficile de mesurer la véritable étendue de la
relation économique entre le Sénégal et la Chine. C’est pourquoi nous ne manquerons
pas de mentionner quelques travaux qui ont tenté de capter cette présence chinoise en
Afrique afin de mieux étayer notre démarche.

Le Sénégal ne bénéficie pas d’un traitement de faveur dans la littérature sino-africaine :
est-ce une lecture tronquée de la réalité sociale qui empêche ces observateurs de
mesurer à leur juste valeur les enjeux de ces investissements et de la présence
chinoise?   Parmi les autres questions que l’on ne peut s’empêcher de se poser
concernant les relations entre la Chine et le Sénégal : quels sont les facteurs explicatifs
de l’intérêt grandissant de la Chine à devenir un investisseur en puissance dans un
« petit pays » de l’Afrique de l’Ouest ? Et quelles sont les retombées des
investissements chinois au Sénégal ?

Notre approche

Notre cartographie va s’intéresser aux entreprises chinoises installées au Sénégal :
quelles sont-elles ? Dans quels secteurs interviennent-elles ? Comment interagissent-
elles avec la population locale ? Pourquoi cette présence suscite-t-elle autant
d’interrogations dans l’exploitation des produits halieutiques et agro forestière ? Dans
quelle mesure ces entreprises concluent-elles des partenariats avec les entreprises
locales ? Quelle est la place de la justice sociale dans les entreprises chinoises ? Dans
quelle mesure ces entreprises transfèrent-elles des technologies ? De quelles manières
les investissements chinois pourraient-ils permettre au Sénégal de s’industrialiser ?
Cette étude pionnière autour du thème « investissements chinois en Afrique : acteurs
et impacts sur les économies » a été menée dans les secteurs où la présence chinoise
est la plus remarquée. Il s’agit des secteurs des infrastructures, des mines, des espaces
agricoles et forestières, de la pêche, de l’énergie, de la récupération ainsi que le
commerce et les services. Cette cartographie a pour but de faire l’état des lieux de la
présence chinoise au Sénégal en recensant toutes les entreprises chinoises installées
au Sénégal et leur secteur d’activité respectif. Cette étude a couvert l’ensemble du
territoire car les entreprises chinoises sont généralement installées dans les zones les
plus reculées du pays. L’enquête a allié des entretiens individuels et un questionnaire à
administrer dans les différents sites. Des articles de presse et rapports ont aussi été
exploités pour les besoins de cette étude.

                                                                                       16
Jean Jacques Gabas et Jean Raphael Chaponnière ont dirigé un travail intitulé « Le
temps de la Chine en Afrique » qui a réuni des spécialistes en économie, en géographie
et en sciences politiques et qui a permis de décrire les multiples réalités des présences
chinoises en Afrique subsaharienne. Pour les co-auteurs, l’heure est venue de rompre
avec les clichés et les rumeurs sur l’implantation chinoise en Afrique. Cet ouvrage est
basé sur des études empiriques menées en Afrique de l’Ouest, en Afrique Australe et
en Afrique de l’Est ainsi que sur des missions en Chine. Ces études de terrain ont permis
de mesurer la manière dont les communautés chinoises sont accueillies, vues,
comprises et insérées dans les sociétés d’accueil, par les bailleurs traditionnels, les
populations locales, les opérateurs économiques locaux avec un regard critique vis-à-
vis des données statistiques publiées un peu partout sans aucune vérification.

Partant de là, les auteurs de cet ouvrage ont essayé d’exposer les spécificités propres
aux pays africains étudiés au regard de leur passé, de leurs dotations en matières
premières ou de leur position géostratégique. Ils ont aussi apporté des informations
clés sur trois points essentiels - les motivations des investissements chinois, leurs
modalités et leurs impacts. Leur objectif a été de montrer que les manifestations de la
présence chinoise en Afrique ne sont pas homogènes et qu’il ne faudrait en aucun cas
extrapoler les résultats d’un ou de quelques pays à l’ensemble du continent. C’est fort
de cela, ont-ils estimé, qu’il sera possible de mieux éclairer les dynamiques qui
influenceront le devenir de l’Afrique subsaharienne.

Serge Michel et Michel Beuret 20 dans China Safari21 vont à la rencontre des acteurs qui
font la ChinAfrique, de Luanda à Dakar en passant par le Caire, Alger, Freetown,
Abidjan, Brazzaville, Khartoum, avec l’intention de faire découvrir le quotidien de ces
acteurs de la mondialisation par le bas en empruntant une démarche différente de celle
des spécialistes en Géopolitique et Relations internationales. Cette ChinAfrique, selon
Beuret 22 et Michel 23, est l’une des dernières étapes d’une mondialisation qui va intégrer
définitivement le continent africain. Les auteurs ont enquêté dans quinze pays et
rencontré ces nouveaux « colons » qui se comptent en centaines de milliers.

Les Chinois qui sont déjà en Afrique séduisent les chefs d'État africains - parce qu'ils
investissent sans parler de démocratie – ainsi que les populations - parce qu'ils

20
     Michel, Serge et Beuret, Michel La Chinafrique : Pékin à la conquête du continent noir, nouvelle édition
     augmentée, Paris, Grasset, 2010.
21
     China Safari est le titre en anglais de l’ouvrage des co-auteurs.
22
     Serge Michel est correspondant en Afrique de l’Ouest pour Le Monde, prix Albert Londres en 2001,
     pour ses reportages en Iran. Il est l’auteur de Bondy Blog (Le Seuil, 2006).
23
     Michel Beuret est chef du service étranger du magazine suisse, L’Hebdo.

                                                                                                        17
construisent des routes et des barrages. En même temps ils découvrent à tâtons les
grands espaces, l’exotisme, le rejet et l’aventure individuelle. Décrivant ces migrants
qui se retrouvent tantôt héros de leur propre histoire, tantôt prédateurs, conquistadores
ou samaritains, les coauteurs les crayonnent comme des populations vivant repliées
sur elles-mêmes : aucun effort d’intégration dans les sociétés d’accueil, ils n’essaient
pas d’apprendre la langue d’accueil et sont allergiques aux coutumes locales. Cet
enfermement sur soi qui a toujours caractérisé les populations chinoises a fini de les
rendre incapables de s’adapter aux autres civilisations. C’est pourquoi leurs
pérégrinations en terre africaine ne les épargneront pas ; elles feront naître chez elles
de nouvelles idées et les transformeront en retour.

Beuret et Michel soutiennent que ces relations vont changer la Chine, l’Afrique ensuite
car cette dernière, jadis tout juste bonne à recevoir l'aide humanitaire ne faisait courir
plus personne sauf une Chine souhaitant alimenter ses industries en matières
premières. Ainsi, l’Empire du Milieu va remettre un selle un continent « délaissé » dans
la mondialisation, opérant ainsi un basculement des grands équilibres internationaux,
un séisme géopolitique. Les coauteurs n’oublient pas de poser les conséquences de la
présence chinoise en Afrique en avisant du danger que pourrait constituer une
banalisation de la Chine après qu’elle ait incarné le rôle du partenaire providentiel et
fraternel, capable de tous les miracles. Ils évoquent également la contradiction entre
l’apport chinois au développement économique et l’exploitation cynique de la main
d’œuvre africaine, comme en Zambie ainsi que les rivalités de pouvoir entre la Chine et
les puissances traditionnelles. Mais on ne sait pas quelles seront les conséquences
écologiques de ce « développement » ni comment les Africains réagiront ?

Un des mérites de cet ouvrage est d’avoir démontré qu’il ne suffisait pas de quelques
enquêtes de terrain, pour affirmer que le pouvoir chinois - très centralisé, pourvu de
réserves financières et d'une main-d'œuvre abondante - poursuit une stratégie précise
et méthodique en Afrique. Il semble un peu tôt pour l'affirmer. Car, les études menées
sur le terrain démontrent bien que ce plan manque totalement de visibilité en raison de
la multiplicité des actions en cours un peu partout et dans tous les secteurs dans un
contexte politique interne où il est difficile de savoir qui décide de quoi. Bien des indices
attestent de l'impréparation chinoise en Afrique, de maladresses et d'un mouvement
assez désordonné. Un certain nombre de revers en sont déjà la conséquence.

Tang Xiaoyang et Janet Eom dans « Time Perception and Industrialization : divergence
and convergence of Work Ethics in Chinese enterprises in Africa » analysent le rapport

                                                                                         18
au travail des investisseurs chinois vis-à-vis de leurs employés africains. Partant d’une
idée répandue selon laquelle les différences culturelles sont à l’origine de tensions entre
ces deux groupes quant à la signification de « travail acharné », de « discipline » et de
« manger de l’amertume », les deux auteurs soutiennent plutôt que les perceptions
contradictoires de l’éthique du travail entre Chinois et Africains relèvent de différences
dans les structures socioéconomiques. En effet selon eux, il faut chercher à
comprendre les constructions sociales du temps qui accompagnent la transition d'une
production précapitaliste vers celle du capitalisme industriel. La culture ne saurait être
un angle d’analyse correct selon eux. Ils montrent que lorsqu'une société s'industrialise,
ses notions d'éthique du travail et de perception du temps changent. Ils montrent
ensuite comment l’industrialisation de la Chine a eu un impact sur les relations de travail
des employeurs chinois avec leurs employés en Afrique. Pour appuyer leur
démonstration, et montrer notamment comment les gestionnaires chinois changent les
attitudes des travailleurs africains à travers une plus grande discipline temporelle, les
auteurs ont étudié la Tanzanie et l’Éthiopie, deux pays accueillant des investissements
chinois. Si ce texte présente un certain intérêt, c’est parce qu’il décrit une situation que
l’on retrouve au Sénégal où, comme nous le verrons, les horaires des entreprises
chinoises ne sont pas en phase avec la législation du travail au Sénégal.

Un rapport du PNUD sur les zones économiques spéciales (ZES) intitulé « If Africa
builds nest, will the birds come ? » a examiné les expériences des ZES en Afrique et en
Chine, en se concentrant notamment sur trois pays africains - l'Ethiopie, le Nigéria et la
Zambie - et deux ZES situées en Chine - celles de Shenzen et Fuzhou. Cette étude n’a
pas cherché à analyser l’adéquation des ZES en tant que moyen d’industrialisation. Elle
a essayé plutôt de voir comment utiliser de façon efficace ces plateformes
industrielles. L’intérêt de ce papier par rapport à notre étude est qu’il identifie des
limites rencontrées par certaines ZES qui pourraient être reproduites dans celle de
Diamniadio, une ZES conçue notamment pour recevoir des entreprises chinoises. Le
« nid » de Diamniadio a eu du mal à accueillir des « oiseaux » après sa réception
nonobstant le financement de 28 milliards de FCFA de l’Etat du Sénégal pour sa
construction et son aménagement par l’entreprise chinoise CGCOC. En effet, le vice-
président chinois Li Yuanchao visitant le parc industriel dira : « les autorités
sénégalaises doivent réfléchir à une meilleure stratégie pouvant leur permettre d’attirer

                                                                                        19
davantage d’entreprises au parc industriel de Diamniadio »24. Ce dernier peut attirer
davantage d’entreprises si les autorités sénégalaises parviennent à faire sa promotion
en se dotant d’un "cadre règlementaire intéressant" et si elles proposent "des services
de grande qualité". Le vice-président chinois a également suggéré la mise en place de
"mécanismes d’incitation et d’encouragement". Au cours de la dernière décennie, un
certain nombre de pays africains, comme le Rwanda, le Kenya, l'Afrique du Sud et
l'Éthiopie, ont adopté des lois et règlements nationaux détaillés sur l'établissement et
la gestion des ZES. Bien que la performance des ZES varie d'un pays à l'autre et à
l'intérieur d'un même pays, des recherches antérieures ont conclu que les ZES en
Afrique n'ont, dans l'ensemble, pas été fructueuses jusqu'à présent. Un certain nombre
de facteurs semblent avoir contribué à la sous-performance des ZES africaines
confrontées aux défis que sont : les lacunes dans les infrastructures à l'intérieur et à
l'extérieur des ZES et l’absence de planification et de bonne gestion. Pour conclure, il
faut souligner que certes des emplois sont créés, mais on ne peut pas parler de transfert
de technologies avec l’installation de l’entreprise chinoise C&H Garnements et les
niveaux de salaire ne sont pas élevés 25. De plus, ces entreprises profitent des
facilitations d’exportation vers le marché de l’Union européenne et celui des Etats Unis
avec l’AGOA.

Un autre important rapport du cabinet McKinsey intitulé « Dance of the Lions and
Dragons: How Africa and China engaging, and how will the partnership evolve? »
rassemble des informations sur plus de 100 dirigeants africains et plus de 1,000
propriétaires ou gérants d'entreprises chinoises dans huit pays africains. Selon
McKinsey, des milliers d'entreprises chinoises - beaucoup plus que ce qui est
officiellement compté – opèrent dans de nombreux secteurs de l'économie
africaine. Près du tiers d'entre elles travaillent dans le secteur manufacturier, un quart
dans les services et environ un cinquième dans le commerce, la construction et
l'immobilier. Le rapport « Danse des lions et des dragons » donne un portrait détaillé de
l’évolution d’une Chine qui est devenue le plus important partenaire économique de
l’Afrique en seulement deux décennies.

Dans le secteur manufacturier, le rapport estime que 12% de la production industrielle
de l’Afrique, évaluée à quelque 500 milliards de dollars par an, est déjà gérée par des

24
     Extraits du discours de Li Yuanchao, 07 mai 2017 à Diamniadio. https://www.leral.net/Video-la-visite-
     du-vice-president-de-la-Chine-M-Li-Yuanchao-avec-M-Mahammed-Boun-Abdallah-Dionne-le-Premier-
     ministre_a200307.html
25
     Les ouvrières de la société de textile disent être payées entre 53000 à 60000 francs pour 12 heures
     de travail par jour.

                                                                                                      20
entreprises chinoises. Dans le secteur des infrastructures, la domination des entreprises
chinoises est encore plus prononcée et elles représentent près de 50% du marché de
la construction sous-traité de l'Afrique. La Chine occupe désormais le troisième rang
en tant que donateur et représente une opportunité de 440 milliards de dollars d’ici à
2025 de revenus pour les entreprises chinoises. Les entreprises chinoises en Afrique
pourraient      accélérer     considérablement         leur    croissance.      En    se   développant
agressivement dans les secteurs existants et nouveaux, ces entreprises pourraient
atteindre des revenus de 440 milliards de dollars en 2025. Selon les données de ce
rapport, plusieurs millions d'emplois ont été créés par des entreprises chinoises. La
moitié de ces entreprises a introduit un nouveau produit ou service, tandis qu'un tiers
a introduit une nouvelle technologie.

Néanmoins, McKinsey a néanmoins relevé des lacunes et des domaines dans lesquels
des améliorations importantes devaient être apportées. Les recommandations
incluaient la nécessité pour les entreprises chinoises de faire davantage d'efforts pour
trouver des entreprises africaines manquant d’opportunités, et celle d'un leadership
africain en matière de gestion. Le rapport a également abordé les cas de violations du
droit du travail et le code de l'environnement. "Cela va des conditions de travail
inhumaines à l'extraction illégale de ressources naturelles, y compris le bois et le
poisson". Ces conclusions de McKinsey sur les violations du droit du travail ont été
aussi notées dans le cadre de notre recherche avec l’emploi de mineurs, un usage
abusif de travailleurs temporaires et de contrats à durée déterminée. Concernant le bois
et les poissons, des navires chinois ont été épinglés sur la fraude au tonnage 26 et dans
la pêche illégale 27. En Casamance l’existence d’un vaste trafic du bois rouge via la
Gambie a été notée 28.

Deborah Brautigam, Tang Xiaoyang, et Ying Xia, dans « What kinds of Chinese "Geese"
are flying to Africa? Evidence from Chinese manufacturing firms », s’inspirent de la
théorie du vol d’oies sauvages de l’économiste japonais Akamatsu29, qui démontra

26
     Voir rapport Greenpeace publié en 2015 concernant Sénégal Pêche et l’arraisonnement en 2018 de
     chalutiers chinois en Casamance par la Marine Nationale.
27
     https://www.igfm.sn/4-navires-chinois-ont-paye-6-milliards-damende-apres-leur-arraisonnement
28
     La Gambie est le deuxième pays d’Afrique de l’Ouest exportateur de bois vers la Chine après le
     Nigeria. Entre 2010 et 2015, le montant de ses exportations de bois de rose vers la Chine était estimé
     à 238,5 millions de dollars. Ce qui représente une somme considérable, surtout au regard de la
     disparition presque totale de la forêt gambienne. Ceci semble indiquer que la majeure partie du bois
     exporté vers la Chine viendrait de Casamance. Une personne qu’un des auteurs de ce rapport avait
     interviewé en Chine en 2014 avait confirmé cette information. http://www.asianews.it/news-en/China-
     plundering-the-last-forests-of-Senegal-37618.html
29
     Kaname Akamatsu, “A Historical Pattern of Economic Growth in Developing Countries,” The
       Developing Economies 1 (1962): 3-25.

                                                                                                      21
comment le Japon, à l’époque où il voyait ses coûts de production augmenter à la suite
d’un développement économique important, décida de transférer certaines entreprises
et les connaissances dans certains pays asiatiques et d’Amérique latine pour se
spécialiser dans les secteurs plus pointus du développement. Partant du cas des
entreprises chinoises du Delta de la rivière des Perles, happées par des coûts de
production élevés, de la hausse du niveau des salaires, les coauteurs partent de ces
constats mais aussi du ralentissement économique chinois avec le « New Normal » et
des défis de la surproduction des entreprises chinoises pour voir comment ces
dernières cherchent à se positionner dans des sites où la compétition est moins rude.
En effet, à la fin de l’année 2015 le gouvernement chinois a annoncé une série de
mesures pour inciter les entreprises chinoises à s’installer en Afrique dans le cadre de
la stratégie du « Going Global ».

Ces auteurs ont ainsi cherché à démontrer comment des entreprises chinoises
s’installent sur le continent en y transférant leurs modèles d’industrialisation. Ils se sont
appuyés sur quatre pays principaux (Ethiopie, Ghana, Nigeria et Tanzanie). Leur travail
détaille la diversité des investissements manufacturiers et les secteurs dans lesquels
les compagnies chinoises sont en train d’investir. Il montre la croissance rapide des
investissements des compagnies manufacturières chinoises au-delà du nombre
d’investissements officiels approuvés de part (Chine) et d’autre (Afrique). Plusieurs de
ces compagnies copient le modèle d’Akamatsu du « vol d’oies sauvages » avec de
larges entreprises cherchant à redéployer leur unité de production comme faisant partie
de réseau global de la chaîne de valeurs. Dans cette étude il a été noté trois sortes
d’« oies » : les grandes oies stratégiques, à la recherche de marchés locaux ; les
moyennes oies à la recherche de matières premières ; et les petites oies voyageant
ensemble en troupeaux. Ces différents types d'entreprises offrent des opportunités de
développement et des défis différents pour la transformation structurelle en Afrique.

                                                                                         22
II.       Les Entreprises Chinoises en Afrique

Si les entreprises chinoises ont tardé à s’implanter en Afrique, comparées aux
entreprises occidentales, qui sont présentes depuis la période coloniale, aujourd’hui
leur nombre démontre à suffisance leur désir de rattraper ce retard. Toutefois, pour
l’histoire, il faut mentionner que dans le cadre de la politique d’accompagnement de
l’industrialisation de certains Etats nouvellement indépendants, la Chine s’était
engagée à des projets d’aide et d’investissement direct 30. Le Nigeria fait partie des
premiers pays africains à recevoir des investissements chinois au lendemain des
indépendances africaines avec la présence d’investisseurs venant de Hong Kong et de
Shanghai qui plus tard vont dominer la production des sandales en plastique, matériaux
de construction et de la production de l’émaillerie.

Le nombre d’entreprises chinoises en Afrique a été évaluée par la UNCTAD à 230
entreprises manufacturières, entre 1979 et 2000, sur la base des sources du ministère
chinois du Commerce 31. Ainsi, le Bureau Industriel du Textile de Shanghai avait installé
une compagnie en Ile Maurice dénommée Hong Kong-Shanghai Textile pour profiter
des opportunités d’exportation facilitées par les accords Europe ACP. L’Afrique du Sud
est le pays qui a le plus accueilli d’entreprises chinoises en Afrique avec 83 entreprises
dont celle qui domina le marché des télévisions Noir et Blanc de tout le pays : le
Shanghai Guangdian Company. A côté, le Nigeria accueillit 33 entreprises, le Kenya 21,
l’Ile Maurice 20, le Ghana 17 et la Zambie 1732.

Ces investissements chinois en Afrique vont prendre une nouvelle ampleur avec le
nouveau millénaire. A partir de là, la politique africaine de la Chine devient beaucoup
plus offensive et ciblée.        L’Ile Maurice qui est souvent agitée comme un modèle
économique de développement en Afrique va accueillir une compagnie chinoise du

30
     Deborah Bräutigam, “Chinese Networks as Catalysts in Sub-Saharan Africa,” 2003; Eunsuk Hong and
     Laixiang Sun, “Go Overseas via Direct Investment: Internationalization Strategy of Chinese
     Corporations in a Comparative Prism,” Working Paper. University of London: School of Oriental and
     African Studies, 2004; Deborah Bräutigam, “Chinese Business and African Development: ‘Flying
     Geese’ or ‘Hidden Dragons’?” in Daniel Large, J. Christopher Alden, and Ricardo M. S. Soares de
     Oliveira, eds. China Returns to Africa: A Rising Power and a Continent Embrace (New York: Columbia
     University Press, 2008), 51-68; Hong Song, “Chinese Private Direct Investment and Overseas Chinese
     Network in Africa,” China & World Economy19, no. 4 (2011): 109-126.
31
     “Asian Foreign Direct Investment in Africa: Towards a New Era of Cooperation Among Developing
     Countries,” UNCTAD, January 2007, http://unctad.org/en/Docs/iteiia20071_en.pdf.
32
     SAIS-CARI Working Paper | No. 17 | August 2018.

                                                                                                   23
nom de Tianli, en provenance de la Province de Shanxi pour un investissement de 10
millions de dollars dans le Mauritius Pinning Mill en 2000. Le Nigeria voit l’ouverture
d’une nouvelle usine de chaussures à Lagos en 2004 avec un investissement de 6
millions de dollars US. Des usines de tannerie pour l’exploitation du cuir vont s’installer
en Ethiopie et en Ouganda pour un montant de 6 millions de dollars.

A côté de ces entreprises manufacturières, le Sénégal va connaître la présence de deux
grandes entreprises chinoises spécialisées dans la construction et le secteur de la
pêche. China National Fisheries Company (CNFC), plus connu sous le nom de
SENEGAL ARMEMENT ET SENEGAL PECHE (société d’armement et société de
transformation) va s’installer au Sénégal en 1983 suivi une année plus tard par Henan
Chine et 1983.

Historique de la présence des entreprises chinoises au Sénégal

C’est à partir des années 1980 que les entreprises chinoises vont historiquement
commencer leurs activités, soit bien après la signature des accords diplomatiques entre
les deux pays en 1971. Les pionniers du made in China ou du China Inc ont été les
groupes Henan Chine devenu Henan Chico et le CNFC Sénégal Pêche et Armement ;
deux entreprises qui se sont installées quasiment au même moment.

L’entreprise de construction Henan-Chine est installée au Sénégal depuis 1983 pour les
besoins de la construction du stade de l’Amitié. En contrepartie, le Sénégal avait
octroyé à la Chine des licences de pêche. À la fin des travaux de construction du stade,
l’entreprise travaillant au nom de la République populaire de Chine, décida de prendre
un registre de commerce en vue de s’installer définitivement en tant que société de
droit privé. Cette nouvelle orientation a fait suite à des conseils reçus des acteurs de la
construction et avec l’aval de la direction mère de l’entreprise, selon Bao Fei, 33qui
affirme que « C’est un choix qui a coïncidé avec la politique d’ouverture mise en place
en Chine où l’on encourageait les entreprises à s’externaliser en allant chercher des
marchés ailleurs dans le cadre toujours de la coopération chinoise, mais aussi à
permettre aux capitaux étrangers de venir s’investir en Chine. Cette ouverture de la

33
     Bao Fei, ancien directeur général de Henan Chine. Entretien effectué en 2012.

                                                                                       24
Chine est une inspiration de Deng Xiaoping qui voulait une réforme sociale et une
politique d’ouverture et moins d’enfermement ».

Henan Chine poursuivra ses activités en collaboration avec d’autres entreprises
sénégalaises comme la Compagnie Sahélienne d’Entreprises (CSE) pour la réalisation
de gros œuvres que sont la construction de la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS),
et la tour du siège de la (BCEAO) Sénégal. L’entreprise Henan a construit aussi les
locaux de l’Ambassade de Chine au Sénégal. Henan Chine exécute par ailleurs des
projets sous la houlette de l’Ambassade de Chine. En même temps, elle est impliquée
dans les projets privés, des projets de l’État du Sénégal tels que l’hydraulique rurale, la
construction d’une centaine de forages dans le monde rural, les châteaux d’eau, et
dans pratiquement tous les corps du génie rural. En deux décennies, Henan-Chine a à
son actif une vingtaine d'ouvrages. Outre le stade de l'Amitié de Dakar (aujourd’hui
Léopold Sédar Senghor), on peut citer entre autres ouvrages réalisés : la route élargie
de Malick Sy, les ponts de Hann et de Colobane et des forages dans de nombreux
villages du Sénégal.

                                                                                       25
Photo 1
Tour de la BCEAO Sénégal réalisée par Henan Chine
Source: Bceao

          Outre ces deux entreprises pionnières, d’autres entreprises de type individuel et de type
          familial - comme des commerces et des restaurants - seront ouvertes par les
          ressortissants chinois du Sénégal. Bref, c’est avec le rétablissement des relations
          diplomatiques que les investissements chinois vont être plus conséquents
          particulièrement après la visite du Président Hu Jintao au Sénégal en 2009.

                                                                                               26
III.      Carte des entreprises chinoises au Sénégal

Entre 2003 et 2009, 83% des IDE en provenance de la Chine vers le continent étaient
destinés à l’Afrique du sud, le Nigéria, l’Algérie, la Zambie, le Soudan, en Zambie, à
l’Égypte à la République Démocratique de Congo et au Niger. La moitié de ces
investissements étaient destinés à l’Afrique du Sud. Ces chiffres montrent que le
Sénégal, ne faisant pas partie des partenaires privilégiés de la Chine du fait de leurs
ressources minières et énergétiques importantes, doit son importance à sa position
géostratégique. Le géant chinois considère Dakar comme un pôle politique et
diplomatique en Afrique de l’Ouest.

Il faut noter une évolution discrète de l’IDE chinois au Sénégal même durant la période
où les deux pays avaient connu une rupture de leurs relations diplomatiques. Autrement
dit, nonobstant la reconnaissance officielle de Taiwan par le Sénégal, Pékin n’a pas mis
fin à ses relations commerciales avec Dakar et a plutôt encouragé des entreprises
comme Sénégal-Pêche, Henan Chine et des privés chinois.

Entre la visite du président Hu Jintao, intervenue en 2009 et celle du président Sall en
Chine en 2014, nous avons noté une progression assez significative du stock des
investissements chinois au Sénégal (voir graphique 1). Le changement de régime
intervenu avec le départ d’Abdoulaye Wade qui avait amorcé cette diplomatie de
rupture en diversifiant les partenaires du Sénégal explique un peu la baisse des stocks
en 2013.

Au total, entre 2012 et juin 2018, ce sont 84 projets qui ont été agréés pour des
investissements de 239 milliards FCFA. Ces investissements ont connu une forte
augmentation récemment, en passant de 13 milliards FCFA en 2015, à 53 milliards en
2016 et 95 milliards FCFA en 2017 34. Les investissements portent sur des secteurs
variés comme la fabrication de tuyaux en PVC, l’assemblage de matériels et
équipements agricoles, les prestations de services agricoles, la fabrication de jus de
fruits et d’eau filtrée, la transformation de produits halieutiques, la fabrication de
matériaux de construction, l’industrie métallurgique, la production d’arachides

34
     Sources Apix statistiques 2018.

                                                                                    27
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