Rwanda, France, OIF et RDC - Année 2018 - Numéro 16 Pourquoi l'intérêt soudain du Rwanda pour la Francophonie ? - CongoForum
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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le lundi 28 mai 2018 Rwanda, France, OIF et RDC Année 2018 – Numéro 16 Pourquoi l’intérêt soudain du Rwanda pour la Francophonie ?
Kagame et E. Macron à l’Elysée Pourquoi l’intérêt soudain du Rwanda pour la Francophonie ? Par Guy De Boeck Curieusement, puisque cette question relève en principe de la diplomatie ou de la culture, elle ne s’est pas posée à l’occasion d’une quelconque déclaration officielle, mais dans les coulisses du salon Viva-Tech, consacré aux nouvelles technologies de l’information et qui s’est ouvert à Paris en présence de Mark Zückerberg, Le sujet qui défraie la chronique et déclenche des commentaires contradictoires 1, le voici : « Louise Mushikiwabo, 56 ans, Ministre des Affaires étrangères du Rwanda depuis 2009, prendra-t-elle la succession de la Canadienne Michaëlle Jean la tête de l’Organisation internationale de la francophonie ? En effet, le président rwandais Paul Kagame, qui n’était plus venu en France depuis 2015, est l’invité d’honneur de ce sommet où il a déjeuné avec Emmanuel Macron. Féru de nouvelles technologies, désireux de faire du Rwanda un pays leader en ce domaine le chef de l’Etat rwandais est aussi président en exercice de l’organisation de l’Unité africaine et les succès économiques de son pays fascinent de nombreux pays africains francophones. C’est d’ailleurs le Maroc qui aurait pris l’initiative de pousser la candidature de Mme Mushikiwabo, une parfaite bilingue qui a étudié et vécu longtemps au Canada avant d’y revenir au lendemain du génocide. Emmanuel Macron aurait souscrit à cette idée, voyant là une manière de sortir par le haut de la crise qui empoisonne les relations entre Kigali et Paris depuis 1994. Nombre d’observateurs trouvent suspect l’intérêt soudain du Rwanda pour la direction de la Francophonie, lui qui a toujours accusé la France de complicité de génocide et a même banni la langue française dans l’enseignement et l’administration publique. De même le soutien potentiel de la France à cette probable candidature de la ministre rwandaise des Affaires 1 Exemple : Pourquoi le Rwanda s’intéresse soudain à la Francophone – Afrik’com, lundi 21 mai 2018 / par Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue - Une Rwandaise à la tête de la francophonie? Kagame en a parlé à Paris Le Soir du 23 mai 2018 par Colette Braeckman « Francophonie : les appuis de Michaëlle Jean au Québec et au Canada s'effritent », Radio-Canada / La Presse Canadienne, le vendredi 25 mai 2018 par Alexandra Szacka. 1
étrangères interpelle, compte tenu de l’état actuel des relations diplomatiques entre les deux pays. Les grands principes L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est une institution fondée essentiellement sur le partage de la langue française comme levier de coopération, et a pour vocation à promouvoir des valeurs fondamentales communes telles que la primauté du droit, la gouvernance démocratique, la consolidation de l’État de droit, le respect des droits de la personne et des libertés fondamentales. De par les mandats qui lui sont confiés par les États et gouvernements membres, d’agir notamment pour prévenir et résoudre pacifiquement des conflits dans l’espace francophone, l’OIF est reconnue également comme un acteur international qui contribue en faveur de la paix et de la sécurité mondiales. Le secrétaire général, clé de voûte de la Francophonie, est chargé justement de mettre en œuvre l’action politique et diplomatique, d’animer et de coordonner la coopération entre les États et gouvernements membres en vue d’atteindre les objectifs que ceux-ci se sont fixés. Comme toutes les grandes déclarations de principe destinées à servir de fondement à un Grand Machin International, ces principes sont grands, nobles, incontestables… et flous. Et ils sont aussi susceptibles de beaucoup de souplesse dans leur application, que l’on pourrait appeler « élastique ». L’OIF comprend parmi ses membres des pays naturellement francophones, en tout en partie, comme la France, la Belgique, la Suisse ou le Canada, des pays ayant hérité du français comme langue officielle lors de la décolonisation, mais aussi des pays qui s’intéressent au français en tant que « levier de coopération », terme d’un vague absolu qui peut couvrir absolument n’importe quoi. Le prochain sommet de l’OIF se tiendra ainsi en octobre prochain à Erevan, en Arménie, pays qui pourrait difficilement passer pour « francophone ». D’autre part, il n’est mentionné nulle part que l’appartenance à l’OIF soit « une et exclusive » et que l’on ne puisse être membre simultanément, d’une autre association internationale, par exemple, dans le cas présent, du Commonwealth. Il n’y aurait donc aucun obstacle réglementaire à ce que le Rwanda ait les intentions qu’on lui prête. Les commentateurs africains à qui paraît assez suspect l’intérêt soudain du Rwanda pour prétendre à la direction de la Francophonie, lui qui a toujours accusé la France de complicité de génocide et a même banni la langue française dans l’enseignement et l’administration publique, confondent la Francophonie avec la France. On peut parfaitement être en guerre avec un pays dont, par ailleurs, l’on parle la langue. Certes, ceux qui n’aiment pas cette idée, argueront aussi que le Rwanda a fait preuve d’un certain laxisme dans l’acquittement de sa contribution statutaire à l’OIF dans les temps requis, et ce, pendant des années. En 2014, par exemple, l’Organisation a dû lui accorder une réduction de 50 % et s’entendre sur un calendrier de paiement régulier. Mais, malgré cela, le compte est resté en souffrance pour une maigre contribution de 30 000 € l’an. Dans une récente réunion, le Comité sur les arriérés est revenu à la charge pour exiger du Rwanda le paiement de ses arriérés pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018. Mais, outre le fait que des irrégularités de ce genre sont des plus courantes dans toutes les organisations internationales et qu’il est presque de règle que les pays africains soient dans le peloton des « mauvais payeurs », l’on n’a jamais exclu, pour « retards de cotisation », à un pays le droit de participer à la vie normale de l’organisation, et celle-ci inclut le renouvellement périodique des cadres. Pour trouver dans les « grands principes » des raisons de refuser au Rwanda le droit de présenter une candidature au poste de SG de l’OIF, il faudrait aller chercher du côté des valeurs 2
fondamentales communes telles que la primauté du droit, la gouvernance démocratique, la consolidation de l’État de droit, le respect des droits de la personne et des libertés fondamentales. Et certes, de ce point de vue, on trouverait pas mal de linge sale dans les placards du régime Kagame. Mais, soyons sérieux ! Quels sont, parmi les membres africains de l’OIF, ceux qui pourraient parler de ces grands principes sans pouffer de rire ? Le Congo de Sassou ? Le Tchad d’Idriss Deby ? Le Gabon du fils Bongo ? Le Togo du fils Gnassingbe ? Paul Byia du Cameroun qui n’a même pas besoin d’un fils pour lui succéder tant il semble inusable ? Le Burundi de Nkurunziza ? Sans parler de la RDC du fils de l’autre qui est peut-être le fils d’un autre ? Certes, il y a des figures plus sympathiques, comme Macky Sall ou Faustin Archange Touadéra. Mais ils sont entourés de tant de trognes patibulaires de politiciens-pirates qu’on voit bien que ce ne sont pas eux qui font le poids ! Les régimes d’Afrique du Nord ne valent guère mieux et, même sur ceux d’Europe, il y aurait bien des choses à dire. En fait, les raisons que les pays d’Afrique subsaharienne ont d’adhérer à l’OIF n’ont pas grand-chose à voir, ni avec les grands principes, ni avec la langue française. L’OIF est la seule organisation mondiale où les Africains sont majoritaires et, même, la seule où les Noirs représentent le « bataillon lourd » de l’assemblée. Bien sûr, ils ont l’UA, mais ils y jouent entre eux. L’OIF est leur seule tribune vraiment mondiale, du fait notamment de la large couverture que lui accordent les médias français. Simultanément, quand les Africains préparent entre eux une manœuvre politique – bonne ou mauvaise – l’OIF peut leur servir de terrain d’entraînement pour une « répétition générale » avant d’affronter l’ONU (en ayant, en plus, le soutien d’un membre permanent du Conseil de Sécurité, s’ils parviennent à décrocher, à l’OIF, l’appui de la France). Il ressort de tout ceci que la question de la candidature Mushikiwabo au Secrétariat de l’OIF, dont il serait d’ailleurs plus juste de l’appeler « les manœuvres rwandaises préparatoires à une éventuelle candidature de Mme Mushikiwabo », se déroule sur un terrain qui ne baigne pas précisément dans le plus grand des idéalismes ou dans le respect des plus grands principes moraux et qu’elle est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. A commencer d’ailleurs par l’OIF elle-même Que reproche-t-on à Michaëlle Jean ? Ce qu’en écrit Colette Braeckman dans un article en forme d’exécution et fourmillant d’inexactitudes, relve du plus pur « bashing ».Voici le factum : « Dans les rangs de l’OIF et dans les capitales des pays membres, il est de notoriété publique que l’actuelle secrétaire générale, la Canadienne Michaëlle Jean, une ancienne journaliste d’origine haïtienne qui fut gouverneur général du Canada, un poste honorifique2, a fortement 2 Le Gouverneur général est le représentant du roi ou de la reine d’Angleterre au Canada. Ce n’est pas une fonction élective. Le souverain nomme le gouverneur général sur avis du Premier ministre. Autrefois le gouverneur était un membre de l'aristocratie britannique. Le dernier gouverneur général d'origine britannique fut Harold Alexander, 1 er vicomte Alexander de Tunis, qui fut en poste de 1946 à 1952. Depuis le mandat de Vincent Massey, le poste a été occupé uniquement par des Canadiens. De plus, par tradition, celui-ci est tenu alternativement par des Canadiens anglais et des Canadiens français. Depuis 1967, le Premier ministre ne communique au souverain qu'un seul nom lorsqu'il recommande une personne pour la fonction. Auparavant, une liste de plusieurs noms était fournie, laissant au monarque le soin de choisir. En général, le souverain est tenu par la Constitution de toujours 3
déçu. En cette période de raréfaction des ressources, où la France se lasse de financer plus des trois quarts du budget de l’organisation3, les dépenses somptuaires de Mme Jean ne sont pas passées inaperçues4. C’est en 2014, à Madagascar5, que Mme Jean avait été élue à la tête de l’OIF, remplaçant l’ancien Premier Ministre6 sénégalais Abdou Diouf. Un choix par défaut : alors que le poste revenait à un candidat présenté par l’Afrique, les pays africains francophones n’arrivèrent pas à présenter une candidature commune7, et le président François Hollande (à la veille d’annoncer qu’il ne se représenterait pas) avait visiblement la tête ailleurs8 ». Ceci dit, la Secrétaire Générale sortante semble s’être mis ses propres compatriotes à dos. Reste à en connaître les raisons. Michaëlle Jean a essuyé le jeudi 324 mai un feu de critiques de l'opposition à Ottawa et à Québec à propos de l'autre mandat qu'elle pourrait solliciter à la tête de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Les gouvernements canadien et québécois l'appuient officiellement, tout en plaidant pour une meilleure gestion financière de l'organisation. À Ottawa, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a renouvelé sa confiance en Michaëlle Jean. Elle demeure une ambassadrice de qualité pour des enjeux liés à l'égalité hommes-femmes, a soutenu la ministre fédérale du Développement international et de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau, au moment où Paris annonçait mercredi que son choix s’était porté sur une candidate du Rwanda. Même si le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a essayé de se rattraper jeudi avec une déclaration positive pour Mme Jean, il a quand même évoqué une nouvelle fois la question de la gestion financière de l’OIF, un des principaux reproches faits à l’actuelle secrétaire générale de l’organisation. Dans une série de reportages, les médias de Québecor9 ont rapporté plusieurs dépenses effectuées par Michaëlle Jean, dont celles liées à la rénovation de sa résidence officielle à Paris, au coût de 500 000 $, et à l’achat d’un piano pour un montant de 20 000 $. « On a une suivre l'avis de ses Premiers ministres, tant et aussi longtemps que ceux-ci gardent la confiance de la Chambre des communes et agissent de manière constitutionnelle. Les gouverneurs généraux ont souvent été d’anciens hommes politiques. Depuis 1952, des personnes ayant déjà occupé les postes de diplomate, membre du Cabinet ou président de la Chambre des communes ont été nommées. Adrienne Clarkson, gouverneur de 1999 à 2005, était auparavant auteure et journaliste de télévision ; fut la première gouverneure générale dans l’histoire canadienne à ne pas avoir de passé politique ou militaire. Elle fut également la deuxième femme et la première personne d’origine asiatique à occuper ce poste. La première femme gouverneur général du Canada fut Jeanne Sauvé, dont le mandat s'est exercé de 1984 à 1990. Il est de tradition que la personne désignée reste en poste pour un minimum de cinq ans, mais en vérité, ce poste est occupé selon « le bon vouloir de Sa Majesté », et le Premier ministre peut demander à la reine de prolonger le mandat. 3 Le Canada vient au deuxième rang, juste derrière la France. A noter qu’à côté du Canada dans son ensemble, le Québec et le Nouveau Brunswick sont également membres de l’OIF. 4 Non seulement Mme Jean, mais aussi l’OIF démentent, par exemple, qu’elle ait fourni, aux frais de l’Organisation, une limousine avec chauffeur à son mari. Puisqu’il y a là deux thèses qui s’affrontent, il y aurait, à tout le moins, matière à parler au conditionnel, tant qu’un tribunal ou au moins une commission d’enquête interne, n’aura pas établir la vérité. C’est d’autant plus léger que des racistes en profiteront pour parler de « dépenses de roi nègre ». 5 En réalité, à Dakar. L’auteure avait visiblement oublié ses notes (ou ses lunettes). 6 Il con viendrait de lui donner le titre de Président, même s’il a aussi, auparavant, été Premier Ministre. 7 Non pas par incurie mais parce que tous les présidents mal élus de la Francophonie ont essayé de pousser leur pion personnel en vue de leur prochaine fraude électorale. 8 Le palmarès de Hollande à Dakar n’a pas été brillant : il aurait voulu offrir le SG de l’OIF comme »parachute doré » à Compaoré pour le décider à « dégager », empêcher Sassou Nguesso de briguer un mandat de plus, ce en quoi il échoua et il ne sortit pas grandi d’une « prise de bec » avec …Louise Mushikiwabo. Mais il se doutait depuis longtemps que, pour lui, les carottes étaient cuites. 9 Entreprise multimédia appartenant à la famille Péladeau, produisant de l’information du niveau « tabloïd »ou « presse à scandale ». 4
Canadienne et une Québécoise qui dirige l’OIF. Bien sûr, on est heureux, on va la soutenir. On a eu des remarques sur la gestion, la transparence de l’OIF. Ces remarques ont été entendues; Mme Jean, je crois, a l’intention de présenter un plan précis, une reddition de comptes précise au prochain sommet de l’OIF » a dit Philippe Couillard, premier ministre du Québec La position du chef de Coalition avenir Québec (CAQ) est plus tranchée. Aucune des deux candidates ne trouve grâce à ses yeux. « Moi, je n’appuie pas aucune des deux candidates. Et je pense qu’on devra avoir un vrai débat sur la transparence et puis sur le contrôle des coûts » a dit François Legault, chef de Coalition avenir Québec La période des questions à la Chambre des communes a donné lieu jeudi à un vif échange entre le député conservateur Gérard Deltell et la ministre Bibeau au sujet de Michaëlle Jean. « Ça prend juste des libéraux pour être fiers de ce que Michaëlle Jean fait! Michaëlle Jean est devenue un embarras pour le Canada. Elle a géré de façon tout à fait irresponsable son organisme" a dit le , député conservateur Gérard Deltell. La ministre Bibeau, qui a réitéré son appui à l'ancienne gouverneure générale du Canada, souligne que « Madame Jean a fait un excellent travail au niveau de la mission de l'organisation, elle fait la promotion des valeurs qui sont chères aux Canadiens », a-t-elle dit, tout en reconnaissant la nécessité d’apporter une amélioration à la gestion financière de l’OIF. « L'Organisation internationale de la Francophonie a besoin d'une modernisation au niveau de ses pratiques financières, et c'est ce que nous allons [l']aider à faire » a dit la ministre fédérale du Développement international et de la Francophonie Les libéraux ne devraient pas miser sur Mme Jean compte tenu de son bilan, selon le Bloc québécois pour qui « c'est la réputation du pays qui est mise à mal, parce que c'est une personne qui fait scandale après scandale ». « Ce n'est pas la bonne personne pour ce poste-là », a déclaré aux médias le député Xavier Barsalou-Duval. Sans se prononcer ouvertement, les néo-démocrates semblent prêts à lui laisser une chance. « Si elle se présente, il faudra l'entendre sur ce qu'elle entend faire pour amener une meilleure reddition de comptes et redonner confiance à tout le monde » (Robert Aubin, député, NPD) On aurait tort, toutefois, de considérer Michaëlle Jean comme un agneau jeté sans défense aux loups de presse. Elle a aussi trouvé, parmi les « chevaliers de la plume », des journalistes pour plaider sa cause. Isidore Kwandja Ndembo est du nombre, et voici ce qu’il écrit « Sous la gouverne de Michaëlle Jean, l’OIF est fortement engagée dans un élan, à la fois, de la défense et la promotion de la langue française et de la diversité culturelle, et de la promotion des valeurs démocratiques chères à l’organisation. On se rappellera qu’en 2014, lorsqu’elle s’était lancée dans la campagne pour accéder à la direction de l’OIF, Michaëlle Jean promettait de faire de la Francophonie, une organisation toujours plus agissante, dans un monde en plein bouleversement et en perpétuel changement. Quatre ans après, elle a tenu sa promesse, sans désemparer, de hisser l’OIF à la place qui lui revient, au cœur du système multilatéral. Aujourd’hui, l’Organisation qui rassemble 84 États et gouvernements membres et observateurs, est tellement attractive que le nombre de demandes d’adhésion ne cesse d’augmenter. Michaëlle Jean a su positionner l’Organisation sur tous les enjeux de l’heure : objectifs de développement humain et économique durable et inclusif, changements climatiques, crises migratoires, lutte contre le terrorisme, prévention et gestion des crises, défense des droits et des libertés fondamentales, soutien à l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes, renforcement des politiques et programmes en faveur de l’éducation, de la formation technique et professionnelle, stratégie numérique, appui structurant au renforcement des institutions, 5
mobilisation de la jeunesse autour de la responsabilité citoyenne et dans la lutte contre la radicalisation, stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes, etc. Qu’on le veuille ou non, l’OIF a considérablement intensifié ses efforts et continue de développer ses moyens d’action dans les différents domaines relevant de son mandat. Et, Michaëlle Jean poursuit sereinement la mise en œuvre de réformes substantielles en vue d’améliorer le fonctionnement et la gestion interne de l’Organisation. Par ailleurs, Michaëlle Jean est persuadée que c’est en adoptant une approche concertée et mieux coordonnée, en faveur de la paix, de la sécurité, du dialogue inclusif, du respect des processus démocratiques, que nous pourrons obtenir les meilleurs résultats. C’est ainsi que l’OIF est résolument engagée sur le terrain, en synergie avec ses partenaires internationaux, pour agir efficacement. En effet, les nouvelles réalités mondiales nous rappellent qu’aucun État, aussi puissant soit-il, ne peut à lui seul relever les immenses défis qui nous attendent, ni dicter sa volonté au monde, mais cela exige l’instauration d’un ordre international fondé sur un multilatéralisme plus efficace. Ainsi, au lieu d’affaiblir la Francophonie en la déstabilisant dans son action, il vaudrait mieux reconnaître et investir davantage dans sa plus-value, en lui apportant des moyens supplémentaires à la hauteur de l’ambition légitime qu’elle porte et qui la définit. Il va sans dire qu’il serait préférable pour les chefs d’État et de gouvernement, dans leur grande sagesse, de faire preuve de réalisme en faisant en sorte de ne pas briser la dynamique engagée par ses prédécesseurs et poursuivie de façon accélérée par l’actuelle Secrétaire générale dès sa prise de fonction, et de la reconduire pour un second et dernier mandat, afin de poursuivre inlassablement tous ces efforts qu’elle a su engager pour assurer la pérennité des actions entreprises et des programmes déployés dans l’exécution de l’ambitieuse feuille de route qui lui a été confiée à Dakar ». Malheureusement, si les détracteurs de Mme Jean, « trop dépensière », brandissent un peu vite les affirmations douteuses de la basse presse à scandales comme s’agissant de faits avérés, et violent ainsi un principe essentiel du droit : la présomption d’innocence, le paladin qui vole à son secours tombe dans l’excès inverse. Le passage en italiques qui précède, en effet, reprend mot pour mot des citations de la propagande électorale de Mme Jean lorsqu’elle faisait campagne en vue du Secrétariat Général. Et ce programme était, effectivement, ambitieux et enthousiasmant. Mais il ne suffit pas de mettre au passé les verbes qui étaient au futur, pour pouvoir parler de réalisations. Objectivement, il faut bien admettre que beaucoup de ces somptueuses promesses ne se sont pas réalisées et que Mme Jean –osons le mot – a déçu. Mais cette déception n’est pas uniquement le fait d’idéalistes trompés dans leurs espérances. Les Canadiens qui se disent aujourd’hui « déçus » semblaient se complaire, quand Michaëlle Jean a été élue dans des espoirs plus juteusement matériels. Nous écrivions alors10 « Du côté canadien, on parle carrément de Michaëlle Jean comme de «La personne idéale». Elle «saura incarner le renouveau et la modernité» pour cette organisation, a estimé le premier ministre canadien Stephen Harper. «Je suis particulièrement heureux que, pour la première fois de son histoire, la Francophonie ait élu une Canadienne à sa tête», déclare dans un communiqué M. Harper, félicitant Mme Jean pour sa nomination. «Mme Jean est la personne idéale pour promouvoir le français ainsi que les valeurs de l'organisation. Elle saura incarner le renouveau et la modernité dont a besoin la Francophonie du XXIe siècle, et être à l'écoute» des dirigeants et populations francophones, a-t-il estimé. «J'ai hâte de travailler avec la nouvelle secrétaire générale et tous les membres de la Francophonie sur les engagements pris 10 Dialogue 2014 n° 21 du 3 décembre 2014 pp 10-11 6
lors du sommet de Dakar, notamment en ce qui concerne les femmes et les jeunes, et plusieurs autres dossiers d'importance pour l'organisation», dont les questions de développement, de démocratie et de paix », a encore affirmé Stephen Harper. Il a assuré que le Canada, «fier de son héritage français», demeurait engagé pour permettre à l'OIF de mener ses missions. Le Canada est le deuxième bailleur de fonds de l'OIF, derrière la France. …. Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, s'est également réjoui de l'arrivée de Mme Jean au secrétariat général de la Francophonie. Selon lui, Mme Jean incarne une vision moderne, jeune et dynamique de la Francophonie et «elle saura donner un nouvel essor à l'espace francophone en mettant de l'avant l'importance des échanges économiques entre les Etats membres». Pour le Canada, cela ne s’arrête pas là, car les réactions viennent aussi du niveau municipal. D’après le journal Le Soleil, cette désignation, c’est «’juste du bon’ pour Québec», d’après le maire Régis Labeaume. Celui-ci raconte qu’il est demeuré en contact courriel avec son «amie» jusque tard samedi soir, alors qu'elle doutait encore de succéder à Abdou Diouf. Il s'est évidemment réjoui de l'élection de l'ex-gouverneur général, avec qui il a voyagé en Haïti. Selon le politicien, «ça n'a pas dû être facile de se faire élire parce que c'est une femme». Il demeure convaincu que «ça prenait quelqu'un de moderne, avec les idées larges, quelqu'un qui a vécu, qui connaît les réalités de plusieurs continents» pour relancer l'OI F. « Pour nous autres, les Franco-Américains en général, c'est une bonne nouvelle. Elle connaît exactement mes sentiments envers la francophonie. Elle connaît exactement nos projets envers la francophonie nord-américaine et elle aime ça. C'est une personne qui va comprendre qu'on a avantage à développer la francophonie en Amérique. Ça, je suis certain qu'elle est derrière moi», a-t-il fait valoir, rappelant que Québec veut «devenir le carrefour de tout ça». Le maire Labeaume travaille à la création d'un réseau des villes et des communautés francophones et francophiles d'Amérique du Nord. Un portail Web présentant les attraits des villes marquées par une présence francophone doit d'ailleurs voir le jour dès l'automne 2015.C'est la Ville de Québec qui sera maître d'œuvre ». Il faut tout de même admettre que la prose canadienne de l’époque – qui n’était pas sans rappeler ce qu’écrivaient les journaux belges à l’époque de l’Expo 58 - se distinguait moins par sa hauteur de vue que par son sens des affaires. On aurait dit d’un syndicat d’initiative entonnant le refrain « Ça fera venir des touristes, c’est bon pour les affaires et ça créera des emplois ». Il apparaît donc que la « déception » canadienne concerne bien davantage les retombées économiques (espérées, mais non ou insuffisamment concrétisées) pour le Québec que les soi- disant « gaspillages » de la Secrétaire Générale. Autre détail encore, qui concerne le carrière de Michaëlle Jean avant l’OIF. Il faut noter qu’après avoir été gouverneur général et commandante en chef du Canada de 2005 à 2010, Mme Jean occupait depuis octobre 2010 le poste d'Envoyée spéciale de l'UNESCO pour Haïti dans le but d'obtenir des fonds pour la reconstruction du patrimoine haïtien et favoriser l'éducation. Cette nomination avait été généralement bien accueillie, mais avec des réserves concernant l'étendue des pouvoirs décisionnels dont elle disposerait pour mener à bien cette mission. Elle a, entre autres, mené des négociations avec certaines universités et avec le gouvernement cubain afin d'améliorer le développement de la pêche et des métiers de la mer dans les villes côtières haïtiennes. Il est évident que s’adresser à l’île voisine permettait se substantielles économie, sans que la qualité de l’intervention en souffre, la réputation du savoir-faire cubain dans le domaine de l’humanitaire ou de la Santé n’étant plus à faire. Mais évidemment cela signifiait collaborer, au mépris de l’embargo américain, avec « l’affreuse dictature communiste de Cuba » (qui est en 7
réalité la seule véritable démocratie de la région). Cela verse une lumière toute autre sur la réputation de « gaspilleuse » de Mme Jean ainsi que sur son sens de la démocratie. Autre signe qui ne trompe pas : bien que la procédure de désignation du SG de l’OIF soit particulièrement opaque, et que les objections à la candidature Jean aient été emballées sous la critique de « ne pas être suffisamment africaine » l’on sait que ses principaux opposants ont été les dictateurs africains11. Ils se sont exprimés devant la presse par la bouche de Sassou Nguesso et, en séance, par un discours de Louis Mushikiwabo, traitant François Hollande de « donneur de leçon ». Etre critiqué par les méchants est le meilleur des brevets de vertu. Mme Jean n’a pas encore rendu publique son intention de se représenter à la tête de l’OIF. L'ancienne gouverneure générale du Canada a cepe,ndant déjà une adversaire soutenue par Paris, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo (photo). Axe Paris- Kigali / Macron Kagame ? Evidemment, à Dakar, il s’agissait de François Hollande. A Erevan, il s’agira d’Emmanuel Macron. Néanmoins, le soutien de la France à la candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères paraît à première vue aussi incompréhensible que difficilement justifiable compte tenu de l’état actuel des relations diplomatiques entre les deux pays. A première vue seulement. Depuis l’arrivée au pouvoir en 1994 des autorités politiques actuelles au Rwanda, la France a déployé des efforts considérables pour rétablir le dialogue en vue de renouer les liens brisés avec ce pays, mais le Rwanda rechigne toujours à rétablir les relations diplomatiques saines avec celle-ci. La crise de confiance perdure, en dépit de toutes les tentatives bien intentionnées de la France, tentatives, ajoutons-le, qui ont eu lieu sous toutes les présidences, qu’elles soient étiquetées « de droite » ou « de gauche ». Les relations bilatérales entre les deux pays sont, pour ne pas dire exécrables, manifestement tendues, et ce, peu importe le nombre de fois où les deux présidents, Emmanuel Macron et Paul Kagame, se sont entretenus. En tout état de cause, la candidature rwandaise n’est certainement pas pour œuvrer au rayonnement de la langue française, ni pour faire la promotion des valeurs démocratiques prônées par l’OIF. Bien au contraire, cela aurait sans doute pour effet d’annihiler tous les efforts déployés jusqu’ici par cette organisation en vue d’accompagner le processus de transition démocratique en cours dans un certain nombre de pays de l’Afrique francophone notamment. Qu’à cela ne tienne, le Rwanda, pour des raisons que l’on ignore encore, est déterminé à prendre la direction de la Francophonie. Et, sa diplomatie s’active en coulisse autant sur les plans bilatéral et africain pour y parvenir. Les puissants médias de l’espace francophone sont mis à profit pour assurer une couverture médiatique ouvertement favorable à la candidature de Louise Mushikiwabo. Tout compte fait, les raisons sous-jacentes qui peuvent expliquer l’intérêt soudain du régime rwandais à l’égard de la Francophonie sont à rechercher ailleurs que dans la volonté de faire avancer les objectifs contenus dans la " Déclaration de Bamako ", renforcée par la 11 Pour plus de détails, voir Dialogue 2014 n° 21 du 3 décembre 2014 8
"Déclaration de Saint-Boniface ", deux textes normatifs de référence, l’un sur le respect des règles de la gouvernance démocratique et de l’État de droit, l’autre sur la sécurité humaine et la responsabilité de protéger. Cette fois, si Louise Mushikiwabo présente sa candidature à la tête de l’OIF lors du prochain sommet qui se tiendra en octobre prochain à Erevan (Arménie), elle pourra compter sur de solides appuis au sein de l’Union africaine. Mme Mushikiwabo est connue et appréciée sur le continent. Mais elle est appréciée surtout, et exclusivement, par les chefs d’états africains francophones, qui en général ne sont pas partisans de la démocratie, même réduite à sa caricature bourgeoise et parlementaire parce qu’elle représente très bien les « régimes à réélection automatique ». Mme Mushikiwabo est considérée comme le numéro deux du régime, appelée éventuellement à succéder un jour à Paul Kagame, (qui d’après la Constitution approuvée par referendum pourrait rester au pouvoir jusqu’en 2034…) Diplomate chevronnée, s’exprimant souvent, sans fioritures, au point d’avoir été surnommée « l’aboyeuse » du régime, elle ne se distingue pratiquement pas, en politique, de son Président. Ce qui fait dire à certains commentateurs africains que le Rwanda lance une sorte d’OPA sur les institutions influentes en Afrique, avec Kagame à l’UA et son « double femelle » à l’OIF. L’axe Kigali-Paris, s’il venait à se constituer, devrait fatalement se constituer autour d’objectifs ou d’intérêts communs. La question est donc de savoir quels sont les intérêts qui pourraient faire converger ces deux hommes. Emmanuel Macron Ce n’est pas en politique intérieure que le Président français pourra se tailler la place importante qu’il souhaite occuper dans l’histoire. Même quand il squatte Versailles, sa ressemblance avec Louis XIV n’est pas vraiment frappante. Etant le fidèle exécutant de la volonté des banques et des intérêts financiers, il lui est impossible de faire, en France, autre chose que d’appauvrir encore un peu plus les Français. Ce n’est pas le genre de chose qui vous auréole de grandeur historique ! Dans ce domaine de la « France grande, prestigieuse et respectée », d’ailleurs, la tendance est plutôt de considérer qu’il s’agit surtout de la place que la France occupe sur la scène internationale. Dans ce domaine, la politique africaine offre à un Président entrant deux belles occasions de s’illustrer. Il s’agit évidemment du thème éternellement récurrent de « la fin de la Françafrique » et du contentieux franco-rwandais. Sur la première de ces questions, la marge de manœuvre de Macron doit être assez étroite. Car, si la forme de néocolonialisme ainsi désignée avait été inventée sous De Gaulle dans un but (assurer l’indépendance énergétique de la France) qui avait au moins quelque grandeur, même si les moyens pour arriver à cette fin étaient criminels, la Françafrique a dégénéré après le départ de Jacques Foccart12 pour devenir quelque chose d’assez vulgaire : un conglomérat de 12 Voir notre dossier « Les Archives de Foccart ». 9
magouilleurs politico-financiers sans nulle grandeur, au service de la haute finance française. Mais cette haute finance, ce sont précisément les commanditaires de Macron et, derrière cette marionnette, les patrons réels de la France. Il serait donc délicat d’y toucher… Le contentieux franco-rwandais, lui, date de François Mitterrand13. Et il tourne essentiellement autour de l’Opération Turquoise. Celle-ci visait à secourir le gouvernement légal du Rwanda, que Kagame cherchait à renverser. Bien entendu, personne n’ose dire crûment une telle chose. En politique, la vérité n’avance jamais qu’à l’abri d’un coussinet de mensonges. Turquoise a gêné l’APR dans sa manœuvre visant à détruire totalement les FAR, frustré ainsi Kagame d’une victoire totale et contribué, en protégeant la retraite des FAR et Interahamwe vers les camps de réfugiés au Zaïre, ce qui contribuera ultérieurement à créer les problèmes posés par les FDLR14 La France n’avoua jamais avoir voulu sauver le régime – pourtant légal et ami – de Habyarimana et soutint que Turquoise était une opération humanitaire ne visant qu’à permettre l’évacuation des civils. Tant de ces « civils » étaient en kaki et en armes que l’on est en droit de se demander si le plan initial ne comportait pas une « phase 2 » sous forme de retour offensif, auquel on aurait renoncé à cause de l’étiquette de « génocidaires » désormais accolée à l’ancien régime rwandais. Kagame, dont la thèse est qu’il a « arrêté le génocide » et que Turquoise a prolongé celui- ci, accroissant ainsi le nombre des victimes, traite en conséquent la France de « complice des génocidaires ». Il lui était difficile de faire autrement, car le génocide est son fonds de commerce. En effet, l’APR est passée à l’offensive alors que des négociations étaient en cours en vue d’une transition pacifique, et ceci alors que, depuis l’ère des conférences nationales à la 13 Mitterrand n’est pas étranger, non plus, à la persistance de la Françafrique, mise en place par la Droite. Quand le directeur de Elf est venu lui demander ce qu’il devait faire des fonds distribués aux partis politiques (jusque-là uniquement à Droite), il se borna à lui dire « Continuez, mais ne nous oubliez pas ». Difficile d’appeler cela autrement que « vendre le PS à la Françafrique ». 14 Ces camps s'étendaient de Katale, Kahinda et Kibumba dans le Nord du Kivu jusqu'à Kamanyola, Kanganiro, Luvungi, Lubarika et Luberizi près d'Uvira au Sud du Kivu, plus près de la frontière burundaise. Les plus fréquemment cités, e. a. dans les rapportq AI sur les trafics d'armes, sont: Cimanga, près du parc des Virunga, Idjwi, île du lac Kivu, Kahinda, Nord Kivu, Kamanyola, Sud Kivu, Kanganiro, Nord Kivu, Katale, Nord Kivu, Kibumba, Sud Kivu, Lubarika, Sud Kivu, Luberizi, Sud Kivu, Luvungi, Sud Kivu, Mugunga au Sud de Goma, Mugungu ("camp des chefs d'E.M." du Lac Vert), Panzi près de Bukavu. Théoneste Bagosora(*), commandant en second des forces en exil avait sa base au camp Cimanga au Zaïre à la frontière sud-ouest du Rwanda. En mars 1995, le colonel Bagosora et un commandant zaïrois de Katindo furent interrogés par la gendarmerie zaïroise à propos du trafic d'armes. Les milices traversaient la frontière en direction du Rwanda pendant la nuit presque quotidiennement, comme on l'a observé‚ dans les camps de Kamanyola et de Kibumba. Les exilés rwandais ne sont pas les seuls à avoir reçu des armes et un entraînement militaire dans l'Est du Za‹re. (Environ 1/3 des réfugiés hutu des camps prés de Bukavu et d'Uvira sont au départ d'origine burundaise et avaient fui au Rwanda lors des massacres au Burundi de novembre 1993). On rapporte que des réfugiés hutu burundais ont été militairement entraînés en même temps que leurs homologues rwandais dans des camps près d'Uvira dans l'Est du Zaïre où près de 50000 réfugiés hutu ont fui le Burundi. Ils ont également reçu des armes. Beaucoup de responsables des Rwandais en exil auraient résidé au "camp des chefs d'E.M." du Lac Vert au Sud Ouest de Mugungu dans l'Est du Zaïre sous la conduite du Maj. Gal. Augustin Bizimungu, chef des ex-FAR et de la Garde Présidentielle durant le génocide de 1994. Ces officiers ont été libres de voyager, d'obtenir et de distribuer des fournitures militaires dans les bases sans la moindre opposition du gouvernement du pays hôte. Ils ont organisé l'entraînement militaire des ex-FAR dans des bases proches de Mugunga au Sud de Goma ou Panzi près de Bukavu où se trouvait la plus grosse partie de l'armée battue jusqu'à fin novembre ou décembre 1994, de même qu'à Cimanga, entre les collines volcaniques du Parc National des Volcans et la frontière avec le Nord-Ouest du Rwanda, et sur l'île Idjwi du lac Kivu. Les régions frontalières avec le Rwanda, près de ces camps, sont le théâtre de coups de mains transfrontaliers durant lesquels des violations des droits de l'homme sont commises. D'après des déserteurs de l'ex-FAR fin 1994 plusieurs centaines de soldats et d'officiers des ex-FAR sont aussi partis en secret pour un camp secret en République Centrafricaine pour y subir un entraînement spécial (rapport Cook). Source: Amnesty International AFR 02/14/95 10
fin du XX° siècle, il y avait un large consensus pour ne plus accepter les changements politiques obtenus par la force. L’assertion suivant laquelle il y avait eu au Rwanda un « génocide des Tutsi », imputable entièrement au seul 15« Hutu Power » et auquel les APR, et eux seuls, auraient voulu s’opposer, est un élément essentiel du discours tendant à fonder la légitimité du nouveau régime. Tout cela se passait d’ailleurs sous le regard amusé de la « Communauté Internationale » qui savait fort bien que Kagame voulait le pouvoir et ne s’appuyait que sur la force, que la France n’avait aucune intention humanitaire, mais aussi que rien d’essentiel ne serait tenté contre le nouveau régime, protégé par les Etats-Unis. Après quoi, Français et Rwandais campèrent sur leurs positions et le contentieux, comme une écorchure mal soignée, s’envenima. De part et d’autre, on y ajouta quelques fioritures, les deux antagonistes s’accusant mutuellement d’avoir descendu l’avion de Habyarimana, Kagame accusant le France de « donner asile aux génocidaires » ou de « ne pas poursuivre les négationnistes », cependant que certains Français défendaient la thèse du « double génocide »16. Passons sur ces fioritures. En réalité, ce contentieux n’a d’importance que par le poids du papier que l’on a noirci à son sujet. Il suffirait, pour y mettre fin, que la France et le Rwanda se disent réciproquement : 15 Le seul fait incontestable, c’est qu’il y a eu, en 1994, des tueries qui ont fait des centaines de milliers de morts. C’est, déjà, un crime inouï et monstrueux. Mais convient-il de prononcer le mot, très chargé émotionnellement, de « génocide » ? L'article 2 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide adoptée par l'assemblée générale des Nations unies, le 9 décembre 1948, affirme : « Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. » Cette définition a été reprise dans l'article 6 du Statut de Rome, acte fondateur de la Cour pénale internationale. La racine genos implique que l'on est tué pour ce que l'on est par la naissance. Le terme « génocide » passé dans le vocabulaire courant connaît une acception plus large représentant la gradation ultime dans l'échelle de gravité. Il est donc parfois utilisé pour qualifier des événements qui frappent par leur ampleur et leur horreur, sans considération de leur adéquation aux critères juridiques définissant le crime de génocide. Une précédente définition du génocide, adoptée lors de la première assemblée générale de l'ONU le 11 décembre 1946, intégrait la destruction d'un groupe politique, à côté des groupes raciaux, religieux et autres. En 1948, le groupe politique disparait de la définition onusienne, alors que le groupe religieux subsiste. Or, si les groupes national, ethnique, racial ont entre eux le point commun d’être des caractéristiques que l’on possède de naissance et sans les avoir voulues, le religieux, comme le politique sont des groupes à adhésion volontaire. On parle parfois de « génocide des Tutsi », mais on ajoute aussi parfois « … et des Hutu modérés ». Un tas de cadavres Tutsi et Hutu, tués pour leurs opinions politiques, c’est un massacre, pas un génocide. La décision unique et centrale par « l’Akazu » n’a jamais été prouvée, e il peut donc fort bien y avoir eu plusieurs massacres, commis par des criminels différents. Il faut aussi, pour parler de « génocide » que la préméditation soit établie. Or, elle ne l’est pas. Ceci, malgré des années de travail du TPIR d’Arusha ; soumis à d’incessantes pressions du gouvernement rwandais pour lui faire adopter sa thèse. Cfr notre dossier « Génocide ». 16 Exemple : Le fameux "rapport Gersony" faisait état de 30.000 morts imputés au FPR, accréditant ainsi la thèse du "double génocide". Il eut les honneurs de la "une" du journal français "Libération". Il résultait du travail d'un consultant qui avait essentiellement interrogé des réfugiés à Benaco en Tanzanie. Ces derniers imputaient au FPR, avec force détails, des crimes qui avaient été commis avant sa victoire. Une contre-enquête sur le terrain - également publiée par "Libération" - ne confirma en rien le rapport Gersony qui ne fut jamais publié. Mais il avait eu son utilité: il fut utilisé comme argument par le HCR pour bloquer les opérations de retour et différer plus encore l'aide au Rwanda... Sources: "Les politiques de la Haine, Rwanda Burundi, 1994-1995"; Paris, "Les Temps Modernes", juillet - août 1995 - . Braeckman: "Le Soir" 29-30/07/95 11
« Vous avez essayé de nous entuber et, en représailles, nous vous avons bien empapahouté. N’en parlons plus ! ». Il suffirait, pour cela, que les deux antagonistes découvrent qu’ils ont tous deux intérêt à ce que la dispute prenne fin. Pour Macron, mettre fin à une affaire qui pourrissait depuis une vingtaine d’années, et dont ni Mitterrand, ni Chirac, ni Sarkozy, ni Hollande n’étaient venu à bout. Comme ses détracteurs lui reprochent d’être jeune et inexpérimenté, et qu’il se veut « nouveau », dépassant les clivages gauche//droite, « dépassés », ce serait une jolie fleur à son chapeau. Surtout si, ayant besoin de son appui pour faire passer Mushikiwabo à l’OIF, Kagame se trouvait contraint à lui faire quelques courbettes. Il pourrait, par exemple, redonner un statut légal au français à côté de l’anglais. Du coup, Macron pourrait se vanter, à bas prix, d’avoir redoré le prestige de la France, d’avoir défendu brillamment la langue de Molière et d’avoir réussi là où des politiciens chevronnés avaient échoué. On pourrait bien sûr se demander ce qui, déjà du temps de Mitterrand, a poussé la France à s’intéresser au Rwanda. Les objectifs de la Françafrique sont toujours économiques, avec une attention particulière pour le secteur de l’énergie. Autrefois, cela concernait avant tout le pétrole, mais par la suite les matières fissiles sont venues s’y ajouter. Toutefois, à mesure que la politique françafricaine a cessé de poursuivre un but élevé (l’indépendance énergétique de la France) par des moyens d’une moralité très élastique, pour virer à la prédation capitaliste pure et simple, on s’est mis à s’intéresser à tout ce qui brille (or, diamant, coltan et autres minerais). Et la collection des prétextes avancés pour intervenir s’est enrichie d’un nouvel item : la lutte antiterroriste. Elle a permis à Sarkozy d’utiliser l’aviation et l’artillerie lourde pour faire taire Kadhafi « qui en savait trop », dans la meilleure tradition de la Mafia. Si la Françafrique a tenu solidement dans ses filets l’Afrique de l’Ouest, son emprise a toujours été moins forte sur l’Afrique centrale. Si celle-ci comporte un gros bloc francophone, celui-ci n’est pas constitué uniquement d’ex-possessions françaises. Le géant de la région, la RDC, a été une colonie belge tandis que le Rwanda et le Burundi ont été ballottés de la colonisation allemande à un mandat de l’ONU, confié à la Belgique. Il faut ajouter que les Présidents de la région ont été plus coriaces et moins dociles que leurs confrères de l’ex-AOF. Bongo, Sassou Nguesso ou Idriss Deby se sont parfois opposés à la France et ont parfois gagné. Ne parlons que pour mémoire de Bokassa et des diamants de Giscard. Quant à Mobutu, il ne s’est guère montré reconnaissant envers la France pour lui avoir sauvé la mise à Kolwezi. La docilité repose toujours un peu sur le système « de la carotte et du bâton » et, pour recourir à la force quand l’amitié et l’intérêt ne suffisent plus, la France ne dispose pas, en Afrique centrale, d’un réseau de bases militaires aussi développé qu’en Afrique occidentale et au Sahel17. Compte tenu des grandes richesses minérales de l’Afrique centrale, en particulier, mais non exclusivement, de la RDC, une « amitié particulière » entre la France et le Rwanda serait donc très souhaitable. Mitterrand, en son temps, l’a cherchée auprès de Habyarimana. Pourquoi Macron ne la trouverait-il pas auprès de Kagame ? Ce serait d’autant plus utile que le dictateur rwandais a au moins un point commun avec la Françafrique : la prédation. Les succès économiques de son pays, qui fascinent de nombreux pays africains francophones, reposent sur deux piliers : le pillage des ressources du Congo et la mise en esclavage des Congolais de l’Est. Des minerais gratits et une main d’œuvre gratuite, quoi de mieux pour plaire à Macron ? Il y a cependant, en principe, un os : les liens de Kagame avec les Anglo-saxons. 12
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