CULTURE Street Art - Boulevard Paris 13
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La rue est SON MUSÉE Pour ce numéro dédié à Paris « en plein air », le portrait de Mehdi Ben Cheikh, l’homme qui transforme les murs du 13e arrondissement en manifeste pour le street-art, allait de soi ! Texte Thomas Thévenoud / Photos Alena Torgonskaya Q uand on décide de suivre fresques monumentales qui jalonnent Ben Cheikh n’aime pas l’architecture des Mehdi Ben Cheikh, mieux le boulevard et racontent l’histoire d’un grands ensembles mais il reconnaît leur vaut ne pas avoir le vertige. quartier qui se transforme chaque jour utilité : « Les artistes du monde entier Ce jour-là, en haut du toit-terrasse du sous nos yeux. ont envie de venir exposer ici, à Paris. Il 126 boulevard Vincent Auriol, le ciel de faut voir chaque nouvelle fresque Paris n’a jamais paru aussi grand. De → Un nouveau musée pour Paris comme une acquisition. Exactement gros nuages blancs roulent au-dessus de Pour lui, les murs sont comme des comme le font les grands musées. La nous, poussés par le vent. On pourrait toiles blanches qu’il a hâte d’utiliser. La rue est un musée à ciel ouvert. » C’est sa presque les toucher. Penché au-dessus couleur explose, ravivant des immeubles manière à lui de changer la ville. Et il y du vide, Mehdi Ben Cheikh montre les sans âme, des tours sans relief. Mehdi réussit. Depuis qu’il a fait intervenir une VIVRE PARIS 03(VP35)p18-37-estelle.indd 31 08/06/2018 15:31
CULTURE • Street art Mehdi Ben Cheikh, l’homme qui imagine le 13ème comme un musée à ciel ouvert centaine d’artistes venus du monde entier street-art pour elle : « J’aime bien ça parce que dollar. Mehdi Ben Cheikh est au centre de la sur la tour Paris 13, un immeuble de neuf c’est plein de couleurs. Et puis c’est gratuit. galerie, polo bleu et regard d’aigle. Il échange étages situé en front de Seine et voué à la Pas besoin d’aller au musée. C’est les artistes avec les uns et les autres, parle peu et sourit démolition, le succès ne s’est jamais démenti. qui viennent ici. Ça commence à fleurir aux félicitations. Il se souvient sans doute des Chaque nouvelle fresque éveille la curiosité partout dans le 13e mais y’en a pas encore premières années où il louait la galerie le soir des réseaux sociaux et accroît la notoriété des assez. Faudrait venir en bas du boulevard, à des entreprises pour payer le loyer et faisait artistes de street-art qu’il expose. Aujourd’hui, dites-lui à l’artiste ! » Mehdi a raison : il va le ménage au matin. Ce soir, le public déborde c’est l’artiste anglais DFace et son équipe falloir peindre d’autres murs. À l’origine, il y à l’extérieur de la galerie sur le boulevard des qui peint le mur de l’immeuble d’en face. a dix ans, quand Jérôme Coumet est devenu Maréchaux. Décidément, la rue est à lui. Sous Depuis le début de la semaine, à mesure que maire du 13e arrondissement, ses administrés l’effet du street-art, ce ne sont pas seulement la nacelle descend le long du mur, un visage venaient se plaindre et lui demander de faire les murs qui se sont colorés, c’est l’image de de femme à la chevelure bleu indigo apparaît effacer les tags. Aujourd’hui, il confirme : l’arrondissement qui s’est transformée. Petit lentement. Mehdi Ben Cheikh n’a eu qu’une « les plus fans sont les mamies. » La mairie à petit d’autres galeries ont ouvert, tout un seule exigence : que la bouche soit rouge. se contente de donner les autorisations ou écosystème s’est créé. Pour rien au monde Pour le contraste des couleurs. de les obtenir auprès des bailleurs sociaux. Mehdi Ben Cheikh ne voudrait déménager Aucune subvention publique : les projets sont dans le Marais ou à Saint-Germain-des-Prés. → Le 13e en est fan financés par des mécènes privés et par les « Le 13e arrondissement aujourd’hui, c’est En se penchant au bord du vide, on dis- expositions qu’organise la galerie Itinerrance un peu Montparnasse dans les années 20, le tingue au pied de l’immeuble les passants avec chacun des artistes qui interviennent. lieu de l’avant-garde. Grâce au street-art, on qui prennent en photo la fresque en train réinvente la vocation artistique de Paris. » Et de se faire et les artistes en contre-plongée, → Un nouvel écosystème Mehdi Ben Cheikh réinvente la mission du juchés sur leur nacelle. Une fois en bas, une Lors du vernissage de DFace, 400 personnes galeriste. Inutile d’aller dénicher les artistes de grand-mère venue spécialement pour offrir se pressent pour voir l’artiste et lui faire demain, Instagram s’en charge. Le monde du du café à l’équipe nous explique ce qu’est le dédicacer un print ou même un billet d’un street-art est résolument numérique et global. 032/196 03(VP35)p18-37-estelle.indd 32 08/06/2018 15:31
“LE 13E ARRONDISSEMENT AUJOURD’HUI, C’EST UN PEU MONTPARNASSE DANS LES ANNÉES 20, LE LIEU DE L’AVANT-GARDE. GRÂCE AU STREET-ART, ON RÉINVENTE LA VOCATION ARTISTIQUE DE PARIS” « Ce qu’il faut, c’est soutenir les audaces et les à plus de 200 street-arteurs la possibilité mettre du bleu-blanc-rouge sur la Marianne partis pris. » Surtout quand le monde change. de peindre sur les murs de la vieille ville de qu’il s’apprête à réaliser. « Après Pétain, la Djerba. Ceux qui les ont accueillis chez eux France a oublié ses trois couleurs, le drapeau → « 100 % français et 100 % tunisien » sont toujours aussi fiers d’habiter la maison était sali. Même De Gaulle a dû utiliser la Né en 1974 à Tunis d’un père directeur des du poulpe, du chat ou de la danseuse. Et si croix de Lorraine. D’instinct, je savais qu’il Beaux-Arts et d’une mère spécialiste de c’était ça aujourd’hui, le rôle d’un galeriste : fallait se réapproprier le bleu-blanc-rouge. Delacroix, Mehdi Ben Cheikh revendique mettre l’œuvre d’art au bon endroit, au bon Ne pas le laisser aux autres. » Le lendemain, sa double nationalité franco-tunisienne moment. Que ce soit à Paris ou à Djerba, il reçoit en photo sur son smartphone la et n’a pas de problème avec son identité ! dans la rue ou… dans le bureau du Président proposition d’une Marianne bleu-blanc- Il est fier de son histoire, celle du petit- de la République. rouge. Depuis, la fresque est visible au fils d’un résistant français par sa mère 147 boulevard Vincent Auriol et a servi à des et d’un militant de la décolonisation par → Un tableau pour l’Histoire milliers de selfies. son père, et se sent « 100 % français et Quelques jours après les attentats du La version tableau est accrochée en évidence 100 % tunisien ». Autrement dit « 200 % Bataclan, Shepard Fairey, alias Obey, est à dans le bureau d’Emmanuel Macron. Quand les deux », comme le dit dans un sourire Paris. L’artiste s’est fait connaître grâce au on demande à Mehdi comment il a réussi à son ami Adel Fekih, l’ancien ambassadeur portrait de campagne de Barack Obama la faire entrer à l’Élysée, il reste laconique : de Tunisie en France. En 2014, après la intitulé Hope. Il est célèbre dans le monde « C’est là que ce tableau devait être. » Dans Révolution tunisienne, les deux hommes entier. Dans les rues, l’émotion est encore la rue ou ailleurs, avec lui le street-art a ont créé ensemble Djerbahood et ont offert palpable. Medhi Ben Cheikh lui propose de trouvé sa place. VIVRE PARIS 03(VP35)p18-37-estelle.indd 33 08/06/2018 15:31
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