Digitalisation et régime de groupe : la TVA en mouvement

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Digitalisation et régime de groupe :
la TVA en mouvement

     OPTION DROIT ET AFFAIRES - 16 AVRIL 2021 - PWC SOCIÉTÉ D’AVOCATS
     Fruit d’une harmonisation communautaire encore évolutive plus de
     60 ans après sa naissance, la TVA fait actuellement l’objet d’un
     mouvement de digitalisation et de rationalisation au sein des groupes
     de sociétés dont la concrétisation à horizon 2023 devrait
     s’accompagner d’un changement de perspective dans la gestion de
     cette taxe.

     Par Laurent Poigt, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Maud Poncelet, avocate associée,
     PwC Société d’Avocats.

     Près d’un siècle après l’adoption en 1920 du régime des sociétés mères et filiales en matière
     d’impôt sur les sociétés, dont l’objectif était d’encourager la libre organisation des groupes par les
     sociétés mères appelées omnium1, le législateur français a posé, dans le cadre des deux dernières
     lois de finances2, les fondements de deux réformes d’importance pour les groupes de sociétés en
     matière de TVA.

     Ces réformes partent notamment du constat que l’accroissement des rémanences de TVA et
     l’alourdissement des contrôles de l’administration fiscale découlent tous deux, en grande partie, de
     la démultiplication croissante des flux au sein de structures économiques « atomisées » car
     constituées d’acteurs de plus en plus spécialisés notamment du fait des évolutions technologiques.

     Applicables à l’horizon 2023, elles doivent inciter l’ensemble des acteurs à s’engager dans la voie
     d’une rationalisation opérationnelle de la « fonction TVA » (1.), qui devra composer avec des
     enjeux multiples au sein des groupes (2.).

     1Loi du 31 juillet 1920, art. 27.
     2Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, art. 153 et loi n° 2020-1721 du 29
     décembre 2020 de finances pour 2021, art. 195. concernant les obligations de facturation électronique.
     Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, art. 162 concernant le groupe TVA.
1. La facturation électronique : une rationalisation opérationnelle au bénéfice
                                premier de l’administration fiscale

                             Sous l’impulsion internationale existant dans ce domaine3, le gouvernement français – autorisé
                             pour l’occasion à légiférer par voie d’ordonnance – entend généraliser à partir de 2023 le recours
                             à la facturation électronique (« e-Invoicing ») et accompagner cette réforme d’une obligation
                             complémentaire de transmission de certaines données (« e-Reporting »), dans un but
                             d’amélioration du contrôle de la TVA et, selon l’administration, de la compétitivité des entreprises
                             à travers notamment la réduction des charges administratives liées à la facturation.

                             L’obligation de « e-Invoicing »

                             Applicable à compter de 2023 à l’ensemble des flux domestiques réalisés par des assujettis établis
                             en France, le « e-Invoicing » impliquera notamment l’obligation de recevoir des factures sous
                             format électronique4, tandis que l’obligation d’émission de telles factures sera mise en œuvre
 : Rôles et                 responsabilité
                             progressivement. A des   plateformes
                                                  cet effet,             – devront,
                                                             les assujettis hypothèses
                                                                               @Marvin
                                                                                    pour    la de
                                                                                       : à retravailler
                                                                                                transmission des factures, mais
a DGFiP                      également en principe pour leur réception, avoir recours à une plateforme privée certifiée ou à la
                             plateforme publique Chorus Pro, comme illustré ci-après5.

privée certifiée (prestataires de la dématérialisation,
 urs (ERP, etc.) et/ou assujettis).

                                                                   Vendeur                                                     Acheteur

s durant la transmission
e (présence des mentions obligatoires)
 identifiant
                                                                             Plateforme privée                 Plateforme privée
                                                                                  certifiée                         certifiée
s données obligatoires et transmission des données à la
ro)

a plateforme publique (Chorus Pro)                                                                Plateforme
                                                                                                   Publique
e plateforme de dématérialisation dans le cadre de l’obligation    Vendeur                                                         Acheteur
 traves de 3 modes d’échanges (à l’émission et à la réception) :

es factures

 SI de la DGFiP

                                                                                                 Administration

                             Ces plateformes, dotées d’un rôle comparable à celui d’un dépositaire, devront effectuer avant de
                                                                                                                                         7

                             transmettre les factures, des contrôles de premier niveau des données, dont la liste devra être
                             définie. Elles auront également la charge de l’extraction des données afin de les transmettre in fine
                             à l’administration fiscale.

                             Centrale dans cette réforme, l’acception usuelle de la notion de « facture originale » sera amenée
                             à évoluer pour tenir compte notamment des nouveaux enjeux de format et de mentions

                             3  Les premières obligations de facturation électronique ont été mises en place dans les pays de la zone
                             LATAM (notamment au Brésil) au début des années 2000, et plus récemment en Italie en 2019. Pour
                             sa part, la Commission européenne a abordé ces sujets dans le cadre des conférences Fiscalis 2020,
                             dans un objectif d’harmonisation future de ces obligations à l’échelle européenne.
                             4 A ce jour, l’émission et la transmission des factures sous format électronique sont soumises à

                             l’acceptation du destinataire (cf. notamment CGI, art. 289, VI). Dès lors, la France devra, à l’instar de
                             l’Italie, demander une dérogation à la directive TVA (art. 232).
                             5 Les modalités de certification des plateformes à la vente et à l’achat font toujours l’objet de réflexions

                             de la part de la DGFiP.
obligatoires6. Les factures devront ainsi être transmises sous format structuré7 ou sous format
mixte, c’est-à-dire, comprenant un fichier structuré ainsi qu’une version lisible associée8. Certaines
déclinaisons sectorielles devront également être précisées. Pour exemple, le rapport remis par la
Direction générale des Finances publiques au Parlement9, préconise « de maintenir en l’état » les
assouplissements existants10.

L’obligation de « e-Reporting »

L’obligation de « e-Invoicing », limitée au « B2B domestique », devrait être complétée d’une double
obligation qui couvrira deux axes :

    –   à la vente, les données des flux « B2B » internationaux, c’est-à-dire hors de France, et de
        l’ensemble des flux « B2C » (domestiques ou non), seront transmises à l’administration
        fiscale selon des modalités et une périodicité qui dépendront des outils dont dispose
        l’assujetti (logiciel de facturation, logiciel de caisse ou logiciel comptable) ; et,

    –   à l’achat, pour les flux « B2B domestiques », les données liées au statut et au paiement
        des factures reçues dans le cadre de l’obligation de « e-Invoicing » seront également
        transmises. L’administration pourrait ici envisager une mise en œuvre concomitante de
        cette obligation avec l’obligation qu’auront les clients de recevoir des factures sous format
        électronique.

La « donnée » au cœur de la réforme

La maitrise et la visibilité de la « donnée », élément au cœur de la réforme, seront essentielles et
source d’importants enjeux de contrôle et de gouvernance. Celles-ci devront tenir compte de la
fragmentation des obligations aux bornes des groupes et des rôles et responsabilités respectifs,
dans un contexte où le respect de ces obligations pourrait à terme être un préalable à la déduction
de la TVA11. A cet égard, la Piste d’Audit Fiable pourrait être amenée à revêtir une importance
renouvelée12.

L’articulation de ces nouvelles règles avec les contraintes réglementaires existant par ailleurs en
matière de gestion et de protection des données devra aussi être envisagée. Il est intéressant de
relever à cet égard que le rapport précité remis au Parlement indique que le contenu standard des
factures échangées pourra comporter « des informations couvertes par le secret des affaires ou
les différents secrets professionnels »13.

6 L’ajout à l’article 242 nonies A de l’annexe II au CGI de nouvelles mentions obligatoires s’imposera
(SIREN du client, adresse de livraison ou de réalisation de la prestation, etc.). Une dérogation à la
directive TVA (art. 226) devra être demandée par la France.
7 C’est-à-dire « traitable automatiquement par ordinateur ».
8 La France devra ici aussi demander une dérogation à la directive TVA (art. 218), qui prévoit que les

Etats membres acceptent sous certaines conditions comme factures tous les documents ou messages
sous format papier ou électronique.
9 Ministère de l’économie, des finances et de la relance, Rapport de la Direction Générale des Finances

publiques, « La TVA à l’ère du digital en France », ECOE2029984X, Octobre 2020.
10 Notamment, la dispense de facturation appliquée aux opérations bancaires et financières pourrait

être concernée (CGI, art. 289, I-1 a).
11 Le Gouvernement entend à terme être en mesure de préremplir les déclarations de TVA des assujettis

et envisage de conditionner le droit à déduction de la TVA au respect de la transmission des factures
via les plateformes et à leur acceptation par le destinataire. Pour cela, la France devra néanmoins
demander une dérogation aux dispositions de la directive TVA (art. 178).
12 Le rapport remis au Parlement (ECOE2029984X) précité indique que l’obligation liée à la Piste d’Audit

Fiable est maintenue et constitue un outil pertinent et essentiel dans le cadre de contrôles.
13 Pour exemple concernant le secret bancaire, Code Monétaire et Financier, art. L. 511-33.
Enfin, des développements informatiques seront certainement nécessaires pour permettre aux
entreprises de transmettre et recevoir les données de facturation aux plateformes. Ces
développements devront prendre en compte l’ensemble des contraintes techniques qui pourront
résulter des formats sémantiques et syntaxiques qui seront retenus. Tout autant nécessaires seront
d’autres évolutions à mettre en place, notamment d’ordre contractuelles, avec les clients et les
fournisseurs.

2. L’organisation des groupes en question

Les enjeux de gouvernance évoqués pourraient être dédoublés dans le cadre de groupes qui
auront émis le souhait d’appliquer le régime du groupe TVA, issu d’une autre réforme d’ampleur
adoptée dans le cadre de la dernière loi de finances.

Les grandes lignes du groupe TVA à la française

Ce nouveau régime issu d’une option prévue par la directive, aux contours encore à parfaire14,
entrera en vigueur le 1er janvier 2022 – les premières options devront être exercées avant le 31
octobre de la même année – pour une application au 1er janvier 2023. Notons qu’il n’a pas vocation
à se substituer au régime de consolidation du paiement de la TVA pour lequel les sociétés peuvent
opter en application de l’article 1693 ter du CGI.

En application de ce régime, illustré par le schéma ci-dessous, des entités liées qui opteront pour
la constitution d’un groupe deviendront les « secteurs d’activité distincts » d’un même assujetti dont
les flux internes (i.e. entre entités du groupe) seront traités comme étant « hors champ » et dont
les relations avec l’administration fiscale seront, sauf exceptions, prises en charge par un
« représentant » unique choisi au sein des membres.

               Situation n° 1 : en l’absence d’option pour le régime de groupe TVA

14De premiers éléments d’interprétation existent déjà notamment en matière de numéro d’identification
à la TVA (Assemblée Nationale, L. Saint-Martin, rapport n° 3360 sur le projet de loi de finances pour
2021, t. III, p. 182), ou en présence d’opérations entre un siège et ses succursales (en dernier lieu
CJUE, 11 mars 2021 aff. 812/19, Danske Bank A/S, Danmark, Sverige Filia).
Situation n° 2 : en cas d’option pour le régime de groupe TVA

La mise en œuvre du régime de groupe pourrait donc induire un continuel mouvement de balancier,
entre le représentant du groupe, maître du temps, qui devra construire les matrices de calcul et
réunir les informations destinées à alimenter les déclarations et les factures, et les membres de ce
même groupe, qui conserveront des numéros individuels et seront toujours soumis à leurs
obligations comptables, aux contrôles des vérificateurs, et éventuellement à leurs obligations
individuelles de facturation en application du Code de commerce (tant en « interne » qu’en
« externe »). C’est également à leur niveau que les options pour la taxation de certaines opérations
bancaires et financières exonérées, par exemple, devront être exercées.

Le dédoublement des enjeux de mise en conformité

Les enjeux liés à la donnée et aux développements informatiques propres à la mise en œuvre des
obligations de facturation électronique évoqués ci-avant pourraient être dédoublés au sein des
groupes qui auront opté pour la mise en place d’un régime de groupe TVA à compter du 1er janvier
2023. A ce titre, les points de convergence entre ces deux réformes, bien qu’identifiés15, restent à
date assez peu explorés.

Dans le contexte d’un régime de groupe organisant une « fusion » des personnalités fiscales de
ses membres, qui bien que relative devrait être plus forte que celle existant en matière d’impôt sur
les sociétés dans le cadre de l’intégration fiscale, la question du niveau d’application (individuel et
/ ou groupe) des obligations liées au « e-Invoicing » et au « e-Reporting » devra être envisagée16.

De nombreuses autres questions devront être éclaircies par l’administration, dans la mesure où,
comme le montre le schéma n° 2 ci-avant, tant les flux « internes » (hors champ) que les flux
« externes » (réputés effectués avec les tiers au groupe par un « assujetti » aux contours différents
de ceux de la personne morale « facturante » au sens du droit commercial17) seront concernés par
cette « rencontre du troisième type » des réglementations.

15 Le rapport remis au Parlement (ECOE2029984X) précité indique que : « la généralisation de la
facturation électronique devra “tenir compte des réformes en cours, comme la réforme sur le groupe
TVA inscrite au projet de loi de finances pour 2021“ ».
16 Nous relevons notamment que le représentant de l’assujetti unique sera tenu de réaliser « toute

formalité en matière de TVA » pour le compte du groupe (CGI, art. 256 C, III-2 dans sa version
applicable à compter du 1er janvier 2022). Voir également CJUE, 18 nov. 2020, aff. C-77/19, Kaplan
International Colleges (§46) et conclusions J. Kokott (§43).
17 Code de commerce, art. L. 441-9.
*** *** ***

A l’heure où les directions financières et fiscales des entreprises sont fortement occupées par les
objectifs de digitalisation de leurs fonctions, ces réformes – motivées comme nous l’avons évoqué
par des objectifs de rationalisation et de simplification – se doivent de respecter le but qui leur a
été assigné en contribuant enfin, et de manière décisive, à l’allégement des contraintes pesant sur
des entreprises soumises à un rôle de collecte et de contrôle d’un nombre croissant d’impôts et
taxes, au sein desquels la TVA occupe une place de choix.
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