Restauration d'entreprise en France et au Royaume uni. synchronisation sociale alimentaire et obésité
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- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 861 / 210 Restauration d’entreprise en France et au Royaume‑Uni. Synchronisation sociale alimentaire et obésité Cyrille Laporte Food, Cultures & Health Taylor’s Toulouse University Centre Jean‑Pierre Poulain Food, Cultures & Health Taylor’s Toulouse University Centre RÉSUMÉ L’article repose sur une étude parallèle des dispositifs de gestion de l’alimentation au travail en France et au Royaume‑Uni (res- taurants d’entreprise et tickets restaurant). En comparant les connaissances, y compris dans la littérature grise, relatives à l’évolu- tion des pratiques alimentaires au travail dans ces deux pays, les auteurs relèvent que la fréquentation des restaurants d’entreprise est plus faible au Royaume‑Uni et qu’en conséquence, on y observe une plus forte désynchronisation des repas qu’en France. Ils émettent l’hypothèse d’une possible corrélation de ce résultat avec une plus forte prévalence de l’obésité au Royaume‑Uni. Mots‑clés : Alimentation. Synchronisation alimentaire. Obésité. Restaurant d’entreprise. Ticket‑restaurant. Cyrille Laporte Jean‑Pierre Poulain Membre de la Chaire Food Studies: Food, Cultures & Health Titulaire de la Chaire Food Studies: Food, Cultures & Health Taylor’s Toulouse University Centre, Taylor’s Toulouse University Centre, Kuala‑Lumpur Kuala‑Lumpur et et CERTOP, Université de Toulouse 2 CERTOP, Université de Toulouse 2 Institut Supérieur du Tourisme, de l’Hôtellerie et de l’Ali- Institut Supérieur du Tourisme, de l’Hôtellerie et de l’Ali- mentation (ISTHIA) mentation (ISTHIA) 5 allées Antonio Machado 5 allées Antonio Machado 31058 Toulouse Cedex 9 31058 Toulouse Cedex 9 cyrille.laporte@univ‑tlse2.fr poulain@univ‑tlse2.fr La comparaison de la distribution des prises alimen- sur le lieu de travail. Comment les solutions techniques taires dans la journée dans les populations anglaise et (types et formules de restauration, modalités de sou- française laisse apparaître de fortes transformations tien de l’entreprise et des pouvoirs publics) ont‑elles entre 1960 et aujourd’hui pour la première [Warde, été construites par des acteurs professionnels (qui ne 1997 ; Warde and Martens, 2000 ; Warde et al., 2007] sont pas les consommateurs eux‑mêmes) mais prenant et une situation plutôt stable pour la seconde [Saint en compte de façon plus ou moins explicite, ce qui, Pol, 2006 ; Fischler et Masson, 2008]. En effet, si on selon eux, devrait être un « vrai repas » ? A proper meal assiste bien en France à une simplification de la struc- aurait dit Mary Douglas [2002 [1984]]. Et comment, ture des repas, l’implantation horaire et le niveau de en retour, ces dispositifs techniques influencent‑ils les socialisation, entendu comme la fréquence du manger pratiques des mangeurs en rendant possibles ou impos- en compagnie, reste quasi identique [Poulain et al., sibles, faciles ou moins faciles certaines évolutions ? 2010 ; Poulain, 2002b]. Comment enfin celles‑ci pourraient‑elles être impli- Adoptant une perspective socio‑historique, qui quées dans le développement différencié de la préva- s’appuie sur une revue de littérature et des données lence de l’obésité dans ces deux pays ? En effet, des empiriques qualitatives et quantitatives produites par données commencent à s’accumuler, qui semblent les auteurs dans différents programmes de recherches lier le développement de l’obésité avec des situations depuis 1995 [Poulain et al.], cet article étudie les moda- de désocialisation des prises alimentaires [Fischler et lités d’institutionnalisation des dispositifs d’alimentation Masson, 2008 ; Poulain, 2009 ; Fischler, 2012]. Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1, p. 861-872
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 862 / 210 16 Oc 862 Cyrille Laporte et Jean‑Pierre Poulain L’alimentation ■■ hors foyer : ménage, le nombre de personnes, leur genre, la répar- enjeux théoriques et pratiques tition des rôles domestiques… ont une influence sur les pratiques des individus et pèsent sur les décisions, dans celui de la restauration hors domicile, il convient L’usage du terme « technique », dans cet article, d’intégrer d’autres variables comme les formules de s’inscrit dans la perspective d’André‑Georges Hau- restauration, les modalités de paiement et leur indi- dricourt [1987] qui a montré que les choix techno- vidualisation, les prises en charge partielles des coûts, logiques s’inscrivent dans des cadrages culturels qui les formes de socialisation et l’existence ou non de contribuent à leur donner du sens et à légitimer leur solutions alternatives. usage. C’est ainsi que les contextes socioculturels de Le nombre de repas pris hors domicile et les dépenses la conception des dispositifs techniques d’aide à l’ali- y afférent sont l’objet de variations d’un pays à l’autre mentation au travail invitent les acteurs concernés sans que les facteurs économiques, comme le pouvoir (directeurs des ressources humaines, responsables de d’achat, les coûts des prestations ou le niveau de déve- comité d’entreprise, professionnels de la restauration loppement économique, ne permettent d’en rendre d’entreprise, etc.) à définir le contenus et les moda- compte. Des pays comme la Pologne ou le Danemark lités d’un repas « normal », « convenable » pour des ont par exemple des coefficients budgétaires dédiés à personnes qui travaillent. Ce faisant, ils se réfèrent la consommation hors foyer identiques (3 %), alors de façon plus ou moins explicite à des systèmes de que leur PIB par habitant est très différent (moins de normes sociales, au sens durkheimien du terme, dif- 10 000 euros par habitant pour le premier et presque férents en France et en Angleterre. Ceux‑ci vont 40 000 euros pour le second)1. La répartition des repas justifier le choix de certains dispositifs techniques consommés entre restauration collective et commer- plutôt que d’autres ainsi que les modalités de leur ciale varie elle aussi de façon plus ou moins impor- mise en œuvre. Le recours à ce repas « normal » est tante. Pour la France, le secteur collectif représenterait d’autant plus important que ceux qui vont le défi- plus de 50 % des repas, alors qu’au Royaume‑Uni il ne nir ne sont pas ceux qui vont le consommer et que serait que de 35 % [Gira Foodservice, 2011]. cette définition s’opère dans le contexte particulier Distinguons le secteur de la restauration commer- du lieu de travail. C’est pourquoi notre perspective va ciale et celui de la restauration collective ou sociale. également concentrer le regard sur le processus d’ins- Le premier regroupe les restaurants ouverts à tous titutionnalisation de ces dispositifs techniques à tra- publics et le second rassemble les établissements qui vers les conceptions politiques, les rapports de forces dépendent d’entreprises ou d’organisations, mettant entre l’état, les syndicats et le patronat qui s’inscri- à la disposition d’une clientèle particulière plus ou vent quant à eux dans l’histoire économique, sociale moins exclusive une prestation de restauration. Dans et politique de ces deux pays. le premier cas l’objectif du restaurant est clairement Nombreux sont les travaux concernant l’alimenta- lucratif, alors que dans le second l’activité de restau- tion quotidienne dans le cadre familial ou sur l’ali- ration est secondaire par rapport à l’activité principale mentation d’exception dans les restaurants gastrono- de l’établissement d’accueil. Les Anglo‑Saxons uti- miques, mais l’alimentation au travail, que ce soit dans lisent la distinction entre profit sector pour la restau- les restaurants collectifs ou bien dans les restaurants ration commerciale et cost sector pour la restauration commerciaux situés dans l’environnement du lieu de collective. Chaque contexte se caractérise par des dis- travail, est beaucoup moins connue, même s’il existe positifs techniques (des formules de restauration, des quelques travaux pionniers [Corbeau, 1986 ; Lambert modes de paiement, etc.) qui pèsent sur la construction et Bassecoulard‑Zitt, 1987 ; Maho et Pynson, 1989 ; des décisions et prédéfinissent les interactions entre les Poulain, 1993, 2002b ; Poulain et al., 1995 ; Dubuis- acteurs sociaux (responsables des ressources humaines, son‑Quellier, 1999 ; Jacobs et Scholliers, 2003 ; des comités d’entreprises, agents des services de restau- Wanjek, 2005]. Cet espace alimentaire peut représen- ration et bénéficiaires du service). ter pour certains groupes sociaux et certaines tranches L’alimentation au travail est le secteur de la restau- d’âge une part non négligeable des prises alimentaires ration qui s’est le plus développé depuis les années (5 repas par semaine soit entre 200 et 240 par an pour 1970, en Europe de l’Ouest. Les politiques sociales un actif mangeant en dehors de la maison à midi). des entreprises, parfois aidées fiscalement par les Si dans le cas de l’alimentation au foyer, la structure du gouvernements, se sont orientées vers le soutien Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 863 / 210 Restauration d’entreprise en France et au Royaume‑Uni. Synchronisation sociale alimentaire et obésité 863 aux salariés au repas de midi, soit en mettant à leur privées. à l’instar du groupe Sodexo en France, ou disposition des restaurants d’entreprise, soit en pro- de Compass en Angleterre, les sociétés de restauration posant des titres restaurant. Dans les deux cas, les collective se développent, dès la fin des années 1960, salariés bénéficient du financement d’une part de la sur ce marché émergent [Laporte, 2012]. prestation, par l’entreprise mais aussi par l’état, sous Mais, l’employeur peut aussi avoir recours aux la forme d’exonérations, puisque ces avantages sont titres restaurant. Les entreprises, et notamment celles défiscalisés jusqu’à un certain seuil, pour le salarié et de taille modeste, ont trouvé dans ce dispositif le les entreprises. Les restaurants collectifs permettent moyen de participer à l’alimentation de leurs salariés de servir des quantités importantes de repas sur des à un coût réduit puisqu’elles bénéficient de déduc- plages horaires courtes, en optimisant les temps tions de charges patronales et d’avantages fiscaux de déplacement. Conçus pour offrir une prestation sans avoir à investir dans un restaurant. En France, le de type « entrée, plat garni, dessert » en France, dans code du Travail définit le titre restaurant comme un quelle mesure ont‑ils contribué à ralentir les phéno- titre spécial de paiement que le salarié utilise pour mènes de simplification des repas ? Dans ce contexte, acquitter tout ou partie du prix d’un repas consommé les choix alimentaires des mangeurs sont largement au restaurant3. Le dispositif serait né en Angleterre, au surdéterminés par des décisions prises à des échelles début des années 1950, à l’initiative d’un médecin, le plus ou moins éloignées d’eux, comme la structure docteur Winchendron qui aurait imaginé de « bons des menus, les types de plats ou leur rotation, par des repas » utilisables chez des restaurateurs avec lesquels acteurs eux‑mêmes distants comme une direction des il aurait passé accord afin de faciliter le déjeuner du ressources humaines, une société de restauration col- personnel de sa clinique. Il est difficile de dire si cette lective, un comité d’établissement ou bien encore un anecdote, reprise à loisir par la littérature profession- gestionnaire du restaurant, dans un système d’action nelle, est vraie ou bien si elle relève d’une mythifica- déjà décrit par Poulain [2002a]. tion. Mais que l’histoire ait été inventée ou qu’elle ait Il est possible de repérer trois grandes familles de été retenue comme événement fondateur, elle révèle dispositifs de gestion de l’alimentation au travail : la l’ancienneté du contrôle médical sur la question du mise à disposition des salariés d’un local pour se res- « bien manger ». En France, le dispositif s’installe au taurer, la mise en œuvre d’une cantine ou d’un res- début des années 1960. Cependant, cette politique taurant d’entreprise et l’utilisation des titres restau- qui réinjecte du pouvoir d’achat de façon indirecte, a rant. Ainsi, selon la formule choisie, les employeurs été pensée en situation de plein‑emploi, et se révèle investissent‑ils plus ou moins et font‑ils de l’alimen- aujourd’hui un facteur d’inégalités dans une période tation un élément de la politique sociale d’entreprise. où le chômage frappe. La France et le Royaume‑Uni convergent sur les Les restaurants commerciaux offrent la possibilité dispositifs mobilisables mais affichent des différences d’une plus grande individualisation des horaires et des dans le niveau d’utilisation. De part et d’autre de la pauses de repas. Le titre restaurant laisse, quant à lui, Manche, l’encadrement juridique du travail exige un large espace de liberté, le choix du restaurant, du des entreprises la mise à disposition des salariés d’un jour, de l’heure et même en partie du bénéficiaire. local de restauration2. Mais elles peuvent aussi créer C’est ainsi que le salarié peut l’utiliser, comme il a été une cantine d’entreprise, dont l’objectif est de per- pensé, c’est‑à‑dire pour ses propres repas de midi dans mettre la consommation d’un « vrai repas » sur place l’environnement commercial de son entreprise, les à un coût modéré. Nombreuses sont les entreprises de jours de travail, mais aussi à d’autres occasions, seul ou l’industrie et des services à s’être engagées dans cette en famille, ou encore avec des amis sous réserve que démarche. Parfois, lorsque leur taille n’était pas suf- ce soit un jour de semaine4. L’usage s’est même élargi fisante, elles se sont regroupées pour mettre en place à certains produits. Quels effets le développement et des restaurants inter entreprises (RIE) ou des restau- l’usage différenciés de ces dispositifs ont‑ils sur la mise rants inter administratifs (RIA). Dans tous les cas, deux en œuvre concrète des pratiques alimentaires et sur les modèles économiques se sont développés : soit les emplois du temps ? Nous allons nous intéresser à ces organisations autogèrent ces restaurants, directement différences en recherchant les phénomènes sociaux et ou à travers leur comité d’entreprise, soit elles optent culturels susceptibles de les expliquer. Puis, nous ten- pour une délégation de service ou une sous‑traitance terons de voir leurs conséquences sur les formes de en confiant la gestion à des sociétés de restauration socialité alimentaire. Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 864 / 210 16 Oc 864 Cyrille Laporte et Jean‑Pierre Poulain Français ■■ et Anglais à table ‑ l’implantation temporelle, c’est‑à‑dire le respect d’horaires fixes des repas et des petits repas, Dans une perspective socio‑historique longue et dans ‑ la synchronisation, c’est‑à‑dire pour lui la prise en le sillage de Norbert Elias, Stephen Mennell a proposé commun des repas par l’ensemble de la famille6, de voir dans les formes de curialisation5 l’origine des dif- ‑ la localisation, c’est‑à‑dire la consommation des repas férences de cultures gastronomiques et plus largement de dans la cuisine, la salle à manger, rapport à l’alimentation dans ces deux pays [Elias, 2003 [1939] ; Mennell et al., 1992]. Analysant les temporalités ‑ et enfin la ritualisation, qu’il définit comme l’alter- alimentaires et leur évolution, Alan Warde souligne que nance entre les « repas ordinaires » et les « repas festifs ». les Français passent plus de temps à table [Warde et al., 2007] et que la durée des temps alimentaires a consi- Enfin, pour rendre compte de l’articulation de cer- dérablement baissé au Royaume‑Uni durant les deux taines de ces dimensions, comme la concentration, dernières décennies alors que pour la même période, l’implantation horaire et la synchronisation, le concept elle était plutôt stable en France. Nous allons prolonger de « journée alimentaire » a été proposé [Poulain, la comparaison en étudiant le budget consacré à l’ali- 2001]. On peut le définir comme la distribution des mentation et le nombre et les formes des repas. Nous différentes prises alimentaires, repas et hors repas, au nous concentrerons sur les repas pris dans et hors de la cours de la journée. L’implantation horaire des prises maison, et pour ces derniers, à leur répartition entre res- dessine un tempo alimentaire qui scinde la journée tauration à caractère social et restauration commerciale. avec des moments forts où une partie importante de la société se consacre à cette activité. La socialisation Le budget alimentaire des repas et de certaines prises hors repas suppose une coordination des emplois du temps. L’analyse des lieux La loi d’Engel décrit le fait que plus le revenu aug- de consommation permet de repérer les frontières mente, plus la part relative du budget consacrée à l’ali- entre les univers domestique, du travail et de la restau- mentation diminue. Si cette loi rend bien compte de ce ration. à l’échelle macrosociologique, le concept de qui se passe dans une société donnée, tant pour son évo- « journée alimentaire » permet également de mettre en lution globale que dans l’échelle sociale, elle se révèle évidence une autre dimension de la « synchronisation incapable d’expliquer la variation de la part du budget alimentaire » qui rend compte du fait que les indivi- consacrée à l’alimentation dans deux sociétés de même dus d’un même groupe social ou d’une même société niveau de développement économique. C’est le cas mangent à la même heure. Enfin les multiples combi- des situations française et britannique pour lesquelles naisons entre repas et hors repas dessinent des profils le coefficient budgétaire en 2000 était de 13,1 % pour la de journées [Poulain, 2001 ; Kjaernes, 2001 ; Credoc, France et de 8,9 % pour le Royaume‑Uni, alors que les 2007 ; Holm, 2012 ; Mäkelä, 2012]. PIB sont équivalents. Dix ans plus tard, le pourcentage a Pour le Royaume‑Uni, l’étude des structures de légèrement baissé pour passer respectivement à 12,93 % repas anglais a été l’objet de travaux qualitatifs de et à 8,56 % ; l’écart est quasi identique [Eurostat 2012 grande qualité, mais contrairement à la France, les don- cité par Hanne et Roux, 2012]. Les Anglais consacrent nées quantitatives sont rares et parcellaires. Mary Dou- donc moins d’argent à l’alimentation que les Français, glas a mis en évidence le proper meal [Douglas, 1972] ; soit un écart de 4 points qui peut se chiffrer à près de Anne Murcott [2012] a approfondi cette question en 500 euros par an. Cette différence montre qu’à niveau étudiant la différenciation des formes de journées dans de développement équivalent, les Français accordent l’échelle sociale. Elle souligne que derrière des appel- une importance plus grande à leur alimentation. lations identiques, les formes de repas et les horaires diffèrent selon les classes sociales. Par exemple, le tea Les repas et journées alimentaires est une collation ritualisée dans l’aristocratie, mais peut aussi dans d’autres groupes sociaux, être un véritable Regardons maintenant plus précisément les formes repas, plus ou moins copieux, dans lequel on ne sert de ces repas. Pour décrire les pratiques alimentaires, pas nécessairement de thé (le tea et le high tea n’ayant Nicolas Herpin distingue cinq dimensions [1988] : que peu à voir avec le tea time). ‑ la concentration, c’est‑à‑dire l’organisation plus ou Pour le Royaume‑Uni toujours, l’évolution de moins complexe de prise sous forme de repas, l’implantation horaire des repas dans les journées Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 865 / 210 Restauration d’entreprise en France et au Royaume‑Uni. Synchronisation sociale alimentaire et obésité 865 Figure 1. Implantation horaire et synchronisation des prises alimentaires sur une journée en pourcentage (Angleterre 1961 et 2001). Source : BBC, ONS, nVision Figure 2. Implantation horaire et synchronisation des prises alimentaires sur une journée en pourcentage (France (1999 et 2006) Source : Poulain et al., 2001, 2003, 2006. Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 866 / 210 16 Oc 866 Cyrille Laporte et Jean‑Pierre Poulain alimentaires entre 1961 et 2001 (figure 1) fait appa- Au‑delà des divergences de mobilisation des dispositifs raître un étalement des prises sur la journée, ce qui de gestion de l’alimentation au travail, les différences a pour conséquence une désynchronisation sociale ou culturelles dans la définition de ce qu’est un proper meal plutôt une « déconvivialisation » des repas. On passe renforcent les mouvements de désynchronisation au d’une distribution avec 4 pics distincts en 1961, dans Royaume‑Uni ou de synchronisation en France. laquelle une forte proportion de la population mange en même temps, à de légers regroupements en 3 points et un étalement sur la journée en 2001, traduisant donc une forte désynchronisation. Alimentation ■■ au travail Même si les données disponibles pour la France ne et dynamiques industrielles couvrent pas exactement la même période (figure 2), elles donnent à voir une implantation horaire, pour L’alimentation au travail s’inscrit dans des dyna- les trois principaux repas et les petits repas, nettement miques syndicales et à une place dans les mouvements distribuée. En 1999, la forme de la courbe française est sociaux en même temps qu’elle est la conséquence de proche de celle du Royaume‑Uni et se révèle stable la transformation de la structure des emplois et de la sur plus de 7 ans. Contrairement à ce qui s’est passé en taille des entreprises. Au cours de la première révolu- Angleterre, ces données mettent en évidence le main- tion industrielle, dans les grandes entreprises textiles et tien d’une forte synchronisation des repas. Cependant métallurgiques, les ouvriers apportaient leur gamelle les structures de repas se sont transformées en France. pour se nourrir sur leur lieu de travail [Luissier, 2007]. Si l’on compare les formes de repas à partir des trois Progressivement, les cantines ou restaurants d’entre- baromètres santé nutrition de l’Inpes [Baudier et al., prise vont naître dans les deux pays sous l’effet de la 1996 ; Guilbert et Perrin‑Escalon, 2004 ; Poulain pression syndicale des ouvriers et des politiques d’amé- et al., 2010], on voit les repas à 4 composantes passer de lioration des conditions de travail. 25 % à 17 % et ceux à 3 composantes de 37,8 % à 33 % La journée de huit heures avec une coupure per- [Poulain et al., , 2010]. On constate donc à la fois un mettant de rentrer pour prendre un repas à la maison mouvement de simplification continu des repas et un à midi prend place dans le mouvement de réduction maintien des horaires et de la synchronisation. du temps de travail qui commence à s’imposer comme On observe des évolutions différentes des formes et la norme au sortir de la première guerre mondiale, des horaires de repas dans le monde britannique et le même si certains secteurs professionnels réussiront à la monde français. Les effets de ces transformations sont remettre en cause avec le dispositif des heures d’équi- d’autant plus importants que l’on mange à l’extérieur valence. Cependant, selon la localisation et en fonction de la maison au Royaume‑Uni (21 %, 2011) qu’en des contraintes organisationnelles du secteur d’activité, France (13,6 %, 2006), ce qui augmente la désynchro- la possibilité de déjeuner à la maison fut plus ou moins nisation des repas au Royaume‑Uni. à l’échelle de possible et même souhaitée par les salariés. Les can- la restauration sur le lieu de travail, la France, qui a tines d’entreprise nées avec l’industrialisation ont alors davantage recours aux cantines d’entreprises, renforce été l’objet de négociations ; on est passé de la salle où la synchronisation des prises alimentaires en fixant le chacun mangeait sa gamelle apportée de la maison, à la déjeuner sur la pause méridienne. De plus, près de cantine d’entreprise, puis au « restaurant » avec plus de un Britannique sur cinq ne mange pas au moment du confort et une prestation de meilleure qualité. déjeuner [Eurest, 2006]. à partir de la fin des années 1950, l’aménagement Comment expliquer une telle différence dans des de cités‑dortoirs, des zones industrielles et la créa- pays au niveau de vie sensiblement équivalent ? L’hy- tion de villes nouvelles, ont transformé les rythmes pothèse que nous voudrions défendre est que le niveau sociaux. L’allongement du trajet domicile‑travail et le de consommation hors foyer et le développement travail féminin ont soutenu une demande d’organisa- différencié des solutions techniques de restauration tion en journée continue. Ces évolutions ont trans- participe plus ou moins à l’individualisation des déci- formé le statut de la pause méridienne dans la relation sions et des consommations alimentaires. Cependant employeur‑salarié. Les deux heures consacrées au repas, le développement différencié n’est compréhensible considérées d’abord comme une conquête sociale, que parce que des systèmes de valeurs autorisent des furent alors vues comme une des raisons du retour tar- pratiques. Il y aurait donc ici des causalités circulaires. dif au domicile. Des lors, la mise en place de dispositifs Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 867 / 210 Restauration d’entreprise en France et au Royaume‑Uni. Synchronisation sociale alimentaire et obésité 867 permettant de se restaurer à proximité du lieu de travail de l’Ancien Régime comme de l’emprise de la reli- s’invita dans les réflexions sur les conditions de travail, gion catholique qui donne le sentiment que l’esprit les conventions collectives et les accords d’entreprise. reprend le contrôle du corps. En réalité, la stabilisa- Cependant la France et le Royaume‑Uni ne vont tion et la diffusion du modèle à trois repas reposent pas connaître au même moment et au même rythme sur un processus de fond plus large qui participe de la le mouvement de transition économique structurelle construction de l’identité française. L’usage du français décrit par Fisher [1939], Clark [1940] et Fourastier ou bien la création d’institutions chargées de mettre [1947] et vulgarisé sous le nom de « loi des trois sec- en scène le mythe égalitaire (l’école, l’armée, l’hôpital) teurs ». Cette transformation se caractérise par « la ont assuré une fonction d’homogénéisation et de dif- réduction sans cesse de la place du secteur primaire au fusion du modèle national. Combiné à la diffusion de bénéfice, d’abord du secteur secondaire puis ensuite valeurs d’universalité, à la pensée hygiéniste qui sou- du secteur tertiaire » [Fourastier, 1963]. Le cycle tient cet idéal et à l’essor de la biologie qui justifierait industrialisation‑désindustrialisation‑tertiarisation a “une façon de bien manger”, le modèle des trois repas démarré plus tôt et s’est développé plus rapidement s’est ainsi imposé [Aymard, Grignon et Sabban, 1993 ; outre‑Manche, ce qui a eu pour conséquence qu’au- Poulain, 2001]. jourd’hui la proportion de petites et moyennes entre- Au Royaume‑Uni, les structures stables de plats, prises est plus forte au Royaume‑Uni. Du point de vue de menus et d’horaires de repas s’articulent autour de l’alimentation hors foyer ce phénomène a réduit de trois éléments : cooked dinner, fish and chips et tea. l’importance des restaurants d’entreprise et favorisé le Chacun de ces éléments n’a pas, comme nous l’avons développement de la restauration commerciale. déjà signalé, la même acception selon la classe sociale. Plusieurs hypothèses complémentaires expliquent la Le tea représente le repas principal pour la classe plus grande importance de l’alimentation hors foyer ouvrière alors qu’il peut designer un goûter ou un au Royaume‑Uni et surtout la différence de réparti- dîner (high tea) pour les classes moyennes et supérieures. tion entre restauration collective et restauration com- Aussi est‑il plus difficile de calquer des dispositifs tech- merciale entre ces deux pays. Les premières, que nous niques homogènes sur des attentes fragmentées. Par venons de présenter, prennent en compte des trans- ailleurs, le repas de fin de journée serait le moment fort formations structurelles liées aux rythmes d’industria- des prises alimentaires journalières des Anglo‑Saxons lisation et de désindustrialisation, à la taille des entre- [Murcott, 2012]. On observe là une divergence forte prises, aux aides et aux incitations des pouvoirs publics. avec le modèle français où le repas du midi est central Les secondes, que nous allons maintenant aborder, dans la journée alimentaire. intègrent les conceptions et les normes qui pèsent sur Ces différences dans le nombre de repas dans la l’alimentation, en un mot l’institution du repas. journée, d’horaires et de structures de repas s’inscrivent dans les représentations des acteurs sociaux en charge Les conceptions et les normes des repas derrière de la définition des systèmes de restauration. Ils servent les dispositifs techniques de schéma de pensée pour le choix des formes de res- tauration, pour la définition de l’offre, ou bien encore, En France, l’instauration et la stabilisation de jour- pour la valorisation de la part aidée du déjeuner sur le nées alimentaires avec trois repas principaux résulte de lieu de travail. Dans cette perspective, l’homogénéi- la conjonction de plusieurs facteurs qui ont pour ori- sation du repas français d’après‑guerre, s’imposant en gine la Révolution française. La bourgeoisie adopte le modèle et en symbole du progrès social, a conduit en service à la russe au détriment du service à la française, France à rechercher des dispositifs et des formules adé- trop hiérarchisé et cristallise dans les classes moyennes quats. Une autre différence dans l’usage des dispositifs et supérieures l’embryon d’un modèle national. La dif- est la valeur monétaire moyenne du titre restaurant. fusion au sein d’autres groupes sociaux est lente et pro- Elle traduit l’importance qu’accordent dans un pays et gressive. Ainsi, l’alimentation des paysans restera‑t‑elle dans l’autre les décideurs et les administrateurs de la encore longtemps dépendante des ressources locales restauration au travail (état, entreprises, institutions). et des saisons, de même que la structure des journées En France, avec 6,50 euros, il permet la consomma- alimentaires des artisans dépendra du rythme de tra- tion d’un repas à plusieurs composantes, alors qu’au vail. La consolidation du modèle s’explique par une Royaume‑Uni les 4,18 euros [Wanjek, 2005° n’auto culture de la règle issue des monastères et des couvents risent qu’une prise alimentaire plus simple ou une Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 868 / 210 16 Oc 868 Cyrille Laporte et Jean‑Pierre Poulain collation. Derrière la valeur monétaire se cache de repas et à développer l’alimentation hors domi- l’importance que l’on donne au repas méridien dans cile, et à imposer le recours de plus en plus fréquent un pays ou dans l’autre. aux produits pré‑élaborés, ce qui tendrait à affaiblir l’encadrement social des modes de vie et surtout Des dispositifs techniques de l’alimentation au travail de l’alimentation. à la question de l’obésité D’autre chercheurs ont mis l’accent sur le proces- sus d’individualisation de la décision alimentaire plus Au Royaume‑Uni, la synchronisation des repas a, important dans le « monde anglo‑saxon » qu’en France ces dernières décennies, considérablement diminué et avancent l’idée que la persistance des repas synchro- alors qu’elle est restée constante en France. Derrière nisés pourrait être un facteur explicatif du relativement ces phénomènes se repèrent des différences relatives faible taux d’obésité dans ce pays [Fischler et Masson, aux budgets alimentaires, au nombre de repas pris à 2008]. D’autres encore ont montré que dans une popu- l’extérieur et à leur répartition entre restaurant com- lation, plus la part du budget alimentaire était faible, ce merciaux et collectifs. Celles‑ci sont imputables à qui est le cas au Royaume‑Uni, plus les choix s’orien- des transformations de structures de l’emploi et à des taient vers les produits les plus énergétiques [Drenom- cadrages culturels des dispositifs techniques permettant wky and Darmon, 2005]. de répondre au besoin de manger sur le lieu de tra- Nos analyses invitent à regarder comment les dispo- vail. Les arguments développés dans cet article ouvrent sitifs techniques choisis pour organiser l’alimentation des pistes de recherche pour tenter de comprendre les au travail, de part et d’autre de la Manche, pourraient relations entre les pratiques alimentaires que génèrent avoir contribué au développement de la désynchroni- les dispositifs techniques de l’alimentation hors foyer sation et de la désocialisation des pratiques, créant une et sur le lieu de travail et la prévalence de l’obésité. En situation plus individualisée plus favorables à l’obésité. effet, les usages fortement différenciés des dispositifs Cette lecture prolonge, en l’ancrant dans les systèmes de gestion de la restauration au travail et des modalités d’action, l’hypothèse un peu culturaliste d’ « Anglais de socialisation des repas de midi invitent à rechercher plus individualistes » et de « Français plus commen- les éventuels liens avec le développement lui aussi dif- saux ». Les conceptions culturelles du « vrai repas » férencié de l’obésité dans ces deux pays. Sa prévalence déterminent les conceptions des dispositifs techniques pour les adultes est plus forte au Royaume‑Uni qu’en et leur paramétrage (par exemple le montant du titre France : 23,1 % des hommes et 24,3 % des femmes restaurant censé répondre au besoin d’un travailleur à sont obèses (IMC supérieur à 30), alors qu’ils ne sont midi), et en retour les dispositifs influencent les pra- que 11, % des hommes et 13 % des femmes en France. tiques concrètes en rendant possibles, et plus ou moins Le constat est le même pour le surpoids (IMC entre 25 durables dans le temps, certains types de pratiques. Si et 29,9) : 43,4 % des hommes et 32,1 % des femmes l’on accepte l’idée que le repas partagé participe à la pour UK contre 35,6 % des hommes et 23,3 % des régulation des pratiques alimentaires en mettant l’indi- femmes en France [iaso, 2007]. vidu sous le regard des autres, alors les dispositifs français Une première explication a été proposée à l’échelle permettant des repas socialisés et synchronisés auraient macrosociologique par Matt Qvortrup [2005]. Pour pu ralentir le développement de l’obésité dans ce pays. lui, les changements sociaux consécutifs au passage Même si la restauration au travail ne concerne que d’une société industrielle traditionnelle à une éco- la population active et guère qu’un tiers des repas de la nomie globalisée et dérégulée ont créé de nouvelles semaine, elle semble avoir une influence sur l’organisa- structures de vie et de travail, qui ont eu des effets tion des journées alimentaires. Au terme de ce travail, négatifs sur la consommation alimentaire et l’exer- la notion de synchronisation alimentaire, c’est‑à‑dire la cice physique contribuant ainsi au développement de diminution des dimensions socialisées et partagées des l’épidémie d’obésité. Raisonnant à partir de données repas apparaît comme un indicateur pour étudier les britanniques, il montre que le développement d’une conséquences des contextes sociaux sur les pratiques politique économique d’inspiration néolibérale a eu alimentaires. La convivialité, et le plaisir partagé qui de profondes influences sur les formes d’emploi, car dans certaines conditions l’accompagne et la justifie se sont multipliés les emplois précaires avec des effets [Dupuy, 2013], peut influencer positivement l’état de négatifs sur les ressources des ménages. L’introduction santé : c’est ce que donne à penser le cas de l’obésité. de la flexibilité a contribué à transformer les horaires Cependant il faut se garder d’une idéalisation naïve des Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 869 / 210 Restauration d’entreprise en France et au Royaume‑Uni. Synchronisation sociale alimentaire et obésité 869 repas socialisés. Dans d’autres contextes, comme celui suppose un partage des responsabilités » [Poulain, des personnes atteintes d’hypercholestérolémie, les 2011]. Il est donc hors de question de désigner une effets semblent beaucoup plus ambivalents [Fournier, seule catégorie d’acteurs sociaux, ni un seul phéno- 2012]. Un champ dès lors s’ouvre pour explorer les mène comme responsable de son développement. Cet multiples influences des formes de socialisation sur la article n’a d’autre ambition que de commencer à iden- régulation des comportements alimentaires. tifier des niveaux de responsabilité qui échappent clas- L’obésité a des causes multiples. Elle est à la fois « un siquement à la conscience des acteurs. Ce faisant, il problème scientifique qui appelle la mobilisation de permet de proposer de nouveaux leviers d’action et de la recherche, des secteurs industriels de l’alimentation donner des justifications à la mobilisation des acteurs et de la pharmacie, de l’univers de la santé publique, de la restauration par les différents plans nationaux de mais aussi de la mode, des médias... Un problème qui lutte contre le développement de l’obésité. ■ ❙❙Notes contrôlent ce point, ce qui fait que leur usage déborde le cadre de l’alimentation au travail. d’implantation régionale. Pour sa part, Elias a montré comment dans la curialisation française, le renouvellement continu des formes culinaires 5. Le processus de curialisation corres- au même titre que la mode vestimentaire, sert à 1. Insee, comptes nationaux, base 2000, pond à l’organisation des systèmes de rela- tenir à distance les groupes montants issus de la Eurostat in Eurogroupe, 2012. tions entre un monarque et les élites aristocra- bourgeoise et à assurer aux élites la légitimation tiques. Les pratiques de cour s’accompagnant de leur position dominante. 2. Code du Travail français : articles de formes particulières de civilité, Mennell R4228‑19, R4228‑22 et R4228‑23. recherche l’origine des différences entre gas- 6. La notion de synchronisation alimen- 3. Article L3262‑1 du code du Travail tronomie anglaise et française dans ce qui lui taire a été élargie à l’échelle des populations français. apparaît comme la différence majeure entre les pour décrire le fait que dans un groupe social deux aristocraties, à savoir l’installation quasi donné, un certain nombre d’individus mangent 4. Cependant comme les salariés qui tra- permanente des dernières dans la capitale ou au même moment et donc synchronisent leurs vaillent le week‑end peuvent utiliser les tickets à Versailles, alors que les premières pratiquent emplois du temps [Poulain, 2001 ; Saint Pol, restaurants, rares sont les établissements qui des aller‑retour entre Londres et leurs lieux 2006]. ❙❙Références bibliographiques Dubuisson‑Quellier Sophie, 1999, « Le prestataire, le client et le consommateur. Sociologie d’une relation marchande », Revue française de sociologie, 40, 4 : 671‑688. Aymard Maurice, Claude Grignon et Françoise Sabban, 1993, Dupuy Anne, 2013, Plaisirs alimentaires. Socialisation des enfants et Le Temps de manger : alimentation, emploi du temps et rythmes so‑ des adolescents, Rennes, Presses universitaires de Rennes. ciaux, Paris, éditions de la MSH. Elias Norbert, 2003 [1939], La Civilisation des mœurs, Paris, Pocket. 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- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 870 / 210 16 Oc 870 Cyrille Laporte et Jean‑Pierre Poulain Guilbert Philippe et Hélène Perrin‑Escalon (dir.), 2004, Poulain Jean‑Pierre, 2001, Manger aujourd’hui. Attitudes, normes, Baromètre santé nutrition 2002, Paris, inpes. url : http://www. pratiques, Paris, Privat. inpes.sante.fr/Barometres/BaroNut2002/ouvrage/index.asp. Poulain Jean‑Pierre, 2002a, « Les pratiques alimentaires de la Hanne Hugo et Nicolas Roux, 2012, évolution des dépenses et population mangeant au restaurant d’entreprise », Consomma‑ des prix d’alimentation dans la consommation des ménages en France tions et sociétés, 2 : 97‑110. et en Europe depuis 1959, dgccrf, Paris. url : http://www.eco- Poulain Jean‑Pierre, 2002b, Sociologies de l’alimentation, Paris, nomie.gouv.fr/files/dgccrf_eco4.pdf. Presses universitaires de France. 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- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 871 / 210 Restauration d’entreprise en France et au Royaume‑Uni. Synchronisation sociale alimentaire et obésité 871 ❙❙ABSTRACT Staff restaurants in France and in the United Kingdom. Food synchronization and obesity. The paper reports on food management systems in France and the United Kingdom (corporate catering and meal vouchers). The authors link a review of the question including grey literature with the evolution of food practices in both countries. This approach highlights a lesser use of corporate restaurants and consequently a wider desynchronization of meals in the United‑Kingdom as com- pared to France. According to the authors, there may be a likely correlation between these results and a higher prevalence of obesity in the United Kingdom. Keywords: Nutrition. Food synchronization. Obesity. Corporate catering. Meal vouchers. ❙❙ZUSAMMENFASSUNG Kantinen und Essenschecks in Frankreich und England und ihr Einfluss auf das Ernährungsverhalten und auf mögliche Konsequenzen wie Übergewichtigkeit. Der Beitrag beleuchtet die Ursachen des unterschiedlichen Umgangs mit Ernährung am Arbeitsplatz in England und Frankreich. Er zeigt die Auswirkungen der Unterschiede zwischen beiden Ländern auf und stellt die Frage, ob diese mit der geringeren Rate an Übergewichtigen in Frankreich in Zusammenhang gebracht werden können. Stichwörter : Nutrition. Essen‑Synchronisation. Fettleibigkeit. Corporate‑Catering. Essensgutscheine. Ethnologie francaise, XLIV, 2014, 1
- © PUF - 16 October 2013 01:47 - Revue Ethnologie française n° 01/2014 - AUTEUR - Revue Ethnologie française - 210 x 270 - page 872 / 210 16 Oc
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