Des femmes immigrées s'organisent Immigrant women organize Las mujeres inmigrantes se organizan - Érudit

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International Review of Community Development
Revue internationale d’action communautaire

Des femmes immigrées s’organisent
Immigrant women organize
Las mujeres inmigrantes se organizan
J.-P. Fragnière and K. Ley

La recherche-action : enjeux et pratiques                                        Article abstract
Number 5 (45), Spring 1981                                                       A sociologist undertook a research-action project with immigrant women in
                                                                                 German-speaking Switzerland. The interview presented here mentions the
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1034879ar                                    institutional obstacles that have to overcome in such a project as well as the
DOI: https://doi.org/10.7202/1034879ar                                           problems that exist between a researcher and women immigrants. The project
                                                                                 calls for an integrated policy of assistance for immigrant women, the creation
                                                                                 of a consultation center as well as an adult education programme specifically
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Publisher(s)
Lien social et Politiques

ISSN
0707-9699 (print)
2369-6400 (digital)

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Fragnière, J.-P. & Ley, K. (1981). Des femmes immigrées s’organisent.
International Review of Community Development / Revue internationale d’action
communautaire, (5), 74–78. https://doi.org/10.7202/1034879ar

Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 1981                          This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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Des femmes immigrées s'organisent
J.-P. Fragnière, K. Ley

     Cet article présente le contexte et les principaux          En février 1975, se tient à Zurich (Suisse) un
résultats d'une des rares recherches-action conduites        Congrès sur la situation des femmes immigrées. Les
en Suisse alémanique : collaboration entre des fem-          participantes publient un document intitulé « Mani-
mes immigrées et une sociologue de l'Institut de socio-      feste des femmes immigrées » auquel la presse fait
logie de Zurich visant à analyser et à transformer la        écho. Peu de temps après, elles s'adressent à l'Insti-
vie des femmes dans l'immigration en Suisse. La rela-        tut de sociologie de Zurich pour obtenir une assis-
tion de cette expérience originale nous semble avoir sa      tance scientifique et technique en vue de réaliser une
place dans le présent numéro de la RI AC; il nous            recherche dont l'objectif est d'éclairer leur situation,
parait en effet qu'elle invite à affronter une ensemble      les problèmes qu'elles vivent douloureusement et les
de questions essentielles pour comprendre les condi-         actions susceptibles d'y apporter quelques éléments
tions réelles de la mise en oeuvre d'une telle recherche.    de solution. Pendant plus de deux ans, Katharina
On peut se demander par exemple : quelles « négocia-         Ley s'engage alors dans cette étude. Elle répond ici
tions » ont suivi la demande d'assistance scientifique       aux questions de J.-P. Fragnière. (À la suite de cette
adressée par les femmes immigrées à l'Institut de so-        recherche, K. Ley a publié un ouvrage intitulé :
ciologie de Zurich ? Quelles facilités ou difficultés ont    Frauen in der Emigration, Verlag Huber, Frauenfeld
marqué les échanges « sur le terrain » entre chercheur       und Stuttgart, 1979).
et sujets sur les plans institutionnel, linguistique, cul-
turel, socio-politique, des « rythmes » de la science et
de l'action ? Comment le champ commun (aux cher-                                      *    *
cheurs et sujets) a-t-il été géré et en particulier son
articulation avec l'environnement (milieux universi-             Dans les milieux dits scientifiques, comme dans les
 taire, syndical, des hommes de l'immigration, etc.) ?       médias, la recherche que tu as conduite avec les fem-
En bref, quels ont été les équilibres souhaités et réelle-   mes immigrées et quelques collègues de Zurich a
ment atteints au cours de la démarche entre la recher-       constitué un petit événement. Il est vrai que le pro-
che et l'action ?                                            blème de l'immigration a été vécu en Suisse de ma-
                                                             nière particulièrement tendue et passionnelle au cours
                         Comité de rédaction suisse          de ces dix dernières années. Peux-tu d'abord nous rap-
                                                             peler quelques données essentielles sur la question de
                                                             l'immigration ?
                                                                 En Suisse, on peut caractériser ce phénomène
                                                             par plusieurs traits. Notons d'abord que l'immigra-

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tion de travailleurs en Suisse a une longue tradition      décision d'émigrer est une affaire d'hommes, ce qui
qui date des débuts de ce siècle. Pourtant, elle a         n'est pas sans conséquences sur la manière de vivre
connu de grands changements quantitatifs et quali-         la situation d'immigrée.
tatifs ; de plus en plus, elle concerne des travailleurs       Avant de venir en Suisse, la plupart des femmes
issus des régions les plus pauvres des pays du Sud de      n'exerçaient pas d'activité professionnelle ; dès
l'Europe. Le besoin en main-d'oeuvre étant difficile       qu'elles arrivent dans notre pays, la quasi totalité
à planifier, il importe que le potentiel d'immigrés        des célibataires et des femmes mariées sans enfants,
reste variable. Dans ces conditions, sous la pression      ainsi que 60 % des mères, travaillent le plus souvent
des nécessités économiques, le projet original de          dans l'industrie et les services (le textile, l'horlogerie,
« vite gagner pour rentrer chez soi » devient « exi-       les hôpitaux, l'hôtellerie, le commerce et le service
gence de se constituer lentement une base d'exis-          de maison). Ce sont en général des secteurs caracté-
tence ». Il en résulte un sentiment permanent d'insé-      risés par l'insécurité de l'emploi et le bas niveau des
curité aussi bien au sujet de la vie dans les pays         salaires. En outre, la plupart d'entre elles n'ont pas
d'immigration que du retour chez soi.                      de préparation pour l'exercice de leur activité, beau-
     Il est évident que, dans ce contexte général, la      coup n'ont pas terminé leur huit années d'école obli-
situation de la femme immigrée connaît des trans-          gatoire ; la moitié d'entre elles ont fréquenté l'école
formations spécifiques. Ainsi, la structure de sa vie      pendant moins de cinq ans.
quotidienne est profondément modifiée. Son exis-
tence est marquée par la parcellisation des activités,          La recherche met largement en évidence lefait que
le poids des déterminations externes et la prégnance        la proportion dimmigrées exerçant une activité pro-
de cette « double vie » que représentent les charges       fessionnelle est nettement supérieure à celle des Suis-
professionnelles et familiales.                             sesses et cela quelle que soit leur situation familiale ;
                                                            comment vivent-elles leur rapport au travail?
    Comment peux-tu caractériser les conditions dans             Lorsque l'on demande aux femmes immigrées si
lesquelles les femmes immigrées ont été confrontées à       elles éprouvent de la satisfaction dans leur activité
leur nouvelle situation ?                                   professionnelle, les deux tiers d'entre elles répon-
    Le choix d'émigrer est le plus souvent fondé sur        dent affirmativement ; en fait, elles se réfèrent moins
des espoirs. En changeant de milieu de vie, on ca-          à une satisfaction dans l'activité elle-même qu'au
resse plus ou moins consciemment le rêve de connaî-         fait de pouvoir quitter leur appartement, établir des
tre un mode de vie meilleur. La plupart des femmes          contacts et disposer d'un salaire. D'ailleurs, les deux
émigrées sont venues chez nous avec des attentes            tiers des femmes seraient prêtes à cesser leur activité
déterminées par les conditions d'existence qu'elles         si les conditions financières (en particulier) le per-
connaissaient dans leur pays d'origine. Mais ces at-        mettaient, c'est le cas, surtout, des mères de famille
tentes se sont heurtées aux réalités de la situation        qui ont la double tâche d'assumer leur travail pro-
d'immigrées, aux difficultés de la vie quotidienne, à       fessionnel et d'entretenir leur ménage. Celles qui
de multiples barrières et elles se sont transformées.       sont le plus attachées à leur profession sont les céli-
Ainsi, le fait central mis en évidence par notre re-        bataires, qualifiées, connaissant bien la langue alle-
cherche, c'est ce décalage entre l'existence et la cons-    mande et qui ont des possibilités de mobilité profes-
cience, cette distance entre la vie quotidienne des         sionnelle ascendantes ; ce sont elles aussi qui sont le
femmes immigrées et la lecture qu'elles en font.            moins sujettes aux maladies et aux crises.

    Qui sont ces femmes immigrées ?                            La proportion des mères de famille exerçant une
    En 1979, quelque 930 000 étrangers résident en         double activité est particulièrement importante. Com-
Suisse, dont 70 % sont originaires des pays méditer-       ment s'organise la distribution des rôles dans la fa-
ranéens et consituent l'immigration proprement             mille ?
dite. La proportion de femmes est de 46 %, un peu              L'immense majorité des maris acceptent que
plus de la moitié d'entre elles sont mariées et 56 %       leur épouse exerce une activité professionnelle ; la
résident en Suisse depuis plus de dix ans. Le plus         plupart d'entre eux sont prêts à « donner un coup de
souvent, elles ont suivi leur père ou leur mari ; la       main à la maison », il s'agit, en fait, essentiellement

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de services orientés vers l'extérieur tels que les          soient nombreux ceux qui la souhaitent, la rêvent ou
achats. Les mères font la vaisselle, la lessive et elles    la revendiquent. Les raisons de cet état de faits sont
s'occupent des enfants ; il faut préciser que les trois     multiples et certainement pas toujours imputables
quarts des femmes acceptent cette division des              aux chercheurs ou aux personnes engagées dans les
tâches.                                                     pratiques sociales.
                                                                 On ne saurait parler de la recherche-action ; il est
    Et comment les femmes vivent-elles le fait d'avoir      cependant possible de mettre en évidence quelques
émigré?                                                     traits caractéristiques qui expriment cette volonté de
    Les trois quarts d'entre elles ne regrettent pas        lier la recherche et la pratique. Dans ce sens, il con-
d'avoir connu l'émigration, elles ont vu leur horizon       vient de faire la différence entre la recherche-action
s'élargir, comme leurs connaissances, leur réseau de        et ce qu'on appelle « recherche appliquée ». Celle-ci
relations ; elles ont pu comparer leur culture d'ori-       s'attache sans doute à résoudre des problèmes
gine avec de nouvelles formes de vie. Pourtant, 90 %        concrets, la recherche-action se propose d'établir un
d'entre elles souhaitent retourner dans leur pays.          nouveau rapport entre théorie et pratique.
Plusieurs études ont montré qu'il s'agit là d'un pro-            Sur le plan épistémologique, la recherche-action
jet que l'on remet toujours à plus tard, une sorte          renvoie à un processus de connaissance orienté vers
d'idée fixe ; néanmoins, ce sentiment doit être pris        l'émancipation des chercheurs et des sujets (on dési-
au sérieux, car il exprime de manière significative         gne par sujets les personnes ou groupes sur lesquels
comment est vécue la situation d'immigrées.                 porte la recherche). La recherche-action implique
                                                            que soit défini un but commun aux chercheurs et
    Votre recherche débouche sur l'affirmation de la        aux sujets. À ce propos, Lewin, le promoteur de la
nécessité de la mise en place d'une politique globale       recherche-action disait : « Le chercheur et les sujets
offrant des prestations aux femme s immigrées. Peux-        de la recherche cheminent ensemble vers la connais-
tu évoquer quels peuvent être les éléments les plus         sance ».
urgents ?                                                        Il importe aussi que soit défini un champ com-
    De fait, il paraît évident qu'il existe toute une       mun aux chercheurs et aux sujets; ceux-ci n'étant
série d'éléments susceptibles de faciliter l'existence      donc pas définis par leur appartenance à une catégo-
des immigrées et de leur ouvrir des perspectives. Je        rie sociale, mais par leur présence dans un champ
pense, en effet, qu'il convient d'agir à trois niveaux      d'interaction^ concret où il convient de former un
au moins : la formation, les conditions de travail et       consensus. À l'intérieur de ce champ, doit être
la connaissance des langues. En quelque sorte, il           constituée la conscience d'un problème commun qui
s'agit de mettre en place les conditions permettant         doit faire l'objet d'un traitement. Il faut en outre que
de réaliser une politique de formation des femmes           les personnes qui seront sujets de la recherche et
immigrées. Cela implique qu'il soit fait des offres         ceux qui conduiront l'action au terme de celle-ci
spécifiques pour les femmes, leur vie quotidienne           soient au moins partiellement identiques.
devenant un élément central de cette formation. Il               La recherche-action implique aussi que soient
importe également que soient éclairés les divers pro-       réunies un certains nombre de conditions qui carac-
blèmes posés par la vie en Suisse comme par un              térisent la communication entre ses divers protago-
éventuel retour au pays.                                    nistes. Il convient d'établir une communication sy-
                                                            métrique (égalité de droit et de chance, malgré l'iné-
    En réalité, plusieurs initiatives ont été prises dans   galité de ressources et « ou » de connaissances). Il
le courant même de la recherche en vue d'amorcer de          faut assurer une distribution du savoir à tous les
telles réalisations. Ton livre montre bien l'étroite im-     partenaires, en évitant les monopolisations. Ainsi,
brication qui s'établit entre la production des connais-     doit être abolie la relation sujets-objets entre les
sances et la mise en oeuvre de réalisations pratiques.       chercheurs et ceux que l'on appelle traditionnelle-
Peux-tu préciser de quelle manière tu conçois la re-         ment les objets de la recherche. Une certaine empa-
cherche-action ?                                             thie critique doit remplacer une méfiance générali-
    Je soulignerais d'emblée le fait que la recherche-       sée. Ainsi, une compréhension dynamique et auto-
action est très peu pratiquée en Suisse bien que             nome doit réunir tous les partenaires. Enfin, il est

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essentiel de garantir une adéquation de la recherche        cheurs oublient trop aisément que le débat sur la
au problème posé. Cela peut signifier que les parte-        recherche-action, parfois même dans des cadres in-
naires, tout en garantissant leur autonomie et l'éga-       terdisciplinaires, ne saurait être circonscrit aux spé-
lité de leurs chances, s'attachent à résoudre leurs         cialistes « pour » et aux spécialistes « contre », dans
problèmes en tenant compte le plus possible du pro-         le champ clos de la recherche scientifique. Hors de
blème spécifique négocié au départ (cela, bien sûr,         ce petit monde, il existe une foule de gens qui peu-
placé dans son contexte historique).                        vent avoir des opinions et des attentes par rapport
                                                            aux résultats de la recherche-action.
    On sait que la mise en oeuvre de ces orientations
s'est concrétisée dans divers modèles de recherche-ac-           Cela dit, on peut légitimement s'interroger sur les
tion. Tu affirmes avoir choisi une approche « addi-         conditions dans lesquelles la réalisation d'une recher-
tive », particulièrement en raison des conditions dans      che-action est rendue possible. Peux-tu préciser com-
lesquelles se déroulait la recherche. Comment com-          ment cela s'est passé dans le cas de l'étude à laquelle tu
prends-tu cette approche ?                                  as participé?
    Elle est constituée sur la base d'un projet de re-           En quelque sorte, le choix de conduire une re-
cherche reposant sur les principes que je viens d'in-       cherche-action est étroitement lié à la demande des
diquer et s'organise en diverses phases alternantes         femmes immigrées elles-mêmes. Quand elles ont sol-
de coopération entre les chercheurs et les sujets.          licité de l'Institut de sociologie de Zurich une colla-
Dans ce cas, les méthodes dites traditionnelles ne          boration scientifique et technique, il était évident
sont pas refusées, mais sont investies d'une nouvelle       pour elles qu'elles souhaitaient participer active-
signification par l'insertion du chercheur dans le          ment à la formulation de la problématique et au
champ de recherche, par une large discussion des            processus de recherche. Celui-ci ne leur paraissait
questions épistémologiques, des problèmes de la re-         avoir de sens que dans la mesure où il leur fournirait
cherche, des méthodes et des processus de mise en           des instruments pour améliorer une situation dont
oeuvre. Ce projet repose sur ce qu'on peut appeler          elles avaient mis en évidence le caractère précaire,
une dialectique entre action et réflexion ; c'est un        voire intolérable.
processus cyclique de production et de vérification
des connaissances.                                              Et, comment les chercheurs se sont-ils insérés et
                                                            situés dans l'ensemble du processus ?
    Tu parles de vérification des connaissances. On             Du côté des chercheurs, nous avions pris cons-
peut donc penser que tu accordes une importance dé-         cience des limites des méthodes traditionnelles des
terminante à l'évaluation de la recherche ?                 sciences sociales spécialement pour la résolution des
    Incontestablement, la recherche-action exige            problèmes des groupes marginaux. Je dois dire ce-
que soit pratiquée une évaluation objective qui             pendant qu'il fallait une certaine capacité d'assumer
porte sur trois axes : il convient d'évaluer les interac-   les risques pour se lancer dans une telle entreprise. À
tions qui se sont produites dans le processus de re-        cet égard, les responsables de l'Institut se sont mon-
cherche ; cette évaluation doit prendre en considéra-       trés ouverts, leur préoccupation étant essentielle-
tion les transformations qui sont apparues dans le          ment de veiller à ce que certaines normes scientifi-
champ de recherche ; elle doit mettre en évidence les       ques et techniques soient respectées. L'implication
conditions structurelles qui ont permis le déroule-         des chercheurs, les modalités de leur collaboration
ment de la recherche ou qui l'ont entravé.                  avec les femmes immigrées devenaient, en quelque
    Une telle procédure d'évaluation permet de me-          sorte, une « affaire privée » à prendre sur le temps
surer « l'objectivité » de la recherche au sens où sont     libre.
prises en considération aussi bien les découvertes               Surtout, je noterai d'abord qu'au niveau du dé-
théoriques que l'efficacité de la recherche dans ce         roulement de la recherche elle-même, il a fallu trou-
qu'elle se propose d'apporter des solutions aux pro-        ver un rythme de collaboration qui tienne compte
blèmes retenus.                                             des attentes et des impatiences des immigrées. Im-
    S'il convient d'insister sur cette notion d'effica-     possible, par exemple, de se réserver quelques mois
cité de la recherche, c'est parce que trop de cher-         pour étudier la littérature existante sur le sujet. En

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outre, les exigences des actions concrètes entreprises       nos motivations, d'apprendre à mobiliser des
en cours de recherche venaient constamment inter-            moyens et d'enrichir notre argumentation pour
peller ce que nous étions tentés de considérer comme         nous lancer dans des entreprises concrètes. Ainsi, un
le déroulement « normal » de l'étude. Chaque fois, il        groupe qui avait participé à l'application du ques-
a fallu apprécier les priorités et inventer les solutions    tionnaire a planifié et ouvert un centre de consulta-
les plus satisfaisantes, tout en conservant au projet        tion pour femmes immigrées (consultorio), la néces-
une validité scientifique, dont toutes reconnais-            sité d'un tel lieu étant devenue de plus en plus évi-
saient la nécessité. Et puis, il s'est agi de débattre des   dente dans le cours de la recherche. D'autres ont
résultats ; tous ne sont pas faciles à accepter, surtout     organisé des rencontres en vue de mettre en place
quand ils contredisent des attentes ou des idées pré-        des groupes d'échange pour les immigrées, en divers
conçues ; dans la recherche-action, la discussion des        points de la Suisse. En décembre 1977, deux jour-
résultats revêt une importance considérable puis-            nées de travail ont été organisées sur le thème « Ém-
qu'elle a des conséquences directes sur la pratique          igration-Résignation ?» ; à cette occasion, une riche
des groupes concernés ; impossible de jeter la plume         documentation a été constituée. Enfin, des efforts
lorsque le rapport est terminé !                             soutenus ont été réalisés pour organiser les cours
    Je noterai enfin, et cela n'est pas pour moi la          ECAP destinés aux ménagères d'origine italienne
conséquence la plus négligeable de cette entreprise,         qui souhaitent terminer leur formation élémentaire
qu'à la fin de la recherche, j'ai changé d'activité pour     qu'elles n'ont pas pu conduire à terme en Italie. Une
assumer le secrétariat d'un organisme de coopéra-            bonne partie de ces activités se poursuivent aujour-
tion et de contact entre immigrés et Suisses (AR-            d'hui, deux ans après la fin de la recherche.
BEKO).
                                                                 Laccueil qui a été réservé à cette recherche peut
     Parler de recherche-action conduit à envisager des      être considéré comme relativement bon. Pourtant, au
initiatives qui sont prises pendant la recherche ou au       cours de ces deux dernières années, on n'a guère vu
terme de celle-ci Peux-tu évoquer quelques activités         apparaître de nouvelles initiatives allant dans le même
concrètes qui doivent leur existence à ce processus de       sens.
recherche collective ?                                           C'est vrai, en Suisse alémanique tout au moins,
     Je voudrais souligner d'emblée qu'il me paraît          la situation de la recherche-action reste très pré-
difficile de faire un inventaire exhaustif de toutes les     caire. Pourtant, nombreux sont ceux qui semblent
initiatives et activités qui ont été permises ou provo-      disposés à explorer cette voie de recherche. Il faudra
quées par ce processus de recherche. Pour beaucoup           trouver les moyens de sortir de la crispation sur les
d'entre nous, cette démarche a permis de renforcer           techniques traditionnelles et puis... oser.

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