Communautarisme religieux : Macron cherche sa stratégie - Reforme.net
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Communautarisme religieux : Macron cherche sa stratégie Lors de ses derniers vœux aux Français, le président de la République avait affirmé sa volonté de “lutter avec détermination contre les forces qui minent l’unité de la nation”. Le 6 janvier, la porte-parole du gouvernement a promis des annonces au sujet du communautarisme “début février”. Alors que des incidents touchant l’école (développement d’établissements “musulmans” hors contrat), le monde sportif (horaires différenciés à la piscine pour les hommes et les femmes) ou le secteur de la santé (refus de prise en charge de certaines femmes par des hommes) ne sont pas rares, rien ne semble évident dans la stratégie du président. “Il a construit sa victoire en 2017, sur une vision libérale, avec un grand respect de la liberté d’expression et l’existence de communautés qui ne s’imposent pas aux autres. Sa seule limite, étant l’ordre public”, explique à Réforme le sociologue Raphaël Liogier (1) . Pour l’enseignant à l’IEP d’Aix-en-Provence, telles sont les convictions intimes d’Emmanuel Macron, pour qui “le communautarisme n’était pas un problème”. Sensibilité libérale Aussi, il n’a pas remis en cause l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées et a éconduit Marine Le Pen, quand celle-ci demandait l’interdiction de tout signe religieux dans l’espace public. De même, il s’est opposé à la demande du patron des sénateurs LR Bruno Retailleau d’interdire – sur quelles bases légales ?– les “listes communautaires” lors de la campagne des municipales. Pour autant, deux motifs l’amènent aujourd’hui à chercher un nouveau positionnement. Sa vision ne fait pas l’unanimité au gouvernement comme à
LREM. “Le voile n’est pas souhaitable dans notre société”, lançait Jean-Michel Blanquer le 13 octobre dernier (BFMTV). “Au ministère de l’Éducation nationale, explique Raphaël Liogier, il a mis en place un Conseil des sages de la laïcité très influent. Face à certaines postures religieuses, ce groupe défend une vision plus dure que l’Observatoire national de la laïcité.” Cet organisme, que préside Jean- Louis Banco, soutenu par des nombreuses institutions religieuses et par Raphaël Liogier, subit de rudes critiques et se voit taxé par certains d’angélisme. Le sociologue regrette que Gilles Keppel, dont les thèses mettent l’accent sur un péril islamique en France, ait l’oreille du président. “Pourtant, la grande majorité des spécialistes de la question, tels Olivier Roy et Farhad Khosrokhavar, conviennent que les racines du problème relèvent d’une dérégulation économique et sociale”, assure Raphaël Liogier. Dans sa propre famille, Emmanuel Macron trouvera un appui chez le jeune député LREM Aurélien Taché, qui affirme que “la problématique de fond, c’est l’inclusion de ceux qui ne trouvent pas leur place” (Le Journal du dimanche, 26 janvier). Le jeu politique n’est pas étranger à l’évolution présidentielle, notable depuis quelques mois. “D’un côté, nous avons des réactionnaires inquiets du développement de la globalisation, qui invoquent un danger pour la nation. Une posture populiste. En face se dresse une vision plus libérale, progressiste, issue des valeurs du XVIIIe siècle, des droits de l’homme, de la libre initiative. Le président sait que le lien souvent établi entre le terrorisme, l’islamisme et la situation des banlieues est bien plus complexe. Mais il n’est pas entendu. La dimension de l’anxiété est tellement forte qu’il ne peut se cantonner à sa seule conviction», précise Raphaël Liogier. Son interview, en octobre, au très droitier hebdomadaire Valeurs actuelles a révélé le désir de ne pas paraître absent du débat. “Macron ne veut pas laisser le RN occuper ce terrain, explique Julien Talpin, chargé de recherche au CNRS (2) . En investissant une question sur laquelle existe un consensus au sein de la classe politique, il ne peut pas être mis en difficulté. Il crée déjà les conditions de son duel avec Marine Le Pen.” Comme d’autres, Julien Talpin perçoit également “un élément de diversion par rapport aux enjeux sociaux, sur lesquels le président est très affaibli et très impopulaire”. Dernièrement, l’hôte de l’Élysée a reconnu son malaise face au terme même de communautarisme.
Communauté nationale “Nous n’avons pas ça dans nos traditions, parce que, dans la République française, il n’y a qu’une communauté, la communauté nationale”, a-t-il assené (Le Monde.fr, 24 janvier). Il préfère désormais dénoncer des tentatives de “séparatisme” et mettre en avant le terme de “civilité”. Pour lui, le port du voile relève de cette question, et non de la laïcité, comme affirment ses détracteurs. “Dans la République, nous avons échoué à l’intégration”, a-t-il reconnu, invitant à “s’instruire des erreurs qui ont été faites avant et des choses qui n’ont pas marché” (Le Figaro, 24 janvier). On peut songer au plan Borloo pour les banlieues qu’il a mis au panier en 2018. Que va-t-il faire ou dire le président ? (3) “Il va essayer, pronostique Raphaël Liogier, de prendre des mesures qui remettent en cause le moins possible ce qu’il croit. Peut-être agir dans le symbolique plus que dans le concret.” “La réponse coercitive ne sera de toute façon jamais suffisante”, avance Julien Talpin, qui invite à “s’interroger sur les raisons qui font que les discours radicaux et réactionnaires de certains prédicateurs trouvent un public”. 1 On lui doit notamment La guerre des civilisations n’aura pas lieu, CNRS Éditions, 2018, et Manifeste métaphysique, avec Dominique Quessada, Les Liens qui libèrent, 2019. 2 Il a codirigé, avec Marwan Mohammed, Communautarisme?, PUF, 2018. 3 Le service de presse de l’Élysée n’a pas donné suite à nos demandes.
François Clavairoly réagit aux vœux 2020 d’Emmanuel Macron adressés aux religions Emmanuel Macron est rompu à l’exercice. Le président a adressé jeudi soir ses vœux 2020 aux représentants des religions. “C’était un discours long et chaleureux”, a souligné François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF). À ses côtés, la pasteure Anne-Laure Danet, en charge des relations œcuméniques pour la FPF, était la seule femme au sein d’un aéropage masculin rassemblant aussi les représentants du judaïsme, du catholicisme, de l’islam et du bouddhisme. “En miroir des tensions internationales, des peurs et des colères qui traversent notre société, Emmanuel Macron a salué la parole de concorde et de paix que portent les cultes”, a retenu François Clavairoly. En outre, pour le président de la FPF, la conception de la laïcité, sur laquelle est revenu Emmanuel Macron correspond plutôt bien à ce qui se vit au sein du protestantisme. Il ne s’agit pas d’une “religion” d’État de substitution mais bien de l’acceptation de la diversité des convictions au sein de la société française, a rappelé le président lors de ces vœux 2020. Des vœux 2020 sans tabou Enfin, le président Macron a donné rendez-vous aux représentants des religions, à travers son ministre de l’Intérieur, pour reparler de la loi de 1905 en février. Le financement des cultes issus de l’étranger, la lutte contre la radicalisation et la nécessité de se structurer pour l’islam de France seront à l’ordre du jour. L’annonce a d’ores et déjà été faite lors de ces vœux 2020. “Nous sommes attachés à cette loi et nous saurons nous montrer vigilants quant à toute velléité de modification. Mais nous sommes lucides sur les risques encourus avec un culte phagocyté par des puissances étrangères. Nous sommes aussi très soucieux que l’islam puisse trouver ses marques au plan local, régional et national. Nous sommes prêts à y aider”, a tenu à préciser François Clavairoly. Pour son président, la FPF pourrait inspirer à certains égards. “C’est un système
qui maintient la diversité dans le respect des différences spirituelles”, résume-t-il. Pour une année… enthousiasmante ! La formation des imams et l’exemple que pourrait être à cet égard la faculté de théologie de Strasbourg, le financement nécessairement autonome de l’islam de France, la situation en Syrie et le rôle des ONG confessionnelles œuvrant sur le terrain ainsi que l’antisémitisme… Autant d’aspects qui ont fait partie des sujets dont François Clavairoly et Emmanuel Macron ont débattu à bâtons rompus à la fin de la cérémonie des vœux 2020. Une cérémonie que le président Macron a conclu en souhaitant aux acteurs religieux d’être portés par l’enthousiasme, ou le fait d’être “en Dieu” au sens étymologique. François Clavairoly n’y a pas été indifférent. Gageons que le protestantisme saura s’en saisir pleinement en cette nouvelle année. Emmanuel Macron, un président d’État laïc incertain sur sa foi en un Dieu Si pour Emmanuel Macron, “la spiritualité n’est pas un mot qui [lui] fait peur” il ne serait “pas fini” en matière de foi. François Hollande n’a jamais caché être athée et son prédécesseur à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy, s’est laissé filmer en train de
réciter le Notre Père. Emmanuel Macron, qui a présenté ce jeudi 9 décembre ses vœux aux représentants des cultes, reste plus ambigüe à propos de son rapport à la foi. Il faut dire que le chef de l’Etat a grandi entouré de parents agnostiques et d’une grand-mère pieuse avant d’être scolarisé chez les Jésuites. Baptisé à sa demande à l’âge de 12 ans, il semble désormais moins sûr de ses convictions. En septembre 2016, par exemple, il a répondu au JDD qui lui demandait s’il croyait en Dieu : “C’est une vraie question, une question compliquée. Je crois sans doute en une transcendance. Je ne suis plus sûr de croire en un Dieu. Oui, je crois en la transcendance.” Une déclaration récente d’un ministre au Parisien confirme ce mélange d’ouverture et de doute. “Sur les sujets économiques et sociaux, le président est dur à prendre, ses convictions sont forgées et reposent sur sa maîtrise des dossiers. Mais sur la laïcité ou le communautarisme, disons qu’il n’est pas fini…”, décrit ce proche, sous couvert de l’anonymat. Emmanuel Macron : “un agnostique spiritualiste” Celui qui dit lire “les textes de tous les grands monothéismes” serait, d’après un autre proche, “un agnostique spiritualiste”. Il affiche cependant volontiers sa bienveillance à l’égard des croyants en affirmant : “J’aime les gens qui ont un monde à part”. Et d’ajouter, devant les représentant des cultes en 2018 : “Je ne demanderai jamais à quelque citoyen français que ce soit d’être modérément dans sa religion ou de croire modérément en son Dieu”. Si il tarde à prononcer son discours sur la laïcité, le président a cependant assuré en septembre 2017, lors des 500 ans de la Réforme protestante, que la laïcité républicaine n’était pas le rejet des religions hors de l’espace public. “Comme président d’une République laïque, je serais tenté de saluer l’œuvre séculaire des protestants pour les libertés en France. Ce serait éluder quelque peu ce qui vous réunit ici (…) et ce serait éluder votre foi. Nous pouvons tout à loisir adopter à l’égard des religions une vision entièrement culturelle. Mais cette Réforme dont nous parlons fut d’abord un geste de foi (…) Ma conviction profonde est que je ne rendrais nullement service à la laïcité si je m’adressais à vous comme à une association philosophique.”
“Pouvoir parler à tout le monde” Quand ils évoquent le rapport du président Macron à la foi, les médias gardent tous en mémoire son hésitation devant la dépouille de Johnny Hallyday, le 9 décembre 2017. Au moment de s’avancer vers le cercueil, Emmanuel Macron avait esquissé un geste vers le goupillon destiné à le bénir, avant de se raviser et d’apposer ses mains sur le cercueil. Mais quelle que soit sa conviction, le chef de l’Etat est aussi le garant de la laïcité. En décembre 2016, alors qu’il était candidat à la présidentielle, il avait souligné dans un entretien accordé à La Vie qu’“il faut être très précautionneux et se mettre en situation de pouvoir parler à tout le monde”. Quitte, pour cela, à ne pas toujours dire tout haut ce que l’on croit tout bas ? Les voeux présidentiels à un pays désuni Emmanuel Macron n’a décidément pas la partie facile. Pour la seconde fois d’affilée depuis son élection à la charge suprême de l’Etat, le président de la République doit tenter d’apaiser un pays prisonnier de profondes divisions. Exercice difficile auquel cependant il s’était déjà essayé il y a un an, jour pour jour. La crise dite des Gilets jaunes, dont le feu couve toujours sous les braises, se découple avec celle engendrée par la réforme du système des retraites. Entouré d’une poignée de collaborateurs, aux côtés de sa femme Brigitte, plongé dans le décor féerique du fort de Brégançon (Var), Emmanuel Macron a écrit, réécrit et
encore réécrit son allocution cruciale. Sa mission relevait d’une gageure: apaiser, à défaut de convaincre. Les contestations contre le projet de réforme des retraites s’affaiblissent mais l’opinion publique n’est toujours pas acquise à la cause de l’exécutif. Son intervention tombe à la veille de la relance en grandes hostilités sociales et peu avant le démarrage des négociations avec les confédérations syndicales. Comme le 31 décembre 2018, sa parole sera très écoutée, interprétée, finement disséquée. Et elle n’a pas manqué la cible. Le chef de l’Etat n’a pas esquivé l’épreuve, quoi que l’on pense de sa prestation. Certes, ceux qui attendaient, espéraient ou redoutaient qu’il désavoue son Premier ministre et sa stratégie pour réussir la réforme des retraites auront été déçus. Il eut été surprenant qu’il le fasse alors qu’il l’avait soutenu sans faille tout au long de la rébellion des Giles jaunes. Gilets jaunes qui par ailleurs se sont vus interdire cette nuit de manifester sur les Champs Elysées. Le message, une fois encore, est un savant mélange de fermeté et d’ouverture enrichi d’une exhortation aux Français, désormais habituelle chez lui, à vaincre les conservatismes et à goûter à l’innovation. « Je ne céderai rien au pessimisme, à l’immobilisme », a-t-il asséné. Car « apaiser ce n’est pas renoncer », a alerté Emmanuel Macron. Traduction: « La réforme des retraites sera menée à son terme. … Nous n’avons pas le droit de céder à la fatalité ». D’autant plus que les chiffres de l’économie française sont « encourageants », estime le Président. « 500.000 emplois ont été créés; les investissements sont supérieurs à ceux de nos voisins; des usines rouvrent », a-t-il résumé. Seule inflexion du discours présidentiel sur la réforme des retraites, il donne mandat au Premier ministre Edouard Philippe de sceller « un compromis rapide » avec les organisations syndicales et patronales « qui le veulent ». Un appel de plus aux confédérations dites réformistes (CFDT et UNSA) à quitter l’unité syndicale avec celles qui rejettent le dialogue sur la base de la réforme en discussion, CGT, FO et SUD. Après la passe d’armes, le chef de l’Etat a déclaré faire de 2020 l’année qui ouvre la décennie de « l’unité retrouvée de la Nation ». « Je vois trop de divisions au nom des origines, des religions, des intérêts », a-t-il poursuivi en annonçant des mesures visant à renforcer la cohésion nationale « dans les prochaines semaines ». Survolant la problématique des élections municipales de ce printemps, Emmanuel Macron n’a cependant pas manqué de rendre hommage aux maires « piliers de la République ». Une reconnaissance du rôle central des édiles qui a certainement muri pendant la crise des Giles jaunes. Le Président a promis enfin une année à l’enseigne de l’engagement écologique, en faveur d’un
nouveau modèle à la fois économique, culturel et social. Au printemps, il tranchera sur les propositions pour lutter contre le réchauffement climatique qui lui parviendront issus de la Convention citoyenne pour la transition écologique constituée en octobre dernier et qui regroupe 150 citoyens tirés au sort. Et il a terminé en encourageant la population à faire des gestes simples pour l’environnement « comme notre jeunesse nous l’a montré ». Blocage des transports : un
soutien important aux grévistes en 1995 EN 1995, le président Chirac et son premier ministre Alain Juppé, pensaient que l’opinion condamnerait le blocage des transports. Au contraire, la majorité de nos concitoyens a soutenu le mouvement. Le politologue Stéphane Rozès explique pourquoi. La grève par procuration Cette expression ne désigne pas un consensus. “Elle signifie que les citoyens donnent, au travers des sondages d’opinion, procuration à un mouvement social. Au-delà de ses revendications matérielles, elle fait passer un message de nature politique au pouvoir, observe Stéphane Rozès. Cela traduit l’articulation entre la question nationale et la question sociale. D’une façon plus profonde, elle oblige à percevoir l’importance du consentement politique et de sa rupture.” L’importance du Consentement Le politique a été institué dans les communautés humaines pour constituer une Société. “Le consentement premier est de renoncer à des prérogatives personnelles pour la dévolution à un pouvoir religieux puis politique qui relie ensemble les membres de cette communauté afin d’affronter collectivement le réel, affirme Stéphane Rozès. En démocratie, les libertés collectives tout à la fois limitent et sont la condition des libertés individuelles. En démocratie quand deux aspirations s’affrontent, elles doivent trouver leur résolution dans l’adhésion à un principe supérieur tenu par le politique.” Tel est le rôle du consentement. 2018 n’a pas été 1995 Les Français n’ont pas accepté le plan Juppé parce qu’il contrevenait au pacte entre les citoyens et le Président. Tout au contraire, en 2018, la grève de la SNCF n’a pas conduit à un vaste mouvement social. “Lors de son premier discours devant le Congrès, le Président Macron avait lucidement et courageusement dit : « le premier contrat que m’ont confié les français est de restaurer la
souveraineté de la nation » souligne encore Stéphane Rozès. Tant qu’il a semblé tenir ce projet le pays a consenti à ses réformes nonobstant le fait qu’elles étaient majoritairement jugées injustes. Il en fut ainsi lors du conflit à la SNCF au printemps 2018. L’Opinion ne fit pas « grève par procuration ». Le refus de l’Allemagne Le programme présidentiel visait à donner des gages à Berlin par des réformes structurelles de sorte qu’ensuite la France obtienne de faire bouger les lignes. “L’année dernière, à Aix-la-Chapelle, Angela Merkel a clairement signifié au Président qu’elle ne bougerait pas, rappelle Stéphane Rozès. Le président a donc été privé du « deuxième étage de sa fusée », des marges de manœuvre au plan européen et national de la demande et de l’investissement. Constatant qu’il n’avait pas d’adversaires, Emmanuel Macron a repris la politique de ses prédécesseurs, le logiciel technocratique , la politique comptable de court terme et son corolaire, le coup de rabot sur les dépenses de l’État. En réponse, il subit la jacquerie des Gilets jaunes.”
Les grèves, la politique et l’imaginaire L’historienne Michelle Perrot l’a souligné: “La grève est un événement qui parle et dont on parle.” Tout mouvement social engendre une part constante qui l’apparente à un rituel, et des spécificités. Pour le politologue Stéphane Rozès, il se rattache aussi au politique. Le coût d’une grève Quand des salariés cessent le travail, nombre de gens s’inquiètent des conséquences économiques de cette décision. Jadis, les patrons faisaient valoir que l’entreprise était mise en péril. Dans le contexte de la mondialisation, c’est l’équilibre des comptes du pays qui est invoquée. Cette préoccupation montre, même involontairement, le lien qui existe entre l’économie, la société, la politique.
L’imaginaire des peuples Pour Stéphane Rozès, le recul économique et la régression politique viennent de la désarticulation entre l’Imaginaire d’un peuple et son environnement:”Nos élites sont, ces dernières décennies mues par des représentations anglo-saxonnes. Celles-ci ne correspondent pas à notre Imaginaire, qui procède de notre histoire et nos humanités, plus guère enseignées dans nos grandes écoles. En 2012, le candidat Hollande disait au Bourget « Chaque nation a une âme ». Cette phrase profonde est la plupart du temps oubliée. Ce sont les Sociétés, qui sur le moyen et long terme, font l’économie et non l’inverse.” Une grève comparable à celle de 1995 pourrait-elle se rejouer? Selon Stéphane Rozès, les conditions sont réunies d’une réplique. “La réforme des retraites dans ses motivations et modalités est illisible, déplore-t-il. Mais , dans le moment bonapartiste actuel, le lien unique entre le peuple et le Président fait que le pays redoute le vide et les réactions du peuple.” Et cet expert de rappeler que l’année dernière Emmanuel Macron avait déclaré que les peuples reviennent à la forme archaïque de leurs imaginaires, sans en tirer d’ailleurs les leçons pratiques. “Il serait temps sinon les nationalismes l’emporteront et avec elles les guerres” conclut Stéphane Rozès. (à suivre …) Propos recueillis par Frédérick Casadesus
L’hôpital public: Édouard Philippe et Agnès Buzyn dévoilent leur plan Mercredi 20 novembre, le Premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la santé, Agnès Buzyn, ont présenté différentes mesures pour améliorer la situation de l’hôpital public. Résoudre une crise très ancienne Pour Antoine Leenhardt, professeur de cardiologie à l’hôpital Bichat, le gouvernement hérite d’une situation qui remonte à plus de quinze ans. “Le président Macron fait ce qu’il peut pour répondre à l’attente des personnels. Mais il faut prendre conscience qu’il est exceptionnel que des médecins fassent grève aux côtés des personnels soignants. S’ils l’ont fait, c’est bien que la situation est grave, explique-t-il. Cela fait 40 ans que je travaille au sein de l’hôpital public. Je peux témoigner du fait que la crise actuelle met en péril la qualité des soins. Les infirmières sont appelées à exercer à n’importe quel poste. La polyvalence peut être un atout dans certains métiers. Mais à l’hôpital, cela peut s’avérer dangereux. Nous voyons de plus en plus d’infirmières perdues dans les services. Il arrive qu’elles se trompent de patient, donc de traitements. Vous en imaginez les conséquences.” Un effort budgétaire Le gouvernement promet d’abord de fournir à l’Assurance Maladie 1,5 milliard d’euros sur trois ans. “Cet argent vient en plus de la trajectoire budgétaire prévue par le gouvernement” a précisé Édouard Philippe. Une telle augmentation devrait être mise en œuvre dès 2020.Le Premier ministre a promis de reprendre un tiers de 30 milliards d’euros de dettes accumulées par l’hôpital public. Assurant que les tarifs hospitaliers ne baisseraient pas jusqu’en 2022, le chef du gouvernement s’est engagé à “augmenter chaque année les tarifs d’au moins 0,2% et à faire encore mieux quand ce sera possible“.
Un soutien pour les personnels Afin d’améliorer la situation des personnels les plus fragiles, Agnès Buzyn a promis d’attribuer une prime annuelle et pérenne de 800 euros net à 40.000 infirmiers et aides-soignants vivant en Ile-de France et gagnant moins de 1900 euros par mois. La prime d’engagement dans la carrière hospitalière devrait être complétée par prime d’environ 300 euros.Enfin, les établissements bénéficieront d’une plus grande autonomie de gestion des personnels. Des avancées jugées positives mais trop modestes Christophe Prudhomme, urgentiste et porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) a salué l’effort, tout en estimant que le gouvernement “ne desserre pas les cordons de la bourse comme il faut“. Nombre de représentants des personnels ont réagi de la même façon. “Chaque année, l’hôpital public voit ses dépenses augmenter de 4 %, rappelle Antoine Leenhardt. Le gouvernement propose d’augmenter l’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (Ondam) de 2,45 % cette année, l’année prochaine et l’année qui suivra. C’est un geste positif, mais très insuffisant.” Pour ce médecin expérimenté, la reprise d’un tiers de la dette est un acte important. Mais il ne permettra pas à l’hôpital public de sortir de la crise. Mieux soutenir les infirmières Verser une prime qui se traduira par le versement d’environ 75 euros mensuels n’est pas de nature à lutter contre la paupérisation des personnels soignants. “Pourquoi faut-il se mettre en grève pour que le gouvernement réagisse? Je l’ignore, ajoute Antoine Leenhardt. Mais la santé de nos concitoyens mérite mieux. Nombre de lits de l’hôpital sont vides parce que nous ne trouvons plus d’infirmières pour nous rejoindre. Il faut agir davantage. ” Frédérick Casadesus
L’hôpital public : une urgence absolue Depuis des années l’hôpital public est en crise. Jeudi 14 novembre, l’ensemble du personnel hospitalier s’est mobilisé pour obtenir de vrais moyens d’action. Emmanuel Macron sous pression Le président de la République ne pouvait pas laisser s’installer cette mobilisation sans réagir. En déplacement dans le département de la Marne, il a promis que l’État prendrait ses responsabilités. Emmanuel Macron a notamment déclaré: “Dès mon élection, j’ai voulu marquer la rupture : nous avons interrompu la spirale déflationniste où les tarifs hospitaliers baissaient chaque année depuis 10 ans, et qui faisaient baisser les revenus des hôpitaux. Pour la première fois, ils ont augmenté en 2019. Nous devons assumer à court terme un investissement plus fort, plus massif, dans notre santé pour le bien de tous.” Le 20 novembre prochain, Édouard Philippe annoncera d’importantes mesures pour améliorer l’hôpital public. La mission de l’hôpital L’hôpital public était destiné, jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale, à soigner d’abord les plus démunis. Cela explique qu’il s’inscrive dans un ensemble que l’on nomme encore “Assistance Publique”. En 1958, Michel Debré a profondément changé la place de l’hôpital dans le dispositif de soins. Les hôpitaux devaient non seulement soigner, mais prévenir les maladies puis réadapter les
patients après leur opération. Quelques années plus tard est advenue la notion de “Service Public Hospitalier”, sensé garantir un égal accès des Français aux soins. “La Cinquième république a fait pour la santé ce que la Troisième avait réalisé pour l’Éducation nationale, explique Antoine Durrleman, ancien directeur général de l’APHP et spécialiste des questions de santé. L’hôpital est la clé de voûte du système imaginé voici soixante ans.” Les dépenses actuelles Au fil des années, les hôpitaux se sont endettés. Les personnels estiment aujourd’hui que la diminution des moyens qui lui sont alloués met en péril la santé des Français. “Contrairement à ce qu’on pense, ce qu’on entendu dire, les budgets hospitaliers augmentent de façon régulière, nuance Antoine Durrleman. En revanche, l’hôpital subit le contrecoup de mesures qui s’additionnent.” Le développement des dépenses de médecine de villes -en particulier les frais de déplacement et les soins paramédicaux ( actes réalisés par des kinésithérapeutes ou des infirmiers- s’est fait au détriment des hôpitaux. Le problème démographique Alors que le nombre de patients ne cesse d’augmenter, le système de santé souffre d’un déficit de personnel. “On manque aujourd’hui d’anesthésistes réanimateurs, de gynécologues et de pédiatres qui soient prêts à s’impliquer dans l’hôpital public, déplore encore Antoine Durrleman. Le manque d’effectifs déstabilise les conditions d’exercice de la médecine hospitalière.” L’attrait des cliniques Dans le même temps, les cliniques parce qu’elles ne sont pas soumises aux même contraintes, attirent les praticiens comme les infirmières grâce à de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. “Naguère, le prestige et la perspective de participer à un progrès médical en faveur de la collectivité suffisaient à susciter des vocations, remarque Antoine Durrleman. Aujourd’hui, les cliniques offrent des perspectives plus séduisantes.” Dans ces conditions, les hôpitaux doivent recruter des médecins vacataires, intérimaires. Ils peuvent être excellents, mais ils ne s’engagent pas de la même façon que les autres. La
cohésion des équipes s’en ressent. Réformer les parcours de soins Selon Antoine Durrleman, il est urgent de réorganiser la médecine de ville en créant des communautés professionnelles territoriales de santé. “La conjugaison de réformes structurelles et de mesures particulières exige de la patience, estime ce haut fonctionnaire qui est aussi président du Centre d’Action Sociale Protestant (CASP). L’hôpital doit devenir le moteur d’un réseau de soins mieux adaptés à notre société. Il faut aider les équipes soignantes, les accompagner dans les mutations, tout en favorisant des réponses graduées à nos concitoyens qui connaissent des problèmes de santé.
Manifestation du jeudi 14 novembre ©Bahia Cornil
Le communautarisme politique en débat Le parti Les Républicains s’apprête à déposer une proposition de loi visant à interdire les “listes communautaristes”. Édouard Philippe a répliqué: “Ce n’est pas au gouvernement de décider qui a le droit de se présenter ou non.” Faut-il en débattre? Une ambiguïté typiquement Française Rappelons qu’un parti d’inspiration chrétienne a vu le jour en France à la Libération. Le Mouvement Républicain Populaire (MRP) ne s’affichait pas démocrate chrétien comme ses homologues allemands et italiens, mais il était bel et bien catholique. Dans un pays laïc, des chrétiens engagés tels que Robert Schumann estimaient difficile d’affilier leur parti à leur religion de manière explicite. Pourtant, sur les questions touchant à la morale publique ou bien à l’enseignement, le MRP a toujours fait cause commune avec l’Église catholique. Qu’en est-il aujourd’hui? Il existe un Parti Chrétien Démocrate, fondé par Christine Boutin en 2001. Elle prétend s’adresser à tous. L’Union des Démocrates Musulmans Français a vu le jour en 2012. ” Notre formation est là pour travailler sur une question fondamentale qui est la citoyenneté, a souligné sur BFMTV Nagib Azergui, président fondateur de l’UDMF. Nous ne sommes pas là pour préparer le grand remplacement, promouvoir la charria.” On ne peut les accuser de communautarisme. Il n’empêche que des questions, des craintes s’expriment. Sur les mêmes antennes de BFM TV, le président Macron a rappelé que l’heure n’était
pas aux controverses inutiles: “La priorité du moment, c’est de lutter contre la radicalisation et de renforcer notre politique de lutte contre ce qu’on appelle le communautarisme, qui est un séparatisme dans la république au nom d’une religion qui est pervertie de ses finalités.” Une symétrie jugée dangereuse Le théologien Christian Delahaye condamne le comportement de ceux qui veulent interdire les listes communautaristes. “ Je suis indigné que des intellectuels ou de grands médias se focalisent sur les musulmans sans voir que des groupes extrémistes chrétiens manipulent aussi l’opinion, pratiquent le communautarisme, s’exclame-t-il. On assiste à un double dévoiement des religions. Le christianisme est tout autant perverti par Steve Bannon que l’Islam par les radicaux musulmans. Lorsque François Fillon a repris les idées de la Manif pour tous et quand François-Xavier Bellamy a déployé ses convictions religieuses durant la campagne des Européennes, qu’ont-ils fait sinon du communautarisme?” L’emblème de Bobigny Beaucoup de commentateurs politiques font état de négociations entre des élus de Seine-Saint Denis et des associations musulmanes afin de se faire élire. Fantasme ou réalité? Christian Delahaye préfère mettre en exergue la belle réussite de l’hôpital Avicenne: “Créé pour remercier les soldats musulmans qui ont participé à la Grande Guerre, cet établissement se trouve en symbiose avec les valeurs de la République. Les médecins musulmans qui en sont les responsables soignent tout le monde en respectant la laïcité d’une manière admirable. Quoi de plus symbolique, pour le vivre ensemble, qu’un hôpital public? Je forme le vœu que ceux que l’Islam effraie trouveront dans cet exemple des raisons d’espérer.” Frédérick Casadesus A lire: “L’alliance contre nature, quand les religions nourrissent le populisme“, Christian Delahaye Empreintes, 180 p. 18 €
Macron dans Valeurs, un étrange dialogue Un président devrait-il dire ça? Emmanuel Macron a longtemps bâti sa communication par opposition à François Hollande. Finies les petites phrases, les apartés journalistiques, avec le nouveau chef de l’État, la solennité recouvrerait ses droits. La conversation informelle que publie Valeurs actuelles prend le contrepied de ce choix stratégique. La géographie d’abord Les propos tenus par le Président ne contiennent pas de véritables scoops. A ceux qui lui reprochent d’être hors sol, Emmanuel Macron déclare: “Je crois beaucoup à la géographie“. Cette affirmation l’entraîne à préciser: “Je vois la France comme un pays archipel.” On ne saurait dire le contraire quand on vient de Mayotte et de la Réunion. Mais le président réaffirme la vocation mondiale du rôle de notre pays. La peur de l’autre Ferme sur les principes, Emmanuel Macron souligne à la fois les racines judéo- chrétiennes de la France et la tradition d’accueil de notre pays. Mais, d’une
manière implicite, il déplore aussi le rejet de la religion dans une société matérialiste. “La peur de l’autre, de l’étranger dont les pratiques sont différentes, s’est cumulée à la peur du religieux, dit-il. C’est ça qui peut faire système aujourd’hui. Voilà l’amalgame sur lequel joue Marine Le Pen et auquel je n’adhère pas du tout.” L’immigration au centre Sur ce terrain, les propositions du Président sont assez classiques. Être ferme, réduire les délais d’examen des dossiers, concilier le respect du droit d’asile et l’expulsion des étrangers en situation irrégulière… Tout juste les journalistes du magazine constatent-ils que le Président connaît ses dossiers sur le bout des doigts. Un magazine radical Valeurs actuelles n’est pas un hebdomadaire ordinaire. Créé en 1966, il faisait partie d’une frange particulière de la droite. “Il regroupait des libéraux, mais surtout des anti-gaullistes, analyse Pierre-Emmanuel Guigo, maître de conférences à l’université de Paris-Est-Créteil. L’écrivain collaborationniste Lucien Rebatet y a publié des articles consacrés à la musique classique sans que cela choque la rédaction de l’époque.” L’hebdomadaire est resté marginal jusqu’au début des années 2010. C’est l’élection de François Hollande qui lui a permis d’incarner la radicalité politique. ” En publiant des unes agressives, des titres accrocheurs, Valeurs actuelles a pris le relais de ce qu’était, durant les années 80, le Figaro Magazine”, observe Pierre-Emmanuel Guigo. Le choix du président Pour quelle raison Emmanuel Macron a-t-il choisi de parler à ce journal plutôt qu’à d’autres médias? “C’est clairement stratégique, estime Pierre-Emmanuel Guigo. Le Président pense qu’il a, dans cette partie de l’électorat, des réserves de voix en prévision de 2022. La gauche est très divisée. Elle ne constitue pas un danger pour lui. En revanche, la reconstruction du parti Les Républicains peut l’inquiéter. Il doit donc tenir des propos très rudes sur le terrain de l’immigration pour retenir les électeurs de droite auprès de lui.”
L’intérêt du magazine La plupart des lecteurs de Valeurs actuelles ont un niveau de vie élevé, des aspirations conservatrices dans le domaine des mœurs. Pour le magazine, cette interview représente une opportunité. “Cela permet à ce journal d’obtenir une forme de respectabilité, souligne Pierre-Emmanuel Guigo.Véritable réussite alors que nombre de journaux voient leurs ventes s’effondrer, Valeurs actuelles sent encore le soufre. Avec cet entretien, l’hebdomadaire peut espérer se hisser au même niveau que les grands titres dont il se veut le concurrent. ” Un marché gagnant-gagnant, comme on dit dans la start-up nation…
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