Développement et utilisation des serious-games en santé

 
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Développement et utilisation des serious-games en santé
Développement et utilisation des serious-

games en santé

Erwan L’HER1,2,3, Yvon CROGUENNEC3

1- Réanimation et Urgences Adultes, CHRU de Brest

2- LATIM INSERM UMR 1101, Université de Bretagne Occidentale, CHRU de Brest

3- CESIM, Centre de Simulation en Santé, UFR Santé, Université de Bretagne Occiden-

tale
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I-     Introduction

   Le monde des « Serious Games », dont la traduction française de « Jeux Sérieux »

peut donner l’impression d’une dimension péjorative, semble actuellement en pleine ex-

plosion dans le domaine de la santé (1). La définition même du jeu sérieux est source de

discussion entre les spécialistes partisans d’une définition oxymorique (ils dériveraient de

« serio ludere », terme utilisé dès le XVème siècle) ou ceux d’une définition bien plus res-

treinte à celle des jeux vidéos à visée d’apprentissage (2).

Les outils de formation ou de diffusion publicitaire mélangeant le jeu et la réalité profes-

sionnelle existent en fait depuis longtemps, y compris à une époque où la réalité virtuelle

et/ou augmentée n’était pas encore aussi développée (3). Le développement des outils

technologiques, des jeux vidéos et l’accessibilité du plus grand nombre aux smartphones

et ordinateurs ont mis le sujet sur le devant de la scène et ouvert des possibilités jusqu’ici

inaccessibles (4). Le jeu sérieux toucherait actuellement de 600 millions à 1 milliard de

joueurs potentiels au niveau mondial, pour un marché estimé entre 1 et 6,5 millions € (5),

dont 8-9% dans le domaine de la santé (6).

L’objectif des jeux sérieux est d’utiliser les technologies propres aux jeux vidéo à des fins

utilitaires (apprendre, informer, expérimenter, entraîner), tout en donnant une dimension

attrayante et ludique à l’apprentissage (2,5). Ils sont de fait utilisés dans de multiples do-

maines allant de la formation au marketing (7). Après avoir dressé un panorama des diffé-

rents outils disponibles, nous tenterons d’évaluer leur intérêt potentiel en santé.

   II-    Origine des « Serious-Games »

   La théorie selon laquelle on peut apprendre en s’amusant n’est pas nouvelle et les jeux

à visée pédagogique ou éducative seraient apparus dès l’antiquité (8). Les jeux sérieux au

sens plus moderne du terme, seraient quand à eux apparus dès la fin du XVème siécle
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(3), ou plus certainement au XIXème siècle à visée d’apprentissage dans le domaine mili-

taire (Krieg-schachsspiel ou Kriegspiel inventé par le Baron von Reisswitz en 1811, puis

largement copié par les armées du monde entier) (9). Le concept de jeu d’apprentissage

sera ensuite diffusé de façon très large dans le domaine de l’entreprise pour

l’apprentissage de gestes complexes, puis à visée marketing. Les jeux sérieux seront mis

sur le devant de la scène au début des années 70 avec l’avènement de l’ordinateur indivi-

duel et grâce au travail de quelques pionniers tels que Clark Abt (10).

Le premier jeu d’ordinateur (OXO, un morpion électronique développé de façon très « sé-

rieuse » dans le cadre d’une thèse d’informatique sur l’interface homme-machine à

l’université de Cambridge) est développé en 1953 (6). Les jeux vidéos se développeront

ensuite majoritairement dans le domaine militaire, avant même de toucher le grand public

(Carmonette - 1953, bataille de Tanks ou encore Hutspiel - 1955, wargame à deux joueurs

visant à évaluer l’impact d’une guerre thermo-nucléaire en ces temps de guerre froide,

T.E.M.P.E.R – 1961, wargame développé par l’équipe de Clark Abt) (6,7). Le développe-

ment de l’informatique individuelle dans les années 70-80 verra se développer de mul-

tiples applications « ludo-éducatives » puis des « serious-games » grand public, dans de

nombreux domaines dont principalement le milieu militaire et la santé. Le jeu America’s

Army, développé en 2002 par l’armée américaine à visée de propagande est actuellement

toujours en exploitation et mis à jour de façon régulière (11); il est un des jeux de plate-

forme FPS les plus joués en compétition.

   III-   Justificatifs théoriques à l’utilisation des jeux sérieux en santé

   L’exemple classique permettant de justifier l’utilisation des jeux sérieux en santé, toute

catégorie professionnelle confondue, est celui de la réanimation cardiopulmonaire. Si

nombre d’étudiants ou de professionnels sont conscients de la nécessité de remises à
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niveau régulières après une formation initiale, peu ont soit le temps, soit la volonté

d’effectuer ce recyclage (12,13). Plus que de mauvaise volonté, ceci peut-être du à des

rythmes de travail difficiles et/ou à des considérations financières qui rendent difficile de

bloquer une journée entière pour un rafraichissement des connaissances. Les jeux sérieux

ont l’avantage théorique de proposer une solution à ces inconvénients logistiques, en

permettant une formation individuelle à distance, adaptée au rythme et aux besoins des

individus, dans des domaines variés allant de la médecine d’urgence à la cytologie (14–

18).

   IV-      Les différents outils

         IV-1- Jeux 2D statiques, pour virtualisation de gestuelles

   Le premier niveau de ce type d’outils technologiques est son application à

l’apprentissage de gestuelles et/ou de savoirs théoriques dont la visualisation permet une

optimisation de l’apprentissage.

Dans ce cas spécifique, seules les deux dimensions de l’espace sont utilisées, seules la

vision et la réflexion sont sollicités ; les simulateurs de ce type sont dit « statiques », car ils

ne restituent aucun mouvement (19). Il ne s’agit pas ici de mettre en œuvre des processus

complexes et de favoriser l’intégration de connaissances multiples, mais le plus souvent

de permettre à l’étudiant de mieux mettre en perspective des connaissances théoriques

acquises et nécessitant une illustration. Une augmentation du champ de vision au-delà de

120° par le biais de doubles écrans ou casques d’immersion permet d’optimiser

l’immersion si celle-ci est considérée comme importante.

Divers outils sont déjà disponibles depuis de nombreuses années dans de multiples do-

maines domaines, y compris en dehors de la santé. L’objectif est ici clairement de mettre à

disposition des « étudiants » des outils permettant la multiplication des scénarios pos-

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sibles, dans un temps d’apprentissage relativement court (Figure 1). Par ailleurs, comme

pour tous les autres outils de réalité virtuelle, ces outils permettent à l’étudiant de réfléchir

à tête reposée à sa problématique et de revenir de façon régulière aux différents pro-

blèmes posés, bien plus calmement que si les problèmes lui étaient posés dans la vraie

vie.

       IV-2- Cursus de formation composites, associant gestuelle complexe et réalité

virtuelle/augmentée (statique et dynamique)

       Même si ces cursus de formation composites ne peuvent le plus souvent être con-

sidérés stricto sensu comme des jeux sérieux, ils associent généralement la dimension du

jeu à celle de l’apprentissage d’un geste, aussi sophistiqué soit-il. De multiples formations

composites peuvent être mises en place, allant de l’apprentissage de différents niveaux de

coeliochirurgie (« Top Gun Laparoscopic Skills » : formations pour débutants ou chirur-

giens chevronnés, qui intègre différents ateliers de gestuelles standardisées sur table ou

dans des boites en carton à des ateliers en réalité 3D sur simulateurs complexes) (20,21)

à l’apprentissage par les internes DES de Gastroentérologie HUGO (Hôpitaux Universi-

taires du Grand Ouest) de l’endoscopie digestive haute et basse (« EndoHUGO » : utilisa-

tion initiale d’une plateforme d’e-learning avec obligation de validation de différents mo-

dules théoriques, puis apprentissage sur simulateur complexe en réalité virtuelle des diffé-

rents gestes, puis au final réalisation d’endoscopies thérapeutiques sur des pièces biolo-

giques – ulcères hémorragiques, polypectomie) (22) (Figure 2). Les formations composites

peuvent également intégrer des apprentissages et rafraichissements de connaissances

théoriques, du jeu 3D et de la simulation par immersion en milieu de vie comme dans le

cadre du programme de prévention des chutes que nous développons au sein de notre

centre de simulation (Figure 3).
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Dans certains cas, afin de recréer le ressenti d’une utilisation réelle, les simulateurs em-

barquent des moteurs intégrant des modèles d’effort (haptiques) et/ou une restitution des

mouvements ou de l’inertie. Ces modèles sont alors dit « dynamiques » et mettent à profit

l’ambiguité sensorielle des organes otolithiques, confondant une accélération linéaire et

une orientation. Le meilleur exemple de ce type de simulateur est représenté par les simu-

lateurs lourds d’aviation des centres de simulation professionnelle.

        IV-3- Jeux vidéos 3D

   Les jeux vidéos sérieux en 3D ressemblent beaucoup à des jeux vidéos destinés au

grand-public, car les procédés technologiques utilisés sont identiques. Il peut s’agir dans

ce cas de jeux destinés aux professionnels ou étudiants en formation (Figure 4), aux pa-

tients eux-mêmes (23), ou encore de l’utilisation à visée de formation des professionnels

(24), ou de réadaptation de patients (25) de jeux vidéos ludiques, détournés de leur objec-

tif initial. Ce point spécifique de l’utilisation des jeux vidéos 3D sera plus spécifiquement

abordé dans le chapitre suivant sur la validation des outils.

   V-      Validation des outils

   Les simulateurs en réalité augmentée et les formations composites associant ges-

tuelles complexes et simulations par immersion ont prouvé leur intérêt dans différents do-

maines de la santé allant de la coeliochirurgie (20,21,26), à l’endoscopie digestive haute et

basse (27,28), en passant par l’endoscopie ORL (29,30) ou encore la traumatologie (31).

Cet effet positif de la simulation hybride et du jeu est cependant plus fréquemment validée

dans des disciplines à caractère technique.

Buttussi et coll. (32) ont quand à eux récemment évalué l’intérêt d’un rafraichissement des

connaissances par un jeu 3D dédié à la prise en charge d’un arrêt cardiocirculatoire chez
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40 professionnels. Alors qu’il est classique d’observer une rétention faible des informations

et une perte d’efficience rapide au-delà d’une période de 3 mois après formation (33–35),

le taux de rétention des informations à 3 mois observé dans cette étude s’avérait significa-

tivement supérieur au résultat attendu pour les méthodes classiques. Il est intéressant de

noter que dans ce collectif particulier de professionnels de terrain, 78% d’entre eux

n’utilisaient jamais de jeux vidéo à domicile et ne pouvait donc au départ être considérés

comme particulièrement sensibles à cette forme d’apprentissage.

L’utilisation des jeux vidéos « ludiques » a elle aussi été étudiée dans le domaine de la

santé, en particulier dans un but de développement des praxies visuelles et de la coordi-

nation spatiale. Une étude couplant l’utilisation de jeux vidéos ludiques (conduite automo-

bile, aviation, golf ...) à un apprentissage hybride de la coeliochirurgie a permis sur une

échelle d’évaluation standardisée de démontrer une augmentation de la performance des

jeunes chirurgiens lors de leur utilisation (24). Ainsi, les opérateurs jouant plus de

3h/semaine à titre purement ludique et intégrés à un programme de formation faisaient

37% d’erreur en moins, étaient 27% plus rapides et présentaient des scores supérieurs de

42% par rapport aux chirurgiens plus âgés et/ou ne jouant pas à des jeux vidéos à visée

ludique. Les raisons évoquées pour cette optimisation de la performance seraient en par-

tie liées au développement des praxies visuelles et d’un contact plus facile avec un envi-

ronnement graphique déporté (écrans) comme cela est le cas en coeliochirurgie ou lors

des autres techniques de vidéoendoscopie, ainsi que l’acquisition d’une meilleure coordi-

nation (36).

Pour ces raisons, l’armée américaine a intégré depuis longtemps dans ses programmes

de formation cet outil jeu « ludique », même si dans ce domaine l’aspect marketing du fi-

nancement du développement de ces jeux présente également un intérêt majeur (37).
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VI-    Les jeux sérieux, pour quels types de formations?

   Comme cela a été largement abordé, les jeux sérieux peuvent être utilisés en forma-

tion initiale comme continue, ou même dans le cadre de processus de soins ou de réhabi-

litation des patients eux-mêmes. L’avantage des technologies déployées, outre la possibi-

lité de réalisation de la formation à distance, est de permettre un suivi en ligne des perfor-

mances de l’apprenant, avec visualisation de la constitution progressive de sa courbe

d’apprentissage. A l’inverse, cet avantage en termes de formation génère également une

problématique lié à l’obligation de suivi individualisé, demandant outre des ressources fi-

nancières non négligeables, du temps et des formateurs en nombre suffisant.

L’utilisation des jeux sérieux et du jeu vidéo 3D dans le domaine de la formation para-

médicale reste encore peu développé, en dehors de l’urgence et de la réanimation cardio-

pulmonaire, même si des initiatives de développement méritent d’être signalées (38).

   VII-   Conclusion

   Le monde des « Serious Games « ou des « Jeux Sérieux » est en pleine explosion

dans le domaine de la santé. Plusieurs types d’outils sont déjà disponibles et ils peuvent

par ailleurs être intégrés dans des formations composites, mélangeant les différentes

technologies avec des outils pédagogiques plus classiques. La validation de ces nouveaux

outils pédagogiques objective des bénéfices patents à court terme (réalisation plus rapide

des gestes avec réduction du nombre d’erreur ; rémanence plus grande de l’information

délivrée...etc...), mais l’impact final en termes de qualité des soins et d’amélioration du

pronostic des patients reste quand à lui à démontrer.

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Légende des Figures

Figure 1 : Logiciel SimVent

Développé au sein du CESIM, l’objectif de cet outil de virtualisation vise à faciliter

l’apprentissage des réglages optimaux d’un ventilateur artificiel (A et B), en illustrant les

interactions cœurs-poumons.

Le modèle physiologique de patient intégré au simulateur fait interagir les réglages du ven-

tilateur sur les paramètres physiologiques (C), eux mêmes dépendant de la pathologie

présentée par le patient (D).

Figure 2 : Formation composite mélangeant jeux d’agilité en réalité virtuelle et simulation

sur pièces biologiques

La formation EndoHUGO, coordonnée par le Pr Michel Robaszkiewicz (Université de Bre-

tagne Occidentale et CHRU de Brest) et développée au sein du CESIM vise à favoriser

l’apprentissage de l’endoscopie digestive haute et basse par les internes DES d’Héparto-

gastro-entérologie de l’inter-région Ouest. La formation alterne des apprentissages théo-

riques sur une plateforme d’e-learning selon un curriculum précis, des ateliers visant à

développer l’agilité à partir de jeux sophistiqués utilisant la réalité virtuelle (A), puis des

séances de simulation sur pièces biologiques « recontruites » (estomacs de porc sur les-

quels sont reconstitués des ulcères hémorragiques et des polypes) (B).

Figure 3 : Formation composite mélangeant jeux vidéo 3D et simulation immersive

La formation « Prévention des Risques Domestiques », coordonnée par le Pr Erwan L’Her

(Université de Bretagne Occidentale et CHRU de Brest) et développée au sein du CESIM

en partenariat avec le réseau REMIS, l’université d’Orléans et l’IFSO, vise à familiariser

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les intervenants à domicile et aidants familiaux à se familiariser aux risques domestiques

et aux gestes de prévention des chutes chez la personne âgée dépendante.

La formation alterne apports théoriques par des professionnels de terrain (ergonomes,

gériatres), une séance de jeu vidéo 3D (A : outil « DomiSecure » développé au CESIM),

ainsi qu’une immersion des apprenants dans un milieu de vie reconstruit (appartement

équipé de nombreuses caméras ; B : utilisation d’un simulateur de vieillissement patholo-

gique enraidissant les articulations et limitant les différentes stimulations sensorielles, au-

ditives, sensibilité superficielle et vision). L’immersion dans le jeu vidéo peut être optimisée

par l’utilisation d’un casque avec « head tracking », permettant de repérer les mouvements

de la tête de l’apprenant afin de le mettre le plus possible à la place de l’avatar de la per-

sonne âgée (C).

Figure 4 : Jeu vidéo 3D UrgSim®

Le jeu vidéo UrgSim®, développé dans le cadre du projet IDEFI REMIS, sous l’égide de

l’Agence Nationale pour la Recherche, vise à développer les compétences nécessaires à

la prise en charge d’un patient présentant une situation aiguë (interrogatoire, examen,

gestes thérapeutiques d’urgence). Il est développé au sein du CESIM dans l’objectif de

formation des étudiants en 6ème année de médecine ou les jeunes internes. L’interaction

avec différents intervenants (famille et paramédicaux) est en cours de développement.
Figure 1

    A      B

               14

    C      D
Figure 2

 A         B
Figure 3

A                  C

               B

                       16
Figure 4
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