Lettre Jacques Coeur n 17 - L'année 2018 en perspective, le choc des géants: Etats-Unis, Europe et Russie, Chine
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Lettre Jacques Cœur n°17 Décembre 2017 L’année 2018 en perspective, le choc des géants: Etats-Unis, Europe et Russie, Chine 21 boulevard Montmartre Tél : +33 1 83 95 41 91 www.cfjc.fr 75002 Paris contact@cfjc.fr
FRANCOIS-XAVIER BOUIS Président Cie Financière Jacques Cœur ALEXANDRA DE HOOP SCHEFFER MICHEL FOUCHER, Senior Advisor Directrice du bureau de Paris du Titulaire de la chaire de géopolitique German Marshall Fund of the appliquée au Collège d’études mondiales United States1 (Fondation de la Maison des sciences de l’homme), ancien ambassadeur Synthèse Quels sont les éléments importants à garder à l’esprit pour une lecture raisonnée et anticipée de l’année qui s’ouvre ? L’imprévisibilité du président américain est une donnée prévisible dans un pays où l’écho du trumpisme est profond et durable. La Chine de l’après XIXème Congrès sera gérée de manière encore plus centralisée par le parti- Etat, qui devra néanmoins prêter attention à la situation économique, sociale et environnementale interne tout en poursuivant sa stratégie de projection extérieure. La Russie confirmera son régime autocratique lors des élections de mars 2018 et son impossibilité à moderniser son mode de croissance économique et ses institutions. Avec le partiel retrait américain de la scène internationale et le repli sur les seuls intérêts nationaux, le monde devient plus multipolaire et moins multilatéral. Et les alliés stratégiques sont des rivaux économiques (Etats-Unis face au Japon, la Corée du sud et en partie l’Europe) tandis que les partenaires économiques (Chine / USA) sont des rivaux stratégiques. C’est une situation inédite et instable. L’Europe de l’Union est en position de force face à des Brexiters de plus en plus divisés sur leur objectif final (sortie complète de l’Union européenne ou alignement maximal sur l’existant ?), en mouvement pour le renforcement de l’eurozone et en attente d’un nouveau gouvernement allemand (avant Pâques). Le Président français devra donc redoubler d’effort pour convaincre ses partenaires des 27 sur son projet de relance de la construction européenne, dans une fenêtre d’opportunité qui va jusqu’au printemps 2019, date des prochaines élections du Parlement européen. 1 Voir la présentation du German Marshall Fund of the United States en annexe 2
LES ETATS - UNIS EN 2018 Le facteur Trump et le Trumpisme : décrypter les évolutions sociétales et politiques aux Etats-Unis Pour comprendre l’élection de Donald Trump il y a un an, il est nécessaire d’appréhender le président Trump comme : a) Le symptôme d’une transformation beaucoup plus profonde et durable de la société américaine (voir tribune parue dans Le Monde, le 7 novembre 2017) : croissance des inégalités et de l’insécurité économique ; le rejet de l’establishement politique et des institutions, en particulier le Congrès ; l’anxiété culturelle exacerbée par les évolutions démographiques ; le moindre appétit des jeunes adultes américains de 18-34 ans pour un rôle actif des Etats-Unis dans les affaires internationales. Toutes ces dynamiques internes à la société américaine auront des implications durables pour le lien transatlantique et l’action extérieure des Etats-Unis. b) Le reflet du changement de la culture politique américaine : la campagne électorale de 2016 a signalé un changement dans la culture politique américaine, dans le sens où les candidats n’avaient rien à gagner politiquement à se prononcer en faveur d’une politique internationaliste et en faveur du libre-échange, bien au contraire. Le slogan « America First », appelant à un recentrage sur les intérêts nationaux des Etats-Unis et à une remise du statu quo international, l’a emporté. Même Hillary Clinton a dû se prononcer contre le TPP bien qu’elle ait personnellement œuvré à le négocier lorsqu’elle était secrétaire d’Etat. c) L’accélérateur de tendances déjà existantes sous l’administration Obama qui avait déjà opéré un recentrage sur les intérêts nationaux des Etats-Unis : l’erreur européenne a été de fantasmer Obama en « président européen », alors qu’il était en réalité le premier président américain « post-européen », opérant un retrait partiel de l’Europe et du Moyen-Orient pour se tourner vers l’Asie-Pacifique et demandant à ses alliés européens de mieux partager le fardeau militaire au sein de l’Alliance (cf. Libye, 2011). Le « nation-building at home » d’Obama trouve sa version plus radicale dans le slogan trumpiste « America First » qui s’appuie sur deux principes : 1. la remise en cause du statu quo politique et des alliances traditionnelles ; 2. la défense vigoureuse des intérêts nationaux. 3
Le réveil ou la crise des contre-pouvoirs ? Implications pour la diplomatie américaine Il n’y aura pas de « normalisation » du Président Trump, il faut l’accepter ; une deuxième chose est certaine et vérifiée depuis l’élection de Trump : le président des Etats-Unis est le président le plus contraint du monde en raison de l’équilibre des pouvoirs inscrit dans la Constitution américaine. La méthode Trump et ses politiques parfois à contre-courant du parti républicain et de l’opinion publique américaine, ont contribué au réveil des contre-pouvoirs ; les institutions américaines restent fortes et les cours fédérales américaines sont le meilleur moyen de préserver la démocratie américaine, sans toutefois toujours parvenir à infléchir la position du président. Ainsi, le décret anti-immigration2 visant sept pays à majorité musulmane, s’est trouvé bloqué à plusieurs reprises par des juges fédéraux, pour finalement être approuvé par la Cour suprême des Etats-Unis le 4 décembre 2017, donnant son accord à l’application intégrale de la dernière version du décret anti- immigration. La composition de la liste fait également débat, en France surtout. A l’occasion du déplacement de la ministre des armées française, Florence Parly, à Washington, en octobre, la France avait attiré l’attention sur le fait que le Tchad est un allié précieux dans la lutte contre le djihadisme au Sahel. Sur le climat, la décision de Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord de Paris, a été contournée par un certain nombre de villes et d’Etats américains qui ont multiplié les alliances et les initiatives, y compris en matière de financement de la lutte contre le réchauffement climatique, poursuivant l’engagement pris sous l’administration Obama. La Californie avait déjà marqué sa différence en étant l’un des principaux acteurs de l’initiative "We Are Still In" ("Nous sommes toujours dans l’Accord de Paris"), dont Jerry Brown est co-président. Cette coalition de 9 États, 125 villes, 902 entreprises et investisseurs, et 183 universités assure que les États-Unis respecteront leurs engagements de réduction d’émissions de CO2. Jerry Brown est devenu le leader de la résistance écologique face à Trump et espère combler le vide politique laissé par le retrait américain. Il a directement signé des traités climatiques avec Pékin et Berlin. Sur les questions de sécurité internationale, on assiste à un rééquilibrage des prérogatives de l'exécutif au bénéfice du Congrès. Deux exemples frappants : En juin, le Sénat a réitéré à l'unanimité son soutien à l'article 5 du traité de l'OTAN, que Trump avait vertement critiqué pendant la campagne et ignoré lors de sa première visite à Bruxelles en mai. En juillet 2017, les parlementaires américains ont forcé la main du président Donald Trump au moment où il voulait tendre à Vladimir Poutine, en adoptant à une quasi-unanimité de nouvelles sanctions contre la Russie, 2 Ce texte interdit de manière permanente l’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de sept pays jugés, soit hostiles aux Etats-Unis ou bien considérés comme liés ou menacés par le terrorisme (Corée du Nord, Iran, Libye, Somalie, Syrie, Tchad et Yémen). Les populations de ces pays sont majoritairement de confession musulmane. 4
voulant en premier lieu infliger des représailles à la Russie après une campagne de désinformation et de piratage attribuée à Moscou durant l'élection présidentielle américaine. Surtout, la loi votée prévoit un mécanisme donnant au Congrès un délai de 30 jours pour examiner tout changement au régime des sanctions décidé par la Maison-Blanche. Le président ne pourra plus lever ou suspendre les sanctions sans l’aval du Congrès. Sur l’Iran, le Congrès américain n’a pas rétabli les sanctions contre l’Iran. Il a finalement suivi l’avertissement selon lequel un retour des sanctions aurait détruit un accord assurant le caractère pacifique du programme iranien. Le secrétaire d’État, Rex Tillerson, a toutefois rappelé la demande de Donald Trump au Congrès d’étudier l’accord en vue d’« exigences supplémentaires » vis-à-vis de l’Iran. Enfin les contre-pouvoirs se manifestent à l’intérieur même de l’administration Trump : les généraux qui entourent le président, Mattis, Secrétaire à la défense, Kelly, chef de cabinet de la Maison blanche, et McMaster, conseiller à la sécurité nationale auprès du président ou le secrétaire d’Etat Rex Tillerson (sur l’Iran et la Corée du Nord), jouent à leur manière un rôle de « modérateurs » des déclarations de Trump, notamment en ce qui concerne les relations avec les alliés traditionnels des Etats-Unis. Le seul dossier de politique étrangère qui fédère l’ensemble des membres de l’administration Trump et du parti républicain, est l’Iran, ou plutôt, le sentiment anti-Iran. L’éventuel remplacement de Rex Tillerson par Mike Pompeo, actuel directeur de la CIA, ancien militaire, fervent trumpiste, critique virulent de l’administration Obama et de l’accord nucléaire iranien, pourrait radicalement changer la donne diplomatique ainsi que les relations avec l’Europe. Nikki Haley, actuelle représentante des Etats-Unis auprès des Nations unies et omniprésente au point d'être devenue de facto la voix de la diplomatie américaine, aurait « refusé » la proposition de poste de secrétaire d’Etat. Les priorités de la politique étrangère des Etats-Unis La National Security Strategy (NSS) qui vient de paraître le 18 décembre 2017, donne la direction générale de la politique étrangère qui sera menée par l’administration Trump durant les quatre années de son mandat, aussi bien sur le plan économique que militaire. Si la vision générale se structure essentiellement autour du principe de « America First », il est frappant de constater que le document présente très peu de nouveauté par rapport aux administrations précédentes. La nouveauté réside surtout dans les actions annoncées pour faire face aux menaces. L’idée qu’une « Amérique forte » se définit avant tout sur le plan intérieur, a toujours été formulée ainsi. Toutefois, sa vision d’une Amérique forte passe par le durcissement des frontières, avec un nouvel appel à construire un mur à la frontière avec le Mexique, et la fin d'un certain nombre de programmes de visas. 5
La principale différence réside dans le fait que le climat n’est plus cité comme une menace à la sécurité nationale des Etats-Unis et que les principes de « souveraineté » américaine et de « coopération avec réciprocité », dominent le document, notamment en matière de politique commerciale. Toutefois, les priorités stratégiques et la hiérarchisation des menaces demeurent similaires à celles évoquées sous l’administration G.W. Bush, avec toutefois une insistance sur l’importance de la menace nucléaire. La NSS mentionne trois catégories de menaces : la Chine et la Russie sont qualifiées de puissances rivales et révisionnistes : ils «défient la puissance, l'influence et les intérêts des Etats-Unis», souvent «en opérant sous le seuil de conflits ouvertement armés et aux limites de la loi internationale». La Chine est qualifiée de «concurrent stratégique», augurant d'un durcissement américain sur le déséquilibre commercial et les transferts de technologie, tout en s'efforçant de ménager sa coopération sur le dossier nord-coréen. La fermeté du document envers la Russie tranche avec les amabilités échangées entre Trump et Poutine, y compris dimanche lors d'un appel du chef du Kremlin pour remercier son homologue de l'aide de la CIA, qui a permis d'éviter un attentat à Saint-Pétersbourg. L’Iran et la Corée du Nord sont qualifiées d’ « Etats voyous », et les organisations transnationales, en particulier le « terrorisme djihadiste », sont perçues comme une menace directe à la sécurité des Etats-Unis. La coopération avec les alliés européens en matière de lutte contre le terrorisme est décrite comme particulièrement importante. Les régions prioritaires sont classées par ordre d’importance pour les Etats-Unis : la région indo-pacifique, l’Europe, le Moyen-Orient, l’Amérique latine et le Canada, et l’Afrique principalement perçue au travers du prisme de la lutte anti-terroriste. «L'Amérique d'abord ne signifie pas l'Amérique seule», selon Trump, mais sa nette préférence pour les coalitions ad hoc et les accords bilatéraux par rapport aux alliances traditionnelles, est notable. L'ONU et l’OTAN sont priées de se réformer pour un meilleur «partage du fardeau». Implications pour les relations avec la France et l’Europe : quelle(s) stratégie(s) américaine(s) pour les alliés européens ? Les sujets de friction entre les Etats-Unis et l’Europe sont nombreux : climat, Iran, réforme fiscale, pour ne citer que quelques exemples, et l’unilatéralisme pragmatique des Etats-Unis se poursuivra, avec peu d’intérêt pour une concertation avec les alliés européens. C’est donc aux Européens de trouver des moyens de faire en sorte que les Etats-Unis restent engagés dans un dialogue transatlantique direct et régulier, pour limiter les risques de rupture, quitte à explorer ou à renforcer certains canaux de coopération, avec le Congrès, avec les Etats et les villes américaines, les think tanks et les universités, notamment celles qui ont la capacité à atteindre les Américains qui ont voté Trump. Les États-Unis seront un partenaire moins fiable pour l’Europe, agissant de fait plus comme un « disrupteur » que comme un leader sur les questions internationales et au sein des forums multilatéraux ; les conseillers de Trump 6
invitent leurs alliés européens à tourner cette disruption à leur avantage. Cela pourrait donner lieu à trois approches complémentaires : a) Les gouvernements européens devraient renforcer leurs relations avec le Congrès américain (très demandeur) sur des questions particulièrement pertinentes pour les intérêts européens (l’Iran, la Russie, le réchauffement climatique) ainsi qu’au niveau infra-national, avec les gouverneurs, les maires, les représentants de la société civile et les think tanks afin de maintenir et de poursuivre la coopération transatlantique sur des sujets pour lesquels les politiques mises en place par la Maison Blanche viennent contredire les intérêts et les valeurs européens, ou là où le leadership américain est en retrait. b) Tandis que la puissance diplomatique américaine tend à diminuer, la France, avec l’Allemagne, devraient (re)prendre le leadership sur la scène diplomatique, notamment auprès des pays avec lesquels les États Unis ont cessé de coopérer ou avec lesquels leurs relations se sont détériorées, en particulier au Moyen Orient. De ce point de vue, le rôle de médiateur joué par la France au Moyen Orient, et son engagement auprès de la Chine sur le climat, sont deux illustrations de la manière dont la France réaffirme son leadership à défaut d’une politique américaine, mais où le soutien d’autres pays européens va se révéler de plus en plus nécessaire, pour pouvoir véritablement peser. c) La France, soutenue par l’Allemagne et d’autres partenaires européens devra renforcer la coopération avec les États-Unis dans des domaines où ils coopèrent déjà et où les capacités américaines se sont avérées indispensables (ex. les opérations antiterroristes dans le Sahel, ou le partage de renseignements), tout en renforçant la coopération européenne en matière de défense et de sécurité, en particulier dans le domaine de la gestion de crise. De ce point de vue, la coopération bilatérale franco-américaine s’est renforcée depuis l’élection de Trump ce qui permet à la France de s’en servir comme un moyen de pression sur d’autres dossiers, et les progrès en matière de défense européenne ont été remarqués à Washington. 7
LA CHINE EN 2018 Lors du 19ème Congrès du Parti communiste chinois, le Président Xi Jinping a présenté une vision à horizon de 2049 pour un « pays socialiste moderne qui se hissera au premier rang du monde, avec une plus grande fierté », sous la conduite d’un parti-Etat. Le « rêve chinois » passe par l’accès à une situation économique et sociale de « moyenne aisance » entre 2020 et 2035. L’objectif de « Renaissance de la nation » est confirmé, par un président dont les pouvoirs sont renforcés et dont la pensée a été élevée au rang de celle de deux de ses prédécesseurs illustres, Mao Tsétoung et Deng Xiaoping. Comme l’a indiqué une chansonnette diffusée sur l’internet : « Mao a remis la Chine debout, Deng l’a rendue riche et Xi forte ». Xi entame son deuxième mandat. La composition du comité permanent du bureau politique du PCC ne permet pas d’identifier un successeur, de sorte que l’hypothèse d’un nouveau mandat n’est pas exclue par certains analystes. La concentration du pouvoir est extrême. Durant le premier mandat, le rôle du PCC a été réaffirmé ; il contrôle l’Etat afin d’éviter toute dérive idéologique. Les décideurs suprêmes sont au nombre de sept : le président Xi Jingping, le premier ministre Li Keqiang, Wang Yang en charge de l’économie et d’orientation réformiste, Li Zhanshu qui prendra la présidence du Parlement, Wang Huning, l’intellectuel du PCC qui a inventé le concept de « rêve chinois », Zhao Leji qui prolongera l’effort de lutte contre la corruption qui a été la marque du premier mandat de Xi, Han Zheng, futur vice-premier ministre. Le bureau politique compte 25 membres, issu d’un comité central de 207 membres, désignés par le congrès (2200) qui représente un parti fort de 83 millions d’adhérents et dont la présence s’est renforcée partout (y compris les entreprises privées). Il convient de relever la capacité du système chinois à organiser sa relève générationnelle (la 6ème depuis 1949), même si, dans un pays relevant du mono-partisme, la dimension dynastique n’est pas absente. Les princes 8
rouges sont les fils de dirigeants et compagnons des fondateurs de la République populaire en 1949. Ils occupent des positions éminentes dans le monde des affaires. Au plan politique, on relève dans la composition des instances dirigeantes élevées au pouvoir lors du 19ème Congrès (novembre 2017) la place particulière des « jeunes instruits » (zhiqing) - huit sur quinze nouveaux membres du Comité Central) – qui sont ceux contraints de s’exiler à la campagne pendant la « révolution culturelle », comme l’actuel président Xi Jinping. La limite d’âge de 68 ans s’appliquera-t-elle lors du 20ème congrès ou bien le président Xi passera-t-il outre au principe d’une durée maximale de deux mandats ? Le groupe dirigeant entend porter la Chine au rang de puissance scientifique d’ici 25 ans dans des domaines- clés de l'économie du futur : intelligence artificielle, robotique, énergies renouvelables, biotechnologies, ordinateur quantique. Le scénario de l’usine du monde n’est qu’une étape pour y parvenir. Il reste que la structure de l’économie chinoise doit faire face à trois contradictions: - celle de l’articulation entre la place des sociétés d’Etat (bras armé de la projection extérieure de Pékin) et la revendication d’un statut d’économie de marché (qui est récusé par Washington et Bruxelles) ; - celle entre une politique de l’offre (fondée sur l’innovation et l’amélioration de la productivité) et l’orientation vers un modèle de soutien de la croissance par la demande intérieure, qui semble moins prioritaire ; - celle qui oppose la rhétorique du Congrès d’une grande puissance moderne et la réalité d’une économie qui en est au début de sa transformation (la consommation intérieure ne représente que 40% du PNB et les services 52%). Enfin, il convient de pointer le fait que la présidence Xi est la première à avoir placé son action sous une double slogan : rêve chinois à l’intérieur et projection à l’extérieur, exprimée par la formule Yidai Yilu (une ceinture, une route). C’est la fin de la diplomatie de la retenue et au Nations Unies, la Chine a des positions désormais plus autonomes par rapport à la Russie et plus engagées, à la mesure de l’ampleur de ses intérêts internationaux. En conclusion, il est utile de rappeler que la Chine a besoin d’une interaction forte avec les Etats-Unis, au-delà de la rivalité stratégique qui est mentionnée plus souvent à Washington qu’à Pékin. Les Etats-Unis sont un marché, un lieu de placement en bons du Trésor, de formation des élites scientifiques. C’est une situation de « co-dépendance ». Quant au déficit commercial qui obsède la Maison Blanche, Yukon Huang (ancien directeur pour la Chine à la Banque mondiale), estime que « L’enjeu n’est pas le déficit commercial US mais l’accès au marché chinois », ajoutant que les Etats-Unis consomment plus qu’ils ne produisent. Une partie des importations américaines sont en réalité des produits américains assemblés en Chine (les deux-tiers de l’emploi de la chaîne de valeur d‘un iPhone sont hors des USA, d’abord en Chine, avec Foxconn et Pegatron, deux géants du « manufacturing » à la demande mais les deux-tiers des salaires sont versés aux Etats-Unis) (voir Pierre Veltz, La société hyper-industrielle, La République des idées, 2017. Prix du Livre d’économie 2017). 9
LA RUSSIE EN 2018 « La Russie n’est pas un pays pour les débutants » aime à rappeler Alexander Dynkin, président de l’Institut d’économie mondiale et de relations internationales (IMEMO), à Moscou. Et il conseille de (re)lireTolstoï, Dostoïevski et Soljenitsine pour se forger une opinion, plus complexe que l’image simpliste qu’il paraît projeter. Vladimir Poutine est donc candidat à un 4ème mandat, qui lui permettra de rester au pouvoir jusqu’en 2024. Il l’a annoncé le 6/12/17 à Nijni-Novgorod, devant les ouvriers de l’usine GAZ (qui produit la Volga), ville centrale également dans le VPK (complexe industrialo-militaire). Sa popularité est forte car il a sorti son pays du chaos de la période de Boris Elstine et a restauré la voix et la puissance de la Russie sur la scène internationale (Crimée, Syrie). Il sera donc réélu au premier tour, son opposant principal Alexeï Navalny ayant été jugé inéligible. L’enjeu de la campagne sera le taux d’abstention (et le niveau de fraude, provoquée par la zèle de gouverneurs de provinces adeptes de la « ressource administrative ») Ce 4ème mandat devra se porter vers la politique intérieure, dès lors que les « succès » de politique extérieure (Crimée, Syrie) ne suffisent plus à assurer la confiance des gouvernés. Si l’économie a su résister aux sanctions (2% de croissance, en 2016 ; hausse de la production agricole), la pérennité d’un modèle rentier, la fuite des capitaux et la corruption demeurent, dans un pays peu mondialisé (1,5% du PIB mondial, contre 19% à l’époque soviétique ; un écart de 1 à 6 avec la Chine contre une parité de 1955 à 1995) : certains évoquent un scénario argentin. L’accord Russie/OPEP de maîtrise de la production pétrolière a été renouvelé pour six mois : il tient et permet un prix moyen de 60$/b mais ce niveau favorable ne peut qu’encourager les producteurs d’hydrocarbures non conventionnels des Etats-Unis à augmenter leur production et donc à influer sur les prix à la baisse. Les tenants de la réforme et d’un nouveau modèle de développement sont minoritaires. Les experts les plus ouverts s’interrogent sur l’avenir des travaux d’Alexeï Koudrine, ancien ministre de l’économie, et font le constat d’une « économie encore sous-développée avec des institutions faibles qui sont des menaces plus grandes pour la 10
souveraineté du pays que les risques militaires. Il est impossible de les dépasser de manière isolée » (Andreï Kortunov, Conseil Russe des Affaires Internationales, juin 2017). Lors de la World Policy Conference (organisée par l’Institut français de relations internationales, novembre 2017), les participants russes ont estimé que la Russie était marquée par une double polarité : à l’intérieur, entre autocratie et le couple réforme/démocratie, à l’extérieur entre Chine et Etats-Unis. Le risque de prise de contrôle de l’Eurasie par la Chine (via son projet Une ceinture/ une route) inquiète. L’option européenne reste donc valable, qui représente plus des 2/5 des échanges et reste le premier marché de la Russie. Lors de la réunion à Moscou du Conseil d’échange économique bilatéral (18-19/12/) Bruno Le Maire a proposé à son homologue, Maxime Orechkine, un renforcement des relations économiques, notamment dans les secteurs des lanceurs spatiaux récupérables et des énergies renouvelables, tout en critiquant les sanctions extraterritoriales imposées par les Etats-Unis (sur les banques et les firmes de l’aéronautique). 11
LE BREXIT EN 2018 L’accord signé le 8/12/17 entre Londres et Bruxelles est ambigu ... - cet accord a permis l’ouverture de la phase II (négociations sur la période de transition et l’accord commercial), confirmée par le Conseil européen des 14 et 15 décembre 2017, - il indique une sortie du marché unique sans rétablir de frontière en Irlande (Dublin) et entre Ulster et GB (Belfast), - selon Teresa May, « En l’absence de solutions acceptées, le RU maintiendra un alignement complet sur les règles du marché unique et de l’union douanière ». Elle aurait donc opté pour un Brexit « modéré », voire un quasi-statu quo déguisé en Brexit dans lequel le Royaume Uni suivrait les règles de l’UE sans en faire partie. ... et ambivalent car approuvé par les deux courants (favorables au « hard » et « soft » Brexit) - David Davis, le négociateur, y a vu « une déclaration d’intention, conditionnelle » (ajoutant que le règlement de la facture britannique de sortie (55 Md€) dépendrait de l’accord commercial) « no deal means that we won’t be paying the money » - Philip Hammond, chancelier de l’Echiquier, y a vu « un coup de fouet pour l’économie » - Teresa May (11/12) a commenté : « the pledge to have a post-Brexit UK in "full alignment" with the EU's rules of the internal market and the customs union was a "last resort". « C’est une bonne nouvelle pour les personnes qui ont voté en faveur de la sortie (de l’UE), qui craignaient que nous ne nous enlisions […] mais également pour les gens qui ont voté pour le maintien (dans l’UE), qui redoutaient un naufrage ». La ligne politique Brexit, dure ou non, n’est toujours pas arrêtée au sein du parti conservateur et du gouvernement : - Michael Gove, Boris Johnson sont en faveur d’une politique de dérégulation, c’est à dire un paradis fiscal gigantesque et d’un « Global Britain » ; - Philip Hammond plaide pour un alignement maximal sur les règles de l’UE ; - Michael Gove défend l’option d’un accord de type « Canada-plus plus plus » « What we want is a bespoke outcome » (« the best of Canada, Japan, S Korea + what is missing, which is services » 12
Rappelons que le CEFTA (accord Canada-UE) exclut les services (qui forment 80% PIB britannique) Calendrier: début des négociationq sur le statut à partir de février 2018 pour une conclusion en octobre 2018 « pour négocier un arrangement transitoire et le cadre de nos futures relations » (Donald Tusk, président du Conseil européen) Catherine Mc Guiness, présidente de la corporation de la City (Le Monde, 14/12/17) indique que la City réclame la mise en place d’une période de transition de 2 ans entre la date officielle du Brexit, mars 2019, et son entrée en vigueur réelle. Le Royaume Uni ne serait plus membre de l’UE mais resterait dans le marché unique et l’union douanière, en conservant toutes les réglementations actuelles. Ce délai offrirait une visibilité de 3 ans pour avoir le temps de l’adaptation. Mais, selon elle, il importe de décider rapidement sur cette transition ; sinon les institutions commenceront à activer leurs plans de secours sur le Brexit : il faut un an pour déménager et il reste 15 mois. Même position pour Miles Celic, de TheCutyUK, autre grand lobby. L’UE a donné son accord pour une transition de deux ans. Il ne faut donc attendre un exode massif d’emplois depuis la City. Les chiffres de Nomura sont de l’ordre de 10000 emplois à transférer (dans une fourchette de 4000 à 75000). Le scénario porté par la City est celui d’un arrangement sur mesure permettant une reconnaissance mutuelle des régulations et l’accès mutuel aux marchés financiers : serait négocié un système d’équivalence des régimes financiers européens et britannique, avec, en cas de désaccord, recours à un système d’arbitrage international. A l’objection de Bruxelles d’un refus d’accès sans respect des règles, la réponse de la City est qu’elle a aucun appétit pour un moins-disant réglementaire pour celles qui sont dans la finance internationale (pas intérieure ni politiciens) et qu’une régulation raisonnable et proportionnée est requise pour éviter répétition de la crise financière. Elle est également que l’UE a besoin de la City, seul centre financier international d’Europe. Michel Barnier a rappelé que Londres devait reconnaître que le maintien du passeport financier impliquait le respecte de la juridiction de la CJE (accès au marché). Peu à peu, le coût du Brexit se fait jour. Ainsi dans le secteur automobile, 55% des véhicules fabriqués au RU sont exportés vers l’UE et 77% de ceux vendus au RU sont importés de l’UE. Pour une Honda Civic fabriquée au RU, 9 composants sont locaux, 12 importés de l’UE et 4 d’ailleurs (Le Monde, 7/12/17, L’automobile britannique, grande perdante du Brexit). 13
Les recherches conduites par les économistes du Financial Times (19/12/17) indiquent que le PIB britannique est d’ores et déjà 0,9% plus bas que si l’électorat avait voté pour le statu quo (« remain »). L’immigration a baissé de 40% dans les 12 premiers mois suivant le référendum de juin 2016. Le coût est déjà plus élevé que ce qui serait économisé avec la fin des contributions nettes au budget européen. Enfin, les « rebelles tories » menés par le député conservateur Dominic Grieves viennent d’imposer (par 389 voix contre 385, le 14/12, à la veille du Conseil européen) que l’accord final conclu par Londres soit approuvé (ou non) par le Parlement, qui pourra donc imposer une renégociation. Ce vote pourrait lever les inhibitions des électeurs qui craignent les effets négatifs du Brexit sur leur nivau de vie. 14
L’ALLEMAGNE EN 2018 La formation d’une nouvelle grande coalition est en cours de négociation après le quitus donné à Martin Schulz, président du SPD, lors du congrès de début décembre : une solution logique car « le pays passe avant le parti » (Willy Brandt). Un débat a été lancé par le président Steinmeier (SPD) sur la « responsabilité » des partis dans un pays où l’on craint les incertitudes politiques Les partis de la « GroKo » ont remporté 53% des voix le 24/9/17 (moins 13% par rapport aux élections précédentes). L’option d’une « KoKo » (coopération en coalition à la carte) n’est pas jugée viable. Dès lors que le nouveau gouvernement ne sera formé qu’au cours du prochain trimestre (avant Pâques), la chancelière Angela Merkel doit en référer au Bundestag sur tous les sujets UE (dont celui du budget). Les négociations vont porter sur les points suivants : -le SPD de Martin Schultz a deux priorités, la lutte contre les inégalités et la relance de la construction européenne dans un sens fédéraliste (alors que le contexte européen n’est pas favorable) ; -SPD et CDU prêts à considérer les propositions de Paris sur: budget, ministre des finances de la zone €, fonds d’investissement + défense, frontières extérieures, migrations L’Allemagne, puissance économique centrale, a besoin de stabilité politique. La percée de l’AfD (Alternativ für Deutschland) doit-elle être analysée comme un échec politique d’Angela Merkel ou comme une poussée du populisme ? Les libéraux du FDP se sont repliés sur la radicalité de leurs origines: libéralisme eurosceptique et national. Un rapprochement avec l’AfD n’est pas exclu, sur le modèle autrichien. Ce refus de participer à une coalition a été mal vu de l’opinion, en quête de stabilité. Il est vrai que Mme Merkel a pris des décisions unilatérales (nucléaire, migrants) et a recentré la CDU (Die Mitte), tout en faisant le vide autour d’elle. La course à la succession de la présidence de la CDU a déjà commencé, en coulisses : sont cités Jens Spahn (37 ans, secrétaire d’Etat aux finances, conservateur), Annegret Kramp-Karrenbauer (ministre-présidente de la Sarre), Julia Klöckner (vice-présidente de la CDU), Ursula von der Leyen (ministre de la défense), Peter Almaier (ministre des finances et conseiller le plus proche de la chancelière), Armin Laschet (ministre-président de Rhénanie du Nord- Westphalie). 15
A noter les propos de Joe Kaeser, PDG de Siemens (Les Echos, 24-25/11/17) - (à propos du gouvernement français) « Je ferai tout ce qui est possible de mon côté pour l’aider à réussir » (Pourquoi ?) « Parce qu’il s’agit de l’avenir de l’Europe. Il s’agit de bâtir une autre puissance mondiale, aux côtés des Etats-Unis, de la Chine et bientôt de l’Inde. L’Allemagne seule est trop petite pour cela. La France aussi. Jusqu’ici, l’Europe a été bien occupée par elle-même... sans prendre suffisamment en compte le monde extérieur ». et ceux de Sigmar Gabriel, vice-chancelier et ministre des affaires étrangères : « Emmanuel Macron est une chance pour les Allemands » : « La France a droit à une réponse autre que le sourire las qui accueille ses propositions (sur l’Europe) actuellement à Berlin » (op.cit. 15 et 16/12/17) 16
L’EUROPE (UE) EN 2018 L’enjeu majeur de 2018 est la négociation du cadre financier pluriannuel 2021-25 (dans le contexte du Brexit, qui va réduire le budget de 15mds€). Trois scénarios sont étudiés par la Commission européenne Un scénario « de référence » = baisse des crédits de 15% (effet sur la PAC 39% - et la politique de cohésion 26%) = fin des crédits vers les contributeurs (France : 26,7Mds€ entre 2014 et 2020, infrastructures) (PAC: France= -9%) Un scénario de baisse de 30% du budget Un scénario de statu quo. Il faut s’attendre à un vif débat entre Etats membres contributeurs et Etats membres bénéficiaires: l’idée franco-allemande de conditionner l’octroi des fonds européens au respect des valeurs. C’est le « new deal » de Gunther Oettinger (commissaire en charge des budgets). Sur proposition de la Commission (6/12), le Conseil (15/12) a discuté des points suivants : Un plan pour un Fonds monétaire européen en 2019 à partir du Mécanisme de stabilité (2012) La création d’un ministre des finances de la zone euro (président de l’Eurogroupe et commissaire) L’ouverture d’un budget séparé de 30Mds€ (Paris) ou ligne budgétaire (Commission) ou les deux (Berlin) ? Une fenêtre d’opportunité se fait jour, entre la mise en état de marche du prochain gouvernement allemand et les élections au Parlement européen (printemps 2019). Paris et Berlin sont convenus de présenter leur position commune pour une réforme de la zone euro en mars 2018, avec l’espoir de convaincre les partenaires les plus réticents (Pays Bas, Finlande). Pour mémoire : le Plan Juncker (fonds de garantie de 21 Mds€ (soit 241Mds€ d’investissements en 2 ans) a vu la France se placer comme deuxième bénéficiaire: 36 Mds€ dont 7,6 BEI (R&D des ETI et du numérique et rénovation énergétique) 17
TABLEAU DE BORD 2018 ETATS-UNIS: deux dates-clés 11-12 juillet : sommet de l’OTAN – les alliés européens devront arriver avec des résultats (en matière d’augmentation des budgets de défense) et des propositions concrètes. L’Allemagne subit une pression particulièrement forte de la part de Washington pour qu’elle renforce ses contributions militaires au sein de l’OTAN. 6 novembre : Elections de mi-mandat aux Etats-Unis – les élections de mi-mandat sont traditionnellement conçues comme un « référendum » sur le président et son parti. L’enquête sur l’affaire russe sera terminée avant les élections de mi-mandat et les conclusions pourraient influencer les résultats. Tous les sièges de la chambre des représentants et 33 sièges sur 100 du Sénat seront renouvelés. Il n’est pas certain aujourd’hui que le parti démocrate parvienne à gagner la majorité à la chambre des représentants : il faudrait qu’ils conservent l’ensemble de leurs sièges et en gagnent 24 pour contrôler la chambre. Le sénat est plus à leur portée, devant remporter 3 sièges pour obtenir la majorité. CHINE Le grand bénéficiaire de la globalisation et de la présidence Donald Trump Croissance et sujets intérieurs; péninsule coréenne RUSSIE Après les élections russes : réforme ? succession ? sécurité ? Prix du pétrole (accord avec OPEP mais jeu des producteurs US) EUROPE (UE) Des avancées institutionnelles Une monnaie solide Le « trumpisme » survivra à DT: laboratoire politique américain (populisme et perception d’un déclin); Brexit et Jeremy Corbin, AfD, Autriche, … BREXIT : vers un accord de transition (mars 2019 – 30 décembre 2021), à l’exclusion du secteur financier ; accord final après plusieurs années de négociation PROCHE ET MOYEN ORIENT Contenir l’Iran ? (démission de Rex Tillerson ?) Enjeux de la modernisation de l’Arabie saoudite Risques de conflit plus ouvert entre Ryad et Téhéran ? 18
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