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Orthod Fr 2020;91:269–302 © SFODF, 2020 Entretien https://doi.org/10.1684/orthodfr.2020.030 Article original Dysfonctionnements temporomandibulaires, occlusion, posture et orthodontie : une approche clinique basée sur des preuves scientifiques. Un entretien avec Ambra Michelotti Ambra MICHELOTTI1*, Philippe AMAT2 Propos recueillis et traduits par Philippe Amat 1 Via Carlo Poerio 92, 80121 Naples, Italie 2 19, Place des Comtes du Maine, 72000 Le Mans, France Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. La Professeure Ambrosina Michelotti est reconnue comme l’une des plus importantes cher- cheuses dans les domaines de l’orthodontie, des dysfonctionnements temporomandibulaires et des douleurs orofaciales. Diplômée en médecine dentaire en 1984 et spécialiste en orthodontie en 1991, elle est maintenant professeure titulaire en orthodontie et en gnathologie clinique. Elle est directrice de l’École postdoctorale en orthodontie et responsable du cours de master « Douleur orofaciale et troubles temporo-mandibulaires » à l’Université de Naples Federico II. Elle a publié plus de 130 articles dans des revues italiennes et internationales, a rédigé plusieurs chapitres de livres, a collaboré à de nombreux ouvrages et donne de fréquentes confé- rences dans le monde entier. Elle a été présidente de l’Académie Européenne des Troubles Craniomandibulaires (EACD) en 2010, du Groupe de Neuroscience de l’IADR (Association Internationale pour la Recherche Dentaire) en 2011, de la SIDA (Società Italiana Disfunzioni ed Algie Temporomandibolari) en 2012 et 2013, et du Consortium CDR/TMD à l’IADR en 2013 et 2014. Elle est également rédactrice en chef du journal Orthodontic and Craniofacial Research, rédactrice associée de l’European Journal of Oral Science, rédactrice associée du Journal of Oral Rehabilitation, membre du comité de rédaction de l’European Journal of Orthodontics et membre des comités de lecture de plusieurs revues nationales et internationales. Philippe Amat : Professeure Ambrosina Michelotti, été gentiment invitée par Olivier Sorel, le président vous serez en mars 2021 l’invitée de la conférence de de la SFODF, à être la conférencière de la journée prestige de la SFODF. Vous êtes reconnue comme une de prestige 2020. La récente pandémie a conduit autorité mondiale de premier plan dans les domaines du à l’annulation ou au report de toutes les confé- traitement orthopédique fonctionnel des malocclusions rences déjà programmées et nous a tous contraints de classe II chez les patients en croissance, de la prise en à de sévères restrictions dans nos vies quotidiennes. charge des troubles respiratoires obstructifs du sommeil, J’espère que cette pandémie sera bientôt sous des dysfonctionnements temporomandibulaires (DTM), contrôle et que nous pourrons nous rencontrer à et des relations entre l’occlusion et la posture. Nous nouveau sans restriction aucune. souhaiterions que cet entretien soit pour vous l’occasion de présenter à nos lecteurs les multiples facettes des inter- PA : Vous êtes professeure titulaire en orthodontie et en relations entre DTM, occlusion et posture. gnathologie clinique à l’Université de Naples Federico II. Comment l’enseignement et l’accès à la spécialité d’ortho- Ambra Michelotti : Je suis vraiment honorée dontie est-il maintenant organisé en Italie ? de l’invitation de la SFODF à donner cette journée de conférence l’année prochaine et je répondrai avec plaisir AM : En Italie, le programme de troisième cycle de aux questions de cet entretien. J’avais initialement spécialité en orthodontie dure trois ans et donne le titre de « Spécialiste en orthodontie ». Notre propre programme de troisième cycle en orthodontie à l’Université de Naples * Correspondance : ambramichelotti@gmail.com Federico II appartient au Réseau des programmes 269
270 Orthod Fr 2020;91,269–302 européens d’orthodontie basés en Europe (NEBEOP) remercie également l’éditeur Wiley pour son soutien depuis 2015 et suit les lignes directrices publiées dans constant. Être rédactrice en chef d’une revue presti- l’article de Huggare, et al.76 C’est un programme à temps gieuse est une grande responsabilité, requiert beau- plein d’une durée de quatre ans, pendant lequel les coup de temps et d’assumer des obligations et une étudiants traitent à la fois des patients présentant des charge de travail quotidienne. C’est pour moi une tâche troubles orthodontiques et/ou des troubles temporo- enthousiasmante et intéressante, qui ne peut toutefois mandibulaires et des douleurs oro-faciales (TTM-DOF). être assumée seule. Pour la mener à bien, je bénéficie Si besoin, la prise en charge des patients peut être assurée de la collaboration d’un groupe d’experts partageant par une équipe multidisciplinaire, regroupant les spécia- leurs compétences scientifiques et du travail précieux listes requis. Après leurs quatre années de cursus, nos des évaluateurs. Dans le but d’offrir aux lecteurs l’accès étudiants reçoivent le diplôme de spécialiste en ortho- à un champ scientifique plus vaste et d’accroître la dontie et le master en TTM-DOF. diffusion et l’impact de la revue, j’ai décidé d’inclure, au sein du comité de rédaction, des rédacteurs associés PA : Les diplômes universitaires sont les seules formations ayant des compétences variées et issus de pays diffé- diplômantes accessibles en France pour accéder à la somme rents, tels que les pays européens, le Brésil, le Canada, des données les plus actuelles sur la prévention, le dépistage la Chine, le Japon, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. et la prise en charge multidisciplinaire des DTM. Une récente Également, afin de soutenir la recherche orthodontique, Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. enquête, menée aux USA145, a montré que soixante-deux pour j’ai demandé à Wiley de parrainer deux prix qui seront cent des orthodontistes ayant participé à l’enquête estimaient attribués au « Groupe de recherche craniofaciale » et qu’ils n’avaient pas reçu une formation suffisante en occlu- au « Groupe de recherche orthodontique », apparte- sodontologie au cours de leurs études d’orthodontie. Comment nant à l’IADR. Au cours de ces deux ans et demi, j’ai l’enseignement de l’occlusodontologie est-il organisé en Italie ? pu observer une augmentation du nombre d’articles de qualité soumis pour publication. Le nombre de soumis- AM : En Italie, le processus éducatif en gnathologie, sions a augmenté d’environ 50 % par rapport à 2018, en troubles temporomandibulaires et en douleur avec près de 400 soumissions en 2020 et un taux de orofaciale varie selon les universités. Il permet générale- rejet d’environ 75 à 80 %. J’espère que cette tendance ment d’acquérir des connaissances au cours du premier positive se poursuivra à l’avenir, contribuant à asseoir la cycle de l’école dentaire et lors des études de troisième force et le prestige de l’orthodontie. cycle, dans le cadre de programmes de maîtrise (géné- ralement d’une durée d’un an). Cependant plusieurs PA : Vous êtes également chargée des fonctions de approches pédagogiques coexistent avec des diffé- rédactrice associée de l’European Journal of Oral Science, rences d’enseignement des TTM-DOF et des variations rédactrice associée du Journal of Oral Rehabilitation et dans le temps dévolu aux soins de patients atteints de membre du comité de rédaction de l’European Journal of TTM-DOF. Évidemment, il est important que l’étu- Orthodontics. Quelles différences avez-vous pu observer diant puisse à la fois bénéficier d’un enseignement entre ces journaux européens et la revue américaine théorique et clinique pour acquérir une compétence en Orthodontics & Craniofacial Research, en termes d’in- matière de TTM-DOF. En général, les cours consacrés fluence scientifique, de politique éditoriale, de nombre de aux douleurs orofaciales suivent les lignes directrices soumissions d’articles ou d’autres éléments ? pour l’enseignement universitaire de premier cycle sur la douleur orofaciale, telles que décrites par l’Académie AM : Effectivement, je travaille dans le domaine européenne des troubles temporomandibulaires123. éditorial depuis 2007 en tant que membre de comité de PA : Depuis janvier 2018, vous avez accepté de rédaction, rédactrice en chef adjointe et rédactrice en succéder au professeur Anne Marie Kuijpers-Jagtman au chef. Toutes les revues ont des facteurs d’impact simi- poste de rédactrice en chef de la revue Orthodontics & laires et légèrement fluctuants, allant de 1,5 à 2,5. La Craniofacial Research. Quel est votre retour d’expérience politique éditoriale concernant la gestion du processus après ces deux années et demie et quelle orientation édito- d’évaluation par les pairs est également très similaire. En riale souhaitez-vous insuffler à cette revue ? résumé, le rédacteur en chef et les rédacteurs adjoints sélectionnent les manuscrits à assigner au processus AM : Tout d’abord, je tiens à exprimer ma gratitude d’évaluation par les pairs. Les évaluateurs sont ensuite à la professeure Anne Marie Kuijpers-Jagtman qui m’a sollicités et la décision finale d’acceptation éventuelle, fait l’honneur de m’inviter à poursuivre son chemin, après le processus d’évaluation, est prise par le comité après qu’elle a elle-même longtemps servi la revue. Je de rédaction. Mon rôle au sein de l’European Journal of
Michelotti A, Amat P. Dysfonctionnements temporomandibulaires, occlusion, posture et orthodontie 271 Oral Sciences et du Journal of Oral Rehabilitation est de me et regarder, au-delà des dents, lorsqu’ils traitent des consacrer plus particulièrement aux thèmes des TTM et troubles temporomandibulaires. de la douleur oro-faciale, et je gère environ 50 manus- crits par an. L’European Journal of Orthodontics est lié à 1. Dysfonctionnements la Société Européenne d’Orthodontie et publie davan- temporomandibulaires (DTM) : tage d’articles européens ; l’Orthodontics & Craniofacial l’approche factuelle Research rassemble des articles de différents pays et n’est lié à aucune société. Pour l’ensemble des revues, le taux PA : Le titre choisi pour votre prochaine journée de de rejet varie entre 75 et 85 %. conférence, « Diagnostic et gestion des Dysfonctionnements temporomandibulaires en orthodontie : une approche PA : Ambra, j’ai eu la chance de vous côtoyer au sein de clinique basée sur des preuves scientifiques », met en l’Académie Européenne des Troubles Craniomandibulaires exergue l’approche factuelle de l’EBM. Comment avez- (EACD), dont nous étions tous les deux membres titu- vous intégré cette approche dans votre enseignement ? laires et dont vous avez été présidente en 2010. Elle a laissé place à l’Académie européenne de la douleur et AM : Il est admis en médecine et en médecine des dysfonctions oro-faciales (EAOPD) en juillet 2017. dentaire que les décisions diagnostiques ou thérapeu- Comme en témoigne le changement de son nom, cette tiques concernant chaque patient doivent être prises en Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. société scientifique privilégie maintenant l’étude de la tenant compte des principes de l’Evidence Based. Selon douleur cervico-faciale chronique et des neurosciences, en les règles de la médecine fondée sur les preuves (EBM), délaissant la recherche de références occlusales optimales. le clinicien doit conjuguer son expérience clinique, les Que pensez-vous de cette évolution ? valeurs du patient et les meilleures informations de recherche disponibles. Par conséquent, une mise à jour AM : L’EACD et l’EAOPD sont toutes deux des continue des connaissances du clinicien, tant du point sociétés importantes dans le domaine des troubles de vue clinique que des preuves issues de la littérature temporomandibulaires et des douleurs oro-faciales. évaluée par des pairs, est indispensable. Je pense qu’il est important pour les dentistes de considérer positivement cette évolution, qui leur PA : Face au défi de la décision thérapeutique13, le permet d’élargir leurs perspectives et leurs connais- praticien doit avoir conscience que nos patients sont en sances. Dans un article récemment publié par droit de ne pas être privés de thérapeutiques efficaces, Greene et Manfredini69, les auteurs ont souligné quelles qu’elles soient. Pour autant, ils le sont également que les TTM représentent l’affection musculosque- d’être informés de la différence entre convictions et faits lettique du système stomatognathique et que sa scientifiques12. L’approche fondée sur les faits permet gestion orthopédique traditionnelle fait appel à au clinicien de concilier ouverture d’esprit, prudence et des traitements conservateurs et/ou chirurgicaux. circonspection, lui évitant ainsi de sombrer dans un prosé- Force est de constater que la communauté dentaire lytisme béat. Avez-vous observé une évolution de l’exercice a longtemps suggéré que les TTM ont pour étio- clinique libéral de l’occlusodontologie, notamment de son logie une « mauvaise » relation entre la mandibule abord postural, vers des propositions thérapeutiques moins invasives et plus en adéquation avec les données publiées ? et le crâne et a proposé de les prendre en charge au moyen de traitements occlusaux irréversibles variés. AM : Oui. Un éditorial intéressant a été publié Assurément, l’occlusion est de la plus haute en 2017 par le professeur Palla137 sur la médecine importance dans le domaine dentaire et la recherche fondée sur la valeur et les soins centrés sur le patient. de références occlusales reste nécessaire. En effet, Il y a souligné un concept important : lors de l’éta- les dentistes travaillent sur les dents, ils modifient blissement du plan de traitement, le clinicien doit l’occlusion, ils reconstruisent les dents selon des tenir compte à la fois de la médecine fondée sur normes idéales qui devraient être la cible de leurs les preuves et de la médecine fondée sur la valeur traitements. Cependant, il est difficile de définir (VBM), qui fait référence à l’amélioration du bien- ce qui est « idéal ou optimal », et il est essentiel de être et de la satisfaction du patient, ainsi que des reconnaître ce qui est réellement nécessaire pour la aspects fonctionnels, émotionnels et psychosociaux. santé. Par conséquent, à mon avis, si les dentistes ne La VBM, selon l’approche centrée sur le patient et le doivent pas abandonner la recherche d’une référence processus décisionnel partagé, représente l’intégra- occlusale, ils doivent, en revanche, suivre les proto- tion des meilleures données factuelles à l’améliora- coles médicaux des affections musculosquelettiques tion perçue de la qualité de vie du patient conférée
272 Orthod Fr 2020;91,269–302 par une intervention de soins de santé. Par consé- Dysfonctionnements Temporomandibulaires (DTM)132, quent, le processus de la prise de décision théra- terme que nous avons retenu pour cet entretien. peutique repose sur l’intégration des résultats de la Quelle dénomination utilisez-vous dans vos cours et recherche avec l’état et les préférences du patient pourquoi ? dans le cadre de l’éthique médicale. En ce qui concerne l’occlusion et la posture, même AM : Je pense que la littérature offre une grande si les recherches menées au cours des deux ou trois diversité de définitions différentes, ce qui peut dernières décennies ont confirmé la nature biopsy- ajouter de la confusion à un domaine déjà complexe. chosociale des troubles temporomandibulaires J’utilise pour mes cours le terme « troubles tempo- (TTM) et leur étiologie complexe, de nombreux romandibulaires » (TTM), tel qu’il est défini dans les chirurgiens-dentistes continuent de gérer les TTM Critères de diagnostic des TTM154. par des thérapies occlusales. Ils proposent, même et Il s’agit d’un groupe d’affections musculosque- encore, de traiter les problèmes posturaux par des lettiques et neuromusculaires qui touchent les moyens occlusaux, en supposant qu’il existe une articulations temporomandibulaires, les muscles relation de cause à effet entre ce qu’on appelle la masticateurs et tous les tissus associés. Les signes « malocclusion » et les problèmes de posture corpo- et symptômes associés à ces troubles permettent relle et vice versa. Cependant, la littérature montre d’individualiser dix affections accompagnées de Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. qu’il est impossible de définir une « posture idéale » douleurs et/ou de dysfonctionnements. en combinaison avec une « occlusion idéale » et En complément, j’utilise la classification figu- qu’aucune plausibilité biologique ne soutient l’exis- rant dans la publication sur la taxonomie élargie tence d’une relation pathologique entre l’occlu- des critères de diagnostic des TTM138 pour définir sion et la posture corporelle. Les données publiées d’autres pathologies liées aux muscles masticateurs n’apportent également aucune preuve que les tests et aux ATM. Enfin, j’utilise la classification ICOP stabilométriques et/ou posturographiques aient (International Classification of Orofacial Pain), une quelconque validité diagnostique. Les thérapies récemment publiée77, pour la définition des patho- occlusales ne peuvent donc pas être considérées logies liées à la douleur orofaciale. comme médicalement acceptables pour le traite- Selon moi, il est important d’utiliser un langage ment des problèmes posturaux et, inversement, les commun, c’est-à-dire une classification commune, thérapies posturales/physiques ne peuvent pas être pour être compris des cliniciens. utilisées pour traiter les problèmes occlusaux. PA : Effectivement, les dysfonctionnements temporoman- dibulaires (DTM) sont définis comme des myoarthropathies 2. DTM : l’état actuel des connaissances de l’appareil manducateur. Ils englobent un certain nombre de conditions cliniques qui impliquent la mastication, les 2.1. Définition, prévalence, étiologie muscles, les articulations temporomandibulaires et les struc- et physiopathologie tures associées128. Pouvez-vous résumer pour nos lecteurs les principales données actuelles de leur physiopathologie ? PA : En 1970, D. Rozencweig avait proposé le terme de Syndrome Algo-Dysfonctionnel de l’Appareil AM : Il est notoire que l’étiopathogénie des TTM Manducateur ou SADAM. En 1994, il avait proposé de est complexe et multifactorielle. supprimer le S de SADAM et de ne garder que le qualifi- L’étude OPPERA (Orofacial Pain : Prospective catif d’ADAM, car les algies et troubles de l’articulation Evaluation and Risk Assessment), une étude de temporomandibulaire présentent des formes cliniques cohorte prospective visant à identifier les facteurs de variées et le terme Syndrome (ensemble de symptômes risque d’apparition de troubles temporomandibu- caractéristiques d’une maladie déterminée et consti- laires (TTM), en a été une étape importante. Un total tuant une entité clinique reconnaissable) semble parfois de 3263 sujets, initialement exempts de TTM, a été inapproprié, notamment en présence d’une pathologie recruté sur quatre sites d’étude américains entre 2006 inflammatoire traumatique, tumorale ou infectieuse des et 2008. Le diagnostic de TTM ultérieur a été posé par un ATM. Les algies n’étant pas systématiquement associées examen physique des articulations et des muscles mandi- aux dysfonctionnements de l’appareil manducateur, J.D. bulaires, à l’aide des Critères diagnostiques de recherche Orthlieb a recommandé la suppression du A d’ADAM, des TTM. Chaque sujet initialement indemne de TTM a et proposé de retenir le terme de Dysfonctionnement été suivi pendant une période médiane de 2,8 ans afin de l’Appareil Manducateur ou DAM9, puis celui de d’identifier les cas de première apparition de TTM125,158.
Michelotti A, Amat P. Dysfonctionnements temporomandibulaires, occlusion, posture et orthodontie 273 De nombreux facteurs de risque potentiels ont été population adulte italienne, la douleur liée aux TTM évalués, dont la détresse psychologique, l’état d’am- est associée au sexe féminin. plification élevé de la douleur, une mauvaise régu- Il est important de noter que nos résultats sont lation de la douleur, des antécédents d’affections similaires à ceux publiés pour d’autres échantillons de douloureuses, la présence d’autres comorbidités, des population, avec une prévalence de la douleur liée aux facteurs génétiques, des parafonctions, des troubles TTM d’environ 15 % et une augmentation des claque- du sommeil, des facteurs physiopathologiques tels ments de l’ATM entre l’adolescence et l’âge adulte. que la laxité articulaire et les facteurs hormonaux, des facteurs environnementaux tels que les traumatismes, PA : Cette association significative, que vous avez les infections, les facteurs de stress de la vie quoti- mise en évidence31,135, entre la prévalence des algies liées aux DTM et le sexe féminin, a également été établie par dienne, la culture et la démographie. Il est intéressant d’autres chercheurs, tant parmi la population géné- de noter que les facteurs squelettiques et occlusaux rale63,65,91,118,121 qu’au sein de populations de patients n’ont pas été évalués dans cette vaste étude car, selon souffrant de DTM94,167. Quelles explications étiopathogé- les preuves récentes, le rôle de l’occlusion dans l’étio- niques de cette prévalence accrue ont-elles été proposées ? pathogénie des TTM est faible et largement débattu. AM : Une revue systématique et méta-analyse PA : Vous avez consacré plusieurs études épidémiolo- Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. a récemment été publiée sur ce sujet par Bueno, et giques31,78,135,142,167 à la prévalence et aux caractéristiques al.23. Les auteurs ont souligné qu’il n’a pas encore été des DTM. Pouvez-vous nous faire part des principaux possible de clairement établir quelles sont les carac- résultats de vos recherches ? téristiques biologiques, psychologiques ou sociétales AM : Certainement, je vais vous résumer les qui prédisposent les femmes à souffrir plus souvent conclusions les plus récentes de cette série d’études. de TTM que les hommes. Les différences séparant En 2019, nous avons publié une étude épidémio- les sexes pourraient être liées à des facteurs hormo- logique142 sur la prévalence des malocclusions et des naux, culturels et sociaux, à un niveau de stress parafonctions orales autodéclarées chez 700 écoliers professionnel plus élevé chez les femmes, à des âgés de 9 à 11 ans. Notre étude a montré que les différences de sensibilité à la douleur, ainsi qu’à des malocclusions et les douleurs liées aux TTM sont comportements de recherche de santé. Rappelons fréquentes chez les écoliers italiens. Également, nous que la dépression et l’anxiété touchent les femmes, avons conclu que certains facteurs occlusaux, occlu- presque deux fois plus souvent que les hommes. sion inversée et inocclusion, ainsi qu’une fréquence Même s’il semble que le sexe féminin augmente de élevée de parafonctions orales autodéclarées, pour- plus de deux fois le risque de développer un TTM, raient être associés aux douleurs liées aux TTM. d’autres facteurs, tout aussi importants et rapportés En 2020, une autre étude épidémiologique trans- dans la littérature récente, doivent également être versale136 a été publiée, consacrée à la prévalence des pris en compte, tels que l’état de santé général TTM et des parafonctions orales chez 360 adoles- autoévalué, les troubles généraux liés à la douleur cents âgés de 14 à 18 ans, afin d’évaluer les associa- chronique, l’âge, le lieu d’étude, l’appartenance tions entre l’âge, le sexe, les habitudes orales et les ethnique et les facteurs psychosociaux et génétiques. TTM. Nous avons constaté que près d’un tiers de PA : Vous nous l’avez rappelé : l’étiologie des dysfonc- l’échantillon présentait au moins un diagnostic de tionnements temporomandibulaires (DTM) est multifacto- TTM, la douleur myofasciale étant la plus fréquente, rielle et implique de nombreux facteurs étiologiques directs et que le sexe féminin et les habitudes orales étaient et indirects43. Au sein de ces facteurs, le rôle de l’occlusion significativement associés aux TTM. n’est effectivement plus reconnu comme primordial68,147. En 201978, nous avons évalué la prévalence de la Pouvez-vous nous dresser un tableau des principales douleur liée aux TTM, des bruits de l’ATM et des données actuelles sur les facteurs étiologiques des DTM ? comportements oraux chez 4300 adultes. Nous avons constaté que le symptôme le plus fréquent AM : Dans le manuel « Orofacial Pain » publié en dans l’échantillon était le claquement de l’ATM 2018 par l’American Academy of Orofacial Pain et édité (30,7 %), suivi de la douleur liée aux TTM (16,3 %) par De Leeuw et Klasser43, les facteurs étiologiques et du crépitement de l’ATM (10,3 %). Des compor- des TTM sont divisés en trois catégories : facteurs tements oraux ont été signalés dans 29 % de d’initiation (qui peuvent provoquer l’apparition l’échantillon. Enfin, dans un échantillon général de la du TTM), facteurs prédisposants (qui augmentent
274 Orthod Fr 2020;91,269–302 le risque de TTM) et facteurs de perpétuation (qui autrement, ne souffriraient pas64. Vous avez montré que peuvent entraver la guérison et favoriser la progres- les personnes souffrant de douleurs musculaires mastica- sion du TTM). Des facteurs individuels peuvent jouer toires ont une fréquence accrue d’épisodes de serrement l’un ou l’autre de ces rôles et il n’existe pas de modèle diurne de forte et de faible intensité35. Quelles implications théorique unique pouvant expliquer l’apparition cliniques en tirez-vous ? d’un TTM. Les traumatismes, les facteurs physiopathologiques, AM : Le rôle du serrement diurne dans l’ap- les facteurs psychosociaux et les facteurs anatomiques parition ou l’entretien d’une douleur temporo- mandibulaire est largement discuté au sein de sont pris en compte. Parmi les facteurs anatomiques, la communauté dentaire. Une association signi- les caractéristiques squelettiques et occlusales ont été ficative entre le serrement diurne des dents et la longuement débattues dans la littérature au cours des douleur myofasciale des muscles masticateurs a été dernières décennies et de nombreuses revues narra- démontrée. Le rôle contributif des parafonctions tives et systématiques leur ont été consacrées. orales a été soutenu par la réduction significative J’ai déjà mentionné, et j’agrée totalement avec les des symptômes algiques observée après un traite- conclusions d’une récente revue narrative de Greene et ment de renversement des habitudes. Cependant, Manfredini69. Les auteurs ont conclu que la validité et les patients n’ont généralement pas conscience de l’utilité du « diagnostic » de « bonnes » ou « mauvaises » Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. leurs habitudes orales. relations occlusales ou articulaires devraient être En clinique, il serait souhaitable que les orthodon- remises en question et que le modèle de traitement tistes gardent présent à l’esprit l’association entre les conservateur/chirurgical à orientation médicale pour parafonctions orales, les TTM et des caractéristiques diagnostiquer et traiter les TTM devrait être utilisé. psychologiques de leurs patients, et qu’ils essayent 2.2. DTM et bruxisme d’identifier les personnes qui pourraient présenter un risque de complications, lors de traitements dentaires PA : Les interrelations entre DTM et bruxisme17, et orthodontiques irréversibles et prolongés. d’éveil ou du sommeil, doivent être encore éclaircies18,81 95,124,152 . Quel est l’apport des dernières données publiées ? PA : Le récent numéro spécial international « TROS et ODF » de l’Orthodontie Française atteste de l’importance AM : Oui et la progression des connaissances en du problème de santé publique et de sécurité, que repré- ce domaine commence par le prérequis d’une défi- sentent les troubles respiratoires obstructifs du sommeil71. nition du bruxisme. En 2018, un consensus interna- La probabilité d’observer un bruxisme du sommeil est tional a été obtenu sur une définition des bruxismes presque quatre fois plus élevée en présence de TROS, du sommeil et de l’éveil, comme étant des activités avec un lien temporel strict entre l’épisode respiratoire musculaires masticatoires se produisant respecti- obstructif ou de désaturation et l’épisode de bruxisme vement, pendant le sommeil (caractérisées comme qui survient, le plus souvent, dans les 0 à 10 secondes rythmiques ou non rythmiques) et l’éveil (caracté- qui suivent25. Quelle place tient la médecine dentaire du risées par des contacts interdentaires répétitifs ou sommeil dans votre enseignement et vos consultations soutenus et/ou par des mouvements toniques ou d’occlusodontologie ? de poussée de la mandibule sans contact dentaire). Chez les personnes, par ailleurs en bonne santé, AM : C’est un point important. Le syndrome le bruxisme ne doit pas être considéré comme un d’apnée obstructive du sommeil (SAOS) est un trouble, mais plutôt comme un comportement qui trouble respiratoire chronique du sommeil qui peut être un facteur de risque (et/ou de protection) touche 5,9 % des femmes et 12,5 % des hommes pour certaines conséquences cliniques88. Il convient de la population générale de plus de 40 ans. Le de noter que tous les sujets affectés d’un bruxisme, repositionnement vers l’avant de la mandibule, du sommeil ou de l’éveil, ne présentent pas nécessai- au moyen d’un dispositif d’avancement mandibu- rement des signes et des symptômes de TTM. laire (MAD), est une thérapie de choix du SAOS. Par conséquent, le bruxisme ne doit être traité ou pris Elle contribue à élargir la dimension horizontale en charge qu’en présence de conséquences cliniques. du pharynx, stabiliser l’os hyoïde et le palais mou, étirer les muscles de la langue et empêcher l’abais- PA : Le serrement parafonctionnel des dents semble sement en rotation postérieure de la mandibule. La augmenter la douleur temporomandibulaire et pourrait thérapie MAD remplit généralement les critères de conduire à un diagnostic de DTM chez des personnes qui, succès du traitement du SAOS en abaissant l’indice
Michelotti A, Amat P. Dysfonctionnements temporomandibulaires, occlusion, posture et orthodontie 275 d’apnée-hypopnée (IAH). Elle améliore à la fois la 2.3. DTM, position du processus condylaire qualité du sommeil et les performances au travail. La et occlusion dentaire thérapie par MAD est cependant associée à plusieurs PA : Il a été suggéré qu’une interférence occlusale effets secondaires : à court terme, des troubles arti- pourrait augmenter l’activité habituelle des muscles culaires et musculaires, une irritation des gencives manducateurs et conduire à l’apparition de DTM. Vous et une salivation excessive, qui peut être gérée ou avez testé ces hypothèses au moyen d’une étude transver- même évitée grâce à une thérapie comportementale sale randomisée en double aveugle108 et l’enregistrement conservatrice ; tandis qu’à long terme, les principaux électromyographiques des masséters n’a, soit, pas montré effets secondaires signalés sont des modifications de changement de leur activité, soit mis en évidence une dento-squelettiques. baisse de celle-ci, et aucun des sujets n’a développé de Les SAOS non diagnostiqués représentent incon- signes et/ou de symptômes de DTM pendant l’étude. testablement un réel problème de santé publique. Vous avez également montré que l’application d’une L’enseignement de la médecine dentaire du sommeil interférence occlusale active, c’est-à-dire collée sur une est donc souhaitable et nécessaire. Les dentistes et zone de contact occlusal, n’a pas influencé de manière les orthodontistes doivent être formés et pouvoir significative les seuils de douleur à la pression de ces bénéficier d’une mise à jour de leurs connaissances muscles chez les individus en bonne santé109, ou des sur le diagnostic et la prise en charge du SAOS. Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. femmes souffrant de myalgies manducatrices34. Prenons l’exemple des orthèses occlusales. Elles sont Vos études confirment l’important potentiel d’adap- fréquemment utilisées pour la gestion des troubles tation de l’appareil manducateur face à des périodes de temporomandibulaires et du bruxisme, dans le cadre surcharges mécaniques raisonnables et épisodiques133. des procédures de réhabilitation des patients souffrant Selon vous, quelles implications cliniques en découlent ? d’usure dentaire occlusale, et comme protection des restaurations dentaires. Cependant, les orthèses occlu- AM : Vous évoquez l’un des sujets principaux de sales modifient l’espace entre les arcades dentaires et mes études, celui de l’évaluation des interférences réduisent l’espace disponible pour la langue. Il a été occlusales sur l’activité des muscles masticateurs, et démontré qu’une augmentation de l’espace entre les leurs implications cliniques sur les signes et symp- mâchoires, sans protrusion mandibulaire, pourrait tômes des TTM. être associée à un risque d’aggravation du SAOS122. Nous avons réalisé une étude pour mesurer l’acti- Avant de prescrire une orthèse occlusale de stabilisa- vité électromyographique des muscles masticateurs tion, qui pourrait aggraver les symptômes de l’apnée et pour évaluer la fréquence, l’amplitude et la durée du sommeil, Il est donc important que les dentistes des épisodes de serrement diurne, chez des patients recherchent préalablement l’existence d’un SAOS atteints de TTM et souffrant de douleurs muscu- chez leurs patients souffrant de bruxisme. laires masticatoires, par rapport à un groupe témoin d’individus non douloureux. Nous avons confirmé PA : Vous avez participé au développement du que les individus souffrant de douleurs musculaires Qu-ATEBS, un outil d’évaluation de la qualité en sept points basé sur des preuves et développé pour être utilisé masticatoires présentent une fréquence plus élevée dans des revues systématiques d’études expérimentales sur d’épisodes de serrement diurne que les individus le bruxisme40. Pouvez-vous nous faire part des perspectives non douloureux35. d’utilisation de ce nouvel outil ? Dans une autre étude, nous avons montré que l’application d’une interférence occlusale avait un AM : L’apport de ce nouvel outil est lié à l’utilisa- impact mineur chez les individus ayant une faible tion du processus Delphi, qui permet de combiner des fréquence de comportements parafonctionnels, preuves empiriques avec des avis d’experts. L’objectif est et aggravait les douleurs musculaires masticatoires de parvenir à un consensus et de développer un instru- et les maux de tête chez les individus ayant une ment d’évaluation de la qualité, en vue de l’évaluation fréquence élevée de parafonctions105. du bruxisme expérimental lors de la réalisation de Dans l’une des études que vous avez citées34, nous revues systématiques. En d’autres termes, cet article avons également étudié les épisodes de serrement visait à développer un outil d’évaluation standardisée après l’application d’une interférence occlusale chez de la qualité pour le bruxisme expérimental avec une des femmes souffrant de douleurs musculaires masti- méthode qui peut également être extrapolée à d’autres catoires. Les résultats ont révélé que les patientes modalités de douleur orofaciale. n’ont pas évité l’interférence, ce qui contraste avec
276 Orthod Fr 2020;91,269–302 le comportement d’évitement enregistré chez des des malocclusions doit être démontrée ; (4) les femmes volontaires ne souffrant pas de douleur. sous-types de TTM, qui peuvent être plus suscep- Chez ces dernières, après l’insertion d’une interfé- tibles d’être affectés par des facteurs structurels, rence occlusale, nous avons montré une réduction doivent être redéfinis. Ils doivent l’être, d’une part, de l’activité des masséters pour éviter l’interférence en fonction des mécanismes par lesquels les facteurs perturbatrice108. La différence de réaction pour- structurels présumés affecteraient différemment les rait être liée au fait que les patientes souffrant de sous-types et, d’autre part, en fonction des raisons douleurs musculaires masticatoires ont l’habitude pour lesquelles certains sous-types pourraient être de garder leurs dents en contact pendant l’éveil, plus à risque ; et (5) les hypothèses concurrentes plus souvent que ne le font les personnes en bonne basées sur les preuves actuellement disponibles et santé. Ce manque d’adaptation soutient l’hypothèse suggérant l’importance des facteurs psychosociaux, selon laquelle les sujets atteints de TTM pourraient dans l’étiopathogénie des TTM, doivent être prises s’adapter moins bien à l’introduction d’une interfé- en compte simultanément. rence occlusale que les sujets sans TTM. La plupart des recherches concernant l’occlusion et Enfin, une autre étude nous a permis de montrer les TTM ont été limitées aux caractéristiques structu- qu’après l’application de séparateurs orthodontiques, relles associées à une occlusion purement statique (par les sujets présentant une forte amplification soma- exemple, la classification d’Angle) ou à des aspects Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. tosensorielle et une anxiété-trait (qui correspond à une prédéfinis de l’articulation (par exemple, les interfé- disposition individuelle relativement stable à éprouver rences du côté balançant), en supposant qu’il existe de l’anxiété) ont signalé une gêne et une douleur occlu- nécessairement un corrélat ou une conséquence fonc- sales plus importantes que celles de sujets présentant tionnelle mesurable de la caractéristique identifiée. de faibles amplification somatosensorielle et anxié- La variabilité interindividuelle reste une réalité té-trait36. Cette constatation suggère une hypervigi- clinique. Le défi pour le clinicien consiste à identifier les lance occlusale. Elle se caractérise par une attention exceptions, puis à recourir à une démarche de résolu- accrue et persistante portée aux sensations faibles et tion de problèmes exceptionnels. Les données actuelles peu fréquentes, et par une attention accrue portée aux peuvent être améliorées, pour favoriser l’intégration sensations somatiques interprétées comme potentiel- pratique du domaine psychosocial dans l’exercice lement plus alarmantes, menaçantes et dérangeantes. orthodontique. La capacité d’adaptation du patient En résumé, sur le plan clinique, nos résultats ont est une notion capitale en médecine dentaire, dans la montré que les patients souffrant de douleurs liées mesure où une modification occlusale effectuée, dans aux TTM semblent être plus conscients des inter- le cadre d’un plan de traitement restaurateur complet, férences occlusales, en raison de la fréquence plus peut dépasser cette capacité et déclencher l’apparition élevée de leurs comportements parafonctionnels d’un « TTM » iatrogène. Il est donc essentiel pour le oraux et de leur hypervigilance occlusale. clinicien de bien appréhender son patient, du niveau de son système masticatoire jusqu’à celui de sa personne. PA : Au-delà des défauts d’homogénéité des méthodes employées dans les études et d’une définition trop impré- PA : Vous avez également montré que les effets des cise des critères diagnostiques des DTM, ne pensez-vous pas interférences occlusales expérimentales varient en fonc- que le considérable potentiel d’adaptation-compensation de tion du niveau, élevé ou faible, d’activité parafonction- l’appareil manducateur rende délicate la recherche de corré- nelle orale diurne105. Pouvez-vous nous en donner les lations nettes entre les anomalies de l’occlusion et les DTM ? conclusions et les implications thérapeutiques ? AM : Tout à fait. Pour explorer la possibilité d’une AM : L’hyperactivité de l’appareil masticatoire relation entre l’occlusion et les TTM, cinq prérequis peut concerner des comportements oraux fonction- sont nécessaires : (1) la frontière entre une occlusion nels (mastication d’aliments habituels, de gomme, de acceptable et une occlusion pathologique doit être tabac, de graines de tournesol, etc.). Elle peut aussi beaucoup mieux définie ; (2) les variables occlusales impliquer des comportements « parafonctionnels », existantes, qui ont été l’objet d’une grande attention dont des contacts dentaires non fonctionnels, le serre- dans les recherches déjà publiées, doivent être mieux ment et le grincement des dents, la morsure d’ob- définies sur le plan opérationnel et complétées par jets tels que les ongles, les doigts ou les lèvres et des des attributs supplémentaires relatifs à l’occlusion ; comportements de mouvements toniques d’immo- (3) la fiabilité de l’évaluation et de la classification bilisation ou de poussée de la mandibule sans contact
Michelotti A, Amat P. Dysfonctionnements temporomandibulaires, occlusion, posture et orthodontie 277 dentaire. La littérature actuelle ne soutient pas la PA : Vous avez mis en évidence que les malocclusions, croyance, selon laquelle l’occlusion en soi influence les parafonctions orales autodéclarées et les algies tempo- l’apparition de contacts dentaires non fonctionnels. romandibulaires sont fréquentes chez les écoliers italiens et Cependant, l’interaction entre les variables occlusales que certains traits occlusaux et une activité parafonction- et les modèles spécifiques associés à l’activité para- nelle orale élevée pourraient être associés à ces algies142. fonctionnelle doit être évaluée afin de déterminer les Pouvez-vous nous détailler les conclusions de votre étude limites de la « normale » pour l’état occlusal de l’indi- et nous indiquer quelles sont ces malocclusions ? vidu. Il convient d’examiner plus avant si les modifica- AM : Bien volontiers. Selon notre étude récem- tions occlusales chez les patients atteints de TTM sont ment publiée142, la prévalence de la douleur liée aux plus à risque, si le patient a déjà ou est indépendam- TTM chez les écoliers était de 14,7 %. Une asso- ment à risque d’une activité musculaire accrue, liée à ciation significative entre la fréquence élevée des des comportements parafonctionnels. Également, il scores de parafonctions orales auto-déclarées et la faut évaluer si les individus qui présentent une activité douleur liée aux TTM a été constatée. Ces résultats musculaire accrue, mais qui sont par ailleurs négatifs sont conformes à l’hypothèse selon laquelle les acti- pour les TTM, sont plus à risque de développer un vités parafonctionnelles pourraient représenter un TTM lorsqu’ils subissent une procédure de modifica- facteur de risque de douleur liée aux TTM. tion occlusale telle qu’en orthodontie. Copyright © 2021 John Libbey Eurotext. Téléchargé par editsfodf le 11/01/2021. D’autre part, une association significative entre l’in- PA : Les résultats de votre étude cas-témoins transversale20 fraclusion et une douleur liée aux TTM a également été indiquent que les patients souffrant d’algies temporomandi- constatée. Cependant, ce résultat doit être interprété bulaires ont une meilleure acuité tactile occlusale par rapport avec prudence en raison du nombre restreint de sujets aux témoins non douloureux. Avez-vous constaté que cette inclus dans le groupe infraclusion. Enfin, une associa- acuité accrue complique leur prise en charge thérapeutique ? tion entre l’occlusion croisée postérieure et les signes et symptômes de TTM a été trouvée. Cependant, une AM : Je vous remercie de souligner cette importante revue systématique étudiant la relation entre l’occlusion notion. Nous avons effectivement comparé la plus petite croisée et la douleur musculaire masticatoire chez les épaisseur perceptible entre les dents en occlusion (acuité adultes a donné lieu à des conclusions controversées. tactile occlusale - ATO) par des patients souffrant de En conséquence, cette conclusion doit également être douleurs liées aux troubles temporomandibulaires avec interprétée avec une grande prudence et ne justifie pas celle perçue par des témoins. Nous avons constaté que la correction de cette malocclusion, pour prévenir ou les sujets souffrant de douleurs liées aux TTM présen- guérir les douleurs liées aux TTM. taient une ATO accrue par rapport aux témoins. Il est important de prendre en compte la percep- PA : Charles S. Greene a attiré l’attention des ortho- tion des symptômes associés aux structures occlu- dontistes66,70,82 sur ce qu’ils « doivent savoir et faire au sujet des articulations temporomandibulaires »66. sales. En effet, les facteurs cognitifs (par exemple, Dans votre Introduction par la rédactrice en chef101, catastrophiques), attentionnels (par exemple, vous présentiez le premier commentaire critique, rédigé sur l’hypervigilance) et perceptifs (amplification des votre invitation par cet auteur et publié dans Orthodontics symptômes) contribuent clairement à la réactivité & Craniofacial Research67. En se basant sur un ensemble de psychophysiologique aux traitements. En particulier, faits anatomiques, statiques et fonctionnels, il y présente une l’hypervigilance explique les résultats rapportés lors nouvelle perspective de la position que devrait occuper le du traitement occlusal de patients atteints de TTM processus condylaire au sein de la fosse mandibulaire de l’os et pour lesquels les symptômes associés à l’occlu- temporal. Pouvez-vous nous en livrer les conclusions et faire sion sont prédominants. L’hypervigilance peut être bénéficier nos lecteurs de vos propres recommandations ? considérée comme une « habitude perceptive », dans laquelle l’attention est concentrée sur des sensations AM : Certaines personnes semblent penser que d’un type particulier, avec une amplification subjec- l’ATM peut être comparée à la hanche, articulation tive des perceptions. On peut supposer que l’hypervi- semblable à une boule articulée dans une cavité. gilance, associée à d’autres états psychologiques tels L’ATM est différente et il n’existe pas de relation que l’anxiété ou la dramatisation, pourrait être un fonctionnelle entre le processus condylaire et la facteur de risque chez les patients atteints de TTM, fosse mandibulaire (Fig. 1). Bien qu’ils soient clai- lorsque la gestion thérapeutique comprend une rement voisins sur le plan anatomique, ils n’ont en modification de l’occlusion. fait que peu ou pas de contact, aussi bien lorsque
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