Christine Boutin (PCD) et le Centre du Réveil Chrétien (CRC)

Christine Boutin (PCD) et le Centre du Réveil Chrétien (CRC)
        Convergences entre catholicisme d'identité et évangélisme créole (2009-2014)

                     Sébastien FATH, GSRL (EPHE-PSL / CNRS) Draft version

                                             Introduction
            Les recompositions conservatrices et populistes qui croisent politique et
christianisme sont l'objet, depuis le mandat présidentiel Trump aux Etats-Unis (20
janvier 2017-20 janvier 2021), d'une attention renouvelée. Au sein des travaux de
recherche consacrés à ces mouvements, souvent qualifiés de " (Nouvelle) Droite
chrétienne", les White Evangelicals (Evangéliques blancs), aux Etats-Unis1, et les
catholiques identitaires, en Europe de l'Ouest2, occupent une place de choix. A très
juste titre, puisque ces milieux militants constituent, en Europe et aux Etats-Unis,
l'ossature principale des mobilisations conservatrices d'inspiration religieuse.

            L'objet de cette présentation est de décaler le regard vers des marges moins
étudiées, à partir d'un terrain de recherche français (hexagone et outre-mer).
L'enquête, appuyée sur un corpus de textes et vidéos disponibles sur internet, porte
sur les liens privilégiés entretenus, durant quelques années, entre Christine Boutin,
présidente du Parti Chrétien Démocrate (PCD), et les pasteur.es Jocelyne et David
Goma, du Centre du Réveil Chrétien (CRC). La période d'étude se focalise
principalement sur les années 2009-2013/14, qui correspondent au mandat exercé par
Christine Boutin à la tête du PCD3.

           Cette recherche se déploie à partir de trois angles. On présentera, dans un
premier temps, les deux partenaires politiques (asymétriques) étudiés, à savoir le Parti
Chrétien Démocrate (PCD), qui prend cette appellation le 20 juin 20094, et le Centre du
Réveil Chrétien, Eglise multiculturelle afro-caribéenne de type charismatique fondée
en Seine-Saint-Denis (93) en 2000 par les époux Goma. La seconde partie de l'enquête
se focalisera sur les affinités politiques exprimées par Christine Boutin et les époux
Goma, au travers de rencontres, conférences, mais aussi candidatures aux élections.
1
  Lire notamment Moktar BEN BARKA, La droite chrétienne américaine : Les évangéliques à la Maison-Blanche ?,
Paris, Privat, 2006. Et plus récemment, au sujet de la franche (néo)charismatique et dominioniste de cette
tendance, André GAGNE, Ces évangéliques derrière Trump, Hégémonie, démonologie et fin du monde, Genève,
Labor et Fides, 2020.
2
  Pour une étude de cas en terrain français, lire Céline BERAUD, Philippe PORTIER, Métamorphoses catholiques.
Acteurs, enjeux et mobilisations depuis le mariage pour tous, Paris, Éditions de la Maison des sciences de
l’homme, coll. « Interventions », 2015
3
  Christine Boutin quitte la présidence du PCD le 10 juillet 2013. A la fin de la même année, Jean-Frédéric Poisson
lui succède.
4
  Il s'appelle auparavant le Forum des Républicains Sociaux. Un parti fondé en 2001 par Christine Boutin.

                                                        1

Enfin, on cherchera à développer, dans une troisième et dernière partie, quelques
pistes d'analyse afin de mettre en perspective ce compagnonnage politique de type
"droite chrétienne" entre une militante catholique et des militants évangéliques.
Sainte alliance conservatrice ou "nouveau marronnage" -Christophe Guilluy5- ?
Comment comprendre ces convergences sous le sceau d'une "identité chrétienne
française" et d'un modèle familial à défendre ? Que nous disent-elles des
recompositions politiques conservatrices dans une France et une Europe de plus en
plus multiculturelle et sécularisée ?

I. PCD et CRC : trajectoires de deux partenaires asymétriques

           Le Parti Chrétien Démocrate (PCD) et le Centre du Réveil Chrétien (CRC)
partagent le même syntagme de "chrétien". Pour le reste, ces deux structures se
révèlent très asymétriques. D'un côté, un parti politique national, de l'autre, une église
locale évangélique néopentecôtiste de Seine-Saint-Denis.

I.1. Le PCD, un parti politique en périphérie de la Droite majoritaire

            Le Parti Chrétien Démocrate (PCD), successeur en juin 2009 du Forum des
Républicains Sociaux fondé en 2001, est un parti politique de périmètre national, de
taille modeste en comparaison des principaux partis qui composent le kaléidoscope
politique français6. Créé par Christine Boutin, juste après de son éviction du
gouvernement7, il s'inscrit dans l'arborescence de la Droite de gouvernement. Il a pour
particularité de revendiquer explicitement, jusque dans son label, la référence
chrétienne, et s'appuie sur un nucleus de militants dont la pratique religieuse
catholique est supérieure à la moyenne nationale. Il s'inscrit, en cela, dans la filiation
de l'engagement politique catholique en République qui, depuis le MRP, cherche à
articuler offre politique démocratique et perspective chrétienne sur la Cité, via une
lecture sociale critique du capitalisme libéral8 et une défense de l'éthique reproductive
telle qu'elle est développée par le Magistère catholique9.

          Toutefois, il ne se présente pas comme un parti de catholiques, revendique
son indépendance par rapport à toute structure ecclésiale, et ouvre ses rangs à
d’autres publics que les fidèles catholiques. Il n’a pas non plus d’accointances fortes

5
  Christophe GIULLY, Le crépuscule de la France d'en haut, chapitre 4, "Le marronnage des classes populaires",
Paris, Flammarion, "Champs", 2017, p.181 et suivantes.
6
  Le PCD revendique un peu plus de 10.000 adhérents au début de l'année 2013 (et un cercle de 60.000
sympathisants).
7
  Elle est, durant deux ans, Ministre du logement et de la ville dans le gouvernement Fillon.
8
  En s'appuyant en particulier la Doctrine sociale de l'Eglise (catholique).
9
  La fondatrice du parti, Christine BOUTIN, est l'auteure de Qu'est-ce que le Parti Chrétien-Démocrate ? Paris, ed.
de l'Archipel, 2010, où elle détaille l'offre politique du parti.

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avec le traditionnalisme catholique, dont le positionnement politique a été étudié par
Olivier Landron10. Cependant, il participe, à une échelle modeste, à cette tendance à
"l'inclination vers la droite" qui marque l'engagement catholique dans la Cité depuis
les années 199011.

I.2. Le CRC, une église du "9-3" en marge des grands réseaux chrétiens

            Le Centre du Réveil Chrétien (CRC), quant à lui, s'inscrit en tant qu'acteur
religieux dans la champ local et national. Fondé en l'an 2000 par les époux Goma, les
pasteurs Jocelyne et David12, le CRC renvoie avant tout à une église locale évangélique
de type néopentecôtiste. Cette assemblée évangélique s'inscrit dans le contexte de
l'essor de nouvelles Eglises d'expression africaine13 et caribéenne où s'articulent
charisme, orthopraxie biblique, et fonctionnement comme Eglise-providence14. On y
note aussi le rôle central de la musique en tant que dispositif liturgique, prophétique
et performatif15. Cette église qui s'appuie sur des cultes Gospel compterait environ 500
membres dans son site principal en Seinte-Saint-Denis (département 93) au début des
années 2010. Elle a déployé un fragile réseau transnational via des relais d'affinité
communautaires, principalement dans les Caraïbes. Elle participe de ce qu'Alain
Tarrius et, à sa suite, Sarah Demart, décrivent comme un "territoire circulatoire" entre
Congo, Caraïbes et région parisienne16. Implanté en Seine-Saint-Denis, le CRC s'appuie
sur un cercle de fidèles issus principalement de l'immigration ouest-africaine et des
départements d'outre-mer.

         Il a plusieurs particularités. La principale est sa mise en valeur de cultes
Gospel17,
        articulés à une chorale de qualité professionnelle, Total Praise. Cette chorale
expérimentée se produit dans de grandes salles de spectacle à Paris sous la houlette

10
   Olivier LANDRON, A la droite du Christ, Les catholiques traditionnels en France depuis le concile de Vatican II,
1965-2015, Paris, ed. du Cerf, 2015.
11
   "Catholiques : une inclination vers la droite". Cf. Philippe PORTIER et Jean-Paul WILLAIME, La religion dans la
France contemporaine, entre sécularisation et recomposition, Paris, Armand Colin, 2021, p.270.
12
   C'est au 1er janvier 2001 que David Goma aurait obtenu le titre de pasteur, consacré par le pasteur-prophète
ivoirien Kakou Séverin ; son épouse Jocelyne est alors évangéliste, et prendra le titre de pasteur quelques années
plus tard.
13
   Lire le travail pionnier de Majagira BULANGALIRE, Religions et intégration à la société française dans la période
actuelle, Université de Paris IV, 1991.
14
   Lire Jean-Claude GIRONDIN, Ethnicité et religion parmi les protestants antillais de région parisienne, thèse de
doctorat, EPHE (Sorbonne), 2003, et « Conversion et ethnicité parmi les protestants antillais en région
parisienne », in S. FATH, (dir.), Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion, Turnhout, Brépols,
2004, p.147-165.
15
   Lire Damien MOTTIER, Une ethnographie des pentecôtismes africains en France. Le temps des prophètes, Paris,
L'Harmattan, 2014.
16
    Sarah DEMART, Les territoires de la délivrance, thèse de doctorat Université de Toulouse / Louvain La Neuve,
2010
17
   Cf. Sébastien FATH, Gospel et francophonie, Une alliance sans frontières, Tharaux, ed. Empreinte, 2016.

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de son chantre phare, Marcel Mboungou (ou Boungou), auteur d'une autobiographie
remarquée où il relate son itinéraire depuis le Congo jusqu'aux estrades parisiennes18.

            Le CRC participe par ailleurs en partie de ce que Pamela Millet-Mouty
appelle le "néo-pentecôtisme d'excellence"19, qu'elle a étudié dans une autre église
afrocaribéenne de région parisienne. L'objectif est de refuser le statut de victime 20 et
d'encourager les chrétiennes et les chrétiens qui fréquentent l'assemblée à se former,
travailler dur, et gravir l'échelle sociale, porté par une foi performative et une discipline
quotidienne. A noter que le CRC connaît du jour en lendemain une forte exposition
médiatique après la diffusion, à une heure de grande écoute (20H40) d'un
documentaire de 52 minutes de Serge Moati sur les évangéliques français, où Jocelyne
Goma et David Goma sont assez longuement interviewés21.

I.3. Politique identitaire vs évangélisme créole

           Du côté du PCD, on s'inscrit dans le cadre des politiques identitaires22 qui
tendent à monter en puissance à partir de la fin de la décennie 2000. L'objectif explicite
avancé par les responsables politiques, à commencer par Christine Boutin, la
fondatrice, est de replacer l'église au coeur du village "France", via une promotion
décomplexée des valeurs chrétiennes, présentées comme les fondements de la nation,
mais aussi comme un outil privilégié de moralisation, de solidarité envers les plus
faibles, de transmission et de vivre-ensemble. L’affichage confessionnel n’est pas
bruyamment revendiqué, dans un contexte où la grande majorité de la population (et
de l’électorat) ne pratique pas régulièrement une religion. Mais le sous-bassement de
l’engagement éthique et politique s’ancre dans une tradition, celle du catholicisme.
D'un point de vue idéal-typique, les dispositifs de mobilisation du PCD, en matière
éthique, jouent sur les répertoires de la filiation, de l'héritage, en un mot, des racines23.

           Avec l'église CRC, on s'inscrit a priori dans un paradigme inverse. Ici, ce ne
sont pas tant les racines que le changement (métaphoriquement les ailes) qui sont
mises en avant. Migration, transformation, conversion et théodicée libératrice
investissent les registres, que ce soit dans la musique ou la prédication. Le CRC doit sa

18
   Marcel BOUNGOU, Du Gospel à l'Evangile, itinéraire d'un "gospel singer" africain, Marseille, ed. Onésime 2000,
2008.
19
   Pamela MILLET-MOUITY, "La Terre promise à rebours et le néo-pentecôtisme d'excellence", in Odile HAMOT,
Terre(s- promise(s), Représentations et imaginaires, Paris, Classiques Garnier, 2021, p.277 à 295?
20
   Maïte MASKENS, Cheminer avec Dieu. Pentecôtismes et migrations à Bruxelles, Bruxelles, Editions de l’Université
de Bruxelles
21
    Serge MOATI et Alice COHEN, "Mes questions sur les nouvelles Eglises évangéliques", documentaire France 5,
2013.
22
   Lire notamment Eric Dupin, La France identitaire : enquête sur la réaction qui vient, Paris, La Découverte, 2017
23
    En 2005, l'ancêtre direct du PCD, le Forum des Républicains Sociaux, avait rejeté le Traité établissant une
constitution pour l'Europe. L'un des trois motifs avancés pour ce rejet est que le projet de constitution ne
reconnaissait pas les "racines judéo-chrétiennes de l'Europe".

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création et son développement aux recompositions démographiques et religieuses qui
ont marqué l'espace post-colonial depuis les années 1970. Eglise multiculturelle,
créolisée, néopentecôtiste, le CRC ne répond pas du tout au portrait robot d'une
identité catholique traditionnelle. On s'inscrit, à l'inverse, dans le référentiel hallogène,
celui d'un christianisme créolisé, démonstratif, spirito-centré, désireux d'ascension
sociale24, a priori bien éloigné du modèle identitaire défendu par le PCD.

II. La Bible dans l'Agora : convergences Boutin / Goma
           Ces deux structures sont asymétriques, à la fois dans leur périmètre, leur
objet et leur histoire, Elles ont pourtant développé, durant quelques années, une
forme de partenariat singulier. Comment le rapprochement s'est-il effectué, quel a été
le point de rencontre ?

II.1. Le point de rencontre d'une éthique familiale chrétienne conservatrice

            L'attachement partagé à une éthique familiale chrétienne conservatrice a
constitué le ciment du rapprochement. A un moindre degré, c'est aussi le refus de
privatiser la "morale chrétienne" dite traditionnelle, doublée d'une forme d'approche
intégraliste de la religion. Enfin, certaines affinités personnelles ont joué aussi leur rôle.

            D'un côté comme de l'autre, on revendique l'importance d'une défense et
illustration, dans l'espace public, d'une hétéronomie régulatrice sur les questions de la
famille, de la sexualité, du genre. Le refus de tout discours de normalisation sur
l'homosexualité, en particulier sur la question du mariage, en constitue un aspect
saillant. Un épisode parlementaire emblématise cette position : c'est la fameuse
exhortation prononcée par Christine Boutin, alors députée, le 9 octobre 1998, lors d'un
rejet par l'Assemblée Nationale du PACS (union civile pour les couples homosexuels),
faute d'une majorité suffisante de la gauche. La députée s'exclame "lisez plutot la Bible,
cela vous changera", brandissant brièvement le livre25. La scène, qui ne fut pas
immortalisée par une photo, fit en revanche les titres des journaux. Brandir la Bible,
c'était symboliquement signifier que l'offre politique proposée par le PCD se veut
chrétienne, ancrée dans une forme de sagesse hétéronome, colonne vertébrale
éthique du parti. Jusqu'à quel point cette Bible brandie brièvement à l'Assemblée

24
   Certains répertoires des théologies dites de la prospérité y sont utilisés, au service d'un refus de l'assignation
victimaire et d'une dynamique de sortie de la pauvreté, via un "transfert des richesses" dont la pasteure Jocelyne
Goma s'est fait la théologienne dans Jocelyne GOMA, Le transfert des richesses, Paris, Seed Publications, 2012.
25
   Dans le compte-rendu des débats parlementaires de l'après-midi (Journal Officiel), on peut lire : "M. Guy
Hascouët : "À Mme Boutin, que j'ai l'honneur d'avoir pour voisine mais qui, tout à l'heure, fait jaillir soudainement
une bible de son sac à mains..." Mme Christine Boutin : "c'est mon droit d'avoir une Bible !". Enquête/vérification
effectuée par Blandine GROSJEAN, "Si si, Christine Boutin a bien sorti sa bible à l'Assemblée nationale lors du débat
sur le Pacs", L'Obs, Rue 89, 14 octobre 2012 (online).

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Nationale a-t-elle attiré l'attention de certains milieux évangéliques, eux-mêmes
biblicistes ? On ne peut le dire. Ce qui est certain, c'est la dimension symbolique du
geste n'a pas échappé à une Eglise comme le CRC, qui se définit, dans sa
communication et ses thèmes de prédication, comme défenseure d'une vision biblique
de la famille. Et c'est justement au nom de la défense chrétienne de la famille nucléaire
articulée autour d'un couple hétérosexuel que le PCD et le CRC ont formalisé un
partenariat singulier, à bien des égards surprenant. Il s'est appuyé, au départ, sur des
relations d'amitié et d'affinité qui se sont tissées dans la première décennie 2000 entre
Christine Boutin et Jocelyne Goma.

II.2. Partenariat pour des événements : prix et conférences

            Le partenariat n'a pas été formalisé. Nulle convention signée, nul
engagement par serment. En revanche, après quelques échanges et rencontres entre
Jocelyne Goma, pasteure du CRC, et Christine Boutin, présidente du PCD, des
événements partagés ont permis de donner corps au rapprochement opéré. En 2009,
lorsque le Forum des Républicains Chrétiens devient le PCD, des relations commencent
à se tisser, alors que Nicolas Sarkozy est au pouvoir depuis deux ans. Christine Boutin
lance alors un appel, relayé par le mensuel évangélique francophone Christianisme
Aujourd'hui : "les évangéliques sont libres de nous rejoindre"26. Tout en précisant que
le PCD n'est pas un parti confessionnel : juifs, musulmans et laïques font également
partie du PCD, souligne-t-elle.

           Un marqueur médiatisé de ces rapprochements et la Conférence de la
Femme Chrétienne, organisée en Seine-Saint-Denis du 5 au 8 mai 2011 par le Centre
du Réveil Chrétien27. Mme Christine Boutin y reçoit à cette occasion le prix de
l'Excellence, décerné par l'Association des Femmes Chrétiennes. Cette association, qui
recrute en priorité au sein des réseaux afro-caribéens, a été créée par la pasteure
Jocelyne Goma pour promouvoir l'engagement chrétien féminin. Jocelyne Goma
introduit à la tribune Christine Boutin par ces mots : "prix de l'engagement politique
décerné à Mme Christine Boutin au cours de la conférence internationale de la femme
chrétienne, le 7 mai 2011, pour son engagement à honorer les valeurs de l'évangile de
Jésus-Christ par son leadership au sein de la société française"28. Décerner à Christine
Boutin un tel prix d'excellence, c'était briser des codes implicites, oser une passerelle
improbable. Jocelyne Goma comme Christine Boutin, venue chercher son prix et
prononcer un discours, ont joué le jeu. Après cet événement organisé en mai 2011,
d'autres vont suivre, nourrissant des relations de familiarité et de collaboration entre

26
   "Christine BOUTIN, 'les évangéliques sont libres de nous rejoindre'", Christianisme Aujourd'hui, propos recueillis
par Maïté LEBERON, juin 2020 (consultable online).
27
   Il reste trace de l'événement sur le site EMCITV mais il est mal daté (2001 au lieu de 2011) : "Mme Christine
Boutin reçoit le prix de l'Excellence de l'AFC au CRC", https://emcitv.com/jocelyne-goma/video/mme-christine-
boutin-recoit-le-prix-de-l-excellence-de-l-afc-au-crc-11210.html (consulté le 18 octobre 2021).
28
   Jocelyne GOMA, verbatim de la vidéo publiée sur EMCITV, télécharége en septembre 2011.

                                                         6

deux mondes a priori très opposés. Plusieurs cadres du PCD font alors meilleure
connaissance avec le CRC, à l'image de Franck Margain, vice-président du PCD et
conseiller régional d'ïle-de-France, ou Anne-Lise Josset, tous deux interrogés par le CRC
lors d'un événement du Forum Politique Chrétien, émanation du CRC, début 201229.

            Au cours de cette année 2012, la campagne présidentielle de Christine
Boutin en Martinique offre un exemple significatif de cette collaboration plus proche.
A la recherche des précieux parrainages dont elle a besoin pour mener à terme sa
campagne et se présenter devant les électeurs, elle souffre d'un manque de moyens,
qui l'a obligée à hypothéquer sa permanence de Rambouillet. Mais voilà qu'en
Martinique, elle peut bénéficier d'un appui logistique, et pas n'importe lequel, puisque
celui-ci est proposé par l'antenne locale de l'église Centre du Réveil Chrétien conduite
par les époux Goma. Cet appui passe via le Forum Politique Chrétien, créé quelques
mois auparavant en Martinique par le CRC. Ce forum ne fait pas que proposer un appui
logistique et une plate-forme : il fait également converger tous les publics susceptibles
de valoriser l'engagement chrétien en politique, ce qui constitue pour Christine Boutin
une cible de choix.

              "Elle profite (...) en Martinique de la logistique du Forum politique chrétien, qui
       organise ce samedi midi un forum intitulé «Le politique face aux citoyens chrétiens». Créé
       par le pasteur évangélique David Goma, cette plateforme créée en novembre dernier a
       pour but de questionner des personnalités politiques sur des questions religieuses et de
       société. La candidate s’exprime dans ce forum pour la deuxième fois au cours de cette
       campagne électorale. Elle y rencontre des associations chrétiennes rassemblant
       différentes sensibilités politiques"30.

           Tout en produisant quelques résultats locaux, ce travail de réseautage n'a
cependant pas permis, à plus vaste échelle, que Christine Boutin recueille les
parrainages dont elle avait besoin pour se présenter au Premier Tour des
Présidentielles 2012, qui se fit donc sans elle31.

II.3. Partenariat pour des élections : le cas de la liste "Force Vie"

            Au-delà de ces événements singuliers, y-a-t-il eu accord passé pour des
élections? Si tel fut le cas, l'impact a forcément été très limité, le CRC n'étant pas une
megachurch de plusieurs milliers de membres, ni un vaste réseau d'églises
hexagonales! Il serait par ailleurs nécessaire, pour obtenir une vue d'ensemble, de
revisiter les archives du PCD, et d'interroger ses responsables, ce que ne permettait

29
   "Forum Politique Chrétien", 21 janvier 2012, interviews Franck Margain et Anne-Lise Josset, vidéo mise en
ligne sur la chaîne EMCITV (consultée le 18 octobre 2021).
30
   Anne-Laëtitia BÉRAUD (envoyée spéciale à Fort-de-France), "Présidentielle: Christine Boutin promet «de
l'écoute» aux Martiniquais", 4 février 2012, journal 20 Minutes, 4 février 2012 (online).
31
   Christine BOUTIN s’est retirée de la course à la présidentielle le 13 février 2012, se désistant en faveur du
candidat-président Nicolas Sarkozy.

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pas le format de l'enquête présentée ici. En revanche, on peut affirmer qu'au moins
une collaboration effective s'est nouée autour d'une candidature, celle de la tête de
liste "Force Vie" en Guadeloupe, avec Kelly Citadelle-Velin, membre du CRC
Guadeloupe et candidate PCD aux élections européennes de mai 2014. Un blog
consacré aux news ultramarines décrit ainsi ce processus de collaboration :

                "La tête de liste guadeloupéenne est arrivée en politique par le Centre du réveil
         chrétien. « C’est une amie évangélique, Jocelyne Goma qui travaille avec moi, raconte
         Christine Boutin, qui m’a présenté Kelly. » Celle-ci a choisi d’être « porte-drapeau d’une
         génération de Français qui n’acceptent pas un changement de civilisation qui fracture la
         famille et les différences sexuelles ». Kelly Citadelle-Velin est née à Pointe-à-Pitre, a grandi
         à Morne-Rouge à Sainte-Rose et a prépare son bac au lycée des droits de l’Homme à Petit-
         Bourg. Installée depuis à Fosses dans le Val d’Oise, elle est professeur de biotechnologie,
         santé et environnement dans un collège. C’est là qu’elle a connu le centre de réveil
         chrétien. « Prier, c’est bien, mais s’engager, faire bouger les lignes, c’est notre objectif »,
         indique la jeune candidate qui est aussi sur la liste UMP pour les municipales dans sa ville
         de Fosses. Elle résume son message aux outre-mer ainsi : « Nous ressemblons aux autres
         caribéens, mais nous sommes français. Notre réalité européenne doit être palpable dans
         les territoires"32.

            Des intentions à la réalité, il y a un gouffre. Avec un score inférieur à 1% des
voix, les objectifs du PCD aux Européennes de 2014 font long feu. La percée espérée
n’a pas eu lieu33, à l’inverse de la montée du Front National34. Cette déconvenue
électorale a renforcé ses soutiens (y compris certains évangéliques) dans l'idée que
l'option chrétienne explicite en politique, en tout cas dans le contexte français, est un
combat sinon perdu d'avance, du moins téméraire.

III. Liens évangélisme créole/Catholicisme identitaire: quel sens ?
            Quel sens donner à ces liens entre une Eglise créolisée de banlieue
parisienne, issue de l'évangélisme postcolonial, et un parti politique conservateur
d'inspiration chrétienne plutôt porté par un catholicisme d'identité ?

III.1. Une convergence d'opportunité, sans lendemain ?

          Une première hypothèse interprétative invite à privilégier la convergence
d'opportunité, liée à une amitié de femmes au service d'objectifs conjoncturels
communs. Jocelyne Goma et Christine Boutin auraient tenté un rapprochement, mais

32
   Fxg, "Deux ultramarins têtes de liste aux élections européennes de mai", blog http://www.fxgpariscaraibe.com/, 3
mars 2014 (consulté le 18 octobre 2021)
33
    Florian REYNAUD, « Christine Boutin, la surprise des européennes 2014? », Slate online, 11 juillet 2013,
http://www.slate.fr/france/75219/christine-boutin-europeennes
34
   Le Front National remporte 24,6% des suffrages, premier parti de France aux Européennes 2014 devant l’UMP,
le PS, le Modem et les Verts.

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sans lendemains. En politique comme dans les milieux évangéliques, le charisme
personnel surdétermine parfois convergences ou conflits. En la matière, les liens de
proximité entre le CRC et le PCD s'expliqueraient plus par des questions de personne
que par des stratégies pérennes. Du reste, lors des élections municipales de mars 2014,
on trouve par exemple un candidat issu du CRC soutenir Nathalie Kosciusco-Morizet,
sur la liste de Pierre-Yves Bournazel dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Il s'agit de
Rudy Kazi, dont l'appartenance au CRC fait d'ailleurs l'objet d'une polémique, son église
étant accusée d'homophobie35. Cet engagement d'une personnalité du CRC derrière
Nathalie Kosciusco Morizet en 2014 connote une orientation politique et éthique
différente de celle du PCD de Christine Boutin et Jean-Frédéric Poisson.

            De quoi nourrir l'hypothèse d'une convergence éphémère entre le CRC et le
PCD ? Cependant, en élargissant la focale, et en choisissant, au-delà du CRC, de
regarder l'ensemble du "milieu évangélique" multiculturel, ou "issu de l'immigration",
cette hypothèse d'une convergence sans lendemains s'estompe. Un compagnonnage
s’est poursuivi. Pour s'en convaincre, on citera, par exemple, la candidature du pasteur
Saïd Oujibou sous la bannière du PCD, lors des élections législatives 201736. Jean-
Frédéric Poisson est alors à la tête du PCD. Au-delà des raisons liées à l'amitié
personnelle entre Jocelyne Goma et Christine Boutin, le cas Oujibou illustre le fait qu'il
existe, sur la durée, des affinités qui dépassent les questions d'affinité individuelle. Ce
qui renvoie aux observations faites par R. Khari Brown, Angela Kaiser et Anthony
Daniels, à partir d'une étude de cas (panel de 309 entretiens téléphoniques) et d'une
compilation de nombreux travaux de recherche. Ils concluent sur le fait qu'une
approche volontariste et fondée sur des valeurs religieuses, parmi les leaders
communautaires de milieux socio-culturels et ethniques différents (ici, catholiques
d'identité, d'ascendance européenne, et évangéliques, d'ascendance afro-
caribéenne), joue un rôle clef pour créer un lien de solidarité entre des groupes au
départ très différenciés37. En d'autres termes, la convergence ici observée au nom
d'une éthique chrétienne non-privatisée, même limitée, a eu des effets interculturels,

35
   Julien MASSILLON, "Municipales à Paris: Pierre-Yves Bournazel se défend d’avoir un homophobe sur sa liste", 6
mars 2014, site https://www.komitid.fr/ consulté le 18 octobre 2021.
36
   David HERAIL, "Saïd Oujibou, pasteur et humoriste, se lance dans la campagne des législatives sous la bannière
du PCD", 9 juin 2017, portail InfoChrétienne (article consulté le 18 octobre 2021). Il s'est présenté dans la 11e
circonscription des Hauts-de-Seine avec pour suppléante Gaëlle Pasquier de Solan. Il a récolté 0,61% des voix
(220 voix).
37
   "Activist congregational leaders play an important role in encouraging a sense of interracial/ethnic solidarity
among Blacks, Whites, and Hispanics. The more political messages that Blacks, Whites, and, to a lesser extent,
Hispanics hear at their places of worship, the more likely they are to perceive common interests with
racial/ethnic out-groups. In encouraging congregants to take political action, this study suggests that many
congregational leaders are likely emphasizing support for candidates and policies that are in the best interests
of varying racial/ethnic groups as a whole", R. Khari BROWN, Angela KAISER et Anthony DANIELS, Journal of Religion
and Society, 12, 2010, p.10.

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voire même oecuménogènes38, décloisonnant des mondes chrétiens a priori très
éloignés.

III.2. Une nouvelle "Sainte Alliance" conservatrice ?

            Une autre hypothèse pourrait nous inviter à spéculer sur la constitution
d'une nouvelle "Sainte Alliance" conservatrice. Elle serait faite de la convergence de
deux forces. D'un côté, un catholicisme d'identité, qui refuse la marginalisation
politique des principes catholiques au nom d'une défense et illustration, dans la Cité,
de la "loi naturelle" telle que l'Eglise catholique la définit. De l'autre, un protestantisme
évangélique plutôt charismatique ou néopentecôtiste, issu de fraîche date du "creuset
français" décrit par Gérard Noiriel39, nourri principalement de l'immigration
maghrébine et subsaharienne. Un mouvement composite, caractérisé par sa ferveur
militante, et dont "la conscience politique (des évangéliques) ne cesse de mûrir" en
terrain français, si l'on en croit Mathieu Grimpret, auteur en 2007 d'un essai intitulé
Dieu dans l'isoloir40. Au centre de l'alliance, les lois divines, et la conviction qu'une
société ne peut subsister en rompant avec les modèles sexuels et familiaux que l'on
estime hérités du christianisme. Cette sainte alliance serait conservatrice, voire
ultraconservatrice, au sens où elle replace au centre des débats une figure dont s'était
éloignée la démocratie libérale contemporaine, à savoir celle d'un Dieu normatif,
source de sens, de droit et de stabilité pour la société, qui défendrait la dignité humaine
"de la naissance à la mort naturelle", et l'amour de la vie. Au Forum Politique Chrétien
du 21 janvier 2012 qui rassemble fidèles du CRC et cadres du parti PCD, Christine Boutin
déclarait : "on se retrouve assez rarement entre chrétiens, particulièrement dans le
domaine politique, et pouvoir échanger en toute liberté, en toute transparence, en
communion de foi, était naturellement magnifique (...) Nous les chrétiens nous ne
sommes pas des bonnets de nuit, nous sommes des hommes et des femmes qui
aimons la vie, et là on en a vu le témoignage"41.

III.3. Un "marronnage" chrétien de voix marginalisées ?

            Une dernière hypothèse invite, au final, à relativiser l’image d’une « sainte
alliance » réactionnaire qui se serait forgée entre un évangélisme issu de l'immigration
et un certain catholicisme d'identité. On rappellera tout d'abord que le catholicisme
d'identité du PCD n'est pas celui de l'Action Française, ou de certains réseaux

38
    Une des formes insolites (passant aussi par une appréciation partagée pour la musique Gospel) de
l'"oecuménisme aux multiples visages" dont Philippe PORTIER et Jean-Paul Willaime esquissent certaines lignes
de force ? Cf. PORTIER et WILLAIME, La religion dans la France contemporaine, op. cit., p. 177 et suivantes.
39
   Gérard NOIRIEL, Le creuset français, Histoire de l'immigration, XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, coll "Points", 2016.
40
   Mathieu GRIMPRET, Dieu dans l'isoloir, Paris, Presses de la Renaissance, 2007, p.255.
41
   Christine BOUTIN, interrogée sur "Forum Politique Chrétien", 21 janvier 2012, vidéo mise en ligne sur la chaîne
EMCITV (consultée le 18 octobre 2021).

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d'extrême droite. Le PCD, comme son nom l'indique, est ouvertement démocrate, et
joue le jeu du libéralisme politique. Il s'inscrit davantage dans la filiation de
mouvements comme le MRP, d'une forme de démocratie chrétienne en version
française, que d'une sainte alliance obsédée par la mise en place d'un régime
théocratique ! On pourrait effectuer des remarques en partie similaires en ce qui
concerne l'évangélisme charismatique ou néopentecôtiste issu de l'immigration des
années 1970 à 2000. Ces milieux chrétiens postcoloniaux sont marqués par l'éthos
politique libéral. Bien qu'étant vulnérables, comme d'autres, aux tentations populistes
qui jouent sur le "retour de l'autorité" et la défense de la famille, ils ne militent pas
pour une approche théocratique, encore moins pour une restauration monarchiste,
contraire à leur imaginaire politique.

            D'où l'hypothèse qui consiste, in fine, à décrire ces convergences comme un
de ces "nouveaux marronnages" dont le géographe Christophe Guilluy imagine
l'émergence possible dans un essai publié en 201642. Historiquement, le marronnage
désigne la coagulation sociale d'anciens esclaves en fuite, organisés en société
alternative de résistance au sein d'un monde qui les marginalise et les menace. Par
nouveaux marronnages, on peut désigner un vaste archipel de contestations issues des
marges, des laissés-pour-compte des mutations démocratiques, capitalistes et
néolibérales des 40 dernières années. Les cadres du PCD tout comme les publics
auxquels s'adressent des églises comme le CRC, ne se reconnaissent pas dans les récits
triomphants d'un progrès des moeurs et des libertés, souvent tenus par une élite
politique et médiatique à fort capital financier et culturel, qui prêche l'ouverture tout
en cultivant l'entre-soi43. Ils appartiennent à des catégories dominées44, aisément
pointées du doigt. Christine Boutin et sa Bible brandie, Jocelyne Goma et son
interprétation de l'homosexualité en terme de possession sont des cibles médiatiques
faciles, clouées au pilori d'une pensée séculière dominante qui a exculturé, non pas
seulement le catholicisme45, mais le christianisme dans son ensemble.

          Mais ces voix dominées partagent aussi des dispositifs militants appuyés sur
une éthique partagée, empruntée à christianisme de type hétéronormatif,
conservateur46, qui s’inscrit dans la compétition démocratique et pluraliste des offres

42
   Christophe GUILLY, Le crépuscule de la France d'en haut, chapitre 4, "Le marronnage des classes populaires",
ibid.
43
   C'est l'une des thèses d'Emmanuel TODD, Les Luttes de classes en France au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2020.
44
   Ce repositionnement comme catégorie dominée est récent, en ce qui concerne la base sociale qui porte le PCD
(catholicisme de vieille implantation plutôt de classe moyenne). Ce statut de dominé, dans le champ
socioculturel, est plus ancien en ce qui concerne la base sociale du CRC, marquée par l’héritage de la colonisation,
puis de la migration et de l’implantation (souvent compliquée -discriminations liées au phénotype-) dans
l’hexagone.
45
   Cf. Danièle HERVIEU LEGER, Catholicisme, la fin d'un monde, Paris, Bayard, 2003.
46
   Et une forme de revendication implicite d'autorité magistérielle, que ce Magistère soit celui d'une institution
centrale reconnue, comme au sein du catholicisme, ou celui d'une parole pastorale normative appuyée sur une
lecture imposée du référentiel biblique.

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politiques. De ce fait, elles ont trouvé les chemins d'une résistance commune à ce qui
leur apparaît menacer le modèle de société qu'ils revendiquent.

            Cette ligne refuse la privatisation du religieux sans pour autant plaider pour
un régime théocratique. Christine Boutin rappelait dans les colonnes du Figaro, pour
les 100 ans de la séparation des Eglises et de l'Etat : "Réduire le fait religieux à la sphère
strictement privée, c'est rendre l'homme schizophrène (...) Pour répondre à la
fragilisation de nos liens sociaux, il serait irresponsable de ne pas reconnaître le rôle
des religions et de ne pas les associer à la refondation de notre unité nationale"47.

           On n'est pas dans un mouvement de masse, ni une tentative de restauration
d'Ancien Régime. On s'inscrirait plutôt dans ces nouveaux "marronnages" des marges,
qui empruntent tantôt au terreau chrétien solidariste et familiariste, comme dans
notre étude de cas, tantôt puisent dans d'autres répertoires (mouvement ouvrier,
zadistes, écologie radicale, islam politique, gilets jaunes).

                                               Conclusion
           On ne saurait affirmer que les convergences observées entre le PCD et le
CRC, en terrain français, illustrent une tendance de fond. Il faudrait d'autres études de
cas, notamment sur les liens entre réseaux catholiques pro-Vie et réseaux
évangéliques comme le CPDH48, pour élargir le champ d'analyse et tirer des conclusions
générales49.

           En revanche, le dossier des liens entre PCD et CRC illustre les
rapprochements possibles, en France mais sans doute aussi ailleurs en Europe, entre
un catholicisme d'identité et un évangélisme créole. Les christianismes postcoloniaux
implantés en Europe50, et les relations qu'ils parviennent parfois à tisser avec des
acteurs chrétiens plus anciennement installés, ouvrent un champ d'étude, celui des
réseaux chrétiens d'intérêt partagé. Ces réseaux sont portés par "la force des liens

47
   Christine BOUTIN, "Etat et religions : indifférence ou coopération ?", Le Figaro, rubrique "Débats et Opinions",
9 décembre 2005.
48
   Comité Protestant Evangélique pour la Dignité Humaine (CPDH), fondé en 1999 sur la base d'une coordination
évangélique au service de la défense de la dignité humaine. Le CPDH se positionnelle notamment face à des
évolutions sociétales et bioéthiques qui remettraient en cause, selon ses responsables, les valeurs du
christianisme. Site internet : https://cpdh.org/
49
   Sur les rapprochements évangéliques-catholiques (au-delà des enjeux politiques), lire notamment Louis
SCHWEITZER, Le dialogue catholiques-évangéliques, Débats et documents, Charols, Excelsis, 2002, et, beaucoup
plus récemment, la remarquable enquête de Valérie AUBOURG, Réveil catholique, Emprunts évangéliques au sein
du catholicisme, Genève, Labor et Fides, 2020.
50
   Sandra FANCELLO et André MARY (ed), Chrétiens africains en Europe, Prophétismes, pentecôtismes et politique
des nations, Paris, Karthala, 2010.

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faibles"51 et un oecuménisme pragmatique dont la nécessité s’impose d’autant plus
que les voix chrétiennes apparaissent de plus en plus marginalisées.

           Parmi les facteurs de rapprochement, outre le référentiel chrétien, un
positionnement commun visant à refuser la privatisation du religieux en contexte de
sécularisation avancée. Le choix fait par la gauche de gouvernement de transférer
l'horizon de la révolution des classes sociales vers la redéfinition de la famille joue aussi
son rôle, éloignant d'elle un électorat migrant chrétien qui, sur un plan socio-
économique, aurait pourtant pu s'avérer sensible à une gauche sociale et populaire52.
La plausibilité des grands récits de la Modernité triomphante, déjà fragilisée par le
passif colonial, s'en trouve contestée, sans pour autant tourner les yeux vers des
nostalgies pré-démocratiques.

            Et si ces milieux chrétiens des marges, ces "nouveaux marronnages"
(Guilluy), constituaient des leviers possibles pour nourrir le débat républicain ? A une
échelle très modeste, certes, et non sans subir le rôle, dans l'arène médiatique, de
repoussoir conservateur. Mais mobilisés à leur niveau, refusant le retrait, la passivité
et l'abstention, ainsi que la réduction privative du religieux. Sur le fil du rasoir entre
prophétisme et populisme, ils ramènent dans l'Agora le référent chrétien non plus sur
le mode de croisés d'Ancien Régime, mais en tant qu'acteurs convictionnels d'une
société civile pluraliste.

51
   Mark GRANOVETTER, "La force des liens faibles" (1973), traduction française dans Sociologie économique, Paris,
Seuil, 2008, p.45-73.
52
   Au Brésil, la chute et l'emprisonnement en 2018 de l'ancien président Lula (prélude à l'élection de Bolsonaro)
a été liée à de multiples affaires de corruption qui ont lourdement entaché la réputation de "proche du peuple"du
Parti des Travailleurs. En France, l'incapacité de François Hollande à se représenter aux élections de 2017 doit
aussi beaucoup à de multiples affaires de corruption qui ont affaibli le parti socialiste, de plus en plus éloigné des
catégories populaires ainsi que le gouvernement socialiste lui-même (affaire Cahuzac en 2012, ministre du
budget qui détourne de l'argent dans un compte en Suisse).

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