Contagion et crise de la dette européenne
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Contagion et crise de la dette européenne VÍTOR CONSTÂNCIO Vice-président Banque centrale européenne La crise financière et économique qui a éclaté en août 2007 constitue une bonne illustration de la concrétisation et de la propagation du risque systémique. La crise bancaire a culminé en septembre 2008, avec la faillite de Lehman Brothers et le soutien apporté par la suite au système financier. Au printemps 2010, elle s’est transformée en crise de la dette souveraine. Depuis l’été 2011, l’instabilité générale n’a cessé d’atteindre de nouveaux sommets. Cet article traite d’un phénomène qui se trouve au coeur de la situation actuelle dans la zone euro : le phénomène de contagion. La contagion est l’un des mécanismes par lesquels l’instabilité financière se propage au point qu’une crise atteint des proportions systémiques. L’article montre que les phénomènes de contagion contribuent fortement à exacerber les problèmes de dette souveraine dans la zone euro. En conséquence, la gestion de la crise par toutes les autorités compétentes doit se concentrer sur les politiques susceptibles de contenir et d’atténuer la contagion. Plusieurs interventions de la Banque centrale européenne ont été motivées par la nécessité d’éviter cette contagion. NB : L’auteur souhaite remercier Philipp Hartmann, Frank Betz, Paola Donati, Carsten Detken, Benjamin Sahel, Gianni Amisano, Oreste Tristani, Tobias Linzert, Roberto de Santis, Bernd Schwaab et Isabel Vansteenkiste pour leur importante contribution à l’élaboration de cet article, ainsi que Carlos Garcia de Andoain Hidalgo et Vesala Ivanova pour leur aide dans les recherches. Dette publique, politique monétaire et stabilité financière Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012 121
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio L a crise financière et économique qui a éclaté en août 2007 constitue une bonne illustration de la concrétisation et de la propagation du risque systémique. La crise bancaire a culminé en septembre 2008, avec la faillite de Lehman Brothers le cas de la crise de la dette publique au sein de la zone euro. Puis, j’analyserai quelques épisodes antérieurs au cours desquels la contagion souveraine a aussi joué un rôle et j’étudierai les leçons que nous pouvons en tirer. Enfin, avant de conclure, et le soutien apporté par la suite au système financier. j’évoquerai les réponses apportées par la BCE, et plus Au printemps 2010, elle s’est transformée en crise généralement par l’Europe, à la contagion. de la dette souveraine. Depuis l’été 2011, l’instabilité générale n’a cessé d’atteindre de nouveaux sommets. Je souhaiterais traiter ici d’un phénomène qui se 1| LE PHÉNOMÈNE DE CONTAGION : trouve au cœur de la situation actuelle dans la DE LA RECHERCHE zone euro : le phénomène de contagion. À LA POLITIQUE PUBLIQUE La contagion est l’un des mécanismes par lesquels l’instabilité financière se propage au point De manière générale, on parle de contagion lorsque qu’une crise atteint des proportions systémiques. l’instabilité sur un marché ou une institution Les deux autres phénomènes qui constituent des se propage à un ou plusieurs autres marchés ou sources de risque systémique sont l’apparition de institutions. Cette définition s’appuie sur deux idées. déséquilibres financiers et la survenue de graves Premièrement, l’instabilité ne se propagerait chocs macroéconomiques 1. S’il est indéniable que des normalement pas s’il n’y avait pas de choc initial. comportements budgétaires imprudents et l’absence Deuxièmement, la transmission de l’instabilité initiale d’efforts réalisés pour maintenir la compétitivité dépasse ce que l’on pourrait attendre des interactions des pays sont largement à l’origine de la crise de la normales entre les marchés ou les intermédiaires, par dette souveraine européenne, je vais montrer que les exemple en termes de rapidité, de vigueur ou de portée. phénomènes de contagion contribuent fortement à exacerber les problèmes. En conséquence, la gestion L’élaboration de la politique publique doit de la crise par toutes les autorités compétentes impérativement tenir compte du phénomène de doit se concentrer sur des politiques susceptibles contagion, notamment parce que celui-ci constitue de contenir et d’atténuer la contagion. Plusieurs généralement une externalité, au sens économique interventions de la Banque centrale européenne du terme. Les actions de l’agent économique A (BCE) ont été motivées par la nécessité d’éviter la ont un impact négatif sur la situation de l’agent contagion, car cette dernière entrave notre capacité économique B. Ces effets sont externes à A, mais à maintenir la stabilité des prix dans la zone euro. B ne peut pas contraindre A à en supporter le coût. Si j’ai choisi de consacrer cet article à la contagion, Par conséquent, le mécanisme de prix ne résoudra cela ne signifie pas pour autant que les autres sources pas le problème. Nous sommes ici en présence d’un de risque systémique sont moins présentes dans le dysfonctionnement du marché auquel la politique contexte actuel d’instabilité. Bien au contraire, les publique doit tenter de remédier. Sur les marchés importants déséquilibres financiers qui sont apparus financiers en particulier, où de nombreux agents et ont contaminé les soldes budgétaires, tout comme interagissent fréquemment, il est difficile pour les l’absence de réformes structurelles permettant agents économiques de négocier ensemble une d’assurer la compétitivité des pays — comme je l’ai solution contractuelle au problème d’externalité, déjà mentionné — jouent un rôle majeur. comme le prix Nobel Ronald Coase l’a avancé dans d’autres contextes 2. En plein cœur d’une crise Cet article s’intéresse tout d’abord au concept de financière, ce sera sans aucun doute impossible. contagion. J’examinerai sa signification du point de vue d’un décideur dans le contexte de la littérature La contagion telle que je viens de la définir se théorique sur le sujet. J’approfondirai ensuite l’étude distingue, en principe, des autres formes d’instabilité des phénomènes et des risques de contagion dans systémique, notamment des déséquilibres généralisés 1 ECB (2009) 2 Cf. Coase (1960) Dette publique, politique monétaire et stabilité financière 122 Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio et des chocs agrégés qui causent des défaillances ou et en l’absence d’éléments attestant que ces risques des krachs simultanés. Mais si les déséquilibres ou sont principalement induits par les fondamentaux les chocs agrégés fragilisent déjà le système, alors, les économiques ou par des chocs courants. Dans le même différents canaux de transmission peuvent interagir temps, les autorités devront naturellement remédier à et la contagion risque de devenir beaucoup plus la faiblesse des fondamentaux. Mais une telle correction puissante qu’en l’absence de ces vulnérabilités prendra le plus souvent du temps. supplémentaires 3. C’est vraisemblablement le cas dans le contexte actuel, où de nombreux intermédiaires financiers n’ont pas encore surmonté leurs difficultés, où les déficits budgétaires et les 2| PREUVES DE CONTAGION niveaux d’endettement sont relativement élevés, et DANS LA CRISE ACTUELLE où certains pays ont perdu en compétitivité. DE LA DETTE PUBLIQUE On pourrait à juste titre affirmer que l’un des problèmes inhérents à la littérature existante est la difficulté à Intéressons-nous à présent aux données relatives déceler empiriquement la présence de formes de à la crise actuelle de la dette. Je commencerai par contagion pures. Ce n’est pas surprenant, car beaucoup examiner les preuves de contagion entre les marchés de facteurs peuvent être à l’origine de ces problèmes de la dette publique des pays de la zone euro, puis et il est très difficile de les prendre en compte tous. je me pencherai sur la relation entre dette souveraine et instabilité bancaire. Voici quelques-uns des critères utilisés dans la littérature pour identifier un phénomène 2|1 Contagion entre dettes souveraines de contagion 4 : (a) la propagation dépasse ce qu’on pourrait expliquer par les fondamentaux Lorsque la crise de la dette souveraine s’est à nouveau économiques 5, (b) la propagation se différencie des amplifiée, Moody’s a rétrogradé le 5 juillet 2011 la note ajustements réguliers constatés en temps normal 6, du Portugal, en invoquant, entre autres, la situation (c) les événements qui constituent la contagion en Grèce. Moody’s considérait que la contagion d’un sont des extrêmes négatifs 7 et (d) la propagation est défaut de la Grèce augmentait la probabilité que le séquentielle (relation de cause à effet, par exemple). Portugal ait besoin d’un second plan d’assistance Il n’y a toutefois pas consensus sur le ou les critères, financière 8. parmi ces quatre, qui sont nécessaires ou suffisants pour caractériser un phénomène de contagion. En outre, invoquant le précédent de la Grèce, Moody’s a indiqué qu’un second plan d’assistance financière C’est pourquoi les services de la BCE ont conçu et au Portugal nécessiterait également la participation utilisent un ensemble d’outils analytiques sophistiqués du secteur privé 9. pour évaluer les risques de contagion. Cependant, ces outils se heurtent souvent au même problème Ce n’est malheureusement pas tout. La rétrogradation d’identification que la littérature antérieure. Néanmoins, du Portugal et, surtout, la persistance des craintes les autorités doivent agir afin d’endiguer les risques de d’un défaut de la Grèce, ont apparemment déclenché contagion pure si les données ou les outils analytiques une vente massive d’emprunts espagnols et italiens. signalent des risques de propagation considérables À l’époque, aucun mauvais chiffre n’avait été publié 3 Cf., par exemple, Chen (1999), qui élabore un modèle dans lequel la présence de chocs agrégés augmente la probabilité d’une contagion bancaire. 4 Cf. Hartmann, Straetmans et de Vries (2006). Pour une étude plus vaste de la littérature traitant de la contagion et une analyse des différents canaux par lesquels la contagion financière apparaît, cf. De Bandt et Hartmann (2000), Pritsker (2001), BCE (2005) ou BCE (2009) 5 Cf. Eichengreen, Rose et Wyplosz (1996) ou Bekaert, Harvey et Ng (2005) 6 Forbes et Rigobon (2002) repèrent ce phénomène à l’accroissement des corrélations en période de crise. 7 Cf., par exemple, Longin et Solnik (2001) ou Hartmann, Straetmans et de Vries (2004) 8 Selon Moody’s, « Il existe un risque croissant que le Portugal ait besoin d’un second plan d’assistance financière avant de pouvoir se financer lui-même sur les marchés internationaux, en particulier s’il devait subir la contagion d’un défaut de paiement de la Grèce, ou simplement pâtir de la probabilité croissante d’un tel défaut. Cette contagion modifierait significativement les risques pour les investisseurs qui détiennent actuellement des emprunts portugais, étant donné que la participation des créanciers privés est de plus en plus considérée comme une condition préalable à tout nouveau plan d’aide. » 9 Selon Moody’s : « Les dirigeants européens se préoccupent de plus en plus du transfert de la dette grecque, détenue par des investisseurs privés, au secteur public. Si une restructuration de cette dette devait devenir nécessaire ultérieurement, le passage d’un financement privé à un financement public imposerait de faire supporter aux créanciers publics une part croissante du coût. Pour contrebalancer ce risque, certains proposent que la participation du secteur privé devienne une condition préalable aux prochains cycles de prêts publics consentis à la Grèce ». Dette publique, politique monétaire et stabilité financière Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012 123
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio sur l’économie ou la situation budgétaire en Espagne différentes caractéristiques des données qui ne ou en Italie. Le 18 juillet 2011, le rendement des participent pas à la contagion. Bien entendu, on emprunts d’État italiens avait progressé de près de cherche en particulier à déterminer si les pays 100 points de base et celui des emprunts espagnols qui ont d’importantes difficultés à financer leur de plus de 80 points 10. déficit budgétaire, par exemple l’un des trois pays bénéficiant d’un programme de stabilisation financé Quel phénomène est à l’origine de ces mouvements par l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire de marché ? Je pense que l’on peut affirmer que la international (FMI) — à savoir la Grèce, l’Irlande et contagion a joué un rôle majeur. Les premières hausses le Portugal — contaminent des pays dont les déficits des rendements obligataires sont imputables en publics ne sont pas aussi substantiels. Étant donné grande partie aux inquiétudes suscitées par l’ampleur que chaque résultat et son interprétation dépendent et l’étendue possible de la « participation du secteur du modèle utilisé, je considérerai trois approches privé » en Grèce, qui a été posée comme condition à un différentes qui ont trouvé leur place parmi les outils deuxième plan d’aide lors du sommet de la zone euro dont dispose la BCE dans ce domaine. du 21 juillet 11. Certains investisseurs estiment qu’il est rationnel de commencer à vendre à découvert de La première approche repose sur un modèle la dette souveraine. D’autres considèrent qu’il suffit espace-état qui permet des décompositions de de réduire l’exposition aux pays membres de l’Union fréquences multivariées en temps réel 13. Dans un monétaire, car les inquiétudes du marché quant à la premier temps, les mouvements des rendements viabilité à long terme de la dette publique peuvent journaliers des emprunts publics de certains pays s’auto-concrétiser si l’on ne les apaise pas. D’autres sont attribués à des chocs (ou perturbations) de encore peuvent aussi préférer se retirer de certains haute fréquence, dont les effets s’estompent en segments de marché en raison de la forte volatilité. quelques jours, à des chocs de moyenne fréquence, Le repli de la demande entraîne une baisse des prix dont les effets durent quelques semaines, ou à des qui, à son tour, comprime la valeur des obligations chocs de longue durée, dont les effets expriment les détenues par d’autres investisseurs. Les investisseurs tendances des rendements. Dans un deuxième temps, peuvent préférer réduire leurs positions tant qu’elles les chocs extraits de la décomposition des fréquences ne subissent pas de pertes, ou essuyer des pertes des rendements obligataires d’un ou de plusieurs légères, pour éviter d’être exposés plus tard à des pays servent de variables explicatives additionnelles pertes potentiellement plus importantes ou à une forte dans le modèle utilisé lors de la première étape pour volatilité. Les marchés peuvent aussi devenir illiquides, les rendements d’un ou de plusieurs autres pays. Si accentuant encore les pressions à la baisse sur les prix l’inclusion de ces termes permet une amélioration des obligations. Ce recul des prix obligataires se traduit statistiquement significative de la précision des par une hausse des rendements, ce qui détériore les prévisions pour les rendements sur un horizon à perspectives de soutenabilité de la dette pour les pays cent jours, je considèrerai que c’est la preuve de qui ont des besoins de financement significatifs et l’existence d’effets de contagion ou de propagation. confirme les anticipations des investisseurs 12. Dans les deux cadres du graphique 1, je présente les Ce ne sont toutefois là que des exemples de contagion résultats des effets de contagion ou de propagation anecdotiques. Je voudrais par conséquent étudier conjoints des rendements des emprunts à 10 ans à présent certains des outils analytiques de la BCE de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal sur ceux afin d’examiner plus systématiquement les données. de l’Italie et de l’Espagne, respectivement. D’après Globalement, chaque outil estime dans quelle mesure ce modèle, la contagion émanant de la Grèce, de le risque souverain d’un pays de la zone euro affecte l’Irlande et du Portugal (courbes bleues) explique une celui d’autres pays de cette zone, en neutralisant part significative des rendements (courbes vertes) 10 Les mauvaises nouvelles concernant la situation au sein du gouvernement italien ont fait surface le 7 juillet et ont peut-être contribué au resserrement de l’écart de rendement entre l’Italie et l’Espagne, mais elles ne peuvent pas être à l’origine du mouvement de vente massive dans ces deux pays. 11 Le modèle de Chen (op. cit.) explique dans un contexte bancaire comment la combinaison de l’information et d’externalités liées aux paiements peut déclencher des ruées contagieuses. 12 Cf. Calvo (1988) 13 Cf. Donati (non publié). À l’origine, ces méthodes ont été élaborées dans la littérature relative à l’ingénierie des commandes automatiques. Ces travaux présentent des similitudes avec le modèle à composantes inobservées proposé dans la littérature économique par Harvey (1985), Clark (1987) et, plus récemment, par Creal, Koopman et Zivot (2010). Dette publique, politique monétaire et stabilité financière 124 Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio Graphique 1 Approche par la décomposition de fréquences : effets de contagion et de propagation depuis la Grèce, l’Irlande et le Portugal vers l’Italie et l’Espagne (en points de pourcentage) a) Italie b) Espagne 8 8 6 6 4 4 2 2 0 0 Mai Sept. Janv. Mai Sept. Janv. Mai Sept. Janv. Mai Sept. Janv. 2010 2011 2012 2010 2011 2012 Rendements des emprunts à 10 ans Effets de contagion estimés depuis GR, IE, PT Note : Les deux cadres présentent le rendement des emprunts à 10 ans de l’Italie et de l’Espagne (courbe verte) et les effets de contagion conjoints estimés des rendements des emprunts à 10 ans de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal sur ces titres (courbe bleue). Le modèle s’appuie sur des données journalières allant de mai 2010 à début février 2012. Source : Donati (non publié) des emprunts italiens (cadre a) et espagnols (cadre b). primes des swaps de défaut de crédit (credit default Ainsi, en 2011, ces effets ont représenté, en moyenne, swaps – CDS) souverains échangés sur le marché, quelque 38 % de la variabilité des rendements indépendamment du fait que les probabilités souverains italiens et environ 33 % de la variabilité prises en compte par le marché correspondent des rendements espagnols. En juillet 2011, lorsque ou non à l’évaluation effectuée par des organismes la crise de la dette souveraine a empiré, les effets officiels. On obtient les probabilités conditionnelles de contagion ou de propagation mesurés ont affiché multivariées par dérivation en tenant compte des une tendance haussière, ce qui est le signe d’effets de distributions à queue épaisse et asymétriques des longue durée 14. La situation s’est améliorée à la fin primes des CDS et en neutralisant la variation de 2011, même si la contagion émanant des trois pays temporelle des relations entre les primes des CDS qui bénéficient de plans d’aide restait significative de différents émetteurs souverains ainsi que le en janvier 2012. regroupement de volatilité. La deuxième approche s’appuie sur les progrès Le graphique 2 présente isolément un exemple des récents de la modélisation du risque de crédit. résultats de cette approche multivariée. Il montre Le modèle dont on dispose estime l’effet d’une comment la différence entre la probabilité estimée augmentation de la probabilité d’un événement de que le Portugal connaisse un événement de crédit si crédit (c’est-à-dire d’un défaut) dans un pays sur la la Grèce en subit un et la probabilité inconditionnelle probabilité d’un événement de crédit dans d’autres estimée que le Portugal en subisse un a évolué au pays 15. Ces probabilités sont estimées à partir des cours des deux années précédentes. Il s’avère que 14 Puisque les effets de contagion affichent une tendance (au lieu de fluctuer autour d’une moyenne de zéro), ils sont persistants, de nature durable et leurs effets risquent de ne se dissiper que lentement, même en présence d’évolutions favorables. Lorsque les effets de contagion évoluent en parallèle des rendements du pays affecté, cela signifie, dans la logique du modèle, que la contagion depuis les trois pays périphériques contribue à la tendance sous-jacente des rendements, comme par exemple dans le cas de l’Italie, et dans une moindre mesure de l’Espagne, à compter de début août 2011 (après qu’il a été annoncé pour la première fois que le secteur privé participerait aux négociations sur la dette publique grecque) et jusqu’à fin décembre 2011. À l’évidence, les rendements italiens et espagnols ont réagi à plusieurs facteurs supplémentaires, dont les effets ont pu renforcer ou contrebalancer ceux dus aux rendements des emprunts grecs, irlandais et portugais à 10 ans. 15 Cf. Zhang, Schwaab et Lucas (2011). Huang, Zhou et Zhu (2009), ou Segoviano et Goodhart (2009), proposent d’autres façons de mesurer les effets de contagion entre banques sur la base des probabilités de défaut conditionnel. CreditMetrics (2007) a, pour sa part, effectué des travaux de recherche dans un contexte de gestion du risque de portefeuille. Dette publique, politique monétaire et stabilité financière Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012 125
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio Graphique 2 Approche par le risque de crédit : effets de contagion et de propagation de la Grèce au Portugal 0,50 0,45 0,40 0,35 0,30 0,25 0,20 Janv. Mai Sept. Janv. Mai Sept. Janv. Mai 2009 2010 2011 Pr (PT|GR) - Pr(PT|pas GR) Lissé Note : Ce graphique présente la probabilité estimée, sur un an, que le Portugal subisse un événement de crédit sur sa dette publique étant donné que la Grèce connaît un événement de ce type. Les probabilités sont dérivées de données journalières sur les primes des swaps de défaut (CDS) qui garantissent la dette publique pour toutes les échéances, sur un horizon à cinq ans. Seul l’effet incrémentiel d’un événement de crédit en Grèce est mesuré, car la probabilité conditionnelle d’un événement de crédit au Portugal, en l’absence d’événement en Grèce, est déduite de la probabilité conditionnelle ci-dessus. La courbe bleue montre les incréments de la probabilité conditionnelle, tandis que la courbe rose est lissée à l’aide d’une moyenne mobile pondérée exponentiellement. Le modèle est estimé sur la base de données allant de septembre 2008 à juin 2011. Source : Zhang, Schwaab et Lucas (2011) les « effets de contagion » d’un événement de crédit mécanisme à correction d’erreurs. La contagion en Grèce (un défaut) sur le Portugal représentent, est identifiée à l’aide de la fonction de réponse selon ce modèle, entre 25 et 45 points de pourcentage. impulsionnelle de l’écart de rendement de chaque L’impact de la Grèce sur l’Irlande est d’ampleur pays à un choc non anticipé sur la note de la Grèce. analogue, mais nous ne l’évoquerons pas ici. Les résultats confirment que, sur la période allant Afin d’élargir encore la base servant à l’identification de septembre 2008 à août 2011, outre l’aversion de la contagion souveraine dans la zone euro, laissons générale au risque et le risque de crédit propre, la maintenant de côté les approches statistiques pour note de la Grèce a influé de manière statistiquement passer à une méthode qui neutralise des facteurs significative sur les écarts de rendement obligataire économiques supplémentaires. Cette méthode des autres pays de la zone euro. Ces effets de contagion consiste à estimer un échantillon d’écarts de sont économiquement modestes pour certains pays, rendements souverains par rapport aux rendements comme la France, et importants pour d’autres, allemands, pour de nombreux pays de la zone euro, comme l’Irlande, l’Espagne, l’Italie ou le Portugal à l’aide d’un modèle vectoriel structurel à correction (cf. les fonctions de réponse impulsionnelle sur le d’erreurs 16. Ce modèle neutralise les facteurs agrégés graphique 3). La contagion est plus prononcée pour qui affectent tous les écarts de rendement des les pays dont les fondamentaux économiques sont pays considérés ensemble (variations de l’aversion comparativement fragiles. Les résultats corroborent mondiale pour le risque, par exemple), certains également l’observation selon laquelle les primes facteurs propres à chaque pays (en particulier le des CDS de chaque pays de la zone euro sont depuis risque de défaut, tel que mesuré par la note de crédit peu supérieures, parfois largement, aux primes des du pays) et la persistance des rendements via le CDS des autres pays affichant une note analogue 17. 16 Cf. de Santis (2012). Cette méthode est analogue au modèle d’autorégression vectorielle standard de Sims (1980), à la différence près que le modèle vectoriel structurel à correction d’erreurs impose une restriction à long terme supplémentaire. 17 La BCE ne se cantonne pas à ces trois approches pour évaluer le risque de contagion souverain. Amisano et Tristani (2011), par exemple, neutralisent non seulement les fondamentaux économiques, mais introduisent également des non-linéarités dans l’analyse de la contagion. Cependant, nous n’avons pas pu en rapporter les résultats préliminaires ici. Dette publique, politique monétaire et stabilité financière 126 Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio Graphique 3 Approche vectorielle structurelle à correction d’erreurs : contagion de la Grèce à six pays de la zone euro (en points de base) a) Écarts de rendement des emprunts publics à 10 ans b) Écarts de rendement des emprunts publics à 10 ans Irlande/Allemagne Portugal/Allemagne 25 50 20 40 15 30 10 20 5 10 0 -5 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 c) Écarts de rendement des emprunts publics à 10 ans d) Écarts de rendement des emprunts publics à 10 ans Espagne/Allemagne Italie/Allemagne 35 16 30 14 25 12 20 10 15 8 10 6 5 4 0 2 -5 0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 e) Écarts de rendement des emprunts publics à 10 ans f) Écarts de rendement des emprunts publics à 10 ans Belgique/Allemagne France/Allemagne 9 4 8 7 3 6 2 5 4 1 3 2 0 1 0 -1 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 Note : Les six cadres présentent les fonctions de réponse impulsionnelle cumulées (courbe vertes) d’un choc (rétrogradation d’un cran de la note) pour la Grèce sur les écarts de rendement des emprunts publics à 10 ans par rapport à l’Allemagne respectivement pour l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Belgique et la France. Les courbes en pointillés bleus représentent des intervalles de confiance de 68 %. Les axes horizontaux représentent la durée, en jours, de ces ajustements. Le modèle est estimé à l’aide de données allant de septembre 2008 à août 2011. Source : De Santis (2012, Figure 9) Dette publique, politique monétaire et stabilité financière Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012 127
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio 2|2 Contagion de la dette souveraine aux banques 3| RAPPEL HISTORIQUE Passons à présent aux preuves de contagion entre Avant d’aborder les décisions qui ont été prises en les marchés de la dette publique et les banques. Europe pour éviter la contagion, je souhaiterais En juillet 2011, les tensions sur les titres souverains revenir sur le passé et analyser ce qu’il peut nous se sont propagées non seulement à l’Italie et à apprendre. l’Espagne, mais aussi aux banques exposées à la dette souveraine de ces pays. 3|1 La stabilité budgétaire La crise de la dette souveraine a clairement dans une union monétaire qui fonctionne une incidence sur la disponibilité et le coût du financement pour les banques de la zone euro. Dans un premier temps, il faut étudier la relation entre La coïncidence des problèmes de dette souveraine les évolutions budgétaires des pays membres d’une et des problèmes de financement des banques ne union monétaire assortie d’une intégration politique, constitue qu’une preuve anecdotique. Des éléments bien que les différences avec la situation actuelle en de preuve supplémentaires peuvent être obtenus Europe restent importantes. Michael Bordo et al. font en appliquant le modèle de décomposition des état d’un schéma commun entre les États-Unis, le fréquences (le premier des trois modèles décrits Canada, l’Allemagne, l’Argentine et le Brésil au cours plus haut) aux primes des CDS bancaires. On observe des XIXe et XXe siècles 20. La réussite du fédéralisme ainsi qu’à compter du début avril 2011, l’évolution budgétaire semble être associée à « une clause explicite des primes des CDS de la Grèce, de l’Irlande, du ou implicite de non-renflouement, à des restrictions Portugal, de l’Italie et de la France explique une part constitutionnelles et à la discipline exercée par les croissante de la variabilité des primes des CDS de la marchés financiers pour la dette publique » 21. Dans le Société Générale et du Crédit Agricole, par exemple cas des États-Unis et du Canada, avec l’adoption du (ces primes ont été multipliées par deux entre fédéralisme budgétaire, la dette des États a été transférée début juillet et mi-août). Cependant, l’exposition à la fédération. Pour les États-Unis, ce fut après la de ces deux banques à la Grèce ou à n’importe quel guerre d’indépendance, par le biais d’un plan élaboré autre des pays bénéficiant d’un plan d’aide n’a pas et mis en œuvre par Alexander Hamilton. Ce plan a augmenté pendant ces mois-là. En d’autres termes, transféré au budget fédéral les dettes accumulées par les effets de contagion entre les marchés de la dette les États pendant la guerre d’indépendance. Il a, en publique et les banques de la zone euro, tels que outre, converti les dettes des États en obligations et définis dans le modèle, n’ont gagné en importance créé un « fonds d’amortissement », pour collecter des qu’au cours du deuxième semestre 2011 18. recettes destinées à financer l’achat d’obligations sur le marché. Les États-Unis ont ainsi créé un mécanisme Dans l’ensemble, il semble exister des preuves efficace pour lisser les recettes budgétaires sur la durée signifi catives d’effets de contagion pendant la et réussi à se financer sur le marché obligataire à des crise de la dette souveraine en Europe 19, malgré taux raisonnables. les mesures destinées à limiter la propagation de l’instabilité. Il convient toutefois de noter que les Un autre cas intéressant, quoique différent par son risques de contagion peuvent aussi être latents, et contexte, est celui de l’unification italienne en 1861, donc pas encore concrétisés. Il est fort probable lorsque le Royaume de Sardaigne a annexé différents que, si les diverses mesures de gestion de la crise États jusque-là indépendants. L’une des premières n’avaient pas été adoptées, la contagion serait décisions du nouveau ministère des Finances du nettement plus grave que ce que l’on observe Royaume d’Italie a été de garantir l’encours de toutes actuellement. les dettes des États annexés. 18 Acharya, Drechsler et Schnabl (2011), ainsi que Alter et Schüler (2011), proposent également une analyse des relations entre instabilité bancaire et problèmes de dette souveraine. 19 Avec des méthodes différentes, les services du Fonds monétaire international observent des éléments connexes. Cf. Caceres, Guzzo et Segoviano (2010) ou Arezeki, Candelona et Sy (2011) 20 Cf. Bordo, Jonung et Markiewicz (2011) 21 Cf. Bordo et al., op. cit., p. 26 Dette publique, politique monétaire et stabilité financière 128 Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio Ces exemples historiques nous enseignent que, pour 4| PRINCIPALES RÉPONSES bien fonctionner, une union monétaire a besoin DE LA ZONE EURO d’approches solides et innovantes permettant de remédier aux problèmes budgétaires de la région. AU RISQUE DE CONTAGION Il faut notamment des incitations appropriées à la maîtrise des déficits publics, y compris dans Je vais maintenant traiter plus en détail des mesures un environnement de taux d’intérêt bas, et des prises dans la zone euro pour remédier aux causes moyens efficaces pour mettre fin aux problèmes de de la crise de la dette et empêcher sa propagation. solvabilité souveraine, qui sont contagieux. Je commencerai par la BCE avant de me pencher sur les responsabilités des autres autorités publiques. Notons toutefois que, dans tous les exemples historiques que je viens de citer, l’union politique était réalisée au moment de l’union monétaire : 4|1 Mesures prises par la BCE il était donc plus simple de modifier le cadre budgétaire. Pour assurer le fonctionnement du mécanisme de transmission de la politique monétaire, ce qui est essentiel pour maintenir la stabilité des prix à moyen 3|2 Limiter la propagation de l’instabilité : terme, la BCE s’est appuyée sur un certain nombre de le rôle des banques centrales mesures non conventionnelles de politique monétaire, introduites au cours de la crise financière survenue à Le défaut de la Russie, en août 1998, constitue un l’été 2007. Ces mesures ont, dans l’ensemble, contribué bon exemple historique de risques de contagion à stabiliser les conditions financières et le flux de crédit significatifs. Cet événement a déclenché une en direction de l’économie, toujours dans l’objectif de réaction en chaîne spectaculaire, notamment maintenir la stabilité des prix. l’effondrement du fonds LTCM (Long-Term Capital Management). Le défaut de la Russie et Après le déclenchement de la crise en août 2007 et sa l’effondrement de sa monnaie ont aussi fait chuter le vive aggravation en septembre 2008, la BCE a injecté système bancaire de ce pays. La crise s’est propagée de la liquidité par des moyens plus variés et à plus à travers le monde entier, et un certain nombre long terme afin de remédier aux dysfonctionnements d’investisseurs internationaux, en particulier des du marché monétaire. Elle a aussi coopéré avec institutions financières, ont essuyé de lourdes pertes. d’autres banques centrales à la formulation d’une Les cours des actions ont dégringolé sur l’ensemble riposte internationale à un dysfonctionnement du des marchés émergents et des pays développés, marché monétaire international. L’apport conjoint entraînant une érosion du capital des investisseurs de liquidités en dollars, au départ par trois banques et des sociétés financières, un tarissement de la centrales, dont la BCE, puis par de nombreuses liquidité sur les marchés, une augmentation de autres, a été qualifié, par certains observateurs, la volatilité et un écartement abrupt et simultané d’« Accord du Plazza pour les marchés monétaires ». des primes de crédit de la dette souveraine dans le monde entier. Après la faillite de Lehman Brothers, la BCE a lancé sa politique de « soutien renforcé au crédit », qui prend La crise russe n’a pas conduit à une faillite la forme d’une série de mesures destinées à accroître financière. Premièrement, les banques centrales les flux de crédit au-delà de ce que produirait une du monde entier ont apporté d’abondantes diminution des seuls taux directeurs. Ces mesures liquidités aux acteurs du marché de diverses façons. englobent la fourniture illimitée de liquidités via des Deuxièmement, les banques centrales ont permis de « adjudications à taux fixe, la totalité des soumissions coordonner les décisions de ces acteurs, telles que le étant servie », l’apport de liquidité à des maturités renflouement in fine de LTCM par le secteur privé. étendues jusqu’à un an, ainsi que l’apport de davantage À l’évidence, l’intervention des banques centrales de liquidités en devises étrangères aux banques de la à l’automne 1998 a permis d’éviter le pire 22. zone euro et de liquidités en euros à d’autres banques 22 Pour une analyse plus détaillée de cet épisode de contagion et d’autres, cf., par exemple, Kaminsky, Reinhart et Vegh (2003) ou Dungey, Fry, González-Hermosillo et Martin (2002) Dette publique, politique monétaire et stabilité financière Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012 129
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio centrales afin que celles-ci puissent les mettre à la opérations de refinancement à plus long terme disposition de leurs banques locales. Un programme (LTRO) d’une durée d’un an, de continuer d’achats d’obligations sécurisées a également été mis d’appliquer des procédures d’adjudications à taux en place. Étant donné que les banques ne peuvent fixe, pour des montants illimités, pour toutes les recourir aux mécanismes d’apport de liquidité de la opérations d’apport de liquidité aussi longtemps BCE que si elles disposent de garanties suffisantes, que nécessaire et au moins jusqu’à la mi-2012, la BCE a également élargi la liste des actifs qu’elle et d’engager un deuxième Programme d’achat accepte en garantie. Comme ce fut le cas dans les d’obligations sécurisées (Covered Bond Purchase années qui ont précédé la crise, nous avons aussi Programme – CBPP2) portant sur l’acquisition de révisé les critères d’éligibilité des garanties face 40 milliards d’euros de titres sur une période d’un aux évolutions des marchés, afin de remédier aux an à compter de novembre 2011. incohérences et d’éviter d’éventuels abus. Le 30 novembre, la Banque du Canada, la Banque La valeur totale des garanties négociables éligibles d’Angleterre, la Banque du Japon, la Réserve est très élevée : elle avoisine 13 500 milliards d’euros, fédérale, la Banque nationale suisse et la BCE ont soit environ 150 % du produit intérieur brut (PIB) engagé une action coordonnée destinée à atténuer de la zone euro. Sur ce total, les banques de la zone les problèmes de financement en dollars. Ainsi, euro détiennent 2 100 milliards d’euros (garanties le prix des accords de swap de liquidité en dollars non négociables comprises), dont l’utilisation a déjà existants a été abaissé de 50 points de base. En outre, été approuvée. Nous disposons ainsi d’un volant de des dispositifs bilatéraux temporaires d’échange de manœuvre d’environ 900 milliards d’euros pour la liquidité ont été créés, afin que chaque banque fourniture de liquidité. centrale puisse apporter de la liquidité dans la monnaie des autres participants. Face aux répercussions de la crise de la dette publique dans la zone euro, en mai 2010, la BCE Le 8 décembre 2011, la BCE a décidé d’engager a instauré le Programme pour les marchés de deux opérations de refinancement à très long terme titres (PMT). Dans le cadre de ce programme, qui d’une durée de trois ans. Ces opérations visent à respecte pleinement l’interdiction du financement atténuer les difficultés que les banques rencontrent monétaire, l’Eurosystème achète des titres sur des actuellement lorsqu’elles cherchent à se financer à segments défaillants du marché de la dette, afin de plus long terme. Elles évitent aux banques d’avoir préserver la transmission de la politique monétaire à rééquilibrer les échéances entre les éléments à toutes les composantes de l’union monétaire. d’actif et de passif en réduisant les prêts qu’elles La contagion souveraine est l’un des mécanismes accordent à l’économie réelle. La première susceptibles d’empêcher cette transmission via opération a attiré une demande sans précédent : les taux d’intérêt. En ce sens, les interventions du 489,2 milliards d’euros, ce qui montre l’utilité de PMT évitent la contagion souveraine. cette mesure. La baisse des rendements obligataires de la zone euro sur l’ensemble de la courbe des À partir de l’été 2011, la crise de la dette européenne échéances témoigne aussi de son efficacité. a atteint de nouveaux sommets. La BCE a réagi aux perturbations sur les marchés de titres de la Ces opérations de refi nancement d’une durée dette de la zone euro en réactivant le PMT à partir de trois ans ont été assorties d’un élargissement du 8 août 2011. Du fait de la taille restreinte du du gisement des garanties éligibles. Bien qu’en programme, qui représente seulement 2,3 % du PIB moyenne, ce gisement soit très étendu, il se peut de la zone euro (quand les achats de dette publique que les banques, prises individuellement, ne de la Banque d’Angleterre s’élèvent à 13,7 % du PIB disposent pas de suffisamment de garanties pour et ceux du Système fédéral de réserve à 11,4 %), il est couvrir leurs besoins de financement, lorsque, par plus facile de stériliser son impact sur la liquidité. exemple, la note de crédit de certains titres adossés à des actifs se dégrade. Premièrement, le seuil de Lors de la réunion du Conseil des gouverneurs qualité du crédit de certains titres adossés à des du 6 octobre 2011, la BCE a décidé d’une nouvelle actifs a été abaissé. Deuxièmement, les banques série de mesures en réaction aux tensions sur les centrales nationales ont été autorisées à accepter marchés. Il s’agissait : de réaliser deux nouvelles temporairement en garantie des créances privées Dette publique, politique monétaire et stabilité financière 130 Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012
Contagion et crise de la dette européenne Vítor Constâncio performantes. En outre, le taux des réserves Étant donné qu’une prévention efficace des crises ne obligatoires a été ramené de 2 % à 1 %, ce qui saurait couvrir toutes les éventualités, il est important renforce de 100 milliards d’euros supplémentaires qu’un pare-feu digne de ce nom soit mis en place les liquidités disponibles pour le secteur bancaire. si l’on veut limiter les risques de contagion entre différents marchés de la dette souveraine. Après Toutes ces mesures ont produit des effets clairement l’intensification de la crise de la dette publique dans positifs, conformément à leurs objectifs. Les mesures la zone euro en mai 2010, les pays membres de la prises par la BCE ont permis au mécanisme de zone euro ont ainsi décidé de créer le Fonds européen transmission de la politique monétaire de continuer de stabilité financière (FESF). Ce dernier permet de fonctionner relativement bien dans la zone euro, de financer les pays membres en difficulté, et ce tout en limitant la contagion, même si force est de financement est soumis à des conditions négociées reconnaître que ce mécanisme reste très perturbé dans avec la « troïka » (la Commission européenne, le FMI certains pays de la zone. et la BCE). Le programme d’ajustement améliore les fondamentaux économiques sur la durée et, par là-même, fait disparaître les problèmes d’insolvabilité, 4|2 Mesures prises par d’autres autorités ce qui permet alors au pays de revenir sur les marchés. européennes et nationales La BCE se félicite des décisions récemment prises La BCE a agi rapidement, de façon ciblée et par les chefs d’État et de gouvernement de la déterminée, mais elle ne peut pas résoudre à elle zone euro, qui renforcent le FESF et le dispositif seule tous les problèmes. Les gouvernements des pays qui lui succédera, le Mécanisme européen de de la zone euro doivent assumer leurs responsabilités, stabilité (MES). Premièrement, ces dirigeants se ce qui nécessite une intervention à la fois au niveau sont engagés à réexaminer la taille des filets de des pays membres et de la zone euro. Il est de la plus sécurité d’ici mars. Deuxièmement, le MES entrera haute importance que ces pays continuent de mettre en vigueur d’ici juillet 2012, soit plus tôt que en œuvre une politique qui place leurs finances prévu initialement. Troisièmement, concernant la publiques sur une trajectoire tenable. Dans le même participation du secteur privé, la zone euro adhérera temps, ils doivent engager des réformes structurelles à la pratique établie par le FMI, ce qui contribuera pour rehausser le potentiel de croissance de leur à rassurer les investisseurs. Enfin, une procédure économie. En outre, il est évident que les pays qui de vote d’urgence sera introduite dans les règles de bénéficient de programmes de l’UE et du FMI doivent fonctionnement du MES, ce qui facilitera la prise de tenir scrupuleusement les engagements qu’ils ont décisions, en particulier dans les situations de crise. pris. C’est uniquement de cette façon que les facteurs Il est néanmoins crucial que le FESF soit opérationnel et les déséquilibres fondamentaux à l’origine de la aussi rapidement que possible. Dans cette optique, crise peuvent être éradiqués. nous avons décidé que la BCE, conjointement avec certaines banques centrales nationales, agira comme Au niveau européen, la BCE se félicite des progrès agent du FESF dans ses opérations de marché. réalisés concernant la réforme de la gouvernance budgétaire. Le 9 décembre 2011, les chefs d’État et de Enfin, il est essentiel que les pays concernés ne gouvernement de l’UE sont convenus d’un nouveau voient pas la mise en œuvre des nouveaux outils de pacte budgétaire qui limite les déficits structurels à 0,5 % stabilisation comme une incitation à relâcher leurs du PIB nominal. Contrairement aux dispositions du efforts d’assainissement des finances publiques. Il est Pacte de stabilité et de croissance, cette règle d’équilibre en effet crucial que toutes les mesures de soutien, budgétaire sera inscrite dans le droit primaire. Il est qu’elles revêtent la forme de prêts ou celle d’achats important de noter que des corrections automatiques de titres, soient soumises à une conditionnalité sont prévues en cas de non-respect. La Cour de justice stricte s’agissant des mesures relatives au budget de l’Union européenne sera habilitée à contrôler la de l’État et des réformes structurelles, afin de relever transposition de cette règle dans le droit national. le taux de croissance économique indispensable à la Ensemble, ces mesures renforcent significativement stabilisation du ratio de la dette. Les déséquilibres le volet préventif du cadre de gouvernance budgétaire survenus aux niveaux budgétaire et financier ainsi européen et, partant, limitent les possibilités de que de l’économie réelle ne doivent pas pouvoir contagion souveraine à l’avenir. réapparaître. Dette publique, politique monétaire et stabilité financière Banque de France • Revue de la stabilité financière • N° 16 • Avril 2012 131
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