CONFINEMENT MA VIE DE PROFESSIONNEL LE DU SPECTACLE - AUVERGNE RHÔNE-ALPES SPECTACLE VIVANT
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« Agis dans ton lieu , pense avec le monde ». Édouard Glissant CONfInEmenT MA vIE dE profEssIOnneL·LE du spEcTAcle Vincent Roche Lecca Directeur Théâtre de Bourg-en-Bresse (Bourg-en-Bresse - 01) D’où nous écrivez-vous ? Êtes-vous sorti.e de votre lieu de confinement ? Mon confinement se déroule depuis plus de deux mois à mon domicile à Bourg-en-Bresse, dans une petite maison un peu à l’écart du centre-ville. J’y ai vu le printemps grandir comme jamais, la vie quotidienne s’est organi- sée à six avec mon épouse qui exerce dans le secteur culturel également en Gageons que les années télétravail, mes deux garçons de plus 2022 et 2023 verront en plus complices, ma mère rapatriée exploser les initiatives et in- de son appartement francilien, une novations culturelles, orga- jeune fille au pair guatémaltèque. Cet nisons-nous et soyons prêts espace constitue une prison dorée au rendez-vous. La culture à l’abri de la menace d’un extérieur devenu incertain. Ce lieu est aussi aime à se requestionner devenu le foyer de petites utopies. lorsqu’elle tient salon et est sur le divan, soyons à L’épisode que nous vivons (confi- nement, mise en sommeil des liens la hauteur de l’enjeu pour sociaux traditionnels, arrêt des éviter les déceptions. spectacles et de la vie culturelle et artistique...) a t-il exercé sur vous de Le temps de la sidération est survenu la sidération ? lors des premiers jours car je n’avais pas vu venir la dangerosité de ce virus, MAI 2020 1 CONFINEMENT : MA VIE DE PROFESSIONNEL·LE DU SPECTACLE
la soudaineté de cet épisode histo- soirs par semaine, à dormir à l’exté- rique et des décisions gouvernemen- rieur soixante jours dans l’année pour tales des premiers jours. des repérages artistiques, à ne plus avoir parfois que le train comme seul Les semaines suivantes ont plutôt été lieu sans sollicitation propice à la celles du temps de la compréhen- concentration… Cela manque évidem- sion. La fermeture des établissements ment car dicté par la passion, mais le bousculait soudainement un système temps viendra bien assez tôt d’enfour- dans nos vies professionnelles et cher le tigre de nouveau. personnelles quelque peu frénétiques. Au-delà de l’aspect dramatique des Comment réinventez-vous votre familles touchées et des profession- organisation ? Qu’avez-vous mis en nels de santé mobilisés au courage place pour rester en lien avec l’exté- exemplaire, cette période s’annonçait rieur ? aussi comme une chance unique qui Je connaissais les trois-huit, bienve- nous était offerte. Celle de repenser nues aux six-quart ! Des heures de nos priorités, nos mobilités, notre télétravail chacun son tour dans le secteur professionnel et ce rôle de couple, une nouvelle petite course de médiation des opérateurs culturels rallye. Cela change des douze heures entre les artistes et les spectateurs par jour chacun en temps habituel puisque nous étions coupés des deux. à être entre deux réunions, deux Le temps de l’action tarde à venir car voyages ou deux spectacles. Sauf que il est lesté de plusieurs éléments : le temps non télétravaillé se passe manque d’affirmations politiques, essentiellement avec l’école à la envie de protéger à court terme notre maison ou les tâches ménagères qui outil de travail et nos compagnons ont doublé. Mais également le plaisir, artistiques qui font face à des annula- il faut bien l’avouer, de quelques jeux tions, gouvernance instable dans cet enfantins d’extérieurs et d’intérieur, de entre-deux tours municipaux, organi- lectures récentes d’écrits de profes- sation personnelle, sollicitations mul- sionnels de la culture inspirés et ins- tiples, besoin de prendre la mesure du pirantes, de lectures anciennes qu’on contexte. repoussait à plus tard, de quelques films. Plus que d’inventer, pour Au-delà de ces ressentis, il faut dire palier, je me suis adapté. Le lien avec que cette pause sur la frénésie pro- l’extérieur s’est uniquement déroulé fessionnelle habituelle a été salutaire. au téléphone et en visioconférence et J’ai assisté à cinq mille spectacles en comme dans la vraie vie, à travers vingt ans, était ces dernières années des temps assez longs aléatoirement en dehors de chez moi trois à quatre MAI 2020 2 CONFINEMENT : MA VIE DE PROFESSIONNEL·LE DU SPECTACLE
fertiles et nécessaires. rapide et nécessitant un haut niveau d’anticipation et de technicité. Sauf La crise sanitaire actuelle va t-elle qu’au premier grain de sable, c’est la vous amener à « révolutionner » votre sortie de route. Comment construire approche du monde ? À interroger la une économie qui s’apparente plus à place, le rôle de la culture ? Cela se un 4x4 - cela m’amuse de chanter traduit t-il dans votre pratique ? cet engin -, capable de souplesse, Le souvenir de cette crise du coronavi- d’adaptabilité et de rouler sur tous les rus et ce confinement de près de trois chemins ? mois – avec une fragilité respiratoire Dénoncer le suicide écologique de je prolonge la mise sous cloche un notre société moderne devient une mois de plus au moins - m’accompa- lapalissade tant le concert ambiant gneront longtemps. Ils renforcent des et salutaire d’un réveil collectif sur le intuitions préalables : fuite en avant sujet devient obligatoire. Mais comme des agendas, folie d’une économie tous, cette crise interroge plus que toujours plus performante, suicide jamais sur nos mobilités, la relocali- écologique, crise de la représentativité. sation de nos moyens de production, Fuite en avant des agendas car nos le rapport à nos territoires et au vivant. vies sont devenues gestion de plan- Enfin, la difficile confiance à l’égard de ning, chasse aux temps morts, confu- nos dirigeants. Nous avons basculé sion entre vivre à fond et remplir au dans un monde où on concerte au maximum, implication et justification, moment des annonces, on annonce envie de bien faire et peur de décevoir. puis on réfléchit aux modes d’appli- Une personne avec des sons dans cation. Nostalgie d’un temps où les oreilles ou des mots devant les on concertait avant d’inventer des yeux est devenue rare dans une salle réponses publiques, où on en faisait d’attente ou un transport en commun l’annonce officielle lorsqu’on était prêt – et je ne suis pas plus brillant de ce joignant l’écrit à la parole, le décret au point de vue. Cette crise est un terreau discours. Les sujets durant cette crise fertile de l’individualisme, du tout à la servant d’exemple de ce retournement maison, du tout écran, de la voiture sont nombreux : maintien du premier individuelle, qu’il faudra combattre tour des municipales, port du masque, ardemment. activité partielle, ouverture des écoles, En outre, nous avons construit une fonds d’urgence du ministère de la machine économique toujours plus culture ou de la Région Auvergne- performante qui s’apparente à une Rhône-Alpes… Formule 1 : toujours plus fuselée, MAI 2020 3 CONFINEMENT : MA VIE DE PROFESSIONNEL·LE DU SPECTACLE
La place de la culture reste la même Pensez-vous que cette crise va selon moi : souterraine et liante, tantôt changer les pratiques culturelles ? incomprise tantôt adorée, discrète Quelles sont vos principales craintes et essentielle, cigale et fourmi. Dans à l’issue de cette situation ? Vos une reconstruction d’après, il man- espoirs ? quera de l’argent. Pour les hôpitaux, Comment voir venir l’envie de tout les écoles et les lieux de soutien aux un chacun dans sa soif de culture personnes fragiles. Pour panser une dans l’après crise Covid ? Le livre, la économie dégradée et les décro- musique ou les séries audiovisuelles chages de certains territoires urbains ont su tirer leurs avantages de cette ou ruraux. Pour accompagner la pause mondialisée chacun à son perte de confiance sur la construction domicile. Les musées, salles de spec- individuelle par l’altérité et des blocs tacles ou de cinéma beaucoup moins. familiaux lézardés. Après les deux Beaucoup ont hâte d’y retourner, c’est premières guerres mondiales, il a indéniable mais qui, quand, comment fallu attendre deux ans avant que la et combien ? Bien malin qui pourrait culture explose de nouveaux : 1920 l’anticiper. Va-t-on se rendre compte - et non tout de suite dès 1918 - pour encore un peu plus que les spectacles le foisonnement de près de dix ans sont comme des papillons fragiles et des Années folles ; 1947 - et non dès éphémères, qu’un tableau s’apprécie 1945 - pour la création du Ministère face à son original, qu’un film se vit des Arts et Lettres, les visions de Jean en grand écran avec un acte volon- Dasté, le Avignon pour tous de Jean taire de déplacement dans une salle Vilar, socles professionnels sur les- obscure ? Être spectateur c’est être quels nous vivions encore. Gageons au monde dans sa capacité à regar- que les années 2022 et 2023 verront der les angles morts ou les quatre exploser les initiatives et innovations coins de la pièce comme le raconte culturelles, organisons-nous et soyons Wajdi Mouawad dans son journal prêts au rendez-vous. La culture aime du confinement. Cette faculté ne se à se requestionner lorsqu’elle tient décrète pas, elle s’exprime et s’exerce, salon et est sur le divan, soyons à mue par une force intérieure que l’on la hauteur de l’enjeu pour éviter les peut cultiver mais pas apprivoiser. déceptions. Les gens auront-ils massivement un engouement à aller se masser dans des stades ou des espaces clos ? Devrons-nous montrer des œuvres à la dramaturgie altérée avec une personne tous les quatre sièges ou MAI 2020 4 CONFINEMENT : MA VIE DE PROFESSIONNEL·LE DU SPECTACLE
m², masquée et les mains gelhydroal- et les publics comme le définit Joris coolisées ? Devrons-nous attendre les Mathieu. Que les lieux publics rede- dix-huit mois promis avant l’arrivée du viennent des lieux refuge et amicaux, vaccin et ne rouvrir qu’à l’été 2021 ? que l’on mette encore des barbecues Devrons-nous faire avec ? et des babyfoots dans les halls des théâtres, que les élus considèrent les Mes craintes à l’issue de cette crise acteurs culturels comme des baro- sont que la culture se marginalise mètres de leurs administrés, qu’il encore plus, non prioritaire dans son y ait moins de projets et mieux de investissement public et dans son projets, que l’on accompagne mieux rapport à chacun, réduite à la société les répertoires des compagnies, que de loisirs d’un bien-être accessoire l’on considère tout autant l’œuvre que une fois les besoins primaires assou- l’artiste et sa démarche, la qualité de vis. Je redoute également l’envie des l’œuvre tout autant que son expérience professionnels de mettre les bouchées éphémère et collective. doubles ensuite, de ne pas tenir les « plus jamais cela » que la culture se Comment peut-on faire vivre le promet souvent à elle-même. spectacle vivant en période de confi- Mes espoirs sont pluriels. nement ? Je crains de ne pas avoir trouvé une Celui du ministère de la pensée décrit réponse franche à cette question. par Demarcy-Mota : une culture qui Le spectacle vivant, en tant que lien s’allie et se fédère avec les secteurs aux autres, soutien des imaginaires, des sciences, de l’éducation, de la de l’esprit critique, des plus fragiles, santé et de l’écologie – auxquels je est évidemment plus que jamais à rajouterai volontiers ceux de l’urba- renforcer durant cette crise sanitaire. nisme, de l’entreprise et des sports Mais vivre ensemble, les uns contre – pour penser collectivement une les autres, une émotion éphémère intervention publique concertée. Avec d’un instant de spectacle, devant des comme seul critère de rentabilité une artistes de chair et d’os, de corps et de contribution citoyenne à la pacification mots, n’est-ce pas antinomique avec des relations et de comment on prend le chacun chez soi du confinement ? soin des gens et de leurs imagi- Un grand coup de chapeau à ceux qui naires. Que les gestionnaires de lieux ont inventé tout de suite et avec cou- se pensent comme les animateurs rage des feuilletons radiophoniques, du spectacle vivant sur un territoire récité des textes et des poésies au té- dans un système d’alliances locales. léphone, pousser la chansonnette aux Que l’on revienne aux temps longs balcons ou dans la cour des Ephad, d’expérimentation entre les artistes MAI 2020 5 CONFINEMENT : MA VIE DE PROFESSIONNEL·LE DU SPECTACLE
permis d’accueillir dans les foyers des obsession, une urgence, un coup de marionnettes comme nouveaux com- gueule, à porter avec les tripes de pagnons. Mais je n’ai pas eu cette l’artiste convaincu, et pour lesquels énergie, par humilité face aux situa- parfois après la première présentation tions dramatiques ou par mollesse publique arrivée quelques années plus d’esprit, occupé à imaginer la réouver- tard, la petite flamme intérieure a été ture de nos lieux, le lien à maintenir soufflée. Sans compter les difficultés avec les dizaines de compagnies dont à venir de faire cohabiter sur l’année nous annulions la rencontre avec 2021 les œuvres annulées et repor- les habitants de notre territoire. A la tées de l’année 2020, les options de manière de certains artistes avec qui 2021 d’avant la crise et la venue de j’ai maintenu un dialogue régulier – et nouvelles envies, sollicitations, écri- je ne m’en revendique en rien -, j’ai tures, gestes, le tout avec des budgets préféré profiter de l’instant présent 2021 loin d’être assurés. pour me mettre en retrait, qualifier les Il conviendra également de trouver actions passées, penser, écrire, me des arguments pour redire le carac- projeter sur l’après. tère unique d’un spectacle face à un Comment imaginez-vous le secteur public. Ni les artistes qui le portent du spectacle vivant après la crise ? ni les spectateurs qui le regardent ne Quels impacts la crise aura-t-elle sur sont les mêmes d’un jour sur l’autre. votre pratique ? Tant de métiers, de compétences et d’argent pour cette bulle poétique J’imagine un spectacle vivant en proie et collective d’à peine une heure ou aux tiraillements. Entre celui de vite deux. Je suis gourmand de littéra- terminer des œuvres en création cou- ture ou de cinéma et leurs œuvres pées dans leur élan, entre celui de vite finies peuvent être visionnées ou lues donner de l’horizon sur de prochains dans 800 salles en France en même spectacles, des saisons 2021-2022, temps, dans plusieurs pays du monde 2022-2023 pour les montages de conjointement, dans chaque foyer, et productions ou les abonnés des lieux. passeront les siècles au gré de leur Mais également une remise à plat de restauration ou de l’usure de leur nos méthodes, de nos calendriers support. à trois ans, propices aux œuvres à la maturation lente ou nécessitant Qu’en est-il du spectacle vivant ? De l’appropriation d’une nouvelle tech- ces œuvres en perpétuel mouvement. nique. Mais également incompatible De ces moments éphémères que nous avec une urgence créative de mettre sommes des milliers à vivre chaque sur un plateau un cri du cœur, une été dans ces festivals d’art de la rue MAI 2020 6 CONFINEMENT : MA VIE DE PROFESSIONNEL·LE DU SPECTACLE
ouverts à tous, des milliers dans ces Racontez-nous un témoignage, une festivals de musiques actuelles enivrés anecdote vécue dans cette période si ou de musiques savantes aux temps particulière. suspendus ? De ces saisons cultu- N’ayant pas touché un rasoir depuis relles constitutives d’un territoire qui le début du confinement mes garçons font chaque année l’un des ciments m’appellent Maître Confinus ! de l’habitabilité d’un territoire par des expériences collectives uniques ? Je crois également qu’il conviendra de requestionner notre éparpillement professionnel qui a tant de mal à por- ter ses revendications collectives. Et peut-être aussi faudra-t-il choisir son camp. A tant chanter sa singularité, la culture n’est pas toujours présente sur l’échiquier des politiques publiques, la loi Notre ayant renforcé cela. A vouloir être ailleurs, transversale et partagée, la culture n’est parfois plus nulle part. Et je redis que je préfère courir derrière un groupe éducation-social-santé- recherche que derrière un groupe industrie-loisir-économie-tourisme. En savoir plus sur le Théâtre de Bourg-en-Bresse - EPCC : https://www.theatre-bourg.fr/ MAI 2020 CONFINEMENT : MA VIE DE PROFESSIONNEL·LE DU SPECTACLE Éditeur : Auvergne-Rhône-Alpes Spectacle Vivant // Directeur de la publication : Nicolas Riedel Auvergne-Rhône-Alpes Spectacle Vivant est soutenue financièrement par le ministère de la Culture / Drac Auvergne-Rhône-Alpes et la Région Auvergne-Rhône-Alpes. 33 cours de la Liberté - 69003 Lyon 04 26 20 55 55 contact@auvergnerhonealpes-spectaclevivant.fr www.auvergnerhonealpes-spectaclevivant.fr SUIVEZ-NOUS SUR
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