En Israël, Benyamin Nétanyahou se bat pour survivre - Reforme.net

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Publié le 13 mai 2021(Mise à jour le 17/05)
Par Stéphane Amar

En Israël, Benyamin Nétanyahou
se bat pour survivre
Malgré une longévité au pouvoir qui force la reconnaissance, Benyamin
Nétanyahou voit aujourd’hui sa position à la tête de l’exécutif israélien fragilisée.
Les affaires de corruption et de fraude qui le rattrapent auront-elles raison du
Premier ministre ?

En Israël, on le surnomme « le Magicien ». Car au cours de sa longue carrière
politique, Benyamin Nétanyahou a su maintes fois se sortir de mauvaises passes
et nouer d’improbables alliances. Cette fois-ci, le Magicien semble avoir perdu la
main. Arrivé largement en tête du scrutin le 23 mars dernier, il a été incapable de
rassembler une coalition de 61 députés. Pourtant la Knesset, le parlement
israélien, compte une écrasante majorité de députés de droite, d’extrême droite
et orthodoxes, les partenaires naturels du Likoud, le parti de Nétanyahou.
Problème : deux de ses anciens lieutenants, Avigdor Lieberman et Gideon Saar,
ont fondé leur propre formation et refusent de participer à une coalition dirigée
par leur ex-mentor. Quant à Naftali Bennett, à la tête d’un petit parti nationaliste,
il veut bien composer avec lui mais n’apporte que sept députés : insuffisant pour
obtenir la majorité nécessaire pour gouverner.
Un bilan non négligeable
L’incroyable longévité politique de Nétanyahou explique largement ce désaveu.
Le Premier ministre israélien est victime de l’usure du pouvoir. À la tête du
gouvernement de 1996 à 1999 et depuis 2009, il a largement battu le record du
père fondateur, David Ben Gourion. « Parmi les jeunes électeurs, beaucoup n’ont
connu que Nétanyahou comme Premier ministre, constate Aviv Bushinsky, l’un de
ses anciens conseillers. Il a du talent et d’indéniables réussites mais les gens
veulent du changement. »

De fait, Benyamin Nétanyahou n’a pas démérité. Lorsqu’il revient aux affaires, le
pays se remet difficilement d’un soulèvement palestinien dévastateur (la
deuxième Intifada), de la deuxième guerre du Liban (été 2006) et du premier
grand affrontement avec les islamistes du Hamas à Gaza (janvier 2009). Adepte
de la fermeté et hostile à toute négociation avec les Palestiniens, Nétanyahou
parvient à ramener la sécurité dans les rues israéliennes et aux frontières du
pays.

   « Autrefois isolé et dépendant du seul soutien des États-Unis, l’État d’Israël a
         noué de solides relations avec nombre de puissances mondiales »

Parallèlement, il redresse l’économie et propulse son pays vers les sommets de
l’économie mondiale. Lors de la récente campagne de vaccination anti-Covid, les
médias du monde entier ont salué l’efficacité et le dynamisme du dirigeant
israélien. Mais la diplomatie restera incontestablement la grande affaire de
Nétanyahou. Autrefois isolé et dépendant du seul soutien des États-Unis, l’État
d’Israël a noué durant la dernière décennie de solides relations avec nombre de
puissances mondiales : l’Inde, la Chine, la Russie, le Brésil ou encore les pays
d’Europe de l’Est comme la Hongrie ou la Pologne. Nétanyahou aura aussi obtenu
le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaissance de la
Ville sainte comme capitale d’Israël. « Ce sont des acquis considérables, même
ses adversaires le reconnaissent », note Meïr Ben-Hayoun, un militant du parti
ultranationaliste Force juive.
Procès pour corruption
Ce bilan flatteur a été terni par une série de procédures judiciaires pour
corruption, fraude et trafic d’influence. Malgré ses véhémentes dénégations et
une brillante équipe d’avocats, le Premier ministre a été traduit devant la justice
de son pays. Images dévastatrices que ses apparitions devant les juges du
tribunal de grande instance de Jérusalem, entouré de ses gardes du corps et d’un
carré de fidèles. « Nétanyahou doit partir, tonne Avihaï Grosz, un habitué des
manifestations du samedi soir sous les fenêtres de la résidence du Premier
ministre, rue Balfour. Il conserve le soutien d’un quart de l’opinion mais tous les
autres rêvent de le voir quitter le pouvoir. »

Arriveront-ils à leurs fins ? Blessé, le vieux lion ne s’avoue pas vaincu. Certain que
le centriste Yaïr Lapid, désigné par le président de l’État Reuven Rivlin, n’a
aucune chance de former une coalition, il se tient prêt à jouer les sauveurs. Il a
même proposé à Naftali Bennett une rotation à la tête du gouvernement. Si
aucune solution ne se dessine d’ici la fin du mois de mai, les Israéliens
retourneront aux urnes. Pour la cinquième fois en deux ans et demi.

Stéphane Amar, correspondance de Jérusalem

  Manque de gouvernance et nouvelles graves tensions

  Depuis un mois, les tensions montent à Jérusalem. La ville a vu les agressions et
  manifestations anti-juives et anti-arabes se multiplier. Ces dernières impliquent
  seulement quelques centaines de personnes, mais cristallisent dangereusement
  l’opinion. Pas de gouvernance, ni de vision. La rue est laissée aux radicaux,
  dont certains se voient, à l’instar du député suprémaciste pro-colons Itamar Ben
  Gvir, promus partenaires essentiels de la coalition par Benyamin Nétanyahou.
  De l’autre côté, le Hamas fait monter la tension depuis Gaza, et impose son
  leadership sur le Fatah de Mahmoud Abbas. Mais ce qui n’était pour le moment
  qu’une confrontation causant, malgré tout, des centaines de blessés côté
  palestinien et plusieurs dizaines chez les policiers israéliens, s’est transformé
  en un conflit militaire avec Gaza qui pourrait durer. Le mouvement islamiste du
  Hamas, qui gouverne Gaza, et le Jihad islamique ont tiré des centaines de
  roquettes sur des cibles civiles en Israël, en réponse aux violences sur
l’esplanade des Mosquées.

 Pierre-Simon Assouline

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Publié le 11 mars 2021(Mise à jour le 16/03)
Par Rédaction Réforme
Procès Sarkozy dit “des écoutes” :
les juges sont-ils allés trop loin ?
Le 1er mars, Nicolas Sarkozy a été condamné à trois ans de prison, dont un
ferme, pour corruption et trafic d’influence. Une peine discutable pour les uns,
reflet de l’indépendance de la justice pour les autres. Deux anciennes magistrate
et avocate s’expriment sur ce jugement en première instance. L’ancien chef de
l’État a fait appel.

L’avis d’Emmanuelle Hauser-Phélizon
Avocate honoraire, ancien membre du Conseil de l’Ordre

Dans l’affaire qui a dernièrement impliqué Nicolas Sarkozy, les écoutes
téléphoniques ont beaucoup fait réagir. Je n’y reviendrai pas, tout a été dit. En
revanche, la construction du jugement m’interpelle. Elle reflète un procédé
habituel dans ce genre d’affaire : les éléments juridiques sont effilés de manière à
coller aux événements rapportés. En tirant sur tous les fils, les magistrats
déduisent les faisceaux d’indices qui vont aboutir à la condamnation. Je le perçois
comme une construction intellectuelle. Car si certains points semblent
incontestables, d’autres m’interpellent. On fait état des nombreux échanges entre
M. Azibert et M. Herzog, ce qui est assez naturel dans ce contexte. Il arrive que
des magistrats et des avocats échangent sous « la foi du palais » sur des affaires
en cours sans qu’il y ait pour cela des soupçons de corruption, et de simples
renseignements ne peuvent constituer un délit.

Un deuxième aspect me choque. « La preuve du pacte de corruption ressort d’un
faisceau d’indices graves, précis et concordants résultant des liens très étroits
d’amitié noués entre les protagonistes (Thierry Herzog et Nicolas Sarkozy), des
relations d’affaires renforçant ces liens (…) », est-il écrit dans le jugement. Les
deux hommes sont amis, c’est loin d’être un scoop ! Ils le sont depuis des années
et ce n’est pas un délit. Or le jugement en conclut que le pacte de corruption
résulte de ces liens.
D’autre part, on établit des rapprochements entre des événements éloignés dans
le temps. La question d’un poste à Monaco n’intervient que quelques mois après
la demande d’informations. Cet éloignement temporel ne fait pas a priori obstacle
à un éventuel pacte de corruption mais exigerait une plus grande rigueur dans la
recherche des preuves.

Enfin, je suis sidérée de lire dans le jugement qu’« il est évident qu’obtenir des
informations privilégiées sur les avis de l’avocat général (M. Azibert) ou du
conseiller rapporteur, les dates des délibérations et l’opinion des conseillers
amenés à siéger, permet à une stratégie d’influence de se mettre en place, ce qui
n’est pas sans conséquence sur la décision à intervenir ». Pour moi, affirmer que
c’est évident révèle une faiblesse dans la chaîne du raisonnement. Or la stratégie
d’influence semble davantage ressortir d’une déduction que de preuves tangibles.

L’avis d’Irène Carbonnier
Magistrate

On a du mal à comprendre les interprétations polémiques des 254 pages du
jugement où l’on peut lire les conversations entre l’ancien président de la
République et son avocat et ami Thierry Herzog, ainsi que celles du premier
avocat général à la Cour de cassation Azibert, lui aussi placé sur écoute, et les
motifs ayant conduit les juges à retenir la culpabilité des prévenus pour des faits
de corruption active et passive, trafic d’influence, violation et recel de violation du
secret professionnel.

Non, le dossier n’est pas vide, le jugement décrit précisément les preuves ayant
convaincu trois juges indépendants : ce sont les écoutes ! Et ces preuves
paraissent accablantes : sur les 19 transcriptions d’écoutes entre Nicolas Sarkozy
et Thierry Herzog, définitivement validées à la phase de l’instruction, le tribunal a
considéré que l’exigence de protection des droits de la défense lui permettait d’en
retenir 17 comme moyens de preuve parce qu’elles contenaient intrinsèquement
des indices de participation à des infractions. Si le secret professionnel, la
confidentialité de la relation du client avec son avocat, sont des garanties
primordiales de procès équitable, ces principes ne sont pas intangibles : ici, la
transcription des conversations n’a pas paru constituer une atteinte
disproportionnée aux droits protégés par la Convention européenne des droits de
l’homme dès lors qu’elle vise un but légitime, prévenir les infractions, et suit des
procédures claires.

Bien sûr, on peut toujours interroger la proportionnalité des peines prononcées,
leur éventuelle sévérité au vu du fiasco final de cette affaire pour les trois amis.
Certes, l’arrêt rendu par la Cour de cassation n’a pas été celui qu’attendaient
Nicolas Sarkozy et son conseil, et que leur faisait miroiter le magistrat. Et ce
dernier n’a pas obtenu le poste convoité à Monaco. Aurait-il été approprié que le
tribunal se contente d’une peine de principe au prétexte que le ridicule avait
peut-être déjà tué la bande des trois et sans considération pour l’atteinte à la
confiance publique que chacun est en droit d’accorder à la justice ? Le tribunal a
donc fait une application classique de la loi : toute peine doit tenir compte de la
gravité des faits, punis de dix ans de prison, ainsi que de la personnalité de leurs
auteurs et de leur situation personnelle. Ces condamnations marquent-elles un
pas de plus vers la séparation des pouvoirs en France ?

Propos recueillis par Claire Bernole

Publié le 15 mai 2019(Mise à jour le 15/05)
Par Nathalie Leenhardt
Film : “El reino”, corruption à
l’espagnole
El Reino, le récit trépident d’une affaire de corruption en Espagne.

Au début, il faut le reconnaître, on a un peu de mal à suivre, même beaucoup,
face à ce groupe de « copains » dont on va découvrir qu’ils sont surtout des
« coquins », embarqués sur le hors-bord de l’un d’eux puis dans une affaire
judiciaire. Les dominos s’écroulent les uns après les autres, le rythme s’accélère.
Tiré de faits réels – une affaire de corruption dans le sud de l’Espagne –, le film
est remarquable, porté par une musique martelée qui devient vite angoissante.
Qui trahit qui ? Qui dénonce qui ? Qui va porter le chapeau au nom de tous les
autres ?

En dehors de Pedro Almodovar, il n’est pas si fréquent d’entendre parler de
réalisateurs espagnols contemporains. Si celui de Rodrigo Sorogoyen nous était
encore inconnu, il ne le restera pas…

El reino, Rodrigo Sorogoyen, 2h11, en salles.

Découvrez la bande annonce :
Publié le 3 avril 2019(Mise à jour le 3/04)
Par Laurence Soustras

“Blockchain” : l’intelligence
artificielle peut-elle aider à lutter
contre la corruption ?
Que peuvent les nouvelles technologies contre la fraude et la corruption ?

Xiaochen Zhang, président de FinTech4Good, incubateur spécialisé dans
l’intelligence artificielle et les cryptomonnaies, se rappelle le moment où il a été
approché à la fin d’un séminaire par le maire d’un village chinois. Ce dernier
venait lui demander comment il pouvait installer la technologie blockchain.
Devant l’étonnement de Xiaochen Zhang, le maire a expliqué que ses administrés
soupçonnaient constamment des détournements de subventions et qu’il avait
décidé d’étudier un moyen de dissiper leurs doutes en rendant publiques les
données financières de sa commune.

Comment ? Avec le blockchain, ou « chaîne de blocs », une sorte de base de
données qui contient l’historique des échanges de ses utilisateurs. Sécurisée car
partagée sans intermédiaire, c’est une sorte de grand livre comptable public
indestructible dont les données ne peuvent pas être effacées ni modifiées sans
trace. « La technologie blockchain rend les données très complexes à falsifier », a
expliqué Xiaochen Zhang, lors du Forum mondial sur l’intégrité et lutte
anticorruption organisé en mars à Paris par l’OCDE. Elle permet notamment la
responsabilisation des acteurs et l’efficacité des coûts, des avantages sur
lesquelles le gouvernement chinois s’est empressé de capitaliser pour lutter
contre les fraudes. Les douanes de la zone économique spéciale de Xiamen
utilisent ainsi la technologie blockchain pour faciliter les transactions
commerciales et combattre les escroqueries à la TVA .

« Grande corruption »
Certains de ces outils ont aussi un potentiel considérable dans la lutte contre la
corruption : le croisement des données des attributions de marchés publics et des
contributions aux campagnes politiques ont déjà révélé des affaires de corruption
en Amérique latine ; les données des budgets croisées aux financements locaux
permettent de déceler la corruption dans les secteurs de la santé et de l’éducation
; et la technologie blockchain qui empêche la falsification des registres de
cadastres est un outil précieux contre l’accaparement des terres dans les pays en
voie de développement. « On peut aussi utiliser ce big data pour détecter les
schémas de circulation d’argent sale, de blanchiment et agir préventivement »,
souligne Delia Ferreira Rubio, présidente de Transparency International.

Mais la technologie blockchain est aussi à l’origine des cryptomonnaies (monnaies
virtuelles) et, dans le domaine financier, cet anonymat sophistiqué peut devenir
un adversaire beaucoup plus redoutable que les paradis fiscaux. « Avec
l’anonymat des crypto monnaies, comment allons-nous suivre l’argent si,
justement, il circule par des moyens qui garantissent l’anonymat ? » interroge
Delia Ferreira Rubio.

Elle a aussi évoqué, devant son auditoire de l’OCDE, sa grande crainte d’un
« gouvernement par algorithme » qui se retrouverait entre les mains de
techniciens sans formation ni aptitude à déployer ces outils selon des règles
d’éthique. Or, la question de la protection de la vie privée se pose avec une acuité
particulière pour l’utilisation des données collectées par l’intermédiaire de la
téléphonie mobile dans les pays en voie de développement où elle n’est encore
encadrée par aucune législation.

Alors que plusieurs projets impliquant des cartes de crédit et des téléphones
mobiles ont été déployés avec succès par les Nations Unies lors de la crise des
réfugiés au Moyen-Orient, les développeurs peuvent mettre au point des outils qui
analysent les décisions financières de millions d’être humains, grâce aux
déductions de l’intelligence artificielle.

Certains voudraient ainsi cibler le 1,5 milliard de personnes dépourvus d’identité
administrative – réfugiés, acteurs de l’économie informelle…– en les dotant d’une
identité numérique qui leur permettrait d’accéder à des financements.

Comment ? Grâce à leurs téléphones mobiles, donnant un lien direct à leurs
transactions, leurs factures et détails de télécommunications, ainsi qu’à leurs
données de réseaux sociaux : « Le secteur financier comprendrait en analysant
ces données s’ils peuvent être solvables pour des remboursements de prêts, par
exemple », explique Xiaochen Zhang. Une sorte de score de solvabilité digitale
émancipé de toute régulation financière ou gouvernementale, en quelque sorte.

Colonisation numérique
À Oslo, les chercheurs de U4, un centre norvégien de ressources anticorruption,
sont convaincus de la nécessité de légiférer rapidement. D’abord pour encadrer
les règles gouvernant les données et la vie privée dans les pays en voie de
développement, mais aussi pour empêcher une forme de nouvelle colonisation
numérique de ces pays lors du déploiement d’outils qui sont pour le moment la
propriété exclusive de corporations privées. « Ces outils puissants peuvent être
utilisés pour le meilleur mais aussi peuvent provoquer des dommages collatéraux
», souligne Per Aarvik, chercheur affilié à U4.

Outre les risques pour la vie privée et la protection des données, il s’inquiète des
conséquences sociales, humaines et aussi environnementales de l’expansion de
l’intelligence artificielle : « Elle peut mener à une hausse considérable du
chômage, y compris pour ceux qui disposent aujourd’hui d’emplois convenables
dans les pays en voie de développement. La promotion de ces outils de
technologie numérique pose également la question de la pression sur les
minéraux nécessaires à leur déploiement…Toutes ces solutions technologiques
doivent faire l’objet d’une discussion éthique ».

  Un lobby pour l’industrie blockchain
  Après l’innovation, l’organisation : plusieurs leaders de l’industrie blockchain
  ont constitué un lobby pour influencer la réglementation à venir concernant le
  nouvel écosystème. L’Association Blockchain, qui se présente comme « une
  association commerciale à but non lucratif basée à Washington », compte parmi
  ses membres les deux plus importants marchés de cryptomonnaies, Coinbase et
  Circle, ainsi que des fonds d’investissements spécialisés blockchain, tels Digital
  Currency Group et Polychain Capital. Les enjeux sont considérables, au vu des
  décisions que préparent les organismes de réglementation gouvernementaux
  américains dans des domaines aussi variés que la protection des
consommateurs, de la vie privée, la réglementation des actifs (crypto monnaies)
  et des jetons numériques (des sortes d’unités de comptes affectées à des
  objectifs précis), les dispositions antiblanchiment, ainsi que la fiscalité.
  L’association entend protéger l’industrie en favorisant « la création d’un cadre
  réglementaire évolué qui soutienne nos membres engagés dans la construction
  de systèmes financiers plus inclusifs et efficaces, mieux distribués, ainsi que
  d’applications web décentralisées ». Or, le mois dernier, le Comité de Bâle, qui
  traite les sujets de supervision bancaire au sein de la Banque des règlements
  internationaux, a souligné que les actifs cryptés « ne remplissent pas de
  manière fiable les fonctions habituelles de la monnaie. Ils n’ont aucun cours
  légal et ne sont soutenus par aucun gouvernement ».

Publié le 6 mars 2019(Mise à jour le 6/03)
Par Pierre Desorgues

Algérie : le régime de Bouteflika
peut-il se réformer ?
La mobilisation surprise des Algériens contre un 5e mandat du président
Bouteflika augure-t-elle une modification du régime politique ?
C’est une lettre qui ne passe pas. Une provocation, selon de nombreux
manifestants à Alger. Abdelaziz Bouteflika, dans un texte adressé aux Algériens et
lu par son directeur de campagne, maintient sa candidature et promet une future
élection présidentielle anticipée s’il est élu. Selon Abdou Semmar, journaliste
algérien réfugié à Paris depuis quelques semaines pour avoir dénoncé le niveau
de corruption du régime, le pouvoir algérien a manqué une nouvelle fois une
occasion de répondre aux attentes de la rue. Cette idée d’une transition douce
vers un autre homme, sans doute issu du régime actuel, reste en dessous des
aspirations des manifestants.

« Les Algériens ne veulent plus se contenter des logements, du pain et des aides
sociales financées à coups de milliards de dollars par le régime en place. Les
Algériens veulent, désormais, la liberté. La volonté de changement est tout
d’abord politique », explique le journaliste algérien.

Corruption du régime
En 2011, lors du printemps arabe, le régime algérien, grâce à la manne
pétrolière, avait réussi à calmer la rue à coup de subventions. « L’État a réalisé
d’énormes investissements pour moderniser les infrastructures et encourager la
relance économique, indique Brahim Oumansour, chercheur à l’Iris, spécialiste de
l’Algérie contemporaine. Il n’a pas réussi cependant à sortir l’économie de sa
dépendance au pétrole et au gaz. Et il n’a pas permis de développer une économie
productive pour absorber une proportion importante des jeunes demandeurs
d’emplois. À partir de 2014, les cours du pétrole ont été divisés par deux, la
manne pétrolière a fondu et n’a plus suffi pour instaurer un traitement social du
chômage. »

L’État algérien pouvait compter sur une cagnotte de près de 200 milliards de
dollars en 2014. Celle-ci n’est plus que de 25 milliards aujourd’hui. Le modèle
économique, basé exclusivement sur les exportations d’hydrocarbures, est viable
selon la Banque mondiale si le cours du baril de pétrole reste à 80 dollars. Il est
descendu à 40 dollars et dépasse à peine les 50 dollars aujourd’hui. Le
gouvernement a dû mettre en place des mesures d’austérité. Des produits de base
comme l’huile ou le sucre ne sont pratiquement plus subventionnés par la
puissance publique. Ce sont les jeunes chômeurs qui sont aujourd’hui dans les
rues d’Alger et manifestent contre le pouvoir en place. La colère est également
nourrie par les malversations du régime. « La corruption et le clientélisme créent
un sentiment d’injustice au sein des populations qui ne profitent pas des richesses
du pays », affirme Brahim Oumansour.

Le pays ne produit plus de biens manufacturés et de produits agricoles et, ces
dernières années, les caciques du régime se sont partagés les filières
d’importations avec de belles prises de commissions. L’importation d’huile est
ainsi contrôlée par un des généraux du régime, celle des voitures par un autre.
Ces comportements en pleine crise économique ne sont plus acceptés par la
population.

Le pays a cependant connu une brève embellie économique dans les années 2000
grâce à des cours du baril qui dépassaient les 100 dollars. « Cette embellie a fait
émerger une classe moyenne qui fait preuve de maturité politique et porte des
aspirations et des revendications politiques et sociales plus ambitieuses que ce
que lui propose le gouvernement actuel. On ne peut pas nier le rôle des nouvelles
technologies. L’existence d’Internet et des réseaux sociaux qui couvrent
aujourd’hui le territoire national concourt à l’extension des manifestations. De
nouveaux médias sur le net plus libres ont émergé, notamment en 2011. Ces
manifestations n’ont pas ébranlé le régime mais elle ont permis de créer une
blogosphère, un espace médiatique indépendant du régime en place », note
Abdou Semmar.

Guerre des clans
Face à cette maturité politique nouvelle d’une très grande partie des citoyens
algériens, le pouvoir en place a choisi pour candidat, pour un cinquième mandat,
un homme qui fut ministre des Affaires étrangères de Ahmed Ben Bella en 1963,
et qui n’est manifestement plus en condition de gouverner. « C’est
incompréhensible. Je ne vois qu’une seule raison, celle d’une guerre des clans au
sein du régime. Les généraux et l’appareil sécuritaire n’ont pas réussi à se mettre
d’accord sur un nom », estime le journaliste Abdou Semmar, dont le travail,
comme celui de ses collègues, est salué par les manifestants.

Les portes de sortie de crise semblent étroites pour le régime. « Face à cette
situation, le pouvoir va devoir chercher l’apaisement par le dialogue. Les
protestations risquent de durer et de se renforcer, notamment avec la
mobilisation des universitaires qui ont décidé de rejoindre le mouvement »,
indique Brahim Oumansour. Le régime doit en priorité tenter de trouver un
modèle économique et social bien plus inclusif. « Il y a urgence à prévoir des
réformes structurelles », ajoute le chercheur. La fin d’un modèle basé sur la rente
pétrolière, en partie accaparée par quelques membres du régime, pourrait à
terme modifier la nature de ce dernier.

Publié le 15 septembre 2018(Mise à jour le 12/09)
Par Elise Bernind

Les lobbys, un fléau pour la
démocratie ?
Après la démission de Nicolas Hulot, les médias ont beaucoup parlé de l’influence
des lobbys. De quoi parle-t-on au juste ?

Le mot anglais « lobby » signifie « hall d’entrée », « vestibule », sous-entendu le
lieu des conversations discrètes. Michel Clamen, ancien professeur à l’Institut
catholique de Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur le lobbying, situe son
apparition aux États-Unis en 1791, avec l’adoption du premier amendement de la
Constitution américaine. Ce dernier affirme en effet le droit des citoyens à se
rassembler et à adresser « des pétitions » à leurs dirigeants.
En France, les historiens datent les débuts du lobbying au moment de la création
des syndicats patronaux en 1884, et des associations en 1901. Ainsi, en 1912,
André Michelin lance-t-il une pétition nationale pour convaincre le ministère des
Travaux publics de numéroter les routes de France, et obtient gain de cause.

Loi Sapin 2
Mais le lobbying se développe surtout après la Seconde Guerre mondiale, avec la
naissance de l’Union européenne. La Commission européenne prend en effet
l’habitude de consulter les représentants privés concernés, avant de prendre une
décision politique. Selon Michel Clamen, la PAC (politique agricole commune)
marque le vrai début du lobbying français. Toutefois, il se développe sans
définition ni cadre clairs jusqu’en 2009.

La loi Sapin 2 contre la corruption, adoptée en décembre 2016 après l’affaire
Cahuzac, est la première à vraiment définir et commencer à encadrer cette
activité. Sapin 2 ne parle pas de lobbys mais de « représentants d’intérêts ». Ils
sont définis comme des organismes dont « un dirigeant, un employé ou un
membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique
[…] en entrant en communication » avec des décideurs publics.

Ainsi, une ONG défendant les droits humains ou un fabricant d’armes sont
indistinctement considérés comme des lobbys. Pour commenter la démission de
Nicolas Hulot, le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux n’a-t-il pas
déclaré que l’ancien ministre de la Transition écologique avait été « un lobbyiste
de la cause environnementale » ?

Quelle différence alors entre un fabricant d’armes et une ONG chrétienne de lutte
contre la torture et la peine de mort comme l’ACAT ? « À l’ACAT, nous faisons du
plaidoyer. Sur la méthode, il n’y a pas vraiment de différence. Nous utilisons tous
les outils à notre disposition pour essayer de faire changer les lois. En revanche,
la finalité n’a rien à voir. Les lobbys travaillent pour des intérêts privés, alors que
nous travaillons pour l’intérêt général, pour le bien-être de l’humanité », explique
Christina Lionnet, directrice de la communication à l’ACAT. Pour Transparency
International France, ONG qui lutte contre la corruption, les lobbys sont
nécessaires à la démocratie si ces derniers et les décideurs publics respectent des
règles de transparence, d’équité et d’intégrité. Les lobbys permettent de faire
remonter les expertises et requêtes de la sphère privée, et ainsi aider les
dirigeants publics dans leurs prises de décision.

Depuis le 1er juillet 2017, dans le cadre de la loi Sapin 2, les lobbys ont
l’obligation de s’inscrire sur le « répertoire des représentants d’intérêts » Agora.
Ce registre, sur le site Internet de la Haute Autorité pour la transparence de la
vie publique, a pour vocation d’informer les citoyens sur les liens entre lobbys et
décideurs publics. Il ne compte pour l’instant que 1 631 inscrits, alors que
l’économiste Guillaume Courty comptabilise entre 2 900 et 14 500 lobbys
français dans son livre paru en décembre 2017 (Le lobbying en France, éditions
Peter Lang). En outre, Transparency International France regrette que les
informations à fournir soient vagues. L’ONG, elle-même inscrite sur Agora, milite
par exemple pour que les lobbys précisent l’identité des élus qu’ils rencontrent et
la position qu’ils défendent auprès d’eux. Transparency demande également que
le rapport d’activité à remplir ne soit plus annuel mais trimestriel.

Enfin, l’article 38 du projet de loi « pour un État au service d’une société de
confiance » prévoit d’exempter les associations religieuses de l’inscription sur
Agora. Cette disposition, si elle est votée, pose un problème d’équité selon l’ONG.
Le gouvernement, lui, justifie cette exception par sa volonté d’instaurer un climat
de confiance avec les représentants des cultes.

Au-delà des imperfections d’Agora, l’ONG milite pour que les agendas des
parlementaires soient publics. Les élus de la Mairie de Paris ont montré l’exemple
en adoptant LobbyCal depuis le 1er janvier 2018, un calendrier en ligne
accessible à tous, où les rendez-vous avec les lobbyistes sont notés. Pour l’instant,
le degré de transparence dépend donc en grande partie de la bonne volonté des
décideurs publics et des lobbys.

Dérives
Car malgré l’existence de plusieurs codes de déontologie régissant cette
profession assez récente, les exemples de dérive ne manquent pas. L’un des plus
choquants date du printemps dernier. Un lobby avait eu connaissance d’un
amendement déposé par Delphine Batho pour interdire le glyphosate, 90 heures
avant que l’ancienne ministre ne le présente aux députés. « Une ingérence grave
dans la souveraineté du Parlement », avait déclaré l’élue.
Les détracteurs du texte avaient ainsi pu commencer à faire pression sur les
parlementaires avant même qu’ils ne soient au courant de cette demande de
modification législative.

En février 2017, l’émission C Politique a filmé en caméra cachée un assistant
parlementaire donnant un cours de lobbying. Ce dernier choisit l’exemple fictif
d’une action en faveur d’un fabricant de sacs en plastique, et claironne devant ses
élèves : « Les sacs en plastique, on s’en fout. Ils auraient pu faire des mines
antipersonnel à l’uranium, on les aurait tout de même défendus. »

Certains suggèrent la mise en place d’une « clause de conscience », à l’image de
celle des journalistes. Les lobbyistes salariés auraient ainsi la possibilité de
refuser un dossier contraire à leurs convictions.

  Les lobbys et l’Union européenne
  Un registre des lobbys existe depuis 2008 au sein de l’UE. Au départ, il ne
  répertoriait que les lobbys en lien avec la Commission européenne. Puis en
  2011, il a été élargi aux lobbys en contact avec les parlementaires.
  Actuellement près de 12 000 lobbys y sont inscrits
  (http://ec.europa.eu/transparencyregister). Des discussions sont en cours
  depuis 2016 pour créer un « registre de transparence » commun avec le
  Conseil de l’UE. Un code de conduite accompagne ce registre. Il demande par
  exemple aux députés européens de ne pas rencontrer les lobbys non déclarés.
  Par ailleurs, les lobbys enregistrés ont plus facilement accès aux locaux,
  actualités et personnels de l’Union européenne. Car l’inscription au registre
  européen n’est pas obligatoire, contrairement au répertoire français. Dans
  l’Hexagone, les lobbys ont trois ans après une mise en demeure pour se mettre
  en règle. Ils risquent sinon 15 000 euros d’amende et un an de prison.
Publié le 5 juillet 2018(Mise à jour le 4/07)
Par Thomas Ferenczi

Nouvelle donne présidentielle au
Mexique
Andrés Manuel López Obrador, homme de gauche élu à la présidence du
Mexique, veut s’attaquer à la corruption et à la violence qui gangrènent son pays.

À contre-courant de la droitisation d’une bonne partie de l’Amérique latine, le
Mexique vient de se donner, le 1er juillet, un président de gauche, dont l’élection
met fin, au moins pour six ans, à l’hégémonie du vieux Parti révolutionnaire
institutionnel (PRI), revenu au pouvoir en 2012 après avoir dominé la vie politique
pendant plusieurs décennies. Le nouvel élu, Andrés Manuel López Obrador, 64
ans, est un vétéran de la politique. Il a été battu d’extrême justesse à l’élection de
2006 puis, plus nettement, à celle de 2012 avant de l’emporter largement en
2018, à la tête de son parti, le Mouvement de régénération nationale (Morena),
issu d’une association née dans la foulée de l’échec de 2006 pour préparer la
campagne de 2012.

Sa victoire attire d’autant plus l’attention que le Mexique – l’une des puissances
émergentes de l’Amérique latine, membre du G20 avec le Brésil et l’Argentine –
est en butte aux attaques de Donald Trump, qui prétend lui imposer la
construction d’un mur pour arrêter les migrants, qualifiés de « violeurs » et de «
criminels », qui annonce la taxation de l’acier et de l’aluminium en provenance du
pays et qui menace de mettre fin à l’accord de libre-échange (Alena) le liant aux
États-Unis et au Canada. On attend de connaître la réponse du nouveau président,
qui se dit prêt au dialogue avec son homologue américain mais demande aussi
l’établissement de « relations respectueuses » entre les deux pays.

Mais le successeur d’Enrique Peña Nieto sera surtout attendu sur sa lutte contre
les deux fléaux qui affectent le Mexique depuis de longues années : la violence et
la corruption. La violence, souvent liée au trafic de drogue, a tué environ 240 000
personnes depuis 2006, dont la moitié depuis 2012. La corruption est au cœur du
système politique. Andrés Manuel López Obrador a promis de « laver » le pays de
haut en bas. Soupçonné par ses détracteurs de tentation autoritaire, voire de «
chavisme à la mexicaine », il entend s’appuyer sur une vaste coalition pour venir
à bout des maux du Mexique. Il s’est entouré d’une équipe d’experts censés
rassurer les milieux d’affaires. Porté par le vent du changement, il lui appartient
de relever les immenses défis lancés à son pays.

Publié le 17 mai 2018(Mise à jour le 16/05)
Par Laure Stephan
Le Liban craint un chaos régional
Les tensions entre Israël et l’Iran font craindre pour la stabilité du Liban.
D’autant plus que le Hezbollah, allié de Téhéran, est un acteur politique majeur
dans la région.

C’est au château de Beaufort, ces ruines chargées d’histoire situées dans le sud
du Liban, que des réfugiés palestiniens et des sympathisants de leur cause se sont
rassemblés, mardi 15 mai, pour commémorer les 70 ans de la Nakba. Ce terme
arabe signifie « catastrophe », et désigne le traumatisme né de l’exode forcé des
Palestiniens de leurs terres, en 1948, alors que naissait l’État d’Israël.

Le lieu choisi pour cette « marche du grand retour » est symbolique : le
promontoire fut utilisé, entre autres, par les fedayin palestiniens, au plus fort de
leur lutte contre Israël depuis le Liban, dans les années 1970. Il n’a pas été choisi
au hasard : il a été jugé suffisamment éloigné de la frontière par les forces de
sécurité libanaises pour éviter d’attiser des tensions supplémentaires. Car chacun
sait que le calme qui prévaut au milieu des collines de thym sauvage du sud du
Liban, frontalier d’Israël, peut être interrompu à tout moment.

Le rassemblement annuel avait en effet lieu dans un pays à la stabilité fragile, sur
fond de transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. La mort de
de 58 Palestiniens, lundi 14 mai, tués en bordure de la bande de Gaza par l’armée
israélienne, a suscité la colère sur les réseaux sociaux au Liban. La décision
américaine a été condamnée par la classe politique libanaise. « C’est une nouvelle
Nakba », a commenté le Premier ministre sortant Saad Hariri, jugeant que cette
mesure « mène toutes les voies pacifiques dans la région à une impasse ».

À Beyrouth, qui reste techniquement en guerre contre Israël, c’est surtout une
déstabilisation causée par l’animosité croissante entre Iraniens d’une part et
Israéliens et Américains d’autre part que l’on craint. Depuis la mise en place de
l’administration Trump, le ton de plus en plus offensif de Washington envers
Téhéran est scruté avec inquiétude, tant le Liban est habitué à être une caisse de
résonance des rivalités extérieures. L’hostilité américaine s’est confirmée dans la
décision du président Trump de sortir de l’accord nucléaire iranien.

Les frappes d’Israël, qui dénonce l’expansion militaire de Téhéran en Syrie, se
sont multipliées au cours des derniers mois contre des positions iraniennes dans
le pays ravagé par plus de sept ans de guerre. Elles sont un autre motif
d’appréhension, car elles laissent présager d’un cycle de violences, comme l’ont
montré les échanges de frappes, dans la nuit du 9 au 10 mai : des missiles ont été
tirés vers le plateau du Golan occupé par Israël, tandis que l’armée israélienne
frappait des installations iraniennes en Syrie.

Menaces du Hezbollah
Le Liban a d’autant plus de raisons d’être inquiet que l’un des acteurs politiques
les plus puissants du pays, le Hezbollah, est un allié indéfectible de Téhéran, et la
bête noire d’Israël, avec lequel il s’est confronté en 2006. En cas de conflit ouvert,
il est difficile de croire que le « parti de Dieu », dont des combattants sont
engagés dans la guerre en Syrie aux côtés du régime de Bachar al-Assad resterait
à l’écart, et que le pays du Cèdre serait épargné d’une déflagration régionale.

Prenant la parole, lundi 14 mai, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a qualifié
les tirs de missiles contre le Golan occupé d’« étape totalement nouvelle » dans la
lutte contre Israël. « Le message est le suivant : ni le régime syrien, ni l’armée
syrienne, ni le peuple syrien, ni les alliés de la Syrie ne laisseront la Syrie exposée
aux attaques israéliennes et ils sont disposés à aller le plus loin possible. »

Les adversaires du Hezbollah dénoncent son implication en Syrie, tout comme sa
possession d’un vaste arsenal militaire. Le parti pro-iranien est la seule milice à
ne pas avoir été désarmée au sortir de la guerre du Liban (1975-1990) et il n’a
cessé de se renforcer depuis. Mais le Premier ministre sortant Saad Hariri,
principal rival du Hezbollah, l’a rappelé à de multiples reprises : la capacité à
désarmer le parti pro-iranien n’est pas entre les mains des Libanais – au risque,
sinon, d’un affrontement interne – et relève d’enjeux régionaux.

Il plaide, depuis des mois, pour la défense de la stabilité et de la sécurité du
Liban. « La communauté internationale a montré son attachement à préserver le
pays, notamment à cause de la présence massive de réfugiés syriens sur notre sol,
rappelait l’un de ses proches, début mai. On ne veut pas que le Liban devienne
partie prenante de ce qui se passe dans la région. »

Les élections législatives, tenues le 6 mai, ont semblé comme une parenthèse
dans le chaos régional qui menace le Liban. La campagne n’a pas tourné autour
de questions stratégiques (axes prosaoudien ou pro-iranien, armes du Hezbollah,
guerre en Syrie…), mais de dossiers internes (corruption, crise financière…). Le
scrutin a consacré le rapport de forces à l’œuvre dans le pays depuis plusieurs
années : le Hezbollah et ses alliés ont réalisé un bon score, tandis que Saad Hariri
est affaibli. De nouvelles alliances pourraient se mettre en place au Parlement, où
des partis chrétiens ambitionnent de se poser en arbitre. Au Liban, aucun camp
ne peut gouverner seul. Un cabinet d’entente nationale devrait être formé. Il aura
la lourde tâche de tenter de maintenir le Liban, très perméable aux influences
étrangères, à l’écart des tensions.

Publié le 24 mars 2018(Mise à jour le 21/03)
Par Ariane Bonzon

L’Afrique du                               Sud             de          Cyril
Ramaphosa
Le nouveau président de l’Afrique du Sud Cyril Ramaphosa parviendra-t-il à lutter
contre la corruption ?

Il était l’héritier politique que Nelson Mandela s’était désigné. Élu le 15 février
dernier après avoir pris la tête du Congrès national africain (ANC), Cyril
Ramaphosa aura dû attendre vingt ans pour présider aux destinées de son pays.
D’ici aux élections législatives de mai 2019, le nouveau numéro un sud-africain va
cependant devoir mener une véritable course contre la montre.

S’il veut se maintenir au pouvoir, l’ancien syndicaliste, devenu l’une des plus
importantes fortunes du pays, est confronté à deux défis.

Le premier est d’en finir avec la corruption qui a caractérisé l’ère désastreuse de
son prédécesseur, Jacob Zuma. Malgré des appareils policier et judiciaire
sérieusement contaminés, il devra « nettoyer » le parti et l’administration, tout en
respectant l’État de droit.

Tâche d’autant plus ardue que certains de ceux qui l’ont soutenu face à Jacob
Zuma ne sont pas toujours les moins corrompus.

Le deuxième défi est tout à la fois d’empêcher, d’un côté, que les électeurs,
dépités par l’ANC, ne le quittent pour se tourner en nombre vers l’Alliance
démocratique (DA), parti centriste, multiracial et principale opposition à l’ANC ;
et d’attirer, de l’autre côté, et à l’inverse du spectre politique, les Combattants
pour la liberté économique (EFF), révolutionnaires socialistes, dans la branche
jeunesse de l’ANC.

Militant anti-apartheid de l’« intérieur » dans les années 80, pilier des
négociations de transition dans les années 1990, Ramaphosa a longtemps été
perçu politiquement moins légitime que ceux de « l’extérieur » revenus de Zambie
où l’ANC, alors interdite, était en exil.

Mais il bénéficie désormais de l’essor – et du soutien – de l’importante classe
moyenne sud-africaine, qui représente un habitant sur cinq, d’autant que l’image
des anciens exilés de l’ANC a été sérieusement ternie.

Une vengeance post-mortem pour Nelson Mandela, qui avait dû plier en son
temps devant les « Zambiens » et renoncé à faire de Cyril Ramaphosa son
successeur.
Publié le 19 mars 2018(Mise à jour le 14/03)
Par Valérie Thorin

Corruption au Sénégal : la chute
de Karim Wade
Au Sénégal, l’affaire Karim Wade peut être considérée comme emblématique des
difficultés qu’un pays rencontre dans la lutte contre la corruption à haut niveau.

Revenons sur ces péripéties qui ont conduit en 2015 le fils de l’ancien président
Abdoulaye Wade jusqu’à la prison de Rebeuss, pour y purger une peine de six ans
de détention. Il y dégringolait depuis son poste de ministre d’État, ministre des
Infrastructures, du transport aérien, de la coopération internationale et de
l’aménagement du territoire, gigantesque portefeuille taillé sur mesure qui avait
incité les méchantes langues à le surnommer « ministre du ciel et de la terre ».
Karim Wade nourrissait aussi de grandes ambitions politiques. Plus dure fut la
chute.

Né en 1968 à Paris, il a grandi dans l’ombre de son célèbre père, opposant
historique à Léopold Sédar Senghor puis à Abdou Diouf, élu dans un
enthousiasme populaire extraordinaire en 2000 pour une alternance encore
jamais vue au Sénégal. En 2002, Wade fait de son fils devenu banquier son
conseiller personnel chargé de la mise en œuvre des grands projets, à commencer
par le nouvel aéroport Blaise-Diagne de Diass, la restructuration des Industries
chimiques du Sénégal, entreprise nationale de production et traitement des
phosphates. Il travaille aussi à la création d’une zone économique spéciale
intégrée à Dakar.

Beaucoup de responsabilités et des sommes colossales en investissements d’État
pour ce trentenaire agité. Les rumeurs commencent à courir. Sur le plan
politique, c’est sa manière d’être qui ne fait pas l’unanimité auprès de ses
compatriotes. Il essuie une défaite sévère aux législatives de 2009. L’opinion
publique lui reproche son éloignement, sa méconnaissance de la langue wolof,
son côté « jet-setteur » un peu arrogant et son train de vie dispendieux.

« Monsieur 15 % »
Ses détracteurs, en dépit de plusieurs procès en diffamation, l’accusent de
détournement de fonds publics et d’affairisme. En 2010, un télégramme de
Marcia Bernicat, l’ambassadrice des États-Unis, rendu public par Wikileaks,
raconte que « Karim est aujourd’hui surnommé “Monsieur 15 %” alors qu’au
début de 2007, on l’appelait “Monsieur 10 %” ». Le torchon brûle… Le président a
beau affirmer avec raison « qu’aucun cas de corruption n’a été récemment porté
devant la justice », la confiance des Sénégalais se dégrade.

En 2012, la victoire de Macky Sall à l’élection présidentielle balaie le clan Wade
du pouvoir. Le « ministre du ciel et de la terre » sera le premier gros gibier – et le
seul jusqu’à présent – à être accroché au tableau de chasse de la Cour de
répression de l’enrichissement illicite (CREI), créée en 1981 par Abdou Diouf
mais qui n’avait jamais siégé. La fortune de Karim est évaluée à 1,1 milliard
d’euros, en voitures, bien immobiliers et comptes bancaires. Il lui est difficile d’en
justifier toute la provenance : il sera condamné à six ans d’emprisonnement et
210 millions d’euros d’amende.

Petits arrangements
L’erreur politique du gouvernement de Macky Sall a été de ranimer cette cour
moribonde, composée pourtant de juges professionnels, mais qui s’est attiré les
reproches de diverses associations de lutte pour les droits humains, ainsi que des
Nations unies et de la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de
l’Ouest) pour des manquements évidents à l’équité et au droit des accusés.
L’instruction est bâclée, les preuves manquent et, depuis Paris, l’ancien chef de
l’État active ses relations pour tirer son fils de ce mauvais pas.

Dans sa cellule, Karim entreprend sa métamorphose : boubou traditionnel,
dévotion religieuse, il se concilie les bonnes grâces des confréries sénégalaises,
dont celle des Mourides à laquelle il appartient, et se rappelle au bon souvenir du
Qatar et de Dubaï, deux pays dont il a été proche du temps des grands travaux en
vue du sommet de la Conférence islamique de 2008 à Dakar… Les petits
arrangements vont bon train, alors que Macky Sall voit sa popularité baisser.
Conseillé par l’habile communicant Richard Attias, l’illustre prisonnier devient
bientôt comme une épine dans le pied tant il met d’opiniâtreté à crier à l’injustice.

Le 24 juin 2016, en pleine nuit, un décret présidentiel tombe, amnistiant Karim
Wade et deux autres de ses codétenus. Il est libéré discrètement, et s’engouffre
dans l’avion privé que lui a mis à disposition l’émir du Qatar. Compte tenu du
temps passé en détention préventive, il n’aura fait qu’à peine la moitié de sa
peine. « Les sanctions financières pour enrichissement illicite – [que l’intéressé a
toujours nié, ndlr] – restent exigibles et la condamnation figure toujours sur son
casier judiciaire », clame Sidiki Kaba, le ministre de la Justice. Peu importe,
l’homme est libre et les Sénégalais peuvent continuer de s’interroger sur l’origine
de sa belle et bonne fortune.
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