Le communisme et la dialectique de la paix d'octobre 1917 à juin 1941 : théories, représentations et instrumentalisation
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1 Le communisme et la dialectique de la paix d’octobre 1917 à juin 1941 : théories, représentations et instrumentalisation En juillet 1935, Palmiro Togliatti proclamait à la tribune du VIIe congrès du Komintern : « Nous sommes aujourd’hui une grande armée qui lutte pour la paix »1. Considérée sur la longue durée, cette déclaration d’un dirigeant historique du mouvement communiste illustre parfaitement la place centrale que la thématique de la paix a occupée dans l’histoire du communisme. Rapportée à la seule période du front populaire, cette citation est symptomatique de la mise en avant de la paix comme alternative à la révolution dans la stratégie, la doctrine et la propagande d’une internationale communiste en pleine mutation. Ce constat met en relief un paradoxe puisqu’en 1917 et dans les années qui ont suivi, les bolcheviks avaient fait de l’aspiration générale à la paix en Europe, le moteur de la révolution prolétarienne. Ainsi, il apparaît que pour le communisme la paix a eu une signification et une portée variable selon les périodes. Pourtant, en y regardant de plus près, on constate que la question de la paix s’inscrit aussi dans une continuité puisque sa mise en avant répond de plus en plus à l’objectif fixé dès 1917 d’assurer la sécurité de l’Etat soviétique face aux éventuelles menaces extérieures. Cette instrumentalisation du pacifisme communiste est révélateur de la double dimension du concept de paix pour le communisme : une dimension téléologique qui constitue à la fois l’un des grands fondements de l’idéologie communiste et sa principale source de légitimité comme mouvement politique ; une dimension tactique qui sert à légitimer les choix politiques propres à chaque période. Ainsi, entre la révolution de 1917 et l’invasion de l’URSS en 1941, quatre phases se succèdent : de 1917 à 1925, celle du pacifisme révolutionnaire ; de 1926 à 1934, la période de la « guerre inévitable », puis de 1934 à 1939, un pacifisme de la fermeté face à l’Allemagne et enfin, de septembre 1939 à juin 1941, une période de neutralisme enrobé dans un discours pacifiste radical. 1) Le temps du pacifisme révolutionnaire (1914-1925) Le pacifisme révolutionnaire qui marque les débuts du mouvement communiste n’est pas né en 1917, car il existe déjà pour une bonne part dans la social- démocratie d’avant 19142. En effet, s’il existe une sensibilité pacifiste modérée, héritière de la tradition philosophique du Dix-huitième siècle, qui estime que l’intérêt du prolétariat exige en toutes circonstances le maintien de la paix entre les nations, la plupart des courants d’inspiration marxiste adopte sur la question une problématique dominée par la dialectique de la guerre et de la paix : si la pacification définitive des sociétés humaines demeure l’objectif 1 M. Ercoli (pseudonyme de Togliatti), « La préparation d’une nouvelle guerre mondiale par les impérialistes et les tâches de l’Internationale communiste », L’Internationale communiste, n° spécial, septembre 1935, p. 1343. 2 « L’attitude marxiste face à la guerre » dans Edward Hallet Carr, La Révolution bolchevique, Paris, Editions de Minuit, 1969, p. 555-574.
2 ultime, certaines guerres peuvent favoriser la cause socialiste, en particulier parce que les périodes de conflits armés recèlent souvent de considérables potentialités révolutionnaires. Ainsi, la sauvegarde de la paix exige en général la mobilisation des sociaux-démocrates, mais elle peut dans certaines circonstances entraver la dynamique révolutionnaire du prolétariat. D’où, l’adoption d’une attitude ambivalente sur la question de la paix. Cette ambivalence s’accentue à la fin du XIXe siècle avec la formation du concept de guerre impérialiste entre grandes puissances industrielles et la prise en compte croissante par les partis socialistes du fait national. On assiste donc au développement au sein de la Deuxième Internationale d’une tension entre la définition d’une attitude concertée pour agir en faveur de la sauvegarde de la paix et la volonté de préserver l’intérêt national et d’assurer la défense du pays. Pour cette raison, en 1907, dans un contexte d’aggravation des antagonismes en Europe, le congrès de l’Internationale socialiste à Stuttgart échoue à définir une véritable position commune pour défendre la paix, mais il adopte toutefois un amendement, proposé par les délégués du parti russe, Lénine, Martov, et par Rosa Luxembourg, qui prévoit que dans le cas où la guerre serait déclarée, le devoir des sociaux-démocrates est « d’agir pour y mettre fin au plus tôt, et d’employer toutes leurs forces (…) pour éveiller les masses et hâter la destruction de la domination de classe des classes capitalistes. » Ainsi pour la première fois, la Deuxième Internationale établit de manière explicite une relation étroite entre guerre et révolution en considérant que l’articulation entre la lutte de classe, les conflits armés et l’aspiration profonde des masses à la paix ouvre au prolétariat la voie de la conquête du pouvoir. Cette idée est ensuite reprise par le Congrès de Copenhague de 1910 et par la Conférence de Bâle en 1912. Cependant, les déclarations des partis socialistes d’Europe occidentale contre le militarisme et en faveur de la paix ne remettent pas en cause le droit du pays à se défendre. Au fond, la majorité de l’Internationale condamne seulement les guerres offensives mais considère les guerres défensives comme légitimes. Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, la logique nationale prévaut sur les aspirations révolutionnaires et les décisions prises par l’Internationale dans l’avant-guerre deviennent alors sans objet3. Seuls les sociaux-démocrates russes, mencheviks et bolcheviks, refusent de soutenir l’effort de guerre, mais ils se divisent sur l’attitude à adopter : Lénine, principal leader bolchevik, se prononce pour le « défaitisme », sous une forme cependant édulcorée puisqu’il prône surtout la « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile » sans appeler à agir pour favoriser la défaite du pays. Certains mencheviks, comme Trotsky, ou bolcheviks, tel Nicolas Boukharine, estiment, comme Lénine, que la guerre ouvre des perspectives favorables pour la prise du pouvoir, mais ils refusent de souhaiter ouvertement la défaite russe et défendent le mot d’ordre de « paix sans annexion ». Tant 3 Georges Vidal, « Le communisme, la guerre et la paix (1905-1946) », dans Frédéric ROUSSEAU (sous la direction de), Guerres, paix et sociétés, Paris, Atlande, 2004, p. 228-229.
3 parmi les sociaux-démocrates russes que dans les minorités socialistes européennes qui s’opposent à la guerre, le défaitisme ne rencontre qu’un écho très limité alors que le pacifisme s’impose autour du slogan de « paix immédiate ». Puis, le déclenchement de la révolution russe modifie profondément les termes du débat. A la suite de la révolution de février, Lénine abandonne le défaitisme et adopte le mot d’ordre de « paix immédiate ». Face au « défensisme révolutionnaire » que prônent mencheviks et socialistes-révolutionnaires, ainsi qu’une minorité de bolcheviks autour de Kamenev, Lénine parvient à faire prévaloir sa position au sein du parti bolchevik et à faire condamner tout soutien à la défense nationale en régime capitaliste (Thèses d’avril). La lutte pour la paix devient alors le principal axe de la stratégie bolchevik de prise du pouvoir. Dans les mois qui suivent, la dégradation de la situation intérieure, la succession des échecs militaires et l’accentuation de la décomposition de l’armée, donnent une crédibilité croissante au mot d’ordre de paix. Cette évolution est exploitée par les bolcheviks qui voient leur influence s’accroître parmi les soldats, les ouvriers et les paysans, et qui gagnent à leur position une partie des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires. Le pacifisme révolutionnaire adopté par les bolcheviks devient ainsi la voie royale qui les conduit à la prise du pouvoir. Aussi, le jour même de sa formation, le 25 octobre 1917, « le gouvernement ouvrier et paysan » appelle tous les peuples et les gouvernements à ouvrir des négociations pour « une juste paix démocratique sans annexion, ni contribution. » Ce décret sur la paix s’adresse non seulement aux habitants de l’empire russe mais également à l’opinion publique internationale, car les bolcheviks sont convaincus que non seulement la fin de la guerre avec les Centraux permettra la stabilisation définitive de la république soviétique dans l’ex-empire tsariste mais qu’elle déclenchera une réaction en chaîne de révolutions sur tout le continent européen. La politique de paix du gouvernement révolutionnaire répond donc à la fois à des préoccupations de politique intérieure et à une logique internationaliste pour le développement de la Révolution mondiale. Ce dernier objectif va largement déterminer l’attitude des Soviétiques dans les négociations de paix et leur apporter dans un premier temps de réels succès. L’armistice de Brest- Litovsk signé le 15 décembre comprend en effet deux clauses imposées par les Russes : l’interdiction pour les Allemands de transférer des forces du front oriental vers l’Ouest et la possibilité pour les troupes allemandes et russes de fraterniser à la suite de l’arrêt des combats. Les bolcheviks comptent ainsi, d’une part, éviter le reproche de faire le jeu des Centraux et d’être la cause d’une intensification des combats en France et, d’autre part, de pouvoir développer leur propagande dans l’armée allemande pour aboutir à sa désagrégation. Mais dans les semaines qui suivent, les dirigeants bolcheviks se divisent sur les enjeux du traité de paix en cours de négociation avec Berlin4. La majorité d’entre eux, dont Trotsky et Kamenev, prône le rejet des dures conditions 4 Orlando Figes, La Révolution russe, 1891-1924, la tragédie d'un peuple, Paris, Gallimard, 2009, p. 664-682.
4 exigées par les Allemands, car ils sont convaincus que l’aspiration à la paix est si forte en Allemagne qu’une reprise de la guerre sur le front russe y provoquerait la révolution, y compris dans l’armée. Kamenev résume ainsi ce pronostic optimiste : « Il ne fait aucun doute que si l’Allemagne ose maintenant lancer ses troupes contre la Russie révolutionnaire (….), ce sera l’étincelle qui causera l’explosion finale et qui balaiera tout l’édifice de l’impérialisme allemand. » A l’inverse, Lénine estime qu’il ne faut pas compter à court terme sur la révolution en Allemagne et que la sauvegarde de la jeune république soviétique exige d’accepter les conditions voulues par Berlin. La position majoritaire l’emporte et, le 10 février 1918, les plénipotentiaires russes rompent les négociations en déclarant unilatéralement que « l’état de guerre a pris fin entre les empires centraux et la Russie ». Une semaine plus tard, l’armée allemande passe à l’offensive avec succès. Lénine fait alors accepter par la direction du parti bolchevik la signature du traité de paix aux conditions draconiennes imposées par les Allemands. La signature du Traite de Brest-Litovsk le 3 mars marque le choix de la paix au nom de la défense nationale (« nous avons le droit de défendre la patrie » dit Lénine) et le début de l’acceptation de facto de la coexistence pacifique avec les puissances capitalistes pour assurer la sécurité de l’Etat soviétique. Pour Lénine, il ne s’agit pas seulement de « l'absence de l'état de guerre entre Etats aux systèmes économiques et sociaux différents » mais également de « la constance de solides relations économiques et culturelles entre ces Etats ». Toutefois, jusqu’en 1925, les dirigeants soviétiques croient encore à une possible extension du communisme en Europe, qui pourrait être favorisée par l’intervention de l’Armée rouge, ainsi que le théorise Trotsky : « L'intervention militaire est utile comme les forceps de l'accoucheur ; employée à temps, elle peut abréger les douleurs de l'enfantement; employée prématurément, elle ne peut aboutir qu'à des avortements5. » Ce recours à la guerre révolutionnaire participe d’une tendance à la militarisation du système soviétique, héritée du « communisme de guerre » pratiqué au cours de la guerre civile et de la guerre russo-polonaise6. Ainsi, s’affirme une forme de militarisme inédit, dominé par la valorisation exacerbée de l’institution militaire, la référence explicite au patriotisme et l’appel constant à la défense de la paix. A partir de 1925, commence une nouvelle période marquée par l’abandon de fait de toute perspective de guerre révolutionnaire, parce que l’orientation suivie par la direction soviétique et par le mouvement communiste est de plus en plus dominée par la conviction que, dans un monde devenu bipolaire, le face à face entre le camp du socialisme et celui du capitalisme rend une guerre d’agression contre l’Union soviétique inéluctable. En outre, les dirigeants communistes estiment que les tensions entre Etats capitalistes s’aggravent et peuvent dégénérer en conflit majeur entre puissances occidentales. Ainsi, la politique 5 Cité dans Léon Trotsky, La Révolution trahie, chapitre 8, www.marxists.org. 6 Georges Vidal, op. cit., p. 232-241.
5 communiste accorde une importance majeure au risque de guerre, ce qui implique de reconsidérer en des termes nouveaux la question de la paix. 2) La guerre inévitable et la condamnation du pacifisme (1925-1934) Une première phase est marquée par une revalorisation modérée du danger de guerre, dont le temps fort est, en novembre- décembre 1926, la déclaration de Boukharine, qui devant le VIIème Plenum du comité exécutif du Komintern, affirme que l'hostilité contre l’URSS allait devenir une tendance fondamentale de la période. Puis, un véritable tournant intervient lors du VIIIème Plenum en mai 1927, lorsque la décision est prise de substituer au mot d’ordre de lutte pour la paix, celui de lutte contre le danger de guerre antisoviétique7, qui dorénavant doit guider l’action de tous les partis communistes de la planète. Il s’agit d’un tournant majeur dans l’histoire du communisme, car « désormais les intérêts de la construction du socialisme en URSS avaient la priorité sur les intérêts stratégiques de la révolution en Europe » et dans cette mutation « la propagande et la lutte contre le danger de guerre (....) assumeront une fonction décisive (…) beaucoup plus que cela n’a été jusqu’ici pris en compte par l’historiographie du communisme » 8. Dans les années qui suivent, s’instaure une sorte de division du travail entre la diplomatie soviétique, qui défend une politique pacifique appelant au désarmement intégral des nations et destinée à sortir l’Union soviétique de son isolement, et le Komintern qui lui applique une politique révolutionnaire centrée sur la défense de l’URSS. Cette hantise de la guerre est ensuite précisée et théorisée sur le plan idéologique à l’occasion du VIème Congrès du Komintern qui se tient en septembre 19289. L’axiome de la nature belligène du capitalisme reste le fondement de la doctrine communiste10, mais sous une forme exacerbée avec l’affirmation que, depuis la « guerre impérialiste » de 14-18, le capitalisme « accentue les antagonismes dans une telle mesure, que la “ paix ” n’est plus qu’une pause en attendant de nouvelles guerres11 ». De cette conviction, la direction communiste tire des conclusions politiques qui ont des conséquences sur la question de la paix : la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile devient le principal objectif, c’est en dire qu’en cas de conflit, « le mot d’ordre essentiel doit être, non la 7 Stefano Cannone, « De la “ Lutte pour la paix ” à la “ défense de l’URSS ”. Le débat sur le danger de guerre dans le Komintern, 1926-1927 », Communisme, n°18-19, 2ème et 3ème trimestre 1988, p. 50-70. 8 Ibid, p. 65. 9 Lily Marcou, La Troisième Internationale et le problème de la guerre dans Les Internationales et le problème de la guerre au Vingtième siècle, Milan, Université de Milan-Ecole française de Rome, 1987, p. 27-50. 10 Lénine avait ainsi résumé dès 1914 la conception communiste de la guerre inéluctable : « La guerre n’est pas un accident, elle n’est pas un péché comme se l’imagine le prêtre chrétien, elle est une étape inévitable du capitalisme, une forme aussi naturelle de la vie capitaliste que la paix » (La situation et les tâches de l'Internationale Socialiste, Social-Démocrate, 1e novembre 1914). 11 “ Thèses sur la lutte contre la guerre impérialiste et la tâche des communistes ” (Thèses et résolutions du VIème Congrès mondial de l’Internationale communiste), La Correspondance internationale, n°149, 11 décembre 1928, p. 1711.
6 12 paix, mais la révolution prolétarienne. » ; la guerre étant inéluctable, le pacifisme est illusoire et doit être condamné, en particulier les projets de désarmement qui se développent à cette époque. Cette dénonciation vise avant tout les socialistes, tout particulièrement en France, mais également le développement du pacifisme modéré, incarné à cette époque par A. Briand. Or, au début des années 1930, le discours communiste sur la « guerre inévitable » non seulement n’a pas d’impact sur l’opinion, mais s’impose difficilement dans la mouvance communiste elle-même. En effet, alors que le pacifisme et la crédibilité de la défense collective culminent durant cette période à l’occasion des discussions internationales de Genève sur le désarmement et le rôle de la SDN13, le maximalisme des communistes et l’absence de l’URSS dans les négociations de désarmement accentuent leur marginalisation, y compris dans les milieux ouvriers où les thèses pacifistes des socialistes paraissent beaucoup plus réalistes que celles défendues par les partis communistes. Face à ces difficultés, les dirigeants communistes dénoncent avec virulence la persistance du pacifisme au sein même de leur mouvement. Ainsi, la direction du Komintern renouvelle régulièrement ce genre de consignes : « Les bavardages à tort et à travers, les légèretés et surtout l’inexécution des décisions prises et la déformation des résolutions acceptées par les divers comités du parti doivent être vigoureusement combattus. Il faut se servir de chaque exemple pour faire sur ce point l’éducation du parti qui est dans ce domaine encore plus arriéré que dans les autres.14 ». Ces directives sont relayées, sans grande efficacité, par les directions de chaque parti communiste, telle celle du PCF qui rappelle que les communistes qui se laissent influencer par la propagande pacifiste « commettent un crime impardonnable envers leur parti, envers leur classe15 ». En 1932, le 7ème Congrès du PCF met en garde les militants du parti contre les « hésitations petites bourgeoises de caractère pacifiste, de même qu’un certain état d’esprit fataliste [qui] ont trouvé écho jusque dans nos rangs. »16 En dépit de ces déclarations tonitruantes, la direction du PCF va appuyer le développement du mouvement Amsterdam dont l’orientation est pourtant plus proche du pacifisme que de la ligne de « lutte contre la guerre ». Ce choix tactique de la direction du parti français vise à sortir les communistes de leur isolement, car ce nouveau mouvement, qui regroupe les comités de lutte contre la 12 Ibid, p. 1715. 13 Aux marges du communisme, Romain Rolland prophétise la destruction de la civilisation par la guerre en des termes forts éloignés de la ligne communiste. Son point de vue est bien plus pacifiste que révolutionnaire lorsqu’il évoque la catastrophe à venir : « La guerre chimique fera plus de ravages que la peste noire au XVème siècle. Elle anéantira une grande partie de l’humanité, (….) elle anéantira les grandes villes et la nécessité de la défense obligera les armées, qui seront les peuples à se disperser dans les campagnes. (…) Aucun moyen d’éviter la guerre, car je vois l’insanité humaine irrémédiable. » (Monde, 25 juin 1932, cité par Yves Santamaria, Le Parti communiste français dans la lutte pour la paix (1932-1936), thèse, Paris X, 1990, p. 375). 14 André Marty, « Le PCF devant la guerre impérialiste », L’Internationale communiste, n°15, 1er août 1933, p. 872. 15 Jacques Duclos, « C’est la guerre déjà...! », Les Cahiers du bolchevisme, n°5, 1932, p 309. 16 Résolution sur la lutte contre la guerre impérialiste et pour la défense de l’URSS » (7ème Congrès du PCF), Les Cahiers du bolchevisme, n°spécial, mai 1932, p. 39.
7 guerre impérialiste, est conçu pour être largement ouvert au-delà de la mouvance communiste, tout en étant placé sous le contrôle étroit du PCF. En justifiant le mot d’ordre de « lutte pour la paix » devant le comité central de juin 1932, M. Thorez défend cette démarche. Mais cette entorse implicite à l’orientation officielle provoque les critiques de la direction de Moscou, puis sa décision de « gauchir » la ligne des comités Amsterdam. Dans les mois qui suivent, la tension demeure latente entre le PCF et le Komintern sur cette question. Ainsi, en janvier 1933, un article de L’Internationale communiste17, tirant un bilan de l’activité du Comité de lutte contre la guerre de la région parisienne, souligne le succès du mouvement par son nombre d’adhérents, sa capacité à rallier des membres de la SFIO, mais il critique simultanément son orientation « erronée » et sa frilosité à développer ses organisations et son influence. Cet article dénonce surtout l’incapacité des militants du PCF à défendre au sein des comités la condamnation du pacifisme. Quelques mois plus tard, André Marty, au nom de la direction du Komintern, exprime à nouveau la défiance de Moscou, en jugeant que les communistes ont, au sein des comités Amsterdam, une attitude trop timorée, trop discrète, alors qu’ils devraient leur faire admettre « la nécessité de passer à l’action »18 contre les préparatifs de guerre. Mais à partir de l’été 1934, le changement de stratégie de l’Internationale communiste qui adopte progressivement l’orientation de front populaire entraîne un retour au pacifisme, mais sous une forme renouvelée. 3) La lutte pour la paix ou le pacifisme de la fermeté Ce nouveau positionnement, qui s’effectue par paliers, remet la question de la paix au coeur de la stratégie et du discours communiste. C’est le PCF qui, sous le contrôle de Moscou, va jouer le rôle pilote dans cette réorientation. Après quelques esquisses, celle-ci devient nette au cours du printemps 1935 dans une période marquée par le rapprochement franco-soviétique qui débouche sur la signature du pacte d’assistance mutuelle le 2 mai19. Ainsi, quelques jours avant l’évènement, Thorez affirme que le maintien du statu quo international est la condition indispensable à la réussite d’une véritable politique de défense collective face à Hitler : « Il y a un malfaiteur dangereux qui se promène à travers l’Europe le couteau en main, qui veut jouer du revolver à chaque coin de rue. Il faut le mettre hors d’état de nuire, en lui faisant comprendre que si jamais il déclenche l’agression, il trouvera tout le monde contre lui20. » Cette métaphore qui justifie le pacte d’assistance mutuelle est suivie 17 Otto Bewer, «De la pratique du travail antiguerrier en France », L’Internationale communiste, n°2, 15 janvier 1933, p. 131- 132. 18 André Marty, « Le PCF devant la guerre impérialiste », L’Internationale communiste, n°15, 1er août 1933, p. 863. 19 Le 15 mai, la visite à Moscou de Pierre Laval, ministre des Affaires étrangères, se conclut par un communiqué, signé en commun avec Staline, qui contient ce célèbre passage : « Le devoir tout d’abord leur incombe, dans l’intérêt même du maintien de la paix, de ne laisser affaiblir en rien les moyens de leur défense nationale. A cet égard, Monsieur Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité. » 20 Maurice Thorez, « Pour la paix, pour la Révolution ! », Cahiers du bolchevisme, n° 9, 1er mai 1935, p. 519.
8 dans les jours suivants d’un nouveau glissement lorsque Thorez déclare que, désormais, la politique du PCF est centrée sur le slogan : « Tout pour la défense de la paix21 ! » Cette réorientation est officialisée à l’échelle du mouvement communiste par le VIIe Congrès du Komintern qui se déroule au cours de l’été 1935. A cette occasion, « la lutte pour la paix » devient « le mot d’ordre central des partis communistes »22. De fait, la doctrine de la « guerre inévitable » est alors abandonnée et la possibilité d’une défense collective efficace admise23. En effet, la direction de l’Internationale considère que plusieurs « puissances impérialistes », n’ayant plus intérêt à la guerre, cherchent à sauvegarder la paix. Il s’agit, pour l’essentiel, d’abord de la France, qui est directement confrontée à l’Allemagne hitlérienne, et secondairement des Etats-Unis. Moscou estime donc que « la bourgeoisie française est encore assez raisonnable » pour avoir compris le danger allemand24, ce qui rend possible la formation d’une vaste entente internationale pour isoler Berlin dans le concert des nations. Cette perspective implique inévitablement l’abandon de l’antimilitarisme révolutionnaire. La stratégie de front populaire est alors considérée comme le moyen de renforcer la politique de paix des démocraties occidentales face au bellicisme des puissances fascistes. Toutefois, le tournant du Komintern en 1935 ne change pas l’objectif central fixé par le VIe congrès de 1928 : la lutte pour la paix est avant tout destinée à garantir la sécurité de l’URSS, ce qui implique que dans le cas où la défense collective échouerait et où l’Etat soviétique serait agressé, « les communistes appelleront à contribuer par tous les moyens et à n’importe quel prix, à la victoire de l’Armée rouge sur les armées impérialistes »25. Les communistes doivent donc envisager leur engagement dans une guerre juste qui pourrait éventuellement impliquer une alliance entre l’URSS et des puissances impérialistes. Cette hypothèse concerne avant tout le PCF puisque la France est la principale puissance militaire du continent et qu’elle est directement confrontée à la menace allemande. Le PCF est donc le parti communiste le plus en pointe dans l’application de la politique de lutte pour la paix, son évolution étant pour cette raison suivie de près par Moscou. Ainsi, au moment de la crise rhénane au printemps 1936, le PCF apporte un timide soutien conditionnel aux mesures de défense nationale prises par le gouvernement Sarraut, puis, à la suite de la 21 Maurice Thorez, « Tout pour défendre la paix », ibid., n° 10-11, 15 mai 1935, p. 579-588. 22 « Résolution sur le rapport du camarade Togliatti adoptée par le VIIe Congrès », dans L'Internationale communiste et la lutte contre le fascisme et la guerre. Institut du marxisme-léninisme, Moscou, 1980, p. 405. 23 Palmiro Togliatti, « Discours de clôture des débats prononcés au VIIème Congrès », Ibid., p. 314. Boukharine et Radek, définitivement écartés de toutes responsabilités, ne partagent pas l’optimisme de Staline et de la direction du Komintern. Ils sont convaincus que le nazisme ne pourra être détruit que par la guerre qui surviendra inévitablement. Radek a ainsi résumé son point de vue à Romain Rolland à l’occasion d’une conversation : « Le poids qui pèse sur l’Allemagne est si lourd, la carapace est si épaisse, qu’elle ne sera pas crevée par dessous. Il faudra des bombes d’avions sur le dessus. (...) Il nous faut encore trois ans ! Si on nous attaque avant trois ans, nous serons tout de même vainqueurs; mais ce sera beaucoup plus cher » (Marcel Cachin, Carnets (1921-1933), Paris, CNRS éditions, 1997, tome 4, p. 102). 24 Palmiro Togliatti, « Les tâches de l’Internationale communiste face à la préparation par les impérialistes d’une nouvelle guerre mondiale. Rapport présenté au 7e Congrès mondial, les 13-14 août 1935 », dans L’Internationale communiste et la lutte…., op. cit., p. 254. 25 « Résolution sur le rapport du camarade Togliatti adoptée par le VIIème Congrès », Ibid., p. 410.
9 mise en place du gouvernement de Léon Blum, il approuve les programmes de réarmement décidés en septembre 1936 et vote trois mois plus tard les budgets militaires, attitude qui demeurera inchangée jusqu’à la déclaration de guerre. Pourtant, le PCF reste discret sur cet important tournant politique, car l’articulation entre la politique de défense collective, c’est-à- dire la fermeté vis-à-vis de l’Allemagne qui exige le réarmement, et la force des aspirations pacifistes dans le pays, tout particulièrement dans la mouvance communiste, constitue une contradiction que le PCF ne parvient pas à résoudre et qui l’oblige à autolimiter son engagement en faveur du renforcement de l’armée française. A l’inverse, le pacifisme occupe jusqu’à l’été 1939 une grande place dans la propagande et la politique du PCF, dominées par le leitmotiv que « la guerre n’est pas fatale »26, complété par le slogan « Le communisme, c’est l’ordre ! le communisme, c’est la paix. »27. Les mobilisations pacifistes du PCF sont des succès, en particulier le dimanche 5 avril 1936, jour où se déroulent simultanément un important meeting du parti au stade Buffalo et « le pèlerinage de la paix », organisé à Verdun par un ensemble d’associations contrôlées ou soutenues par les communistes. Cette prégnance du pacifisme se vérifie particulièrement dans la thématique patriotique très présente dans la propagande du PCF et dans l’importance qu’il donne au Rassemblement universel pour la Paix. Le discours patriotique du PCF ne contient aucune référence militaire, y compris aux soldats de l’An II et aux armées de la Première république28. Cette attitude est symptomatique du pacifisme qui s’impose dans la grande majorité de la gauche française et qui se traduit en particulier par le rejet du « mythe de la guerre révolutionnaire »29. Sergio Luzzatto écrit à ce propos : « Malgré la variété des parcours, des expériences intellectuelles et des orientations politiques souvent divergentes –celles du Parti radical, du Parti socialiste, du Parti communiste, du syndicalisme révolutionnaire dans ses différentes tendances– les historiens s’accordent à démystifier la guerre révolutionnaire et à exalter la paix30. » La mouvance communiste participe majoritairement de ce large courant de réticence, voire d’hostilité, aux références guerrières31, d’autant plus que nombre de ses militants et dirigeants 26 « Discours de Marcel Cachin à Boulogne, le 19 octobre 1936 », L’Humanité, 21 octobre 1936, p. 1. A ce propos, Cachin souligne dans ses Carnets que les communistes allemands ne partagent pas l’optimisme officiel affiché par le Komintern. Cachin précise à leur sujet : « La mentalité des socialistes et communistes allemands, c’est qu’il faut la guerre pour vaincre Hitler. [...] Il faut changer ça et dire, c’est la paix qui tuera Hitler. [...] Nos amis allemands croient que la guerre est inévitable. Il faut leur enlever cette idée » (le 8 décembre1936, Marcel Cachin, op. cit., t. 4, p. 449). 27 L’Humanité, 26 avril 1936. 28 Sur la mutation patriotique du PCF et la question de l’armée, cf. Georges Vidal, La Grande Illusion, Lyon, PUL, 2006, p. 136-140. 29 Cf. Sergio Luzzatto, L'Impôt du sang. La gauche française à l'épreuve de la guerre mondiale (1900-1945), Lyon, PUL, 1996, p. 80-145. En 1925, Romain Rolland critique « la rhétorique belliciste » d’une partie de la gauche française. Albert Mathiez, après avoir soutenu l’Union sacrée au nom de la tradition révolutionnaire, devient un pacifiste militant au début des années 1930. 30 Ibid., p. 103. 31 Ainsi, lorsqu’il est question des anciens combattants, le lien entre leur expérience de la guerre et le patriotisme n’est jamais établi, à la fois parce que le PCF qualifie la Première Guerre mondiale de guerre impérialiste mais aussi parce que le pacifisme communiste s’enracine dans le rejet de cette guerre au nom de l’expérience vécue par les ouvriers et les paysans. Par exemple, Lucien Sampaix, présentant un appel de l’ARAC intitulé « Il faut mobiliser la France combattante et meurtrie »,
10 ont été profondément influencés pendant la Grande Guerre par des ouvrages ou des articles qui mettaient en cause le bellicisme de la Première république32. Cet héritage demeure très présent dans le parti, même si au début des années 1920 les analogies entre les armées de la Révolution française et l’Armée rouge ont marqué ses débats internes33. Cette particularité française explique que la volonté de Moscou de voir se développer d’importants mouvements pacifistes dans les démocraties occidentales pour appuyer au sein des opinions publiques la politique de défense collective ait rencontré un grand succès chez les communistes français. Moscou fixe l’objectif de mener la lutte pour la paix comme une véritable « croisade » dont les communistes doivent prendre la direction. A cette fin, le Komintern mise sur une relance du CMGF, mais, en raison de son caractère trop radical inadapté à la nouvelle orientation, la direction de l’Internationale va simultanément s’efforcer de promouvoir le Rassemblement universel pour la Paix (RUP) conçu comme une structure de regroupement élargie. Son lancement officiel est prévu pour le mois de septembre 1936 à l’occasion du Congrès universel pour la Paix organisé à Bruxelles34 et, dès le printemps précédent, les communistes consacrent de gros efforts aux préparatifs de sa mise en place. Le 2 avril, le secrétariat de l’Internationale a fixé la tactique des communistes dans la préparation et le déroulement de ce congrès. Deux objectifs sont fixés par la direction du Komintern : donner au RUP « un caractère large, dépassant de beaucoup le Front populaire »35 et chercher, prudemment, à le faire glisser hors du strict terrain du pacifisme en « essayant de mettre en discussion la question de la lutte contre le fascisme en tant que principal fauteur de guerre »36. Pour assurer son emprise sur le processus de formation du RUP, l’Internationale compte sur l’action du CMGF (Comité mondial contre la guerre et le fascisme) qui est partie prenante de l’organisation du congrès de Bruxelles37. En mars, le secrétariat a donné des directives à la fraction communiste internationale du CMGF en vue de la préparation du congrès mondial de la Paix. Cette fraction, à l’existence secrète, fonctionne parallèlement aux organismes réguliers du CMGF, ce qui permet à l’Internationale de contrôler étroitement le mouvement, même si une bonne partie de ses adhérents et de ses responsables ne sont pas communistes. Le PCF est concerné au premier chef par le écrit à la une de L’Humanité du 1er juillet 1935 : « L’ARAC est sans aucun doute la seule association qui exprime “l’esprit des tranchées”, le vrai... ! Celui des embourbés des entonnoirs, l’esprit des fantassins des vagues d’assaut et des mutinés de 1917 ». 32 En particulier, l’hebdomadaire La Vague, fondé en janvier 1918 par l’historien socialiste Pierre Brizon, a eu un impact considérable sur les militants socialistes et syndicalistes les plus hostiles à la guerre. Cf. Sergio Luzzatto, op. cit., p. 68-74. 33 Cf. Sergio Luzzatto, ibid., p. 83-88. Dès les origines, coexistent donc au sein du PCF deux conceptions sur les guerres de la Révolution : l’une d’inspiration pacifiste qui les rejette comme référence idéologique, l’autre qui, au contraire, les juge comparables aux guerres livrées par les bolcheviks dans les années qui suivent la révolution d’Octobre. Jusqu’en 1939, c’est la conception pacifiste qui domine nettement le discours tenu par le PCF sur la Révolution française. 34 Pour une présentation détaillée de l’action des communistes dans le développement du RUP durant les premiers mois de 1936, voir Yves Santamaria, Le Parti communiste dans…, op. cit., p. 679-702. 35 RGASPI (Moscou), 495/18/1082, décisions du secrétariat du comité exécutif de l’Internationale communiste pour le Congrès mondial de la paix, le 2 avril 1936, p. 67. 36 Ibid., p. 68. 37 Le CMGF est le résultat de la fusion en 1933 des mouvements Amsterdam et Pleyel, pilotés par les communistes. Les comités locaux qui le constituent se sont multipliés en France et secondairement à l’étranger.
11 fonctionnement de cette fraction puisque le CMGF est surtout implanté en France et que ses organismes dirigeants sont installés à Paris. Pour cette raison, les Français, membres ou non- membres du PCF, sont nombreux dans la direction de ce mouvement. Concernant le travail déjà effectué, le secrétariat du Komintern estime que depuis septembre 1935, le bilan de la fraction est largement positif. Surmontant rapidement les difficultés provoquées par la mort d’Henri Barbusse en août 1935, elle est parvenue, non seulement à mettre en place une direction internationale du CMGF, mais également à y faire siéger des personnalités non-communistes, en particulier Romain Rolland, son président d’honneur. Au présidium, où le seul communiste est Maxime Gorki, on trouve Paul Langevin, André Malraux, Francis Jourdain et Jean Longuet. Par contre, sur ses neuf membres, le secrétariat compte six communistes. Pour mieux assurer l’encadrement du mouvement par la fraction communiste, celle-ci est placée sous la direction d’un bureau qui constitue, de fait, la véritable direction du CMGF. Georges Cogniot et Jacques Duclos en font partie et, Willy Münzenberg en étant le principal responsable, le CMGF se trouve donc étroitement intégré à toute une nébuleuse d’organisations38 officiellement indépendantes, mais placées en réalité sous une « direction unique » émanant du Komintern39. Au printemps 1936, le secrétariat de l’Internationale demande à la fraction d’améliorer encore son fonctionnement, en particulier de renforcer son bureau en déchargeant Cogniot de ses autres responsabilités dans le parti pour qu’il puisse se consacrer pleinement à ses tâches de secrétaire du CMGF et mieux faire jouer ses relations dans « le large cercle d’amis du comité mondial, ses membres bourgeois et social-démocrates »40. Le Congrès de Bruxelles, qui réunit du 3 au 6 septembre 4 900 délégués dont 2 500 Français, confirme que le Komintern a réussi à impulser un véritable mouvement pacifiste qui défend les principes de la défense collective et du désarmement41 et dans lequel le PCF joue un rôle décisif42. Ce succès consacre la réussite du mouvement communiste à élargir son influence très au-delà de sa seule mouvance et à se lier à diverses sensibilités pacifistes. En réalité, le pacifisme communiste est alors à son apogée : outre une conjoncture internationale favorable quelques mois après la 38 Willy Münzenberg dirige, entre autres, le comité Thaelmann, le Comité de secours aux victimes du fascisme hitlérien, les Editions du Carrefour et les Archives antifascistes. 39 RGASPI (Moscou), 495/18/1082, Matériaux pour le rapport sur le travail du bureau de la fraction du comité mondial contre la guerre et le fascisme, le 5 mars 1936, p. 177. 40 Ibid, p. 178. 41 Le programme du RUP repose sur la défense de quatre principes : l’intangibilité des traités ; la réduction et la limitation des armements par des accords internationaux et par la suppression des profits des ventes d’armes ; le renforcement de la SDN pour la sécurité collective et l’assistance mutuelle ; un mécanisme efficace de la SDN pour empêcher la guerre. Rachel Mazuy a ainsi résumé l’orientation suivie par le mouvement jusqu’à la guerre : « Le RUP, tout au long de son histoire, reste fidèle à une politique de sécurité collective liée à la SDN, ainsi qu’à une politique de fermeté vis à vis des agressions des puissances fascistes. » (Rachel Mazuy, « Le Rassemblement universel pour la Paix », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 30, 1993, p. 40). 42 Sur le rôle du Komintern dans le développement du RUP, mais également sur les limites du contrôle exercé par les communistes sur le mouvement, voir Michel Dreyfus, « Le Parti communiste français et la lutte pour la paix du Front populaire à la Seconde Guerre mondiale », Communisme, n° 18-19, 2e et 3e trimestre 1988, p. 98-106. Denis Peschanski, « Présentation des carnets », dans Marcel Cachin, op. cit., t. 4, p. 23. Serge Berstein et alii, Rapport de la commission d’historiens constituée pour examiner la nature des relations de Pierre Cot avec les autorités soviétiques, Paris, B&CIE, 1995, p. 26-29.
12 crise rhénane et dans les débuts de la guerre d’Espagne, il bénéficie de la dynamique porteuse des premiers mois du gouvernement de Léon Blum. En effet, la victoire électorale du front populaire est perçue par le mouvement communiste comme un pas important dans le renforcement de la défense collective et un encouragement pour les mobilisations en faveur de la paix. L’optimisme qui anime alors les directions du Komintern et du PCF conduit au cours de l’été à la brève tentative d’initier une nouvelle stratégie d’élargissement des alliances par la formation d’un « Front français pour sauver la paix ». Dans ce nouveau contexte politique, « la lutte pour la paix » menée par le PCF ne se limite plus aux seules mobilisations de masse et à la structuration d’un vaste mouvement pacifiste, elle cherche aussi à influencer la politique extérieure du gouvernement, en particulier par l’action parlementaire, en faveur d’un rapprochement Paris-Prague-Moscou. Mais la politique communiste rencontre vite ses limites en raison de l’hétérogénéité du pacifisme des années 193043. En effet, en privilégiant le maintien de l’unité du RUP, les communistes restent en retrait dans la défense d’une position de fermeté face à l’Allemagne. Ainsi, lors du congrès de Bruxelles, à propos de la guerre d’Espagne. Quelques jours plus tard, Marcel Cachin note dans ses Carnets : « Grande crainte de la guerre, progrès du pacifisme. Le cercle est fermé contre nous44. » Cette incapacité des communistes à infléchir les positions du RUP vers l’antifascisme suscite la suspicion de Moscou à l’encontre de l’organisation pacifiste et des personnalités communistes, Willy Münzenberg et Louis Dolivet, qui jouent un rôle de premier plan dans sa direction. A partir de la crise de Munich, les communistes durcissent leur politique de lutte pour la paix, contribuant ainsi à favoriser la paralysie progressive du RUP. Le pacifisme communiste connaît par conséquent un net affaiblissement au profit d’une attention croissante portée au renforcement de la défense nationale45. Cette évolution prend brutalement fin dans les premières semaines de la guerre en raison du rapprochement germano-soviétique consécutif au pacte d’amitié qui lie désormais Berlin et Moscou depuis le 23 août 1939. 4) Neutralisme et paix immédiate Face au tournant brutal de la politique soviétique, la position du Komintern évolue en plusieurs étapes : - de la fin août jusqu’à la mi-septembre, le pacte est approuvé au nom de la défense de la paix mais les partis communistes des pays en guerre avec l’Allemagne maintiennent leur soutien à la défense nationale. 43 Nicolas Offenstadt, Philippe Olivera, « L'Engagement pour la paix dans la France de l'entre-deux-guerres: un ou des pacifismes? », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°30, 1993, pp. 53-56. 44 Marcel Cachin, op. cit., t. 4, p. 418. 45 Etienne Fajon, « Les communistes et la défense de la nation », Les Cahiers du bolchevisme, n° 10, octobre 1938, p. 637.
13 - à partir de la mi-septembre, la guerre est qualifiée d’impérialiste et au fil des semaines, la France et l’Angleterre sont de plus en plus désignées comme des fauteurs de guerre, l’Allemagne étant au contraire désignée comme une nation pacifique. La propagande communiste est alors centrée sur la nécessité d’une « paix immédiate », sans toutefois suivre un cours défaitiste et antimilitariste46. Cette orientation pacifiste radicale concorde avec l’attitude adoptée sur le plan international par la direction soviétique. Celle-ci, estimant que la guerre sera longue, poursuit deux objectifs : sauvegarder la neutralité de l’URSS en maintenant de bonnes relations avec les Allemands sans rompre avec les Occidentaux ; renforcer sensiblement les capacités de défense du pays. La contrepartie de cette diplomatie de compromis avec l’Allemagne est l’affaiblissement du mouvement communiste largement discrédité par son pacifisme de complaisance vis-à-vis de Berlin. Ainsi, le PCF, interdit par le gouvernement Daladier, se trouve réduit à l’état de groupe marginal clandestin. Lors de la chute de Daladier en mars 1940, son mot d’ordre de « gouvernement de paix (…) assurant la collaboration avec l’URSS pour la rétablissement de la paix générale » a un caractère anecdotique qui passe totalement inaperçu. L’effondrement français de juin 1940 provoque une inflexion de cette orientation dans les pays occupés où la question nationale éclipse assez vite le pacifisme lorsque les partis communistes appliquent à partir de la fin du mois d’août les consignes venues de Moscou qui, très prudemment, donnent la priorité à l’indépendance nationale. Si les communistes poursuivent leur appel à la paix, leur position évolue au gré de la dégradation progressive des relations germano-soviétiques. En juin 1940, Raymond Guyot, dirigeant des Jeunesses communistes françaises, appelle depuis Moscou les jeunes communistes américains à faire campagne pour que les Etats-Unis conservent leur neutralité47 ; le même mois, Jacques Duclos, principal dirigeant resté à Paris, estime que le PCF doit conserver comme cap : « Maintien de l’armistice et répression énergique de toute action tendant à entraîner à nouveau le peuple français dans la guerre48. » Dix mois plus tard, en avril 1941, Thorez et Marty élaborent à Moscou un programme pour le PCF dans lequel ils écrivent que le peuple n’accepte pas « la guerre impérialiste, la paix de soumission et d’esclavage. » Dans cette période, la thématique de la paix reste invoquée, mais comme argument contre le régime de Vichy « qui conduit la France à la guerre » aux côtés de l’Allemagne. Le pacifisme communiste, déjà sensiblement affaibli, sombre avec l’invasion de l’Union soviétique par l’Allemagne hitlérienne le 22 juin 1941. En 46 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « Les communistes et l'armée pendant la drôle de guerre », dans Jean-Pierre Rioux, Antoine Prost, Jean-Pierre Azéma (sous la direction de), Les Communistes français de Munich à Chateaubriand, Paris, Presses de la FNSP, 1987, p. 98-118. 47 RGASPI, 495 10a 43. 48 RGASPI, 495 10a 92, Jacques Duclos, rapport au secrétariat de l’Internationale communiste, 30 juin 1940.
14 effet, dans les jours qui suivent le déclenchement de l’agression, la direction du Komintern fixe la ligne de défense de l’Union soviétique : dans les pays alliés, les communistes doivent soutenir résolument l’effort de guerre ; dans les pays occupés, des actions armées doivent être déclenchées au plus vite contre les Allemands dans le but de créer un véritable front intérieur en Europe. Dorénavant, la lutte pour la paix consiste à livrer une guerre totale à l’Allemagne et ses alliés jusqu’à la victoire finale ! La remarquable continuité de la thématique de la paix dans l’histoire du communisme de la première moitié du XXe siècle témoigne du rôle essentiel qu’elle a tenu durant cette période, sa permanence contrastant avec le déclin de la phraséologie révolutionnaire et l’effacement du programme communiste des origines. Cette stabilité n’est pas allée sans de nombreuses et brutales inflexions. Affichée comme un principe intangible de l’internationalisme prolétarien et de la vocation universelle et humaniste du communisme, la paix a occupé une place essentielle dans les cheminements tactiques, parfois tortueux, au gré des impératifs de la politique communiste. Si le fil directeur quasi-exclusif de ces évolutions fut la prise en compte des intérêts de l’URSS sur la scène internationale, l’invocation de la paix a également joué un rôle important sur deux plans particuliers. Dans la durée, elle permet de faire diversion aux yeux des opinions publiques sur l’évolution intérieure de l’URSS, surtout dans la période 1936-1938, au moment où se déroule la Grande Terreur et où s’accélère la construction d’un Etat totalitaire. Ensuite, elle permet aux partis communistes évoluant dans les démocraties occidentales de rayonner au-delà des cercles d’influence habituels et d’établir des liens avec des milieux évoluant hors de la mouvance communiste, voire au-delà du mouvement ouvrier. En particulier, dans les périodes de radicalisation et de repli sur soi, les mobilisations pour la paix affichent la face modérée du communisme, le moyen privilégié de maintenir une ouverture pour échapper à l’isolement. Cette attitude, flagrante de la part de la direction du PCF au début des années 1930, se vérifiera à nouveau dans les premières années de la guerre froide puis aux débuts des années 1980.
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