Chronique de droit privé (janvier à juin 2022)

 
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Chronique de droit privé (janvier à juin 2022)
Titre VII
Les cahiers du Conseil constitutionnel
CHRONIQUE DE DROIT PRIVÉ

N° 9 - octobre 2022

Chronique de droit privé (janvier à juin 2022)
Écrit par

   Thomas PIAZZON

   Maître de conférences à l’Université Panthéon-
   Assas (Paris II)

1. Il faut croire qu'en cette période d'élection présidentielle, fort chargée pour les services du Conseil constitutionnel, parlementaires et plaideurs
s'étaient donné le mot pour ne pas alourdir davantage la tâche de celui-ci. S'agissant du droit privé, peu de décisions sont ainsi à relever pour ce
premier semestre 2022, la plupart d'entre elles se situant au surplus à sa périphérie, spécialement sur les terres cousines du droit pénal - le législateur
contemporain n'ayant de cesse, en cette matière et pour diverses raisons, de porter atteinte au respect de notre vie privée. En dépit de ce contentieux
somme toute peu fourni, un seuil symbolique a été franchi le 17 juin dernier : celui de la millième décision QPC (ou plutôt celui de la QPC n° 1000, ce
qui ne revient pas tout à fait au même). Douze ans après l'entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle de 2008, le succès du contrôle a posteriori
ne faiblit donc pas, tout du moins de manière significative, sans doute par la « grâce » d'un législateur dont l'activisme ne connaît d'accalmie, fort
opportunément, qu'en période d'élections nationales (1) . Avant un été 2022 qui s'annonce chargé, si tant est que le Conseil constitutionnel soit saisi de
ces lois nouvelles, seulement deux décisions DC relevant du champ de notre chronique ont ainsi été rendues au cours de ce semestre : la première
concerne - encore et toujours - la crise sanitaire (déc. n° 835 DC) ; la seconde porte sur la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
du 24 janvier 2022 (déc. n° 834 DC), loi dont la sobriété de l'intitulé mérite d'être saluée au regard des errements contemporains. À quoi s'ajoute une
quinzaine de QPC variées qui permettent, tant bien que mal, de bâtir cette chronique autour de trois thèmes successifs : la première série de décisions
porte sur le respect déjà évoqué de la vie privée, la deuxième sur les droits et libertés fondamentaux en matière processuelle, la troisième sur les droits
et libertés « économiques », invariablement présents dans la jurisprudence du Conseil (libertés contractuelle et d'entreprendre, droit de propriété).

2. La question du respect dû à la vie privée est d'abord au cœur de la décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, Loi relative à la responsabilité
pénale et à la sécurité intérieure, sous l'angle de la surveillance policière des individus. Le Conseil constitutionnel trouve là une énième occasion de
faire application du principe selon lequel « il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de
prévention des atteintes à l'ordre public et le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789 » (paragr. 5). Plus précisément, ce principe est plusieurs fois décliné pour trancher les griefs dirigés contre de nombreuses dispositions
de la loi déférée. Les premières concernent le placement sous vidéosurveillance des personnes en garde à vue ou en retenue douanière (paragr. 2 et
s.) (2) , les sages estimant que cette atteinte bien réelle portée à la vie privée des intéressés n'est pas inconstitutionnelle au regard de sa finalité
(prévenir les risques d'évasion et des menaces que la personne placée en garde à vue pourrait présenter pour elle-même ou les autres, paragr. 6) et du
contenu longuement détaillé du régime juridique institué par la loi (usage de la vidéosurveillance limité au « seul cas où il existe des raisons sérieuses
de penser qu'un tel risque ou une telle menace pourrait se produire », paragr. 7 ; durée limitée à ce qui est « strictement nécessaire », paragr. 8 ;
information de l'intéressé, dont un « pare-vue préserve l'intimité », paragr. 9 et 10, notamment). Le Conseil tient également compte des conditions
dans lesquelles les images captées sont consultées et conservées (avec un accès limité, paragr. 11) et sont susceptibles d'être utilisées (pas
d'« interconnexion ou mise en relation automatisé avec d'autres traitements de données à caractère personnel », paragr. 10). La deuxième série de
dispositions contrôlées à l'aune du respect de la vie privée intéresse les conditions dans lesquelles les services de police administrative et/ou judiciaire

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    Source : Conseil constitutionnel
peuvent traiter les images issues de caméras installées sur des aéronefs, « y compris sans personne à bord » (paragr. 16 et s.) (3) . Ce n'est pas la
première fois que le Conseil est ainsi amené à se prononcer sur l'utilisation des drones par les services de police et cette nouvelle conquête législative
du Big brother aérien lui permet de réaffirmer des solutions de principe récemment dégagées par ses soins, en mai 2021              (4)   : « Eu égard à leur mobilité
et à la hauteur à laquelle ils peuvent évoluer, ces appareils sont susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images
d'un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. Dès lors, la mise en œuvre de tels systèmes de
surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée » (paragr. 21). En l'espèce,
l'application de ces règles conduit à des solutions variées en fonction des dispositions contrôlées. S'agissant, en premier lieu, de l'utilisation de ces
moyens d'espionnage par la police, la gendarmerie, l'armée ou encore les douanes (en somme par les services de l'État), le Conseil constitutionnel
valide l'essentiel des modifications apportées au Code de la sécurité intérieure (5) par la loi du 24 janvier 2022, après avoir examiné, selon un schéma
classique en la matière, les finalités des mesures instituées (paragr. 24 et 25) ainsi que leurs procédures de mise en œuvre (paragr. 26 à 30), par
exemple en termes d'autorisation nécessaire (paragr. 26 : autorisation du préfet) ou de durée (paragr. 28). Cette validation n'est toutefois pas complète,
puisqu'une censure est prononcée en ce qui concerne la procédure d'urgence que le législateur entendait créer (en cas d'« exposition particulière et
imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens »), procédure qui permettait aux services concernés de recourir pendant
quatre heures à ces dispositifs aéroportés sous la seule condition d'en informer le préfet ; sur ce point, le Conseil a estimé que « ces dispositions
permettent le déploiement de caméras aéroportées, pendant une telle durée, sans autorisation du préfet, sans le réserver à des cas précis et d'une
particulière gravité, et sans définir les informations qui doivent être portées à la connaissance de ce dernier. Dès lors, elles n'assurent pas une
conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées [objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public,
d'une part, et droit au respect de la vie privée, d'autre part] » (paragr. 31) (6) . Deux réserves d'interprétation sont par ailleurs forgées par les sages. La
première consiste à soumettre l'utilisation des drones à une exigence de subsidiarité (décidément chère au Conseil constitutionnel lorsqu'il s'agit de
défendre les droits et libertés fondamentaux en s'en remettant concrètement aux juges ordinaires...) : l'autorisation préfectorale « ne saurait (...), sans
méconnaître le droit au respect de la vie privée, être accordée qu'après que le préfet s'est assuré que le service ne peut employer d'autres moyens moins
intrusifs au regard de ce droit ou que l'utilisation de ces autres moyens serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des
agents » (paragr. 27 in fine) (7) ; la seconde réserve porte sur les traitements automatisés de reconnaissance faciale à partir des images captées par les
drones. Si les dispositions contestées prévoyaient bien que ces rapprochements, interconnexions ou mises en relation automatisés étaient prohibés,
cette interdiction n'était pas clairement posée à l'égard des systèmes de reconnaissance faciale « qui ne seraient pas placés sur ces dispositifs
aéroportés » eux-mêmes. La réserve étend donc la prohibition légale à cette hypothèse particulière (paragr. 30). S'agissant, en second lieu, de
l'utilisation des drones par les services de police municipale (et non plus par les services de l'État), les dispositions introduites - à titre expérimental -
par la loi déférée (art. 15, 8 °) dans le Code de la sécurité intérieure sont en revanche entièrement censurées, notamment au motif que le recours à ces
moyens intrusifs de surveillance dans le but d'assurer la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles n'est pas limité « aux
manifestations particulièrement exposées à des risques de troubles graves à l'ordre public » (paragr. 35). La sévérité que laissait entrevoir la décision
n° 817 DC du 20 mai 2021 au sujet des drones est ainsi confirmée par la présente décision : certes, le recours aux drones n'est plus invalidé « en bloc »
au nom de la protection de la vie privée, comme ce fut le cas en 2021, mais le législateur n'en est pas moins invité, avec une certaine fermeté, à
circonscrire les finalités pouvant justifier leur utilisation et à élaborer un encadrement suffisamment strict de leurs modalités de mise en œuvre. On
relèvera toutefois que le recours aux drones dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction pénale, sur autorisation de l'autorité judiciaire (paragr. 40
et s.), est en revanche validé sans réserve par le Conseil, quand bien même cette technique permet de suivre « un nombre très important de personnes
sans lien avec la procédure judiciaire en cause » (paragr. 41). Au terme d'une motivation plus rapide, les sages ont estimé qu'aucune atteinte
disproportionnée n'a été portée au droit au respect de la vie privée, en particulier parce que les finalités de ce nouveau type de recours aux drones sont
limitées (paragr. 42) et parce que la procédure instituée est suffisamment encadrée (paragr. 43 et s.) ; à ce titre, le Conseil relève notamment
qu'« aucune séquence relative à la vie privée étrangère à l'objet pour lequel ces opérations ont été autorisées ne peut être conservée dans le dossier de
la procédure » (paragr. 45). Espérons que tel sera bien le cas en pratique. Aux côtés de la vidéosurveillance et de l'utilisation des drones, une troisième
série de dispositions soumises à la sagacité des sages concernait l'utilisation de caméras embarquées dans les moyens de transport de certains
services de sécurité et de secours dans le but - exclusif (paragr. 51) - d'assurer la sécurité des agents (paragr. 48 et s.). Là encore, l'exigence du respect de
la vie privée ploie sous l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Une réserve est cependant prévue (8) , similaire
à la première déjà mentionnée au sujet des drones : si la loi prévoit bien que « les caméras embarquées ne peuvent pas comporter de traitements
automatisés de reconnaissance faciale » et qu'« il ne peut être procédé à aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisé avec
d'autres traitements de données à caractère personnel », le Conseil a tenu à préciser que « ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le droit au
respect de la vie privée, être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l'analyse des images au moyen d'autres systèmes
automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas installés sur les caméras » (paragr. 54). En définitive, sur tous ces points, le sentiment
qu'inspire la décision n° 834 DC n'est pas différent de celui laissé par les nombreux précédents du Conseil : dans un océan de vidéosurveillance qui
toujours grossit, le Conseil constitutionnel tente, avec une certaine minutie non dénuée de courage, d'écoper la barque de la vie privée qui prend l'eau
de toute part, en posant des exigences concrètes dont il faut espérer qu'elles ne resteront pas lettre morte - le législateur ayant désormais compris
comment enjamber, par la grâce de quelques « garanties » bien senties, la barrière constitutionnelle.

    Source : Conseil constitutionnel
3. Le droit au respect de la vie privée est encore évoqué, en mode beaucoup plus discret, dans la décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, Loi
renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique (9) , loi dont l'aspect le plus notable a consisté dans la
création du fameux « passe vaccinal », successeur contesté du « passe sanitaire » de l'été 2021 (10) . Comme chacun sait, le Conseil a validé, sous une
micro-réserve (11) , cet « outil de gestion de la crise sanitaire » (le vocabulaire administratif ne nous épargne vraiment rien...) qui était notamment
contesté au nom du droit au respect de la vie privée (paragr. 3 et 8). C'est toutefois sous l'angle de l'atteinte portée à la liberté d'aller et de venir que les
sages ont principalement examiné les dispositions en cause, dont il résulte que « le Premier ministre peut subordonner à la présentation d'un
justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 l'accès des personnes âgées d'au moins seize ans à certains lieux, établissements, services ou
événements où sont exercées des activités de loisirs et des activités de restauration ou de débit de boissons ainsi qu'aux foires, séminaires et salons
professionnels, aux transports publics interrégionaux pour des déplacements de longue distance et à certains grands magasins et centres
commerciaux » (paragr. 9). Bien qu'il ait été une nouvelle fois demandé au Conseil « de statuer selon la procédure d'urgence prévue au troisième alinéa
de l'article 61 de la Constitution » (quatre jours chrono !), la décision prend soin de développer assez longuement les raisons pour lesquelles les sages
autorisent une si grave atteinte aux libertés (paragr. 11 à 22) - tout en rappelant, de manière un peu contradictoire, que le contrôle qu'ils exercent en la
matière demeure restreint (selon la sempiternelle formule, le Conseil « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même
nature que celui du Parlement... », etc., paragr. 14 (12) ) : risque de transmission de la maladie plus faible pour les personnes vaccinées (le Conseil faisant
expressément référence aux deux avis rendus par le « comité de scientifiques » en décembre 2021 et janvier 2022, paragr. 12 - avis dont on sait
aujourd'hui que la pertinence laissait à désirer...), date butoir fixée au 31 juillet 2022 (paragr. 13, mais on sait ce qu'il en est des « termes sanitaires »
sans cesse repoussés - même si, pour l'occasion, l'arrivée des beaux jours aura suffi à tordre le cou, pour l'essentiel, au « passe vaccinal »), exigence du
« passe vaccinal » seulement pour les « activités qui mettent en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu et
présentent ainsi un risque accru de propagation du virus » (paragr. 15), etc. La vie privée était aussi convoquée par les parlementaires requérants (aux
côtés de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme (13) ) pour critiquer les dispositions de la loi relatives au document officiel qui doit être
présenté lors du contrôle de la détention des « passes » (paragr. 38 et s.). Si la manœuvre permet effectivement à des personnes privées d'accéder à des
données personnelles, le Conseil estime toutefois que la loi fait « interdiction aux personnes et services autorisés à demander la production d'un tel
document de le conserver ou de le réutiliser ainsi que les informations qu'il contient, sous peine de sanctions pénales » (paragr. 44 in fine) ; « le grief tiré
de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée doit dès lors être écarté » (paragr. 45). Cette solution expéditive peut paraître bien
permissive : en droit constitutionnel, comme dans la vie quotidienne, il faut sans doute en déduire que la nécessité fait figure de « loi » : on voit mal, en
effet, comment le nombre des agents de la « force publique » (art. 12 DDHC) aurait pu suffire pour opérer un tel contrôle... Au reste, le Conseil
constitutionnel semble si peu croire à sa propre démonstration qu'il prend soin d'assortir sa décision de conformité d'une réserve venue de « nulle
part », car sans rapport immédiat avec l'objet de la loi contestée : « La mise en œuvre des dispositions contestées ne saurait, sans méconnaître le
principe d'égalité devant la loi, s'opérer qu'en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les
personnes » (paragr. 46). Le contrôle des « passes » est en effet une occasion potentielle d'apprendre bien des choses à propos des personnes qui
acceptent de se soumettre aux exigences de la loi et d'en tirer des conséquences, n'en déplaise à ses défenseurs. Enfin, allié au droit d'expression
collective des idées (garanti par l'article 11 de la Déclaration de 1789), le respect dû à la vie privée conduit à la censure des dispositions qui permettaient
de subordonner l'accès aux réunions politiques à la présentation d'un « passe sanitaire » (et non plus « vaccinal » ; paragr. 65 et s.). Peu importe alors,
selon le Conseil, le « risque accru de propagation de l'épidémie » et l'objectif de protection de la santé (paragr. 72). Est-ce à dire qu'on ne plaisante pas,
du côté de la rue de Montpensier, avec les exigences spécifiques de la vie politique, surtout en période pré-électorale ? Il serait dès lors tentant de
chanter en chœur le refrain sur la composition du Conseil constitutionnel (c'est-à-dire sur l'origine de la majorité de ses membres actuels) pour en
déduire que cela le conduirait à faire preuve d'une vigilance toute spéciale dès lors qu'une question touche aux libertés politiques... Solidarité de corps,
en somme - d'autant que le Conseil est bien moins sévère lorsqu'il s'agit d'apprécier la constitutionnalité du partage des données médicales des sujets
de droit, bien qu'il se plaise à rappeler, comme à l'accoutumée, que celles-ci méritent une « particulière vigilance » (paragr. 85)... Mais à dire vrai, la
critique qui conduit à la censure des dispositions relatives aux réunions politiques semble beaucoup plus terre à terre : « Les dispositions contestées
n'ont soumis l'édiction de telles mesures par l'organisateur de la réunion politique ni à la condition qu'elles soient prises dans l'intérêt de la santé
publique [ne s'agit-il pas, à l'évidence, de cela ?] et aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19 [de quoi s'agirait-il d'autre ?], ni à celle que la
situation sanitaire les justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, ni même à celle que ces mesures soient
strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Dans ces conditions, les dispositions
contestées n'opèrent pas une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées » (paragr. 73 et 74). On le voit : une nouvelle fois, le
Conseil s'attache avant tout à la forme des dispositions contestées, en exigeant que le législateur précise ce qui peut pourtant - semble-t-il - aller de soi.
Soyons même un peu pervers (?) : la loi n'était-elle pas tout simplement et volontairement rédigée de manière imparfaite, au regard des exigences du
Conseil constitutionnel, dans le but inavouable d'obtenir une censure permettant de ne pas soumettre les meetings politiques aux exigences sanitaires
qui ont cours partout ailleurs ? On n'ose le penser !

4. Toujours dans le giron de la vie privée, de nombreuses décisions rendues au cours de ce semestre concernent les données de connexion des
utilisateurs de services de communications électroniques, presque toujours sous l'angle du droit pénal. Ainsi, dans sa décision n° 2021-976/977 QPC
du 25 février 2022, M. Habib A. et autre (14) , le Conseil constitutionnel a censuré (platoniquement) certaines dispositions de l'ancien article L. 34-1,
                                                                           (15)

    Source : Conseil constitutionnel
III, du Code des postes et des communications électroniques (CPCE) (15) qui permettaient d'imposer aux opérateurs la conservation pendant un an de
certaines données de connexion « pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, en vue de la mise à
disposition de telles données à l'autorité judiciaire » (paragr. 9). Dérogeant au principe selon lequel ces données doivent être effacées ou rendues
anonymes, ces dispositions (qui n'étaient plus en vigueur à la date de la décision du Conseil) sont condamnées en raison de leur excessive généralité, à
deux types de points de vue. Les sages se fondent d'abord sur l'objet des informations conservées : identification des utilisateurs, localisation de leurs
équipements terminaux de communication, caractéristiques techniques, date, horaire et durée des communications, données d'identification des
destinataires ; ils en déduisent que « compte tenu de leur nature, de leur diversité et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, ces données
fournissent sur ces utilisateurs ainsi que, le cas échéant, sur des tiers, des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur
vie privée » (paragr. 11). C'est ensuite au regard de l' utilisation des données en cause que la censure est prononcée : « D'une part, une telle conservation
s'applique de façon générale à tous les utilisateurs des services de communications électroniques. D'autre part, l'obligation de conservation porte
indifféremment sur toutes les données de connexion relatives à ces personnes, quelle qu'en soit la sensibilité et sans considération de la nature et de la
gravité des infractions susceptibles d'être recherchées » (paragr. 12) ; « il résulte de ce qui précède qu'en autorisant la conservation générale et
indifférenciée des données de connexion, les dispositions contestées portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée »
(paragr. 13). Le Conseil ajoute cependant que « les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs
d'infractions » - qui étaient ici en balance avec le droit au respect de la vie privée - s'opposent à ce que des mesures prises sur le fondement de ces
textes inconstitutionnels soient contestées (paragr. 17). Comme nous l'avons signalé, l'article L. 34-1 du CPCE a par ailleurs été modifié par la loi
n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, de sorte que les dispositions censurées n'étaient plus
en vigueur à la date de la décision du Conseil, ce qui rendait évidemment inutile tout report dans le temps de ses effets (paragr. 16). Si la loi du 30 juillet
2021 a bien été soumise au Conseil (16) , les modifications apportées au CPCE n'étaient toutefois pas critiquées par les sénateurs requérants et les sages
ne se sont pas prononcés à leur sujet. Mais on peut relever que la nouvelle rédaction tient compte de la position sévère du Conseil au sujet des
données de connexion, qui était au reste déjà connue (17) . Ainsi le nouvel article L. 34-1 du CPCE distingue-t-il notamment le type de données qui peut
être conservé en fonction des différentes finalités poursuivies (besoins des procédures pénales, sauvegarde de la sécurité nationale, lutte contre la
criminalité, etc.). L'avenir dira si ces modifications, qui débouchent sur un paysage beaucoup plus nuancé (et complexe...), suffiront à satisfaire aux
exigences constitutionnelles qui se sont beaucoup renforcées en ce domaine (18) , en particulier sous l'influence du droit de l'Union européenne (19) . À
cet égard, la position du Conseil qui consiste à exclure les requérants du bénéfice de cette censure pour des raisons sécuritaires (paragr. 17, cf. supra)
- maintenant ainsi sous perfusion des dispositions inconstitutionnelles abrogées par le législateur (20) -, n'est pas en phase avec la jurisprudence de la
Cour de justice de l'Union européenne, laquelle exige clairement qu'il soit mis fin sans délai à l'obligation généralisée de conserver les données de
connexion (21) . Pour certains commentateurs, en particulier s'ils sont avocats, la morale de l'histoire pourrait être que le droit conventionnel (ici celui
de l'Union européenne, via sa Charte des droits fondamentaux) risque d'afficher une nouvelle fois son efficacité supérieure à celle du droit
constitutionnel... au profit des délinquants !

5. Les données de connexion sont au centre de plusieurs autres décisions du Conseil, non plus sous l'angle de leur conservation par les opérateurs,
mais sous celui de l'accès qui peut leur être donné, spécialement en matière de procédure pénale. En vérité, rien moins que quatre décisions rendues
au cours de ce semestre participent de ce flot jurisprudentiel ; elles s'inscrivent au surplus dans le prolongement direct d'un tout récent précédent : la
décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021, M. Omar Y. , qui portait sur la réquisition de données informatiques par le procureur de la
République dans le cadre d'une enquête préliminaire. Nous laisserons de côté la décision n° 2021-974 QPC du 25 février 2022, M. Youcef Z. , qui
prononce un non-lieu à statuer dans la mesure où les dispositions contestées (telles que délimitées par le Conseil, paragr. 3) étaient celles-là mêmes
qui avaient été censurées par la décision n° 2021-952 QPC ; le Conseil se contente de mentionner qu'en application de l'article 62, al. 3, de la
Constitution, l'autorité de ses décisions « s'attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en
constituent le fondement même. Elle fait obstacle à ce que le Conseil soit saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la même
version d'une disposition déclarée contraire à la Constitution, sauf changement des circonstances » (22) (paragr. 5). La décision n° 2022-993 QPC du
20 mai 2022, M. Lotfi H. , porte également sur la réquisition de données informatiques, cette fois dans le cadre d'une enquête de flagrance. Le
requérant contestait en l'espèce certaines dispositions des articles 60-1 et 60-2 du Code de procédure pénale (CPP) qui permettent « au procureur de la
République ou à l'officier de police judiciaire, dans le cadre d'une enquête de flagrance, de requérir la communication de données de connexion sans le
contrôle préalable d'une juridiction indépendante », de sorte qu'« il en résulterait une méconnaissance du droit au respect de la vie privée » (paragr. 3).
Même si le Conseil constitutionnel rappelle une nouvelle fois le caractère sensible des données de connexion dans son « considérant de principe »
(paragr. 10), il n'en juge pas moins que les dispositions ici contestées sont proportionnées à l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des
auteurs d'infraction, pour plusieurs raisons brièvement mentionnées (seuls sont concernés les crimes et délits flagrants punis d'une peine
d'emprisonnement, enquête limitée en principe à huit jours, réquisitions opérées dans tous les cas sous le contrôle du procureur de la République (23)
qui est « magistrat de l'ordre judiciaire auquel il revient, en application de l'article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la proportionnalité
des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits », paragr. 12 et 13). Ce sont également à des solutions de conformité aux droits et
libertés garantis par la Constitution que parviennent les décisions n° 2022-1000 QPC du 17 juin 2022, M. Ibrahim K., pour les réquisitions de
données informatiques dans le cadre d'une information judiciaire (art. 99-3 et 99-4 CPP), et n° 2021-980 QPC du 11 mars 2022, Société H. et autres ,

    Source : Conseil constitutionnel
au sujet des saisies opérées par l'administration fiscale de documents accessibles ou disponibles dans les locaux visités, y compris lorsque ces
documents sont stockés sur des serveurs informatiques situés dans des lieux distincts (art. L. 16 B du livre des procédures fiscales). Dans la décision
n° 2022-1000 QPC, relative à l'information judiciaire, le Conseil constate que les textes contestés « autorisent le juge d'instruction ainsi que l'officier de
police judiciaire à se faire communiquer des données de connexion ou à y avoir accès » (paragr. 10) ; il estime toutefois, et à nouveau, que ces
dispositions « particulièrement attentatoires à [la] vie privée » sont proportionnées au regard de l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des
auteurs d'infractions, en raison des garanties instituées par le Code de procédure pénale (information judiciaire seulement obligatoire, en principe, en
matière criminelle et pour certains délits, délai raisonnable de l'information au regard de la gravité des faits reprochés, etc. ; paragr. 13 à 16). Parmi ces
garanties, il en est toutefois une qui surprend un peu quand on la rapproche de celle mentionnée dans la décision n° 2022-993 QPC précitée ; le Conseil
relève en effet, dans sa décision n° 2022-1000 QPC, que « la réquisition de données de connexion intervient à l'initiative du juge d'instruction,
magistrat du siège dont l'indépendance est garantie par la Constitution, ou d'un officier de police judiciaire qui y a été autorisé par une commission
rogatoire délivrée par ce magistrat » (paragr. 13). Le procureur de la République suffisait pourtant à faire l'affaire en matière de flagrance (cf. supra) ! La
référence à l'indépendance d'un magistrat du siège pèse au contraire dans la balance pour l'information judiciaire... Tels sont les mystères du contrôle
de proportionnalité - dont on comprend la logique floue, mais dont on peine à prévoir les solutions, même dans un contentieux « objectif » tel que
celui mis en œuvre par le Conseil constitutionnel. À la lecture de toutes ces décisions de conformité - aux degrés d'exigence à géométrie variable -, on
pourrait même se demander, au bout du compte, s'il n'y a pas quelques vertus comiques, de la part du Conseil, à affirmer avec force solennités que les
données de connexion donnent accès à « des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à la vie privée », tout en rejetant si
souvent les griefs dirigés contre ce genre de dispositions... Fort heureusement, souvent n'est point toujours ! Ainsi, dans sa décision n° 2021-952 QPC
du 3 décembre dernier (24) , également précitée, le Conseil a bel et bien censuré les dispositions du Code de procédure pénale relatives aux réquisitions
de données informatiques opérées par le procureur de la République dans le cadre d'une enquête préliminaire (art. 71-1-1 et 71-1-2 CPP). La solution
était donc différente de celles retenues pour l'enquête de flagrance (déc. n° 2022-993 QPC, préc.) et l'information judiciaire (déc. n° 2022-1000 QPC,
préc.). Dans l'affaire n° 2021-952 QPC, le Conseil constitutionnel stigmatise le fait que la réquisition des données concernées soit ici « autorisée dans le
cadre d'une enquête préliminaire qui peut porter sur tout type d'infraction et qui n'est pas justifiée par l'urgence ni limitée dans le temps » (paragr. 12),
de sorte que son champ d'application est beaucoup plus vaste. Par ailleurs, « si ces réquisitions sont soumises à l'autorisation du procureur de la
République, magistrat de l'ordre judiciaire auquel il revient, en application de l'article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la légalité des
moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits [rappr. déc.
n° 2022-993 QPC], le législateur n'a assorti le recours aux réquisitions de données de connexion d'aucune autre garantie » (paragr. 13 ; comp. déc. n°
2022-993 QPC, paragr. 12 in fine, au sujet de l'encadrement de la réquisition en matière d'enquête de flagrance). On comprend bien, dès lors, que c'est
le régime précis institué par chaque type de mesures qui, au terme du contrôle de proportionnalité auquel se livre le Conseil, justifie ou non l'octroi du
laisser-passer constitutionnel : va pour le procureur de la République si le champ et le régime des réquisitions sont stricts (enquête de flagrance) - mais
non dans le cas contraire (enquête préliminaire) (25) ? Au reste, la décision n° 2021-952 QPC est bien loin d'être la seule ayant prononcé une censure en
matière d'accès aux données informatiques (26) , et les décisions pouvant paraître moins sévères du printemps 2022 ne doivent donc pas tromper. La
rigueur du Conseil, lorsqu'elle trouve à se manifester, est loin d'être injustifiée au regard de la nature des données pouvant être recueillies par voie
informatique. Ainsi les sages jugent-il, dans le « considérant de principe » qui leur est relatif, que « les données de connexion comportent notamment
les données relatives à l'identification des personnes, à leur localisation et à leurs contacts téléphoniques et numériques ainsi qu'aux services de
communication au public en ligne qu'elles consultent » (27) ; comme le souligne également le service juridique du Conseil, « même si les données de
connexion n'incluent pas le contenu des conversations ou de la correspondance échangées, elles comportent en effet des informations de plus en plus
précises, puisqu'elles permettent la localisation en temps réel de l'utilisateur ou du terminal utilisé. En outre, les capacités de traitement des masses de
données ainsi générées ont atteint un niveau permettant de disposer d'un grand nombre d'informations sur les personnes concernées » (28) ainsi que
sur celles avec lesquelles elles peuvent être en contact. À ce dernier titre, on relèvera que la décision n° 2021-980 QPC (préc.), consacrée au droit de
visite et de saisie en matière fiscale, traite spécifiquement des informations relatives aux tiers auxquelles la consultation des données de connexion
est susceptible de donner accès. En effet, en permettant que des données informatiques « stockées dans des lieux distincts de ceux dont la visite a été
autorisée par le juge et qui appartiennent à des tiers à la procédure » soient saisies (29) , l'article L. 16 B, I, du livre des procédures fiscales (LPF) aurait
porté atteinte, selon les requérants, non seulement au droit au respect de la vie privée (30) , mais encore au droit à un recours juridictionnel effectif et
aux droits de la défense (paragr. 2 et 3). Sur le premier point, le Conseil juge, au terme d'une analyse détaillée des dispositions contestées (paragr. 11 à
14 (31) ), que le législateur a procédé « à une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale [ici
substitué à la sauvegarde de l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions] et le droit au respect de la vie privée » (paragr. 15). Sur le second
grief, fondé sur l'article 16 de la Déclaration de 1789, les sages estiment que « l'article L. 16 B du [LPF] prévoit que l'ordonnance du juge des libertés et de
la détention autorisant la visite des agents de l'administration des impôts peut faire l'objet d'un appel [non suspensif] devant le premier président de
la cour d'appel dans un délai de quinze jours. Ce dernier connaît également des recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie. Il
résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (32) que ces recours peuvent être formés non seulement par la personne visée par
l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et l'occupant des lieux visités, mais aussi par toute personne ayant qualité et intérêt à contester la
régularité de la saisie d'un document » (paragr. 17, nous soulignons), donc y compris par les tiers dont les données informatiques ont pu être saisies à

    Source : Conseil constitutionnel
cette occasion - et qui pourraient eux aussi, du coup, tomber sous les foudres de l'administration fiscale... Encore faut-il bien sûr, pour obtenir cette
mise à l'écart des données illégalement saisies, que les tiers soient informés de cette saisie, ce qui était précisément l'objet du grief soulevé par les
requérants, auquel le Conseil ne répond pas de manière spécifique.

6. Après le respect de la vie privée, les droits et libertés en matière procédurale, qui viennent tout juste d'être évoqués, constituent le deuxième axe
principal des décisions rendues au cours du premier semestre 2022. Les droits de la défense et à un procès équitable ont, en premier lieu, justifié une
réserve d'interprétation posée par la décision n° 2021-834 DC (préc., paragr. 58 et s.) à propos de la loi relative à la responsabilité pénale et à la
sécurité intérieure. Cette réserve porte sur la question déjà évoquée (sous l'angle du respect de la vie privée) des caméras embarquées dans les moyens
de transport utilisés par certains services de sécurité et de secours. Au nom de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme, le Conseil a renforcé
l'exigence posée par la loi selon laquelle les caméras doivent être munies de dispositifs techniques garantissant l'intégrité des enregistrements et la
traçabilité des consultations « lorsqu'il y est procédé dans le cadre d'une intervention ». La formule finale pouvait en effet surprendre et le Conseil
prend soin d'ajouter que c'est bien « jusqu'à leur effacement » que doivent être « garanties (...) l'intégrité des enregistrements réalisés ainsi que la
traçabilité de toutes leurs consultations » (paragr. 62). Une réserve d'interprétation jumelle avait déjà été posée par la décision n° 2021-817 DC du
20 mai 2021 relative à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés (paragr. 120) ; il en va, pour le Conseil constitutionnel, de la loyauté dans
l'administration de la preuve. Les droits de la défense, alliés au droit d'exercer un recours juridictionnel effectif (également tiré de l'article 16 de la
DDHC), sont évoqués, en deuxième lieu, par la décision n° 2021-969 QPC du 11 février 2022, Mme B. et autres, au sujet des confiscations pouvant
être prononcées en matière pénale, sujet dont le Conseil a déjà eu à connaître récemment et sur lequel il a fait montre d'une certaine sévérité (33) . En
l'espèce, les dispositions soumises aux sages étaient assez spécifiques, puisqu'elles concernaient non à proprement parler le fond de cette question,
mais la procédure d'exécution en France d'une décision de confiscation prononcée par une autorité judiciaire étrangère (art. 713-38 et 713-39 CPP). Et
le moins que l'on puisse dire est que le Conseil ne fait pas preuve ici de la même sévérité qu'à l'automne 2021. Comme il le relève, « en application des
dispositions contestées, le tribunal correctionnel peut, sur requête du procureur de la République, autoriser l'exécution d'une telle décision sans être
tenu d'entendre préalablement les personnes intéressées » (paragr. 14) ; pour autant, cette drastique solution est jugée conforme à l'article 16 de la
Déclaration de 1789 pour trois raisons principales. Le Conseil relève d'abord que « le tribunal correctionnel ne se prononce que sur l'exécution en
France de la décision de confiscation prononcée par une autorité judiciaire étrangère, ayant un caractère définitif et exécutoire selon la loi de l'État
requérant. Il ne lui appartient donc pas de se prononcer sur le bien-fondé de la décision de confiscation » (paragr. 15, bel hommage à la circulation
internationale des décisions de justice) ; il constate ensuite que « les dispositions contestées permettent au tribunal correctionnel d'entendre, s'il
estime utile, l'ensemble des personnes intéressées » (paragr. 15 in fine), soulignant par-là même - mais avec indifférence - que cette audition et la
contradiction qu'elle devrait permettre n'ont rien d'obligatoire ; enfin, le Conseil observe que « la jurisprudence constante de la Cour de cassation »
reconnaît l'existence « d'un droit d'appel contre la décision du tribunal correctionnel autorisant l'exécution de la décision étrangère de confiscation »,
de sorte que « le droit d'exercer un tel recours implique nécessairement que cette décision soit portée à leur connaissance » (paragr. 16 (34) ). La solution
peut paraître assez permissive, mais elle s'inscrit finalement assez bien dans la jurisprudence du Conseil, somme toute peu regardante en matière de
respect du principe du contradictoire - même si l'on se trouve ici en dehors des domaines sensibles de la sécurité nationale et du renseignement (35) .
Ainsi, comme le souligne le service juridique du Conseil, c'est souvent lorsqu'elle est « cumulée » avec une autre exigence, tel que le défaut de recours
effectif, que l'absence de caractère contradictoire de la procédure emporte une censure, le Conseil constitutionnel acceptant par ailleurs « que
l'exigence d'un débat contradictoire soit réduite afin d'opérer une conciliation avec d'autres exigences » (36) . Le Conseil est par exemple beaucoup plus
sévère lorsqu'il s'agit d'assurer le respect du principe d'impartialité. À moins que les sages n'aient été véritablement sensibles qu'au premier argument
qu'ils avancent, à savoir le fait que la décision prise par la juridiction étrangère mérite toute confiance, au nom de « l'entraide pénale
internationale » (37) , le tribunal français ne se prononçant « que sur » son exécution (38) . Une fois n'est pas coutume, tel est l'inconvénient de l'excès de
motivation des décisions du juge constitutionnel ! En troisième lieu, la question de l'existence de voies de recours - que peut imposer l'article 16 de la
Déclaration de 1789 - conduit à une censure prononcée par la décision n° 2021-972 QPC du 18 février 2022, Association Avocats pour la défense
des droits des étrangers et autres, à propos de la légalisation des actes publics (par exemple les actes de l'état civil) établis par une autorité étrangère.
La procédure de légalisation, bien connue des civilistes (39) , consiste pour les autorités diplomatiques françaises à contrôler l'authenticité (au sens
courant du terme) d'un acte établi à l'étranger (40) ; la loi prévoit que « tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en
France doit être légalisé pour y produire effet » (41) . Les requérants contestaient le fait que ni la loi ni son décret d'application du 10 novembre 2020 ne
prévoyaient « de recours en cas de refus de légalisation par l'autorité compétente », au mépris « du droit à un recours juridictionnel effectif, des droits
de la défense et d'un « droit à la preuve » qui découlerait également de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 »
(paragr. 2). Le Conseil donne droit à cette argumentation sur le fondement d'une incompétence négative (au regard de l'article 34 de la Constitution,
selon lequel il appartient à la loi de fixer les règles concernant « la nationalité, l'état et la capacité des personnes » ; paragr. 6), incompétence affectant
« par elle-même » (paragr. 5) le droit à un recours juridictionnel effectif (paragr. 12). Le Conseil constitutionnel relève en effet qu'« il résulte [d'une part]
de la jurisprudence du Conseil d'État (...) que le juge administratif ne se reconnaît pas compétent pour apprécier la légalité d'une décision de refus de
légalisation d'un acte de l'état civil. D'autre part, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative ne permettent aux personnes
intéressées de contester une telle décision devant le juge judiciaire » (paragr. 10) ; or, « au regard des conséquences qu'est susceptible d'entraîner cette
décision, il appartenait au législateur d'instaurer une voie de recours » (paragr. 11). La censure est ainsi très nette, même si ses effets sont reportés au

    Source : Conseil constitutionnel
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