Covid-19 : les autopsies révèlent la dimension vasculaire de la maladie
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Covid-19 : les autopsies révèlent la dimension vasculaire de la maladie Par Sara de Lacerda le 07.05.2020 à 11h04 En Allemagne et en Suisse, les médecins pathologistes pratiquent des autopsies de personnes décédées de Covid-19 pour mieux comprendre le mécanisme de l’infection. Les premiers résultats démontrent que les personnes les plus touchées souffrent de maladies cardio- vasculaires préalables, et que le virus pourrait agir directement sur les vaisseaux sanguins en suscitant un dysfonctionnement de leur paroi interne, l’endothélium. A l'Hôpital universitaire de Hambourg-Eppendorf, le pathologiste Klaus Püschel a pratiqué dès le mois de mars des autopsies de victimes confirmées ou présumées de Covid-19 afin de mieux comprendre le mode d'action du coronavirus. Bodo Marks/dpa/AFP MODE D'ACTION. Comme l'indique le Haut Conseil de la santé publique français, le risque infectieux ne disparaît pas immédiatement avec le décès d'un patient atteint par le SARS- CoV-2. Or en Allemagne et en Suisse, les médecins estiment que l'examen post mortem des corps des personnes ayant succombé suite à une infection par ce virus peut fournir des informations primordiales et permettre non seulement de mieux connaître le mode d'action du
virus mais également de mieux le combattre. L'autopsie permet en effet de constater de l'intérieur les dommages causés et donc de découvrir des aspects dissimulés de la maladie. Bravant le risque infectieux, plusieurs équipes ont ainsi entrepris de pratiquer des autopsies et de porter un regard nouveau sur l'impact du coronavirus. La nécessité d'obtenir de nouvelles connaissances En Allemagne, le Spiegel rapporte que l'Institut Robert-Koch (RKI), qui centralise les données et réglemente les procédures à suivre concernant l'épidémie de Covid-19, a tout d'abord déconseillé les autopsies. Une recommandation datée du 24 mars stipulait en effet : “L'examen médico-légal interne, les autopsies ou autres mesures produisant des aérosols sont à éviter. S'ils sont nécessaires, il faut les limiter au maximum.” En date du 7 avril 2020, les deux associations allemandes de pathologistes, la Fédération allemande des médecins pathologistes (BDP) et la Société allemande de pathologie (DGP), ont envoyé une lettre de protestation au RKI et exigé que soit pratiqué “le plus grand nombre possible d'autopsies de patients décédés de Covid-19 ". Assumant de contredire la recommandation du RKI, elles estiment qu'“il est au contraire nécessaire d'acquérir de nouvelles connaissances sur la maladie et son évolution souvent extraordinairement fulgurante, comme de répondre à des questions qui restent toujours en suspens.” Dans le meilleur des cas, les médecins espèrent également en déduire des options thérapeutiques, comme pour les maladies épidémiologiques précédentes : virus Marburg, VIH, Sras, Mers et encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Depuis, le RKI a retiré sa recommandation et comme le rapporte la Süddeutsche Zeitung, son vice-président, Lars Schaade, a mis fin à toute ambiguïté lors de la conférence de presse du 21 avril : “Il est bien évidemment opportun, tout particulièrement lorsque apparaît une nouvelle maladie, de pratiquer le plus d'autopsies possibles, en respectant les mesures préventives appropriées.” Un registre des autopsies pour le Covid-19 Pour le président du BDP, Karl-Friedrich Bürrig, également directeur de l'Institut de pathologie de Hildesheim, toute autopsie est d'un “très grand intérêt général” ; car pour tous les pathologistes, l'autopsie consiste à faire parler les morts pour aider les vivants. C'est pourquoi les médecins ont entrepris de rassembler et d'exploiter les données de tous les cas qui seront examinés sur tout le territoire allemand, voire germanophone, dans un unique Registre allemand des autopsies de Covid-19, mis en place le 15 avril par l'Institut de pathologie de l'Hôpital universitaire de l'École supérieure polytechnique de Rhénanie- Westphalie (RWTH) d'Aix-la-Chapelle. Dans un communiqué, les deux fédérations précisent les ambitions de ce registre : alors que “l'on sait peu de choses sur la pathogénèse de la maladie, sur sa diffusion à l'intérieur du corps humain ou sur ses effets sur les différents organes et cellules” et que l'on ne sait toujours pas précisément “quelles modifications pathologiques ou maladies sous-jacentes […], par exemple du tissu pulmonaire, peuvent être responsables d'aggravations ou y prédisposer ”, l'autopsie pourra “aider à mieux comprendre la pathophysiologie et le déroulement de la maladie et peut-être aussi à améliorer la thérapie des patients”.
Le président du BDP n'envisage cependant pas de fournir des résultats dans l'immédiat, et se donne six mois avant de tirer les premières conclusions de ce recensement, ce délai étant la garantie d'un travail “sérieux”, n'appelant aucune critique. Par ailleurs, il s'agit avant tout dans un premier temps de rattraper le retard pris jusqu'ici, puisque à la mi-avril seules 30 autopsies avaient été notées dans ce registre – même si Danny Jonigk, professeur de pathologie pulmonaire au Centre allemand de recherche pulmonaire de Giessen, qui a lui-même pratiqué deux examens post mortem de personnes testées positives au Covid-19, estime dans l'hebdomadaire Die Zeit que le nombre total de ces examens en Allemagne se situe entre 350 et 400 à la fin du mois d'avril. Premiers examens post mortem en Suisse et à Hambourg En l'occurrence, c'est la Suisse qui a pris de l'avance, le Spiegel rapportant que des autopsies y ont été pratiquées plus tôt qu'en Allemagne, dans les deux cantons de Bâle-Ville et Bâle- Campagne, où une vingtaine de victimes de Covid-19 ont été examinées. C'est également le cas à l'Hôpital universitaire de Zurich, où, comme le notent les pathologistes allemands, les premiers rapports d'autopsies “indiquent de possibles nouveaux mécanismes de la pathologie”. À Hambourg, le directeur de l'Institut de médecine légale de l'Hôpital universitaire de Hambourg-Eppendorf (UKE), Klaus Püschel, ne s'est pas embarrassé de la recommandation du RKI et a entrepris de pratiquer des autopsies dès le mois de mars, tout comme il a pu le faire autrefois au tout début de l'épidémie du sida. L'UKE a ainsi décidé d'autopsier toutes les personnes dont la mort pourrait être imputée au Covid-19. Entre le 22 mars et la mi-avril Klaus Püschel a procédé à 65 autopsies ; depuis, ce chiffre a même dépassé la centaine. S'affranchissant également de la contrainte de la centralisation des données, il a adressé un premier rapport aux autorités sanitaires du Land de Hambourg ainsi qu'à plusieurs organes de presse, dont la Süddeutsche Zeitung, qui reconnaît à propos de cette démarche non conformiste que même si “ce rapport ne prétend pas à l'exhaustivité”, “aucun hôpital allemand n'a jusqu'à présent examiné autant de morts de Covid-19”. Une prépondérance de maladies cardio-vasculaires préexistantes Les résultats de ces examens dressent un tableau plus précis de l'infection par le SARS-CoV-2 et, surtout, du profil de ses victimes. À Hambourg comme à Bâle, les personnes décédées suite à une infection par le coronavirus présentaient toutes des antécédents, et pour la très grande majorité des maladies cardio-vasculaires. À Bâle, sur les vingt autopsies pratiquées, tous les patients, dont la moyenne d'âge était de 76 ans, souffraient d'hypertension, la plupart étant également obèses. Il s'agissait en majorité d'hommes, dont les deux tiers avaient des artères coronaires déjà endommagées et un tiers souffrait de diabète. À Hambourg, sur 61 personnes autopsiées, 55 présentaient des maladies cardio-vasculaires préexistantes : hypertension artérielle, infarctus, artériosclérose, ou une autre faiblesse du cœur. 46 avaient en outre des antécédents pulmonaires ; 28 avaient d'autres organes en
mauvais état : les reins, le foie ou des organes transplantés. D'autres avaient un cancer, souffraient d'obésité ou de diabète. Un dérèglement de la microcirculation sanguine Alors qu'en réalité seule une minorité de patients souffrait de pneumonie, Alexandar Tzankov, directeur du service d'Histologie et autopsie de l'Hôpital universitaire de Bâle, confie à la Süddeutsche Zeitung que l'examen au microscope a révélé un “grave dérèglement de la microcirculation du poumon”, en l'occurrence un dysfonctionnement de l'oxygénation, qui expliquerait les difficultés à ventiler certains patients en soins intensifs : “On peut donner autant d'oxygène que l'on veut à ces patients, il n'est tout bonnement plus transporté.” Ainsi les données résultant des autopsies pratiquées en Suisse montrent que ce sont les personnes atteintes de maladies dites de civilisation, liées à leur mode de vie, qui sont les plus sensibles au virus. Au moment de l'infection aucune de ces vingt personnes n'était en bonne santé. Comme le rapporte Alexandar Tzankov, on retrouve donc à Bâle le même tableau qu'à Hambourg : “Tous les cas présentent des pathologies préexistantes, et dans la plupart des cas, plusieurs à la fois” : hypertension artérielle, athérosclérose, hypertrophie cardiaque, surpoids et diabète. Le pathologiste bâlois en conclut : “Toutes ces pathologies ont pour dénominateur commun une grave défaillance des vaisseaux sanguins.” Le coronavirus s’attaquerait directement aux vaisseaux sanguins C'est en Suisse également, mais cette fois à l'Hôpital universitaire de Zurich, qu'une équipe composée de pathologistes mais aussi de cardiologues, d'infectiologues et de médecins réanimateurs, a décelé un nouvel aspect de l'action du coronavirus. Lors de l'examen des échantillons de tissus de trois patients morts des suites d'une infection confirmée, ils ont en effet tout d'abord remarqué que l'inflammation ne se limitait pas au poumon, mais “concernait en réalité l'ensemble de l'endothélium de différents organes”. Selon le communiqué de presse annonçant la découverte, le professeur Zsuzsanna Varga a ensuite “réussi à déceler pour la première fois au microscope électronique la présence directe dans l'endothélium du coronavirus SARS-CoV-2 et la mort cellulaire déclenchée par le virus”. L'endothélium vasculaire est une couche cellulaire qui forme la paroi la plus interne des vaisseaux sanguins, constituant une sorte de couche protectrice et assurant une fonction de régulation de l'irrigation sanguine. Une perturbation de ce processus régulateur est susceptible de provoquer des problèmes circulatoires dans les organes ou les tissus, pouvant conduire à la mort des nombreuses cellules qui les constituent, puis à la défaillance de ces organes ou tissus, voire leur propre mort. Comme ils l'écrivent dans l'article relatant leur découverte, publié dans la revue The Lancet, les médecins zurichois en déduisent un nouveau schéma de l'infection : le coronavirus ne déclencherait pas une pneumonie dégénérant en complications ultérieures, dans la mesure où “il n'attaque pas les défenses de l'organisme comme on le présumait jusqu'à présent en passant par le poumon, mais par le biais des récepteurs ACE2 présents dans l'endothélium, il s'y disperse et conduit à une inflammation généralisée de l'endothélium, anéantissant sa fonction protectrice”. Le virus attaquerait donc directement depuis l'intérieur des vaisseaux, qui le conduisent ensuite jusqu'aux organes ; c'est pourquoi ils écrivent que le SARS-CoV-2
“déclenche directement une dysfonction endothéliale systémique, à savoir une inflammation de tout l'endothélium corporel, qui comprend tous les lits vasculaires : vaisseaux du cœur, du cerveau, des poumons, des reins et du tube digestif”, dont les conséquences sont fatales puisqu'elle entraîne “de graves perturbations de la microcirculation qui abîment le cœur, déclenchent des embolies pulmonaires et des occlusions vasculaires dans le cerveau et le tube digestif et peuvent conduire à une défaillance multiviscérale jusqu'à la mort”. Les patients souffrant d'hypertension, de diabète, d'insuffisance cardiaque ou de maladies coronariennes ont un endothélium déjà affaibli, car ces maladies “ont en commun de réduire la fonction endothéliale” ; l'infection vient alors aggraver cet affaiblissement, en particulier lors de la phase de multiplication du virus. Faut-il requalifier Covid-19 ? Pour le professeur Frank Ruschitzka, directeur de la clinique de cardiologie de l'Hôpital universitaire de Zurich, il faudrait donc requalifier la maladie et ne plus se focaliser sur l'aspect pulmonaire, puisqu'en réalité elle atteint tous les organes : “Grâce à cette étude, nous avons pu apporter la preuve de notre hypothèse selon laquelle Covid-19 ne touche pas seulement le poumon, mais peut toucher les vaisseaux de tous les organes. Covid-19 est une inflammation vasculaire systémique, nous devrions désormais spécifier son tableau clinique en le désignant comme Covid-Endothélite ". Il en déduit des indications thérapeutiques concernant en premier lieu les patients présentant des antécédents de maladies du système circulatoire, soulignant la nécessité de “freiner la multiplication des virus dans la phase la plus active et en même temps de protéger et stabiliser le système vasculaire des patients”. Le directeur de la Clinique d'angiologie de l'Hôpital universitaire de Zurich, Nils Kucher, explique également à la Frankfurter Allgemeine Zeitung le rôle joué par l'endothélium dans le processus de la coagulation. L'inflammation provoque en effet la libération d'un grand nombre de facteurs de coagulation, qui font partie intégrante de la réaction habituelle du système immunitaire. Mais ces facteurs de coagulation conduisent cependant également à la formation de caillots et de thrombus dans les vaisseaux. Ces caillots peuvent ensuite être amenés dans le poumon et y boucher les artères, provoquant une embolie pulmonaire. L'angiologue a effectivement constaté chez ses patients atteints de Covid-19 une grande fréquence de ces embolies, d'autant plus surprenante dans le cas d'une infection. Avec des collègues milanais, il a alors procédé à l'analyse des données de 388 malades italiens, dont les résultats ont été publiés dans Thrombosis Research. La présence de thrombus a été détectée chez un tiers de ces patients. À Hambourg, le pathologiste Klaus Püschel a également trouvé un nombre inhabituel de thromboses et d'embolies pulmonaires lors de ses autopsies. Estimant que “nous avons trop tardé à reconnaître que les thromboses et embolies pulmonaires jouent un grand rôle dans Covid-19”, Nils Kucher vient de lancer en urgence une étude réunissant les cinq hôpitaux universitaires de Suisse, dans le but de vérifier si les anticoagulants peuvent protéger de ces caillots mortels, puis de préciser la dose exacte à prescrire en soins intensifs. Les premiers résultats sont prévus à l'automne ; les médecins suisses espèrent ainsi être mieux parés face à une éventuelle deuxième vague. Allemagne Coronavirus COVID-19 Maladies cardiovasculaires Revue de presse Suisse
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