Construction identitaire et résilience en réadaptation - Érudit
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Document generated on 09/10/2021 9:15 a.m. Frontières Construction identitaire et résilience en réadaptation Patrick Fougeyrollas and Claire Dumont Résilience et deuil Article abstract Volume 22, Number 1-2, Fall–Spring 2009–2010 This article presents the concept of resilience as a response to a rupture experienced during the existence of a person, in relation with the process of URI: https://id.erudit.org/iderudit/045023ar identity construction. This response is conditioned by the interaction between DOI: https://doi.org/10.7202/045023ar the person’s intrinsic characteristics, his/her social participation, and the environmental factors. Resilience is present when the person experiences a process of identity construction or reconstruction in spite of obstacles and See table of contents ruptures. He/she can even be strengthened by them. In the rehabilitation process, the identity construction may consist of a target of intervention anchored in the features that are meaningful to the person. According to the Publisher(s) Disability Creation Process model, it is possible to intervene on one or several features related to the person, the environment, the social participation, as Université du Québec à Montréal well as on their interactions, in order to promote resilience and identity construction. ISSN 1180-3479 (print) 1916-0976 (digital) Explore this journal Cite this article Fougeyrollas, P. & Dumont, C. (2009). Construction identitaire et résilience en réadaptation. Frontières, 22(1-2), 22–26. https://doi.org/10.7202/045023ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2010 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
A r t i c l e s Résumé Cet article présente le concept de rési- lience comme réaction à une rupture Construction identitaire vécue au cours de l’existence ainsi qu’en relation avec le processus de construction identitaire. Cette réaction est condition- née par l’interaction entre les caracté- et résilience ristiques intrinsèques de la personne, ses occupations ainsi que des facteurs extrinsèques ou environnementaux. La résilience est présente quand la personne en réadaptation vit un processus de construction identi- taire favorable en dépit des obstacles et des ruptures. Elle peut même être renfor- cée par eux. En réadaptation, la construc- tion identitaire peut constituer une cible d’intervention ancrée dans les composan- tes porteuses de sens pour la personne. En fonction du modèle du Processus de production du handicap, il est possible d’agir sur une ou plusieurs composantes, soit la personne, l’environnement et la participation sociale ainsi que sur leurs interactions, pour favoriser la résilience et la construction identitaire. Mots clés : résilience – identité – participation – occupations – réadaptation. Abstract This article presents the concept of resil- ience as a response to a rupture experi- un cadre conceptuel susceptible d’ordon- Patrick Fougeyrollas, Ph. D., ner ses multiples facettes et la dynamique enced during the existence of a person, directeur, Direction de l’enseignement in relation with the process of identity et du soutien scientifique, Institut de réadaptation temporelle de son processus de production. construction. This response is conditioned en déficience physique de Québec. Cet article tente donc de mettre en by the interaction between the person’s scène la construction des composantes intrinsic characteristics, his/her social Claire Dumont, erg., Ph. D., de l’identité de chaque être humain, et ce, participation, and the environmental agente de recherche, Direction de l’enseignement tout au long de sa vie. Et de montrer com- factors. Resilience is present when the et du soutien scientifique, Institut de réadaptation ment des ruptures traumatiques (maladie, person experiences a process of identity en déficience physique de Québec. construction or reconstruction in spite of accident, perte d’emploi, échec, violence, obstacles and ruptures. He/she can even Comment pouvait-on vivre avant guerre, cataclysme, déménagement, mort be strengthened by them. In the rehabili- la mode de la résilience ? Comment d’un être cher, etc.) (Denham, 2008 ; tation process, the identity construction p ouvait-on dire : « ça va mieux » ? Le Rousseau et al., 2003 ; Gibson, 2002), may consist of a target of intervention concept de résilience est vaste. Il est chocs du présent dans l’instant, ouvrent anchored in the features that are mean- proposé de différentes manières, parfois des parenthèses dans ce qui habituelle- ingful to the person. According to the vagues et assez mystérieuses, pour faire ment nous apparaît comme un flux quasi Disability Creation Process model, it is jaser de nombreuses sentinelles du déve- stable où l’on surfe sur notre quotidien, possible to intervene on one or several loppement des connaissances scientifiques où nos actions sont en cohérence, où tout features related to the person, the envi- et populaires. Tant jaser, que ces multiples est habituel, quoi. ronment, the social participation, as well as on their interactions, in order to pro- définitions quelque peu contradictoires Quelque chose qui vous fait perdre mote resilience and identity construction. pourraient nous perdre, et surtout nous conscience de vous-même, un événement faire perdre le fil de ce que c’est. inattendu, une rupture, un drame, un Keywords : resilience – identity – Un concept aussi riche de potentiel ne éclatement de vos assises, de vos ancra- involvement – occupations – rehabilitation. peut être situé, discuté et compris qu’à tra- ges, de vos repères. Impossible de respi- vers un modèle explicatif organisationnel, rer, tout simplement sidéré, à l’image de FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2 22 AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010
LA RÉSILIENCE, C’EST CE QUI SE MET EN BRANLE QUAND ON N’EST de la discrimination est généralement associée à la résilience. L’autonomisation PAS MORT, QUE CE SOIT PHYSIOLOGIQUEMENT, PSYCHOLOGIQUEMENT (empowerment) est une autre straté- gie proposée qui va dans le même sens OU SYMBOLIQUEMENT. QUELQUE CHOSE QUI FAIT QUE L’ON VIT (Dumont, 2007 ; Querimit et al., 2003). L’orientation sexuelle est également ET QUE L’ON DÉSIRE VIVRE. un élément qui a été considéré dans la construction identitaire et qui peut conduire à une marginalisation. Ainsi, la petite funambule en perte d’équilibre démontrer de la résilience par sa manière les jeunes dont l’orientation sexuelle n’est sur son fil dans la tempête. Va-t-elle tom- de réagir aux événements contraignants, pas définie vivent des difficultés d’iden- ber ? Va-t-elle mourir ? Mais le bout du en étant même renforcée par eux. Un tification qui peuvent causer plusieurs chausson pousse sur la corde, l’épouse, environnement peut être qualifié de rési- problèmes de comportement (Rose et al., cumulateur d’énergie, un autre pas, encore lient s’il demeure stable malgré les assauts 2006 ; Harrison, 2003). Les gais et les les- un autre, seul maintenant existe, le pilote qu’il subit et une occupation peut être biennes sont susceptibles de vivre des pro- automatique. C’est arrivé comme une considérée comme résiliente si elle peut blèmes de santé mentale qui peuvent être grande gifle, mais elle n’est pas tombée, être ajustée à différentes situations et associés à un problème d’identification et de l’air est passé, corps rouleau compressé, personnes tout en conservant sa finalité. à un manque de résilience (Riggle et al., mental en compote, plus de son, aveugle. Afin d’illustrer des applications du 2008 ; Scourfield et al., 2008). Elle avance dans le vide. concept de résilience, plusieurs études Plusieurs autres types de « différences » Et alors, dis-moi, petite funambule, ce récentes qui ont porté sur la résilience et ont été étudiés sous l’angle de l’identité que tu as pensé, quand tu as vu au sortir l’identité ont été répertoriées. Ces études et de la résilience : les pauvres (Burney du brouillard, cette main qui t’a hissée se sont intéressées à diverses populations et al., 2008), les aînés (Schlossberg, 2009), sur la terre ferme : ce qui est important, que l’on pourrait qualifier de « diffé- les jeunes décrocheurs ou marginaux répondit-elle, c’est qu’on n’est pas mort… rentes », « minoritaires », ou « vivant des (Bottrell, 2007 ; Brooke, 2006), les familles La résilience, c’est ce qui se met en contraintes » en fonction de différentes dont un membre a une déficience intel- branle quand on n’est pas mort, que ce soit caractéristiques (race, origine ethnique, lectuelle (Grant et al., 2007), les enfants physiologiquement, psychologiquement ou religion, orientation sexuelle, incapacités, victimes de violence (Graham-Bermann symboliquement. Quelque chose qui fait âge, niveau socioéconomique, milieu de et al., 2004), les personnes porteuses de que l’on vit et que l’on désire vivre. Peut- vie et autres). Souvent dans ces diverses VIH-sida (Bletzer, 2007) et autres. Dans être simplement parce qu’il n’y a rien de études, les personnes ne pouvaient s’iden- plusieurs situations, les auteurs associent pire que la mort et que la vie, sous toutes tifier à la majorité en place, qu’elle fût la résilience à un processus d’adaptation et ses formes, a toujours constitué un combat. de race blanche, de religion chrétienne, de reconstruction identitaire tel que vécu Mais qui est ce « on » ? C’est ce que chacun de milieu socioéconomiquement aisé ou dans d’autres contextes (Dumont et al., d’entre nous appelle « je ». La résilience autres. Pour les auteurs de ces études, la 2006 ; Deeny et al., 2005). repose dans ce « qui suis-je » ? résilience et le développement de l’identité Pour toutes ces populations, la rési- font partie d’un même processus (Barrow lience et la construction ou la recons- LA RÉSILIENCE ET L’IDENTITÉ : et al., 2007 ; Ferrer et al., 2007 ; Tummala- truction identitaire étaient des éléments CONCEPTS ET ENJEUX POUR Narra, 2007 ; Ungar et al., 2007). pouvant améliorer leurs conditions de vie, DIFFÉRENTES POPULATIONS Parmi les facteurs d’identification et leur qualité de vie, leur bien-être physique La construction d’une identité et la de résilience analysés, la religion consti- ou psychologique. Elles rencontraient des résilience font partie du développement tue un élément important dans plusieurs obstacles, vivaient de la discrimination, humain, que plusieurs auteurs situent populations (Yick, 2008) de même que des oppressions ou des contraintes qui principalement à l’adolescence, mais il l’origine ethnique. Ainsi, les personnes les ont conduites à développer une nou- est généralement admis que le développe- de religion musulmane peuvent vivre des velle identité qui leur est propre, sans ment humain se poursuit pendant toute difficultés d’identification, notamment avoir désormais besoin de s’identifier à la vie et que la résilience constitue une en raison des conflits armés au Moyen- une majorité, dans une perspective de ressource pour faire face à différentes Orient et du terrorisme causé par certains croissance personnelle et d’affirmation situations problématiques (Dumont et al., sous-groupes (Nguyen-Gillham et al., de soi. Être confronté et surmonter des 2006 ; Gibbons et al., 2006). Les caracté- 2008 ; Coleman et al., 2007). Différentes obstacles pour en sortir plus fort consti- ristiques intrinsèques de l’individu, l’en- populations d’origines ethniques variées tue la résilience. En de nombreux points, vironnement (physique, social, culturel, et vivant aux États-Unis ont été confron- ces personnes vivaient un processus qui incluant certaines personnes significa- tées à des difficultés d’identification, s’apparente à celui vécu par les personnes tives ainsi que les événements) et l’occu- notamment à cause de la discrimina- ayant des déficiences physiques persis- pation (pris dans un sens large, comme tion : les personnes de race noire (Hall tantes et significatives et qui vivent des étant l’ensemble des activités et habitudes et al., 2007 ; Shin et al., 2007), les his- situations de handicap. En effet, les per- de vie) sont les éléments majeurs de la panophones (Ong et al., 2006 ; Holleran sonnes qui ont des incapacités vivent un construction de l’identité (Dumont et al., et al., 2003), les immigrants (Lee, 2005) processus de construction ou de recons- 2006 ; Deeny et al., 2005). La résilience, et autres. Des situations équivalentes sont truction identitaire en passant à travers quant à elle, est le résultat de l’interac- également présentes au Canada (Sundar, un processus d’adaptation qui a été décrit tion entre ces éléments de manière à les 2008) et dans d’autres pays (Nikora et al., par de nombreux auteurs et a fait l’objet renforcer mutuellement et à développer 2007). Face à la discrimination, le renfor- de plusieurs études (Dumont et al., 2007 ; une identité cohérente et forte, pouvant cement identitaire des minorités contri- Dumont et al., 2006 ; Fougeyrollas, 2004). faire face à l’adversité (Cummings et al., bue à leur bien-être et à leur prospérité. Les prochains paragraphes approfondis- 2005 ; Dumont, 2007). Une personne peut La réussite des immigrants qui subissent sent cette situation particulière. AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010 23 FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2
L’APPORT DU MODÈLE la coïncidence, de l’interaction entre cet ethnique, la scolarité et les caractéristiques DU PROCESSUS DE PRODUCTION DU être particulier et ce qu’il fait ou ce qui lui socioéconomiques. Mais ils font aussi réfé- HANDICAP À LA COMPRÉHENSION arrive dans un contexte particulier. rence au sens, à la signification que nous DE LA RÉSILIENCE L’identité, d’un point de vue synchro donnons à notre expérience de vie, à notre Le cadre conceptuel du Processus nique, c’est comme les multiples pelures imaginaire, rêves et croyances, à nos réus- de production du handicap (PPH) d’un oignon qui croît de l’intérieur, à partir sites et difficultés dans ce que nous avons (Fougeyrollas et al., 1998a ; Fougeyrollas de l’empreinte génétique branchée sur tous la possibilité de faire. Ce « possible » est et al., 1998b ; Fougeyrollas, 1996) est fondé ses ancêtres, par définition, des gagnants. donc étroitement lié aux possibilités de sur un modèle systémique de développe- L’identité est sculptée de tous les gestes, participation sociale et de succès de déve- ment humain. Celui-ci met l’accent sur la affects, nourritures qui ont permis à notre loppement de notre potentiel humain au relation interactive entre les facteurs per- conscience d’émerger, jusqu’au langage, sein de notre contexte culturel. sonnels, incluant les facteurs identitaires, jusqu’à ce que le miroir nous donne un Donc, avec la réadaptation, il faut faire les facteurs environnementaux et ce que nom et la possibilité de survivre, de nous quelques distinctions pour une utilisation les personnes font de la naissance jusqu’à construire jusqu’à ce que « je » puisse du concept de résilience, en considérant la fin de leur vie. se dire et se reconnaître (Fougeyrollas, notamment l’impact des facteurs environ- Le développement humain est ainsi 2004). C’est dans ce très long façonnement nementaux qui conditionnent le possible. défini comme une interaction, une coa- que certains éléments, certains ancrages, Comme tout être humain, une personne daptation réciproque, dynamique, dans certaines images, certaines sensations, naissant avec des différences de potentiel le temps, tout d’abord du corps avec ses font que nous avons le désir de vivre. C’est de développement organique ou fonction- systèmes organiques et ses aptitudes fonc- ce qui donne sens à notre prochain pas sur nel, ou les acquérant en bas âge, ne vit pas tionnelles influencées par une matrice le fil de l’existence. Chacun d’entre nous de rupture mais construit son identité et relationnelle culturelle, c’est-à-dire un a vécu cette construction identitaire mais développe sa résilience en fonction de la ensemble de variables environnemen- comme notre empreinte génétique et notre spécificité de l’interaction dans le temps tales qui donnent un sens, une identité modelage culturel, chacune est unique et des trois grandes dimensions : la dimen- sociale, par la médiation de facteurs de indécryptable par autrui. Voilà ce dont sion personnelle, son contexte de vie et la stimulation, de protection, de facilitateurs tente de parler la résilience. qualité de participation sociale dont elle et de facteurs de risque, d’inhibition, de va pouvoir faire l’expérience. contraintes ou d’obstacles à la réalisation CONTRIBUTION DE LA PRISE L’intervention d’adaptation doit ici, d’activités sociales. Ce que nous nommons EN COMPTE DE LA CONSTRUCTION dans une approche individualisée, tenir les habitudes de vie composées d’activités IDENTITAIRE DANS LE PROCESSUS compte de ces trois dimensions construi- courantes et de rôles sociaux. DE RÉADAPTATION sant la résilience ainsi que des interactions La contribution du PPH est de définir La résilience est le résultat de la dyna- entre ces dimensions. On peut ici interve- la participation sociale comme un résul- mique interactive d’une construction nir autant sur le développement du poten- tat situationnel de l’interaction personne/ identitaire cohérente. Elle permet de com- tiel fonctionnel que sur l’environnement et environnement et non comme une capa- prendre que le développement du potentiel les situations de réalisation d’habitudes de cité de la personne. La qualité de parti- biologique et des capacités fonctionnelles vie qui renforceront les ancrages et succès cipation sociale ne peut être déduite des ne suffit pas lorsque l’on désire définir des identitaires de la personne. caractéristiques corporelles et fonction- objectifs ou stratégies de réadaptation sans Dans le cas d’une rupture traumatique nelles spécifiques de chacun et surtout pas y introduire la construction identitaire de entraînant une atteinte organique ou sym- uniquement de son profil de déficiences chaque personne. Autant nous avons mis bolique et des incapacités physiques ou et d’incapacités. Elle doit impérativement l’accent depuis les années 1980 et 1990, mentales, les caractéristiques identitaires prendre en compte les facteurs identitaires. sur les plans théorique et clinique, sur la acquises, dont la qualité de résilience de la Elle correspond à un ensemble de possi- perspective écologique, sur la nécessité de personne, comme ses valeurs, croyances, prise en compte de la qualité des facteurs ses autoreprésentations historiques de suc- environnementaux dans la définition du cès ou d’échecs deviennent des éléments à LA RÉSILIENCE EST LE RÉSULTAT projet de vie, des habitudes de vie valo- prendre soigneusement en compte au même risées et ayant un sens pour la personne, titre que les dimensions organiques, psy- DE LA DYNAMIQUE INTERACTIVE autant il est important de tenir compte chologiques et fonctionnelles, la qualité de de ce qui constitue son identité propre l’environnement physique et social et les D’UNE CONSTRUCTION (Fougeyrollas et al., 2007 ; Fougeyrollas habitudes de vie valorisées par la personne et al., 2002 ; Fougeyrollas et al., 2001 ; et son milieu. C’est la prise en compte de IDENTITAIRE COHÉRENTE. Fougeyrollas et al., 1998a ; Fougeyrollas, tous ces éléments du système qui permet de 1996). Le phénomène du développement créer ou de proposer des situations de parti- bilités plus ou moins étendues de réalisa- de l’intérêt pour la prise en compte de la cipation sociale favorisant la résilience par tion d’activités composant ou construisant résilience est donc étroitement lié à la com- la reconstruction identitaire, du sens donné l’expérience de vie sociale singulière de préhension de la nécessité de mieux cerner au projet de vie, par l’estime de soi, l’expé- chacun d’entre nous. les composantes de l’identité et de ce qui rience du succès, les petits progrès. On peut Le modèle de développement humain fait sens pour chacun dans l’aventure de proposer des soutiens et facilitateurs ou permet donc de comprendre et d’expliquer reconstruction d’un nouveau « je » à partir l’apprentissage de stratégies gagnantes pour le processus de production, tout autant des ancrages prémorbides qui font que le contourner ou surmonter les obstacles envi- que de prévention du handicap, comme un survivant vit. ronnementaux et les incapacités fonction- flux dynamique de l’instant présent. Une Les facteurs identitaires sont, bien sûr, nelles mises en jeu dans chaque habitude avancée continue de construction issue de le genre, l’âge, l’appartenance à un groupe de vie spécifique. FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2 24 AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010
Traditionnellement, l’intervention en sociale qui est commune aux personnes DUMONT, C., P. FOUGEYROLLAS, M. réadaptation vise à réduire les déficiences avec ou sans incapacités et liée au proces- GERVAIS et R. BERTRAND (2007). « Le et les incapacités et à favoriser l’autonomie sus de développement humain, d’adapta- processus d’adaptation des adultes présen- tant des séquelles de traumatisme cranio- dans les habitudes de vie et la participa- tion humaine indissociable de sa matrice cérébral », Revue canadienne d’ergothérapie, tion sociale. Bien sûr, ces interventions culturelle. Et, d’autre part, la prise en vol. 74, no 1, p. 48-60. ont toujours leur place. Toutefois, selon compte de la résilience comme variable DUMONT, C. et F. RAINVILLE (2006). la réflexion proposée ici, l’intervention du processus de reconstruction identitaire « Self, identity, and occupation », dans A.M. pourrait consister à rechercher ou créer et de réadaptation dans la définition d’un COLUMBUS (dir.), Advances in Psychology des environnements favorables, ceux qui projet de vie qui a du sens. Il faut alors cer- Research, vol. 45, New York, Nova Science auront le plus de potentiel pour faire vivre ner ce qui constitue un moteur pour aller Publishers, p. 181-227. des succès à la personne et lui permettre de l’avant dans la vie, pour que l’oignon FERRER, L. et L.A.J. GOMEZ (2007). de se développer. Un environnement favo- puisse continuer à croître en se nourris- « Counseling bisexual Latinos : A minority rable n’est pas nécessairement exempt sant de certaines certitudes, de certaines within a minority », dans B.A. FIRESTEIN, d’obstacles. Certains obstacles peuvent couches de sens associées au succès, à Becoming Visible : Counseling Bisexuals Across the Lifespan, New York, Columbia en effet contribuer au développement de l’efficacité personnelle, à la gratification, University Press, ch. 13, p. 246-267. la résilience de la personne. Une partie à la reconnaissance. Cela permet alors la de l’art de la réadaptation pourrait ainsi définition de modes d’intervention sur les FOUGEYROLLAS, P. (1996). « Les détermi- nants environnementaux de la participation consister en la réussite du dosage subtil de capacités et les facteurs environnementaux sociale des personnes ayant des incapacités : soutien et de défi approprié à la personne dynamisés par ses ancrages de reconstruc- le défi sociopolitique de la révision de la et à la situation pour qu’elle poursuive son tion d’une nouvelle identité et mis en jeu CIDIH », Revue canadienne de réadapta- développement. Par exemple, l’intégration dans la réalisation d’objectifs de vie valo- tion, vol. 10, no 2, p. 147-160. d’une personne ayant des incapacités dans risés ou constituant un enjeu signifiant FOUGEYROLLAS, P. (2004). « Identité, un milieu scolaire ou un milieu de travail pour la personne. différences corporelles et fonctionnelles, et peut sembler faire surgir certains obstacles processus de production du handicap sur à première vue. Nombreuses sont les situa- le plan de la participation sociale », dans Bibliographie M. MERCIER (dir.), L’identité handicapée, tions toutefois qui ont démontré que cette BLETZER, K.V. (2007). « Identity and resi- Namur, Belgique, Facultés universitaires intégration a été bénéfique non seulement lience among person with HIV : A rural Notre-Dame de la Paix, coll. « Psychologie », pour la personne ayant des incapacités, African American experience », Qualitative no 5, p. 225-228. mais pour les personnes qui fréquentaient Health Research, vol. 17, no° 2, p. 162-175. FOUGEYROLLAS, P. et L. BEAUREGARD ce milieu ainsi que le milieu lui-même. (2001). « Disability : An interactive person- BOTTRELL, D. (2007). « Resistance, resi- On peut mentionner entre autres la pro- lience and social identities : Reframing environment social creation », dans G.L. ductivité globale augmentée, l’améliora- “problem youth” and the problem of schoo- ALBRECHT et K. D. SEELMAN (dir.), tion de la coopération et de l’entraide qui ling », Journal of Youth Studies, vol. 10, no 5, Handbook of Disability Studies, Michael contribue à un meilleur succès, un climat p. 597-616. Burry – Sage, p. 171-194. de travail plus serein, des attitudes plus BROOKE, S.L. (2006). « Building resiliency FOUGEYROLLAS, P., H. BERGERON, R. respectueuses et plus ouvertes. Du point with at-risk youth », PsycCritiques, vol. 51, CLOUTIER, J. CÔTÉ et G. ST-MICHEL de vue des interactions, il serait ici ques- no 42. (1998A). Classification québécoise : Pro- tion de synergie : tous bénéficient de la cessus de production du handicap, Québec, BURNEY, V.H. et J.R. BEILKE (2008). CQCIDIH. présence de l’autre. « The constraints of poverty on high achie- La résilience est le résultat d’une vement », Journal of the Education of the FOUGEYROLLAS, P., L. NOREAU, H. Gifted, vol. 31, no 3, p. 295-321. BERGERON, R. CLOUTIER, S.-A. DION interaction dans un contexte écosysté- et G. ST‑MICHEL (1998B). « Social conse- mique (Dumont, 2007 ; Waller, 2001). COLEMAN, P.T. et J.K. LOWE (2007). quences of long term impairments and Contrairement à la chaîne de causalité « Conflict, identity, and resilience : Nego- disabilities : Conceptual approach and tiating collective identities within the Israeli qui tend à prédire le résultat d’une action, assessment of handicap », International and Palestinian diasporas », Conflict Reso- le résultat d’une interaction reste impré- Journal of Rehabilitation Research, vol. 21, lution Quarterly, vol. 24, no 4, p. 377-412. visible. Quand on agit sur l’individu, l’en- p. 127-141. CUMMINGS, G.S. et al. (2005). « An explo- vironnement ou les habitudes de vie, le FOUGEYROLLAS, P. et L. NOREAU ratory framework for the empirical measu- résultat de l’interaction va dépendre de (2007). « L’environnement physique et rement of resilience », Ecosystems, vol. 8, la manière dont les autres composantes social : une composante conceptuelle essen- no 8, p. 975-987. tielle à la compréhension du processus de vont réagir. Diverses combinaisons sont DEENY, P. et B. MCFETRIDGE (2005). production du handicap. L’exemple des per- possibles à partir de ces trois composantes. « The impact of disaster on culture, self, and sonnes ayant une lésion médullaire », dans J. Par exemple, avec les mêmes caractéris- identity : Increased awareness by health care BORIOLI et R. LAUB (dir.), Handicap : de tiques personnelles, une identité cohérente professionals is needed », Nursing Clinics la différence à la singularité. Enjeux au quo- peut se construire dans un environnement of North America, vol. 40, no 3, p. 431-440. tidien, Genève, Éd. Médecine et Hygiène, donné, mais pas dans un autre, avec une DENHAM, A.R. (2008). « Rethinking his- p. 47-69. occupation donnée et pas une autre et torical trauma : Narratives of resilience », FOUGEYROLLAS, P., L. NOREAU et K. ainsi de suite. 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