Der Wanderer Hommage à Claudio Abbado - Mardi 7 novembre 2017 - 20h30 - Philharmonie ...
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Der Wanderer Hommage à Claudio Abbado Mardi 7 novembre 2017 – 20h30 salle des concerts – cité de la musique
Hommage à Claudio Abbado On se souviendra longtemps des dernières apparitions sur scène de Claudio Abbado. La ferveur du public était palpable, et les très longues secondes de silence qui suivaient les ultimes notes de ses concerts – qui tenaient autant de l’expérience musicale que du rituel – saisissantes. Son charme et son aura, qui lui auront permis de dompter avec la plus grande économie de paroles les plus prestigieux orchestres de la planète, étaient encore là tandis que la silhouette semblait toujours plus frêle. Sensible à la pédagogie et à la transmission, il a créé, ressuscité ou impulsé pas moins de sept orchestres, dont plusieurs ensembles de jeunes. Si, durant ses dernières années d’activité, Claudio Abbado s’était particulièrement concentré sur les œuvres de Mozart, Bruckner et Mahler, il aura été un acteur incontournable de la création contemporaine, jouant Ligeti (Atmosphères, Lontano, Ramifications, Concerto pour flûte et hautbois), Boulez (Notations), Stockhausen (Gruppen), Berio (Requies), Goubaïdoulina (Hommage à T. S. Eliot), Zimmermann (Omnia tempus habent), Carter (A Mirror on Which to Dwell), Feldman (Coptic Light), mais aussi Stroppa, Schnittke, Xenakis, Henze… Il a créé des œuvres de Manzoni (l’opéra Mort atomique en 1965), Kurtág (Samuel Beckett: What Is the Word), Pintscher (Herodiade-Fragmente) et Nono (Au grand soleil d’amour chargé, 1975), avec qui il entretenait une relation privilégiée. Avec les compositeurs de la génération de 1925, Wolfgang Rihm est sans doute celui que le chef italien a le plus souvent interprété : il ressentait un attachement particulier à son endroit, louant l’homme intelligent et cultivé, s’intéressant à sa musique dès les années 1980. Il assure la première de Départ en 1988. Suivront trois autres créations : Bildlos/Weglos (1991), son instrumentation de Der Wanderer de Schubert (1997) et In doppelter Tiefe (1999). Claudio Abbado a essaimé la musique du compositeur allemand dans le monde entier, assurant la première américaine de Dämmerung avec le Chicago Symphony Orchestra ou exécutant In-Schrift aux Proms de Londres. Et il n’est pas anodin que pour son premier concert en tant que directeur musical des Berliner Philharmoniker (16 décembre 1989), il ait désiré mettre une œuvre de Rihm (Erinnerung) au programme. Hölderlin-Fragmente, Erster Doppelgesang et Zweiter Doppelgesang figuraient aussi à son répertoire. 2
Claudio Abbado est resté treize ans à la tête des Berliner Philharmoniker. À son arrivée, il avait fait part de deux souhaits : jouer davantage de musique française et d’œuvres contemporaines. Ce dernier objectif a été pleinement réalisé. Pour rendre hommage à son engagement dans ce domaine, l’Académie de l’orchestre berlinois a créé en 2006 le prix de composition Claudio-Abbado. En 2016, elle l’a décerné au Slovène Vito Žuraj, un disciple de Wolfgang Rihm, qui a en même temps reçu commande d’Alavò, que l’on entend ce soir. Une partition inspirée de la vie de Claudio Abbado, un artiste qui se sera engagé, comme peu d’autres de sa stature et de son charisme, en faveur des créateurs de son temps. Bertrand Boissard 3
PROGRAMME Wolfgang Rihm Chiffre II ‘Silence to Be Beaten’ Mnemosyne Robert Schumann Quintette pour piano et cordes entracte Vito Žuraj Alavò Karajan-Akademie der Berliner Philharmoniker Stanley Dodds, direction Rinnat Moriah, soprano Jean-Frédéric Neuburger, piano FIN DU CONCERT VERS 22H30. Retrouvez le livret en page 24. Ce concert est enregistré par France Musique.
LES œuvres Wolfgang Rihm (1952) Chiffre II ‘Silence to Be Beaten’ Composition : 1983, pour le London Sinfonietta. Création : le 30 novembre 1983, à Londres, par le London Sinfonietta, sous la direction d’Anthony Pay. Effectif : flûte, hautbois, clarinette, basson – cor, trompette, trombone – percussion – piano – violon I, violon II, alto, violoncelle, contrebasse. Durée : environ 14 minutes. Mnemosyne Composition : 2006-2009. Création : le 20 mai 2009, au Kammermusiksaal, par Anna Prohaska (soprano) et des membres de l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Publication : Universal Edition. Effectif : soprano solo – flûte, hautbois, clarinette en la – cor – percussion – harpe – 2 violons, 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse. Durée : environ 8 minutes. Vingt-six années séparent Chiffre II de Mnémosyne. Les deux pièces brossent un émouvant portrait en clair-obscur de l’œuvre de Wolfgang Rihm, mêlant étroitement les sensations de contraste et d’unité, d’évolution et de continuité. Chez Rihm, chaque œuvre n’est souvent qu’une étape, moment donné impossible à revivre mais vers lequel il est souvent bon de se retourner afin d’y découvrir des choses toujours actuelles. « La pièce qui naît est la recherche articulée de cette pièce, expliquait ainsi le compositeur. J’ai toujours été fasciné par l’idée qu’une œuvre, surtout musicale, qui se déploie dans le temps, qui résulte du temps, représente également le chemin qu’on parcourt pour la trouver. L’œuvre non seule- ment comme résultat final mais comme chemin vers sa genèse – voilà ce qui m’a toujours ému. » 6
Chacune à sa façon, Chiffre II et Mnemosyne racontent leur genèse pour s’inscrire dans un parcours logique ; la première participe ainsi à un cycle conçu sur quatre ans, de 1982 à 1985, initialement conçu comme « une suite de signes résonnants, la plupart du temps aux contours aigus, comme des hiéroglyphes, des caractères cunéiformes, des signes étrangers mais justement des signes dans le son ». Le terme de « chiffre » renvoie donc au signe plutôt qu’à une conception numérique qui accom- pagne la musique depuis les spéculations pythagoriciennes. Mais plus remarquable est la façon dont Chiffre II s’est introduit dans l’ensemble, par l’emploi commun du piano, de sorte que l’intégration dans le cycle a été à la fois inattendue et naturelle. Dans le cas de Mnemosyne, nul cycle mais des retrouvailles avec Hölderlin, comptant parmi les poètes les plus souvent mis en musique par Rihm au côté de Nietzsche et de Goethe. Et c’est là-même la reprise d’un poème déjà emprunté par Rihm en 2006 dans une pièce pour voix et clarinette sous le titre de Zu singen, cette fois-ci pour un hommage à Claudio Abbado, à l’occasion de son soixante-quinzième anniver- saire. « L’évolution de ma façon d’envisager ce que j’ai créé, explique le compositeur à Josef Häusler, est toujours prétexte chez moi à produire du nouveau. Cela peut prendre la forme d’une nouvelle pièce, qui sera une critique du morceau avec lequel elle entretient un rapport latent ; mais cela peut aussi être une intervention directe sur le morceau en question, une insertion, le remplacement d’un passage par un autre, une coupure, une réorganisation, etc. » Il en résulte des partitions évolutives, aux formes multiples, ici pour ensemble ou grand orchestre, là avec clarinette ou ensemble instru- mental. Et Mnemosyne de se rappeler à notre bon souvenir comme à celui du poète qui n’a cessé de se réfugier auprès de la muse tout en revendiquant la possibilité d’asseoir son art sur la tradition jusqu’à prendre exemple sur les Antiques. Un travail sur la mémoire ; quoi de mieux pour un hommage à un immense chef qui a tant œuvré pour la musique contemporaine, et a lui aussi exprimé son admiration pour Wolfgang Rihm ? 7
À vingt-six ans d’intervalle, les deux pièces sonnent bien sûr de manières très différentes. Mnemosyne, selon sa créatrice Anna Prohaska, est une « œuvre de cristal aussi subtile qu’émotionnelle, à la temporalité si régulière que ses mesures paraissent s’estomper comme les rayons du soleil en reflets dans l’eau ». Loin des aspérités de Chiffre II, renvoyant plutôt à la musique de Varèse et à Arcana par son indication réclamant une « battue invisible ». Au cœur de la partition, il est en effet une section où l’on retrouve ce « silence à battre » énigmatique, qui laissera le temps se figer dans un inquiétant hurlement de timbales. Ainsi, il semble que la trajectoire de Rihm relève d’une quête de clarté, dessinant opus après opus une longue ligne vers la simplification et la transparence. Une façon pour l’œuvre « de changer elle aussi quotidiennement ». François-Gildas Tual Robert Schumann (1810-1856) Quintette pour piano et cordes en mi bémol majeur op. 44 I. Allegro brillante II. In modo d’una marcia. Un poco largamente III. Scherzo. Molto vivace IV. Allegro ma non troppo Composition : septembre-octobre 1842. Dédicace : à Clara Schumann, née Wieck. Création : privée, le 6 décembre 1842, chez les Voigt, à Leipzig, avec Felix Mendelssohn au piano ; publique, le 8 janvier 1843, au Gewandhaus de Leipzig, avec le Quatuor David et Clara Wieck-Schumann au piano. Première publication : Breitkopf & Härtel, Leipzig, 1843. Effectif : piano – violon I, violon II, alto, violoncelle. Durée : environ 30 minutes. Le Quintette op. 44 fait suite aux trois Quatuors op. 41 avec lesquels Schumann se confronte pour la première fois au genre de la musique de chambre, cette « musique encore plus musique » qu’il place si haut. Si le piano était absent des premières pages composées en 1842, son 8
intégration dans le corpus chambriste avec le Quintette montre, s’il en était besoin, l’importance pour Schumann de l’instrument (toutes les œuvres suivantes y feront appel), à la fois double du compositeur et voix de la bien-aimée Clara, à qui l’opus est dédié et qui en sera une interprète infatigable. Partition ample dans ses proportions, riche d’une écriture instrumentale alliant rigueur et fantaisie, et surtout souveraine par la qualité de son inspiration, elle se pose comme modèle pour les généra- tions suivantes, et, chacun à leur manière, les quintettes de Brahms, de Franck, de Fauré ou de Dvořák en sont tributaires. Le premier mouvement fait preuve d’un art consommé, notamment dans les métamorphoses (dès l’exposition) du célèbre premier thème, dont le profil disjoint et impérieux se pare bientôt d’inflexions caressantes et rêveuses, mais aussi dans la richesse des degrés et des tonalités parcou- rus. De mi bémol majeur pour cette forme sonate initiale à ut mineur pour la marche funèbre qui suit : souvenirs de Beethoven (Symphonie « Eroica ») et de Schubert (Trio D. 929) ; texture trouée et tessitures graves dessinent une rhétorique de la déploration ô combien expressive, entrecoupée de deux trios, le premier en ut majeur bercé de rythmes flous, le second agitato, directement issu du thème principal, aux accents épiques. Un scherzo (à nouveau de forme rondo avec deux trios, l’un en sol bémol majeur, l’autre en la bémol mineur) plein d’une énergie un peu bruyante mène à un finale époustouflant, qui se joue des formes tradi- tionnelles (forme sonate et forme rondo) et qui culmine sur une double fugue combinant le thème du premier mouvement et celui de ce dernier Allegro : musique à la fois ultra-savante et pleine d’une superbe énergie. Angèle Leroy 9
LE SAVIEZ-VOUS ? Le quintette pour piano et cordes Cette formation constituée d’un piano et d’un quatuor à cordes apparut dans la seconde moitié du xviiie siècle. Au départ, elle fut beaucoup utilisée pour des transcriptions de concertos pour piano : en réduisant l’orchestre aux quatre instruments à cordes, on permettait aux œuvres d’être jouées en famille, dans des salons mondains ou dans des petites salles de concert (une pratique encore en usage au xixe siècle, dont bénéficièrent par exemple les concertos de Chopin). Dans de nombreux quintettes romantiques, le piano possède d’ailleurs un rôle de soliste, dialoguant et s’opposant au groupe des cordes. Dès les années 1770, des musiciens composèrent des quintettes entière- ment « originaux » (ce n’était pas des transcriptions). La plupart du temps, la partie de piano restait simple pour être accessible aux amateurs. Si les douze Quintettes op. 56 et op. 57 (1797 et 1799) de Boccherini attestent des ambitions supérieures, il faut attendre l’Opus 44 de Schumann (1842) pour que le genre gagne réellement ses lettres de noblesse. De fait, il se développe surtout dans la seconde moitié du xixe siècle. Les œuvres deviennent plus nombreuses ; l’écriture s’enrichit et se diversifie ; les instruments sont traités à égalité, parfois dotés de traits virtuoses. Parmi les grands quintettes de cette époque, on compte Saint-Saëns (1855), Brahms (1862), Dvořák (1872) ou encore Franck (1879). Bien que cet effectif continue d’inspirer certains compositeurs des xxe et xxie siècles (Chostakovitch, Thomas Adès), il reste avant tout associé au postroman- tisme d’esthétique germanique. Hélène Cao 10
Vito Žuraj (1979) Alavò, cycle de lieder sur quatre ordres de rêve I. A la vo’ II. Allein. Leer III. Qui si racconta IV. Eine Stunde habe ich nicht V. Qui si racconta, Signori VI. Solange ich VII. A la vo’ VIII. Come hai passato la notte? IX. weißt du X. Voi, Signora XI. reue XII. Siete da sposare? XIII. A la vo’ XIV. die glocken fingen so stark an zu läuten XV. Dummheit regiert die Welt Composition : 2016-2017, sur un texte de Patrick Hahn (né en 1980), à partir de berceuses siciliennes et de motifs empruntés au conte sicilien Caterina la Sage, tel que l’a raconté la conteuse Agatuzza Messía. Effectif : soprano solo – piano – ensemble. Durée : environ 35 minutes. Alavò est un mot que l’on rencontre dans divers textes de berceuses siciliennes et qui veut dire « Fais dodo ». L’œuvre de Vito Žuraj portant ce titre est une musique féerique écrite en hommage à Claudio Abbado, dont la mère était originaire de Palerme, en Sicile, et auteur de livres d’enfants. Les contes de fées étaient donc son quotidien. Et c’est en Sicile que se situe le monde de contes de fées dans lequel s’est transporté l’auteur du texte d’Alavò, Patrick Hahn : Catherine la Sage, des Contes populaires italiens d’Agatuzza Messía, et La Sapia, du recueil de contes Pentamerone, vieux de plus de trois siècles, de Giambattista Basile, sont tous les deux des variations de l’histoire d’une jeune fille qui séduit le prince de Palerme par son intelligence et sa beauté, et fait avec lui un cheminement singulier. Dans le texte d’Alavò, le nom de Sapia est mêlé à 11
l’intrigue de Catherine la Sage, et le conte est transporté dans un monde onirique. En état d’éveil, Sapia pleure sa mère décédée. En rêve, elle épouse le prince Carluccio et chemine avec lui. Dans un « rêve dans le rêve », elle est enfermée dans un cachot, et ses pensées se décomposent petit à petit. Elle trouve finalement l’apaisement au fond de son incons- cient, où résonne la voix de sa mère qui lui chante comme par magie une berceuse. Un tendre adieu, de plus en plus doux, qui débouche sur un long silence. Aucun interprète ne savait mieux apprécier le silence que Claudio Abbado. Des parties essentielles d’Alavò ont vu le jour durant l’été 2017 en Italie : en juillet, dans la Villa Massimo de Rome, siège de l’Académie allemande, et en août, dans la Villa Orfeo de Positano, où se trouve la fondation Wilhelm-Kempff. Les merveilleux parcs de ces deux institutions, le charme de la Ville Éternelle et les paysages époustouflants de la côte amalfitaine ont donné à la nouvelle œuvre un peu de la magie de l’Italie. Le travail du librettiste sur Alavò « Qui a confiance dans la culture peut penser l’avenir », disait le chef d’orchestre Claudio Abbado. Rares sont ceux à avoir autant que lui fait confiance à la puissance de cohésion sociale de la musique, de la littérature et des beaux-arts. Et pratiquement aucun interprète du xxe siècle n’a en même temps autant pensé l’avenir que lui. Son action et son œuvre ne se réduisent pas aux concerts qu’il a dirigés et aux disques qu’il a enregistrés. Elles se manifestent également dans les nombreuses compositions qu’il a initiées, les festivals qu’il a créés, et une conception qu’il a transmise à des générations de musiciens dans les multiples orchestres qu’il a fondés et qui continuent d’exister. « Quand on fait de la musique ensemble, il est bien plus important de savoir écouter que de savoir jouer » était l’une de ses idées maîtresses qu’il ne se lassait pas de répéter. « Cela ne vaut pas uniquement pour la musique mais aussi pour la vie », ajoutait-il. La commande, en avril 2016, d’une œuvre au lauréat du prix de composi- tion Claudio-Abbado, Vito Žuraj, qui m’a chargé du texte, a coïncidé avec le transfert des archives du chef italien à Berlin et une grande exposition, 12
ce qui offrait non seulement la possibilité, mais pour ainsi dire l’obligation d’inclure dans la conception de la partition une réflexion sur la pensée d’Abbado et sur sa personnalité. À l’époque où il était directeur musical des Berliner Philharmoniker, il a sans cesse cherché à fluidifier les frontières entre musique et littérature en prenant des œuvres littéraires ou des projets de metteurs en scène comme point de départ de « voyages » musicaux. Lui qui adorait la litté- rature, il a évoqué avec force la manière dont la lecture peut contribuer à former la pensée : « Lorsqu’on aime la littérature, on se crée sans cesse de nouveaux mondes intérieurs dans lesquels on peut entreprendre de longs voyages. J’ai fait mes premiers voyages de ce genre dès l’enfance. Je crois que pour chacun d’entre nous naît en parallèle à la vie réelle un récit de rencontres avec des personnages fictifs peuplant des situa- tions imaginaires. Ils deviennent aussi familiers que certaines personnes que l’on rencontre dans la vie et vous suivent dans votre parcours. La littérature me forme et forme ma pensée musicale pour le meilleur, elle m’encourage à faire de nouvelles expériences. » Dans mon travail avec Vito Žuraj, j’ai souhaité commencer par chercher dans la biographie et les lectures d’Abbado des éléments sur lesquels m’appuyer afin de créer une œuvre qui se donne pour mission utopique « d’écouter l’autre ». Le compositeur Luigi Nono, qui fut longtemps un compagnon de route d’Abbado, a décrit ainsi la difficulté de « rencon- trer l’autre » : « Au lieu d’écouter les autres, on espère se réentendre soi-même, […] on adore entendre sans cesse la même chose avec ces petites différences qui permettent de faire la preuve de sa propre intelligence. » Ce qu’exige Nono – « sensibiliser l’ouïe, la vue, la pensée, l’intelligence » – semble plus important que jamais à notre époque où la vie collective en liberté est menacée par la méfiance, la peur et la suspicion. Permettre la rencontre avec l’autre est devenu une mission utopique. Le mot sicilien « alavò » recèle l’expression d’une forme très particu- lière de sensibilité attentive et vigilante (et c’est là que je trouve un premier élément sur lequel m’appuyer). Cette expression provient de la culture dont Abbado s’est nourri dès le berceau et qui a marqué 13
son enfance. Il ne sera cependant pas question de sommeil dans l’œuvre mais de cette forme supérieure de l’attention propre à l’état de celui qui rêve. Alavò va être le point de départ d’un voyage qui mène au présent depuis des sources populaires musicales et littéraires. L’œuvre établit un dialogue délibéré avec la tradition, qui a toujours été un important point de repère pour Abbado, mais doit être reliée à la modernité contemporaine selon lui : « Ce qui est connu est souvent trop connu ; la tradition tourne à vide lorsqu’elle n’est pas reliée à la modernité, lorsque les évolutions ne deviennent pas visibles. » Avec Vito Žuraj, nous pouvons nous appuyer dans Alavò sur le succès de nos projets musico-littéraires communs Schub’rdy G’rdy et La Femme 100 têtes, dans lesquels l’invention de la forme et le façonnement du contenu ont été menés de front. C’est également au sens propre que cette partition va être un « voyage », de par sa conception spatiale : la soprano se déplacera entre différentes « îles sonores ». Alavò cherche ainsi délibérément une nouvelle défini- tion de l’espace du concert, d’autres hiérarchies de l’écoute passive et active, de l’interaction et de la rencontre entre l’auditeur et l’interprète. Abbado requérait pour les œuvres traditionnelles ce qui est accepté sans contradiction pour les partitions contemporaines, la participation active de l’auditeur, estimant : « Il n’y a pas loin entre la riche imagination du compositeur ou de l’interprète et la force créatrice de l’auditeur. » Patrick Hahn, Cologne, juillet 2016 Les citations de ce texte proviennent du livre d’entretiens de Frithjof Hager, Claudio Abbado. Die Anderen in der Stille hören [Entendre les autres dans le silence], illus- tré avec des photographies de Cordula Groth, Suhrkamp Verlag, Francfort, 2000. 14
LES COMPOSITEURS Wolfgang Rihm très diverses, écrits par Nietszche, Né en 1952 à Karlsruhe (Allemagne), Rimbaud ou Artaud, développant avec Wolfgang Rihm étudie la composition ces derniers de multiples correspon- dès ses années de lycée avec Eugen dances entre texte et son. Wolfgang Werner Welte. Très jeune, il rencontre Rihm a depuis écrit un corpus de plus Karlheinz Stockhausen à Cologne, de quatre cents œuvres mêlant œuvres ce dernier lui faisant la plus grande lyriques, symphoniques, concertantes, impression, et part finir ses études à quatuors à corde et œuvres pour piano, Fribourg, où il acquiert une connais- violon, violoncelle ou orgue solo. Ses sance encyclopédique du répertoire opéras sont devenus très célèbres en baroque, classique et moderne. Dès Allemagne, dont Die Hamletmaschine les années 1970, le compositeur (1986), Œdipus (1987), Die Eroberung amorce un changement esthétique von Mexico (1991), Das Gehege (2006), majeur dans la musique contemporaine Dionysos (2010). Il écrit également allemande, adoptant une vision plus plusieurs textes sur la musique, dont flexible de la structure et revenant à les fondamentaux ont été traduits en l’émotion, avec ses pièces Lichtzwang français et rassemblés sous le titre (1977) pour violon et orchestre et les Fixer la liberté : écrits sur la musique pièces symphoniques Morphonie (Décitre, 2013). En 1987, à l’occasion (1974), Dis-Kontur (1975) et Sub-Kontur de la création américaine de son (1976). Dans un célèbre manifeste de opéra Jakob Lenz, il déclare au New 1981, Pour une nouvelle simplicité, il York Times : « Je pense que la raison rejette d’ailleurs implicitement l’avant- pour laquelle ma musique n’est pas garde sérielle et plaide, avec d’autres si connue est liée à ma personnalité. compositeurs de sa génération, pour Comme je ne voyage pas beaucoup, que la musique renoue avec le lyrisme, ma personnalité est difficilement saisis- la mélodie et l’expressivité. La musique sable. » Depuis 1985, il enseigne la de Wolfgang Rihm est de ce fait nourrie composition à la Hochschule für Musik d’une constellation d’influences, allant de Karlsruhe. En 2006, il écrit Vigilia, des romantiques comme Beethoven, pour orgue, ensemble instrumental Schubert, Schumann et Brahms aux et six voix solistes à l’église Saint- contemporains tels que Feldman, Eustache de Paris, qu’il conçoit en Webern, Killmayer, Lachenmann et tenant compte de l’acoustique du Nono. Il puise également son inspi- lieu. Il vit aujourd’hui encore dans sa ration chez des artistes d’autres disci- ville natale, près des frontières suisse plines, dont l’artiste plasticien Kurt et française. Sa pièce Reminiszenz – Kocherscheidt, à des textes d’origines Triptychon und Sprunch, pour ténor et 15
grand orchestre, est créée en janvier une idylle passionnée, que le père de 2017 l’occasion de l’inauguration de la pianiste tente de contrarier par tous l’Elbphilharmonie de Hambourg. les moyens. Robert et Clara s’uniront finalement le 12 septembre 1839. Le Robert Schumann temps des œuvres pour piano cède Né en 1810 à Zwickau, le jeune alors la place à celui des lieder (L’Amour Schumann grandit au milieu des et la vie d’une femme, Dichterliebe…) ouvrages de la librairie de son père, de l’année 1840, puis à l’orchestre pour qui exerce aussi les activités d’éditeur, l’année 1841 (Symphonie no 1 créée de traducteur et d’écrivain. Bien vite, par Mendelssohn au Gewandhaus il écrit drames et poèmes, s’enthou- de Leipzig) et enfin à la musique siasme pour Goethe, Shakespeare, de chambre en 1842 (Quatuors à Byron et surtout Jean-Paul, son héros cordes op. 41, œuvres avec piano). en littérature. En parallèle, il découvre Schumann jouit dorénavant d’une la musique, s’adonne aux plaisirs de véritable considération ; en 1843, la l’« improvisation libre plusieurs heures création de son oratorio Le Paradis et par jour » et compose diverses œuvres la Péri est un succès. Il prend poste qui accusent un « manque de théorie, au tout nouveau Conservatoire de de technique ». À 18 ans, il part à Leipzig et refuse la direction de l’All- Leipzig étudier le droit, mais prend gemeine musikalische Zeitung qu’on conscience qu’il veut devenir musicien. vient de lui proposer. L’année 1844 Il esquisse ses premières véritables assombrit les horizons. Schumann, qui compositions et commence les leçons souffre depuis longtemps d’angoisses de piano avec Friedrich Wieck, dont et d’insomnies, s’enfonce dans la la fille Clara, enfant prodige née dépression. Il abandonne sa revue, en 1819, est la meilleure vitrine. Un et le couple déménage à Dresde. problème à la main anéantira ses Des pages essentielles voient tout rêves de pianiste. L’année 1831 le de même le jour : le Concerto pour voit publier ses premières œuvres piano op. 54, la Symphonie no 2. La pour piano et signer sa première fin de la décennie, attristée par la critique musicale dans l’Allgemeine mort de leur premier fils et celle de musikalische Zeitung. Il prolonge cette Mendelssohn en 1847, marque un expérience avec la fondation, en 1834, regain d’énergie et d’inspiration : le de sa propre revue, la Neue Zeitschrift compositeur reprend son projet sur für Musik, qu’il dirigera presque dix Faust (achevé en 1853), commence ans et dans laquelle il fera paraître Manfred et trouve un nouveau langage, des articles essentiels sur Schubert, profondément personnel, dans ses Berlioz ou Chopin. Petit à petit, le compositions pour piano, pour voix jeune homme noue avec Clara Wieck et surtout pour petits ensembles. 16
L’installation à Düsseldorf, en 1850, où et à Lucerne. Vito Žuraj reçoit égale- Schumann prend ses fonctions en tant ment le prix de composition de la que Generalmusikdirektor, se fait sous Ville de Stuttgart et le prix Prešeren, de bons augures. Genoveva, l’opéra plus haute décoration accordée à un tant rêvé, est un échec, mais la création artiste en Slovénie. En 2014, il est de la Symphonie « Rhénane », en 1851, accueilli comme pensionnaire à la Villa panse la blessure. En 1853, la rencontre Massimo de Rome, à l’Académie des du jeune Brahms (il a alors 20 ans) arts de Berlin et au ZKM de Karlsruhe. prend des allures d’épiphanie : « Un Vito Žuraj étudie la composition avec génie », s’exclame-t-il. Cependant, Marko Mihevc à Lubiana avant de l’état mental du compositeur empire poursuivre sa formation après de gravement. Il se jette dans le Rhin en Lothar Voigtländer à Dresde et de février 1854 et est interné à sa propre Wolfgang Rihm à Karlsruhe. Il s’acquiert demande quelques jours plus tard. Il y une solide expérience en technologie passera les deux dernières années de et esthétique du son électronique sa vie et meurt le 29 juillet 1856. lors de son master d’informatique musicale avec Thomas A. Troge et au Vito Žuraj ZKM de Karlsruhe, expérience qu’il Des compositions puissantes à consolide auprès de l’Experimental- la facture méticuleuse, taillées sur studio de la SWR et de l’Ircam, et qui mesure pour leurs interprètes et lui sert aujourd’hui dans son travail de incluant souvent des éléments de compositeur comme de professeur. Il mise en scène et de spacialisation enseigne depuis 2015 la composition sonore, tel est le travail de Vito Žuraj. et la théorie musicale à l’Académie Les œuvres de ce jeune compositeur de musique de Lubiana et, parallè- né à Maribor (Slovénie) en 1979 ont lement, à Karlsruhe. Suite à sa parti- rapidement trouvé leur place dans les cipation à l’Académie internationale plus grandes salles de concert et les de l’Ensemble Modern (2009-2010), meilleurs festivals, interprétées notam- il débute avec ce groupe de solistes ment par le New York Philharmonic une collaboration étroite menant à la Orchestra, le BBC Scottish Symphony création notamment de Runaround Orchestra, l’Ensemble Modern et (2014), Übürall (2013), Restrung (2012) le RIAS Kammerchor. Au printemps et Warm-up (2012). Passionné par le 2016, Vito Žuraj se voit remettre le tennis, Vito Žuraj s’appuie sur l’expé- prix de composition Claudio-Abbado rience de certaines situations de jeu de l’Académie d’orchestre des Berliner pour composer une série toujours Philharmoniker. Ce prix est assorti de plus fournie d’ouvrages parmi lesquels la commande d’Alavó, pièce créée à Changeover, pour groupes instru- la Philharmonie de Berlin puis à Paris mentaux et orchestre symphonique, 17
créé en 2011 par l’Ensemble Modern orchestre à cordes de chambre, sur des et l’Orchestre Symphonique de la textes du poète slovène Aleš Šteger. Radio de Francfort sous la direc- En tant que compositeur en résidence tion de Johannes Kalitzke. Parmi les de l’Orchestre Philharmonique du temps forts de la dernière saison, Théâtre d’Erfurt, Vito Žuraj a écrit citons deux concerts à l’Elbphilhar- Drive, pour trio de percussions et monie de Hambourg : la création de groupes instrumentaux, dont la Stand up, commande de l’Orchestre création est programmée début 2018. Philharmonique de la NDR, ainsi Le Klangforum Wien, sous la direction qu’un concert-portrait donné par d’Emilio Pomárico, interprétera une l’Ensemble Modern avec le compo- nouvelle pièce pour ensemble lors des siteur à la baguette. On trouve des Wittener Tage für Neue Kammermusik enregistrements des œuvres de Vito avant de la reprendre en mai, à Žuraj chez divers labels, dont Neos. Vienne, sous la direction de Peter Un disque-portrait a récemment Rundel. Le Philharmonia Orchestra paru chez Wergo. La saison actuelle de Londres lui dédiera un concert en est l’occasion de plusieurs créations avril 2018 avec Aftertouch ainsi que mondiales, parmi lesquelles celle la première mondiale de la version d’Interfret, pour guitare solo. L’année anglaise d’Ubuquity. 2018 s’ouvrira avec la première de Buch der Körper, pour soprano et Les INterprètes Rinnat Moriah Mozart), Violetta (La Traviata, Verdi) L a jeune s o p r ano is r aélie nne ainsi que le rôle-titre du Rossignol de Rinnat Moriah fait ses débuts à la Stravinski. Au cours de ces dernières Scala de Milan, au Concertgebouw années, on a pu l’applaudir à la d’Amsterdam et aux BBC Proms de Staatsoper de Berlin, au Theater an Londres sous la baguette de Daniel der Wien de Vienne, à la Deutsche Barenboim. Son vaste répertoire, Oper de Berlin, à l’Opéra de Chicago réunissant les registres de soprano et au Théâtre national de Mannheim. lyrique et colorature, comprend En Italie, elle s’est produite au Festival Zerbinette (Ariane à Naxos, Strauss), Rossini, au Festival Pergolesi Spontini Adina (L’Élixir d’amour, Donizetti), La et au Cantiere Internazionale d’Arte Reine de la nuit (La Flûte enchantée, de Montepulciano en Zerbinette. Mozart), Suzanne (Les Noces de Figaro, Elle a également été l’invitée du 18
Festival d’Aix-en-Provence. Au cours 2011 Das kleine Latinum de Georg de ses études au Curtis Institute of Katzer, cycle de mélodies composé Music de Philadelphie (dont elle est pour elle et le Scharoun Ensemble, avec diplômée cum laude), elle a chanté lequel elle se produit régulièrement La Reine de la nuit avec le Fort Worth depuis. Parmi ses projets, citons ses Symphony, collaboré avec l’Opera débuts au Festival de Baden-Baden Company de Philadelphie dans Le et à l’Elbphilharmonie de Hambourg Viol de Lucrèce de Britten et incarné avec l’Ensemble Modern. Tout autant Héro (Béatrice et Bénédict, Berlioz) à à son aise dans le répertoire baroque, l’Opéra de Chicago. En concert, elle Rinnat Moriah a chanté la création a eu l’occasion de se produire avec allemande de Polifemo de Porpora, la Staatskapelle Berlin, l’Orchestre le rôle-titre de Didone abbandonata Philharmonique d’Essen, le Rundfunk de Vinci au Festival Haendel de Halle, Sinphonieorchester Berlin, l’Orchestre Iphigénie en Tauride de Traetta au à Cordes du Festival de Lucerne, Winter in Schwetzingen et enregistré l’Orchestre Philharmonique de le rôle de Salomena (Sardanapalus, Wroclaw, le New World Symphony de Boxberg). Cette année, la soprano Miami, l’Orchestre Symphonique de fera ses débuts avec l’Orchestre la Radio de Sarrebruck, le Kansas-City Philharmonique d’Israël en Suzanne Symphony et le Richmond Symphony. sous la baguette de Dan Ettinger. En récital, on a pu l’applaudir au Kennedy Center et à la Bibliothèque du Jean-Frédéric Neuburger Congrès de Washington, au Rolandseck Jean-Frédéric Neuburger s’impose Festival, à l’Académie américaine rapidement comme l’un des plus de Berlin et à Rome. Fer vente brillants musiciens de sa génération. interprète du répertoire moderne et Il découvre la musique à l’âge de 8 ans contemporain, Rinnat Moriah a chanté et reçoit alors une première éduca- la Lulu Suite de Berg à la Philharmonie tion musicale intense et variée en de Berlin sous la direction de Daniel piano, composition et orgue, avant Barenboim, a été doublure du rôle de de rejoindre le Conservatoire de Paris Morgan le Fay dans Gawain d’Harrison (CNSMDP), d’où il ressort muni de Birtwistle au Festival de Salzbourg et cinq premiers prix en 2005. Finaliste a interprété des œuvres de nombreux remarqué au Concours international compositeurs contemporains dont Long-Thibaud en 2004, il commence Elliott Carter, Sofia Goubaïdoulina, par se concentrer sur sa carrière de Dominick Argento, Luciano Berio et pianiste et devient rapidement un Jacob Druckman. Elle a enregistré interprète demandé et reconnu pour Postcard from Morocco de Dominick l’extrême variété de son répertoire, Argento (Albany Records) et créé en de Bach aux compositeurs du xxie 19
siècle. Il joue avec bon nombre des d’Anthéron ; en 2012 est donnée sa plus prestigieux orchestres au monde. Cantate profane sur deux poèmes Il travaille avec des chefs d’orchestre d’Aimé Césaire par le Chœur et tels que Lorin Maazel, Michael Tilson l’Orchestre Philharmonique de Radio Thomas, Jonathan Not t, Osmo France sous la direction de Pascal Vänskä, Ingo Metzmacher, Pascal Rophé ; en 2013, son quatuor Plein Rophé et Pierre Boulez, avec qui il a Ciel est créé en France puis donné collaboré étroitement sur la compo- au Japon. Il est publié aux éditions sition de la Sonate pour piano no 2. Durand. Ses nombreux disques ont En juin 2012, il donne la première été salués par la critique française et mondiale du concerto pour piano internationale. Le Live at Suntory Hall, Echo-Daimonon de Philippe Manoury, paru en 2008, a obtenu un « Choc » du avec l’Orchestre de Paris dirigé par Monde de la musique, et son enregis- Ingo Metzmacher. En octobre 2014, trement des concertos pour piano de il présente la première mondiale du Ferdinand Herold a reçu un « Choc » concerto pour piano de Philipp Maintz de Classica. Citons également son avec l’Orchestre Philharmonique de disque consacré à des œuvres de Ravel. Luxembourg (Festival Musica). Parmi Depuis 2009, Jean-Frédéric Neuburger les grandes dates à venir, citons deux est professeur au Conservatoire de concerts pour la saison d’ouverture Paris (CNSMDP), où il enseigne dans de la Philharmonie de Paris avec la classe d’accompagnement. l’Orchestre de Paris et Christoph von Dohnányi. En tant que chambriste, Stanley Dodds Jean-Frédéric Neuburger se produit Né au Canada en 1970, Stanley Dodds avec les plus brillants musiciens de débute l’étude du violon en Australie, sa génération – Renaud Capuçon, où il passe ses premières années. Il Bertrand Chamayou, Tatjana Vassiljeva, intègre en 1988 les classes de violon les Quatuors Modigliani et Ébène… En et de direction du Conservatoire janvier 2014, l’Auditorium du Louvre de Lucerne, et obtient un double lui a consacré, en tant qu’interprète diplôme de pratique et de pédagogie. et compositeur, une série de sept Il complète sa formation auprès de concerts. Vainqueur en 2010 du prix Rainer Sonne, à l’Académie d’orchestre Nadia et Lili Boulanger de l’Aca- des Berliner Philharmoniker, avant démie des beaux-arts, Jean-Frédéric d’intégrer en 1994 le pupitre des Neuburger reçoit régulièrement des seconds violons de l’orchestre. commandes de la part de festivals et Violoniste remarquable aux multiples d’institutions musicales : en 2010, il talents, il s’est produit en musique crée sa Sinfonia pour deux pianos et de chambre au sein du Breuninger- percussions au Festival de La Roque Quartett et des Philharmonischen 20
Stradivari-Solisten. Parmi les person- débuteront ou poursuivront leur nalités ayant marqué son parcours période d’essai au sein du fameux de chef, citons en premier lieu Jorma orchestre berlinois. Après une rude Panula, dont il a suivi de nombreux sélection, de jeunes instrumentistes enseignements, Claudio Abbado extrêmement talentueux suivent et Sir Simon Rattle. Son répertoire ce cycle de deux ans avant de se englobe des ouvrages symphoniques présenter au concours d’entrée de des xixe et xxe siècles ainsi que des l’orchestre, où ils seront confrontés à pièces contemporaines. Depuis 2002, des musiciens venus du monde entier. Stanley Dodds assure la direction Ils auront alors toutes leurs chances, musicale du Sibelius Orchester de ayant intégré le son et le style de Berlin. De 2006 à 2014, il a été direc- jeu des Philharmoniker, capables de teur musical du Sinfonie Orchester porter dans la continuité les valeurs de Schöneberg et a pris, en 2012, la l’ensemble, défenseurs de sa tradition direction de l’Orchestre des Jeunes et bâtisseurs d’avenir. Les diplômés de de Mecklenburg-Vorpommern. En l’Académie Karajan – autour de trente tant que chef invité, Stanley Dodds a au total – pèsent de manière décisive notamment eu l’occasion de diriger sur l’évolution générationnelle de le Sinfonie Orchester Berlin, le l’orchestre. Portés par une vision large Melbourne Symphony Orchestra et et généreuse, les fondateurs de l’Aca- le Scharoun Ensemble. Soutenu par la démie n’ont pas voulu limiter la forma- Fondation des Berliner Philharmoniker, tion de ces jeunes musiciens au seul il a dirigé en janvier 2013 un concert cadre des Berliner Philharmoniker et jeune public sur l’Histoire du soldat l’ont orientée vers d’autres orchestres de Stravinski ainsi qu’un concert de symphoniques majeurs, considérant l’Académie d’orchestre fin mars 2014 que leur soutien favorisait « le charisme avec des pièces de Britten, Schönberg et le pouvoir d’attraction de Berlin en et Adams. tant que centre musical ». De ce fait, l’Académie favorise le partage d’un Karajan-Akademie concept orchestral et d’une sonorité der Berliner Philharmoniker partout appréciés. Nombreux sont D e p uis mai 2017, l’Ac a d é mie ses diplômés à avoir intégré par la d’orchestre des Berliner Philharmoniker suite de grands orchestres internatio- a pris le nom d’Académie Karajan. naux. Que ce soit en répétition et en Selon la vision chère à Herbert von concert, au plus près des membres Karajan, près d’un étudiant intègre du Philharmoniker, en cours particu- chaque année les Philharmoniker. Au lier avec les chefs de pupitre et lors cours de la saison 2017-2018, deux d’ambitieux concerts de musique de diplômés de l’Académie Karajan chambre organisés par l’Académie 21
Karajan, ces jeunes musiciens se voient Violons proposer chaque jour de nouveaux Ohad Cohen défis. À la fin de cette formation, Ho-Hsuan Feng de nouvelles auditions permettent Hye Jin Kim d’obtenir un poste permanent à Olivier Robin l’orchestre. L’activité profession- nelle intense qu’ils ont connue à la Altos Philharmonie constitue la meilleure Karolina Errera préparation à ces auditions, décisives Kei Tojo pour leur carrière musicale. Durant cette période, les jeunes musiciens Violoncelles profitent de la sécurité de l’Académie Jakob Stepp et des conseils avisés de leurs profes- François Thirault seurs. Ceci est rendu possible grâce au soutien de l’association à but non Contrebasse lucratif qui porte l’Académie Karajan, Pablo Santa Cruz avec la contribution exclusive d’entre- prises, de fondations et de particuliers Flûte soucieux de maintenir l’excellence Zofia Neugebauer musicale. Ce soutien est indissociable d’une obligation envers le futur des Hautbois jeunes musiciens. Herbert von Karajan, Bunkichi Arakawa Claudio Abbado et Sir Simon Rattle ont pensé ce modèle, rejoints par de Clarinettes nouveaux membres à l’engagement Leandra Brehm exemplaire. Les concerts offrent au Julius Engelbach public une impression d’ensemble des Daniel Kurz élèves de l’Académie. En plus de leur série de musique de chambre, ceux-ci Basson se produisent également en soliste lors Javier Biosca Bas de concerts « carte blanche » organisés chaque mois à la Kammermusiksaal, Cor dans un programme choisi par le Cristiana Neves Brandao Custódio soliste. Trompettes Manuel Mischel Samuel Walter 22
Trombone Wojtek Jelinski Tuba Nora Held Percussions Vincent Vogel Leonard Weiss Piano, célesta Nikolaus Resa Harpe Manuela Colella 23
livret Vito Žuraj Alavò Texte de Patrick Hahn I. A la vo’ A la vo’, A la vo’, figghia mia, figghia d’amari, Ma fille, ma fille chérie, La naca ti cunzai supra lu mari. J’ai fait ton lit sur la mer, Vo’ e fa la vo’… Doucement balance, doucement berce… II. Allein. Leer Allein. Leer Seul. Vide Abgetrennt Séparé Verlassen Abandonné Ohnmächtig Impuissant Eingeschlossen Enfermé im Haus wie dans la maison comme eine Katze die un chat qui ihre Nasenspitze ne veut nicht heraus- pas pointer strecken will le bout de son nez ich am Fenster moi à la fenêtre wie in Essig comme confit eingelegt. dans du vinaigre.
Seit sie tot ist… Depuis qu’elle est morte… Seit sie tot ist. Depuis qu’elle est morte… Meine Tränen Mes larmes fließen wie das Blut coulent comme le sang einer Frisch d’un pampre geschnittenen Rebe fraîchement coupé der Saft schmeckt bitter le jus est amer ich am Fenster moi à la fenêtre die Flüssigkeit brennt. le liquide brûle. Seit sie tot ist… Depuis qu’elle est morte… Seit sie tot ist, Depuis qu’elle est morte, die Mutter. la mère. Alles Leben Toute vie ausgewischt, effacée, verloren, perdue, Oleibig… desséchée… III. Qui si racconta Qui si racconta, Signori, che c’era una volta, Ici l’on raconte, Messieurs, qu’il était une fois una figlia, ein Mädchen, das war so schlau, une fille, une fille qui était si intelligente dass beim Denken aus ihren Haarspitzen Funken que lorsqu’elle pensait des étincelles fusaient [schlugen. [de ses cheveux. … …
… … Ihr Verstand war so scharf, son esprit était si affuté dass man damit Tomaten schneiden konnte. qu’on aurait pu couper des tomates avec. Qui si racconta, Signori, Ici l’on raconte, Messieurs, che questa figlia, dieses Mädchen hatte ein Haus, que cette fille, cette fille avait une maison in das alle kommen durften dans laquelle pouvaient entrer die ihrem Oberstübchen ein Licht tous ceux qui voulaient allumer une bougie [aufstecken wollten, [dans leur ciboulot, um ihren schweren Gedanken Flügel zu geben, pour donner des ailes à leurs lourdes pensées, ihre Denkgrotten zu erhellen, pour éclairer la grotte de leur esprit, eine Karaffe Wissens zu schlürfen, pour siroter une carafe de savoir, und schwere Denkübungen in eine Caprese et transformer de difficiles raisonnements [zu verwandeln. [en une Caprese. Qui si racconta, Signori, Ici l’on raconte, Messieurs, dass dieses Mädchen keinen Unterschied machte, que cette fille ne faisait aucune différence wer zu ihr kommt, entre ceux qui venaient à elle, ob arm oder reich, pauvre ou riche, chi primo viene, primo macina il grano. celui qui arrive le premier, c’est lui qui moud Nur diese Währung zählt [le grain. für die kluge Sapia, cette seule monnaie a cours die so schlau war, wie sie schön: pour Sapia la sage, wer faul ist oder träge, aussi intelligente que belle : der bekommt ihre zarte Hand hart zu fühlen. qui est paresseux ou indolent sentira sur sa joue la marque de sa tendre main.
E verò, Signori, Il est vrai, Messieurs, es ist wahr, dass sie keine Unterschiede machte, il est vrai, qu’elle ne faisait aucune différence, denn als der Königssohn Carluccio car lorsque Carluccio, le fils du Roi, in ihren Unterricht kam vint suivre son enseignement und ihr auf ihre Frage keine Antwort gab, et, au lieu de répondre à sa question, sondern ihr ein Kompliment machte, lui adressa un compliment, da langte sie ihm eine, dass seine Wange brannte elle lui en colla une si forte, que ses joues brûlèrent [wie Feuer. [comme du feu. Qui si racconta, Signori, Ici l’on raconte, Messieurs, so wie sie schlau war, so war sie schön. qu’elle était aussi intelligente que belle, So wie sie schön war, so war sie streng. aussi belle que sévère. IV. Eine Stunde habe ich nicht Eine Stunde habe ich nicht Pendant une heure in die Welt mehr geschaut. je n’ai plus regardé le monde. Stumm starrt sie mich daraus an. Aussi me fixe-t-il, muet. Lichtinseln blenden, Des îles de lumières aveuglent, die schwarze Gischt braust, L’écume noire bouillonne, Möwen kreischen am Mückenbüffett. des mouettes crient au festin de moustiques. Eingeschlossen die Träume Enfermés, les rêves, im Meer des Vergessens. dans la mer de l’oubli. … …
… … V. Qui si racconta, Signori Qui si racconta, Signori, Ici l’on raconte, Messieurs, dass der Königssohn Carluccio que le fils du Roi, Carluccio, nach dieser krachenden Ohrfeige après cette gifle retentissante den Wunsch verspürte, Sapia zu heiraten exprima le vœu d’épouser Sapia. “Mi voglio sposare! Voglio in Moglie Sapia la « Je veux me marier ! Je veux prendre pour femme Sapiente!” Sapia la Sage ! » Allein mit seiner Braut sagt er in der Hochzeitsnacht Seul avec son épouse, la nuit des noces, il lui dit : zu ihr: “Sapia, ti ricordi di quel manrovescio che m’hai « Sapia, te souviens-tu de cette gifle dato? Ti sei pentita? Que tu m’as donnée ? Tu la regrettes ? – Pentita? Se volete, ve ne do un altro! – La regretter ? Si vous voulez, je vous en donne une – Come? Non sei pentita? autre ! – Manco per sogno. – Comment ? Tu ne te repens pas ? E non ti vuoi pentire? – Pas même en rêve. Eh chi ci pensa? – Et tu ne veux pas te repentir ? Ah, così? Ora ti faccio vedere io.” – Je n’y pense même pas. – Ah ! c’est ainsi ? Je vais te montrer, moi… » Qui si racconta, Signori, Ici l’on raconte, Messieurs, dass er ein Seil zurechtlegt, um sie durch die Falltür qu’il tendit une corde pour la faire tomber ins Kellerverlies herabzulassen. par la trappe dans les oubliettes.
Vous pouvez aussi lire