Claude Monet Peintre du XXe siècle - Monique Brunet-Weinmann
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Document generated on 08/13/2023 10:05 p.m. Vie des Arts Claude Monet Peintre du XXe siècle Monique Brunet-Weinmann Volume 42, Number 173, Winter 1998–1999 URI: https://id.erudit.org/iderudit/53166ac See table of contents Publisher(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (print) 1923-3183 (digital) Explore this journal Cite this article Brunet-Weinmann, M. (1998). Claude Monet : peintre du XXe siècle. Vie des Arts, 42(173), 36–39. Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1998 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
P E I N T U R E CLAUDE MONET Peintre du XX siècle e Monique B r u n e t - W e i n m a n n lac il AGENCEMENT RIGOUREUX DES MASSES ET DES FORMES DES TABLEAUX DE MONET OUTREPASSE L'IMPRESSIONNISME ET PRÉFIGURE L'ABSTRACTION CONTEMPORAINE. LES PHOTOGRAPHIES RÉCENTES DU JARDIN DE GlVERNY PRISES PAR GABOR SZILASI OFFRENT UN CONTREPOINT ORIGINAL AUX PEINTURES. Pour tous les infortuné(e)s qui n'ont pas par les musées de Boston et de Londres, ne compté parmi les 965 000 visiteurs de la figurent pas parmi les 22 tableaux sélec- rétrospective Claude Monet au Chicago Art tionnés pour Montréal, seule étape cana- Institute en 1995, l'hiver 1998-99 est porteur dienne après celles de Baltimore, San Diego de consolations. Alors que le Musée des et Portland (Oregon). Il s'agit de deux beaux-arts de Boston explore quasi systé- itinéraires indépendants. matiquement l'univers impressionniste, et Les explorations planifiées du jardin l'œuvre de Claude Monet une nouvelle fois d'eau qui commence avec le Pontjaponais, avec Monet in the XXth Century, il est trouvent leur thème emblématique avec les heureux que nous ne soyons pas absolument Nymphéas. Mais Monet s'installe à Giverny obligés d'aller en Nouvelle-Angleterre pour dès le 29 avril 1883, la veille du décès de voir les Chefs-d'œuvre du Musée de Manet1, et il achète en 1990 la maison rose Marmottan que reçoit le Musée des beaux- aux volets verts à son propriétaire, le vieux Claude Monet dans son jardin à Giverny Sacha Guitry, 1918 arts de Montréal du 28 janvier au 9 mai 1999- Monsieur Singeot, au prix fort de 22000 Musée d'Orsay (Paris) c. Réunion des Musées Il est intéressant de s'arrêter sur les deux francs. Ayant appartenu autrefois à un riche expositions si l'on veut bien considérer que commerçant de la Guadeloupe, elle conser- celle de Montréal fait suite à celle de Boston. vait ses couleurs d'origine, exotiques sous le EXPOSITION Toutes deux sont consacrées à la production ciel gris. Monet vient d'atteindre ses cinquante MONET À GIVERNY: de Monet à Giverny, dans sa partie la plus ans, que Manet n'avait qu'à peine dépassés. CHEFS-D'ŒUVRE DU MUSÉE DE MARMOTTAN novatrice, dans sa recherche la plus poussée. Il fait le pari sur l'avenir de payer en trois MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE MONTRÉAL ans la demeure et le jardin, qu'il est enfin Les trois seules pièces, sur 92 entrées au Du 28 JANVIER AU 9 MAI 1999 catalogue, empruntées au musée parisien libre de redessiner entièrement, le projet du 36 VIE DES ARTS NM73
Claude Monet (1840-1926) Nymphéas. 1903 Huile sur toile Musée Marmottan (Paris) GIRAUDON jardinier et celui du peintre devenant inter- pousse alors la peinture paysagiste à ses répertoriées au catalogue raisonné établi par dépendants, indissociables dans une même extrêmes limites, outrepassant la représenta- Daniel Wildenstein, Monet produit durant ce vision. tion, même le dogme plein-airiste, par consé- quart de siècle près de 450 tableaux inspirés Les années 1890 sont occupées par les quent la définition de l'Impressionnisme. En par des vues de Londres, de Venise et de ses travaux d'aménagement et d'agrandissement, ce sens, l'exposition de Montréal, qui s'ouvre jardins à Giverny. La productivité de ce sexa- ainsi que par l'appropriation de la campagne sur des Nymphéas de 1903, aurait pu s'in- génaire est d'autant plus frappante que alentour, où le peintre trouve les motifs des tituler Monet au XXe siècle, comme celle de plusieurs de ces années passent sans qu'il premières séries, qui ont fait l'objet d'une Boston, dont les premiers tableaux datent saisisse sa large palette. Les causes de son précédente exposition marquante à Boston2. de 1900 tout juste. abattement sont nombreuses : décès d'Alice Quand la glycine consent à recouvrir le pont sa seconde épouse en 1911 et de son fils japonais de ses grappes mauves, et les nénu- LES BROUILLARDS DE LONDRES Jean, âgé de 47 ans, en 1914; problèmes de phars à proliférer sur l'étang, leurs corolles C'est une évidence mathématique : Claude santé principalement reliés à la cataracte blanches, roses ou jaunes flottant à la surface Monet, qui meurt en 1926 à 86 ans, a vécu que l'on diagnostique en 1912 et dont il doit entre l'environnement et son reflet, alors dans le XXe siècle plus du tiers de sa vie consentir à se faire opérer en 1923; situations commence la quête de «l'impossible à active de peintre, si on la fait commencer politiques angoissantes provoquées par peindre», comme le dit l'artiste. Monet vers I860. Sur les 2 000 et quelque peintures l'affaire Dreyfus et la première guerre VIE DES ARTS N M n I 37
GIVERNY AU FIL DES SAISONS Des photographies de grand format prises par Gabor Szilasi accompagnent l'exposition Monet à Giverny. Elles restituent le climat des saisons du célèbre jardin de l'artiste: brumes matinales et fines pellicules de givre sur l'étang aux nénuphars (hiver), éclosion des iris (printemps), magnificence de toute la végé- tation (été) et métamorphose des feuilles (automne). Monet dans son jardin à Giverny Monet in His Giverny Garden ca. 1923 ©Sygma Vue du jardin de Monet à Giverny Printemps-été 1998 Photo: Gabor Szilasi mondiale; actions entreprises à la mémoire de ses compagnons de la première heure, quand on les regroupait autour de Manet sous la bannière de « l'école des Batignolles ». De plus, des années entières sont consacrées à la réalisation des murales monumentales de lafinde sa vie, à la construction du vaste atelier qu'elles nécessitent, le troisième à Giverny, et surtout, aux nombreuses toiles de grand format (2m x lm, ou 2m x 1,5m) qu'il considère comme ses études préparatoires, indignes d'être vendues ou seulement exposées, et qui demeurent à sa mort, non desquels il choisit son hôtel et organise son leurs embrasées. Évidemment, on pense à signées, dans son atelier. emploi du temps. Il consacre les matinées Turner et à Whistler. Monet était conscient de Sur les 450 peintures en question, une aux ponts de Charing Cross et de Waterloo rivaliser avec leur peinture, d'où son anxiété, centaine est consacrée à des vues de Londres, émergeant des brumes et des fumées en s'acharnant à rendre le « smog » londonien où Monet se rend précipitamment une pre- d'usines, vus du sixième étage du Savoy où qui l'enchantait, plus épais et sulfureux que mière fois en novembre 1898, au chevet de il installe son atelier dans une des chambres le brouillard bleuté du Havre, qu'il a rendu Michel, son fils cadet. Il retourne trois fois réservées. L'après-midi, il transporte son célèbre dans Impression, Soleil levant dans la capitale britannique entre 1899 et équipement sur un balcon du St- Thomas's (1872). Comme une revanche à prendre sur 1901 pour mener à bien le plus abondant Hospital sur larivesud, pour saisir le soleil Waterloo, pour cet ardent patriote... groupe de toiles qu'il ait eues en cours en couchant qui incendie la Tamise et les Ce n'est qu'en 1904 qu'il autorise même temps. Entreprises l'une après l'autre façades du Parlement dans une fantasma- Durand-Ruel à exposer ses «Londres», au gré des conditions atmosphériques, elles gorique mêlée des éléments: feu, eau, pierre après les avoir mûrement retravaillées, sont centrées sur trois motifs en fonction et air fondus ensemble en coulées de cou- et complétées de mémoire à Giverny. Ainsi 38 I VIE DES ARTS ND173
inaugure-t-il une pictorialité qui outrepasse l'intention et l'esthétique impressionnistes, un ultra-naturalisme abstrait dont témoigne le Parlement aux mouettes (1904) du Musée Pouchkine. Dans une fadeur blême planent ou flottent des indices d'ailes, « comme un vol criard d'oiseaux en émoi » (Verlaine). Les œuvres capitales de cette série londonienne, impossible à reproduire convenablement, sont rarement rassemblées et demeurent méconnues. Grâce à la partici- pation de la Royal Academy de Londres, institution co-organisatrice de l'exposition, on en voit 19 à Boston, dont deux Waterloo Bridge qui proviennent du Canada, Le soleil dans le brouillard du Musée des beaux-arts du Canada (Ottawa), et Effet de soleil de l'Université McMaster (Hamilton). Sont également présentées dix des trente- sept vues de Venise, peintes en 1908, où la Claude Monet touche s'adapte aux irisations de la lumière Parlement, coucher de soleil Huile sur toile, 1904 saturée d'eau. Son travail de dissolution 81 x 92 cm Kunsthaus Zurich rendu sur l'architecture du Palais ducal trouve sa contrepartie dans la structuration cubique (sinon cubiste) des reflets qui l'en- On y reconnaît la flore de la Belle Dans l'intervalle, Monet peint les études racinent aux profondeurs du Grand Canal. Époque, stylisée dans la décoration par l'Art sur toiles non signées qui nous clouent au Les ombres violettes, qui creusent porches nouveau. Il y a là une influence directe sur sol, «works-in-progress» avant la lettre, des et galeries, épandent un mystère inquiétant les murales, que Monet nommait justement splendeurs de liberté, d'audace, de sûreté sur le Palais Contarini. les «grandes décorations», qui semble gestuelle et d'harmonies colorées inusitées, n'être pas suffisamment étudiée. Sans doute laissant la toile nue affleurer, intégrant le vide ULTRA-NATURALISME parce qu'on sépare l'art des jardins et l'art au graphisme. Cette voie royale de l'abstrac- ET ABSTRACTION BAROQUE décoratif de l'Art tout court, ce que Monet tion, lyrique et expressionniste, est trouvée Ces lieux extérieurs à Giverny ne sont pas se gardait bien de faire. dès 1915-16. Les Reflets des saules pleu- le propos de Montréal, l'exposition venue du La filiation avec l'art du XVIIIe siècle reurs du Musée Marmottan (2m x 2m), Musée Marmottan est circonscrite aux retrouve dans cette perspective une logique travaillé de 1916 à 1919 et jamais exposé du jardins «intra muros», si l'on peut dire. Ils évidente. Les décorateurs de l'Art nouveau vivant de l'artiste, annoncent les «Blues» comblent la vision du peintre des motifs pré- s'inspirent du baroque rococo. Les Impres- de Sam Francis et de Joan Mitchell, tandis vus par le jardinier-paysagiste, en variations sionnistes modernisent les Fêtes Galantes de que la Maison vue de la roseraie, du même infinies: Nymphéas, Pont japonais, Saule Watteau. Monet lui-même admire Boucher musée, préfigure les étés indiens de Riopelle. pleureur, hémérocalles et agapanthes, Iris, et Fragonard. Les fleurs de ses premiers Ainsi, sans jamais dévier de sa voie propre, Glycines et Les roses. L'énumération des titres Nymphéas de 1904-1908 ont un relief qui sans se préoccuper des «Avant-gardes» qui renseigne sur la flore choisie et cultivée par rappelle leurs boutons de roses. Les formats se sont succédés sur le front artistique, Monet, sans oublier les incontournables ronds renforcent leur préciosité allusive et Fauvisme, Cubisme, Futurisme, etc., Claude capucines, les volubilis et les clématites, lys, diaphane. Monet a mené la peinture plus loin qu'elles pivoines, pois de senteur, etc. Si l'agencement Les immenses formats des murales de ne le firent. Dans son éden campagnard, il de ses plates-bandes s'accordent aux prin- l'Orangerie la transcendent, lui conférant cultivait son jardin, son esprit, et les amitiés cipes qui ordonnent sa palette, par masses une magnificence qui fait de la grande fidèles de peintres, de musiciens et de poètes, monochromes juxtaposées et claires, un décoration un grand art. La peinture à l'huile en particulier Mallarmé. Le « patriarche de strict plan «à la française» structure l'ap- y est travaillée comme du pastel, sèche, Giverny» était un sage, disciple de Candide, parent désordre. Ce «design» personnel parfois grumeleuse en épaisseur, aussi et un génie, D reflète cependant le goût de l'époque pour extraordinaire dans la gamme choisie de la 1 L'expositon Monet's Years at Giverny, Beyond Impressionism la profusion des plantes grimpantes qui en- fadeur que dans celle de la rutilance. Et avec s'ouvrait sur un tableau daté de 1883, au Metropolitan vahissent allées, treillis, arches et gloriettes, le recul, la composition sous-jacente prend Museum, New York, 1978. Voir Monique Brunet-Weinmann, « Monet à Giverny: Le premier abstrait lyrique », Vie des Arts jusqu'aux arbres. Arabesques et entrelacs le dessus sur l'abstraction maùériste, resti- 2 no 92, automne 1978, p. 83. Monet in the '90s, The Series Paintings, Musée des beaux arts contrastent avec le graphisme net des touffes tuant un monde familier dans l'apparent de Boston. 1990. Monique Brunet-Weinmann, « Les séries de Monet: du temps qu'il fait au temps qui passe », Vie des Arts d'iris ou de bambous. fouillis du chaos sur ce mur de peinture. no 141, hiver 1990, pp. 52-55. VIE DES ARTS N" 173 I 3 9
Vous pouvez aussi lire